Une leçon de morale/I/Sans rire

Une leçon de moraleGallimard (p. 91-95).

SANS RIRE

Au mal :

Comme une perle où la lune s’amasse
Froide jusqu’à fixer les contours de l’hiver
Froide jusqu’à confondre et la flamme et la cendre
Indifférente et oublieuse à en mourir

Je la voyais pourtant bouger vivante et nue
Je parlais son langage elle ignorait le mien
Le soir elle ignorait ma soif sentimentale
Mais la moindre raison de vivre est suffisante

Elle était celle qui révèle les ruines
Et l’oubli des ruines et l’oubli des deuils
Vivante et nue elle réglait ma renaissance
J’avais besoin de tout savoir de son désastre

Pour au déclin des nuits retrouver égoïste
L’aube basse et la fleur tressaillante du jour
Sur le vaste horizon des quatre saisons fortes
Où l’homme multiplie son image en ses fils.

Au bien :

Elle était lente elle brassait soleil et neige
Majestueusement
Elle brassait son corps mêlé à d’autres corps
Comme on brasse un amant

Elle était tendre et douce elle donnait ses mains
Comme un oiseau son chant
Elle s’ouvrait sur un baiser et s’en allait
En quête du beau temps

Elle était forte et n’avait pas de temps à perdre
En soucis en tourments
Elle unissait la nudité des pierres fines
Au rire des enfants

Immensément réelle elle réinventait
Une terre accordée une terre natale
Et des yeux pour y voir que tout vaut d’être vu
Sans dérision comme un caillou au fond d’un puits

Et comme un arbre mort qui fait la joie du gui.