Une Page de l’histoire des Mormons

Une Page de l’histoire des Mormons
Revue des Deux Mondes4e période, tome 131 (p. 845-879).
UNE PAGE
DE
L’HISTOIRE DES MORMONS

I. Documens recueillis sur les lieux, par l’auteur, en novembre 1875. — II. The Lee Trial, an expose of the Mountain Meadows Massacre. Salt Lake City, Utah. Tribune Printing Company, Publishers, 1875. — III. The History of the Pacific States, vol. XXVI, History of Utah. Bancroft Works in 39 vols., in-8o. With maps and illustrations. The History Company, publishers. San Francisco. — IV. Brigham’s Destroying angel, New-York : Geo. A. Crotutt, publisher, 1872. — V. Tell it all. by Mrs. T. B. H. Stenhouse. Hartford, Conn. : A. O. Worthington et C°, 1874.

Bien qu’aujourd’hui presque ignoré en Europe, le mormonisme n’a pas disparu, et ce n’est pas la chose la moins curieuse de notre époque que l’éclosion dans le premier quart de ce siècle et le maintien jusqu’à l’heure actuelle, aux États-Unis, de cette religion pleine d’analogies bizarres avec une secte apparue il y a plus de trois siècles déjà, mais morte, noyée dans le sang, au bout de peu d’années.

Notre objet, ici, n’est pas de faire une étude des institutions des Mormons, ni de comparer leurs doctrines à celles des sectaires jadis enrôlés sous la bannière de Jean de Leyde, cet hôtelier qui, après s’être joint aux anabaptistes, devint le chef d’une Eglise qu’il appela la Nouvelle Sion, — nom que les Mormons ont aussi donné à la leur, — et qui, comme Brigham Young, institua la polygamie chez ses sectateurs. Nous ne voulons pas, non plus, mettre en balance avec les atrocités commises sous l’inspiration des passions religieuses, à Munster, à Zwickau, au XVIe siècle, — ou ailleurs, à d’autres époques, — ce qui s’est passé de l’autre côté de l’Atlantique, au XIXe siècle. Nous voulons seulement retracer les péripéties d’un sombre drame qui émut violemment l’opinion publique aux États-Unis, lorsque la nouvelle s’en répandit et lorsqu’on poursuivit les coupables, pensant que ces quelques pages d’histoire aideront à faire connaître certains dessous, en général peu connus, d’une organisation religieuse, politique et sociale assurément fort étrange au temps actuel, et qu’elles permettront de juger une croyance ayant tenu dans un si avilissant servage ceux qui y sont affiliés, que des Mormons ont pu, sans hésitation, sur un signe, aller jusqu’au meurtre ou couvrir, par leur silence, les crimes dont leurs frères s’étaient rendus coupables.


I

En l’année 18S7, l’Utah était un territoire isolé du monde et traversé seulement, de loin en loin, par de rares émigrans se rendant dans l’Ouest. Habité presque exclusivement par quelques tribus d’Indiens et par les Mormons, il se trouvait entièrement dans les mains de ces derniers.

Cette sorte de prise de possession s’était opérée tout naturellement. Brigham Young[1], en 1848, lorsqu’il avait amené sur les bords du lac Salé les Saints du dernier jour[2], fuyant ce qu’il leur plaisait d’appeler les persécutions des gentils[3], avait été élu par ses coreligionnaires gouverneur de l’État qu’ils avaient, sous le nom de Deseret[4], organisé dans cette région qui dépendait alors du Mexique. L’année suivante les États-Unis étaient devenus possesseurs du pays, par suite de la cession qui leur en avait été faite. Ayant refusé de reconnaître le nouvel État, le congrès l’avait constitué en territoire en 1850, mais Brigham Young avait été maintenu dans ses hautes fonctions par Millard Fillmore qui, d’abord vice-président des États-Unis, venait de remplacer le président Taylor, mort le 9 juillet 1850. Fillmore avait commis une lourde faute, car avec l’appui du gouverneur, l’organisation politique et judiciaire, établie conformément aux lois des États-Unis, avait, au bout de très peu de temps, en raison même des principes fondamentaux du Mormonisme, fini par se confondre avec l’organisation religieuse. A plusieurs reprises le gouvernement fédéral avait tenté de faire respecter son autorité méconnue, mais sans succès, en 1854, par exemple, quand fut envoyé un corps de troupes commandé par le colonel Steptoe, nommé gouverneur en remplacement de Brigham Young. De guerre lasse, on avait laissé les choses suivre leur cours, si bien qu’au mois de février 1856 la population, excitée par ses prédicateurs, s’était ameutée, avait violenté les magistrats et forcé tous les fonctionnaires du gouvernement fédéral à quitter le Territoire.

A cette même époque, la Réforme prêchée par Brigham Young et les chefs de l’Église. de Jésus-Christ des Saints du dernier jour, était, dans l’Utah, accueillie avec grande faveur par le plus grand nombre, et la polygamie[5] était en passe de devenir un article de foi. Simultanément, les plus effroyables théories se faisaient jour : Young dans le Tabernacle, les Apôtres, les Evêques, les Anciens tels que Jedediah M. Grant et Heber C. Kimball, ouvertement dans leurs sermons, préconisaient l’expiation par le sang, comme le châtiment mérité de certains crimes, tels que la divulgation des secrets de l’Eglise ou l’apostasie. Ils s’appuyaient, pour convaincre les fanatiques sectateurs de Joseph Smith[6], sur des exemples tirés de l’Ancien Testament et citaient les cas où les jeunes hommes d’Israël avaient servi le Seigneur en versant le sang de ses ennemis. Ils rappelaient qu’un certain nombre d’Israélites s’étant soulevés contre Moïse, ceux qui lui étaient restés fidèles les avaient exterminés ; Jahel avait frappé à mort Sisara qui commandait les troupes du roi d’Asor ; Aod avait tué Eglon, roi des Moabites, qui avait asservi les Juifs ; et Athalie, ayant usurpé le pouvoir, avait été massacrée sur l’ordre du grand-prêtre Joad. De tels enseignemens avaient porté leurs fruits et c’était sans en faire mystère qu’on parlait de l’existence, — connue autrefois des élus seulement, — de ces Anges Destructeurs ou Danites[7] qui avaient pour mission de punir de mort toute offense aux Saints ou à la religion.

Telle était la situation vers le milieu de 1857, quand la nouvelle se répandit dans l’Utah, que depuis le mois de juin, le gouvernement fédéral avait suspendu le service des dépêches entre le Territoire et les États de l’Est, et qu’un corps de l’armée des États-Unis était envoyé pour rappeler les Mormons au respect des lois établies et installer un gouverneur, que venait de nommer le président des États-Unis, Buchanan. Une effervescence considérable se manifesta aussitôt. Des meetings s’organisèrent, et, tandis que les uns ne parlaient de rien moins que de faire le vide devant l’ennemi, de brûler les villes, les villages, les fermes, et de fuir dans les montagnes, les autres, inspirés par Brigham Young, s’efforçaient de faire triompher les idées de résistance et de lutte à outrance.

Sur ces entrefaites, vers le commencement de septembre, une troupe d’environ 120 émigrans, hommes, femmes et enfans, qui avaient abandonné l’Arkansas pour aller chercher des terres plus fertiles en Californie et s’y établir, pénétrait dans l’Utah.

Jamais convoi mieux organisé n’avait franchi les Montagnes Rocheuses. Il se composait d’une trentaine de ces lourds chariots couverts d’une bâche en toile, attelés de six ou quelquefois de huit paires de bœufs, tels que les connaissent bien tous ceux qui ont parcouru les prairies. Les émigrans, pour la plupart, étaient des gens aisés et ils poussaient devant eux un troupeau de quatre à cinq cents têtes de bétail. Le bon ordre, depuis le premier jour, n’avait cessé de régner dans la colonne, qui faisait halte chaque dimanche, la journée étant consacrée au repos et à la prière dite par un ancien pasteur méthodiste qui faisait partie de la troupe. Les difficultés rencontrées n’avaient pas été trop grandes, mais la traversée des solitudes du Far-West avait durement éprouvé hommes et bêtes, partis depuis trois mois déjà; et en atteignant la région du lac Salé, les émigrans se disaient avec joie qu’ils allaient se trouver au milieu de gens de leur race et non seulement pouvoir donner un peu de repos à leurs animaux, mais aussi renouveler leurs provisions pour la longue route qui leur restait à parcourir.

S’arrêtant sur la rive droite du Jourdain, — qui amène dans le grand lac Salé les eaux du lac Utah, — ils y dressèrent leurs tentes, puis, quelques-uns se dirigèrent vers Salt Lake City, la capitale du Territoire, pour y acheter des vivres. A leur stupéfaction, non seulement les habitans refusèrent d’entrer en communication avec eux, mais l’ordre formel fut intimé au convoi de lever le camp et de poursuivre son chemin. Rien ne pouvait motiver une pareille conduite, ni une pareille exigence. L’abondance régnait dans la région ; la récolte venait d’être rentrée ; il était en outre du devoir du gouverneur Brigham Young de protéger ces émigrans respectueux observateurs des lois, qu’ils voulussent s’établir dans le pays ou qu’ils ne fissent que le traverser.

Forcés de se remettre en marche, les malheureux Arkansais suivirent la côte est du lac Utah pour tourner ensuite à l’ouest et se diriger vers Los Angelos, en Californie. Ils traversèrent un nombre assez considérable d’établissemens dans un état florissant; ils passèrent successivement à American Fork, Battle Greek, Provo, Springville, Spanish Fork, Payson, Salt Creek et Fillmore. Partout ils demandèrent à acheter des vivres et du fourrage, offrant de payer ce qui serait exigé; ils se heurtèrent partout à des refus brutaux et grossiers. Personne ne voulait communiquer avec eux, ni leur vendre quoi que ce fût; un mot d’ordre avait été donné que nul n’osait enfreindre. Il se trouva, cependant, trois ou quatre Mormons, moins fanatiques, ou plus charitables et plus braves, ou plus avides de gagner de l’argent, qui, furtivement la nuit, s’introduisirent dans le camp avec le peu de vivres qu’ils pouvaient porter sur leurs épaules. Ce fut tout ce que purent se procurer les émigrans jusqu’à leur arrivée à la Corn Creek, où ils dressèrent leurs tentes proche de celles de quelques Indiens Pah-Vants qui, plus généreux que les blancs, consentirent à céder une trentaine de bushels de grain. Le bushel ne représente guère que 36 litres 1/4; c’était une quantité bien minime; d’autre part, il devenait urgent de trouver du fourrage pour le bétail et les animaux de trait. Le chef de la milice de l’Utah du sud, que les émigrans rencontrèrent à la Corn Creek et auquel ils demandèrent avis, leur conseilla de se rendre aux Mountain Meadows.

Suivant la direction indiquée, ils passèrent à Beaver, à Parowan, dont l’entrée leur fut refusée, et contraints, par suite, d’abandonner la route tracée, ils passèrent à l’ouest du fort, et vinrent camper sur les bords de la rivière. Là encore, ils s’efforcèrent vainement de s’approvisionner.

A Cedar City, qu’ils atteignirent le lendemain, ils furent autorisés à acheter cinquante bushels de blé provenant de la dîme payée à l’Eglise, mais c’était absolument insuffisant pour les 70 jours de route qu’ils avaient encore à parcourir, et la perspective de périr par la famine, avant d’atteindre San Bernadino, en Californie, menaçait de s’affirmer inéluctable. Les attelages étaient si épuisés qu’il fallut trois jours au convoi pour parcourir les 32 kilomètres qui séparent Cedar City de Iron Creek et deux jours pour faire les 24 kilomètres que l’on compte de Iron Creek aux Mountain Meadows. Enfin, les émigrans atteignirent cette vallée où, trouvant du fourrage en abondance, ils décidèrent de faire un long séjour. Ils se croyaient, pour un temps au moins, au bout de leurs épreuves et ne se doutaient pas du sort qui leur était réservé.

Vers le 7 septembre, dans la matinée, sans que rien eût pu les mettre sur leurs gardes, ils étaient assaillis par une décharge qui leur tuait sept hommes et en blessait une quinzaine. Frappés d’effroi, les survivans jettent les yeux autour du camp et se voient cernés par une troupe nombreuse d’Indiens Yutes. Bravement, ils se préparent à se défendre. Ils forment rapidement une enceinte circulaire avec leur chariots, — ce que dans l’ouest on appelle un corral, — et tout autour, creusant la terre qu’ils rejettent en avant, jusqu’à la hauteur des moyeux des roues, ils construisent un retranchement, derrière lequel ils subissent jusqu’au soir, sans plus de dommage, le feu de leurs assaillans.

Déçus dans leur espoir de venir aisément à bout du convoi, les Indiens, pendant la nuit, dépêchent un courrier à Cedar City pour prévenir le major John D. Lee[8], alors sous-agent du gouvernement auprès des Indiens, dans le district de l’Utah Sud. Ce misérable, à la suite d’un conseil tenu à Parowan, précisément le jour où le convoi passait près de cette localité, conseil auquel assistaient le grand prêtre mormon de l’Utah Sud, Isaac C. Haight, le colonel de la milice. Dame, et l’apôtre George. A. Smith, avait assemblé tous les Peaux-Rouges de la région; il leur avait suggéré l’idée d’attaquer le convoi, espérant qu’il n’y aurait pas de résistance, que tous les émigrans seraient tués et que le bruit se propagerait que les Indiens avaient été les seuls auteurs du massacre. Ce plan féroce devait être, en partie du moins, déjoué par la bravoure des Arkansais.

Cependant le régiment de la milice du Iron County, connu sous le nom de la Légion de Nauvoo, avait dès l’issue de la réunion tenu à Parowan, en prévision des événemens, reçu l’ordre de se préparer à marcher armé et équipé conformément à la loi. Aussitôt qu’il est avisé de la résistance des émigrans, John D. Lee dirige sur les Mountain Meadows les miliciens qu’il a réunis, auxquels il a dit que le convoi a été massacré par les Indiens et qu’on a besoin de la légion pour ensevelir les victimes. — Il se trouve un seul homme assez crédule pour venir avec une pelle : on lui demande ce qu’il a fait de son fusil et on le renvoie en le traitant d’imbécile. Lorsque le régiment arrive à proximité du lieu du combat, les chefs, immédiatement, se rendent compte du danger qu’offrirait un assaut et de la nécessité de recourir à un siège en règle; mais ils ne sont pas inquiets, ils tiennent pour certain que, dénués d’eau, réduits à leurs propres ressources comme vivres, les Arkansais seront, à bref délai, forcés de se rendre. Quant à ceux-ci, ils ne se doutent pas encore des ennemis aux- quels ils ont affaire; ils pensent que ce ne sont que des Indiens, dont l’agression, bien que sans motif, n’est pas pour les surprendre outre mesure; ils ne se doutent pas que, mêlés aux Yutes, aux Soshones, il y a des blancs peints et vêtus comme ces Peaux-Rouges et qui, comme ces Peaux-Rouges, attendent impatiemment le moment de les égorger.

Bientôt la soif commence à se faire sentir dans le corral, et les Arkansais, dans l’espoir de toucher les cœurs de leurs sauvages ennemis, se hasardent à envoyer au puits voisin deux jeunes filles vêtues de blanc. A peine ont-elles fait quelques pas, qu’elles tombent mortellement frappées. Les assaillans font bonne garde ; un certain nombre, le doigt sur la détente, sont toujours prêts à saluer d’une balle de leur rifle quiconque se risquerait à se montrer hors de l’abri du retranchement, tandis que les autres, comme pour insulter aux angoisses des assiégés, occupent leurs loisirs, bruyamment, à jouer au palet, jeu fort en honneur chez les Indiens. Chez les émigrans alors, on agite la question de savoir s’il ne serait pas préférable de s’ouvrir un passage de vive force ; mais on y renonce promptement en songeant aux outrages, aux tortures que les Peaux-Rouges, s’ils sont victorieux, feront subir aux femmes, aux enfans, avant de les massacrer, de les scalper, et on finit par décider qu’on tiendra dans le retranchement jusqu’à la dernière extrémité avant de tenter une sortie désespérée.

Et pendant ce temps, John D, Lee s’inquiète, il redoute que le siège ne traîne en longueur ; il pense qu’il est urgent d’en finir ; il redoute que, la nouvelle de ce qui se passe venant à se répandre, les consciences ne se réveillent, peut-être, malgré la crainte qu’inspirent les hauts dignitaires de l’Eglise et n’exigent la délivrance du convoi. Il s’avise alors d’un exécrable stratagème.

Soudain, les assiégés voient s’avancer vers eux un groupe d’individus, en armes, au-dessus desquels flotte le drapeau américain : ils grimpent sur le retranchement, ils poussent des cris de joie, ils acclament leurs libérateurs! La petite troupe fait halte à quelque distance du corral ; un homme se détache qui déploie un fanion blanc, c’est John D. Lee : il pénètre dans le retranchement et dit aux assiégés qu’il vient leur parler en ami ; que les Peaux-Rouges sont exaspérés de certains actes commis par les émigrans; et que rien ne pourra calmer la fureur des sauvages que l’abandon des approvisionnemens, des armes, du bétail. Il insiste pour que les Arkansais se soumettent à ces conditions et promet à ce prix sa protection, celle des Mormons et de leur milice.

Ces propositions étonnent les assiégés. Quelques-uns se demandent pourquoi ce chef d’un régiment qui s’abrite sous le drapeau des États-Unis, vient à eux. Américains aussi, avec un fanion blanc comme s’il avait affaire à des ennemis. Mais d’autres sont d’avis qu’il n’y a pas de choix, qu’il faut accepter les conditions posées, que tout vaut mieux que risquer de laisser à la merci des Peaux-Rouges les femmes et les enfans. Après une longue délibération, les émigrans se décident à mettre bas les armes. John D. Lee dicte les termes de la capitulation : les blessés, les enfans en bas âge, les armes seront placés dans les chariots et passeront devant la front de la troupe ; les femmes et les enfans plus âgés suivront à pied, et à petite distance, derrière, viendront les hommes valides, marchant deux par deux.

Toutes choses ainsi réglées, la colonne ne tarde pas à se mettre en mouvement: la première portion défile devant la milice rangée en bataille, puis la seconde, et quand arrivent les hommes valides l’ordre leur est donné de se mettre en file et près de chacun se place un soldat, le fusil chargé.

Au bout de 800 mètres, la tête de colonne arrive à l’embuscade où sont cachés les Indiens et des Mormons déguisés en Peaux-Rouges qui ont pour mission de massacrer les blessés, les femmes, les enfans assez âgés pour donner lieu de craindre qu’ils puissent garder le souvenir du drame qui va se dérouler et le raconter un jour. Le commandement : Halte! se fait entendre. À ce signal, chaque milicien tire sur l’homme auprès duquel il est placé. Les Indiens, bondissant hors des buissons, poussant des clameurs sauvages, égorgent les blessés, les femmes et les enfans. Des cris d’épouvante, de douleur, mêlés aux supplications, aux prières, déchirent l’air. L’effroyable boucherie ne se ralentit pas. Dans la confusion du premier moment, quelques-uns cherchent à se dérober, les assaillans les poursuivent. A nul il n’est fait grâce. Deux jeunes filles sont reprises à 400 ou 500 mètres de distance et sont égorgées avec des raffinemens de cruauté inouïs; une autre, traînée derrière les buissons, subit les derniers outrages avant de recevoir le coup de bowie-knife que lui ouvrira la gorge d’une oreille à l’autre. Il n’y a d’épargnés, — encore plusieurs ont-ils été blessés dans les bras de leur mère, frappée mortellement, — que 17 petits enfans, trop jeunes pour pouvoir plus tard se rien rappeler, et tandis que quelques-uns des meurtriers portent ces pauvres orphelins dans un ranch voisin, les autres dépouillent les corps des victimes ou donnent la chasse au petit nombre d’hommes déterminés qui, sentant toute résistance vaine, ont fini par se frayer un passage. Deux de ces hommes sont tués alors qu’ils cherchent à étancher dans un ruisseau encaissé, coulant à quelque distance et où ils se croyaient momentanément à l’abri, la soif qui les dévore. Trois autres ont fui dans la direction de l’ouest; des Indiens montés se jettent sur leurs traces, ne tardent pas à les rejoindre et les massacrent comme leurs compagnons.

L’œuvre de mort terminée, — il avait suffi d’une demi-heure, — les Indiens se dispersèrent, tandis que les troupes de la milice reprenaient la route des localités d’où elles avaient été amenées, abandonnant les cadavres, nus, sans distinction d’âge ni de sexe, pour servir de proie aux loups ou pourrir sur place et, quinze jours plus tard, des gens qui passaient près du lieu du massacre frissonnaient d’épouvante devant le spectacle qui s’offrait à leurs yeux: sur un espace de plus d’un kilomètre carré, on voyait dispersés des débris informes en partie dévorés, à côté d’ossemens d’adultes et d’enfans, de têtes de femmes dont les cheveux épars demeuraient accrochés aux buissons. Détail singulier, le corps d’une jeune fille qu’une balle avait frappée un peu au-dessous du cœur et qui semblait dormir tant son visage respirait le calme, gisait seul à l’écart, intact, respecté par le temps et par les fauves.

Le partage du butin s’effectua rapidement. Aux Peaux-Rouges furent laissés les vêtemens ensanglantés et déchirés dans la lutte, les munitions ainsi que la petite quantité de vivres trouvés. Le reste fut divisé entre les Mormons, après que la dixième partie en eut été mise de côté pour l’Eglise ou plutôt pour Brigham Young. Un dixième du bétail fut ainsi immédiatement dirigé sur Salt Lake City où il fut vendu au profit du Président. Quant à ce qui constituait la part prélevée pour lui, sur les autres objets pillés, on le rangea dans les magasins destinés à recevoir la dîme perçue sur tout ce qui était produit ou vendu dans l’Utah, conformément à la loi mormonne, et, trois mois après, tout cela fut mis aux enchères. Nombre de femmes purent, par la suite, se parer de bijoux acquis à cette vente et, en manière de plaisanterie, les initiés, qui connaissaient l’origine de ces bijoux, disaient, lorsqu’il y était fait allusion, qu’ils provenaient du siège de Sébastopol. Officiellement, pour sa part, John D. Lee reçut environ 250 têtes de bétail. Marqués au fer rouge, à sa marque, ces animaux allèrent grossir son troupeau sur son ranch. On ne sut jamais ce qu’étaient devenus l’or et l’argent que les émigrans possédaient, avec lesquels ils comptaient acheter des terres en Californie. Il semble bien probable que l’homme qui leur imposa les conditions auxquelles, en face d’une mort imminente, ils furent contraints de se soumettre, dut, sur ce point, savoir quelque chose de précis; mais il ne laissa jamais rien échapper qui pût le faire supposer. Brigham Young lui avait, sans doute, commandé le silence à cet égard, comme il le commanda à l’égard du massacre à tous ceux qui y avaient pris part, leur interdisant même de s’en entretenir entre eux ; et tel était le respect qu’inspiraient les ordres du Président que, — chose à peine croyable, — des gens qui habitaient non loin des Mountain Meadows, non seulement ne connurent jamais les détails du drame, mais n’apprirent le fait lui-même que par la vague rumeur qui en circula.

D’ailleurs, si, en dépit de la terreur qui faisait courber tous les fronts, cette effroyable boucherie excita sur le moment, une certaine émotion, le chiffre inusité des victimes, seul, en fut cause, car aussi bien antérieurement qu’à l’époque même, nombre de meurtres, également abominables, avaient été où étaient presque journellement perpétrés sous l’inspiration de Young et des sommités de l’Eglise, principalement par un certain Bill Hickman, alors à la tête des Danites et qui successivement devint shériff et représentant de l’un des comtés, répartiteur et collecteur des taxes, et enfin marshal[9].

Quoi qu’il en ait été, quelques jours s’étaient à peine écoulés que survenaient des motifs de préoccupation suffi sans pour faire oublier à chacun, dans l’Utah, tout ce qui ne le touchait pas directement. Les troupes fédérales, fortes de 2 500 hommes, dont on avait annoncé l’arrivée prochaine, étaient signalées et on racontait que le colonel Harney, qui les commandait, disait hautement que parmi les principaux Mormons, il y avait plus de trente individus qu’il ferait pendre, aussitôt pris, sans autre forme de procès. Incontinent, Brigham Young, en tant que gouverneur, lança une proclamation dans laquelle il traitait les soldats de l’armée américaine de gens sans aveu, leur interdisait l’entrée de l’Utah, et appelait tous les hommes valides à la défense du Territoire.

L’armée fédérale atteignit la Green River dans les premiers jours d’octobre, franchit ce cours d’eau, et harcelée par des partis ennemis d’une audace extrême qui, en deux fois, lui enlevèrent deux convois et plus de 800 têtes de bétail, elle gagna la Ham’s Fork pour se diriger sur Bridger, situé à environ 40 kilomètres au sud. Pendant ce temps, le gros des contingens de la milice s’établissait solidement de façon à barrer le passage du Echo Cañon, au fond duquel coule la Weber qui se jette dans le grand lac Salé; c’était le seul point à l’ouest par lequel il fût possible de pénétrer dans l’intérieur. Le commandant des troupes fédérales, contraint, par suite, de changer son plan primitif, prit alors la résolution de gagner par le nord, en pays ouvert, la vallée du Salt Lake. Mais le froid fit subitement son apparition, — on était à la mi-novembre. — Une neige abondante commença à tomber, et le colonel A. S. Johnston, qui venait d’être nommé à la direction des opérations, en remplacement de Harney rappelé dans le Kansas, dut se résoudre à faire prendre ses quartiers d’hiver à l’armée des États-Unis.

Le 27 novembre, le nouveau gouverneur, Alfred Cumming, déclarait le Territoire en état de rébellion, et Brigham Young, tout en faisant travailler activement à achever l’armement et l’équipement des milices, à compléter les ouvrages de défense, répondait en ordonnant aux habitans de Salt Lake City et de la région nord de l’Utah de rassembler tout ce qu’ils possédaient et d’émigrer vers le sud.

Cette mesure était pour faire réfléchir et donnait lieu de penser que les Mormons ne négligeraient aucun moyen de résistance. La situation semblait donc se compliquer, quand un peu avant la fin de l’hiver, les affaires prirent une tournure plus pacifique, grâce à l’intervention de Thomas L. Kane, de Pennsylvanie, venu à Salt Lake City par la voie de Californie, apportant des lettres de Buchanan, président des États-Unis. Thomas Kane se rendit de Salt Lake City au Fort Bridger, près duquel se trouvait, sur la Black’s Fork, le colonel A. S. Johnston, puis à Washington, et vers la fin de mai 1858 deux délégués, le gouverneur Powel, du Kentucky, et Ben Mac Cullough arrivèrent porteurs de paroles de paix et promettant, au nom de Buchanan, le pardon à tous ceux qui feraient leur soumission immédiate.

Brigham Young et les principaux membres de l’Eglise tinrent conseil et décidèrent d’accepter les conditions offertes. Le colonel Johnston vint alors camper à une petite distance à l’ouest de la capitale et fit savoir que, si les habitans ne rentraient pas sans délai, il ferait occuper militairement les édifices et les maisons. Les habitans de la ville comme ceux du nord du Territoire se trouvaient à environ 80 kilomètres au sud dans la vallée d’Utah; le président Young commanda à chacun de rentrer chez soi; on obéit et l’armée fédérale s’établit sur la rive ouest du lac Utah, à environ 55 kilomètres au sud de Salt Lake City, dans une localité qui prit le nom de camp Floyd. Le calme ainsi rétabli, le gouverneur Alfred Cumming put enfin être installé dans ses fonctions, et de nouveaux juges, un nouveau marshal, furent nommés.


II

On eût été autorisé à penser qu’un ordre de choses régulier étant ainsi constitué dans l’Utah, la justice pourrait désormais agir, le cas échéant. Les gens qui se bercèrent de cette illusion furent tôt détrompés, et Cradlebaugh, l’un des nouveaux juges, ne tarda pas à acquérir par lui-même la preuve que tout son zèle serait inutile et se briserait contre l’organisation religieuse à laquelle présidait Brigham Young.

La peur, qui, jusque-là, avait tenu toutes les bouches hermétiquement closes, s’était en partie dissipée et, chez les saints du dernier jour eux-mêmes, on commençait à chuchoter des choses sur lesquelles, jadis, on eût redouté d’arrêter seulement la pensée. Ce fut ainsi que, peu de temps après que Cradlebaugh eut pris possession de son siège de juge de district, divers bruits arrivés à ses oreilles et quelques avis indirects qui lui parvinrent lui donnèrent lieu de supposer qu’un certain nombre d’assassinats commis récemment et le massacre des Mountain Meadows dont le secret avait fini par transpirer, avaient été ordonnés par quelque haut dignitaire de l’Eglise, qui devait en être tenu pour responsable. Décidé à remplir les obligations qui lui incombaient, Cradlebaugh ordonna au mois de mars 1859, c’est-à-dire dix-huit mois après le massacre, une enquête judiciaire, et convoqua le Grand Jury à Provo, petite ville située sur la côte est du lac Utah.

Un certain nombre de personnages, occupant des situations élevées dans la hiérarchie de l’Eglise, se trouvèrent impliqués dans l’affaire de la façon la plus grave ; mais les jurés, appartenant tous au mormonisme et tenus par leurs sermens de ne jamais se prêter à des poursuites exercées contre un de leurs frères, devant une cour de Gentils, refusèrent de prononcer la mise en accusation, ce qui arrêta court l’action de la justice[10]. Après avoir vainement tenté, durant deux semaines entières, d’amener les jurés à une plus juste appréciation de leur devoir, Cradlebaugh dut les renvoyer, mais non sans une virulente apostrophe : «Si vous vous attendez, leur dit-il, à ce que cette Cour vous protège, vous et vos frères, contre les agissemens dont vous seriez victimes du fait des Gentils ou des Indiens, cette attente ne se réalisera pas tant que vous n’aurez pas puni les assassins cachés parmi vous! Quand vous serez revenus à la raison, quand vous serez disposés à châtier ces grands criminels, alors il sera temps de vous protéger et de faire application de la loi en votre faveur ! »

Du conflit ainsi engagé entre les autorités fédérales et les autorités territoriales de l’Utah, il résulta qu’il devint impossible de faire dans ce territoire une enquête sur un crime du ressort d’un grand jury, ni d’en poursuivre les auteurs avec chance d’aboutir. Cette situation dura quinze années.

Pareil fait pourra surprendre ceux qui ne savent pas combien les Américains sont respectueux envers les choses établies, et quelle est, en particulier, leur vénération pour la Constitution. C’est là un point qui mériterait de fixer l’attention de certains de nos démocrates. Ne considérant que le haut degré de prospérité atteint par la République des Etats-Unis, ils paraissent avoir négligé d’étudier comment ses illustres fondateurs ont compris la liberté et su imposer d’étroites limites aux tentatives de modifications dont la nécessité n’aurait pas été démontrée ou qui n’auraient pas pour unique objet le bien de l’Etat. Se doutent-ils seulement que, pendant plus de soixante ans, de 1804 à 1863, pas un amendement à la Constitution ne passa, et qu’il fallut la guerre de Sécession pour que celui qui consacrait l’abolition de l’esclavage fût adopté (18 décembre 1865)? Savent-ils que, pour devenir partie de la Constitution, il faut qu’un amendement, proposé en vertu d’une résolution du Sénat et de la Chambre des Représentans des Etats-Unis, assemblés en congrès, et les deux tiers de chaque Chambre étant d’un commun avis, soit proposé aux législatures des différens Etats, comme amendement à la Constitution des États-Unis, et qu’il soit ratifié par les trois quarts des susdites législatures?

Un acte du Congrès[11], devenu exécutoire le 23 juin 1874, permit enfin à la justice de reprendre son action dans l’Utah: cet acte investissait le district attorney pour les Etats-Unis, dans ce territoire, du droit de provoquer les poursuites contre les criminels dans l’Utah. En outre, en vertu de cet acte, connu sous le nom de Poland bill, la composition du jury se trouvait modifiée par l’obligation pour le shériff de mettre, à l’avenir, les noms de 50 Mormons et de 50 Gentils dans l’urne d’où seraient extraits les noms des 12 jurés constituant le grand jury.

Sans perdre de temps, le juge du second district judiciaire de l’Utah, l’Hon. Jacob S. Boreman, chargea le premier grand jury, dont la liste fut dressée conformément à la loi nouvelle, de procéder à une enquête sur le massacre des Mountain Meadows et de prononcer la mise en accusation de toute personne ayant participé à son exécution. Le résultat de l’enquête amena la mise en accusation, sous l’inculpation de meurtre et de complicité de meurtre, de William H. Dame, John Doyle Lee, Isaac G, Haight, John M, Higbee, Philipp Klingensmith, William G. Stewart, Samuel Jukes, George Adair junior, et de quelques autres. Des mandats d’amener furent lancés contre eux, et après quelques jours de recherches énergiquement menées, John D. Lee et William H. Dame furent arrêtés et conduits en prison pour être jugés.

L’ouverture du procès, devant la cour du second district, à Beaver, dans l’Utah méridional, fut fixée au 12 juillet 1875. L’accusation était soutenue par l’Hon. William G. Carey, district attorney pour les Etats-Unis, assisté de R. N.-Baskin, — de Salt Lake City, — et du juge Whedon, — de Beaver. Au banc de la défense devaient s’asseoir MM. Sutherland et Bates, le juge Hoge, Wells Spicer, John Mc Farlane et W. W. Bishop, — de Pioche.


III

Au jour dit, à 11 heures du matin, la cour fit son entrée dans la salle où devait se dérouler le procès. Le président, le juge Boreman, déclara immédiatement l’audience ouverte, et on procéda à l’appel des noms des personnes inscrites sur la liste des gens susceptibles de faire partie du jury : 32 répondirent, et après vérification il fut reconnu qu’une seule, comme étrangère, ne remplissait pas les conditions requises. Puis la cause fut ajournée, en raison de l’absence d’une partie des témoins assignés ainsi que d’une négociation entamée entre la défense et l’accusation, par suite du désir exprimé spontanément par Lee de turn states evidence, c’est-à-dire, en bon français, de se présenter comme témoin et de dénoncer ses complices[12].

Le ministère public était moins anxieux de provoquer la condamnation du prisonnier que d’arriver à connaître tous les détails, depuis si longtemps tenus cachés, du massacre. Il était, comme Cradlebaugh jadis, convaincu qu’il se trouvait derrière Lee des gens haut placés; que Lee n’avait été qu’un instrument; et que, s’il disait toute la vérité, ainsi qu’il en manifestait la volonté, le but visé par la justice serait atteint plus sûrement que de toute autre façon. Ce qui contribuait à faire supposer que le prisonnier ne cacherait rien, c’est que plusieurs des membres de son conseil de défense affirmaient que, par suite des injustices et des mauvais traitemens auxquels il avait été en butte de la part de ses supérieurs ecclésiastiques, il avait abjuré toute fidélité à l’Eglise. Ils ajoutaient qu’il était le bouc émissaire sur lequel depuis longtemps on rejetait toute la responsabilité du massacre, et que ses 18 femmes et ses nombreux enfans le suppliaient de divulguer tout, pour que les inspirateurs du crime fussent enfin contraints à répondre de leurs actes.

Le mercredi 14, Spicer proposa de fixer au lundi suivant le procès de son client, et le district attorney fit la même proposition en ce qui concernait Dame. La cour s’enquit si le ministère public serait prêt à la date indiquée : on savait qu’il avait rencontré des difficultés inouïes à trouver des témoins disposés à parler; qu’il avait, à maintes reprises, pu constater combien fidèlement les Mormons observaient le secret que leur commandaient leurs lois religieuses ; qu’il avait été amené à la conviction qu’une entente existait dans la communauté pour tenter d’éviter aux meurtriers le châtiment qui les menaçait, et qu’un certain nombre des témoins assignés, dont quelques-uns des plus importans, ne s’étaient pas rendus à la citation qui leur avait été adressée, entre autres Philipp Klingensmith, peu de temps avant évêque mormon de Cedar-City, et Joël White, jadis un soldat de la légion de Nauvoo, qui tous deux avaient participé au massacre. Mais Carey avait surmonté tous ces obstacles, et il venait d’être avisé que Klingensmith et Joël White, appréhendés par les officiers de police envoyés à leur recherche, allaient arriver : il répondit donc affirmativement à la demande de la cour, et celle-ci prévint les témoins d’avoir à se présenter devant elle le lundi 19 et les jurés le jeudi 22.

John D. Lee consacra les derniers jours de la semaine à la rédaction de son compte rendu des faits incriminés. Le dimanche 18 juin, le ministère public et la défense prirent connaissance de ce factum, qui était très volumineux.

Commençant par l’exposé des motifs qui l’avaient décidé à faire l’aveu de la vérité, le prisonnier affirmait qu’il agissait guidé non par un esprit de vengeance, mais par le sentiment de ses obligations envers Dieu, envers son pays, envers lui-même, et afin que, les faits étant connus, la responsabilité du massacre retombât sur qui de droit. Puis, insistant sur ce qu’antérieurement il avait souffert: arrestation, violences, emprisonnement de huit mois, dont trois avec les fers aux pieds, il disait qu’il avait tout supporté avec résignation et courage, parce qu’il savait que la plupart de ceux qui avaient trempé les mains dans cet attentat n’avaient agi que par obéissance et sous l’impulsion d’un fanatisme surexcité par les autorités de l’Église et par ce qu’on leur avait enseigné comme leur devoir envers Dieu. Il ajoutait que, sachant maintenant que le but du gouvernement et le désir de la cour n’étaient pas tant de punir ces misérables égarés que de connaître leurs chefs, il avait résolu d’éclairer la justice et qu’il n’y faillirait pas. Enfin, arrivant aux faits mêmes, il racontait, avec des détails qui eussent fait frissonner le plus insensible, tout ce qui s’était passé depuis l’entrée du convoi dans l’Utah, jusqu’au dénouement fatal et au partage du butin.

Mais dans ce document Lee laissait absolument dans l’ombre les preuves de la complicité des hautes personnalités de l’Église ; il n’accusait que les autorités militaires locales, John M. Higbee, lieutenant-colonel du régiment de milice, et Isaac C. Haight, major du même régiment, qui seuls, selon lui, avaient eu qualité pour donner les ordres, en raison de la loi martiale que Brigham Young avait proclamée à la nouvelle de l’approche de l’armée fédérale. La population, d’ailleurs, était sous l’influence d’une exaspération pouvant expliquer bien des choses. En finissant, le prisonnier racontait que, peu de jours après le massacre, le major Isaac C. Haight, sous-ordre de W. Dame dans le district militaire du Iron, l’avait chargé d’aller à Salt Lake City rendre compte à Brigham Young de ce qui s’était passé, lui recommandant d’en assumer la responsabilité le plus possible et lui affirmant que cela lui mériterait une récompense du ciel ; qu’en conséquence il s’était transporté auprès du président, mais que celui-ci, en entendant son récit, avait versé des larmes comme un enfant, tordant ses bras de désespoir et disant que cette horrible affaire serait une source de malheur pour les Mormons et qu’il aurait tout donné pour qu’elle n’arrivât pas. Lee serait alors rentré fort abattu et aurait rapporté à ses chefs le résultat de la mission dont ils l’avaient chargé.

Le ministère public refusa d’accepter cette déposition, dans laquelle apparaissait d’une manière trop évidente le manque de bonne foi du prisonnier, qui s’était, en effet, bien gardé de compromettre d’une façon quelconque les personnages occupant les situations les plus élevées dans la hiérarchie de l’Église.

Du reste, sur les cinq membres qui composaient son conseil de défense, tandis que Spicer, Bishop et Hog disaient tous trois hautement vouloir avant tout sauver leur client, quoi qu’il pût advenir aux autres coupables, Sutherland et Bates, avocats en titre de l’Église, et qui, manifestement, avaient imposé leur concours, paraissaient n’avoir qu’un but : éviter à tout prix que le président fût incriminé. C’était assurément à la pression qu’ils avaient exercée sur Lee, pendant qu’il rédigeait sa confession, qu’il fallait attribuer le caractère par trop partial et incomplet de sa déposition.

Le lundi 19, la cour se réunit et le greffier fit l’appel des témoins cités par l’accusation; il y en avait un peu plus d’une centaine, dont les deux tiers étaient présens. Le marshal reçut l’ordre de veiller à ce qu’ils fussent tenus à l’écart, hors de la salle d’audience, jusqu’à ce qu’ils eussent été interrogés, et la défense fut avisée d’avoir à remettre la liste des témoins par elle assignés, pour que la même mesure fût prise à leur égard. Puis l’audience fut ajournée au lendemain. Le mardi 20, le district attorney Carey introduisit un nouvel acte d’accusation, incriminant Lee, Dame et sept autres individus, conjointement, de meurtre et d’association illégale. Dans le premier, Lee et Dame avaient été accusés de meurtre seulement, et l’on avait craint que la défense n’en profitât pour empêcher d’importantes dépositions de se produire. Le reste de la journée fut donné aux défenseurs pour examiner ce nouveau document.

Vers le soir, le bruit d’une complication probable courut, le marshal des États-Unis ayant été prévenu que les avocats de la défense se préparaient à user d’un moyen adroit pour entraver l’action du ministère public : des plaintes avaient été dressées contre un certain nombre de témoins cités par l’accusation, et on disait que des mandats d’arrêt allaient immédiatement être lancés contre eux. Le marshal, sans perdre une minute, prit les mesures exigées par les circonstances; il fit amener chez lui, pour le mettre à l’abri, Klingensmith, celui de tous les apostats dont les dépositions paraissaient devoir être les plus dangereuses pour le parti de l’Église ; puis il prévint le conseil de la défense qu’il avait garanti de toute poursuite, de toute arrestation, les témoins présens, et qu’il les protégerait à tout hasard ; il fit aussi savoir que, si quelque juge de paix lançait un mandat d’arrêt et si quelque constable tentait de l’exécuter, l’un et l’autre seraient incontinent arrêtés et conduits devant le commissaire des Etats-Unis; enfin, il nomma six officiers de police supplémentaires, qui prêtèrent le serment nécessaire.

Le 21, dès l’ouverture de l’audience, la défense commença, mais sans succès, par provoquer trois incidens dilatoires; puis Lee fit connaître qu’il plaidait non coupable. Par le premier chef d’accusation, Lee, Dame et sept autres individus étaient chargés du meurtre de John Smith et de celui d’un nombre considérable d’hommes, de femmes et d’enfans, en un lieu désigné et à une date déterminée. Au nom de la défense, Sutherland demanda que Dame et Lee fussent jugés ensemble. Le ministère public s’y opposa, et la cour ordonna que les causes seraient disjointes. Les défenseurs demandèrent alors jusqu’au lendemain pour examiner si, en présence du nouvel acte d’accusation, ils seraient en mesure de soutenir le procès. Cela leur fut accordé.

La journée du jeudi 22 fut consacrée à la composition du jury. Douze noms furent extraits de l’urne, les individus appelés vinrent prendre place au banc qui leur était réservé ; quelques-uns furent récusés, soit par la défense, soit par le ministère public : ils furent remplacés, et le jury finit par se trouver composé de quatre Gentils : Josephus Wade, J.-C. Heister, Paul Price, John Brewer, et de huit Mormons : Isaac Duffin, John Knight, George F. Jarvis, Milton Daley, John G. Duncan, James C. Robinson, John J. Chidester, Ute Perkins sr. On leur fit prêter serment et on les confia à la garde du marshal.

Il a paru nécessaire, jusqu’ici, d’entrer dans de nombreux détails, afin de permettre une appréciation exacte des préliminaires du procès et des difficultés qu’il fallut surmonter pour que la justice pût suivre son cours. Il est moins utile de s’appesantir sur le procès lui-même, qui prit des proportions considérables, et il suffira d’en signaler les points les plus intéressans, dans les dépositions principalement.

Le vendredi matin 23 juin, le district attorney Carey, s’adressant aux jurés, leur fit un exposé des faits que l’on connaît ; puis il fut procédé à l’audition des témoins.

Les deux premiers, Robert Keyes et Asahel Bennett, donnèrent seulement des détails sur l’aspect du théâtre du massacre quelques semaines après que celui-ci eut été consommé.

Philipp Klingensmith fut ensuite appelé. La défense s’étant opposée à ce qu’il fût entendu parce qu’il était sous le coup d’une accusation de meurtre, le district attorney déclara renoncer à exercer des poursuites contre lui. Klingensmith parla alors, et sa déposition fut particulièrement accablante pour Lee. Lors de l’arrivée du convoi des Arkansais dans l’Utah, il était évêque, dit-il, mais n’occupait aucun grade dans la milice. Il avait assisté au conseil qui s’était tenu à Cedar City et où avait été discutée la question de la destruction des émigrans. À ce conseil étaient présens : Haight, Higbee, Morrell, Allen et quelques autres. On n’était pas tombé d’accord et la séance avait été levée. Le lendemain, il se rencontra avec Haight, Higbee et Joël White : comme — ainsi qu’il l’avait fait la veille — il protestait contre le massacre des émigrans, on décida que, accompagné de Joël White, il irait demander au Président de laisser passer le convoi paisiblement. En se rendant chez Brigham Young, ils aperçurent dans un champ John D. Lee, qui, s’étant enquis du but de leur voyage, leur dit qu’il avait quelque objection à ce qu’il fût fait droit à leur requête. Ils rencontrèrent, à leur retour, Allen, et faisant allusion à ce qui venait de se passer à Parowan : « Le sort en est jeté, leur dit celui-ci : les émigrans sont condamnés, » et il ajouta que Lee avait reçu des chefs réunis à Parowan l’ordre de marcher avec la milice, que Joël White serait, sans doute, envoyé à la Pinto Creek pour transmettre la révocation de l’ordre donné précédemment, de laisser passer le convoi.

Trois jours plus tard, Klingensmith se trouvant avec quelques autres chez Mc Farlane, Haight entra et leur annonça que, d’après les nouvelles venues du camp la nuit précédente, les choses n’avaient pas marché ainsi qu’on l’espérait et que l’on demandait des renforts. Haight partit alors pour Parowan, afin de prendre des instructions; là, Dame lui commanda d’user de ruse pour déloger les émigrans et de n’épargner que les tout petits enfans. Le témoin se rendit lui-même à la ville, et devant la maison de Ira Allen, il entendit Higbee disant aux gens réunis en cet endroit : « Venez, vous êtes commandés pour marcher, armés et équipés conformément à la loi. » Il prit en conséquence son cheval et son fusil, et se mit en route avec Charley Hopkins, Higbee, Willis, Sam Mc Murdy et d’autres encore. La petite troupe atteignit à la nuit le ranch de Hamblin; elle y trouva Lee avec quelques hommes. Lee appela Klingensmith, lui montra une lettre renfermant, prétendait-il, des ordres venus de Parowan, lui expliqua que les émigrans étaient si solidement fortifiés que ce ne serait que par un stratagème qu’on pourrait en avoir raison et ajouta qu’il s’en chargeait. On se mit en marche vers le cours d’eau près duquel étaient campés les Indiens et la milice venue du comté de Washington. Arrivé là, Lee fit former le cercle à la troupe et lui adressa quelques mots. Klingensmith cita les noms de plusieurs des hommes présens, entre autres celui d’un individu nommé Slade qui se tenait avec lui en dehors du cercle. Ils échangèrent leur opinion sur le massacre qui se préparait ; tous deux s’accordaient à dire que ce serait un crime épouvantable, mais qu’il n’y avait aucun moyen pour eux de se soustraire à l’obligation d’y prendre part.

Klingensmith fit ensuite, avec une profusion de détails, un récit terrifiant du carnage, récit fréquemment interrompu par les murmures de l’auditoire; puis le témoin, continuant sa déposition, dit qu’ayant reçu l’ordre de s’occuper des enfans, il se rendit à l’endroit où se trouvaient les chariots; il fit une description sommaire de l’horrible spectacle qui s’était présenté à sa vue, et avoua qu’il eut hâte de s’y dérober en emmenant les malheureux orphelins, dont quelques-uns étaient blessés. Il ne revit pas Lee à Cedar City, mais seulement plus tard, à Salt Lake.

Le conseil pour la défense, à cet instant, s’opposa à ce que le témoin répondît à la question qui lui fut posée sur la conversation qu’il avait alors eue avec Lee. Un long débat s’ensuivit, et la cour finit par décider qu’elle pourrait accepter à titre de témoignage les déclarations du prisonnier tendant à l’incriminer lui-même.

Le témoin donna de nombreux renseignemens sur le partage du butin, puis il dit que Lee avait été envoyé à Brigham Young pour lui rendre compte des événemens, que quelques jours après, à Salt Lake City, il retrouva le messager et que celui-ci l’informa que le président était au courant de toute l’affaire. Le lendemain Lee, Charley Hopkins et Klingensmith se rendaient chez Young qui leur faisait le meilleur accueil et, en les congédiant, leur recommandait de ne rien dire du massacre à personne et de n’en même pas parler entre eux. En terminant sa déposition, le témoin ajouta qu’il ignorait comment les Indiens avaient été amenés à prendre part à la tuerie, mais qu’il avait su par Allen et Joël White, que des instructions avaient été données à Lee, à l’effet de se rendre à la Pinto Creek où se trouvaient les Peaux-Rouges et de les réunir. Il affirma ne connaître le nom d’aucune des victimes et ne savoir si l’ordre d’exécuter le massacre émanait de George A. Smith, commandant de la légion de Nauvoo, de l’Utah du sud. Lee avait le commandement, sur le terrain, des troupes dont W. H. Dame était le colonel, John M. Higbee le lieutenant-colonel et Isaac C. Haight le major.

L’interrogatoire de Klingensmith dura jusqu’au samedi matin. Il parut, à diverses reprises, avoir une certaine répugnance à parler, mais il répondit avec un grand accent de vérité à toutes les questions qui lui furent adressées et toujours après avoir mûrement réfléchi. Cinq individus ayant, comme lui, pris part au massacre, furent amenés à la barre; aucun n’avoua qu’il avait tiré sur les émigrans ; lui seul ne s’en cacha pas et dans l’interrogatoire contradictoire que lui fit subir le juge Sutherland, comme celui-ci lui disait : « Je suppose que vous avez tiré par-dessus la tête de ces malheureux? — Non, répondit-il, j’ai bien tiré sur l’homme qui m’avait été désigné et j’ai lieu de penser que je l’ai tué. »

Cet interrogatoire contradictoire n’eut d’autre résultat que de donner à Klingensmith l’occasion de faire connaître quelques nouveaux faits intéressans.

Il dit qu’en 1857 il était évêque de Cedar City; comme tel, ses fonctions consistaient à veiller aux intérêts matériels de la communauté, à la perception de la dîme, à la surveillance des labours; son autorité était limitée au temporel; il était sous les ordres de Isaac C. Haight, président de son district. Lorsqu’au conseil tenu à Cedar City, il avait été question de la destruction du convoi, aucune raison n’avait été mise en avant, il en fut étonné, et ce fut là, d’ailleurs, qu’il apprit les ordres venus d’en haut, portant défense de communiquer avec les émigrans. Ni durant ce conseil, ni plus tard, bien qu’il désapprouvât la mesure, il n’osa y faire une opposition sérieuse, parce qu’il eût risqué sa vie. Sa longue expérience autorisait ces craintes, et d’autres, qui pensaient comme lui, agirent de la même façon. Cette assertion provoqua une protestation de W. W. Bishop, un des avocats de la défense : il déclara qu’aux Etats-Unis on aurait quelque peine à admettre l’existence d’un état de choses tel que l’homme, occupant le second rang dans la région, eût pu être forcé de tremper ses mains dans le sang, pour mettre à l’abri sa vie, qui eût été en danger s’il eût refusé d’obéir et de participer à un assassinat.

Joël M. White fut interrogé ensuite, et sa déposition confirma celle de Klingensmith sur tous les points. En ce qui le touchait personnellement, White dit que Haight l’avait envoyé à la Pinto Creek porter une lettre destinée à Richard Robinson, chargé de la surveillance des Indiens, l’informant que ceux-ci devaient laisser passer les émigrans sans les molester. Il ne savait pourquoi cet ordre avait été révoqué. Lorsque Higbee lui commanda de se rendre aux Mountain Meadows où un combat s’était engagé entre les Indiens et les émigrans, il lui répondit qu’il n’avait pas de fusil; il dut, néanmoins, marcher avec sa charrette pour aider au transport des hommes et des vivres; il ignorait, à ce moment, si on allait secourir les Indiens ou le convoi. Il ajouta qu’une semaine environ avant le passage de celui-ci, des émissaires étaient venus exciter l’animosité des habitans, en racontant, entre autres choses, que les Arkansais avaient empoisonné la rivière Corn Creek et il affirma que ce fut Lee qui fit aux Peaux-Rouges la distribution du bétail leur revenant, comme part du butin.

Une femme, Anne Eliza Hog, sourde mais non pas muette, — on eut occasion de le constater, — succéda à Joël White. Elle déclara avoir assisté à un meeting provoqué par Lee, la veille du départ de la milice. À cette réunion, Lee tint les discours les plus violens, faisant remarquer que les Mormons avaient déjà assez souffert par le fait des Gentils à Nauvoo, et ailleurs; que le président Haight avait refusé de recevoir leurs délégués ; et qu’il valait mieux en finir avec eux. Cette motion fut votée par acclamation et la milice partit le lendemain matin. Cinq jours plus tard, les hommes rentrèrent et, dans une nouvelle réunion, Lee rendit compte de l’expédition ; il raconta qu’il avait couru de sérieux dangers, ses vêtemens ayant été traversés par deux balles, au moment où il allait déployer le drapeau de parlementaire. Le récit qu’il fit des faits, — du moins tel que le rapporta Anne Eliza Hog, — concordait absolument avec les témoignages recueillis précédemment. En finissant, Lee dit avoir tué un homme et un enfant, d’un même coup de feu, mais qu’il n’était pas responsable du sang innocent ainsi versé ; la faute en était à l’homme qui tenait l’enfant dans ses bras et s’était refusé à le lui livrer. Anne Eliza habitait Fort Harmony, dans le comté du Iron; elle y vit trois ou quatre des orphelins qui avaient été épargnés, mais l’un d’eux, un petit garçon, ayant montré du doigt l’assassin de son père — un Indien qu’il voyait porteur des vêtemens dont celui-ci avait été dépouillé, — l’infortuné disparut un beau jour et personne oncques n’en entendit parler. Lee avait, du reste, formellement recommandé qu’on ne fît jamais aucune question à ces enfans, dans l’espérance que le souvenir des événemens s’effacerait de leur mémoire.

Les dépositions de Thomas D. Willis, John H. Willis, William Matthews, William Young, Samuel Pollock, John Sherratt, William Bradshaw, — qui raconta que venu au rassemblement de la milice avec une pelle et sans fusil, il fut bafoué et renvoyé, — de Robert Kershaw et d’autres encore,. confirmèrent les accusations portées contre Lee.

Durant ce défilé des témoins, il se produisit deux incidens.

Le premier eut son origine dans une discussion qui s’éleva entre Baskin et Sutherland pendant l’interrogatoire contradictoire auquel était soumis Samuel Pollock et occupa la Cour pendant deux heures. Les sympathies de Pollock étaient très visiblement acquises à l’accusé, dont les défenseurs avaient constamment cherché à obtenir, tant de lui-même que des différens témoins, des dépositions sur ce qui avait pu être dit, soit par les uns, soit par les autres, tandis que Carey avait toujours dirigé les interrogatoires de façon que les réponses portassent uniquement sur les faits. Les efforts de la défense pour obtenir des témoignages sur les propos qui avaient été tenus, à aucun moment des débats, ne se manifestèrent plus énergiquement que dans l’interrogatoire de Pollock par Sutherland, dont le but était de démontrer que la responsabilité du massacre incombait aux Indiens qui, — prétendait la défense, — étaient les maîtres de la situation et avaient forcé, par leurs menaces, les blancs à prendre part aux meurtres commis. Citant de nombreuses autorités à l’appui de sa thèse, Baskin soutint que, sauf les cas bien déterminés de défense personnelle, de défense de propriété ou d’accident, tuer un homme est toujours un crime ; que nul ne peut invoquer qu’il a été contraint, pour se justifier, d’avoir versé le sang d’‘autrui ; que le devoir de chacun est de sacrifier sa vie plutôt que de disposer de celle d’un individu inoffensif. Il contesta qu’il fût permis de produire devant un tribunal des paroles ou des actes tendant à justifier un meurtre et cela, parce que l’homme qui médite un assassinat a toujours le soin de prendre les précautions nécessaires pour cacher le mobile qui l’a guidé, pour éviter le châtiment qui le menace. Il dit, enfin, qu’il est toujours permis d’admettre la déposition d’un homme se chargeant lui-même, parce qu’il n’est pas vraisemblable que cet homme cherche à se porter préjudice personnellement; mais qu’on ne peut accepter les dires d’un meurtrier, soit avant le crime, soit au moment du crime, parce que ses paroles peuvent n’avoir eu d’autre objet que d’égarer la justice. — La Cour sanctionna la manière de voir de Baskin.

Le second incident fut amené également par le juge Sutherland, dans la journée du mercredi. Il demanda à la Cour la permission de donner lecture d’un certificat de médecin, qu’il venait de recevoir de Salt Lake City, parle télégraphe, constatant que la santé de Brigham Young et celle de George A. Smith ne leur permettaient pas de se déplacer. Il ajouta que notification avait été faite à Carey que le lendemain à midi, M. William Clayton, un notary public, recevrait les dépositions de ces deux personnages et qu’en même temps, Carey avait été invité à donner à Salt Lake City procuration à un attorney, pour être présent aux dépositions des témoins absens et interroger ceux-ci contradictoirement ; il offrait de payer le prix des télégrammes ainsi que les honoraires de l’attorney et demanda à la Cour de requérir Carey de désigner ce mandataire. Carey s’opposa à ce que la requête de Sutherland fût admise et la Cour décida qu’elle était irrégulière et inconvenante : les officiers du Gouvernement qui assistaient à l’audience représentaient le peuple américain ; ils n’avaient pas à se trouver à Salt Lake City à la date et à l’heure indiquées; Sutherland n’avait aucun droit de requérir le District attorney de désigner un délégué, alors que ses subordonnés l’assistaient dans des poursuites exercées par lui ; la défense d’ailleurs ne pouvait invoquer un cas subit et de force majeure, il y avait près de deux semaines que le procès était commencé, et non seulement elle avait eu amplement le temps de réunir tous les témoins qui pouvaient lui être nécessaires, mais elle s’était elle-même déclarée prête pour le procès; si les témoins appelés par elle lui faisaient défaut, elle n’avait qu’à s’en prendre à elle-même, mais il n’était pas possible de s’écarter des règles ordinaires de procédure. L’audition des témoins cités par le ministère public avait duré du vendredi 23 juillet au mercredi 28 ; à l’ouverture de l’audience, le vendredi suivant, Wells Spicer prit la parole au nom de la défense. Il prononça un discours très travaillé, plein de réticences, et commença par passer assez légèrement sur les faits qui précédèrent le massacre, puis, quand il arriva au drame des Mountain Meadows, il s’écria que d’accord avec le ministère public, il pensait qu’il n’y avait pas d’expressions assez fortes pour stigmatiser, comme il convenait, un crime qui rivalisait avec tout ce que l’histoire pouvait offrir de pire comme perfidie et cruauté. Des Indiens avaient massacré le convoi et, malheureusement, parmi ces véritables bouchers, il y avait eu aussi des blancs obéissant à un mot d’ordre émanant d’une autorité si absolue et si redoutée que nul n’aurait songé à résister. L’orateur n’entendait pas, disait-il, envelopper toute la communauté dans une même réprobation; il admettait que, comme dans toute société, il y avait parmi les Mormons des bons et des méchans, mais le fait même pour les Saints du dernier jour d’habiter un pays frontière et constamment menacé, l’attrait du péril et de la vie d’aventure, de valent naturellement amener dans le sein de leur Eglise une foule de gens capables de tous les forfaits. A son avis, parmi les blancs qui avaient participé au massacre, il était deux catégories : ceux qui par pure férocité, au mépris des lois, et foulant au pied toute crainte, devinrent des assassins, puis ceux qui, soumis à l’abject esclavage sous lequel tous les sectateurs du prophète courbaient la tête, en tuant, obéirent à un cruel mandat qu’ils n’avaient pas osé repousser. Citant la Bible, il parla de peuples mis à mort par l’ordre de Dieu, mais il se hâta d’ajouter que jamais il n’aurait l’audace de laisser entendre que les meurtres commis aux Mountain Meadows eussent été perpétrés pour apaiser la colère céleste : il y avait assurément eu quelque autre motif, motif bien impérieux, qui avait contraint les coupables au crime. Quant à Lee, sa présence sur les lieux était incontestable, mais il n’existait pas un soupçon de preuve qu’il eût frappé une seule des victimes.

Expliquant les origines du drame, Spicer dit que les émigrans avaient été amicalement accueillis d’abord, mais que le convoi malheureusement était en grande partie composé de jeunes gens venus de l’Arkansas, trappeurs et chasseurs, dont la conduite avait fini par soulever l’animosité des habitans, déjà très montés par l’approche des troupes fédérales. Arrivés à la Corn Creek, les Arkansais eurent des difficultés avec les Indiens Pah-Vants, et de ces difficultés qui amenèrent une collision, résulta le massacre. Selon l’orateur, si les émigrans n’avaient pas eu maille à partir avec les sauvages, ils eussent traversé le Territoire sans souffrir de dommage. Revenant à son client, il exalta l’héroïsme dont il avait fait preuve, affirmant que seul au milieu de ses coreligionnaires paralysés à la fois par la terreur que leur inspiraient leurs dangereux alliés, les Indiens, et par les ordres terribles qu’ils avaient reçus, il éleva la voix contre cette tuerie et qu’il ne se tut que lorsque, le menaçant de son rifle, Higbee lui imposa silence.

L’heure de la suspension de l’audience arriva avant que Spicer n’eût terminé. Son discours, jusque-là, avait profondément mécontenté ses collègues, dont deux au moins avaient surtout en vue d’empêcher, à tout prix, que le président Young fût incriminé, et qui considéraient la défense de Lee comme tout à fait accessoire. L’argumentation de Spicer accusant successivement les ordres du président, l’émotion causée par l’approche de l’armée de Johnston, la collision avec les Indiens suscitée par les émigrans, avait paru très faible et très décousue. Aussi, à la reprise de l’audience, Spicer dut-il se contenter de lire quelques lignes élaborées par l’un de ses collègues, dans lesquelles il revenait partiellement sur ses assertions du matin, et quand il eut achevé, il laissa les membres du jury fort perplexes et se demandant à quelle conclusion il avait voulu venir.

L’audition des témoins cités par la défense commença par celle de Jesse N. Smith, parent du prophète-martyr et de George A. Smith. Il déclara que dans le courant du mois d’août 1857, il avait fait une tournée dans les divers centres de l’Utah, avec George A. Smith qui prêchait et profitait de l’occasion pour recommander à ses auditeurs d’épargner leurs grains et de n’en point donner à leurs animaux, comme nourriture. Jamais il ne l’entendit faire allusion au convoi des émigrans ; lui-même céda à ceux-ci du sel et de la farine, quand ils passèrent à Parowan. Vers le 10 septembre, il fut mandé par le colonel Dame, qui avait entendu dire que les Arkansais avaient été attaqués par les Indiens et qui désirait l’envoyer aux informations. Il se rendit, en conséquence, à Cedar City avec Edouard Dalton ; il n’y entendit que des rumeurs confuses concernant cette attaque, mais à Pinto on tenait la nouvelle comme certaine; ayant été avisé, en même temps, qu’il y avait quelque danger à se rendre sur les lieux, il revint à Parowan le 12 septembre, rapporter ce qu’il avait appris à Dame qui ne fit aucune observation.

Silas S. Smith, frère du témoin précédent, confirma la déposition de celui-ci, en ce qui touchait les recommandations faites par George A. Smith de ne point donner de blé aux bêtes ; il ne l’entendit jamais conseiller de ne pas vendre de vivres aux émigrans. Etant venu camper avec son frère, George A. Smith et l’évêque Farnsworth à la Corn Greek, où se trouvait déjà établi le campement des Arkansais, quelques-uns d’entre eux vinrent s’asseoir près de leur feu, leur firent diverses questions sans importance et demandèrent s’il y avait quelque chance pour que les Indiens mangeassent de la viande d’un bœuf qui gisait mort près de là. Quarante-huit heures plus tard, il arriva à Beaver où il dépassa le convoi des émigrans, puis rentra chez lui à Paragoonah, dans le comté du Iron. Quelques jours après il fut requis par le colonel Dame pour se rendre avec dix hommes au secours des émigrans qui avaient des difficultés avec les Indiens, près de Beaver. En y arrivant, il trouva les premiers abrités derrière leurs chariots disposés en corral. Il parvint par une distribution de viande de bœuf à apaiser les Indiens, qui prétendaient que quelques-uns de leurs guerriers avaient été tués par les émigrans et voulaient laver cet affront dans le sang. Lorsqu’il partit, il croyait l’affaire arrangée, et depuis, n’eut aucun rapport avec le convoi. Il était capitaine dans la milice. Il n’entendit jamais discuter le sort des émigrans qui lui parurent des gens peu recommandables, mal disposés pour les Peaux-Rouges et qui juraient et blasphémaient de la façon la plus épouvantable.

Elisha Hoops, le troisième témoin, déposa qu’il habitait Beaver en 1857 et qu’il connaissait George A. Smith, Jesse N. Smith, l’ex-évêque Farnsworth ainsi que diverses autres personnes marquantes de l’Eglise. Il accompagnait les Smith au mois de septembre et se trouvait au campement de la Corn Creek lorsque plusieurs émigrans vinrent causer et demander où ils pourraient trouver de l’herbe et de l’eau pour refaire leur bétail. Un bœuf mort gisait entre les deux campemens, et au moment où les Smith se mettaient en route avec le témoin, celui-ci vit un médecin allemand, de petite taille, qui faisait partie du convoi, sortir un poignard à poignée d’argent, le plonger à trois reprises dans le corps du bœuf, puis prendre une fiole pleine d’un liquide légèrement coloré et verser ce liquide dans les trous faits par le poignard. Le témoin n’eut plus occasion de revoir le convoi.

Procédant à un interrogatoire contradictoire, Baskin ne tarda pas à mettre Elisha Hoops dans le plus grand embarras. Répondant aux questions qui lui étaient posées, Hoops dit que les Smith et l’évêque Farnsworth étaient déjà montés dans leur voiture quand le médecin allemand avait procédé à son opération, qu’il ne savait pas si ses compagnons l’avaient vue, mais qu’ils ne la leur avaient pas signalée ; que dix minutes ou un quart d’heure après, des Indiens étaient venus proposer un marché au docteur, sans doute parce qu’ils avaient besoin de la peau du bœuf pour en faire des mocassins et qu’ayant fini par donner quelques peaux d’antilopes en échange, ils s’étaient mis en devoir de dépouiller l’animal. Baskin fit observer au témoin, que, sans appuyer sur ce qu’il y avait d’étrange à ce qu’il se fût trouvé des acquéreurs pour un objet qui allait évidemment être abandonné sur place, il était surpris que, malgré qu’il partît, selon son dire, justement au moment où le médecin allemand venait de verser le contenu de sa fiole, il eût pu voir le marché se conclure et les Peaux-Rouges dépouiller le bœuf. Ainsi mis au pied du mur, Hoops prétendit qu’un accident étant survenu au harnais de l’un des chevaux de la voiture qu’il conduisait, son départ s’était trouvé retardé d’une demi-heure, mais quand on lui demanda quelle était la partie du harnais qu’il avait fallu réparer, pris à l’improviste, il se troubla, et de question en question, on arriva, au grand dommage de la défense, à la démonstration que le témoignage d’Elisha Hoops avait été acheté.

La déposition de Brigham Young mérite d’être rapportée dans ses parties essentielles. « Son âge : 75 ans ; malade depuis quelque temps déjà, l’état de sa santé lui interdisait de se rendre à Beaver. En 1857, il était gouverneur du Territoire, — par suite, surintendant des Affaires indiennes, — et président de l’Eglise de J.-C. des Saints du dernier jour. Toute communication régulière entre l’Utah et les États-Unis avait été interrompue par le gouvernement fédéral qui avait, en outre, envoyé des troupes, dans le dessein avéré de détruire le mormonisme. Autant que ses souvenirs lui permettaient de l’affirmer, il n’y avait plus dans le Territoire, de juge des États-Unis. Il avait entendu vaguement parler, vers la fin de l’été, du passage d’un convoi venant de l’Arkansas, se rendant en Californie ; mais il n’avait jamais su que les émigrans eussent été mis en demeure de s’éloigner de Salt Lake City et, en tout cas, il n’avait jamais donné d’ordre à cet effet. Il n’avait pas été interdit aux habitans de céder du grain aux émigrans pour leur nourriture personnelle, mais ils avaient été avisés de ne pas leur en vendre pour leur bétail, parce qu’en prévision des événemens qui se préparaient, il était nécessaire de veiller à ce que le pays fût largement approvisionné. Il n’avait appris la destruction du convoi que quelque temps après le massacre et seulement par de vagues rumeurs. Deux mois plus tard, Lee vint le trouver à son cabinet, pour l’entretenir des Indiens qui s’agitaient et menaçaient les établissemens des blancs; l’évêque lui par la alors du massacre, mais dès les premiers mots il l’arrêta : ce qu’il avait appris par la rumeur publique lui suffisait ; il reculait devant le sentiment de l’impression pénible que n’auraient pas manqué d’éveiller chez lui les détails qu’il soupçonnait. Philipp Klingensmith ne se trouvait pas avec Lee, lors de la visite de celui-ci, et Brigham Young n’avait aucun souvenir que le premier lui eût jamais parlé du massacre, ni que lui-même eût donné des instructions à Klingensmith touchant les dépouilles des émigrans; il avait toujours ignoré et ignorait encore l’emploi qui en avait été fait. Il n’avait pas, en tant que gouverneur, ordonné une enquête et traduit les coupables devant la justice, parce qu’un autre gouverneur venait à cette époque d’être nommé par le président des Etats-Unis, que ce gouverneur était en route pour prendre possession de son poste, et parce qu’il n’y avait pas de juge des États-Unis dans l’Utah. Peu de temps après l’arrivée du gouverneur Cumming, il avait prié celui-ci de prendre avec lui le juge Cradlebaugh, du District sud, offrant de leur prêter son concours pour procéder à une enquête et amener les coupables devant la justice. Vers le 10 septembre 1857, il avait reçu de Isaac C. Haight, ou de John D. Lee une communication concernant le convoi des Arkansais, — il avait recherché ce document, mais ne l’avait pas retrouvé, — et en réponse, il avait écrit à Isaac C. Haight qui remplissait les fonctions de président à Cedar City, de laisser non seulement cette troupe d’émigrans, mais tous les convois analogues, traverser paisiblement le Territoire et de calmer les Indiens hostiles qui voudraient leur faire un mauvais parti. »

Cette déposition singulièrement maladroite de la part d’un homme aussi avisé et où Brigham Young faisait si bon marché de ce pouvoir autocratique dont tout le monde le savait investi, restera comme la preuve écrasante de la complicité du président dans le massacre des Mountain Meadows, complicité dont paraît cependant douter l’historien Hubert Howe Bancroft.

Quant à George A. Smith, sa déposition était fort courte : après y avoir dit qu’il avait 58 ans, que la maladie l’empêchait de paraître devant la Cour, il déclarait qu’en 1857 il était un des douze apôtres de l’Eglise de J.-C. des Saints du dernier jour, qu’il n’occupait aucune autre position officielle et n’avait aucun grade dans la milice ; il certifiait qu’il n’avait pris part à aucun conseil auquel auraient assisté W. H. Dame, Isaac C. Haight et autres, où il aurait été question d’attaquer le convoi massacré dans le courant de septembre 1857. En un mot, il tenait pour fausses toutes les accusations portées contre lui.

L’audition des témoins était terminée, — Le mardi 3 août, le juge Boreman prit la parole et, s’adressant aux jurés, leur expliqua les devoirs que la loi leur imposait, les articles du Code criminel applicables en la circonstance, et leur rappela qu’ils étaient libres, qu’ils ne dépendaient que de leur conscience. Il insista sur ce qu’ils étaient seuls juges des faits exposés devant eux et du degré de créance que méritaient les divers témoignages. Il leur dit que le massacre des Mountain Meadows était sans analogue dans les fastes des temps modernes et chez les peuples civilisés, que les hommes qui avaient commis cet exécrable forfait avaient montré une férocité vraiment diabolique ; puis il fit remarquer que le crime n’était pas contesté, non plus que le lieu où il avait été commis, ni la date, et il ajouta que le prisonnier amené devant le jury était accusé non seulement d’avoir été un des acteurs du drame, mais aussi de l’avoir dirigé. D’autres, tels que Dame, Haight, Higbee, Adair, Wilden, Jukes, Klingensmith, Stewart, avaient également été accusés, mais en ce moment, John Doyle Lee, seul, était en cause ; le jury n’avait pas à s’occuper si ses complices seraient arrêtés à leur tour et mis en jugement ; il était raisonnable de penser que cette mesure de justice ne se ferait pas attendre, mais actuellement, il le leur répétait, il s’agissait uniquement pour les jurés de prononcer si John Doyle Lee était innocent ou coupable. Après cet exorde, le juge Boreman entra dans un examen minutieux de tous les faits sur lesquels les jurés allaient être appelés à prononcer, donnant tous les éclaircissemens qui lui paraissaient utiles sur les points qui pourraient sembler obscurs, tant en ce qui concernait l’appréciation du degré de culpabilité, qu’en ce qui touchait la peine encourue, et il termina en adjurant le jury de prononcer son verdict sans avoir égard aux influences extérieures, selon sa conscience, en se rappelant que c’était là son devoir vis-à-vis du prisonnier comme du pays tout entier.

Le lendemain, mercredi 4 août, le district attorney Carey prit la parole au nom du ministère public. Rappelant successivement tous les témoignages produits contre John D. Lee, il prouva qu’il y avait eu préméditation de sa part ; que des ordres mystérieux et redoutables avaient été donnés ; que la thèse rendant les Indiens responsables du massacre était aussi peu soutenable qu’était absurde l’histoire du bœuf empoisonné, qui aurait été la cause du conflit entre les émigrans et les Peaux-Rouges ; enfin il se demanda s’il existait un parti politique ou une organisation théocratique qui consentirait à assumer la honte de justifier ce massacre, s’il y avait un seul homme qui serait prêt à venir à cette barre, dire : « Rendez la liberté à ce prisonnier ! » Il affirma qu’il ne croyait pas que ce fût possible et conclut en demandant aux jurés de prononcer le verdict qui s’imposait à leur conscience.

Le juge Sutherland répondit le premier pour la défense. Après les lieux communs ordinaires sur la peine de mort, après avoir reconnu que le massacre des Mountain Meadows était un crime épouvantable, sans précédent, qu’il n’y avait pas de châtiment suffisant pour les individus coupables d’un si horrible forfait, il demanda au jury s’il se croyait assez complètement éclairé par les témoignages produits. Il fit observer que l’on n’avait pas cité tous les témoins que l’on aurait dû appeler et que parmi ceux qui avaient déposé, seuls, Klingensmith et White avaient eu à répondre sur les faits qui s’étaient déroulés sous leurs yeux, comme sur ce qu’ils avaient dit et ouï dire avant de se rendre aux Mountain Meadows, pendant qu’ils s’y trouvaient et postérieurement. Les autres personnes entendues avaient été invitées à se borner à la narration des faits, soit que, témoins cités par le ministère public, elles eussent eu à subir un interrogatoire contradictoire dirigé par la défense, soit qu’elles eussent été citées par celle-ci. Et malgré cela, il n’avait pas été possible de prouver qu’il y eût eu, entre les gens incriminés, une entente ayant un autre but que de sauver les émigrans qui avaient survécu et d’enterrer les morts. Il fit remarquer que l’attaque, à la suite de laquelle le convoi s’était couvert par un retranchement, était survenue inopinément du fait des Indiens; puis, essayant toujours de mettre en cause ceux qui se trouvaient nommés dans l’acte d’accusation, il constata que tous n’étaient pas venus de la même localité, qu’ils ne campaient pas tous ensemble, et prétendit en tirer la preuve qu’ils n’avaient pu se concerter. Il montra les Indiens disparus le jour où les Arkansais se confièrent aux Mormons et, à l’insu de ceux-ci, placés en embuscade. Il demanda où était la preuve que Lee eût conçu le plan abominable dont on l’accusait, et affirma que les Mormons avaient été aussi surpris que les émigrans par l’agression soudaine des Peaux-Rouges. Lee, d’ailleurs, était avec la tête du convoi, à ce moment; il n’avait rien pu voir et s’était hâté de mettre les enfans à l’abri. Puis l’orateur chercha à prouver le peu de confiance que devaient s’inspirer les confessions de Philipp Klingensmith et de Joël White qui, de leur propre aveu, avaient pris part au massacre ; il s’efforça de montrer que de nombreuses divergences s’étaient produites dans les dépositions relatives aux ordres qu’on prétendait avoir été donnés par Lee et à la formation des Mormons marchant en file avec les émigrans. Il conclut en disant que seuls, exaspérés contre les Arkansais qui avaient empoisonné les viandes laissées derrière eux et l’eau des rivières, les Indiens étaient les auteurs du massacre ; que les Mormons n’étaient accourus que pour essayer de s’interposer; qu’après la capitulation négociée par Lee, ils avaient cru que les Indiens s’étaient rendus à leurs prières, mais que traîtres, comme toujours, les Peaux-Rouges s’étaient rués sur les émigrans qui défilaient devant eux désarmés; que, par son courage et son adresse, Lee avait réussi à sauver les enfans et que ce qui avait pu être arraché aux Indiens, du pillage du convoi, avait été déposé entre les mains des autorités de l’Église, pour subvenir à l’entretien des orphelins, héritiers indiqués des victimes.

Le juge E. D. Hog prit la parole après Sutherland, pour montrer les contradictions qu’il constatait dans les différentes dépositions. Son plaidoyer fut court, mais W. W. Bishop qui le remplaça par la pendant plus de cinq heures : il commença par attaquer avec la plus grande violence la déposition de Klingensmith, puis il tourna ses foudres contre le témoin lui-même, le comparant à Cain errant sur la terre, marqué au front du stigmate du meurtrier. Il fit ensuite observer que parmi les orateurs qui l’avaient précédé, quelques-uns avaient manifesté leur étonnement en constatant l’obéissance aveugle dont avaient fait preuve les gens incriminés ; il déclara qu’il n’y avait là aucun sujet de surprise pour quiconque connaissait la discipline rigide imposée par l’Église. Il taxa d’inconvenante l’observation du ministère public affirmant aux jurés que le monde avait les yeux fixés sur eux; seule, leur conscience devait les guider dans le prononcé du verdict dont dépendait la vie du prisonnier. La péroraison ne fut qu’une longue flatterie à l’adresse du jury, la glorification des sentimens dont il disait le savoir animé : elle excita les applaudissemens de l’auditoire composé presque exclusivement de Mormons, et le marshal fut obligé d’intervenir, pour rappeler à l’ordre les assistans.

Le dernier mot appartenait au ministère public qui, par l’organe de R. N. Baskin, commença par prendre sévèrement la défense à partie. L’orateur dit que, si un étranger avait entendu les attaques portées contre le peuple des Etats-Unis et ses attorneys, il aurait été en droit de se demander : « Qui donc était en accusation ici? » Puis, revenant à la cause, R. N. Baskin constata que le fait du massacre, odieux en lui-même, révoltant par les détails, était établi, reconnu; il parla de l’organisation de la légion de Nauvoo, corps de troupe qui offensait la conscience publique, qui n’était qu’un instrument brutal entre les mains du despotisme de l’Église et qui faisait partie intégrante de celle-ci, ses officiers les plus élevés en grade étant en même temps revêtus des plus hautes dignités ecclésiastiques. Le recueil des lois de l’Utah en main, il prouva que jusqu’à l’année précédente, leur exécution était confiée aux autorités mormonnes, que le marshal du Territoire, chargé des poursuites criminelles était nommé par le même pouvoir ; que les Probate Courts exerçaient leur action concurremment avec les Courts de District des États-Unis. En 1874, seulement, un acte du Congrès investissant le District attorney des États-Unis du pouvoir d’exercer les poursuites, avait changé le système judiciaire. Les autorités mormonnes étaient donc seules responsables du temps écoulé depuis le crime commis aux Mountain Meadows, sans que les coupables eussent été poursuivis et déférés à la justice. Ce crime était à la fois un crime de lèse-civilisation et de lèse-humanité; c’était donc à juste titre que, dans cette enceinte, il avait été dit que le monde civilisé avait les yeux sur le jury. Ce n’était pas le spectacle du prisonnier pendu que désirait le pays, il voulait voir son honneur vengé. La défense avait prétendu que le ministère public demandait la condamnation de Lee parce qu’il était un Mormon. Cette assertion était une insulte à l’intelligence des jurés. L’orateur passa ensuite en revue les témoignages et les témoins, et s’attacha plus particulièrement à la personnalité de Klingensmith. Qui était-il? Un ancien évêque mormon. En raison de sa haute situation, il avait été un des principaux auteurs du crime et sa déposition avait été en butte spécialement à toutes les attaques de la défense, parce qu’il avait avoué sa participation au massacre. Toutes ses réponses, marquées au coin de la vérité, n’avaient été faites qu’après mûre réflexion; toutes avaient été corroborées par les déclarations des autres témoins. Les avocats de Lee avaient demandé quel emploi pouvait donc bien remplir un pareil homme? L’orateur allait les éclairer sur ce point : Klingensmith jadis avait été estimé bon pour devenir un évêque polygame, pour aider à l’établissement du royaume, pour exécuter les ordres de ses supérieurs, pour tuer et piller sur un commandement de Brigham Young, le serviteur élu de Dieu. Tant que sa soumission ne s’était pas démentie, il avait été reconnu apte à gravir tous les degrés de la hiérarchie de l’Eglise, jamais un mot n’avait été prononcé contre lui. Mais maintenant qu’il avait secoué les chaînes de la servitude, qu’il témoignait de son repentir en déchargeant sa conscience du poids qui l’oppressait, il n’était plus qu’un monstre haïssable! Revenant à l’accusé, R. N. Baskin montra que tous les témoignages étaient d’accord pour prouver que c’était Lee qui avait amené les émigrans à capituler et il demanda au jury s’il était admissible que ce fût dans l’intention d’arracher les Arkansais à la poignée d’Indiens qui les entouraient, qu’il avait engagé ces malheureux à mettre bas les armes, à lui confier leurs enfans et à marcher à la mort, sur une file.

Si les Indiens avaient forcé les Mormons à participer au massacre, il était bien probable qu’à leur tour les Mormons eussent été les victimes de leurs sauvages alliés et durant les jours qui suivirent, on n’eût pas vu les Peaux-Rouges venir, sans exciter ni étonnement, ni crainte, laver paisiblement, dans les fossés de Cedar City, les vêtemens souillés de sang de ceux qui avaient succombé. Puis l’orateur appuya sur la visite de Lee, Higbee et Klingensmith au président, visite durant laquelle un rapport circonstancié des événemens ayant été fait à Brigham Young, alors gouverneur du Territoire et ex-officio surintendant pour la surveillance à exercer sur les Indiens, celui-ci s’était contenté de donner à Klingensmith l’ordre de remettre à Lee le dixième du butin qui avait été recueilli et de faire marquer à la marque de l’Eglise le bétail qui lui revenait, après quoi il s’était borné à recommander à ses visiteurs de ne parler du massacre à personne et d’éviter de s’en entretenir entre eux.

Baskin affirma que certainement, sur la terre entière, il n’existait pas une autre communauté où, pendant 18 ans, un pareil attentat n’eût été l’objet d’aucune poursuite et où, par son silence, le peuple se fût en quelque sorte déclaré le complice des auteurs de cet exécrable forfait; qu’il n’y avait pas de société régulièrement organisée où il pût publiquement être enseigné que tuer était un devoir envers Dieu. Il reconnut que la Constitution garantissait la liberté religieuse[13], mais que ses auteurs n’avaient pas entendu, sous cette étiquette, garantir la liberté de commettre des crimes ; il adjura le jury de faire abandon de ses sympathies et de prononcer le verdict qu’imposaient les témoignages recueillis ; enfin il conclut en disant que parmi les jurés il y avait des Mormons; qu’en général ceux qui appartenaient à cette secte avaient perdu tout sentiment viril, abdiqué toute volonté, et que c’était avec tristesse qu’il avouait ne pas s’attendre à ce que ceux-là fissent leur devoir d’hommes libres et probes.

Le jury se retira alors pour délibérer. Il demeura en séance trois jours, au bout desquels il déclara ne pouvoir se mettre d’accord. — Il y avait eu, dit-on, neuf voix pour l’acquittement et trois pour la condamnation, le chef du jury, J. G. Heister, un Gentil, ayant selon toute apparence voté avec les huit jurés mormons.

Devant cette impossibilité d’arriver à un verdict[14], le jury fut congédié et Lee reconduit à la prison, pour y attendre le moment où il serait de nouveau mis en jugement.


IV

Une année s’écoula avant que les poursuites fussent reprises. Le procès recommença à Beaver, devant la cour du District, présidée encore par le juge Boreman et dura du 13 au 20 septembre 1876. Cette fois, les autorités de l’Eglise avaient décidé d’abandonner le prisonnier à son sort, et les jurés mormons avaient reçu des instructions en conséquence.

Entrer dans le détail de ce second procès n’offrirait qu’un minime intérêt et exposerait à des redites inutiles. Il convient, toutefois, de citer la déposition de Samuel Mc Murdy, qui affirma avoir vu l’accusé tuer une femme de sa main, achever deux ou trois des blessés qui se trouvaient dans les chariots et ordonner la mort de deux jeunes filles, qui s’étaient échappées et que ramenaient des Indiens, envoyés à leur poursuite.

Reconnu coupable, John Doyle Lee fut condamné à la peine capitale et l’exécution fixée au 26 janvier 1877.

Les poursuites contre William H. Dame, Isaac G. Haight et les autres individus compris dans l’acte d’accusation furent abandonnées.

Lee interjeta appel, mais la Cour suprême ayant confirmé le jugement, usant des droits que lui conféraient les lois de l’Utah de choisir le genre de mort, il demanda à être fusillé.

L’exécution eut lieu à dix heures du matin, sur le théâtre même du crime.

Des voitures amenèrent le détachement armé, le prisonnier, le marshal des États-Unis, William Nelson, le District attorney, et quelques autres personnes. Descendu de voiture, Lee s’assit sur un cercueil grossier fait avec des planches de sapin, qu’on avait déposé au pied du tumulus élevé à la mémoire des victimes du massacre et, avec un calme extraordinaire, il attendit que tous les préparatifs fussent achevés. Alors le marshal, ayant lu l’ordre d’exécution, se tourna vers le condamné et lui demanda s’il n’avait rien à dire. Celui-ci se leva, jeta les yeux autour de lui et, sans que sa voix dénotât la moindre émotion, déclara qu’il n’avait pas grand’chose à ajouter à ce qu’il avait dit déjà : une victime était nécessaire, et c’était lui qui avait été désigné ; pendant trente ans, il s’était complu à satisfaire aux volontés de Brigham Young, et dans quelques instans, il allait recevoir sa récompense! Mais il ne craignait pas la mort et demandait seulement à Dieu de le recevoir dans sa miséricorde. — Puis il s’associa à la prière d’un pasteur méthodiste agenouillé près de lui, échangea une poignée de main avec chacun des assistans, se laissa bander les yeux et, s’asseyant sur le cercueil, face au peloton d’exécution, il demanda aux soldats de le viser au cœur. Quelques secondes après, une détonation se faisait entendre et John D. Lee s’affaissait foudroyé.

Dans un écrit précédant de peu de jours sa fin tragique, il avait reconnu sa culpabilité, mais il y avait affirmé, une dernière fois, que l’ordre d’exécuter le massacre émanait de Brigham Young. Celui-ci protesta énergiquement, comme il l’avait fait précédemment, contre cette accusation renouvelée au seuil de la tombe. Peut-être, en dépit de ses dénégations, eût-il été appelé ultérieurement à donner la preuve de son innocence, mais s’il était coupable, il échappa à la justice des hommes: il mourut en effet du choléra, quelques mois plus tard, le 29 août 1877.



En terminant le récit de cet épisode détaché de l’histoire des Mormons, il convient de constater que, si le mormonisme existe encore aujourd’hui, il a été fort amendé... au moins en apparence, et a cessé d’être un danger.

Progressivement, le Congrès a ramené à des proportions compatibles avec la morale la somme de liberté accordée aux Saints du dernier jour, pour se conformer aux prescriptions de leurs lois religieuses.

Ces réformes ont naturellement rencontré une violente opposition chez les intéressés, mais, — et le fait étonnera peut-être, — elles ont aussi été vivement combattues, aux Etats-Unis, par un grand nombre d’esprits éclairés qui, malgré leur peu de sympathie pour les coreligionnaires de Brigham Young, pensaient que toute immixtion dans les affaires de l’Eglise, fondée par Joseph Smith, risquerait de porter une atteinte au principe fondamental de la liberté des cultes, inscrit dans la Constitution. A Washington, un groupe important parmi les législateurs partageait si bien cette opinion que la loi mettant fin à la polygamie, devenue exécutoire en 1887, — qui révisait la loi de mars 1882, édictée elle-même pour remplacer celle de 1862, restée sans effet, — n’a été votée au Sénat que par 37 voix contre 13; il y a eu 26 abstentions, et elle a passé sans recevoir l’approbation du président des Etats-Unis. C’est là un nouvel et intéressant exemple de ce profond respect de la Constitution qui, ainsi qu’on l’a déjà fait remarquer, distingue le peuple américain ; c’est aussi la preuve de l’existence de ce sentiment si vif de la liberté, en quelque sorte inné chez lui, mais trop rare chez nous, qui apprend à chacun à respecter les opinions d’autrui.


LOUIS DE TURENNE.

  1. Brigham Young, né à Whitingham (Vermont), le 1er juin 1801. Fils d’un fermier, son éducation fut sommaire, et dans sa jeunesse il exerça le métier de peintre en bâtimens et de vitrier. Ce fut en 1830 que, pour la première fois, il lut le contenu des Tables dont l’existence avait été révélée au prophète Joseph Smith. En 1832, il se fit baptiser et se rendit dans l’Ohio auprès du Prophète, qui ne tarda pas à le distinguer. En 183S, il devenait un des douze apôtres. Absent de Nauvoo, établissement fondé en 1838, dans l’Illinois, quand Joseph Smith et son frère Hiram furent massacrés à Carthage (juin 1844), il se hâta de revenir et fut élu Président par les Apôtres, dont le choix fut approuvé par la majorité des Mormons.
  2. Un des noms que prennent les Mormons.
  3. Los Mormons désignent ainsi les chrétiens.
  4. Ou « Terre de l’Abeille ».
  5. Le 29 août 1832, Brigham Young avait proclamé la Loi céleste du Mariage, sanctionnant la polygamie. Une sorte de schisme en était résulté.
  6. Joseph Smith, fondateur du mormonisme, né le 23 décembre 1805, à Sharon (Vermont), d’une famille presbytérienne. Ce fut, à l’en croire, en 1820, à la suite d’un Revival, — sorte de conférence religieuse, — qu’il se sentit touché de la grâce. Quelque temps après, toujours d’après lui, dans un bois situé près de Manchester, dans le comté d’Ontario, il eut une première vision, puis trois ans après, trois visions successives dans lesquelles un ange lui révéla l’œuvre à laquelle il était appelé, et l’existence du Livre qui contenait l’Évangile de la Religion nouvelle. Il ne fut autorisé à en prendre connaissance qu’en 1827, et il en fut dépossédé par la volonté divine, l’année suivante. La nouvelle Église reçut sa première organisation en 1830.
  7. Nom tiré de la Genèse, XLIX, 17. — En 1873, on voyait encore circuler dans les rues de Salt Lake City, un de ces Danites du nom de Porter Rockwell, que la rumeur publique accusait de plus de 90 meurtres.
  8. Lee naquit à Kaskaskia, dans l’Illinois, en 1812. Il se joignit aux Mormons en 1837; il devint évêque, membre de la Législature de l’Utah et juge du comté de Washington (U.). Il eut 18 femmes et 64 enfans.
  9. Les fonctions du marshal sont à la fois celles d’un greffier et d’un commissaire de police.
  10. « Personne ne sera tenu de répondre à l’accusation d’un crime capital ou autre crime infamant, qu’après la dénonciation ou la mise en accusation par un grand jury... » (Art. V des Art. additionnels et Amendemens à la Constitution des Etats-Unis. — 15 décembre 1791.)
  11. « Le Congrès aura le droit de faire toutes les lois et réglementations nécessaires pour les territoires ou autres propriétés des États-Unis. » (Sect. 3. — Art. IV de la Constitution des États-Unis.)
  12. Ce qui assure la grâce du témoin dénonciateur.
  13. « Le Congrès ne pourra établir une religion d’État, ni défendre le libre exercice d’une religion... » (Art. I des Art. additionnels et Amendemens à la Constitution des États-Unis d’Amérique.)
  14. Aux États-Unis, pour la condamnation ou l’acquittement, l’unanimité est nécessaire.