Une Page de l’histoire du Mexique - Doña Marina et Hernand Cortès

Une Page de l’histoire du Mexique - Doña Marina et Hernand Cortès
Revue des Deux Mondes3e période, tome 79 (p. 99-125).
UNE PAGE
DE
L’HISTOIRE DU MEXIQUE

DONA MARINA ET HERNAND CORTÈS.

C’est une tendre, héroïque, séduisante et touchante figure que celle de doña Marina, cette Indienne de race nahuatl à laquelle Hernand Cortès dut, en partie, les victoires qui le rendirent maître du plus puissant des empires du Nouveau-Monde. Dans la rencontre qu’il fit de cette jeune femme dès le début de son aventureuse expédition, dans l’attachement qu’il lui inspira et qu’il partagea, les premiers historiens du héros castillan ont tous voulu voir un fait miraculeux. A notre époque d’incrédulité, où l’intervention d’une providence quelconque dans les événemens du monde ou de la vie d’un homme est considérée comme une superstition, où il est clairement démontré, paraît-il, que tout découle de causes et d’effets mécaniques, l’assertion des écrivains espagnols prête au sourire. Toutefois, il est difficile à un esprit sensé, impartial, de ne pas remarquer dans les faits compliqués qui mirent en présence Cortès et doña Marina et qui eurent de si importantes conséquences politiques, un ensemble de coïncidences ayant le caractère de calculs prémédités. Il est certain que sans doña Marina, sans sa double connaissance de la langue maya et de la langue aztèque. Cortès eût cheminé en aveugle parmi les différentes nations avec lesquelles il se trouva d’abord en contact. Mais, grâce à l’intelligente femme placée à son côté, il sut, dès ses premiers pas, sur quel terrain favorable à son ambition et à ses desseins il marchait. Ce fut la belle Indienne, d’abord son interprète, puis sa conseillère et enfin son amie, qui lui apprit qu’une rivalité séculaire séparait les Aztèques des indomptables Tlaxcaltèques, et ce fut elle encore qui, par son tact délicat de diplomate féminin, lui donna pour auxiliaires les nombreuses cohortes de ces fiers républicains. Inappréciables services que ceux-là; car, sans la neutralité des Totonaques, maîtres du littoral atlantique, sans l’aide des Tlaxcaltèques et des peuples alliés à leur fortune, Cortès, en dépit de son incontestable génie, en dépit de l’épouvante causée par la vue de ses chevaux ou par le bruit et les effets meurtriers de ses canons, qui le faisaient apparaître aux yeux de ses naïfs adversaires comme disposant de la foudre, n’eût pu avoir raison ni du nombre, ni du fanatique courage des soldats de Moteuczoma. En un mot, ce nom si glorieux d’Hernand Cortès, sans le dévoûment, sans la perspicacité, sans l’habileté de la femme qui préserva celui qui le portait de mainte embûche, ne nous serait probablement connu que par quelque sombre désastre dont le douloureux souvenir tiendrait encore l’Espagne en deuil.

Ce ne put être une femme d’une intelligence ordinaire que celle qui, placée dans les circonstances exceptionnelles où se trouva doña Marina, sut à la fois conquérir la reconnaissance des différentes nations aux prises, nations dont l’une, à la rigueur, pouvait la considérer comme traîtresse à sa race, sinon à sa patrie. Sous la double forme que prit peu à peu le gracieux nom que lui donnèrent les Espagnols le jour où ils la baptisèrent, doña Marina, devenue doña Malina pour les Aztèques, qui n’ont pas la consonne R dans leur alphabet, est demeurée aussi vivante, aussi souriante dans la mémoire des conquérans que dans celle des peuples qu’ils ont asservis. Les historiens espagnols, — j’appuie sur ce fait tout à leur honneur, — n’ont jamais essayé d’amoindrir la part qui revient à doña Marina dans la conquête du Mexique; tous, au contraire, ont loyalement admis cette vérité. D’un autre côté, les Aztèques, — ils ont eu des historiens dès le lendemain de la mort de Moteuczoma, — n’ont jamais parlé d’elle qu’avec une reconnaissance attendrie. C’est un fait acquis, indiscutable, que, si la jeune femme servit avec ardeur les desseins politiques du capitaine dont elle s’éprit et dont elle adopta les croyances religieuses, elle s’opposa toujours avec énergie à ses rudesses, à ses cruautés, en se plaçant entre lui et les vaincus.

En s’instituant l’auxiliaire des Espagnols, il importe de ne pas l’oublier, doña Marina ne crut jamais travailler à l’asservissement de son pays. Son long séjour chez les Tabasqueños, qui, de même que la plupart des nations établies sur le littoral de l’Atlantique, désapprouvaient les sacrifices humains pratiqués par les Aztéques, avait depuis longtemps modifié les idées religieuses de la jeune femme en lui faisant considérer le culte du féroce Mexitli comme une affreuse aberration. Devenue chrétienne, elle seconda les vues de prosélytisme qui animaient Cortès avec l’ardeur que les femmes mettent toujours au service du maître de leur cœur ; c’est en annonçant, en promettant la fin des massacres dont le grand temple de Mexico était le théâtre, que la néophyte suppliait ses compatriotes de se ranger sous les lois du Dieu des Espagnols. Bonne, humaine, elle admirait ce Dieu qui, mort pour racheter les hommes au lieu d’être leur meurtrier, ne demandait d’autre hommage que la fumée de l’encens, le murmure des prières ou le parfum des fleurs.

Comment se fait-il que les historiens de la première heure, ceux même qui connurent doña Marina, se soient montrés si sobres de détails sur une personne dont, au passage, ils ne peuvent se défendre de constater le charme souverain, l’intelligence hors ligne, le dévoûment à leur cause? Grâce à leur regrettable réserve, doña Marina, par certains côtés, nous apparaît sous une forme vague, flottante, qui n’est point celle qui lui convient. Tous les chroniqueurs nous montrent le diplomate, l’infatigable auxiliaire de leur capitaine, l’héroïne qui le suivait au milieu des combats pour exciter son courage, qui criait merci aussitôt la victoire conquise; mais aucun de ces soldats, auxquels la beauté, la grâce de la belle Indienne arrachent pourtant à l’improviste un mot admiratif, n’a songé à nous la peindre en pied, à nous la présenter sous un jour essentiellement féminin. Est-ce la position irrégulière de la jeune femme près du chef de l’expédition, qui, sur ce point, a scellé les lèvres et enchaîné les plumes? La chose n’est pas improbable si l’on se souvient que la plupart de ces chroniqueurs tenaient à l’église par quelque lien ; que louanger Marina comme femme eût été pour eux, aussi bien que pour les dévots lecteurs auxquels ils s’adressaient, exalter une des œuvres de Satan.

Nous n’avons plus ces scrupules, et c’est une image bien tentante que celle de doña Marina. Mais comment faire renaître, à l’aide des trente ou quarante lignes que lui consacrent au passage les écrivains du XVIe siècle, les doux et brillans côtés de cette femme, qui, née princesse, devenue esclave, puis presque reine, connut de la vie tous les extrêmes? De cette femme qui, brusquement arrachée de la scène du monde par des événemens et des raisons d’un ordre moral qu’elle eut certainement peine à comprendre, dut. nouvelle La Vallière, mais non par sa volonté, rentrer dans l’ombre, étouffer son amour et cruellement expier, elle aussi, les tendres faiblesses de son cœur?

Encore une fois, où sont les documens à consulter pour faire revivre, surtout dans sa beauté, cette noble et poétique victime de l’amour, puis de l’ambition? Cortès, cela va sans dire, ne parlait pas plus des charmes que de l’aide que lui prêtait sa belle auxiliaire, dans les admirables lettres qu’il adressait à Charles-Quint. Pourtant, si les gracieux traits de cette héroïne de l’une des plus prodigieuses épopées de notre ère sont indécis, on trouve d’elle une trace lumineuse dans tous les lieux où elle a vécu, où elle a même simplement passé. Ici, c’est une fleur à la corolle éclatante ou au doux parfum, là un oiseau à voix mélodieuse ou à plumage brillant, plus loin une source cristalline et plaintive qui portent son nom. Lors de la fête annuelle de nombre de villages qui lui durent sans doute autrefois d’avoir été épargnés par la main brutale des conquérans, une jeune fille, la plus jolie toujours, est chargée de représenter doña Marina, de remercier des bouquets dont on lui fait hommage à la façon dont le faisait autrefois, d’après la tradition, dona Marina elle-même, « par un sourire des lèvres et des yeux. »

Cette belle jeune femme, à la bonté de laquelle on rend ainsi hommage, dont on répète avec reconnaissance le nom après trois siècles et demi, ce n’est pas uniquement dans la poussière des archives qu’il faut chercher trace de son charme, de la tendresse de son cœur. Ce qu’elle a été, il faut le demander à la tradition dans les lieux où elle a passé, laissant à ceux qui la virent un impérissable souvenir de grâce, d’harmonie, de séduction, souvenir qu’ils ont personnifié et qui s’est perpétué, je viens de le dire, ici sous la forme d’un oiseau, là sous celle d’une onde cristalline, d’un arbuste au port élégant ou d’une fleur aux pétales parfumés.

Cette douce figure, qui a souffert pour avoir trop aimé et qui termina sa vie dans l’expiation d’une erreur dont elle était à peine responsable, l’idée de la mettre en lumière, de la rendre à la réalité m’a tenté de bonne heure. A défaut de documens écrits, ce fut bientôt chez moi une conviction que, pour faire revivre et présenter une doña Marina moralement et physiquement vraie, il fallait visiter la contrée où elle est née, parcourir les pays où elle a vécu, ceux qu’elle a traversés et où quelque chose d’elle est resté; qu’il fallait être, en un mot, un voyageur, un chercheur de légendes, un archéologue autant qu’un historien. Lors démon séjour au Mexique, j’ai, après une attentive lecture des chroniqueurs de la conquête, entrepris cet intéressant pèlerinage, et, peu à peu, l’image de la belle et intelligente maîtresse de Cortès s’est si nettement dessinée dans mon esprit qu’elle m’a obsédé. Je l’ai ressuscitée par l’assemblage des principaux caractères physiques et moraux de sa lace, par ceux que lui donnent les traditions. Or, si l’épreuve que j’ai obtenue n’a pas la précision des modernes photographies, elle a le mérite de rendre l’exacte physionomie de l’héroïne depuis si longtemps endormie. Aussi les érudits, les curieux, voire les curieuses, me sauront-ils gré, peut-être, d’avoir rendu à l’histoire, trop souvent injuste et dédaigneuse pour ceux dont elle eût dû faire ses favoris, ne fût-ce que l’ombre de l’unique femme qui, dans le sanglant tableau de la conquête du Mexique, montre un doux sourire d’amoureuse et représente seule, elle la prétendue sauvage, les droits toujours méconnus aux heures de luttes violentes, de la justice et de l’humanité.


I.

D’après le vaillant et honnête soldat, Bernal Diaz del Castillo, un des compagnons de Cortès dans la conquête du Mexique, et aussi un des historiens de cette merveilleuse épopée, doña Marina, — il tenait ce fait de la jeune femme elle-même, — était née à Païnala, ville de la province de Goalzacoalco, vers l’année 1502 ; sur la foi de manuscrits postérieurs à celui de Bernal Diaz, lequel ne fut publié qu’en 1632, trois historiens espagnols, Gomara, Herrera, puis Torquemada, ont fait naître doña Marina à Xalisco. Il y a là une erreur évidente de copiste; la ville de Xalisco a été prise pour celle de Xicalanco, bien que plusieurs centaines de lieues séparent les deux cités.

Païnala, pittoresque village aujourd’hui perdu au milieu des forêts séculaires que traverse le beau fleuve Goatzacoalco, était, en 1502, une des limites de l’empire aztèque. Placée sous le patronage de Paynal, dont la mythologie mexicaine fait le frère et le lieutenant du dieu de la guerre, cette ville forteresse, d’où l’on surveillait trois puissans royaumes, avait une grande importance commerciale et militaire. Païnala, ainsi que tous les villages qui l’entouraient, appartenait au père de celle qui devait devenir doña Marina, lequel était un des trente grands feudataires de la couronne alors portée par Moteuczoma II. L’enfant qu’attendait une si étrange destinée naquit donc duchesse, — nous donnons ce titre comme un juste équivalent de celui de teutli, — et la servitude à laquelle elle fut réduite n’abaissa jamais les sentimens qu’elle devait à son éducation première.

Élevée dans un centre à la fois militaire et commercial, dans une ville où se donnaient rendez-vous les riches marchands de Tlatelolco, de Chiapas, de Tabasco et du Yucatan, la petite Marina vit de bonne heure autour d’elle des hommes de race, de mœurs, de langues différentes, ce qui était éminemment propre à frapper, à ouvrir son esprit, vif et pénétrant par nature. Or, l’enfant venait d’atteindre sa septième année environ lorsque son père mourut. Sa mère, s’étant assez vite remariée, eut bientôt un fils de sa nouvelle union et Marina, — il nous faut commettre cet anachronisme de lui donner avant l’heure ce nom espagnol, aucun écrivain ne nous ayant conservé celui qu’elle portait avant son baptême, — Marina devint promptement un sujet de jalousie pour son beau-père, dont le fils ne pouvait prétendre qu’à une faible part d’héritage. Peu à peu entraînée par son mari et aussi par l’amour partial qu’elle portait à son fils, l’ex-veuve consentit à une action qui, si elle n’avait pour garant l’honnête Bernal Diaz, nous arracherait un involontaire sourire, tant elle ressemble à ces banales histoires dont abusent nos modernes romanciers.

Donc, cédant à la préférence qu’elle ressentait pour son fils, la mère de l’orpheline consentit à une substitution ; l’enfant d’une esclave ayant succombé, on présenta son corps comme étant celui de Marina, et l’on célébra pompeusement les funérailles de l’héritière du domaine de Païnala. Pendant ce temps, la pauvre petite était emmenée par des marchands de Xicalanco, ville située sur la limite du royaume indépendant de Tabasco. Arrivés au terme de leur voyage, ces marchands cédèrent l’enfant qui leur avait été donnée, peut-être même vendue, à leurs voisins d’au-delà du fleuve, et Marina, conduite dans la ville de Centlan, résidence du roi des Tabasqueños, devint, par la suite, une des esclaves de ce monarque. Dans cette condition fâcheuse, et malgré son extrême jeunesse, elle n’oublia pas sa noble origine. D’une intelligence précoce, elle apprit vite la langue maya, la seule usitée dans le Tabasco et le Yucatan, sans pour cela négliger l’aztèque, qu’elle parla toujours, paraît-il, avec une rare correction : c’est la connaissance de ces deux langues qui, par la suite, devait la mettre en rapport avec Cortès, et ajouter de si étranges chapitres à sa romanesque destinée.

En vérité, il faut le répéter, s’il ne s’agissait de faits ayant bientôt quatre cents ans de date et s’appuyant sur le témoignage du loyal Bernal Diaz del Castillo, on sourirait de cette histoire. Mais Bernai raconte encore et cela sous la foi du serment : « Ce que je dis, je certifie l’avoir vu et entendu. Amen ! » que, lors du voyage de son général dans le Honduras, en 1524, doña Marina, traversant le pays où elle était née, vil sa mère et son frère se présenter devant Cortès, comme titulaires du domaine de Païnala. Ils furent terrifiés en voyant celle qui avait été autrefois vendue, spoliée, commander, dans leur langue, à ces terribles étrangers devant lesquels chacun se courbait. Convaincus que la jeune femme allait tirer vengeance du passé, ils s’humiliaient d’avance. doña Marina les accueillit avec bonté, les rassura, les combla de dons et prit soin, dans ses entretiens avec eux, d’écarter tout souvenir fâcheux, « montrant ainsi, a écrit avec justice Clavigero, que sa grandeur d’âme n’était pas inférieure aux autres dons qu’elle devait au ciel. »

À ce propos, il est bon de se souvenir que dans la civilisation déjà très raffinée des Aztèques, l’éducation des filles nobles était l’objet de grands soins. Doña Marina, lors de son expulsion de la maison paternelle, devait avoir appris déjà, en dépit de sa jeunesse, les préceptes que les prêtres et les prêtresses de sa religion se plaisaient à inculquer aux jeunes gens. « Garde-toi du mal, disaient ces préceptes ; il salit et trouble l’âme, comme la boue salit et trouble l’eau. Fuis le vice ; comme une herbe vénéneuse, il donne la mort à ceux qui le goûtent, et il est difficile de l’arracher du cœur dont il a pris possession ; quelle que soit ta condition, sois bon, doux, serviable, modeste: aime chacun, pour que chacun t’aime. » Ces maximes, sa conversion au christianisme, dans la morale duquel elle les retrouva, ne fit que les ranimer et les renforcer dans l’esprit de doña Marina. Elle sut être bonne, serviable, modeste ; elle sut pardonner, aimer et se faire aimer.

Eut-elle beaucoup à souffrir de sa condition d’esclave ? Physiquement, non ; moralement, oui. Elle était assez âgée pour mesurer la distance qui séparait la position à laquelle on l’avait condamnée de celle dans laquelle elle avait été élevée, et ses souvenirs d’enfance, ses protestations vaines, étaient bien faites pour l’attrister. Toutefois, rappelons-nous que l’esclavage, pas plus au Mexique qu’au Yucatan, ne représentait ni le travail forcé, ni la position infime, ni les occupations dégradantes auxquelles le mot fait songer chez nous. Puis encore, au milieu de la nature luxuriante, souriante du pays où naquit doña Marina, en présence d’un soleil toujours radieux et d’arbres toujours en fleurs, la tristesse n’atteint jamais au désespoir et ne prend jamais les formes sombres qu’elle affecte sous nos rudes climats. En outre, doña Marina possédait un caractère enjoué, heureux, et la résignation aux caprices, aux coups de la fortune, était une des vertus que savaient et savent encore, du reste, pratiquer les femmes de sa caste et de sa nation.

En 1519, à l’heure où Marina atteignait sa dix-septième année, Cortès explorait les côtes du Yucatan et s’approchait de celles du Mexique proprement dit. Il avait, dans un de ses débarquemens, rencontré un diacre espagnol nommé Géronimo Aguilar, lequel, fait prisonnier dix années auparavant par les Indiens, avait appris la langue maya. C’était là un précieux auxiliaire pour le futur conquérant, aussi fut-ce avec des démonstrations de joie qu’il accueillit son compatriote.

Continuant leur route, les navires espagnols atteignirent l’embouchure du fleuve Tabasco, découvert l’année précédente par Grijalva et dont Cortès se proposait de remonter le cours. Ses navires n’ayant pu franchir la barre de sable qui défend encore aujourd’hui l’entrée de ce fleuve, le capitaine espagnol fit mettre ses canots à la mer pour débarquer ses soldats. Mais les Tabasqueños qui, l’année précédente, avaient amicalement reçu les navires commandés par Grijalva, se montrèrent cette fois hostiles et méfians. Cortès leur dépêcha Aguilar, pour leur offrir la paix et leur demander des vivres ; ils accordèrent les vivres et déclarèrent qu’ils s’opposeraient à tout débarquement. Plusieurs escarmouches, que suivit bientôt une bataille sanglante, rendirent les Espagnols maîtres de Centlan, alors capitale des Tabasqueños. Sage dans sa victoire. Ceortè offrit de nouveau la paix et réussit à ramener dans leurs demeures les habitans de l’importante cité. Un traité d’alliance fut conclu, et, au nom de leur souverain, les Espagnols prirent officiellement la tutelle de la contrée. Les indigènes ne comprirent évidemment rien à cette cérémonie, bien que, formalité qui fait sourire, elle leur eût été solennellement notifiée, à haute voix, en langue espagnole et en pleine place publique, par un notaire royal assermenté!

Le roi de Centlan, afin de montrer à ses nouveaux amis sa bonne volonté, leur envoya, au moment où ils disposaient de son royaume, des provisions de bouche et des présens. En même temps, il leur fit don de vingt jeunes esclaves destinées, selon la coutume indienne qui encore aujourd’hui laisse exclusivement cette tâche aux femmes, à moudre le maïs nécessaire à la préparation du pain de leurs nouveaux maîtres. Cortès ordonna aussitôt d’instruire ces jeunes femmes des vérités de la religion chrétienne, puis de les baptiser. L’exilée de Païnala, qui se trouvait parmi elles, fut convertie par Aguilar et le père Olmedo, baptisée sous le nom de Marina, et placée sur le navire commandé par le capitaine Puerto-Carrero.

Reprenant la mer et continuant à longer les côtes, les Espagnols, après plusieurs jours de navigation, vinrent jeter l’ancre devant la rade d’Ulua. On connaissait déjà, sur ce point, les combats de Tabasco. Une foule immense, non hostile pourtant, suivait du regard les évolutions des navires espagnols et invitait par signes leurs équipages à débarquer. Redoutant quelque traîtrise, Cortès ordonne de ne pas répondre à ces avances. Alors plusieurs canots, se détachant du rivage, se dirigent avec confiance vers le navire du général, Aguilar se présente pour connaître les intentions des visiteurs ; mais, à sa grande stupéfaction, il ne peut ni les comprendre ni se faire comprendre d’eux, la langue aztèque qu’ils parlent n’ayant aucune ressemblance avec celle des mayas.

C’était là une découverte fâcheuse, une sérieuse cause d’embarras présente et future. Les Indiens répètent en vain qu’ils viennent en amis, on ne parvient pas à s’expliquer, même par signes. Tout à coup une des jeunes femmes données par le roi des Tabasqueños s’approche des bords du navire sur lequel elle est embarquée, interpelle les visiteurs, cause couramment avec eux. Elle prévient alors Aguilar que ces Indiens qui, l’année précédente, ont eu d’excellens rapports avec les navires de Grijalva, apportent des fleurs, des fruits, des ornemens d’or, et qu’ils désirent échanger ces objets contre des verroteries. Ce sont des Totonaques, gens d’humeur pacifique, de mœurs douces. Ils ont été récemment vaincus par le grand empereur aztèque Moteuczoma II, lequel réside sur le plateau des montagnes qui, comme de gros nuages, bornent l’horizon vers le couchant. Ces nouvelles sont transmises à Cortès, qui ordonne de bien accueillir les visiteurs. Le lendemain, il débarque avec ses soldats et l’on dresse sa tente sur l’aride plage où quelques jours plus tard il fondera la villa rica de Veracruz, cette cité destinée à devenir, sans qu’il s’en doute, la capitale maritime des immenses contrées qu’il va bientôt conquérir.

On apprend que la ville principale des Totonaques se nomme Cempoalla, qu’elle est située à quelques lieues de la mer, que c’est là que réside le gouverneur aztèque, représentant de Moteuczoma. Une entrevue est décidée entre ce grand dignitaire et Cortès qui, pour recevoir cet hôte dont il importe de frapper l’imagination, s’entoure de tout l’apparat qu’il croit de nature à augmenter son prestige. C’est assis sous un dais, au milieu de ses officiers en grand uniforme et paré lui-même de ses vêtemens les plus luxueux, que le capitaine espagnol reçoit le lieutenant du souverain aztèque. Les interprètes, Aguilar et doña Marina, s’avancent, un frémissement remue la grave assemblée.

Marina accomplissait alors sa dix-septième année et, fille d’un climat où la nature est précoce, elle était dans tout l’éclat de sa séduisante beauté. Ceux qui connaissent le type élégant des femmes de son pays, c’est-à-dire de la province de Goatzacoalco, se la représenteront facilement. De taille moyenne, svelte, les extrémités mignonnes, vêtue de la tunique brodée à jour dont se parent encore les habitantes de Téhuantepec, les tresses épaisses de ses longs cheveux semées de perles et de grains de corail, elle s’approche souriante, triomphante, comme une jeune reine. « comme une déesse, » a écrit le Tlaxcalien Carmago, qui put la connaître, et auquel, en tous cas, son père avait dû souvent la décrire.

L’entrevue fut longue et laborieuse. Cortès s’adressait en espagnol au diacre Aguilar, celui-ci répétait en maya les paroles de son chef, et Marina les transmettait en aztèque au représentant de Moteuczoma. Les réponses de ce gouverneur, pour arriver au chef espagnol, devaient suivre la même filière. Toutefois, si lent, si compliqué que fût ce moyen de communication, il permettait de s’entendre, et c’était là un grand point. Il ne fut naturellement question, dans ce premier entretien, que de protestations d’amitié, que de la puissance du roi d’Espagne et de celle de Moteuczoma. Au fond, le gros événement de cette journée, pour Cortès surtout, que l’élément féminin troublait facilement, ce fut l’apparition, la découverte en quelque sorte inattendue de la belle jeune femme « à la royale prestance » que nul ne semblait avoir vue jusque-là, qui venait de se révéler avec sa beauté radieuse, son charme séducteur et sa voix qui, en prononçant les doux mots de la langue aztèque, semblait chanter et non parler.

A Tustepec, pittoresque village situé non loin de Païnala, je vis un jour pénétrer dans la rustique église où je copiais l’image étrange d’un saint, une Indienne parée, comme pour un jour de fête, d’un huépil d’une blancheur éclatante, brodé de fils de couleur. Semées de perles et de brins de corail, les deux nattes épaisses formées par les noirs cheveux de la visiteuse s’enroulaient au-dessus de son front comme une couronne, et son teint, légèrement cuivré, n’enlevait rien à la fraîcheur rosée de sa peau, à l’éclat humide de ses grands yeux doux, à la pourpre de ses lèvres souriantes, entre lesquelles étincelaient des dents nacrées. Elle me regarda avec une curiosité naïve, surprise de ma présence, de mon costume semi-européen, comme je l’étais de sa beauté et de sa grâce. A la fin, mes regards admiratifs la gênant, elle abaissa ses longs cils, s’agenouilla, se signa, couvrit son visage de ses mains mignonnes pour se recueillir, et pria. Au bout d’un instant elle se releva. Alors de cette marche lente, ondulante, féline des femmes de son pays, elle s’éloigna, me saluant d’un « sourire des lèvres et des yeux, » me laissant charmé.

— Qui est cette jeune femme? demandai-je au curé dont j’étais l’hôte.

— La Malina, me répondit-il d’un ton sérieux.

— Est-ce véritablement son nom? m’écriai-je.

— Oui, depuis l’année dernière. C’est elle qui, le jour de la fête du village, a représenté la célèbre « confidente » de Cortès. Savez-vous, señor, que tout le monde, ici, l’a trouvée ressemblante?

Je ne pris pas garde à l’énormité que me disait le curé ; car, de même que tout le monde, je trouvais, moi aussi, que la moderne Marina ressemblait à son aînée, dont il n’existe pourtant aucun portrait authentique.

Je suivis longtemps du regard, à travers le porche, la jeune femme à laquelle je devais une illusion que j’ai conservée. Qui de nous, du reste, n’a rencontré dans sa vie une Agnès Sorel, une Marie Stuart, une des beautés disparues avec les neiges d’antan ? La moderne Marina s’évanouit à l’improviste au milieu de palmiers nains, noyée dans l’éblouissante lumière du soleil couchant.

Pensif, je me demandais si ce n’était pas à elle que s’appliquait, en réalité, ce portrait d’une héroïne du XVIIe siècle. « Elle était belle, son port était céleste, son aspect doux et languissant. On ne pouvait rien voir de plus beau ni de plus extraordinaire que ses yeux, où il y avait de l’amour, de la modestie, de la langueur, de l’éclat, de la douceur, un peu de mélancolie qui ne gâtait rien, et, par-dessus tout, un charme qui pénétrait le cœur, qui le captivait. »

Mais non, il s’agit ici de Mlle de La Vallière; de Mlle de La Vallière dont, à tant d’égards et tout bien considéré, doña Marina fut une sœur aînée, placée à une autre époque et dans un autre milieu.

L’Indienne, restée pour moi le type vivant de ce que dut être doña Marina aux heures de sa jeunesse, s’évanouit à l’improviste dans la lumière ! Ce fut, hélas ! dans une ombre profonde que disparut un jour la véritable Marina, l’âme endolorie par l’ingratitude de celui dont son amour avait fait plus qu’un roi.


II.

A l’heure où doña Marina lui apparut pour la première fois. Cortès venait d’atteindre sa trente-troisième année. C’était alors, au dire de ses contemporains, lesquels l’ont peint avec complaisance, un homme d’assez haute taille, aux membres bien proportionnés, très élégant cavalier. Ses traits avaient une expression sévère, mais son regard était d’une grande douceur. Habile écuyer, habile au maniement des armes, il se montrait dans sa tenue, dans ses gestes, et cela à toute heure, à table aussi bien que dans les conseils, distingué, courtois, d’une dignité imposante. Toujours simplement vêtu, et dédaigneux pour lui-même des étoffes de soie, de velours ou des bijoux, il aimait cependant à les voir briller autour de lui. Sa maison, de tout temps, fut luxueuse, bien ordonnée, peuplée d’un nombre considérable de serviteurs. Instruit, quelque peu latiniste, poète à ses heures. Cortès se montrait doux avec ceux qui vivaient près de lui, mais familier avec personne. Maître absolu de sa volonté, il ne se laissait jamais emporter par la colère. En revanche, son entêtement pour mener à bien ce qu’il avait une fois résolu, surtout dans les choses de la guerre, dépassait souvent la mesure de la sagesse. En somme, aussi bien en Espagne qu’à La Havane, où il était venu chercher fortune et où il l’avait trouvée, puisque les navires qu’il commandait lui appartenaient en partie, on le tenait pour un noble seigneur, digne du sort brillant qu’il sut se préparer et conquérir. Un trait qui nous intéresse, c’est que ce catholique fervent, fanatique même, avait eu, durant son séjour à La Havane, plusieurs bruyantes aventures amoureuses.

Au résumé, Cortès, par ses qualités, par sa bonne mine, à laquelle ne nuisait en aucune façon le prestige qui s’attachait à son titre de commandant, était un cavalier accompli. Il apparut aux Indiens comme un demi-dieu, et doña Marina, elle aussi, fut éblouie, captivée. Avait-elle, avant cet instant, déjà distingué le héros et rêvé de se rapprocher de lui? Ici, nous en sommes réduits aux conjectures. Ce qui est certain, c’est que l’attention de Cortès fut vite attirée par la gracieuse interprète sur les lèvres de laquelle il suivait, curieux, charmé, les phrases qu’elle traduisait. L’aisance, l’intelligence avec lesquelles la jeune femme s’acquittait de ses fonctions improvisées émerveillèrent le capitaine. C’est que, non contente de répéter les paroles du chef aztèque, Marina les commentait, dévoilait ce qu’elles cachaient de faux ou d’astucieux, et dictait en quelque sorte les réponses qu’il convenait de faire. Or Cortès avait lui-même trop d’intelligence pour ne pas remarquer la vivacité d’esprit de la jeune femme, la justesse et la portée de ses réflexions. Il la regardait, il l’écoutait avec une attention de plus en plus intéressée, troublé par sa beauté, séduit par sa grâce. Après le départ du chef aztèque, il la retint et put, avec le secours d’Aguilar, apprendre mille particularités sur la contrée où il venait d’aborder, sur le grand empire mexicain dont il soupçonnait encore à peine l’étendue et la puissance.

Dès cette première entrevue, Marina devint indispensable au conquérant, qui, du reste, ne pouvait communiquer avec les peuples dont il était entouré que par son entremise. Elle eut une tente dressée près de celle du chef, et bientôt des serviteurs et des servantes. La beauté ayant partout et toujours, comme on disait autrefois, l’irrésistible prérogative de bien disposer les âmes et de soumettre les volontés, les lieutenans de Cortès furent vite soumis. Par son charme d’abord, par son dévoûment à leurs intérêts, puis par sa bienfaisante influence sur leur capitaine, Marina acquit vite les sympathies de ces hommes d’élite, et, en dépit de leur rudesse, sut s’attirer leur respect. Tous, dès la première heure, la nommèrent courtoisement doña Marina, et cette particule doña, dans leurs bouches accoutumées aux libres propos, fut un hommage rendu à la dignité de celle qui ne cessa jamais de la mériter. Cette qualification respectueuse, que tous les historiens espagnols ont adoptée, est certainement un titre d’honneur pour la belle Indienne.

Bientôt éprise du héros près duquel il lui fallait vivre, doña Marina lui devint également chère. Ne voulant pas d’intermédiaire entre elle et celui qu’elle aimait, la jeune femme se mit avec ardeur à l’étude de l’espagnol, et cette belle langue, devenue pour elle celle de l’amour, lui fut vite familière. Aussitôt qu’elle put s’entretenir directement avec son ami, doña Marina épousa ses ambitions, ses espérances, devint son confident, souvent son conseiller, et prit sur l’indomptable caractère du héros un ascendant doux, efficace, salutaire. Elle aussi, elle eut du génie, et, avec une abnégation toute féminine, elle le mit au service de celui qu’elle aimait, dont elle adopta le Dieu, les croyances, et presque la nationalité.

L’empire pris par doña Marina sur Cortès ne fut pas seulement charnel, il eut une plus solide et plus honorable base. Le sentiment, comme il convenait entre deux esprits d’élite, eut là un rôle prépondérant. C’est qu’il faut se garder de voir dans la jeune femme, je l’ai dit déjà, une sauvagesse n’ayant d’autres séductions que ses attraits physiques, que son charme étrange et piquant; il y avait mieux que cela dans doña Marina, il y avait une âme droite, élevée. C’était, comme se plaît à le répéter Bernal Diaz, en affirmant « qu’on le voyait et le sentait, » une fille de sang noble née dans une cour princière. Or les Aztèques du XVIe siècle n’étaient nullement inférieure, au point de vue moral et intellectuel, à ces Espagnols qui, matériellement mieux armés qu’eux, se disposaient à les conquérir.

On s’y trompe souvent, et les sacrifices sanguinaires qu’ils offraient à leurs dieux ont maintes fois fait prendre le change sur le véritable degré de culture atteint à l’époque de la conquête par la civilisation mexicaine. Dans la vie ordinaire, les Aztèques étaient doux, humains, polis, raffinés même, et, dans les combats héroïques qu’ils livrèrent pour défendre leur pays, leur indépendance et leurs dieux, les cruautés gratuites ne sont pas de leur côté. Aussi, à l’occasion, leurs descendans ne se font guère faute d’opposer ironiquement à nos reproches sur la barbarie de leurs ancêtres, sacrifiant des victimes humaines, les bûchers qui, précisément à la même époque, se dressaient, en Espagne, au nom du vrai Dieu, sur les ordres de l’inquisition.

Baptisée sous le nom de Maria, puis appelée doña Marina par les Espagnols, l’héritière de Païnala, pour les Indiens qui la voyaient sans cesse près de Cortès, devint bientôt, nous l’avons dit, doña Malina. Par la suite, Cortès fut lui-même désigné sous l’étrange nom de Malintzin, — on prononce : Maline-tzine, — dont la signification est : le maître de Malina. C’est aujourd’hui encore le nom que donnent volontiers au conquérant les nations qu’il a vaincues, le seul même dont le peuple se souvienne, tant la gloire du héros castillan est étroitement liée à la mémoire de celle qu’il aima, dont il fut si tendrement aimé.

Nous n’avons pas à suivre doña Marina dans son long et important rôle politique ; à ce point de vue, sa vie, depuis le départ du golfe du Mexique jusqu’à l’arrivée à Mexico, fut celle de Cortès lui-même, dont elle prépara diplomatiquement les victoires. C’est elle qui lui conquit la neutralité bienveillante des Totonaques, qui entama les premiers pourparlers avec les ambassadeurs aztèques, qui, invoquant d’antiques traditions, leur présenta les Espagnols comme les demi-dieux annoncés par d’anciennes prophéties. C’est elle qui, au milieu de la première bataille livrée aux TIaxcaltèques, et lorsque le chef des Totonaques s’épouvante de voir les sept cents Espagnols comme noyés au milieu des flots renaissans de leurs ennemis, lui dit, tranquille et convaincue : « Sois sans craintes, ils combattent avec leur Dieu, ils vaincront. » D’un autre côté, c’est elle qui, aux heures de découragement, de lassitude, de souffrance, anime, excite, réconforte les Espagnols. « Jamais, dit Bernal Diaz dans son naïf langage, ne fut remarqué en elle défaillance, mais toujours mâle et constant courage : ses paroles nous ranimaient. »

Après la victoire remportée sur les TIaxcaltèques, c’est elle qui les ramène à des idées de paix et fait d’eux, pour Cortès, des alliés qui résisteront aux coups de la mauvaise fortune. C’est elle encore qui, par sa finesse, découvre le complot formé par les Cholultèques pour l’extermination des Espagnols, et transforme un désastre certain en un décisif triomphe. C’est elle enfin qui, placée en face de Moteuczoma, jette le doute dans l’esprit du malheureux empereur, le fait hésiter, et prépare la dernière et sanglante victoire des Espagnols. Elle est toute à ces terribles soldats, dont elle partage les croyances et les périls, sans cesser un seul instant de protéger les vaincus, qu’elle veut arracher à leurs superstitions sanguinaires. Si les Espagnols ont son admiration, leurs adversaires ont sa sympathie. Elle n’est du côté des puissans que pour protéger les faibles, elle a l’amour des humbles, la pitié pour ceux qui souffrent, la charité sans borne que commande sa nouvelle foi. Elle est femme, bien femme; adorable par tous les côtés de son être fin, délicat, et pourtant énergique, elle n’aura bien su que quatre choses : aimer, se dévouer, souffrir et pardonner.

Et quel cadre merveilleux pour la naissance, pour le développement de cette passion sincère, digne à ses commencemens des temps chevaleresques où elle s’est produite, que les bords vermeils du golfe mexicain ! Qu’il serait facile à l’imagination de faire intervenir, dans ce milieu luxuriant, de bienfaisantes fées contrariées, de temps à autre, par des enchanteurs jaloux! Lorsque, après les chaleurs épuisantes du jour, le soleil, abandonnant enfin la Terre-Chaude, disparaissait derrière les crêtes à peine visibles de la Cordillère, quelle poésie devait naître avec la brise qui, parfumée, poussait les vagues languissantes sur le sable fin, tandis que les oiseaux chanteurs, pressés dans les buissons, entonnaient leur hymne à la nuit ! Cortès était poète, a écrit Bernal Diaz. Comme il devait écouter avec ravissement, assis aux pieds de doña Marina, les harmonies mystérieuses qui, aux heures crépusculaires, s’élevaient de la terre et montaient vers le ciel, où son regard s’étonnait de voir des constellations inconnues : lumière, arbres, plantes, fleurs, oiseaux, insectes, cris, gazouillemens, rumeurs, tout ce qui brille, chante et bruit avait des sons, des éclats, des formes étranges sur cette terre nouvelle, où l’ambitieux Espagnol avait trouvé en débarquant, et comme à souhait, « l’être providentiel » qui devait lui permettre, ainsi que le disent les vieux chroniqueurs, « de mener à bien la tâche pour laquelle il était né. »

Ce fut une épopée merveilleuse, en même temps qu’un discret poème d’amour, que la marche du conquérant vers Mexico. Il avait héroïquement brûlé les vaisseaux qui l’avaient amené, afin d’enlever à ses soldats toute velléité de retour, du moins avant que le sol qu’ils foulaient fût devenu leur. On avançait, suivant le cours du soleil, vers les contrées où, d’après les récits des Indiens, l’argent, l’or, les pierreries étaient matières viles, tant elles abondaient. Ce fut par lentes étapes, coupées par des escarmouches, par de longs campemens, de laborieuses négociations et de sanglantes batailles, que la petite armée atteignit enfin le pays montagneux des Tlaxcaltèques, le pays des éternels printemps. Là, plus de chaleurs énervantes; un climat sain, une température égale, des arbres chargés à la fois de fleurs et de fruits ; une suite de Capoues dont les Espagnols, avides d’or, dédaignèrent les délices pour s’élancer avec audace en avant, pour chercher ce fuyant Eldorado que des aventuriers, — j’en ai rencontré, — cherchent encore dans les déserts de la Sonora.

Quel tableau que celui de la marche aventureuse de cette poignée d’hommes, allant en somme vers l’inconnu! Mais nous n’avons pas à nous attarder sur la stratégie ; doña Marina seule doit nous occuper. Elle était alors, l’aimable femme, et cela presque autant que Cortès, l’âme de l’héroïque troupe. C’est grâce à elle que la petite armée apprenait le nom, l’histoire, la puissance des peuples dont elle traversait le territoire, qu’elle était, le plus souvent, cordialement accueillie par eux. Marina parlait déjà l’espagnol couramment, et chacun des lieutenans de son « mari » prenait plaisir à causer avec elle, à l’escorter. Elle savait leur nom, celui des soldats auxquels ils commandaient, et connaissait à fond leur caractère. Quel cortège que celui de ces héroïques hidalgos parmi lesquels se pressaient le désintéressé Gonzalo de Sandoral, le fougueux Cristoval de Olid, qui devait devenir traître et mourir par trahison, le chevaleresque Diego Ordas et l’audacieux Pedro de Alvarado auquel sa chevelure rousse valut, dès son entrée en campagne, le nom de Tonathiu (le soleil) que lui donnèrent les Tlaxcaltèques. Puis venaient Velasquez de Léon, Alonzo Hernandez de Puerto-Carrero, Francisco de Morla, le diacre Aguilar, puis les pères Olmedo et Diaz, qui, de concert, continuaient à instruire la jeune femme des vérités du christianisme. Comment, dans cette pléiade, ne pas mentionner le loyal Bernal Diaz del Castillo, le futur chroniqueur, et aussi ce mystérieux Conquérant anonyme dont nous connaissons l’œuvre sagace, et dont nul ne saura probablement jamais le nom?

Quelles pages, dans le livre de la vie de Cortès, dans celui de la vie de doña Marina, que ce voyage plein d’heures périlleuses, mais aussi d’enchantemens! En prenant pour date extrême la prise définitive de Mexico, 13 août 1521, cette marche laborieuse, qui souffrit quelques reculs, ne dura pas moins de deux années. Pendant cette période, l’existence et le rôle de doña Marina furent conformes aux désirs de son cœur. Elle ne quitta pas une seule minute le héros qu’elle aimait, le suivant jusque dans les batailles, préparant un à un tous les actes importans de cette partie de sa vie, la plus belle, la plus héroïque et la plus glorieuse, incontestablement. Pour nous. Européens, le conquérant du Mexique, c’est Hernand Cortès; pour les descendans des Aztèques, c’est Malintzin, c’est-à-dire le maître aimé de cette belle, fine, et dévouée doña Malina dont nous ignorons presque l’existence, et qui mérite bien, par le rôle héroïque et bienfaisant qu’elle a joué dans l’histoire, que nous apprenions enfin son doux nom.

L’œuvre est accomplie ! Moteuczoma a succombé, involontairement frappé par un de ses sujets ; Mexico, abandonné, est repris après trente-six jours de luttes, et le grand temple du féroce, Huitzilipochtli est ruiné. L’énergique Cuauhtémotzin, prisonnier, ne peut plus lutter. doña Marina, qui s’est interposée pour l’arracher au supplice et qui a réussi, s’interposera en vain plus tard pour sauver la vie de l’héroïque souverain. Cette fois, Cortès passera outre, et ce sang, injustement versé, du plus noble de ses ennemis troublera longtemps les nuits du conquérant. Sa gloire, si brillante, ne voilera pas cette tache sanglante, indélébile, hélas! comme celle qui souillait la petite main de lady Macbeth.

Mais l’heure de ce crime inutile est encore éloignée, et l’œuvre grandiose de Cortès est achevée. Il règne, glorieux, satisfait, sur des millions d’hommes. Doña Marina, elle aussi, est fière de son œuvre. Elle habite un palais; elle a des gardes, des dames d’honneur, des suivantes, des pages, des écuyers. A la pompeuse étiquette de la cour de Moteuczoma, aux élégances raffinées, orientales, des mœurs de sa noblesse, s’est allié le grave cérémonial espagnol. doña Marina, pour être à sa place au milieu de ce luxe, de ces grandeurs, qui n’enlèvent rien à son affabilité, n’a qu’à se souvenir. Mais son bonheur n’est pas dans cette pompe vaine ; il est concentré sur l’enfant qu’elle vient de mettre au monde, que le conquérant a pris dans ses bras et fait baptiser sous le nom de Martin-Cortès. Comme elle est heureuse, rayonnante, la douce femme, de voir si grand, grâce à sa peine, le père de son fils ! L’heure des terribles combats est passée, le sang ne coulera plus ni sur les autels détruits des dieux mexicains, ni sur les champs de bataille toujours hasardeux-La paix va régner dans l’immense empire formé des royaumes de Mexico, de Colhuacan, de Tlacopan, de Méchoacan. des républiques de Tlaxcala, de Chololan, et de Huéxotinco, auxquelles viendront bientôt s’ajouter les Chiapas, le Guatemala, le Yucatan, la Californie, vingt autres provinces.

Doña Marina est heureuse ; les heures sombres de sa jeunesse, de l’esclavage sont loin. Elle a reconquis son rang, elle aime, elle est aimée, elle a un fils! Sa vie, désormais, semble à l’abri des coups de la mauvaise fortune. Elle occupe un point culminant, et comment pourrait-elle choir? La mort, si elle l’eût surprise à cette heure, eût paru l’enlever à une longue félicité. Mais qui donc échappe au malheur, au fumier de Job? Cortès, enivré de gloire, vécut assez longtemps pour se voir méconnu, oublié! doña Marina, avant lui et par lui, devait voir toutes ses joies se transformer en amertumes, tous ses triomphes en désenchantemens. Son amour, dont elle était orgueilleuse, allait soudain devenir criminel et, pour elle, une cause inattendue de désespérance. Cortès était marié, et doña Marina l’ignorait. Elle apprit brusquement que doña Catalina Juarez, femme légitime de celui qu’elle aimait, venait de débarquer à Veracruz et qu’elle accourait pour réclamer et occuper, près du trône conquis par son époux, la place à laquelle elle avait droit.


III.

Cortès, — il l’avait en quelque sorte oublié lui-même, — était marié. Après la conquête de l’île de Cuba par Diego Velasquez, conquête durant laquelle il était devenu, grâce à son courage et à son art d’entraîner les soldats, un des principaux lieutenans de son chef, le jeune officier s’était étroitement lié avec une famille originaire de Grenade du nom de Juarez, famille composée d’une veuve, de quatre jeunes filles et d’un jeune homme. Ce dernier, bien que le pompeux Solis ait fait de lui par la suite un hidalgo, n’était, en réalité, qu’un aventurier dont le bon Las Casas, au langage toujours si modéré, par le pourtant avec un peu de dédain. Quant aux quatre sœurs, elles possédaient une réputation de beauté méritée. Cortès, dont le cœur s’enflammait facilement, s’éprit de l’une de ces jolies personnes, nommée Catalina. Or, sans que l’on sache au juste quel degré d’intimité s’établit entre les deux jeunes gens, tout donne à croire qu’il y eut, de la part de l’amoureux, une promesse formelle de mariage. Les choses traînèrent en longueur, puis le temps, « la raison, » dit un historien peu galant, ayant refroidi et même emporté l’amour, le fiancé montra peu de hâte à tenir sa promesse. Il résista non-seulement aux instances de la famille et des amis de sa fiancée, mais aux impérieuses remontrances de son chef, don Diego Velasquez, qui, devenu à son tour amoureux de l’une des belles Espagnoles, prit très à cœur cette affaire. La résistance de Cortès lui valut l’inimitié redoutable de son protecteur, et une suite de persécutions qui faillirent compromettre son avenir et même lui coûter la vie. A la longue, cédant sans doute à des raisons d’ordre politique, le jeune capitaine se résigna enfin à épouser doña Catalina, ce qui amena sa réconciliation avec Velasquez.

Cette union, qui resta stérile, ne fut pas heureuse. Il y avait incompatibilité d’humeur, surtout d’éducation, entre les deux époux, et l’amour qui, au dire des poètes, comble les distances, était depuis longtemps envolé. On a parlé de haine et, parmi les historiens, le bon père Las Casas, seul, a cru devoir relever et adoucir le propos. « Cortès m’affirma un jour, a-t-il écrit, qu’il vivait aussi heureux avec sa femme que si elle eût été la fille d’une duchesse. » La phrase n’est-elle pas, d’une part, un peu ambiguë, et, de l’autre, ne laisse-t-elle pas, au fond, entrevoir le point douloureux en question? Comment ne pas croire à la présence du feu lorsque ceux qui ont intérêt à le cacher prennent soin de dissimuler la fumée?

Durant les longs mois qui s’écoulèrent entre le départ des Espagnols de Vera-Cruz et leur installation définitive à Mexico, ni Cortès, ni aucun de ses compagnons ne parut se souvenir de l’existence de dona Catalina, et celui qui l’eût nommée eût peut-être été mal venu. Nous le savons, l’éducation de la belle Grenadine laissait à désirer, et la vulgarité de ses façons, voire celle de son langage, blessait à la fois l’orgueil et la distinction native de l’ambitieux auquel elle était unie. Ce fut donc une grosse nouvelle pour tout le monde que celle du débarquement de doña Catalina à Vera-Cruz, nouvelle bientôt suivie de celle de sa marche vers Mexico sous l’escorte de Sandoval, le premier des lieutenans de son mari.

Quels drames intimes durent se passer alors, et quels combats durent se livrer dans l’esprit et dans le cœur de Cortès ! L’altier, l’impérieux, le dévot Castillan se trouva brusquement placé dans une situation que la haute position qu’il occupait rendait singulièrement épineuse, et lui, l’homme des résolutions promptes, irrévocables, dut avoir cette fois de longues hésitations, ne se courber qu’en frémissant. doña Catalina ne lui était plus seulement indifférente à cette époque, il la haïssait bien réellement, — Bernal Diaz l’affirme, — car il ne pouvait se souvenir sans dépit, et même sans colère, de la contrainte morale à laquelle il avait cédé en l’épousant. En outre, dans l’arrivée si inopinée de sa femme, Cortès, au lieu d’une preuve de tendresse, voyait avec raison une suprême vengeance de son chef, Diego Velasquez, qui, exaspéré d’un côté par les nombreux actes de rébellion de son lieutenant, de l’autre par ses succès inouïs, ne reculait devant aucun moyen pour lui nuire[1]. Donc, instrument aveugle du ressentiment de Velasquez, doña Catalina, forte de son titre d’épouse légitime, venait réclamer la place, le rang, les honneurs qui lui appartenaient. Or Cortès, sans s’attirer les colères de l’église, colères que dans sa foi robuste il n’eût osé ni provoquer ni braver, ne pouvait refuser de rendre à doña Catalina la situation dont jouissait indûment, mais avec une sécurité complète, la pauvre Marina. Cette fois, en dépit ou plutôt à cause de sa vive intelligence, la belle Indienne n’allait rien comprendre aux événemens qui se préparaient, au désastre qui allait briser son bonheur et désoler sa vie.

Doña Marina, qui avait reçu le baptême en grande pompe, était une chrétienne convaincue. Toutefois, si sa nouvelle religion la passionnait par sa morale d’essence féminine, c’est-à-dire toute d’abnégation, nombre des dogmes qu’on lui avait expliqués devaient paraître singulièrement obscurs à son esprit. Que savait-elle, au fond, par exemple, du mariage chrétien? Essayons, sur ce point, de nous rendre compte de ses sentimens.

Si la polygamie existait chez les Aztèques, elle n’était permise qu’aux souverains et aux nobles, encore avec certaines restrictions. Ainsi la première femme, et elle seule, avait droit aux cérémonies nuptiales. Celles qui venaient ensuite n’étaient, pour employer l’expression consacrée, que des « concubines légales. » Or, si doña Marina se considérait comme la femme légitime de Cortès, elle savait aussi que, grâce au Dieu des chrétiens, elle n’avait point à redouter de rivales. N’avait-elle pas vu vingt fois le capitaine, alors que ses alliés lui offraient leurs filles, repousser avec véhémence ces offres, déclarer hautement que son Dieu n’admettait pas qu’un homme pût avoir plusieurs épouses? N’était-ce pas elle qui, heureuse de ces messages, avait été chargée d’expliquer aux ambitieux désireux de s’unir au conquérant l’invincible raison pour laquelle il refusait l’honneur que l’on voulait lui faire? Ces réponses, avec quelle joie intérieure Marina les transmettait aux intéressés, et comme elle l’adorait, ce Christ par lequel l’épouse unique, à jamais unique de Cortès, c’était elle, Marina ! car elle se croyait mariée, et comment ne l’eût-elle pas cru ?

Le père Olmedo, qui l’avait baptisée, ne la traitait-il pas en toute occasion comme l’épouse de Cortès, et ne blâmait-il pas sans cesse la polygamie ? Pendant les deux années employées à cheminer, à combattre, à traiter, que l’on se trouvât dans les plaines, sur les monts ou dans les villes, le zélé missionnaire, chaque matin, avait improvisé un autel et célébré la messe. Or n’était-ce pas elle qui, agenouillée près de Cortès en face de cet autel, avait journellement reçu les bénédictions du prêtre? Ne l’avait-il pas cent fois félicitée de son zèle à lui amener des néophytes? N’était-ce pas lui qui avait baptisé le fils du héros, en lui donnant pour nom et prénom ceux de son père?

Aussi, quel cri désespéré dut sortir de la gorge de la pauvre femme, quelle nuit dut se faire dans son esprit, quel déchirement dut se produire dans son cœur lorsqu’on lui annonça, — et qui eut à remplir cet affreux message ? — que Cortès était marié et que sa femme légitime, unique, allait arriver à Mexico! La noble créature ne dut pas croire d’abord à ce qu’elle entendait; elle dut courir à son amant, qui l’évita, puis au prêtre, au padre Olmedo. Que put-il lui dire, hélas ! qui ne prouvât que jusqu’alors on lui avait menti? Combien elle dut trouver méprisables, elle si confiante, ceux qui l’avaient trompée ou, ce qui revenait au même, laissée dans l’ignorance de la vérité! Quelles lettres touchantes nous lirions aujourd’hui si l’infortunée avait su écrire ! Quel récit pathétique nous posséderions si le prêtre aux pieds duquel elle se jeta écrasée par la douleur, eût noté ses plaintes, ses sanglots ! Comme on les sent brûlantes, les larmes que versa l’infortunée, et comme, en y songeant, ces larmes feraient aisément couler les nôtres, par la sympathie navrée qu’inspirent les grandes douleurs, alors surtout qu’elles sont imméritées !

Si doux, si tendre que fût au fond le caractère de doña Marina, nous savons que son âme était virile. Aussi, la première surprise, la première explosion de douleur passée, le sentiment de l’amante atteinte dans son affection, de la mère blessée dans son orgueil, fut-il un sentiment de révolte. Quoi! elle, l’artisan dévoué de la fortune de cet étranger auquel elle avait livré sa beauté, sa jeunesse, son amour, il allait falloir qu’elle se retirât devant une autre femme, subitement apparue? Elle dut savoir que l’autre était détestée, et qu’elle seule, ao fond, elle était aimée. Alors pourquoi la condamnait-on à disparaître, et quel rôle jouait donc Cortès dans ce drame? Quoi! il avait su la tromper, et il ne savait pas la défendre ! Encore une fois, si intelligente qu’elle fût, il y avait, dans toutes ces aventures, des conséquences, des problèmes tenant à une civilisation que la jeune femme ignorait en partie, et ce qu’on lui disait, loin de la convaincre, ne pouvait que lui paraître faux, inconciliable, irrationnel. Elle eut des heures d’agonie cruelle en voyant se taire autour d’elle tous ses amis et son amant lui-même. Elle vit, sans que personne osât la consoler, crouler son bonheur, qu’elle avait cru inébranlable, et, avec sa fortune, à laquelle elle tenait à cause de son fils, s’effondrer toutes les illusions de son esprit et de son cœur. Dans son désespoir, elle dut croire que le Christ, ce Dieu qu’elle avait adopté avec enthousiasme et au nom duquel on lui pariait, se faisait, lui aussi, le complice des mensonges des hommes.

Mais non; l’idée chrétienne resta puissante et debout dans l’âme de la pauvre désolée, et servit même à l’allégement de son chagrin. Le père Olmedo, peu à peu, eut raison des révoltes de cette âme aimante en invoquant le bonheur de Cortès. Se soumettre, se séparer de loi, c’était l’arracher au péché, lui rendre la paix de sa conscience, l’aider à réparer une faute qui pouvait lui fermer le ciel. On expliqua à la pauvre Indienne comment doña Catalina, bien que détestée, avait droit à ce premier rang qu’elle venait réclamer, et on lui présenta son malheur à elle, Marina, comme une heureuse expiation de ses faiblesses. Une expiation ! mais quelle faute avait-elle donc commise en aimant Cortès qu’elle croyait libre comme elle l’était elle-même, en le secondant dans ses entreprises, en l’implorant sans cesse pour les vaincus? Pourquoi venir, si tard, lui parler de vertus, de sentimens, de devoirs qu’on lui avait laissé ignorer, lui présenter d’innocens plaisirs comme des crimes, faire naître des remords d’actions qu’on avait applaudies? Pourquoi Cortès. pourquoi le prêtre qui savait la vérité, la lui avaient-ils dissimulée? Au résumé, la lumière dut avoir peine à éclairer, dans l’esprit de la charmante femme, tous ces points ténébreux. Ce qu’elle comprit, hélas! c’est que Cortès l’abandonnait, que le bonheur de la terre est fuyant, et elle répéta certainement les vers du roi-poète de son pays, qui disent : « Les plaisirs, les grandeurs, les richesses de cette vie ne sont qu’apparences et ne nous sont que prêtées... Il n’y a sur la terre rien de réel, rien de stable : l’avenir transforme tout. »

Oui, l’avenir transforme tout, et les choses de la terre ne sont que vanités, le poète-roi des Alcolhuas, dans ces strophes célèbres, a pensé et parlé comme le roi hébreu, comme l’Ecclésiaste. doña Marina avait à peine vingt ans, et, sacrifiée dans son enfance par des ambitieux, de princesse elle était devenue esclave. Maintenant, après quelques sourires de la fortune, voilà qu’elle perdait un sceptre, ce qui lui importait peu, mais du même coup l’homme qu’elle aimait, ce qui faillit lui coûter la vie. La douce femme, après cette épreuve, se tourna vers son fils, reçut l’assurance que le nom qu’il portait ne lui serait pas enlevé, et chercha un adoucissement à son inconsolable peine autour de ce berceau.

Doña Catalina fit une entrée pompeuse à Mexico, et, par politique sans doute, fut bien accueillie par son mari. Installée dans le palais qu’il habitait, ce fut à elle que vinrent aussitôt les hommages qui, la veille encore, s’adressaient à doña Marina. De celle-ci, brisée, délaissée par son ingrat ami, plus un mot chez les historiens espagnols ; Bernal Diaz lui-même devient muet. Ce sont les traditions, les légendes qui vont s’emparer de doña Marina, et mainte ballade raconte les douleurs, les désespoirs, les plaintes discrètes de l’abandonnée qui, pouvant briser le trône qu’elle avait élevé, souffrit le mal et ne rendit que le bien.

A l’heure où Cortès cédait à des scrupules auxquels la religion et le devoir, bien que mis en avant, eurent peut-être moins de part au fond que la politique et l’ambition, l’opinion publique, qui est toute avec doña Marina, se dispose à la venger de l’ingratitude de son amant. doña Catalina, dont la santé est depuis longtemps ébranlée, supporte mal l’air raréfié du grand plateau mexicain, et ne tarde guère à succomber. Cette mort soudaine paraît étrange. On se souvient aussitôt des dissentimens qui ont tenu séparés les deux époux, et la calomnie en tire de perfides conséquences. Cortès est sourdement, puis hautement accusé d’avoir préparé, hâté la mort de sa femme. Il eut connaissance de ces accusations et, les jugeant, avec un noble orgueil, par trop infâmes pour que l’on pût les croire possibles, il les méprisa. Il eut tort, la calomnie passa les mers, motiva une longue enquête, et tous les historiens du héros ont aujourd’hui à le justifier. Ce crime supposé, qui semblait de nature à servir les intérêts de doña Marina, jamais la calomnie n’y mêla, même de loin, le nom de la jeune femme, tant la sympathie et le respect que l’on avait pour sa personne et son caractère étaient grands.

IV.

La mort de doña Catalina, que suivit un long deuil officiel, n’amena aucun rapprochement immédiat entre Cortès et doña Marina. La belle Indienne ne reprit pas la place qu’elle avait si longtemps occupée près du héros et, si les convenances en furent en partie cause, l’humeur volage du conquérant n’y lut pas étrangère. En outre, cette fois encore, l’ambition joua son rôle prépondérant. Saturé de gloire, disposant des revenus d’un grand empire, Cortès se préparait à retourner en Espagne pour y recueillir les applaudissemens et les honneurs auxquels il avait droit, qu’il sentait mériter. Agé de trente-cinq ans, il avait « mené à bien » la conquête de plusieurs royaumes et, selon l’heureuse phrase qui lui est attribuée par Voltaire, donné à sa patrie, sans lui avoir demandé aucune aide, « plus de provinces qu’elle ne possédait de villes avant lui. » Or, à l’heure où le conquérant songeait à s’embarquer, il apprit à l’improviste que Cristoval de Olid, celui de ses lieutenans qu’il avait chargé de soumettre le Honduras, venait, conseillé par le haineux Diego Vélasquez, de se déclarer indépendant. C’était là un acte d’audace que son inflexible capitaine, Olid eût dû le savoir, n’était pas homme à laisser impuni.

Convaincu qu’il aurait vite raison de cette rébellion, Cortès se mit en route pour Tabasco et appela doña Marina. Le diacre Aguilar était mort, et le conquérant, comme par le passé, allait avoir besoin des conseils et du savoir de son intelligente interprète, précisément née dans le pays qu’il devait traverser, qui devait lui servir de base d’opérations. doña Marina accourut; mais, à peine les deux anciens amans étaient-ils en marche qu’une clameur de réprobation s’éleva dans Mexico, et les insinuations, les accusations sur les causes criminelles de la mort de doña Catalina circulèrent avec une nouvelle intensité. Prévenu et voulant rendre muettes la malveillance et la jalousie, Cortès eut recours à un expédient inattendu. Arrivé près d’Orizava, il fit brusquement épouser doña Marina par un de ses officiers, le grave don Juan de Jaramillo, fait imprévu que nous apprend en deux lignes, et sans commentaires, don Bernal Diaz del Castillo.

Ce mariage conclu d’une façon si brusque a naturellement préoccupé les historiens, qui eurent d’abord peine à se l’expliquer. Comment doña Marina, qui aimait tendrement Cortès, put-elle s’y prêter, et comment Juan de Jaramillo, a homme prééminent, » dit Bernal Diaz, et qui occupa plus tard de hauts emplois, put-il, de son côté, consentir à épouser la maîtresse encore aimée de son capitaine? Gomara par le de surprise; selon lui, on fit boire Jaramillo, et cette assertion fâche don Bernal sans lui arracher la vérité. Cette vérité, elle est aujourd’hui simple, transparente. Doña Catalina était morte subitement, la nuit, près de son mari, et celui-ci avait été dénoncé à l’inquisition comme ayant empoisonné sa femme, dont l’existence l’empêchait d’épouser doña Marina. Une enquête, secrètement conduite, s’instruisait sur ce fait à Mexico par ordre de la cour de Madrid. Don Juan de Jaramillo se dévoua pour son chef, qu’il aimait. Quant à doña Marina, n’était-elle pas toujours prête aux sacrifices? Son mariage imposa silence aux calomniateurs : il rendait la mort de doña Catalina un crime tout à fait gratuit.

L’inutile et folle expédition de Honduras, que Cortès ne s’attendait guère à trouver si laborieuse, ne dura pas moins de deux années. Le bruit que le conquérant avait succombé dans les inextricables forêts de l’isthme de Téhuantepec s’établit si bien à Mexico, où l’on ne recevait aucune nouvelle de sa main, que ses propriétés et celles des officiers qui l’accompagnaient furent vendues. C’est au moment où la petite armée traversa la province de Goatzalcoalco que doña Marina se trouva en face de sa mère et de son frère, convoqua par Cortès à titre de grands feudataires de la couronne. C’est alors qu’elle se vengea du passé en leur faisant assurer les biens et les litres qu’ils lui avaient ravis. C’est aussi pour la dernière fois que don Bernal nous parle d’elle pour nous faire connaître sa grande et noble action.

Au retour de sa stérile campagne, Cortès s’embarqua enfin pour l’Europe et se rendit à Madrid. Là, comblé d’honneurs par Charles-Quint, il épousa doña Juana de Zuniga, nièce du fameux duc de Béjar. Le conquérant, enivré de l’accueil enthousiaste de ses compatriotes, — « il marchait partout suivi, acclamé comme un roi, » — revint bientôt à Mexico en compagnie de sa jeune femme, afin de procéder à de nouvelles conquêtes. Si grande que fût son ambition, si haut que fût son orgueil, il devait être satisfait.

Et doña Marina? La douce femme semble n’être déjà plus de ce monde, et ceux qui étudient la vie de Cortès s’étonnent, s’attristent même, à l’heure du triomphe, de ne plus la voir à son côté. Ne lui doit-il pas en partie la célébrité qu’il a conquise, les honneurs dont il est accablé, la haute fortune à laquelle il est parvenu? Pendant sa vie, qui fut encore longue et qui devait s’achever dans les amertumes de l’oubli, on ne voit jamais le héros se préoccuper de celle qui a fait de lui un grand d’Espagne, et qu’il eût dû, à son tour, honorer ou faire honorer.

Admirable don Quichotte, parfait chevalier errant à tant d’égards, Cortès, il faut bien l’avouer, ne le fut pas en ce qui touche la fidélité à Dulcinée. On le regrette et, sous la rude écorce du guerrier, sous l’affabilité de l’homme de plaisir, sous la ferveur ardente du chrétien, on aimerait à sentir un peu plus de tendresse, de reconnaissance, d’âme! Qui ne trouverait originale, et digne de ses hauts faits, la page qui, par exemple, montrerait le héros se rendant en Espagne conduisant doña Marina? Plus encore que doña Catalina, dira-t-on, la belle Indienne eût été gauche à la cour! Qui sait? Cortès, si l’on eût voulu emprisonner son corps souple dans un vertugadin, dans les inflexibles rigidités des étoffes de brocart, — alors de mode, — la grâce féline de doña Marina se fût amoindrie. Mais, hardiment présentée sous les plis harmonieux du pittoresque costume de la province dans laquelle elle était née, quel n’eût pas été le succès de la séduisante Indienne? L’expression voluptueuse de ses yeux, son aimable sourire, sa marche ondulante, cadencée, troublante, lui eussent conquis toutes les volontés. N’oublions pas que, vive, intelligente, vaillante, elle n’était nullement inférieure, du moins comme éducation morale, aux femmes espagnoles de la même époque, et que la langue castillane lui était familière. Encore une fois Cortès, se présentant à la cour de Charles-Quint, fièrement appuyé sur doña Marina, semblerait plus grand encore que marié à la noble nièce de duc de Béjar, et ferait certes meilleure figure dans l’histoire.

Laissons ce rêve. Doña Marina, douloureusement résignée, vit-elle apparaître et régner à Mexico la seconde et brillante femme de Cortès ? Vit-elle celui qu’elle ne cessa jamais d’aimer, qu’elle n’accusa jamais, passer près d’elle triomphant sans la reconnaître? Autant de questions auxquelles on ne peut répondre d’une façon précise. Ce qui est, certain, c’est que la jeune femme vécut dans la retraite, loin de la petite cour dont elle avait été un moment la reine, puis qu’elle retourna dans son pays.

On a beau savoir que ceux qui souffrent sont importuns pour les heureux, on voudrait des exceptions, et le complet abandon de Cortès pèse sur sa mémoire. Nul ne pardonne à l’ambitieux qui brisa tant de vies humaines d’avoir désolé ce cœur de femme, de s’être montré ingrat. Tous ses historiens le justifient avec chaleur de la mort de doña Catalina, aucun n’a élevé la voix pour le disculper de l’abandon de doña Marina. Si, pourtant: un d’eux, un seul, a fait une allusion déplaisante au mariage de la jeune femme, que les écrivains mexicains n’ont accepté que comme un sacrifice, puisque les deux époux n’habitèrent jamais ensemble.

D’ailleurs le silence qui s’est fait autour de doña Marina, et qui laisse indécise jusqu’à l’époque de sa mort, est une réponse et prouve dans quelle profonde et modeste retraite elle vécut. Mariée à un noble écuyer, ayant pour amis tous les officiers de Cortès, lesquels, aussi bien que leur chef, lui devaient en partie leur fortune, le silence ne se serait pas fait d’une façon aussi absolue autour de la belle jeune femme si elle ne l’eût volontairement cherché. J’ai parlé de La Vallière, et c’est véritablement à l’humble sœur Louise de la Miséricorde qu’il faut la comparer dans les dernières années de sa vie, en tenant compte, bien entendu, de la différence des milieux. Les milieux diffèrent, mais le cœur est un; il a partout les mêmes instincts et, en amour, ce sont partout les mêmes blessures qui le font saigner, se désespérer, pâtir.

Au résumé, l’oubli n’a pas plus voulu de la maîtresse du conquérant du Mexique qu’il n’a voulu de La Vallière, et doña Marina est aujourd’hui aussi vivante, plus vivante peut-être que Cortès. Sa beauté, sa grâce, son amour, son humanité, l’ont rendue immortelle. Que de vers espagnols la célèbrent, parlant de ses nobles qualités, de son amour désintéressé, de son héroïsme, de son expiation, et combien de légendes indiennes nous. la montrent tendre, charitable, dévouée ! Son ombre, dans les parties du Mexique qu’elle a traversées, plane au-dessus de toutes les sources, au-dessus de toutes les fontaines, apparaît assise à l’entrée de toutes les grottes, souriante, les mains pleines de fleurs. Elle est fleur elle-même, elle est oiseau, elle est brise, elle est parfum, elle est murmure. Quel Indien, aux heures crépusculaires, ne l’a vue se dessiner au sommet d’une colline, au milieu des rayons du soleil levant ou couchant, ou errer sous l’ombrage des cèdres séculaires qui la virent autrefois passer? c’est une figure aimable, bienfaisante, dont nul ne redoute l’apparition, car elle ne se montre aux heureux que pour leur sourire, aux malheureux que pour les consoler. C’est dans les replis de la Cordillère qu’elle aime à se promener, autour de la haute montagne qui porte son nom.

Elle est, au dire de ceux qui croient l’avoir le mieux vue, toujours parée de son huépil blanc brodé de fils rouges qui laisse deviner ses formes pures, et ce sont aussi des orchidées rouges qui se mêlent d’ordinaire aux tresses de sa luxuriante chevelure. Parfois elle se tient assise sur un rocher, effeuillant des roses moussues, — ces fleurs dont tous les Indiens sont amoureux, — au-dessus d’une eau fuyante ; parfois elle se tient debout sur un sommet, et ses cheveux dénoués flottent au gré du vent. C’est surtout, je le répète, dans les vapeurs matinales, parmi l’or, la pourpre, la nacre et l’opale qui teignent le ciel à l’heure où le soleil va surgir, ou dans les brumes éblouissantes qui suivent le coucher de l’astre, que la cherchent ceux qui veulent l’implorer. Ce n’est pas une fée, ce n’est pas une ondine, ce n’est pas une dryade; c’est une âme en peine qui visite les lieux où elle a aimé, où elle a souffert. Elle est la grâce, le charme, la bonté, la poésie, la tendresse, la constance, et ce n’est pas un médiocre éloge pour une Mexicaine que de s’entendre dire, par celui qui l’aime, qu’elle est douce, belle, gracieuse comme le fut doña Malina.

Revenons à la prose, c’est-à-dire à la stricte vérité historique. La belle maîtresse de Cortès est, à coup sûr, aussi bien dans le passé que dans le présent, la plus intéressante figure de femme du Nouveau-Monde, où les héroïnes sont rares. Il y a dans cette fine silhouette, physiquement, sinon moralement, un vague, une demi-teinte, qui, je le répète, tiennent moins au temps écoulé qu’au manque de détails précis. En revanche, le caractère à la fois énergique et doux, tendre et passionné de la séduisante Indienne est nettement accentué. J’ai donné à l’histoire de doña Marina toute la précision compatible avec la vérité ; mais le milieu étrange où elle se meut, et surtout le costume peu familier et difficile à décrire dont j’ai dû la laisser vêtue, nuisent peut-être plus qu’ils n’aident à la juste vision de sa grâce et de sa personne, sans qu’il soit possible d’y remédier. Au résumé, si hardie que soit l’œuvre de restauration que j’ai essayé de réaliser, l’heure était venue de la tenter. Le monde marche, transforme, efface de plus en plus le passé. Encore quelques années, et il deviendrait impossible de montrer, dans le fait de la conquête du Mexique, cet élément obligatoire de tous les grands événemens humains, et, dans le cas présent, tout à fait négligé jusqu’ici : la femme.

Le lieu et la date de la mort de doña Marina sont inconnus, mais tout démontre qu’elle mourut jeune. Elle ignora toujours, sans doute, les tristes déceptions de Cortès lors de son second voyage en Espagne, où la cour et la nation s’occupaient de Pizarre et se souvenaient à peine de celui qui lui avait ouvert les voies. En 1562, époque à laquelle don Martin-Cortès fut, avec ses frères de naissance légitime, accusé de vouloir changer la forme du gouvernement de la Nouvelle-Espagne, et soumis à la torture, doña Marina n’apparaît pas. Si elle eût encore vécu à cette date, — elle n’aurait eu que soixante ans, — la noble femme, à défaut de Cortès déjà mort, serait certainement accourue défendre sa chair. Elle eût rappelé aux bourreaux que le sang qui coulait dans les veines de celui qu’ils martyrisaient injustement était le sang de deux êtres qui avaient donné à l’Espagne tout un monde, le sang d’Hernand Cortès et de son héroïque et tendre amie : doña Malina !


LUCIEN BIART.

  1. Cortès, ne l’oublions pas, relevait hiérarchiquement du gouverneur de Cuba. Nommé par lui chef de la flottille qui devait explorer les côtés du continent américain et tenter d’y fonder un établissement, le futur conquérant, au moment de partir, se vit brusquement révoquer. Au lieu de se soumettre, Cortès, sûr de ses officiers et de ses soldats, se hâta de prendre le large. Velasquez, furieux, envoya plus tard contre le rebelle don Panfilo Narvaez, lequel se fit battre. De là, une haine et une jalousie qui ne s’éteignirent qu’avec la vie du malheureux don Diego.