Une introduction philosophique au Copyleft/Introduction

Introduction

La réflexion se limite, bien souvent, à évaluer les quelques actions les plus favorables à la bonne continuation de notre existence. Ponctuellement, nous sommes amenés à avoir une pensée plus intense, un questionnement lié à un événement ou à un stade de notre évolution personnelle. Il n’est pas évident de sortir de ce schéma égocentrique pour découvrir la complexité de la relation à l’autre et de diriger son regard vers le monde. En contrepartie, la connaissance nous prodigue de grandes joies et nos efforts obtiennent parfois une juste récompense lorsque nos actions influent positivement sur notre environnement.

La confrontation avec le monde se traduit par un désenchantement. Celui-ci nous oblige à chercher des repères, nous essayons alors de reconstruire une vision cohérente de ce qui nous entoure afin de mieux agir. Si nous poursuivons cette démarche et réfléchissons aux principes directeurs et aux fondements des choses, nous philosophons.

D’un certain point de vue, le principal rôle de la philosophie consiste a rendre conscient, sous une forme intellectualisée, ou sous une forme de problèmes, les chocs les plus importants et les troubles inhérents aux sociétés complexes et en mutation, en tant qu’elles ont affaire avec des conflits de valeurs.[1]

Nos prédécesseurs ont suivi ce chemin bien avant nous et nous pouvons leur emboîter le pas afin de ne pas reproduire stupidement leurs erreurs et accélérer le processus d’apprentissage. Néanmoins, la confrontation avec le réel dans l’immédiate expérience du monde est nécessaire. Ainsi une réinterprétation et une actualisation de leur concept ou de leur doctrine se révèlent fructueuses à qui sait prendre le temps de l’analyse.

Les pages qui suivent ont comme objectif principal d’étudier philosophiquement un problème actuel en profitant de l’enseignement reçu, et d’apporter au lecteur les bases pour continuer à réfléchir.

Le sujet abordé est le copyleft. Le copyleft ne se laisse pas facilement apprivoiser. Technique, nouveau et décalé, son approche demande une contextualisation importante. Le copyleft est la possibilité donnée par un auteur (un artiste, un informaticien, ou quiconque produit un travail soumis au droit d’auteur) d’utiliser, copier, étudier, modifier et distribuer son œuvre à l’utilisateur, avec la restriction que celui-ci devra laisser l’œuvre sous les mêmes conditions d’utilisation, y compris dans les versions modifiées ou étendues.

Ce concept soulève une série de questions essentielles. Il est le déclencheur d’une réflexion qui touche plusieurs aspects de notre société. Il comprend des facettes économiques, juridiques, politiques, informatiques, sociologiques et philosophiques. Une analyse strictement philosophique serait par trop réductrice, dès lors, nous aborderons le sujet avec un « regard philosophique ». C’est-à-dire, en nous positionnant a priori dans une démarche de compréhension des principes généraux et d’une analyse des fondements du concept, sans catégorie académique, sans nous restreindre dans le type de principes ou de fondements. Pour ce travail, nous devons circonscrire des champs d’analyse, ceux qui nous semblent les plus pertinents.

Pour rencontrer l’objectif principal et rester dans le cadre académique, nous avons décidé de présenter une introduction « philosophique » au copyleft. Ce choix permet d’ouvrir les différentes perspectives intellectuelles et de créer une cohérence plus évidente dans les arguments. La contextualisation donne à voir le terreau de la réflexion et offre, à la personne attentive, les indices de l’émergence d’une pensée. De son côté, l’exemple montre, lorsqu’il est didactisé, une proximité qui facilite la compréhension. L’analyse se trouve grandement aidée par ces démarches préliminaires, mais elle doit encore se retourner vers les idées qui l’ont précédée et, finalement, faire éclore une conclusion, temporaire par essence.

Ce mémoire est structuré de telle sorte que le lecteur puisse lire le texte sans devoir jongler entre les chapitres pour comprendre une notion, un concept ou un mot. Ce procédé n’est pas exempt de défaut, notamment certaines répétitions inévitables. Cependant, une structure claire, associée à une simplicité de lecture, participe à la bonne assimilation du texte et de sa pensée. La genèse du copyleft est présentée dans le premier chapitre, de son origine aux développements les plus récents. Nous verrons comment une idée née dans un laboratoire informatique a progressivement été acceptée par une bonne partie de la communauté des programmeurs. Tous les jours, l’histoire se construit, les sujets comme le copyleft étant particulièrement actifs, ce que nous disons aujourd’hui n’aura peut-être plus lieu d’être demain.

Le deuxième chapitre est consacré à un ensemble de considérations nécessaires à une bonne introduction, mais qui ne font pas directement partie de notre analyse. Ce sont des repères économiques, sociologiques ou idéologiques, qui offrent au lecteur l’environnement du copyleft. Le monde vu depuis le copyleft, ce qui l’entoure ou le compose.

Le troisième chapitre analyse les licences du copyleft. C’est-à-dire, les licences d’utilisation sous lesquelles le créateur propose son œuvre. L’analyse y est plus juridique, la clé de voûte du copyleft étant de nature légale. Nous examinerons en particulier la General Public License, la première licence copyleft, qui est encore aujourd’hui le fer de lance de ce mouvement. Plus brièvement, d’autres licences qui ne concernent pas les logiciels, mais l’art par exemple seront abordées.

La quatrième partie expose les concepts du copyleft. L’analyse du Manifeste GNU, qui est un texte rédigé au début du mouvement par son fondateur le plus important, permettra de distinguer les influences philosophiques, les positionnements idéologiques et les principes directeurs du copyleft. Nous restons dans la perspective d’une introduction en essayant de donner des pistes pertinentes à celui qui veut comprendre l’origine des idées contenues dans le copyleft.

La conclusion synthétise les différentes parties et propose plusieurs perspectives et conséquences du copyleft. Un avis personnel y est plus explicitement présenté. Bien sûr, l’entièreté de ce mémoire reflète peu ou prou nos idées, mais nous avons essayé de réaliser un travail le plus « scientifique » possible. La bibliographie n’est pas exhaustive, mais regroupe un nombre considérable d’articles en français écrits sur le copyleft. On y trouvera notamment des adresses d’internet qui proposent des compilations de références régulièrement mises à jour.

  1. Extrait de Dewey, John. « Philosophy », in Encyclopedia of the Social Sciences. New-York, Macmillan, The Middle works, Vol. 7, 1934 ; cité dans Cometti, Jean-Pierre. « Le pragmatisme : de Pierce à Rorty », in La philosophie anglo-saxonne. Paris, Presses Universitaires de France, 1994, np.