Une Ambassade au Maroc
Revue des Deux Mondes3e période, tome 76 (p. 572-592).
UNE
AMBASSADE AU MAROC

IV.[1]
LA RECEPTION DU SULTAN. — LE SULTAN MOULA-HASSAN.


IX. — RECEPTION DU SULTAN.

Nos trois jours de retraite préparatoire et purificatoire terminés, nous fûmes prévenus que le sultan nous recevrait, vers huit heures du matin, avec le cérémonial accoutumé, dans la grande esplanade, ou plutôt dans le grand champ de manœuvres qui précède son palais. Nous étions enfin sur le point d’assister au spectacle, si impatiemment attendu, d’une cour du moyen âge conservant, en plein XIXe siècle, toutes les coutumes du passé. Sans doute, il ne devait point être absolument nouveau et imprévu pour nous : sur combien de théâtres, dans combien de drames ou de féeries, n’en avions-nous pas vu de semblables? Mais, ici, ce n’est pas une représentation qui allait nous être offerte par des acteurs plus ou moins au fait de leur rôle ; c’est la vérité même, avec ses grandeurs et ses misères, que nous étions à la veille de contempler. Je m’en faisais, j’en conviens, un plaisir infini, plaisir d’artiste, plaisir d’archéologue et d’historien, plutôt que plaisir d’homme politique ; car il n’est pas très sûr pour moi que les puissances européennes aient raison de permettre à un souverain aussi faible que l’empereur du Maroc, à un souverain qui n’est même pas maître de ce qu’on appelle improprement ses états, d’accueillir leurs ambassadeurs comme les représentans de nations vassales, s’inclinant devant un pouvoir supérieur. Beaucoup de personnes sont profondément choquées de ce qu’elles considèrent comme une humiliation. J’étais bien éloigné de partager ce sentiment. J’aurais été humilié de voir le ministre de France s’avancer, à pied, tête nue, devant Moula-Hassan à cheval, le front ceint d’un énorme turban qu’ombrageait encore un grand parasol, si cet appareil modeste était réellement, comme autrefois, l’indice d’une infériorité de la France vis-à-vis du Maroc. Mais le jour où il plaira à un ambassadeur européen quelconque de déclarer au sultan qu’il entend être reçu par lui sur un pied d’égalité, il n’est pas douteux un instant que le sultan se soumettra. Il y a bien peu d’années, les ambassadeurs ne présentaient leurs lettres de créance qu’à genoux, en véritables tributaires; on affirme que l’agent anglais à Tanger, M. Drummond Hay, les a encore remises de cette manière, en 1845, à Moula-Abd-er-Rhaman. L’Europe s’est émancipée. Un progrès nouveau s’est fait sous le prédécesseur de M. Féraud, M. Ordega : jusqu’à lui, les ambassadeurs restaient la tête découverte en adressant au sultan leur discours de bienvenue. M. Ordega a déclaré qu’il trouvait l’usage inconvenant et qu’il se couvrirait ; et il s’est couvert, et tout le monde depuis l’a imité. Il est donc bien clair que le vieux cérémonial des réceptions d’ambassadeurs, au Maroc, disparaîtra dès que l’Europe jugera à propos qu’il disparaisse. Il ne subsiste que parce qu’il lui plaît de s’y prêter. Peut-être a-t-elle tort de flatter l’orgueil musulman, qui aurait plutôt besoin d’être sans cesse rabaissé. Mais je bénis le ciel qu’elle ne l’ait point encore fait et qu’il m’ait été donné de voir de mes yeux une scène qui m’a rappelé ce qui se passait à Constantinople il y a deux siècles, lorsque les états chrétiens arrivaient, presque en supplians, auprès du sultan, lequel les écrasait de sa morgue, et semblait, tout en les accueillant avec un air de bienveillance, leur montrer de loin les Sept Tours comme un avertissement.

Moula-Hassan ne nous a pas montré les Sept Tours, qui n’ont jamais existé à Fès, bien qu’il nous ait reçu dans une cour fermée de murailles crénelées, assez semblables à des murs de citadelle ou de prison. Mais il n’a rien négligé pour nous rappeler qu’il était le calife véritable, l’émir el moumenin, le prince des croyans, auprès duquel, si tout était dans l’ordre, les chrétiens devraient ramper dans la poussière. La grande prétention des sultans du Maroc a toujours été d’être supérieurs à ceux de Constantinople, qui, ne descendant point de Mahomet et n’étant point Arabes, ne sauraient, en bonne théologie, avoir droit au pontificat suprême de l’islam ; et, bien que cette prétention soit contredite par les faits, elle est théoriquement très juste et très soutenable. Les Turcs sont des usurpateurs ; ils ont arraché par la force aux Arabes le gouvernement de l’islamisme : faut-il toutefois admettre que, dans la religion comme dans la politique, la force prime le droit? Les Marocains, pour leur compte, pensent le contraire; ils proscrivent de leurs prières le nom du sultan de Constantinople pour y placer le nom du leur, et regardent ce dernier comme le chef, comme l’arbitre, comme le pontife suprême des croyans. C’est à la suite de la célèbre bataille de Zalâca, où il affermit la puissance arabe en Orient, que l’émir Youssef ben Tachefyn se donna le titre d’émir el moumenin, que tous les sultans du Maroc ont porté après lui, en dépit des défaites qui diminuaient peu à peu leurs domaines et restreignaient leur domination. « Youssef ben Tachefyn, dit l’auteur du Roudh-el-Kartas, est le premier des souverains du Maghreb qui prit le titre de Prince des croyans, par lequel, depuis lors, il commença ses lettres, dont les premières furent lues en chaire dans les villes de l’Adaoua et de l’Andalousie, pour annoncer la nouvelle de la victoire de Zalâca et tout ce que Dieu lui avait accordé de butin et de conquêtes. A partir de cette époque, il fit battre une nouvelle monnaie, sur laquelle étaient gravés ces mots : Il n’y a de Dieu que Dieu et Mohammed est l’envoyé de Dieu, et au-dessous : Youssef ben Tachefyn, émir des musulmans, et en exergue : Celui qui veut une religion autre que l’islam, Dieu ne le recevra pas, et au dernier jour il sera parmi les perdans. Sur le revers de la pièce était gravé : L’émir Abd Allah el Abessy, prince des croyans, et en exergue la date et le lieu de la fabrication[2]. » Le sultan au Maroc est donc, non-seulement le souverain du pays, mais pour ainsi dire le pape de tous les musulmans. Encore convient-il de remarquer que le pape, dans la hiérarchie catholique, n’est que le premier des prêtres, le pouvoir sacerdotal étant divisé entre les membres innombrables du clergé. Dans l’islamisme, il n’y a pas de prêtres, ou plutôt il n’y en a qu’un qui est le calife : en lui se réunit, se résume, se condense toute la puissance, toute l’autorité religieuse. Le sultan du Maroc est donc, aux yeux des fidèles, un être unique, une sorte de reflet vivant de la divinité. Sans doute le sultan de Constantinople lui dispute cette situation privilégiée ; mais peu importe! Est-ce que le caractère même de la papauté était affaibli, aux yeux des fidèles, à l’époque où il y avait deux papes à la fois ? De ces deux papes un seul était le vrai, et je répète qu’en bonne théologie, des deux califes, le seul légitime est celui du Maroc.

Il faut tenir compte de toutes ces circonstances pour comprendre les motifs qui décident les souverains du Maroc à recevoir avec autant de hauteur qu’il leur est permis d’en déployer les ambassadeurs des puissances européennes. Trouvions-nous étrange que les papes soumissent à un cérémonial particulier jusqu’aux princes et aux rois qu’ils admettaient en leur présence? Pourquoi ne pas excuser chez les musulmans ce qui a paru chez nous tout naturel? Les sultans du Maroc se sont d’ailleurs toujours montrés accommodans envers les Européens qu’ils ont accueillis auprès d’eux, leur morgue musulmane étant tempérée par le sentiment de l’hospitalité. C’est ainsi qu’après avoir gagné la bataille d’Alarcos, digne pendant de celle de Zalâca, l’émir El Nasser ben el Mansour, apprenant que Sanche de Navarre s’était décidé à venir implorer directement sa clémence, fit appeler un de ses caïds, nommé Abou el Djyouch, et lui tint le discours suivant : « Abou el Djyouch, lorsque cet infidèle arrivera, il faudra bien que je le reçoive convenablement ; mais s’il vient à moi et que je me lève pour aller au-devant de lui, j’agirai contrairement au sonna, qui défend de se lever pour un infidèle en Dieu très haut. D’un autre côté, si je ne me dérange pas et que tout le monde fasse comme moi, ce sera manquer aux égards de politesse qui lui sont dus, car il est grand roi d’entre les rois chrétiens, il est mon hôte, et il est venu me rendre visite. Je t’ordonne donc de te porter au milieu de la tente, et lorsque l’infidèle entrera par une porte, j’entrerai, moi, par l’autre porte. Tu te lèveras aussitôt et tu me prendras la main pour me faire asseoir à ta droite ; tu offriras également l’autre main à l’infidèle et tu le feras asseoir à ta gauche, et tu te placeras toi-même entre nous deux pour nous servir d’interprète. » Le caïd Abou el Djyouch exécuta littéralement les ordres de son maître ;. et, lorsque l’émir et Sanche de Navarre furent assis, il dit à celui-ci : « Voici le prince des musulmans, » et ils échangèrent leurs salutations[3]. On voit, qu’il est avec le ciel et avec les califes des accommodemens. Si les puissances étrangères refusent un jour de laisser leurs ambassadeurs se soumettre au cérémonial actuel de la présentation au sultan, l’exemple de l’émir El Nasser pourra servir de précédent pour trouver un moyen de respecter le sonna, qui défend de se lever pour un infidèle en Dieu très haut. Quoi qu’il en soit, le 9 mai, à sept heures du matin, nous étions en selle, disposés à nous rendre au palais de Moula-Hassan et à lui présenter nos hommages suivant l’antique usage et d’après la mode du pays. Notre bataillon de harabas était sous les armes, prêt à nous escorter. Nous traversâmes la ville par la route où nous avions déjà passé, au milieu d’une foule immense qui nous regardait cette fois avec une sorte de respect, comme des gens sur le point de jouir de la vue bienheureuse et sacro-sainte du lieutenant de Dieu sur la terre. Nous arrivâmes ainsi jusque dans l’immense esplanade placée à côté de son palais, dont le sultan se sert surtout pour faire manœuvrer son artillerie : c’est son occupation favorite et il s’y applique avec un intérêt passionné. Notre entrée fut saluée par des fanfares qui éclataient de tous côtés. Ce premier coup d’œil était fort beau. L’esplanade est bornée, dans toutes les directions, par de hautes murailles crénelées et flanquées de tours également crénelées. Une partie de ces murailles est neuve, ayant été construite par Moula-Hassan ; mais l’autre partie, qui est bien plus considérable, est très ancienne, et le temps lui a donné la couleur cuivrée qui, dans les pays africains, est la parure des pierres vieillies au soleil. Quelques-unes des tours sont d’une noble architecture; on y pénètre par des portes arabes dentelées et couvertes de mosaïques d’un vif éclat. Nous fumes frappés d’emblée de la majesté de ce cadre ; le tableau qui s’y déroulait, bien qu’à demi sauvage, n’en était pas moins très imposant. L’armée entière du sultan était là, rangée en longues lignes aboutissant toutes au même point, à une porte lointaine autour de laquelle se pressait une foule blanchâtre qu’on ne distinguait que vaguement. C’est par cette porte que le sultan devait déboucher et s’avancer vers nous. Ses soldats étaient là plutôt pour l’acclamer que pour nous faire honneur. Tous étaient à pied. Les cavaliers, que nous avions vus, à notre entrée à Fès, caracolant sur leurs chevaux, étaient descendus de leurs montures ; alignés dans la poussière comme de simples fantassins, ils tenaient leurs fusils, enveloppés de gaines rouges, avec plus de maladresse encore que d’habitude. Quelques-uns avaient à la main de grands foulards de diverses couleurs, qui leur servent, paraît-il, à couvrir la gâchette de leurs armes, mais qu’ils semblaient porter, ce jour-là, comme de simples ornemens. Personne ne doit être à cheval lorsque le sultan paraît, et tout le monde doit se découvrir la tête à son approche, à moins de porter le tarbouch rouge, qui, indiquant qu’on est à son service, est par cela même une coiffure d’esclave. Il était donc convenu que nous serions à pied et nu-tête; mais j’avais espéré qu’en vue de nous rendre cette situation moins désagréable, on nous placerait à l’ombre de quelque muraille protectrice. Au lieu de cela, c’est au grand milieu de l’esplanade du sultan, en plein soleil, déjà fort ardent pour nos fronts, que le maître des cérémonies nous fit mettre pied à terre et nous recommanda d’attendre patiemment l’arrivée de son maître. Il était clair qu’on avait choisi cette place afin que tous les rangs de l’armée pussent contempler l’ambassade chrétienne humiliée devant le prince des croyans. Pour que notre rôle de vassaux fût encore plus ostensible, on disposa auprès de nous nos deux batteries d’artillerie et derrière elles on fit placer les trois jumens que nous allions offrir au sultan. C’étaient les tributs que nous apportions au chef de l’islam, qui ne daignait nous recevoir que pour les accepter. Il n’y avait, à coup sûr, pas un doute à ce sujet dans l’esprit de cette masse de nègres, d’Arabes, de Berbères, de sang-mêlé, qui nous regardait curieusement. Les siècles ont glissé sur ces natures primitives sans leur apporter une idée nouvelle. Ils ne savent rien du monde ; ils ne connaissent que leur pays. Ils s’imaginent être encore à l’époque où le nom de Mahomet faisait trembler la chrétienté, où l’Espagne subissait le joug de l’islamisme, où l’Europe entière se sentait menacée par lui.

De l’endroit où nous étions, nous pouvions lire sur les visages des soldats rangés autour de nous les sentimens que notre vue leur inspirait. Il va sans dire que nous avions gardé nos chapeaux sur la tête, ne devant nous découvrir qu’à l’arrivée de Moula-Hassan. L’exactitude n’étant pas la politesse des sultans, celui-ci ne se pressait pas d’arriver. Comme consolation, nous avions la visite de quelque grand personnage, qui se détachait du groupe blanchâtre de la porte du palais pour venir nous prêcher la patience, première vertu des vassaux. Tantôt c’était le caïd el-méchouar, tantôt le grand-vizir, lequel se traînait à peine, tantôt un ministre quelconque. Ces hauts dignitaires allaient, venaient, circulaient, et le temps s’écoulait. Je crois bien que cette manière de nous laisser dans l’attente faisait encore partie du programme. Cependant tout a une fin ; au bout de trois quarts d’heure environ, nous aperçûmes un grand mouvement dans le groupe blanchâtre sur lequel nous avions toujours les yeux fixés. Une double ligne de méchouari, c’est-à-dire de soldats du méchouar, sortes de gardes du corps ou d’agens de police du sultan, coiffés du tarbouch rouge pointu, portant une longue robe rouge ou noire sur laquelle était passée une chemise blanche transparente, un long bâton à la main, s’avança vers nous au pas de course. Au même moment, toutes les musiques se mirent à jouer tous les airs cosmopolites de leur répertoire, et d’immenses acclamations, éclatant de toutes parts s’élevèrent vers le ciel: « Que Dieu donne la victoire au sultan ! Que Dieu donne la victoire au sultan ! » Derrière les méchouari s’avançaient six chevaux admirablement sellés et caparaçonnés hennissant, bondissant, caracolant entre les mains de palefreniers, qui les tenaient respectueusement par la bride. Personne ne les montait. Après ces six chevaux, venait le caïd el-méchouar, criant d’une voix retentissante : «Mas habu bi-koum ! Soyez les bienvenus ! » Quelques maîtres de cérémonies le suivaient ; puis apparaissait un cavalier tout blanc, sur un cheval non moins blanc, émergeant d’un groupe de piétons blancs dont les uns portaient des lances, les autres agitaient près de lui des étoffes blanches, tandis que l’un d’eux élevait sur sa tête un énorme parasol vert. De loin, on distinguait mal sa figure, mais il était facile de remarquer sa haute stature, son air fier et réellement imposant. Le cortège se terminait par deux lignes de ministres, de chérifs et de tolbas marchant péniblement derrière le sultan, puis par une sorte de petit coupé d’ancien régime, peint de couleurs voyantes, mais dépourvu de siège pour le cocher.

Lorsque le cavalier blanc fut près de nous, nous nous découvrîmes, et, malgré le soleil qui nous brûlait les yeux, — car naturellement nous avions été placés de manière à l’avoir en plein visage, pendant que le sultan, qui seul jouissait d’une ombrelle, lui tournait le dos, — nous pûmes admirer Moula-Hassan. Admirer est bien le mot juste : le souverain du Maroc est certainement le plus bel homme de son empire et l’un des plus beaux qu’il soit possible de rencontrer dans un empire quelconque, même dans celui des rêves et des fantaisies. D’une stature élevée, d’un port singulièrement majestueux, il monte à cheval comme le plus habile des cavaliers arabes. Sa figure est d’une régularité parfaite, bien que ses lèvres, un peu fortes, attestent, aussi bien que son teint jaunâtre, que le sang nègre se mêle dans ses veines au pur sang de Mahomet. Ses grands yeux noirs sont magnifiques, d’un éclat perçant qui s’éteint avec une douceur charmante dès qu’il se met à sourire. Agé d’une quarantaine d’années à peine, tous les signes de la fermeté et de l’obstination sont empreints sur sa physionomie, d’un caractère puissant. Une sorte de gravité dédaigneuse, qui n’est pas sans mélange de dégoût et d’ennui, lui donne quelque chose de sévère, parfois même de sombre et de triste. Son regard a une expression singulière qui frappe au premier abord. Comme chez Si-Fedoul, la prunelle noire de ses yeux, toute chargée d’éclairs, n’occupe que la moitié supérieure de l’orbite et laisse voir le blanc au-dessous, pareille, diraient les poètes arabes, à la lune au-dessus de la ligne de l’horizon. Son front est constamment plissé, et, entre deux sourcils noirs, abondamment fournis, se creusent deux plis accentués et perpendiculaires. On le dit timide, et parfois il semble avoir l’air inquiet, mais sans aucune des préoccupations pour sa vie qui se lisent sur le visage tourmenté du sultan de Constantinople. C’est l’inquiétude d’une dignité excessive qu’il est difficile de porter toujours convenablement. Comme tous les cavaliers de son maghzen, Moula-Hassan a la tête rasée ; au-dessus des tempes se montrent, cependant, suivant la mode, deux touffes de cheveux noirs que le turban recouvre en partie. Sa barbe et sa moustache sont également noires. Il est vêtu du costume ordinaire des Arabes, mais toutes les parties de ce costume sont d’une éblouissante blancheur. Il paraît qu’il ne remet jamais le même deux jours de suite, et que, quand il en a porté un, il en fait cadeau à quelque personne de son entourage. Rien, à l’extérieur, ne le distingue de ses sujets ; un sabre et une petite boîte, retenue par un cordon vert, dans laquelle est placé le Bokhari, célèbre commentaire du Coran, pendent à son côté. Ses pieds sont nus, sans bas, chaussés de babouches jaunes qui reposent sur des étriers d’or. Son cheval, aux souples allures, avait, le jour de notre réception, une bride et une selle très simples, mais merveilleuses de couleur : un vert clair olivâtre, d’une délicatesse exquise, qui s’harmonisait avec un goût charmant à sa robe blanche et aux plis flottans de son manteau. En somme, dès qu’on avait jeté les yeux sur ce souverain de féerie, il était impossible de les en détacher ; car jamais l’idéal du roi à la manière antique, du prince religieux et militaire, n’a été extérieurement réalisé d’une façon plus accomplie.

A peine le sultan fut-il auprès de nous, qu’il se pencha majestueusement sur sa selle, la tête légèrement inclinée, dans une pose curieuse et attentive, d’une grande dignité. M. Féraud se couvrit alors, et, prenant la parole, il lui adressa le discours suivant, que je n’hésite pas à reproduire comme un modèle dans l’art de parler aux Orientaux, avec le style, les images, les formes de pensée et de langage qui leur conviennent :


Sire,

Que le salut et la bénédiction du ciel descendent sur la personne élevée, auguste et bien-aimée de Votre Majesté chérifienne. Je rends grâce à Dieu, je rends grâce à Dieu, je rends grâce à Dieu[4], je rends grâce au gouvernement de la république, qui m’a appelé à l’honneur de me trouver aujourd’hui en présence de Votre Majesté pour lui exprimer les sentimens d’amitié que la France professe envers elle. Quand de Tripoli, où je me trouvais précédemment, j’ai été désigné pour venir représenter mon pays au Maroc, le président de la république et le ministre des affaires étrangères m’ont chargé d’exprimer à Votre Majesté leurs sentimens d’amitié. Ces sentimens existaient déjà dans mon cœur pour votre auguste personne, que j’avais eu l’honneur de voir et d’entretenir, et dont j’avais gardé le plus précieux souvenir. Depuis quarante ans que je vis au milieu du peuple arabe, j’ai pu apprécier son caractère et j’ai appris à l’aimer. Je connais, comme Votre Majesté, quelles sont les prescriptions de Dieu au sujet des devoirs réciproques qui doivent être observés entre voisins. Votre empire et la France ayant des frontières communes, nous nous conformerons aux volontés divines en nous efforçant de vivre en bonne intelligence pour la prospérité des deux provinces. Depuis le moment où j’ai mis le pied sur le sol marocain, à mon débarquement à Tanger, et sur tout le parcours que j’ai suivi jusqu’à Fès, j’ai trouvé l’accueil le plus chaleureux, tant de la part des fonctionnaires représentant Votre Majesté, que de la part de ses propres sujets; mais ce qui m’a le plus frappé, c’est la réception qui m’a été faite à mon entrée dans cette capitale : les honneurs qui m’ont été rendus et l’empressement avec lequel la population s’est portée à ma rencontre, me laisseront un long souvenir. Aussi me suis-je hâté d’en informer mon gouvernement, qui sera aussi heureux que moi de la sympathie témoignée à son représentant. Au nom de la France et en mon nom, je fais des vœux pour que Dieu accorde à Votre Majesté une longue existence, la maintienne heureuse sur le trône des chérifs, et pour que la bénédiction céleste soit sur les habitans de cette ville, qui, grands et petits, m’ont donné, à votre exemple, tant de marques d’amitié. Je prends Dieu à témoin de la sincérité de mes paroles, de la pureté de mon cœur, de la loyauté de mes actes, qui tendront sans cesse à développer et à resserrer les liens d’amitié existant entre nos deux gouvernemens. Votre Majesté peut être certaine qu’elle trouvera en moi un ami dont le concours lui sera toujours assuré. Encore une fois, que Dieu bénisse le sultan et prolonge ses jours !


A mesure que M. Féraud parlait, je surveillais, sur le visage du sultan, les impressions de son âme. D’abord, l’air grave et impassible, il écoutait sans sourciller; sa figure a commencé à s’éclairer au passage concernant les devoirs que Dieu impose aux peuples voisins. Cet appel adressé aux théories religieuses de l’islam le frappait. A partir de ce moment, il n’a plus cessé de sourire avec bonne humeur, satisfaction et bienveillance, et lorsque M. Féraud s’est arrêté, c’est d’une voix très douce, presque chantante, quoiqu’un peu voilée, qu’il lui a répondu en ces termes :


Soyez les bienvenus, vous, monsieur l’ambassadeur, et tous ceux qui vous accompagnent. Vous arrivez au Maroc précédés de la réputation d’un homme chez lequel l’intelligence n’a d’égale que la sagesse, et je rends grâce à Dieu que vous ayez été choisi pour venir ici représenter le gouvernement français. Je suis assuré que, grâce à vos lumières, l’amitié ne fera qu’augmenter entre nos deux pays, ainsi qu’il en était du temps de mes ancêtres. La France est, de toutes les puissances européennes, la première avec laquelle le Maroc ait noué des relations d’amitié ; vous serez le nouveau lien qui doit resserrer ces rapports amicaux. Vous savez que, de tous temps, nous avons aimé la France, qui nous donne aujourd’hui une preuve éclatante de la réciprocité de ses sentimens en nous envoyant un homme tel que vous. Soyez le bienvenu !


Il était impossible de s’exprimer avec plus de grâce, avec un air plus affable. Les discours terminés, M. Féraud présenta un à un à Moula-Hassan les personnes qui l’accompagnaient. Celui-ci n’avait pu s’empêcher, tout en écoutant et tout en parlant lui-même, de jeter des coups d’œil curieux du côté de nos cuirassiers, qui étaient restés casque en tête, pendant que nous étions tous découverts, et qui brillaient comme des soleils sous les rayons de celui du ciel. Il parut heureux de pouvoir enfin se faire donner des renseignemens sur les cuirasses, leur usage, leur utilité, etc. Le côté enfantin de son esprit peu cultivé se montrait là tout à coup. C’était pour la première fois que le sultan voyait des cuirassiers. A la vérité, une ambassade allemande était allée un jour à Fès avec des cuirassiers blancs ; mais cette ambassade avait joué de malheur. En essayant de monter une glacière qu’elle portait en présent au sultan, elle l’avait fait éclater, ce qui avait blessé plusieurs indigènes. Aussitôt Moula-Hassan et sa cour s’étaient persuadés qu’ils étaient en butte à quelque criminelle machination et que la prétendue glacière était en réalité une machine infernale destinée à les faire sauter. La crainte de la machine infernale les avait empêchés d’admirer suffisamment les cuirassiers blancs. Nos cuirassiers à nous n’avaient. Dieu merci ! rien qui empêchât de les contempler en sécurité. Moula-Hassan voulait savoir combien nous en avions, si la cuirasse était à l’abri des balles, si le casque était lourd, mille autres détails. A propos de chaque officier d’arme nouvelle qu’on lui présentait, il posait de semblables questions. Les ambassades qu’il reçoit sont pour lui le seul moyen de recueillir des informations sur l’Europe, sur l’état des forces de chaque nation, sur leur puissance véritable. Il se fie beaucoup moins aux ambassades qu’il envoie lui-même en Europe, et il a raison ; car ceux qui en font partie s’empressent, à leur retour, afin de le flatter, de lui affirmer qu’il n’ont rien vu d’aussi beau que le Maroc, d’aussi redoutable que son armée, d’aussi grand que son souverain. Il demandait donc à chaque officier quelle était son arme : à quoi servait-elle ? combien comprenait-elle de régimens? M. Féraud lui répondait, et pour lui prouver qu’il le faisait avec exactitude, il lui montrait sur les collets des uniformes les numéros qui indiquaient l’ordre des régimens. Comme nos chiffres sont les chiffres arabes, le sultan les lisait facilement. Il semblait s’amuser beaucoup. A chaque instant, il répétait : Khiar! khiar! ce qui signifie exactement : Concombre! mais ce qui veut dire, en langage marocain : Bien! bien! sans doute en vertu d’une loi semblable à celle qui fait que certaines expressions, telles que : Des navets! ont, dans l’argot parisien, un sens qui n’a rien d’horticole. Enfin, les militaires étant épuisés, notre tour vint, à M. Henri Duveyrier et à moi. M. Duveyrier portant un tarbouch qu’il n’avait pas quitté depuis Tanger, le sultan était très intrigué par sa coiffure et voulait savoir s’il était bien Français, s’il n’était pas du moins musulman. Quant à moi, je dois avouer que je n’ai fait aucune sorte d’impression sur lui. M. Féraud m’a présenté comme un grand historien, comme celui qui écrit pour la postérité les faits et gestes des souverains actuels. Je crains que Moula-Hassan n’ait pas un souci suffisant de la postérité, car il m’a regardé à peine, me gratifiant d’un : Concombre! précipité qui a presque résonné à mon oreille, comme l’expression d’argot que je comparais tout à l’heure au khiar marocain.

On m’avait pourtant réservé pour la bonne bouche : après moi, la cérémonie était finie. Le sultan nous salua de nouveau avec une grâce extrême, et reprit sa route vers la grande porte d’où il était sorti toujours couvert d’un grand parasol, toujours entouré du groupe de porteurs de lance et de méchouari agitant des étoffes blanches autour de sa tête. Par un raffinement d’élégance, il faisait sautiller son cheval, qui semblait marcher en cadence. Les méchouari avaient repris en avant leur course au galop, les ministres, chérif et tolba, courbaient leur front jusque dans la poussière ; les six chevaux magnifiquement harnachés bondissaient et hennissaient; enfin le petit coupé sans siège pour le cocher suivait le cortège, comme en vue de bien indiquer qu’il ne saurait y avoir de cérémonie importante en Afrique sans un grain de bouffonnerie. Il paraît que ce coupé est un don de Philippe Auguste. Ne voulant pas être distancée par la France, la reine Victoria en a donné au sultan un autre, qui est à Mekhnès. Un troisième souverain européen lui en a offert un troisième qui est à Maroc. Dans un pays où n’existe pas une seule route, on se demande ce qu’on peut faire d’un coupé, sinon s’en servir comme décor dans une réception d’ambassade. Toutefois, il paraît que Moula-Hassan essaie parfois de se promener dans celui de Mekhnès; c’est même pour cela qu’on a supprimé, non seulement à celui-là, mais aux deux autres, le siège du cocher, de peur que ce dernier étant assis ne dominât le sultan, ce qui aurait été intolérable. Bien souvent, les présens de l’Europe sont ainsi absolument inutiles aux Marocains. Quelquefois même, ils sont contraires à leurs croyances et leur produisent l’effet d’une offense. L’Allemagne et l’Italie n’ont rien imaginé de mieux que d’envoyer au sultan du Maroc les portraits de l’empereur Guillaume et du roi Victor-Emmanuel : ces portraits, bien entendu, n’ont jamais pénétré dans l’intérieur du palais; à peine les ambassades qui les portaient avaient-elles quitté Fès qu’on les plaçait le visage contre le mur dans une cour réservée aux détritus dont on veut se débarrasser.

Nous remontâmes à cheval au bruit de salves d’artillerie qui faisaient retentir l’air de leurs détonations multipliées. L’usage voulait qu’on allât visiter un des jardins du sultan : nous y allâmes donc, bien que ce jardin n’eût absolument rien de remarquable. Pendant la route, le caïd raha se tenait auprès de moi pour connaître mes impressions. « Eh bien! me disait-il, que penses-tu du sultan? Le trouves-tu beau? Est-ce un grand prince à tes yeux? T’a-t-il beaucoup frappé ? En diras-tu du bien à tes compatriotes ? — Je lui répondis très sincèrement qu’en effet je trouvais Moula-Hassan fort beau, que j’admirais son grand air, la noblesse de ses allures, la dignité de son maintien, la souveraine élégance de sa parole, et que je ne manquerais pas de l’écrire pour l’instruction de mes compatriotes. J’ajoutai même, désirant lui être tout à fait agréable, que j’avais vu plusieurs fois le sultan de Constantinople aller à la mosquée, et que, malgré l’éclat des uniformes qui l’entouraient, malgré la superbe prestance des troupes de sa garde, je le trouvais petit et mesquin à côté-du sultan du Maroc. « Ah! s’écria-t-il, c’est qu’Abdul-Hamid est un Turc et qu’aucune goutte du sang de Mahomet ne coule dans ses veines. Ne le compare pas à Moula-Hassan! Le dernier seul est calife, et seul il peut se dire le prince des croyans : émir el-moumenin! »


X. — LE SULTAN.

Je n’ai vu de près qu’une fois le sultan Moula-Hassan dans la cérémonie de la réception de l’ambassade ; mais il m’est arrivé souvent de le rencontrer, soit au milieu de ses troupes, soit près des tombeaux de marabouts aux environs de Fès. Au moment où nous étions dans cette ville, il s’apprêtait à la quitter pour se rendre dans une autre de ses capitales, Mekhnès, et il est d’usage qu’il ne le fasse pas sans être allé en pèlerinage aux sépultures saintes qui sont en si grand nombre dans la cité de Moula-Édriss. J’ai donc pu me rendre plus exactement compte du cérémonial dont il est entouré. Le sultan du Maroc ne ressemble en rien à celui de Constantinople; il ne vit pas, craintif et sombre, enfermé dans son palais; il n’a aucune raison de ne pas se montrer à son peuple, et s’il en avait, son caractère réellement courageux le porterait très vraisemblablement à braver le danger plutôt qu’à reculer devant ses menaces. Non seulement donc, Moula-Hassan va tous les vendredis à la mosquée, comme Abdul-Hamid, mais on le voit presque tous les jours dans son camp, ou sur un champ de manœuvres, occupé à surveiller ses soldats ou à prendre part aux exercices d’artillerie. Quatre fois par an, il assiste à de grandes fêtes publiques qui durent chacune sept jours, le nombre sept étant un nombre fatidique pour les musulmans. Ces fêtes se nomment hédia, ce qui signifie exactement offrandes, et ce nom leur vient de ce qu’elles servent en effet de prétexte pour apporter au souverain des dons plus ou moins volontaires qu’on dépose cérémonieusement à ses pieds. Il y a l’Haïd-seghir, qui a lieu après le ramadan, l’Haïd-kebir, la fête du mouton, le Mouloud, anniversaire de la naissance du Prophète, enfin l’Achour, ou la fête du nouvel an. Le premier jour de chaque hédia, le sultan, entouré de sa cour et de ses soldats, paraît en pleine campagne ; c’est là qu’il reçoit les délégués des tribus qui lui apportent des présens; les autres six jours, il se tient, avec tout son cortège, dans une cour de son palais. Il marche toujours, comme dans les réceptions d’ambassade, au milieu d’un groupe de méchouaris, dont les uns portent des lances et les autres de grands foulards blancs qu’ils agitent dans l’air pour chasser les mouches ; un grand parasol est tenu sur sa tête ; le parasol est un signe de la souveraineté, et personne n’a le droit d’en avoir à côté de lui ; il n’est même pas convenable de se servir d’une ombrelle dans une ville où réside le sultan. Lui seul aussi est à cheval, sauf dans les fêtes militaires, où naturellement les cavaliers ne peuvent manœuvrer qu’à la condition d’être sur leurs montures. Enfin, il est toujours précédé de six chevaux sellés et bridés, ce qui fait, en comptant celui qu’il monte, sept, le nombre fatidique; même dans les simples promenades, ces six chevaux sont toujours à leur place. On remise la petite voiture, don des souverains européens, qui ne fait partie que des très grandes fêtes à cérémonial complet. J’ai dit que le costume du sultan était d’une simplicité parfaite, mais d’une finesse extrême et d’une blancheur immaculée. Il n’a d’autre luxe que la beauté des selles de ses chevaux. Il les change sans cesse, et toutes sont d’une couleur exquise : je lui ai vu des selles couleur crème qui se nuançaient merveilleusement avec son burnous laiteux, des selles d’un rouge tendre, d’un rose légèrement ému, d’un vert transparent, toutes d’une variété et d’une pureté de coloris inimaginables. Même dégénérés, les Arabes sont encore les plus grands coloristes du monde.

Quand il marche au milieu de son armée, soit pour se rendre d’une capitale à l’autre, soit pour aller faire quelque expédition chez des tribus rebelles, le sultan conserve le même appareil. Il lève son camp très tard dans la matinée, n’ayant aucune crainte du soleil, sous les rayons duquel les Marocains semblent, au contraire, se trouver beaucoup mieux qu’à l’ombre. Les tentes filent d’abord afin d’arriver les premières au lieu du prochain campement. Les troupes s’étendent dans la campagne, formant une ligne immense ; le sultan s’avance au milieu, suivi de soldats d’élite et de quelques femmes de son harem soigneusement voilées. En avant de lui, à quelque distance, se tient le caïd el-méchouar, grand maître des cérémonies, qui domine tout de sa taille; puis vient un groupe de personnages portant chacun quelque objet nécessaire au sultan ou de nature à pouvoir lui servir au besoin ; ce sont le moul faz, ou maître de la serpette, chargé, lorsqu’on s’arrête quelque part, de faire disparaître les broussailles qui pourraient gêner le sultan ; le moul chabir, ou maître des éperons, qui tient dans ses mains des éperons que le sultan, qui n’en porte point d’ordinaire, lui demande lorsqu’il veut accomplir quelque prouesse équestre, toujours admirée de l’assistance ; le moul zerbia, ou maître du tapis qu’on dépose à terre lorsque le sultan désire s’asseoir; le moul stroumbia, ou maître du coussin où le sultan se repose ; le moul belgha, ou maître des babouches, que le sultan peut vouloir chausser à la place de celles qu’il a aux pieds; le moul el ma, le maître de l’eau, qui donne à boire au sultan lorsqu’il a soif; le moul el taï, le maître du thé à l’usage du sultan. A la suite de ce groupe se présentent deux lanciers, puis le moul medel, porteur du parasol et deux moul zif, chasseurs de mouches. Lorsqu’on arrive au nouveau campement, la tente du sultan est toujours dressée, car on a fait diligence pour qu’il ne court pas le danger que courut un jour, à son profond ébahissement, Louis XIV, le danger d’attendre. C’est une vaste rotonde placée au milieu du camp, et séparée par un très large espace de toutes les autres tentes. Elle est entourée d’une sorte de muraille en spirale qui trace une route circulaire conduisant à la porte d’entrée. Lorsque le sultan approche, toute l’armée s’arrête d’un seul mouvement; seuls, les deux; lanciers, le moul medel et les deux moul zif font encore quelques pas avec lui vers sa tente ; mais bientôt le moul medel terme son parasol et s’arrête à son tour avec ses compagnons. Le sultan va seul jusqu’à sa tente, où aucun homme ne doit l’accompagner : il y est reçu par les femmes de son harem et par des eunuques, qui l’aident à descendre de cheval, à se débarrasser des vêtemens qui le gênent, et à se préparer au repos.

Au lieu de rester enfermé dans son harem, comme le faisaient son père et ses ancêtres, qui confiaient la direction des opérations militaires, chaque fois qu’on devait en entreprendre, à un parent ou à quelque grand personnage de l’empire, Moula-Hassan, qui est hardi et entreprenant, marche lui-même à la tête de ses troupes. On sait qu’en Tunisie, avant notre occupation, le frère aîné du bey, l’héritier présomptif de la couronne, était chargé du commandement de l’armée et portait pour cela le titre de bey du camp. L’armée, d’ailleurs, n’avait d’autre rôle que d’aller percevoir les impôts, qui ne seraient jamais rentrés sans ce procédé violent de perception. Il en est de même au Maroc ; avec cette seule différence que le sultan est lui-même le sultan du camp. Un des plus hauts personnages de l’empire porte le nom de caïd du campement, caïd ferreghi. En effet, le campement est la principale affaire du gouvernement, qui n’administre guère ses sujets soumis, — ce soin est confié aux caïds, — mais qui guerroie sans cesse contre ses sujets insoumis. Les qualités personnelles de Moula-Hassan font de lui le type même du souverain belliqueux. Il est brillant cavalier et a donné déjà maintes preuves de bravoure. Il y a quelques années, étant allé à Ouchda, où il eut une entrevue avec le général Os mont, qui remplaçait alors le général Chanzy comme gouverneur de l’Algérie, il eut à combattre en allant et à combattre encore en revenant, pour que les tribus, soi-disant placées sous son autorité, lui livrassent passage. Dans un de ces engagemens, emporté par son courage, il s’avança tellement qu’il faillit être entouré. Son cheval fut tué, sa troupe prit la fuite. Appuyé contre un rocher avec quelques fidèles, il tint tête à l’ennemi jusqu’à ce qu’un caïd vint lui amener un cheval pour s’éloigner. Cette expédition avait, d’ailleurs, quelque chose de romanesque. Le principal adversaire du sultan était une héroïne berbère qui commandait la tribu montagnarde des Aït Zedeg. On la nommait Rekia ben Hadidou, et malgré ses soixante ans, elle montait bravement à cheval. L’idée lui vint d’aller attaquer le petit détachement français du général Osmont; plus tard, elle songea à enlever le sultan, et celui-ci ne dut certainement son salut qu’à sa bravoure personnelle. Bien souvent encore, il a été en danger de mort dans ses expéditions au sud de son empire, dans cette région du Sous, où sa domination n’est pas moins fictive que dans le Riff et sur la Moulouïa. Aussi sa préoccupation constante, presque unique, est-elle l’organisation de son armée, la création de bataillons réguliers d’infanterie et surtout d’artillerie. Il sent d’instinct que des troupes armées et disciplinées à l’européenne pourraient seules faire du prétendu empire du Maroc une réalité, en domptant les deux tiers de sa population, qui vivent aujourd’hui dans la plus complète indépendance. Mais, par malheur, l’intelligence chez lui n’est pas à la hauteur du courage. Il voit le but, il ne comprend pas les moyens de l’atteindre; il est trop ignorant de l’Europe pour arriver jamais à l’imiter sérieusement ; et cette ignorance est incurable, car son pontificat religieux ne lui permet pas de sortir du milieu étroit, fanatique et étouffant où il est enfermé.

C’est donc un peu comme un enfant, par caprice ou par jeu, tout au plus par une sorte d’intuition d’âge mûr qui ne saurait se développer, qu’il s’est passionné pour les choses de la guerre et particulièrement pour le tir du canon. A la porte de son palais, le long du mur d’enceinte, il a créé ce polygone où il reçoit les ambassades, et où, tous les lundis, il vient à pied, non point assister simplement aux exercices d’artillerie, mais pointer lui-même et faire manœuvrer un certain nombre de canons et de mortiers que lui chargent successivement ses artilleurs. Il ne rentre dans son palais qu’après avoir abattu cinq ou six cibles à boulets et à bombes, placées à environ 240 mètres de distance, au pied d’un mur construit exprès pour recevoir les projectiles. A côté même de la porte du palais, une plate-forme en maçonnerie est garnie d’un certain nombre de canons et de mortiers toujours en batterie. Le sultan commence à posséder une respectable artillerie. Tous les souverains d’Europe lui ont donné des canons; il en a acheté lui-même un certain nombre, entre autres des canons Krupp qui lui ont coûté très cher, grâce à de frauduleuses opérations de courtage, mais qui sont excellons. Ses artilleurs sont parfaitement exercés. Ils ont pour grand maître le chef de l’artillerie, le miralaï Moula Ahmed-Soueri, qui est un homme d’une certaine valeur, ayant été instruit dans son métier d’artilleur par le Français Abd-er-Rhaman. Il y a de longues années que le corps des canonniers est constitué et jouit d’une faveur particulière. De tout temps, il a compté dans ses rangs des déserteurs des armées européennes, et surtout des renégats espagnols. Celui qui commandait les batteries à la bataille d’Isly et qui fut sabré sur ses pièces par nos chasseurs se nommait Ali el Savillano. Depuis, bien des Marocains désignés pour servir dans l’artillerie sont partis secrètement, par ordre du sultan, afin d’aller s’instruire en Angleterre, en Espagne et jusqu’en Amérique. De plus, voilà huit ans que notre mission militaire s’applique à former des artilleurs. Nos officiers sont frappés de l’adresse naturelle et de la docilité des indigènes. Bien commandés, ils feraient des soldats égaux aux meilleurs de l’Europe. Quant au sultan, il est également fort adroit et pointe fort bien. Tout ce qui, dans la manœuvre, est affaire d’habileté, il y excelle; dès qu’il s’agit de comprendre, il est moins heureux. Jusqu’ici il se servait de préférence de deux canons en cuivre portant sur la culasse une inscription en caractères arabes, qui rappelle qu’ils ont été donnés, en 1846, par le roi Louis-Philippe au sultan Moula Abd-er-Rhaman ; mais il est probable qu’il a déjà adopté les canons de campagne que nous lui avons offerts. Il en a été enchanté, parce qu’ils sont aisément maniables, qu’on peut les porter à dos de mulet et que, par suite, il lui sera commode de s’en servir dans ses expéditions, de les conduire de capitale en capitale, de les avoir toujours sous la main. Les canons de gros calibre ne lui vont guère : dans un pays sans routes, sans moyens de transport, il est presque impossible d’en tirer parti.

Lorsque Moula-Hassan vient tirer à la cible, ses hauts dignitaires l’accompagnent. Sa garde et son maghzen à pied forment une immense haie qui entoure le polygone. Aussitôt que le sultan a abattu une cible, un cri immense se fait entendre parmi toutes ces rangées de serviteurs: « Allah ibarca fi amer Sidna ! Que Dieu bénisse les jours de notre maître ! » Le sultan met parfois une sorte de coquetterie à ne pas réussir à tous coups. Ainsi, dans une expérience qu’il faisait en présence de Français, après avoir pointé sa pièce, il appelle un officier : « Est-elle bien? — Mais, sire, elle est un peu trop à droite ! — Je le sais ! » Le coup part et va toucher un peu trop à droite! Le sultan pointe de nouveau : «Est-elle bien? — Mais, sire, elle est un peu trop à gauche ! — Je le sais ! » Le coup part et va toucher un peu à gauche. Le sultan pointe une troisième fois: « Est-elle bien? — Oui, sire, cette fois, c’est parfait. — Je le sais ! » Le coup part et va emporter la cible. Durant les scènes de ce genre, l’enthousiasme des assistans ne connaît plus de bornes. Et ce n’est point un enthousiasme factice. Très sincèrement les Marocains s’imaginent qu’un sultan du Maroc, qu’un descendant de Mahomet doit être supérieur en tout aux chrétiens, même dans l’art de tirer le canon. Ils ne font pas la simple réflexion que ce sont pourtant les chrétiens qui ont inventé le canon. Chaque fois que le sultan montre en public une qualité quelconque, l’admiration pour lui éclate sans mesure. Un jour, me racontait quelqu’un, Moula-Hassan montait dans une hédia un cheval fougueux ; le cheval ruait, se cabrait, refusait de marcher. Le sultan fait signe au moul chabir, qui lui apporte ses éperons et les met dans ses babouches. Aussitôt le cheval dompté se met à s’avancer d’un pas tranquille. La foule poussait d’aussi grandes acclamations que si le sultan venait de soumettre sous ses yeux, non un cheval récalcitrant, mais une tribu révoltée. « Eh bien ! qu’en dis-tu ? s’écria un haut fonctionnaire, s’adressant à un Français témoin de cette scène; y a-t-il en Europe un seul cavalier comparable au sultan ? »

C’est sans doute à son éducation que Moula-Hassan doit son goût pour les choses de la guerre. Son père était loin de lui ressembler à cet égard. On sait qu’à la bataille d’Isly il prit la fuite dès la première charge de notre cavalerie, laissant entre nos mains sa tente, son parasol, tous les insignes de sa puissance. Jugeant, peut-être, qu’il serait sage d’habituer de bonne heure son fils au métier des armes, pour lequel il se sentait si peu fait lui-même, il lui donna comme instructeur un Anglais qui avait, dit-on, un grade élevé dans l’armée anglaise, mais qui lut obligé de quitter Gibraltar, où il avait tué son supérieur en duel ou autrement. Cet Anglais s’était réfugié au Maroc, où il se fit musulman, et on le nomma dès lors Ismaïl-Ingliz. La similitude de leur fortune le rapproche du Français Abd-er-Rhaman, dont j’ai raconté l’histoire, et ils travaillèrent ensemble à introduire une organisation rudimentaire dans l’infanterie régulière. C’est dans cette infanterie que Moula-Hassan fit ses premières armes. A quinze ans, il avait déjà formé, avec l’autorisation de son père, un bataillon de Soussiens, qu’il exerçait et commandait lui-même, sous la direction du renégat Ismaïl. Il n’est donc pas surprenant qu’en montant sur le trône il soit resté soldat. Il est très aimé de son armée, parce qu’il réalise le type du souverain tel que le comprend et le respecte l’Arabe. Il est moins populaire auprès des citadins et surtout auprès des habitans de Fès, qui ont des idées différentes sur l’art de gouverner. En somme, c’est une sorte de chef de bandes, parcourant sans cesse son pays pour y combattre les tribus rebelles, les piller et s’enrichir de leurs dépouilles. Il ne les soumet pas, parce qu’étant uniquement militaire, il ne songe pas à les organiser lorsqu’il les a vaincues. A peine a-t-il quitté un territoire, après l’avoir razzié, que les populations qui en ont fui à son approche, ou qui, ayant tenté de résister, ont dû bientôt s’éloigner impuissantes, y reviennent et recommencent à y vivre parfaitement indépendantes. Des années se passent sans qu’il songe à les attaquer de nouveau. A quoi bon? Elles sont ruinées, que pourrait-il leur enlever ? L’empire est, au reste, assez grand pour qu’il trouve ailleurs un emploi plus utile de ses armes. Il est même si grand, qu’en certaines de ses parties le sultan ne s’aventure jamais. Il sait bien que dans le Riff, par exemple, et dans l’Atlas son armée serait anéantie par les montagnards indomptés et indomptables de ces contrées. Il en est de même dans l’extrême sud, où ses troupes seraient dévorées par le désert. La victoire n’accompagne pas toutes ses entreprises, à beaucoup près. Il est parfois défait, comme il l’a été, je l’ai dit, en revenant d’Ouchda et dans bien d’autres circonstances. Mais n’est-ce pas là véritablement la guerre, la vie d’aventures, la vie arabe par excellence, et n’est-il pas naturel que le descendant de Mahomet, fidèle aux traditions de sa race, continue, en plein âge moderne, à mener l’existence errante et batailleuse que ses ancêtres ont menée jadis avec tant de génie, d’éclat, d’entrain et de poésie ?

Je n’ai jamais mieux compris la nature du pouvoir du sultan du Maroc qu’un matin où, étant allé faire une excursion autour de Fès avec quelques officiers, nous longeâmes le camp à l’heure des premiers exercices. Je connaissais l’armée marocaine pour l’avoir vue rangée en bataille; je savais à quoi m’en tenir sur cette horde de soldats en guenilles, armés d’épouvantables fusils ; je ne doutais pas un instant qu’elle fût incapable de résister à une force européenne quelconque tant soit peu organisée. Mais ce n’était pas tout que de l’avoir observée dans ces représentations d’apparat, où elle cherche à se donner des airs d’armée moderne : il fallait la voir chez elle, livrée à elle-même, et pour ainsi dire en déshabillé. Je dois dire que, dès le premier aspect, le camp marocain frappait comme quelque chose de barbare, rappelant le moyen âge et l’époque où de simples bandes parcouraient l’Europe en la ravageant. Il était situé sur le flanc d’une montagne dont il occupait un espace considérable. Au centre se dressait la tente du sultan, entourée de son enceinte, et n’ayant près d’elle qu’une petite tente qui sert de mosquée à Moula-Hassan. Dans le vaste espace libre qui la séparait de celles des soldats, on voyait des chevaux entravés, des canons, des caissons, des bagages de toutes sortes, jetés au hasard, pêle-mêle, dans le plus complet désordre ; ici un affût traînait dans l’herbe, le canon était plus loin sur un tas de fumier ; là un paquet de bardes roulait dans la poussière, tandis qu’à quelque distance des fusils étaient dressés en faisceaux inégaux. C’est également dans ce vaste espace libre que l’infanterie exécutait des manœuvres sous la direction de l’officier anglais qui la commande, Maclean. Elle marchait admirablement et évoluait avec cette correction qui est si aisée aux Arabes, pour lesquels l’imitation est chose toujours naturelle et simple. On sentait qu’il eût été possible de la dresser d’une manière remarquable. Mais qu’espérer de soldats ainsi habillés, ainsi armés, ainsi commandés? On voyait passer au milieu d’eux des chaînes de prisonniers attachés les uns aux autres. Ces chaînes constituent la salle de police du Maroc. Pour la plus simple faute, on est mis à la chaîne. Il y a donc toujours dans l’armée une quantité considérable de chaînes de vingt et trente malheureux attachés les uns aux autres, ne pouvant faire que des mouvemens collectifs, obligés de rester côte à côte et de s’entraver mutuellement de la manière la plus piteuse. Ils marchent, ils travaillent, ils dorment ainsi. Rien ne pourrait rendre l’état de saleté des tentes des soldats. Il n’y en a pas une pour un certain nombre d’hommes; il y en a un certain nombre pour toute l’armée, et on y empile les hommes au hasard, tantôt en si grande abondance qu’ils ne peuvent plus tenir dans la toile, tantôt en petit nombre, lorsque quelques-uns d’entre eux sont assez riches ou assez forts pour obliger de déguerpir ceux qui voudraient se mêler à eux. Au milieu des tentes des soldats se dressent d’autres tentes de formes très variées, composées de quelque loque trouvée, de quelques branches, parfois même de simples fougères liées les unes aux autres. C’est là qu’habite ce personnel flottant qui suit les camps, dans tous les pays du monde. Mais, au Maroc, il est particulièrement étrange, hideux et pittoresque. On y aperçoit des centaines de femmes peintes et repeintes de la façon la plus sauvage sur toutes les parties du corps, habillées ou déshabillées avec les vêtemens les plus fantasques, ornées de bijoux les plus originaux. Elles ne se bornent pas à s’entourer les yeux de khôl, à se tatouer les bras, le front, le menton, les joues, les jambes et les pieds ; j’en ai remarqué qui s’étaient décoré les seins d’invraisemblables arabesques. Plusieurs, pendant que nous passions, faisaient sécher au soleil ces peintures fraîchement exécutées. Une, en particulier, venait de se couvrir le ventre d’une couche de henné, et elle l’exposait au grand jour avec la plus parfaite impudeur, dans une pose qui ne cherchait point à être provocante, mais simplement à être commode. Beaucoup de ces femmes étaient vieilles, ridées, abominablement décrépites. Les plus jeunes étaient horriblement flétries et portaient les marques des plus affreuses maladies. On nous dit qu’elles suivaient toujours ainsi l’armée, s’associant quatre ou cinq pour acheter une tente et un baudet sur lequel elles montaient alternativement ou même simultanément durant la marche. Après le campement de cette suite féminine de l’armée, venaient dans tous les sens les campemens des goums des tribus qui se rendaient à l’appel du sultan pour l’accompagner dans sa prochaine campagne. Moula-Hassan est bien réellement le souverain de cette troupe de soldats, pillards et misérables, au milieu desquels il vit et à l’aide desquels il soutient son fragile pouvoir. Son camp est sa vraie capitale, son armée, son empire. A coup sûr, cette armée suffit à maintenir sa domination dans les contrées où elle s’exerce, sinon à l’y étendre beaucoup. Elle ne suffirait pas à arrêter une puissance européenne quelconque qui tenterait d’entrer au Maroc. Seulement, cette armée battue, on ne serait pas maître du pays; il faudrait en conquérir toutes les provinces indépendantes et les villes, qui résisteraient de leur mieux. Il faudrait aussi, sans nul doute, écraser dans la défaite le courageux Moula-Hassan, qui ne fuirait pas, comme son père à Isly, qui résisterait jusqu’au bout, qui se ferait tuer plutôt que de se soumettre au joug des chrétiens. On ne pourrait songer à faire de lui un roi fainéant, à la manière des princes indiens, du bey de Tunis ou du khédive d’Egypte. Par le cœur et par le courage, sinon par l’intelligence, il est d’une autre trempe que ces derniers. II périrait les armes à la main, mais sa mort aurait un immense retentissement dans le monde arabe, où il est vénéré de tous, où il est considéré par ceux-là mêmes qui se soumettent extérieurement à l’autorité religieuse du sultan de Constantinople, comme le chef véritable des vrais croyans, comme l’héritier direct de Mahomet. C’est une des raisons pour lesquelles il n’y aurait pas de plus folle politique pour la France que de songer à la conquête du Maroc. Puissance arabe, ayant des millions de sujets musulmans sous sa domination, il peut lui être utile un jour, si le panislamisme se réveille ou si le succès des mahdi soudaniens devient menaçant, d’opposer aux mots d’ordre qui partent de Constantinople ou du Soudan pour l’expulsion des chrétiens de toute l’Afrique, la parole d’un souverain qui est l’ennemi naturel des Turcs et des Soudaniens, le sultan du Maroc. Ce sultan est brave, il est généreux : qu’importe qu’il soit un prince du moyen âge, et plutôt chef de bandes que roi? Tel qu’il est, il doit être notre allié, et ce serait le comble de la démence d’en faire notre ennemi.


GABRIEL CHARMES.

  1. Voyez la Revue du 15 juin, du 1er et du 15 juillet.
  2. Roudh-el-Kartas, traduit par A. Baumier, page 193.
  3. Roudh-el-Kartas, traduction Baumier, pages 334-335.
  4. Cette triple répétition est d’une grande élégance en arabe.