Éditions Albert Lévesque (p. 147-152).

XXII

UNE TRAGIQUE REPRÉSENTATION



LE rideau se leva, à la grande surprise de l’assemblée, sur la scène de l’arrivée de la princesse Aube dans son cachot. Une exquise petite marionnette blanche, blonde et mince tenait le rôle de la malheureuse victime de la Fée Envie.

Le duc poussa un cri à la vue de la petite actrice. Mais c’était là sa femme chérie, qu’il voyait, sous une forme minuscule… oui, oui, c’était bien Aube. Et elle le regardait… Polichinelle avait bien vite étouffé le cri du duc, sous des éclats de rire bruyants et aigus.

L’assemblée demeurait silencieuse, immobile. On écoutait avec une attention extrême. Ce Polichinelle vraiment ne doutait de rien. Et comme il se moquait de tout, en acteur consommé ! Il incarnait à lui seul, avec des nuances infinies, chacun des personnages que représentaient les marionnettes. Il adoucissait, modulait ou grossissait à volonté sa voix désagréable de crécelle. On ne put bientôt y tenir. Justement on en était à la scène émouvante où la fée Carabosse et la Sorcière d’Haberville endorment le poupon ducal en présence de la princesse Aube à demi morte de frayeur. Tout cela, comme ton, couleur, atmosphère de détresse, vérité d’attitude des victimes et des bourreaux, était d’une perfection de jeu si étonnante que la salle entière éclata en un tonnerre de bravos. Les applaudissements devinrent même si frénétiques et se prolongèrent à un tel point que Polichinelle dut baisser le rideau. C’est que l’on était toujours fort reconnaissant à ce petit bossu qui mettait tous et chacun au courant d’événements inconnus. Le sort des prisonniers, mais c’était un fait d’une importance capitale, puisque les forces auraient pu ainsi s’équilibrer entre eux et leurs ennemis tout puissants. Oui, l’on avait maladroitement usé de moyens de salut précieux, il n’y avait pas à dire. Ah ! si l’assemblée avait pu se douter, un seul moment, du double jeu que se permettait le roué et spirituel Polichinelle ! Si l’on avait pu deviner surtout que son cœur avait vibré pour la première fois de bien étrange façon, presque honnêtement, devant la douce princesse Aube. Lui-même pouvait à peine y croire et se blaguait férocement au fond.

Mais les applaudissements ne cessaient pas. Au contraire. Qu’allait faire Polichinelle devant cet enthousiasme un peu idiot ! « Bah ! pensa-t-il, il vaut évidemment mieux que le deuxième acte de ma pièce ne se joue jamais. Ma trahison y est trop claire. Puis, il me faut brûler les étapes si je veux sauver la princesse. Les éléments, au dehors, se déchaînent de façon de plus en plus inquiétante. Il est même étonnant que nous ne soyons pas encore foudroyés. Nos ennemis, évidemment, retardent le moment fatal à cause de la présence de la Fée Bienveillante. Oh ! là, ne perdons pas même la fraction d’une seconde. Sauvons ma ravissante princesse et son fils, ainsi que les jeunes terriens, et advienne que pourra de ma ridicule carcasse ! »

Polichinelle se secoua. Jugeant d’un coup d’œil que l’assemblée demeurerait bruyante quelques minutes encore, il se tourna avec décision vers le duc de Clairevaillance. Il lui décocha en plein cœur… dans le fouillis de ses dentelles, une flèche sans pointe. Celui-ci bondit, puis s’approcha lentement du centre de la salle. L’heure était venue. Il ne quittait pas Polichinelle des yeux. Des lutins, aussitôt, se précipitèrent et voulurent s’opposer à ce mouvement du duc. En riant, Polichinelle les prévint du geste. Comme par miracle, le silence se fit partout.

« Allons, allons, lutins mes amis, pas de gestes dramatiques, chantonna gaiement Polichinelle en donnant un croc-en-jambe au plus rapproché des petits êtres. Le duc est notre hôte tout autant que notre prisonnier. Quel mal peut-il bien faire en se mettant au premier rang ?… Et puis, ne venez pas nuire à mon inspiration… Le deuxième acte demande un peu de lyrisme, vous savez, » acheva Polichinelle en arrondissant drôlement la bouche.

— Ah ! ah ! ah ! s’esclaffa la foule, voilà le bossu d’Italie qui se mue en poète… Rimailleur ! Rimailleur !

— Comme on voudra, répliqua Polichinelle. Je suis bon enfant, à mes heures. Mais qui niera que je ne sois en ce moment dans une veine heureuse de création. Qui ?

— Personne, hurla un sorcier. Vas-y, petit. Bravo ! »

Mais Polichinelle se garda bien de lever tout de suite le rideau. Il voulait gagner du temps auparavant.


« Polichinelle lui remit son petit théâtre de marionnettes. » ◁Texte▷