Une femme m’apparut/1905/15

Alphonse Lemerre, éditeur (p. 79-81).


XV


J’allais parfois rendre visite à la silencieuse Ione. Je la trouvais toujours vêtue d’une ample robe au rouge sombre, qui, je ne sais pourquoi, m’évoquait les soirs de Florence. Ione se plaisait à porter une ceinture de rubis et un pendentif au dessin hiératique, composé d’un rubis pâle encadré d’or vert et terminé par une perle baroque.

Je passais auprès d’Ione des heures taciturnes.

Je n’osais lui parler de Lorély… Je n’appréhendais point la censure de cette âme dont la pureté s’ennoblissait d’une très large compréhension. Mais je sentais que la tendresse d’Ione s’alarmait de mes supplices, devinés en dépit de mes réticences. Elle savait, comme moi et mieux que moi, combien resterait stérile mon impossible effort pour conquérir le cœur indifférent de Lorély, qui ne m’aimait point et qui ne m’aimerait jamais. Elle n’ignorait point que je m’épuisais en d’inutiles souffrances. Et cette pensée assombrissait encore la tristesse de ses yeux ardemment bruns ainsi qu’une nuit d’automne.

La contrainte qui pesait sur nos paroles détermina entre nous un éloignement d’âme. Nous redoutions nos regards comme on redoute un aveu, et nous craignions nos silences comme des trahisons. Nous avions peur de la vérité, nous avions peur surtout de notre ancienne franchise.

J’allai moins fréquemment voir mon amie, puis mes visites cessèrent presque. Ione ne m’en fit aucun reproche. Plus lointaine qu’une étrangère distraite, elle paraissait insensible à tout ce qui n’était point son effroi mystique devant l’incompréhensible. Et, pourtant, elle avait été la sœur très blanche à qui j’avais confié jadis tous mes rêves.