Une famille pendant la guerre/XXIX
Du même à la même. Paris, 2 novembre.
Je ne vaux pas mieux que les autres, ma chère femme, et quoique je me doute bien que c’est là une vérité connue de toi, j’en consigne l’aveu, c’est toujours un signe d’humilité. Ce repentir me prend au souvenir de quelque chose que j’ai du t’écrire le 31 en apprenant cette capitulation de Metz. Je crois que je n’ai pas su dominer mes impressions et que tu m’auras vu très-malheureux. Malheureux, je l’étais et je le resterai, car ces douleurs-là ne s’effacent pas ; mais je ne devais être ni amer ni découragé.
Nous avons remarqué bien des fois ensemble que, quand une grande épreuve frappe une famille, quand on perd un enfant, par exemple, il y a du désespoir dans la première douleur. Il semble aux parents que toute leur joie est partie avec cet enfant-là, et qu’il ne leur reste plus rien. Très-souvent alors, Dieu qui les trouve ingrats les menace de nouveau, un autre enfant tombe malade, et ils s’aperçoivent à l’intensité de leur angoisse de ce que valent encore les trésors laissés.
Ainsi de nous en ce moment, ainsi de moi. Je trouvais tout perdu, même l’honneur, et voilà que les troubles de la rue sont venus, l’émeute a eu Paris dans sa main, on a pu croire un instant que la plus folle des populaces nous ravirait jusqu’au douloureux privilége de tomber en soldats devant d’autres soldats. Maintenant que l’ordre est rétabli, que Bismarck n’aura pas la joie de prendre Paris par la guerre civile, on se dit que tout n’est pas perdu, qu’une portion d’honneur reste à sauver, et que nous la sauverons.
Mais comment flétrir assez les chefs de tels mouvements ! Si jamais trahison fut odieuse, c’est la leur. Devant l’ennemi, dans une ville assiégée, détourner de la défense les bras et les cœurs ! On mesure devant de telles aberrations ce que l’esprit humain peut contenir de folie. Grâce à Dieu, la population a eu le sentiment juste du devoir, et ce sentiment l’a sauvée ; — mais nous avons vu de près l’abîme.