Une Voix lorraine - Poésies de la Guerre

UNE
VOIX LORRAINE

POÉSIES DE LA GUERRE


À Maurice Barrès,


Oh ! traîner une vie inquiète et sans gloire
Parmi d’humbles devoirs humblement acceptés,
Et frémir et rougir, tandis qu’à mes côtés
Les jeunes en chantant courent à la victoire !

Jeunes héros sans nom qui refaites l’histoire,
Qui donnez d’un élan forces, vie et santé.
Pour repousser de notre sol ensanglanté
D’envahisseurs maudits la horde épaisse et noire !

Chers amis, cœurs vaillans, ne puis-je rien pour vous ?
Prenez, gardez mon cœur, un cœur tendre et jaloux
Qui souffre et saigne encor de sa vieille blessure ;

Vous lui rendrez les biens que nous avons perdus,
L’espoir libre et joyeux, la foi paisible et sûre.
Et l’honneur et l’orgueil si longtemps attendus !




Canons dont ce matin la bruyante allégresse
Sonnait sur les pavés des routes de Paris,
Qui, bondissans, courbiez votre élégant col gris
Pour répondre aux saints d’une fervente ivresse !

Le peuple vous suivait de sa rude tendresse ;
Il vous jetait des fleurs, des baisers et des cris ;
Vous étiez triomphans sur vos essieux fleuris ;
Les fleurs vous recouvraient comme d’une caresse !

Canons français, canons énergiques et beaux !
Puissiez-vous tous creuser, labourer des tombeaux
Assez longs et profonds pour qu’à jamais y dorme,

Sans espoir de réveil, le noir colosse énorme,
Et que de sa hideur et que de nos douleurs
Germe, au prochain printemps, une moisson de fleurs !



Comment parler de vous, saint et suprême Bien,
Présence de Jésus vivant, divine Hostie,
Sur des cœurs palpitans secrètement blottie,
Vrai refuge assuré contre la mort qui vient ?

Il s’émeut, le soldat si jeune, sans soutien
Dans l’ouragan de feu qui l’enveloppe ; il prie ;
Et voici qu’à son cœur une voix attendrie
Murmure : « Je suis là, mon enfant, ne crains rien ?

« C’est moi qui suis la foi, l’amour et l’espérance,
« Qui donne la victoire et permets la souffrance ;
« Je t’aime et Je suis là. Ne crains pas de mourir.

« Je t’aime ; J’ai versé tout mon sang pour ton âme ;
« Vois au ciel qui t’attend, dans la gloire et la flamme,
« Mes bras crucifiés ouverts pour te bénir. »




Ne plus penser, ne plus savoir, jusqu’au moment
Où, terrible et soudain, l’Ange des Destinées,
De ses ailes de flamme arrêtant nos journées.
Et dressant son épée au fond du firmament.

Criera : « Peuples rivaux, voici le Jugement !
O quel silence alors des âmes étonnées,
Et de quel désespoir les races condamnées
Sentiront sur leur front peser le châtiment !

Ange qui porterez le funèbre message,
Sans oser de mes yeux fixer votre visage,
J’adore avec effroi le céleste dessein.

Heureux là-bas, heureux ceux qui luttent et meurent
Pour tout ce qu’il y a de grand, de beau, de saint !
Ayez pitié, mon Dieu, de tous ceux qui demeurent !



La bataille s’est tue, et le sol irrité
A bu le rouge sang comme l’eau des fontaines ;
Le soir tombe ; on entend un bruit d’ailes lointaines
Dans la fraîcheur immense et la sérénité.

Les servantes du ciel, Justice et Liberté,
Sous leurs manteaux flottans très pures et hautaines,
D’un grand vol cadencé descendent vers les plaines,
Une palme à la main et le glaive au côté.

Elles planent longtemps, blanches et solennelles,
Du geste et du regard, bénissant leurs fidèles
Dont le sang a coulé pour un sublime espoir ;

Et tous les jeunes morts qu’ont effleurés leurs voiles
Dorment en souriant à l’éternel revoir
De leurs yeux grands ouverts sous les milliers d’étoiles.




Cher enfant, que nous prend l’appel de la Patrie
Qui nous quittais hier le visage vaillant,
Sans qu’une larme vînt d’un regard défaillant
Trahir le serrement de notre âme meurtrie !

L’on ne te pleure pas, mon soldat, l’on t’envie.
Tu nous as laissés seuls, mais, avec toi, voyant.
Loin, bien loin par delà notre horizon fuyant,
Le lumineux espoir qui soutient notre vie :

La France encor debout dans un monde nouveau.
Portant sous un ciel pur aux plis de son drapeau
La foi victorieuse et la liberté sainte ;

La barbarie abjecte à ses pieds étouffant,
Et notre honneur entier ! Adieu donc, va sans crainte.
Va, mon soldat ! que Dieu te garde, cher enfant !



Sur le bord de la Meuse indolente, parmi
Des arbres clairsemés et de molles prairies,
Un village lorrain avec ses métairies.
Des patres, des troupeaux bêlans, c’est Domrémy.

Une maison y montre un vieux visage ami,
Humble, mais où sourit l’âme de la patrie,
Et la nuit on y sent une force qui prie
Et qui veille debout sur le sol endormi.

Humble maison, bercail de la France royale,
D’où sortit, commençant sa marche triomphale
Entre les fleurs de lis, un agneau rédempteur !

Sois encor le rempart de la nouvelle France,
O Domrémy, bercail cher au divin Pasteur !
Et vous, luttez pour nous, Jeanne, notre espérance !




Lendemains glorieux ! joie, ô larmes de joie !
Nous avons tant souffert ! suivant, d’un cœur si lourd,
Sur notre sol meurtri, le pas pesant et sourd
Et l’effroyable élan de la bête de proie !

Espérance, torrent où notre âme se noie !
Plus douce à notre soif qu’un baiser de l’amour !
Au chant de nos soldats l’aube du nouveau jour
Avec nos étendards sur les monts se déploie !

Ils reviennent vainqueurs, harassés, radieux,
Leurs armes dans les bras, des flammes dans les yeux.
Aux pieds de la Patrie anxieuse et plus belle,

Qui, penchée et priant sur ses fils à genoux,
Leur caresse le front d’une main maternelle,
Et leur dit : « Mes enfans, je suis fière de vous ! »


ANDRÉ PÉRATÉ