Une femme m’apparut/1905/12

Alphonse Lemerre, éditeur (p. 63-67).


XII


Entre ses joyaux, Lorély préférait un collier de pierres de lune.

« Je suis parée des larmes de la lune, » souriait-elle.

Un soir, je la trouvai bizarrement joyeuse. Ses cheveux étaient dénoués et semés de fleurs de tabac. Sur sa robe de velours gris, clair de lune opaque, brillait froidement son collier de larmes.

Elle rit, en me voyant, d’un rire musical et fêlé.

« Je ne te reconnais pas, » dis-je. « Tu es belle, d’une manière différente.

— Je suis autre, en effet, » me jeta Lorély. « Tu ne connais point encore mon âme nocturne. Je ne sais point être moi-même, tant que dure le jour. Mais, la nuit, ma personnalité s’exaspère et s’affine. Je suis moi, pleinement, dans ma sagesse et dans ma folie. Je te l’ai dit autrefois : ce qui, pendant le jour, semble déraisonnable, devient logique à l’approche des ténèbres. La nuit, tout est extraordinaire. Et le plus médiocre des humains peut vivre son heure d’irréel. Viens… »

Je ne l’avais jamais vue aussi désirable. L’éclairage flottant révélait toute sa grâce de songe, faite pour être contemplée à la lumière de la lune et des étoiles.

« La nuit est à nous, » dit Lorély. « D’autres ont le jour… Suis-moi. Tu verras les couleurs de la nuit, tu entendras ses chants, tu respireras ses odeurs. Allons vers la forêt où, parmi les arbres, scintille, ainsi qu’un miroir tombé, le lac où se mirait Undine. Tu verras comme il est clair, parmi l’ombre. »

Elle médita.

« Ou plutôt, » reprit-elle, « enfonçons-nous dans les marécages où errent les feux follets.

— Les marécages sont périlleux, » objectai-je.

Mais Lorély rit plus haut.

« Tant que durent les ténèbres, la folie est la plus grande sagesse. »

Elle bondit en avant. Sa robe avait de mystérieux frissons d’ailes nocturnes. Je la suivis vers les marais.

Des feux follets couraient dans la nuit.

« Comme ils sont beaux ! » s’extasia Lorély. « Comme ils sont étrangement beaux !

— Ce sont des torches spectrales, » frissonnai-je.

« Non pas. Ce sont les flambeaux des festins d’amour. »

Frémissante, Lorély s’élançait à leur poursuite.

« Lorély, » implorai-je, « ralentis ta course. La route est incertaine, et les marais dorment, perfides. »

Elle fuyait, sans m’entendre. Elle semblait un rayon de lune égaré.

« Lorély… » suppliai-je inutilement.

Elle bondissait vers les feux follets prestigieux.

« Ah ! les cueillir, les emporter dans mes mains ! »

Lorély s’enfuit, telle une étoile filante au ras du ciel. Bientôt, elle ne fut qu’un point argenté parmi les marécages. Et moi, la sueur aux tempes, l’angoisse au cœur, je haletais, je courais, sans pouvoir l’atteindre. Elle était insaisissable. J’épuisais mes forces, et ma volonté, et mon courage à poursuivre vainement un feu follet plus beau que les autres…