Une de perdue, deux de trouvées/Tome II/43

Eusèbe Sénécal, Imprimeur-éditeur (IIp. 239-251).

CHAPITRE XLIII.

Henriette.


Dans la rue du Collège, un peu plus loin que le petit séminaire de St. Sulpice, à Montréal, il y avait, au fond d’une cour, une longue bâtisse, à deux étages, en pierres. Cette bâtisse était occupée comme brasserie, par un nommé Daubreville. À l’époque dont nous parlons, la moitié de l’étage supérieur, divisée par un mur de refend, servait de grenier où l’on mettait les objets de rebut, quand le propriétaire ne trouvait pas à le louer à quelques pauvres familles. Une fenêtre, donnant sur la cour, couverte de fils d’araignées, éclairait ce grenier qui avait deux issues, l’une par une vieille porte dans le mur qui le séparait de l’autre moitié de la partie supérieure de la brasserie. La clef en avait été perdue et la serrure, toute rouillée, faisait assez voir que cette porte ne s’ouvrait pas souvent. L’autre issue ôtait par un petit escalier intérieur, dont la porte donnait sur un terrain vacant, en arrière de la brasserie ; par cette issue on gagnait dans la rue St. Maurice.

Les nouvelles de la défaite à St. Denis et de la victoire à St. Charles, étaient parvenues presqu’en même temps à Montréal. Les haines et les passions politiques s’étaient développées avec une intensité d’autant plus grande que les bureaucrates, comme on appelait’alors les partisans du gouvernement, avaient un instant eu une terrible peur des résultats de l’affaire de St. Denis.

Les arrestations se faisaient indistinctement de ceux qui avaient pris une part, active à la révolte, et de ceux qui étaient demeurés parfaitement tranquilles. Les animosités personnelles, les vengeances particulières trouvaient leur satisfaction dans ces arrestations. C’était un temps de terreur. Les autorités, ne pouvant distinguer les innocents de ceux qui étaient compromis, jettaient en prison tous ceux qu’on leur signalait. À l’abri de ces arrestations politiques, qui se faisaient presque toutes durant la nuit, des vols audacieux et des pillages étaient commis. Plusieurs actes de barbare atrocité furent plus tard découverts, mais les auteurs ne purent être trouvés.

Presque toutes les familles canadiennes avaient à déplorer soit l’emprisonnement, soit la fuite d’un père, d’un frère ou d’un fils.

Des volontaires, composés en partie de ceux qui étaient les plus violents ennemis des canadiens, avaient été enrôlés. Ils faisaient la patrouille et gardaient les portes de la ville qui avaient été construites à l’entrée de chaque faubourg, afin que personne ne put y entrer ou eu sortir, sans être soumis à une triste inspection.

La vie inactive que St. Luc menait depuis quelque temps commençait à l’ennuyer ; ne voulant pas prendre la moindre part aux événements politiques, il évitait, autant que possible, de rencontrer ceux dont les idées hostiles aux patriotes lui déplaisaient. Il n’y avait pas de bals ; on ne donnait plus de soirées. Tout était triste et morne dans la ville ; il n’y avait de vie et d’activité que parmi les volontaires et les bandits de la cité.

Un soir, entre sept et huit heures, il tombait une neige à gros flacons, le vent soufflait par rafales, les rues étaient presque désertes. Trim, un casque de loutre sur la tête, des hottes de jarrets d’orignal par-dessus ses pantalons, un capot de craint-rien que serrait à la ceinture une bande de cuit bouclée, suivait, une canne à la main, son maître qui marchait à quelque distance en avant. St Luc, par précaution, se faisait suivre par Trim quand il sortait le soir, ; mais il lui avait expressément enjoint de ne jamais intervenir dans les difficultés qu’il pourrait avoir, à moins qu’il ne lui en donnât l’ordre, soit en frappant avec sa canne sur le pavé ou le mur des maisons, soit avec un petit sifflet noir, en ivoire, qu’il portait, dans sa poche de gilet, attaché à un ruban. Trim obéissait à ces signaux qu’il comprenait parfaitement.

St. Luc n’avait aucun but dans sa promenade ; il marchait pour prendre l’exercice et s’endurcir à la température du Canada. Trim, lui, trouvait que son maître aurait mieux fait de retourner au sud, sauf à revenir l’été suivant, s’il en avait le désir ; pensant que ceux qui étaient chargés de trouver Madame Rivan, la trouveraient aussi bien sans son maître, qui ne la connaissait pas.

Les lanternes, éclairées à l’huile, ne jetaient qu’une faible lumière dans les rues, les vitres en étant couvertes de neiges. Arrivé dans le faubourg des Récollets, St. Luc aperçut une personne enveloppée d’un manteau dont elle ramenait les bords devant la figure, soit pour se garantir de la neige, soit pour ne pas se faire reconnaître. À sa démarche vive et alerte, mais craintive et mystérieuse ; à l’hésitation qu’elle mettait quelquefois à avancer, quand elle entendait ou apercevait quelqu’un venir, il n’eut pas de doute que ce ne fut une femme qui cherchait à se cacher et à ne pas être reconnue. Il ne fit pas d’abord grande attention à elle ; mais quand il la vit, au coin de la rue qui descendait au collège, regarder, hésiter, revenir sur ses pas, écouter, puis entrer dans cette rue, sa curiosité fut excitée, et il résolut de la suivre de loin. Elle descendit la rue qu’elle traversa, et, tournant à droite, elle entra dans la rue St. Maurice. La rue était obscure ; les lampes, rares dans cet endroit, avaient presque toutes été éteintes par le vent.

St. Luc, qui n’avait pas vu la jeune femme entrer dans la rue St. Maurice, ruelle peu fréquentée, cherchait à distinguer dans l’obscurité pour voir s’il ne verrait pas son inconnue, ou s’il n’entendrait pas le bruit de ses pas. Il ne put rien voir. La neige était trop épaisse et trop molle, pour qu’il put entendre aucun bruit ; d’ailleurs elle marchait si légèrement.

Il allait s’en retourner, quand il crut entendre un cri qui semblait venir d’une rue qu’il avait d’abord dépassée sans la remarquer. Il écouta, et se convainquit bientôt que c’étaient des cris de détresse que poussait une femme. Il se mit à courir dans la direction de la voix, et vit une personne qui se débattait au milieu de trois hommes ; l’un lui tenait un mouchoir sur la bouche, tandis que les autres s’efforçaient de l’entraîner vers un clos de bois, qui se trouvait à gauche. St. Luc crut reconnaître l’inconnue, quoiqu’elle n’eut plus son manteau qui était tombé.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? cria-t-il, en s’élançant sur celui qui tenait le mouchoir sur la bouche de la jeune femme.

— Sauvez-moi, Monsieur, dit-elle aussitôt qu’elle put parler ; ils m’ont volée : sauvez-moi !

St. Luc fut frappé du timbre si doux et si frais de la voix de cette jeune femme.

— C’est notre homme, P’tit loup, dit un des bandits à son compagnon, à voix basse ; il faut pas le laisser échapper cette fois-ci qu’il est seul.

Puis saisissant le bras de St. Luc, tandis que celui qu’il appelait P’tit loup lui sauta à la gorge, il lui demanda “ la bourse ou la vie.”

— Poigne-le à la jambe, et jettons-le sur le dos, dit P’tit loup en le poussant assez violemment que St. Luc perdit l’équilibre et tomba.

— Ni l’un ni l’autre, répondit St. Luc ; et il siffla, en même temps qu’il arrachait son bras des mains de celui qui cherchait à le retenir.

En tombant St. Luc échappa celui qu’il tenait de la main gauche et perdit sa canne. Dans un instant il fut maîtrisé ; puis P’tit loup arrachant les boutons du surtout de St. Luc, mettait la main pour prendra son portefeuille, lorsqu’il se sentit saisir par deux bras vigoureux qui l’enlevèrent et le ruèrent contre une des piles de planches, qui se trouvait auprès.

— Sauvons-nous, c’est l’nègre, cria P’tit loup dont le bras était à moitié disloqué ; et, à la faveur des ténèbres, il s’échappa.

— Vous ne vous sauverez pas, vous autres, dit St. Luc en se relevant et en saisissant un des brigands au collet, tandis que Trim tenait l’autre. Tiens-le bien pendant que je vais attacher les mains de celui-ci ; fais-en autant au tien.

Quand ils leur eurent bien attaché les mains derrière le dos avec leurs mouchoirs, St. Luc ordonna à Trim de les conduire à la station de police, s’il ne rencontrait pas de patrouille ou de gens de la police auxquels il put les remettre. Huit heures sonnaient en ce moment au cadran du collège.

La jeune femme avait remis son manteau et s’approchant de St. Luc, le remercia ; puis ramassant un petit panier qui était à terre, elle sortit du clos et continua son chemin. — St. Luc, étonné qu’elle ne lui témoignât pas plus de reconnaissance, et plus étonné encore qu’elle continuât seule à s’avancer dans la rue, où elle avait été attaquée, sans lui demander sa protection, éprouva un grand désir de la connaître. Il la rejoignit, et lui demanda si elle lui permettait de l’accompagner. — Bien volontiers, dit-elle, et, si vous n’avez pas d’objection, je prendrai votre bras ; je me sens encore faible de la peur que j’ai eue.

Une petite main, délicatement gantée, s’appuya sur son bras. La jeune femme tenait dans sa main gauche, sous son manteau, le panier qu’elle avait ramassé. St. Luc vit bien qu’elle appartenait à la classe aisée de la ville.

— Serait-ce une indiscrétion, lui dit-il, de vous demander où vous allez ?

— Il n’y a point d’indiscrétion à le demander, monsieur, mais je ne puis vous le dire, et vous voudrez bien me pardonner, si je vous prie de ne pas insister.

Il y a du mystère ici, pensa St. Luc. Quand il lui eut donné le bras, la jeune femme sembla hésiter un instant, puis elle lui dit :

— Il faut retourner, ce n’est point le chemin. Elle remonta la rue St. Henri, tourna à gauche dans la rue St. Joseph, ayant soin de se cacher le visage avec son manteau quand elle approchait d’une lampe. Pendant tout ce temps-là, St. Luc n’avait pas osé rompre le silence qu’elle gardait.

Arrivée au Carré Chaboillez, elle tourna encore à gauche, fit quelques pas, puis s’arrêtant sous une lanterne :

— Je vous suis bien reconnaissante pour les services que vous m’avez rendus ; si je ne vous en ai pas remercié plus tôt, et si je ne vous en exprime pas autrement ma reconnaissance, c’est que je ne puis trouver d’expression pour vous dire tout ce que je ressens. Maintenant, monsieur, je vous prierais de me permettre de continuer seule mon chemin, dit-elle, en retirant sa main, que par distraction, sans doute, il pressait dans la sienne. Et afin que vous ne pensiez pas que ce que vous venez de faire pour une inconnue n’est d’aucune valeur, regardez-moi et cessez de former des soupçons injustes.

En même temps, elle découvrit son visage à la lumière, et St. Luc vit et admira les traits de cette femme. Malgré ce qu’elle venait de dire et ce qu’elle venait de faire, il y avait tant de modestie et de dignité à la fois dans son regard, qu’il comprit qu’elle agissait sous l’impulsion d’un sentiment dont il ne comprenait pas exactement la nature.

— Ne me diriez-vous pas votre nom ? demanda-t-il respectueusement.

— Oui ; je m’appelle Henriette, répondit-elle sans hésiter.

Malgré lui, il éprouva un vif sentiment d’admiration pour cette jeune femme, et un grand désir de faire sa connaissance.

— Me permettriez-vous d’aller vous présenter mes respects chez vous ? continua-t-il.

— Je ne puis vous dire où je demeure ; et je ne pourrais vous recevoir…, pour le moment du moins. Ne m’en demandez pas d’avantage ; vous ne sauriez croire combien je suis peinée de vous répondre ainsi, après ce que je vous dois. Permettez-moi de vous quitter, monsieur.

— Mais je ne puis pas vous laisser aller seule ainsi ! vous pourriez être insultée. Laissez-moi veiller encore quelque temps sur vous. Je vous suivrai de loin.

— Oh ! monsieur, je vous en supplie, ne me suivez pas.

Le ton de la jeune femme était si suppliant, il y avait en même temps tant d’effroi dans son regard, que St. Luc ne put s’empêcher de manifester un mouvement de surprise et d’étonnernent. Il doit y avoir ici, pensa-t-il, un profond mystère ou un grand dévouement. Il hésita, puis il dit avec une émotion dans la voix :

— Doutez vous de ma franchise ou de mon respect en vous offrant ma protection, et craignez-vous que j’en abuse ? vous me jugez mal ; vous n’avez pas le droit de me craindre ni de me mépriser.

En entendant ces paroles, l’inconnue leva les yeux au ciel, un léger frémissement agita ses lèvres pendant qu’une larme brillait à sa paupière.

La figure grave et belle de St. Luc, qu’éclairait en plein la lumière de la lampe, reflétait la loyauté de son caractère.

— Vos paroles, lui dit-elle, en lui tendant les mains, me brisent le cœur. Vous interprétez mal mes pensées, si vous croyez que j’éprouve de la crainte, de la défiance, ou tout autre sentiment que ceux de l’estime et de la reconnaissance. Oh ! oui, une reconnaissance bien profonde pour tout ce que vous avez fait pour moi ; et je ne sais comment vous exprimer tout ce que j’éprouve, et pourtant, il faut encore que je vous supplie de me quitter. Croyez qu’elles sont bien grandes, les raisons qui m’obligent d’en agir ainsi.

L’émotion gagnait St. Luc ; au lieu de lui répondre, il contemplait son visage animé et ses yeux humides et brillants, qui le suppliaient avec tant d’anxiété. La situation commençait à devenir embarrassante ; l’inconnue tressaillit et dit d’une voix émue :

— Me refuserez-vous ?

Cette question si simple rappela St. Luc à lui :

— Ah ! madame, répondit-il, je me ferais un cruel reproche, s’il vous arrivait encore quelque malheur. Vous êtes seule ; vous avez été insultée par des brigands, vous pourriez l’être encore. Si vous le désirez absolument, je me retirerai ; mais, je vous en supplie à mon tour, permettez que je vous suive, d’assez loin pour que je ne puisse vous voir mais d’assez près pour que je puisse entendre vos cris, si vous aviez encore besoin de mon secours.

— Vous le promettez ?

— Je le jure sur mon honneur.

La jeune fille marcha alors rapidement jusqu’à la première rue, puis, tournant encore à gauGhe, prit le milieu du chemin. Cette rue était sombre. Des maisons basses, en bois, de distance en distance, étaient bâties de chaque côté. Les volets étaient fermés et l’on n’apercevait aucune lumière.

St. Luc était complètement égaré ; il n’était jamais venu dans ce quartier. Il avait beau examiner, il ne reconnaissait rien, il ne voyait rien et n’entendait rien, sinon le sifflement du vent. Il marcha ainsi une dizaine de minutes, écoutant le moindre bruit. Arrivé au bout de la rue, il lui sembla être déjà venu à cet endroit dans la soirée. Il regarda à droite et à gauche sans savoir de quel côté diriger ses pas.

— Où suis-je, pensa-t-il ; il me semble que cette rue est la même que celle d’où je suis d’abord sorti avec elle. Pourtant non, il n’y avait pas cette lanterne allumée. Comment retrouverai-je cette rue demain ? Car il faut absolument que je découvre ce mystère. Je pourrais bien prendre des informations ; mais il y a peut-être là-dessous quelque grande infortune, et j’exposerais cette personne, soit à de grands malheurs, soit à de cruelles mortifications, si je confiais à d’autres une découverte qu’elle semble avoir tant d’intérêt à cacher. Pauvre jeune femme, quelle crainte elle avait d’être suivie ! Quelle énergie dans ses supplications, quel feu et quelle modestie en même temps dans son regard ! J’ai vu une larme dans ses yeux et un frémissement sur ses lèvres. Allons, moi qui m’ennuyais à ne rien faire dans cette ville, me voici plongé dans une aventure mystérieuse, dont je veux avoir la fin ; je la découvrirai seul. Si je ne puis en venir à bout, j’emploierai seulement Trim, de la discrétion duquel je suis sûr.

Tout en faisant ces réflexions, il avait continué son chemin et il se trouva bientôt en face de la porte du collège qu’il ne remarqua pas. Il tourna à gauche, et arriva bientôt à la rue McGill, où il prit un charretier qui le conduisit à son hôtel. La neige avait cessé de tomber. Trim arrivait en même temps et se trouvait à la porte de l’hôtel.

— Tu me réveilleras avant le jour, Trim, s’il ne neige plus durant la nuit, lui dit St. Luc ; si au contraire il neigeait cette nuit ou demain matin, tu me laisseras dormir.

Le lendemain, à la pointe du jour, Trim montait à la chambre de son maître pour le réveiller ; St. Luc, qui toute la nuit avait rêvé à son inconnue, était déjà debout quand Trim entra.

— Quel temps fait-il ? Trim.

— Froid d’chien ! pas neigé.

— C’est bon ; tu vas venir avec moi. Penses-tu reconnaître l’endroit où nous avons rencontré ces brigands ?

— Crê qu’oui.

— Vas t’habiller ; tu m’attendras à la porte de sortie.

St. Luc prit la rue Notre-Dame qu’il suivit jusqu’à la rue McGill. Là il s’arrêta un peu pour s’orienter. « C’est d’ici, se dit-il, que je l’ai aperçue tournant à droite, et suivant la rue en face. » Il traversa et continua dans la rue St. Joseph. Arrivé à la première rue à gauche, il examina de nouveau. « Elle a descendu cette rue, suivons, » et il la suivit, examinant attentivement. Il commençait à faire grand jour. Une cinquantaine de pas plus loin, il vit une rue à droite, qui courait perpendiculairement à celle où il se trouvait ; « ce doit être la rue dans laquelle j’ai entendu les cris, » pensa-t-il, et il entra dans cette rue. Un peu plus loin, à gauche, il vit un clos de bois, où de nombreuses piles de planches couvraient une grande étendue de terrain. Une clôture en piquets de cèdres la séparait du chemin ; la porte ou plutôt la barrière, par laquelle on entrait dans le clos, consistait en quelques barres en bois, qui avaient été jetées à côté le long de la clôture.

— C’est ici, dit Trim, qui s’approcha de son maître et lui montra l’entrée du clos de bois.

— Je le crois ; entrons.

St. Luc fit quelques pas et, entre deux hautes piles de planches, qui laissaient entre elles un espace suffisamment large pour le passage d’une voiture, il vit à ne pas s’y tromper, que c’était là qu’avait eu lieu la lutte.

Après avoir bien examiné les localités, il allait reprendre le chemin qu’il avait fait en compagnie de l’inconnue, quand il aperçut quelque chose de blanc que la neige avait recouvert en partie. C’était un mouchoir de batiste, sur l’un des coins duquel étaient brodées les lettres “ H. D." 11 secoua le mouchoir pour en ôter la neige et remarqua une tache de sang. “Ils l’ont blessée ! ” dit-il, et un désir violent de punir les brigands lui monta à la tête. Il mit le mouchoir dans sa poche ; puis se retournant vers Trim :

— Qu’as-tu fait de ces deux bandits, hier soir ?

— Livrés à patrouille.

— C’est bien ; je n’ai plus besoin de toi. Tu vas te rondre à la police et voir à ce qu’on ne les laisse pas échapper avant que je n’y sois allé.

St. Luc, ayant bien calculé tous les détours qu’il avait dû faire la veille, commença ses recherches d’un pas assez assuré. Arrivé à l’endroit où son inconnue, après s’être découvert le visage, l’avait prié de ne pas la suivre plus loin, il reconnut la lanterne au-dessous de laquelle elle s’était arrêtée. Mais ici il ne se rappelait plus si elle avait pris immédiatement la rue St. Maurice, ou si elle avait tourné l’autre coin, un peu plus loin. Il prit, à tout hasard, la rue St. Maurice ; il arriva bientôt au clos de bois. « C’est la même rue, se dit il, ce ne peut être ici. » Il retourna sur ses pas, jusqu’à l’endroit où l’inconnue avait cessé de s’appuyer sur son bras ; puis il s’avança jusqu’à la rue voisine. Elle le menait au collège. « Il faut que ce soit la rue St. Maurice, » pensa-t-il ; et il retourna reprendre la rue St. Maurice, examinant avec le plus grand soin tout ce qui pouvait mériter son attention. Il y avait plusieurs maisons de chétive apparence. « Elle ne peut être entrée dans aucune de ces maisons-là, pensa-t-il ; mais eucore qui sait ? » Il était bien certain qu’elle ne devait pas y demeurer.

Nous le laisserons continuer ses recherches.