Une Visite à la Maison paternelle (Louise Guinard)

Femmes-Poëtes de la France, Texte établi par H. BlanvaletLibrairie allemande de J. Kessmann (p. 141-143).




UNE VISITE À LA MAISON PATERNELLE.


 
Après les jours d’hiver, parfois une hirondelle
Aux lieux où, faible encore, elle essaya son aile,
Vole, et, cherchant son nid au toit accoutumé,
Trouve le toit désert et le doux nid fermé.
Longtemps près de ce nid qu’elle ne peut atteindre,
Inquiète, on l’entend voltiger et se plaindre ;
Et puis, en vains efforts lasse de s’agiter,
Au mur le plus voisin elle va s’abriter.

C’est ainsi que j’ai fait ; j’ai mené ma famille
Tout près du toit béni qui me vit jeune fille ;
Je vois les murs noircis, qui me semblent en deuil,
Et mon pied suspendu se détourne du seuil
Où l’instinct, trop souvent, le dirige et l’arrête.
Car je n’ai plus le droit de reposer ma tête
Aux lieux où j’ai dormi mes doux sommeils d’enfant,
Au bruit des peupliers balancés par le vent.

Une fois, cependant, ainsi qu’une étrangère.
J’ai voulu visiter la maison de mon père ;

Les souvenirs pressés se dressaient sous mes pas.
Mais je n’y vins pas seule, et je ne pleurai pas.
Palpitante et fixant partout des yeux avides,
Dans le verger inculte et dans les chambres vides,
J’errais, cherchant toujours dans ce lieu tant rêvé
Ce qui dans mon cœur seul est à jamais gravé ;
Mais je cherchais en vain, et mes seules pensées
Créaient autour de moi des traces effacées.

Sur ces gazons, les miens n’étaient jamais venus ;
Les sentiers du jardin m’étaient tous inconnus ;
Et ces arbres nouveaux, me froissant le visage,
Semblaient des ennemis placés sur mon passage.
Jamais mon front serein, sous leur ombre incliné,
De leurs naissantes fleurs ne s’était couronné ;
Les figuiers qui paraient notre table frugale,
Les rosiers embaumés, à la fleur virginale,
Que j’avais de mes mains arrondis en berceaux ;
Les pommiers dont ma mère émondait les rameaux,
Tous étaient disparus, ou, dans la cour déserte,
Gisaient noirs et séchés sur l’herbe épaisse et verte ;
Squelettes déformés, déplorables débris
De ceux que j’avais vus si frais et si fleuris !

Près de ces arbres morts, morts comme ma jeunesse,
Morts comme tant d’objets que pleure ma tendresse,
Je m’assis quelque temps ; puis, me levant soudain,
Je courus à grands pas à travers le jardin ;
Je cueillis tristement une mauve sauvage,
Seule fleur qui du sol consolât le veuvage ;
Un fruit du coudrier que ma mère a planté ;
Et ce fut de ces lieux tout ce que j’emportai.