Une exposition de programmes de théâtre à Bruxelles


UNE EXPOSITION DE PROGRAMMES DE THÉÂTRE À BRUXELLES



On sait que la Bibliothèque de l’Arsenal contient, entre autres, les magnifiques programmes du fonds Rondel. On connaît moins les collections étrangères et particulièrement celle du British and Albert Museum à Londres, que soigne avec un soin jaloux, Mrs. Gabriel Enthoven, et la collection Lionel Renieu à Bruxelles. C’est cette dernière qui a servi de base à l’intéressante exposition de programmes de théâtre qui a lieu pendant un mois dans les locaux du Musée du Livre de Bruxelles, institution officielle sous le patronage du roi Albert. Mr. Rondel et Mr. Gordon Craig ont également prêté quelques programmes.

Le but poursuivi par M. Renieu a été de montrer l’intérêt varié que présentait une collection systématique de programmes, et la quantité de renseignements artistiques ou intéressants qu’on en pouvait tirer. À cet effet, il groupa dans une nombreuse série de vitrines des exemplaires représentatifs des groupes sur lesquels il voulait appeler l’attention, se réservant de montrer ultérieurement des séries beaucoup plus complètes de tel groupe qu’il conviendrait de mettre en lumière.

Ce fut ainsi qu’il exposa en premier lieu une partie historique où figuraient de très anciens programmes de Bruxelles, de France et de Londres. Parmi les premiers, à noter particulièrement un programme de 1701 que M. Renieu tient de M. Henri Liebrecht, concernant une représentation au Théâtre de la Monnaie, qui venait de s’ouvrir. Pas plus que chez nous, ces programmes ne contenaient le nom des artistes qui ne devait y figurer que près d’un siècle plus tard. Par contre, les anciens programmes de Drury Lane (1769 à 1772) offraient déjà, outre une typographie bien curieuse, une liste interminable de noms d’artistes. D’anciens programmes contemporains français contiennent, au lieu, une adresse en vers aux dames ; décidément, la galanterie ne perdait jamais ses droits. Un peu plus tard, voilà l’ancien Théâtre du Parc, devenu successivement Théâtre Anglais pendant les guerres napoléoniennes, alors que Bruxelles contenait une forte garnison anglaise, puis Théâtre Néerlandais pendant l’union avec la Hollande. Comme chez nous, les théâtres belges reflétaient les fluctuations de la politique…

Les représentations « par ordre » eurent, elles aussi, leurs programmes intéressants, sobres chez nous sous les deux Empires et la Restauration, plus sobres encore à Bruxelles, mais ornés à Windsor (1847 à 1850), à Sandringham et même au Caire à l’occasion de la visite du roi Albert.

La série de « souvenirs » émis en Angleterre à l’occasion de la création de pièces importantes, ou de la 100e, de la 500e ou encore pour chaque anniversaire annuel, étonne par l’importance des brochures que l’on éditait et que l’on remettait gracieusement à chaque spectateur. Non seulement, ils contenaient fréquemment des illustrations en couleurs et des vues de scènes, mais souvent la partition complète ou le texte en entier s’il s’agissait d’une comédie.

La musique est représentée de nombreuses façons, par des extraits et des études. Notons, en passant, un vieux programme de l’Eden Théâtre de Bruxelles, ancien music-hall d’où partirent les quadrilles réalistes et dont André Messager était chef d’orchestre.

Le nu se présente sous toutes ses formes : comme album de music-hall, comme photographies d’artistes et comme nu symbolique sur les couvertures.

Les mouvements de danse ont suscité les merveilleux albums de la Pawlowa, de la Balachowa et quantité d’autres.

Quant aux maquettes de décors ou de costumes, c’est une véritable débauche, où les programmes édités par les de Brunoff, à l’occasion des ballets russes ou des représentations de Monte-Carlo sont en bonne place.

Et, à ce sujet, se souvient-on des essais intéressants de M. Rouché au Théâtre des Arts avant qu’il ne prît la direction de l’Opéra et qui, naturellement, sont représentés ici ?

Puis, il y a les illustrations artistiques de toute espèce, en commençant par les plus anciennes — combien modestes et naïves parfois — pour passer par les illustrations contemporaines et finir par les dessins futuristes. Tous nos grands artistes les ont signées.

D’ailleurs, les groupes de sujets les plus imprévus se rencontrent. Il y a la mode, bien amusante, mais cela ce n’était pas imprévu. Il y a les dessins militaires, les locomotives et la marine, les renseignements religieux, les exotiques — Chine, Cambodge et Japon — que sais-je ? Il y en a, il y en a encore.

Au point de vue technique, il y a la merveilleuse série de programmes représentatifs des procédés d’impression : programmes au pochoir, hélios en couleurs, eaux-fortes (et Paris est bien représenté), beaux programmes de tout ordre parmi lesquels la palme revient sans conteste à la brochure-programme éditée à l’occasion du gala de l’Ordre de Malte à Liège en 1932, et établi « autour » de la pièce Prince chéri dont le personnage central était le prince de Ligne (1765). Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’y revenir plus en détail. À noter aussi la série de brochures-programmes qu’édite « La Boîte à Musique », pour ses galas du Palais des Beaux-Arts et qui contiennent une série d’articles et d’études illustrées bien intéressantes et, notamment, des études sur ces mêmes programmes de théâtre dont nous parlons.

Puis il y a les programmes curieux en forme d’éventail, en matières diverses, soie, satin, éditions sur Japon ou sur Hollande. Il y a les plagiats, rapprochements amusants, sauf pour les dessinateurs.

Il y a la série des journaux-programmes dont les anciens reconstituent l’histoire de nos théâtres de bien amusante façon. Et il y a les brochures éditées par les revues de théâtres pour telle ou telle pièce, depuis les photo-programmes d’avant 1900, jusqu’aux albums de L’Art du Théâtre ou de Comœdia Illustré. Il y a les journaux satiriques édités par le Chat Noir de Paris, le Diable-au-Corps de Bruxelles et d’autres après eux ; et la série de programmes des théâtres d’art, depuis le Théâtre Libre, en passant par l’Œuvre, jusqu’aux théâtres d’aujourd’hui.

Il y a les programmes des galas de bienfaisance et les programmes de guerre.

Il y a les programmes étrangers : Londres, New York, Berlin, les beaux albums de la Scala de Milan, les programmes historiques de Syracuse. Il y a, il y a tant d’autres choses encore… qu’il serait bien intéressant d’avoir à Paris une exposition pareille à condition sine qua non, d’obtenir le concours de la « Boîte à Musique », qui organisa de si intéressante façon celle de Bruxelles.

Lionel Renieu.