Une conférence scolaire de M. P. Bert

Présentation anonyme, conférence de
Une conférence scolaire de M. P. Bert
Revue pédagogique, second semestre 18869 (n. s.) (p. 481-484).

Nouvelle série. Tome IX.
15 Décembre 1886.
N° 12.

REVUE PÉDAGOGIQUE

UNE CONFÉRENCE SCOLAIRE DE M. P. BERT


Il est juste que nous recueillions avec un soin pieux les cendres de nos morts et les souvenirs épars de ce qu’ils ont dit et voulu de meilleur. On n’a pas oublié à l’école de Fontenay la belle conférence que M. P. Bert y donna il y a six ans, presque aux premiers jours de la maison, sur l’enseignement de la Zoologie a l’école normale et à l’école primaire. Personne ne fut surpris de le voir déployer sous une forme familière, simple, aisée, pleine de bonne humeur et de santé, ses rares qualités de professeur, la netteté, la précision, l’ordre lucide et la cohésion serrée du développement, le goût des applications pratiques : mais deux choses frappèrent surtout le jeune auditoire. L’une, le sentiment patriotique et plébéien qui respirait dans tout son discours, la foi en l’éducation populaire, le souci de faire pénétrer dans les rangs épais de la nation, avec le savoir, les bonnes et fortes habitudes d’esprit jusqu’alors réservées aux classes supérieures ; il fallait, selon sa pittoresque expression, que tous les enfants du peuple, devenus « les fils de France », fussent élevés avec le même soin qu’on élevait autrefois le Dauphin. L’autre, c’était son accent de parfaite sincérité, une sincérité simple et grave, où la hardiesse de l’esprit, sans se dissimuler, était tempérée par la réserve et pour ainsi dire l’humilité du savant.

Maintenant que le conférencier n’est plus, quelques-unes de ses anciennes auditrices ont rassemblé leurs notes confuses et incomplètes, telles que les pouvaient prendre des jeunes filles encore novices : elles les offrent au public des écoles normales et primaires comme un écho lointain et très affaibli d’une grande et patriotique voix, qui, hélas ! ne se fera plus entendre.

I. — Utilité de l’enseignement des sciences naturelles à l’école primaire.

Les sciences naturelles ont de nombreuses applications pratiques : c’est à une première raison pour les introduire à l’école primaire. L’hygiène, qu’il importe à un si haut point de bien enseigner aux enfants des campagnes, est surtout une application de la physiologie. Comme il y a une chimie agricole et une chimie industrielle, il y a une botanique élémentaire dont l’horticulteur et l’agriculteur ne sauraient se passer. Enfin, les éléments de la zoologie et des notions particulières sur les mœurs et les besoins de nos animaux domestiques sont indispensables pour l’élevage, et le soin de la basse-cour.

Si précieux qu’ils soient, ces avantages pratiques ne sont pourtant pas ceux qui nous touchent le plus. Nous mettons à plus haut prix les services que les sciences naturelles peuvent rendre pour l’éducation de l’esprit. Ce n’est pas dépasser la portée éducative de ces sciences que de leur attribuer, dans l’éducation intellectuelle à l’école primaire, un rôle de premier ordre, — tant parce qu’elles donnent satisfaction aux premiers besoins de l’esprit de l’enfant, et, par exemple, à son instinct de curiosité, — qu’à cause des habitudes d’observation attentive et circonspecte, de réflexion et de raisonnement, etc., qu’elles lui font prendre. Par elles, il s’accoutume à bien voir, à vérifier l’exactitude des faits et des idées qu’on lui expose, à ne juger qu’après examen. 11 apprend qu’il n’y 4 pas dans la nature de caprice ou de miracle : l’étude des sciences le délivre de l’esprit de superstition.

Enfin l’enseignement des sciences naturelles peut contribuer encore à retenir le paysan dans son village. Les campagnes se vident ; c’est un fait qui tient à de multiples causes ; on ne l’empêchera pas facilement de se produire. S’il y a pourtant un moyen d’attacher le laboureur à ses champs, c’est sans doute de lui faire aimer ses occupations et son genre de vie, — de lui révéler, pour ainsi dire, la nature, — de le mettre en état de comprendre l’histoire merveilleuse que racontent les animaux, les végétaux, et les pierres mêmes, — enfin, de lut faire prendre intérêt aux êtres et aux choses au milieu desquels il vit.

II. — Méthode d’enseignement pour les sciences naturelles, — à l’école normale, — à l’école primaire.

Deux conditions surtout sont nécessaires pour bien enseigner les sciences : la première est de les aimer beaucoup, — la seconde, de disposer d’une bonne méthode. Or, la méthode ne saurait être la même à l’école normale et à l’école primaire.

À l’école normale. — La méthode déductive convient pour l’enseignement savant et systématique de l’école normale. Des vues d’ensemble, des lois, des caractères généraux, on descend graduellement au détail. Avant d’entreprendre l’étude d’un groupe de faits particuliers, il faut présenter à l’esprit l’idée générale qui éclaire ces faits, les montre dans leur véritable jour, et leur donne leur vrai sens. C’est ainsi qu’en zoologie, on va de l’embranchement aux classes et aux familles, — et qu’en physiologie, on commence l’étude d’un appareil, d’un système par l’étude de l’élément fondamental de l’appareil ou du système. S’agit-il du système nerveux ? on parle d’abord aux élèves de la cellule nerveuse type ; on en fait ressortir la constitution propre, la fonction caractéristique et essentielle ; on ne vient qu’après aux formes diverses que prend cette cellule, et à la description concrète, pour ainsi dire, des différentes parties du système. Un autre jour, vous parlerez de l’oreille : commencez par dire à vos élèves qu’elle est destinée à transmettre au nerf acoustique les vibrations de l’air extérieur, et montrez ensuite comment chacune des parties concourt à remplir ce rôle général. Vous pourrez le plus souvent appliquer cette méthode, qui se résume à définir d’abord la fin d’un appareil organique, et à expliquer par cette fin tous les détails de la structure et de la disposition des organes.

À l’école primaire. — Il va de soi qu’à l’école primaire on ne peut partir de l’idée générale, abstraite, que les faits particuliers vérifient. Il faut, au contraire, s’appuyer sur des faits que l’enfant peut observer et comparer, pour le conduire par degrés, à l’aide de généralisations de plus en plus étendues, au principe, à la loi. Le maître qui emploiera la méthode inductive ne courra pas le risque de donner un enseignement abstrait, sec, trop technique, mais il pourrait tomber dans un autre excès, qui consiste à remplir la leçon de détails puérils, à entretenir les enfants de choses qu’ils savent déjà ou qu’ils apprendront sans peine tout seuls. Il faut que l’enseignement des sciences, à l’écale primaire, soit solide et sérieux autant que simple.

Prenons un exemple, et voyons comment on peut appliquer la méthode inductive dans une leçon sur le chat, pris comme type de carnivore. Mettez le chat entre les mains des enfants, et faites-leur observer la disposition singulière des ongles rétractiles, telle qu’au repos la pointe de l’ongle est relevée et préservée de tout frottement et de toute usure ; montrez-leur, dans la gueule, les dents longues et pointues qui saisissent la proie, et d’autres, tranchantes, qui jouent l’une sur l’autre comme des ciseaux, pour couper et déchiqueter la chair. De tels organes sont faits pour une certaine fonction. que l’entant n’aura pas de peine à découvrir ; et de ces observations particulières et d’autres analogues, vous lui ferez aisément tirer les caractères généraux des carnivores. Insistez sur le rapport qu’on observe toujours entre l’organe et la fonction. La grenouille, avec ses modes successifs de respiration. vous fournit un autre exemple : celui des modifications ou des transformations que subit l’organisme pour s adapter à son milieu.

Conclusion.

Ne manquez pas une occasion de faire apercevoir cette relation constante entre la fonction et le milieu, entre l’organe et sa fonction, c’est-à-dire sa fin. Faites sentir l’harmonie entre les êtres et ce grand ordre de la nature où tout a sa raison. ci se présente à nous une grave question. Le maître peut-il aller plus loin et, de cette idée d’un ordre intelligent, s’élèvera-t-il à l’idée d’un Ordonnateur du monde, à l’idée de Dieu ?

Là-dessus on se divise. Beaucoup de grands esprits, des maîtres de la science, et, au premier rang de tous, le promoteur contemporain des plus vastes généralisations zoologiques, Darwin, se prononcent pour l’affirmative. D’autres n’osent affirmer non plus que nier ; à dire sincèrement et simplement ma pensée, je suis de ceux-là : j’attends. En tous cas, vous ne courrez aucun risque de vous tromper, en enseignant, à l’école primaire, que le monde est ordonné comme s’il y avait eu un Ordonnateur.