(auteur présumé Michèle Nicolaï)
(p. 23-30).

CHAPITRE III

J’ai eu à peine le temps de me reposer. À quatre heures du matin, tous les chasseurs se réunissent dans la grande salle. Il y a là des choses délicieuses à manger et je me gave sans fausse honte.

Mais j’ai un peu peur de regarder les autres. Si on voyait ce qui s’est passé cette nuit. Si l’on s’apercevait que je ne suis plus vierge… Non, bien sûr, ce n’est pas possible… Papa vient près de moi, embrasse mon front, me tapote les joues, me contemple tendrement.

— Vraiment, Florence, il faudra bientôt qu’on te marie, tu es une vraie femme, maintenant… Tout au moins, tu es de l’étoffe dont on les fait.

— J’ai bien le temps, papa ; je suis heureuse comme ça.

— Tant mieux. Moi, dans le fond, je préfère te garder le plus longtemps possible. Des femmes dans une maison, il n’y en a jamais trop.

Je vais aider maman qui sert ses invités. Elle me jette un regard pénétrant sous lequel je rougis.

— Tu n’as pas un peu de fièvre ? Tu es bizarre ce matin.

— Non, je vais bien, je t’assure.

Je porte à Antal et Claude deux verres de Xérès.

— Tu es vraiment en forme ce matin, fait Claude.

— C’est vrai, continue Antal. Je pense souvent que c’est bien dommage que tu sois notre sœur.

Je ris :

— Si je ne l’étais pas, c’est moi qui vous jouerais au poker dice tous les deux.

— Chameau ! murmure Antal.

Et comme je fais mine de partir, Claude me retient par la manche.

— Reste un peu ici. Tu es vraiment la plus jolie femme de la société.

— Pauvre Claire ! À propos, tu es satisfait de ta nuit ?

— Oh ! tu sais, ce n’est pas Cléopâtre tout de même.

— Naturellement, dit Antal, avec toi il n’y a pas de quoi se fatiguer…

— Essaie toi-même, mon vieux, je te la laisse pour la nuit prochaine.

— Ça va, merci, répond Antal.

— Vous me tiendrez au courant, dis-je en riant.

On me passe la main dans les cheveux d’une manière tendre.

Quoi, qu’est-ce que c’est ? C’est mon docteur dépuceleur. Je le regarde, je me dis :

— Toi, mon petit, tu n’es pas décoratif le matin.

Est-ce qu’il s’imagine que je vais faire cela avec lui toute ma vie ? Et puis, quoi encore ? Est-ce qu’il va falloir que je l’épouse ?

Pour le moment il donne en plein dans le culte du souvenir, à ce qu’il paraît. Il m’attire dans un coin et me montre… on devine quoi… qui est en état de refaire ce que nous avons fait.

En voilà un spectacle pour une jeune fille ! Ce que ça peut être réaliste un homme dont on n’a pas envie ! Il me fait un petit cadeau bizarre. Il me tend un livre avec des airs de conspirateur.

— Lis ça, c’est pour toi.

Encore un truc pour tenter de renouveler ce que maman, dans ses romans, appelle un doux émoi. Émoi toi-même. C’est la manœuvre classique, les dernières cartouches, si j’ose dire.

J’ouvre le livre, ce n’est même pas cochon. Il y a une scène soulignée au crayon bleu, le crayon du médecin qui fait des petits travaux scientifiques pour des revues. Une scène où deux amants se rencontrent dans une cuisine. C’est fade, fade. S’il croit que c’est avec des bouquins comme cela qu’il m’aura de nouveau, il se fourre le doigt, si j’ose dire, dans l’œil.

J’ai toujours aimé la chasse et je n’avais guère plus de dix ans quand je suivais mon père et rapportais fièrement les pièces ensanglantées qu’il mettait à son tableau. Mais ce matin, je suis très fatiguée, aussi je laisse les autres s’éloigner.

Draga, ma chienne, lève deux lapins de garenne que j’épaule machinalement. Avec ça, j’ai gagné le droit de me reposer. Je connais un coin moussu où il fera bon s’étendre. La tête posée sur mon carnier, dans une attitude pas trop convenable, je pense à des choses… Aux choses d’hier soir.

Je fais mon petit bilan, je récapitule et je me sens tout juste dans l’état où l’on est quand on récapitule ces choses-là. Car j’ai de la mémoire, moi.

Mes deux cuisses frottent légèrement l’une contre l’autre, petite ruse innocente qui aide encore ma mémoire. Et je ruse, je ruse si bien que je finis par somnoler dans un sommeil léger ; je fais un rêve riche en détails scabreux.

Depuis hier soir j’ai entre les mains (manière de parler) quelques souvenirs utiles. Je n’ai pas besoin de chercher loin comme les autres fois : je vois un pantalon qui s’entrouvre et cette fleur rose qui sort…

Et puis, tout à coup le rêve devient réel. Vais-je crier ? Je sens quelque chose qui fouille, qui retrousse. On m’arrache ma petite culotte. L’élastique qui serrait ma taille serre maintenant mes fesses, au beau milieu de la courbe. C’est l’endroit le plus difficile à passer. Mon satyre s’en aperçoit et s’énerve un peu. Je sens deux mains, bonnes d’ailleurs, dans leur colère, insister, tripoter, tirer. Comme préliminaires, c’est d’ailleurs plutôt agréable.

Je me sens touchée juste à l’endroit où je rêvais le plus fort. C’est vague d’abord, peu précis. Je sais seulement que c’est quelque chose qui avance, plein de bonnes intentions à mon égard, de bonnes intentions qui écartent mes replis les plus intimes, qui glissent, qui pénètrent. Les voilà au fond maintenant.

Mon cœur, qui sait ce qu’il a à faire, bat un peu vite. Mes seins avancent tant qu’ils peuvent, et ils peuvent, je le garantis. J’ouvre un œil et regarde celui qui a de si bonnes intentions à mon égard.

C’est un tout jeune homme dont le visage me semble étrangement familier… Son sourire est triomphant… Et je sens passer en moi une longue impatience.

La culotte enfin descendue, il faut passer le cap des souliers. Il me relève les jambes, m’écarte. Je dois offrir à un regard indiscret un assez joli point de vue, la croupe bombée, le… oui, largement ouvert.

Faire ça par terre, a-t-on idée ? Comme c’est peu respectueux, peu protocolaire. Déculottée, je reste ainsi, le côté pile de ma personne piqué par l’herbe. Ah ! cela ne fait pas le même effet que dans un lit !

Tout est champêtre, agreste, avec juste ce qu’il faut de ciel à l’endroit où il faut qu’il y ait du ciel. Un petit ciel tendre, jeunet, complaisant pour nous. Ça sent l’automne, l’odeur large de la terre, l’odeur serrée, pointue, des feuilles mortes et celle des branches cassées, les mêmes qui me piquent le derrière.

Je vois une main déboutonner un pantalon, en sortir ce que j’ose appeler, maintenant, après les leçons d’hier soir, une jeune queue. Et j’attends…

Attente terrible et délicieuse. J’attends le choc, j’attends en devinant ce qui va se passer, en en rajoutant ; j’attends le membre qui refoule, qui chiffonne mes replis intimes, qui glisse. J’ai envie de lui dire :

— Va au fond, maintenant ! Va vite, entre en moi !

Tous ces mots ne sont pas des mots que j’ai appris, ce sont des mots que je retrouve, qui m’ont manqué si longtemps, ceux que je cherchais.

Je lui crie en moi-même :

Enfonce ta petite pine !… bande !…

Et il comprend mon appel. Un instant sa queue hésite au bord du con.

Je fais un effort pour bien m’ouvrir. On ne me reprochera pas d’être de mauvaise volonté. J’aide au contraire la manœuvre, en empoignant une paire de petites fesses.

D’un seul coup il pénètre en moi et m’inonde de sperme chaud. On nous regarde peut-être. C’est curieux, cela ne me gêne pas. Au contraire. Je m’imagine à tout instant que quelqu’un derrière un buisson va tousser :

— Hum ! hum !…

Et nous dire :

— C’est bien joli ce que vous faites là !

Enfin, nous nous détachons l’un de l’autre.

Je cueille un champignon et commence à le manger. Sa saveur fraîche se mélange au goût des baisers profonds de tout à l’heure.

— Qui êtes-vous, dis-je enfin ?

— Est-ce bien nécessaire ?…

— Cela vaut mieux. Il est possible que nous nous rencontrions.

— Je m’appelle Jacques Anglade.

— Grand Dieu !

— Qu’y a-t-il ?

— Ce serait trop long à vous expliquer… moi, je suis Florence… Nous vous attendions bien avant… Quand êtes-vous arrivé au château ?

— Il y a une heure environ. J’étais en voiture et j’ai eu une panne…

Un moment, j’ai l’intention de lui dire :

— Fichez-moi le camp et qu’on ne vous revoie plus. Personne ne se doutera de rien.

Mais il ne comprendrait pas. Il ne sait pas, lui, la chose invraisemblable, stupéfiante ; qu’il est mon demi-frère, un de ceux que papa confectionne sans l’aide de maman ; l’enfant comme qui dirait de la main gauche.

Papa, hier justement, m’a fait cette confidence sous le sceau du secret. Il n’y a personne comme lui pour me confier des secrets compromettants quand ils peuvent lui faire de la publicité.

Papa, sans doute, trouve que cela fait bien d’avoir un enfant naturel en dehors des liens du mariage.

Évidemment s’il pouvait en avoir deux, cela serait mieux, et trois, plus épatant encore. Ces choses-là, c’est au mètre cube que cela se mesure.

S’il arrivait à prouver que tous les sujets de la Bosnie-Herzégovine, actuellement en âge d’être appelés sous les drapeaux, sont ses fils, je crois qu’il n’y résisterait pas !

En voilà un, en tout cas, un gentil échantillon.

Que vais-je faire de lui ? S’il me trahissait ! Le renvoyer d’où il vient ? La chose est faisable. Personne ne l’a vu venir. Mais cela c’est l’instinct idiot. Je reprends vite le dessus ; je vais le ramener moi-même à papa, ce sera farce ! Cette idée me met dans une jubilation intense.

Le temps a passé. De tous côtés des chasseurs apparaissent, ils rient, parlent, se félicitent. Je cherche mon père.

— C’est tout ce que tu as ? me demande-t-il, en regardant mes lapins. Tu n’es pas en progrès.

— Certes non… Regarde qui je te ramène !

Je suis gaie, gaie… Je chantonne : « J’ai baisé le fils à papa » sur l’air du « tra, du tra déridéra. »

C’est une idée qui me fait tordre. Au dîner j’en ris encore.

Je ris encore plus quand le docteur Laurès, ayant bouclé ses valises, vient m’annoncer qu’il s’en va.

— Docteur vous oubliez votre petit crayon bleu ! c’est utile, des fois on a besoin de souligner, pas, Docteur !

S’il n’avait pas un train à prendre, il me tuerait, cet individu !

Naturellement le dîner fini, je me précipite au petit endroit pour me branler. Cela se fête, ces aventures-là !…