Une Heure de soir (Verhaeren)

Poèmes (IIIe série)Société du Mercure de France (p. 190-192).

UNE HEURE DE SOIR


Mon cœur ? — Il est tombé dans le puits de la mort.
Et sur le bord de la margelle
Sur le bord de la vie et de la margelle
J’entends mon cœur lutter, dans le puits de la mort.

— Le silence est effrayant —

Comme un morceau de gel
La lune aussi, au fond du puits
Laisse tomber sa pâleur éternelle.

Mon cœur est un quartier de chair,
Un bloc de viande saignante,
Mon cœur bat, seul, au fond du puits,
Contre un morceau de lune ardente.


— Le silence et le grand froid ;
Et, par la nuit, le vague effroi
D’un ciel plein d’astres en voyage —

Au fond des citernes de mort,
Mon cœur s’acharne et bat encor
À coups de fièvre, sur la lune.

La lune à lui, parmi les eaux, s’allie ;
La lune est un visage étincelant ;
La lune est un hiver de miroirs blancs
Sur l’eau des Nords du sort ;
La lune est un bloc de folie ;
La lune est une bouche de gel
Qui mord mon cœur essentiel.

Les tenailles des minuits clairs
Serrent ce cœur entre leurs fers ;

La patience des aiguilles du givre
Criblent ce cœur ardent de vivre ;
Déjà les eaux, couleur de son cadavre

Roulent ce cœur, avec de lents remous
Et des hoquets, vers de grands trous.
Et certes, un soir, la lune enfermera
Ce cœur, malgré ses battements de haine
Comme une pierre en une gaine.

— Alors que le grand froid sauvage
Et, par la nuit, le vague effroi
D’un ciel plein d’astres en voyage,
Définiront ma mort, par cette image.