UNE BELLE VIE.


à ferdinand f.




I


Voyager ! voyager !
Sur un sol étranger
À travers le danger
Promener, libre et seul, sa vie aventureuse ;
Près des vieux matelots,

Écouter les grands flots
À côté des îlots
Chanter pendant la nuit sous la lune amoureuse.

Au fond d’une forêt
Dans un vallon secret
S’arrêter où serait
Une source limpide et de gazons bordée,
Puis, reprendre son sac,
Et rejoindre le bac
Qui traverse le lac
En suivant vaguement le doux vol d’une idée.

Voyager ! voyager !
Dans les bois s’engager
Sans savoir où manger,
Errer toujours à pied et fuir les grandes routes,
Avec vingt ans au cœur,
Dans les reins la vigueur,
Et sans vaine langueur,
Traverser les forêts qui se courbent en voûtes.

II
Dans les champs sans clôture,
À travers la nature,
Errer à l’aventure
Du village aux ravins, des forêts aux hameaux,
Soit qu’il vente ou qu’il pleuve
Boire la brise neuve
Qui monte d’un grand fleuve
Sous les saules pleureurs qui perdent leurs rameaux.

Dans les vierges savanes
Avec les caravanes
De la Grèce aux Havanes,
De Venise à Moscou, de Lisbonne à Canton,
Des grèves nuageuses
Aux montagnes neigeuses
Dans ses mains voyageuses
Promener sans repos sa lyre et son bâton.

III
Errer, errer toujours,
Dans de nouveaux séjours,
Promener ses beaux jours,
Voir enfin tous les cieux qui couvrent notre globe,
Aux marges du glacier
Où l’orage s’assied,
Poser son front d’acier,
Écouter les torrents que l’abîme dérobe ;

Sous le ciel vaste et bleu
Vivre seul avec Dieu,
Et des volcans en feu
Passer dans les gazons qui dorment près des sources,
Sous les cieux entr’ouverts
Aux calmes des champs verts
Chercher quelques beaux vers
Sur sa harpe brunie en de lointaines courses ;


En laissant son cœur veuf
Des appétits du bœuf,
Pour un ciel toujours neuf
Fuir les vieilles cités où se meurt la palombe,
— Lorsqu’à bout de désir
L’homme, las de souffrir,
S’arrête pour mourir,
Pour couche n’a-t-il pas le lit frais de la tombe ?