Une Nuit (élégie) (O. C. Élisa Mercœur)

Œuvres complètes d’Élisa Mercœur, Texte établi par Adélaïde AumandMadame Veuve Mercœur (p. 55-58).


UNE NUIT.
ÉLÉGIE.
 

Le malheureux éprouve un besoin de silence ;
Il faut qu’en liberté puisse battre son cœur :
Le jour, il se contraint, la nuit, plus calme, il pense :
La pensée est du moins un reste de bonheur.

Élisa Mercœur
 

À l’heure du silence, heure pure et sacrée
Où la vierge des nuits, mollement égarée,
Dans la plaine d’azur promène son rayon
À l’heure où vient rêver la Contemplation,
À l’heure enchanteresse où la Mélancolie,
Cette fille du Calme et du Recueillement,
Glissant comme un parfum dans une âme attendrie,
De tristesse et d’espoir la berce doucement,

Le paisible nocher s’approchait du rivage,
Des roses s’exhalaient une mourante odeur,
Et les arbres émus balançaient leur feuillage
Sur le flot qu’entr’ouvrait la rame du pêcheur.


Long-temps encor, lune charmante.
Étincelle au pâle horizon ;
Du mystère timide amante,
Jette dans l’onde transparente
Le blanc reflet de ton rayon.

Qu’égaré sur l’humide plaine,
Tranquille, agité tour à tour.
Un souffle propice ramène
Cette voile qu’effleure à peine
La dernière haleine du jour.

Les flots ont embrassé la rive :
À la fenêtre du manoir
La vierge inquiète, craintive,
Vient, et s’assied toute pensive,
Pour goûter la fraîcheur du soir.

Elle se penche, sur sa lyre
Égare sa tremblante main,
Jusqu’à l’heure où la nuit expire,
Où du tendre oiseau qui soupire
Les chants annoncent le matin.


Comme la brise qui résonne
En caressant le bord des mers,
Comme le rameau qui frissonne,
À l’écho sa voix abandonne
Des sons plaintifs frappant les airs.


 « Les rêves de mon âme ont passé comme une ombre
« Qui s’enfuit quand la main s’étend pour la saisir ;
« Je me suis éveillée, et des chagrins sans nombre
« En pesant sur mon cœur sont venus le flétrir.

« Las ! à ce qui n’est plus, quelle erreur de prétendre !
« Tout m’accable aujourd’hui, tout m’apporte un regret :
« Vainement je crois voir, en vain je crois entendre ;
« C’est la nuit, le silence ; et pour moi tout se tait.

« Mais au monde, en cédant à ma peine fatale,
« Je puis, je puis cacher ce que souffre mon cœur,
« Et les soupirs brûlans fuyant par intervalle
« De mon sein oppressé par un poids de douleur.

« Heureux, lorsque du jour la flamme est éclipsée,
« Évitant du sommeil les mensongers plaisirs,
« Qui peut, en égarant sa mobile pensée,
« La poser tour à tour sur mille souvenirs.

« Alors, en écoutant la molle Rêverie,
« Celui qui vient remplir la méditation

 « Repasse, en rappelant les heures de sa vie,
« Ses peines, son bonheur et chaque émotion.

« Le malheureux éprouve un besoin de silence ;
« Il faut qu’en liberté puisse battre son cœur ;
« Le jour il se contraint, la nuit, plus calme, il pense !
« La pensée est du moins un reste de bonheur.

« Que de fois, en pensant, le mal qui me déchire
« Me laisse respirer et s’éloigne de moi !…
« C’est toi !… Je t’ai revu !… Tes yeux vont me sourire…
« Je suis heureuse enfin lorsque je songe à toi !

« Mais toi, mon doux ami, dont mon âme abîmée
« Se plaît à me parler comme de son trésor,
« Je t’en prie, ah ! dis-moi, long-temps, long-temps encor,
« Te rappelleras-tu combien tu m’as aimée ?

« Si tu ne m’aimais plus, il me faudrait mourir !
« Non ! que jamais l’oubli n’efface mon image ;
« Ne m’ôte pas l’espoir quand lui seul me soulage,
« Mon ami ! j’ai besoin d’un bien long souvenir.

« Ah ! puissé-je bientôt, contre ton sein pressée,
« Ne plus m’en rapporter à d’incertains hasards,
« Sentir ma main brûlante à ta main enlacée,
« Et retrouver mon cœur dans un de tes regards ! »


(Septembre 1826.)