Les Gémeaux (p. 187-232).


Ailée s’en va…



À ma chère maman

V. H.


Chante pour toi...........
chante pour l’infini..........
Et ne demande pas aux hommes d’écouter

Edmond Haraucourt.


1926

Et si le toit te pèse, ouvre-le vers l’espace,
Pour que l’âme du ciel entre dans ta maison.
Edmond Haraucourt.

1926


Je tourne, je retourne entre mes doigts, un petit calendrier tout neuf, où brille, frappé en lettres d’or : 1926.

La nouvelle année, la voici toute proche, elle sera demain, et il faut lui faire fête !

C’est la tradition.

L’année écoulée doit s’effacer, et faire place à cette nouvelle promesse…

J’ouvre le petit calepin, je feuillette ses pages, ce petit rien en cuir souple, ces pages pressées, légères, représentant une année !

Une année pour tous, remplie de joie ou de peine. Les heures comptées, limitées par les cadrans, seront pour tous des heures, des jours, qui deviendront une année qui passera, faisant place à celle que l’on espère toujours meilleure ! et ainsi s’écoule la vie. Mais je découvre à la première page de mon petit calepin, une dédicace.

Je lis l’écriture de ma chère mère.

Elle a écrit ceci :

« À mon démon chéri qui me fait rire et pleurer ».

« Sa maman qui la chérit. »

Oui, je sais, et mes yeux se remplissent de larmes.

Rire, pour elle, c’est ma présence.

Pleurer, c’est mon éloignement.

Malgré mon amour pour elle, je ne puis rester à terre longuement. Un vertige me prend à regarder une sphère, à feuilleter un atlas mon esprit s’envole.

À voir un navire qui appareille, mon cœur suit les amarres dans leur fuite.

La contemplation de la mer me pousse vers le large, m’entraîne à l’horizon vers l’infini.

Je dévisage avidement l’année nouvelle.

La chanson des embruns me submerge.

Si c’était à écouter, ce serait un bruissement d’ailes, d’ailes ouvertes dans la brise.

Si c’était à voir, ce serait cent mouettes aux ailes pliées, levées, battantes, qui s’entrecroiseraient follement, en un grand tourbillon envolé.

Mais la chanson des embruns qui me submerge, ne s’entend pas… ne se voit pas.

Comme un fluide circulant dans les veines, elle nourrit mon âme, sans paroles vaines, de son enchantement !

Absorbée longtemps, je sors de ma méditation.

L’avenir est là.

L’appel est implacable.

Je redresse la tête, je souris, en fredonnant ce merveilleux poème :

Je suis à bord.

La chanson des embruns me submerge.

Je regarde ; je pénètre tous les détails de mon « Ailée » que je retrouve après deux mois d’absence. Je vais la voir du quai pour mieux observer les modifications apportées.

J’admire en même temps sa belle ligne et je fais cette constatation : comme j’aime ce voilier !

Puis j’embarque : que de choses à faire pour mettre tout au point ! tous les moindres détails à discuter. Le temps est court, les régates de Gênes vont commencer, et, avant de m’occuper de l’Aile IV, il faut que « Ailée » soit prête. Et, sans trêve, j’abats beaucoup de besogne.

J’ai la tête remplie de remarques, de questions, de chiffres, de recommandations.

Et puis je suis fatiguée d’arranger les livres de la Bibliothèque comme je l’entends, j’ai les mains sales…

Dans ma chère cabine, je vais poser ici un petit cadre, dans le carré encore encombré par la grand’voile, je cherche la place où je vais mettre mes médailles de courses de l’année dernière.

Puis, c’est le capitaine, le charpentier, le mécanicien qui veulent me parler ! Je monte sur le pont pour faire une remarque, dire un mot à Guéguen. Je redes

cends. Cinq minutes après je remonte pour respirer, pour regarder la mâture.

Puis, je repars pour dire une chose essentielle, puis je remonterai encore, et cette fois-ci pour rien, pour le bonheur d’être là, de faire le va-et-vient sur le pont.

Mais quel contentement, quel apaisement que cette première nuit à bord.

Quelle joie d’entendre à nouveau tous les bruits familiers. Les pas sur la tête, la voix des quarts qui tintent, cet imperceptible clapotis le long de la coque, le grincement des aussières qui jouent sous la houle, tous les détails qui se donnent à ceux qui aiment leur voilier.

Le lendemain matin, lavage du pont ; les cascades d’eau s’éparpillent au-dessus de ma tête, le frottement des brosses s’abat en cadence. En souriant, réalisant que je suis bien à bord, je me rendors…

Voici la troisième année que je m’apprête à appareiller pour Gênes.

J’ai le cœur en fête !

Ce moment tant attendu, si désiré, approche.

Dans quelques jours, le canon de la première épreuve joyeusement partira, et mon année de beau sport débutera. Je vais pouvoir mener à bien le programme que j’ai choisi.

Il m’a donné beaucoup de mal à organiser. Flots d’encre, et pire, multiples conversations.

Pourquoi se fait-il que tous les pays, sans se donner le mot, donnent leurs régates à la même époque ?

Enfin, à force de volonté, de patience, de soupirs et de sourires, voici :

Je représenterai les couleurs :

en Italie,
en Norvège,
en Danemark,
en Suède,
en Finlande,
en Hollande,
en Angleterre,
en Espagne.

De nos jours, tout est difficile et compliqué. Il faut tellement vouloir pour arriver à peu de chose ! Et voir à côté de cela, avec étonnement, réussir une chose qui vous semblait impossible,

La préparation des régates est le plus grand travail, et le plus minutieux. Les clubs qui demandent des bateaux ont l’air de prier les propriétaires de leur faire une grâce. La plupart du temps, pour telle ou telle raison, ils ne courent pas.

Lorsqu’on arrive simplement pour courir avec son bateau, on a l’impression souvent de s’imposer.

C’est lorsque je ne cours pas, ayant l’air de ne rien faire, que je travaille le plus intensément. Lorsque les régates, les coupes, battent leur plein, c’est le grand repos… on peut ne penser qu’à l’action.

Le but unique est de bien faire, de faire mieux encore le lendemain.

C’est la bataille qui commence, mais la jolie mélée, au milieu de l’ouragan, dans la brise, parmi le tumulte des flots. Sans phrases, sans marchandages, on lutte loyalement, on se donne avec toute sa sincérité. L’on perd ou l’on gagne, le sourire couché sur le visage, car rien n’est venu de terre, diminuer votre volonté d’arriver premier quand même.

Et votre désir s’est communiqué à votre bateau. Il a cessé d’être ce qu’il paraissait : superbe, mais en bois, obéissant, car privé de compréhension.

À votre contact intelligent et aimant, il vibre, il se déplace, il s’élance !… Je le sens vivre sous mes pieds ! et, s’il avait un cœur, il battrait comme le mien !

Sous les manœuvres, docile, il devine, et prenant notre volonté toute droite, il va plus rapide, comme enivré de sa propre course, il dépasse les autres bateaux, comme s’il comprenait ce qu’il fait.

La tête saturée de manœuvres, les bras las et les mains vous faisant mal, le cœur joyeux, l’âme envolée, le corps épuisé, vous allez superbement volontaire, et c’est le plus beau moment de tout !

C’est la récompense de vos efforts qui vous arrive dans les rafales du large, le couronnement de votre ténacité qui vous tombe d’un beau nuage ; vous vivez la vie intense de la mer.

Les embruns ont une bonne amertume et cette poussière là vous lave bien.

La terre est très lointaine, et les êtres ont rudement moins d’importance.

Cependant volontairement, vous vous pliez aux lois suprêmes du beau sport.

Avec l’orgueil et la force d’un homme, vous vous appliquez à suivre les règles, qui semblent pour ceux qui ne savent pas, un jeu d’enfant.

Aussi, ivre d’embruns et d’idéal, loin de la rumeur des villes, vous êtes emporté, et tandis que vous vous élevez plus près de l’infini, vos yeux qui songent et plongent cherchent Dieu !

Et c’est peut-être parce que j’aime mes bateaux comme des êtres chers, qu’ils me donnent de si douces joies. À leur façon, ils savent me rendre mon affection avec mon dévouement.

Lorsque « Ailée » s’éloigne, prend le large sans moi, mes yeux se brouillent et mon cœur la suit en l’accompagnant.

J’éprouve cette même angoisse chaque fois que je quitte ma chère Mère pour une longue absence.

Je me suis apprise à aimer les bateaux comme des êtres chers.

Après le dur contact avec la vie, que j’eus très jeune, au moment où tout semblait me sourire et me combler, j’eus le bon sens de réfugier mon intérêt et ma tendresse dans les bateaux,

J’étais certaine de moins souffrir, et je savais qu’ils seraient le reflet même de ma volonté et de mon cœur.

Lorsque j’aperçois une Aile de loin, avec mon petit pavillon bleu et blanc qui palpite dans le ciel, je serre la main de mon fils et lui dis : « Regarde, la voilà ». Et, comme aujourd’hui nos pas ne nous conduisent pas à elle, je lui envoie un baiser de loin.

Que m’importe si tous les autres bateaux sont en bois, et cachent leurs sentiments dans un cœur introuvable ?

Tant pis pour ceux-là, qui n’auront pas compris.

Quand j’arrive à mon bord, je retrouve toutes les aspirations que je lui avais confiées. Que m’importe de comprendre, d’analyser : je sais, car je sens !

« Ailée » est mon propre reflet sur l’eau.

Elle dort en double en se reflétant.

Lorsque je me penche sur l’eau, je vois mon propre visage défait et adouci qui me sourit en tremblant tristement, car la brise et l’eau et moi, nous vivons.


1927


THE THREE SHIPS


But for all the ships I found there
Still I could not be content…

. . . . . . . . . . . . . . . .

With the piles of rusty anchors and

chain, cables large and smol
Broken bones of schips forgotten-there I
found her after all

. . . . . . . . . . . . . . . .

She lay there on the water just as

graceful as a gull
Keeping some old builder’s secret in
her strong and slender hull
By her splendid sweep of sheer line and
her keen clean clipper bow
You might know she’d been a beauty…
by god she was one now !

. . . . . . . . . . . . . . . .

and I said : My dear although you are

growing old, I Know.
and as crazy and as cranky as can be…
If you’ll take me for your lover oh well
sail the wide seas over
You’re the ship among them all that’s
meant for me !


Combien la lecture de livres anglais sur des croisières lointaines m’a enchantée, livres d’aventures et de voyages, sur the deep sea water ; cette jolie expression qui veut dire : sur les mers profondes.

Oh ! oui, combien profondes sont les mers lointaines.

Tout m’attirait de ces paysages et de ces descriptions maritimes, intime « journal de bord » où rien n’est omis depuis la longitude et la méridienne, le lavage du linge après le raccommodage des voiles déchirée, jusqu’au bol de café agrémenté de sardines.

Tous ces chers vieux compagnons aux reliures vertes, grises et bleues me montrent leurs bonnes figures hâlées où s’entrelacent des ancres et dont les pages glissent comme de l’eau.

J’aime ma petite bibliothèque composée d’amis vagabonds.

Les écrivains anglais ont bien senti le charme et la poésie de la mer.

J’oserai dire, comme Alain Gerbault, qu’il est plus facile de parler bateaux en Anglais qu’en Français ; il nous manque beaucoup de termes et d’expressions que nous allons piocher dans la langue anglaise comme si la nôtre était pauvre ?

Pourquoi ne pas avoir créé des mots à nous au lieu d’aller les chercher dans les livres anglais ?

Cette romance upon the sea comme ils disent, ils ont su si bien la capter sur l’eau — invisible comme un chant —.

J’ai lu tous les livres anglais de poésie, consacrés à la mer. Il y en a beaucoup et beaucoup de très bons, Alain Gerbault m’a conseillée dans ce choix, lui qui les avait tous lus.

Mais de tous ces livres exquis je n’avais pas encore lu le plus touchant et le plus beau !

Quelle révélation pour moi que cette lecture. Je posais mes lèvres sur cette page où il est dit que les bateaux sont comme les êtres, j’allais de page en page découvrant un vrai trésor et, le cœur battant, je lisais ressentant une émotion intense à retrouver et à renouveler des impressions que j’avais eues à bord en navigant en maintes circonstances.

C’est le livre Ships and Folks de Fox Smith dont je parle.

À mon avis la plus belle page est l’histoire d’un homme qui part à la recherche d’un bateau dont il veut faire l’acquisition.

Le premier lui semblera trop beau, trop riche, comme privé de charme et il s’en va… Le second malgré ses qualités ne lui plaît pas et il passe…

Mais il trouve le troisième ! Il repose, couvert de rouille dans un état lamentable, mais il l’enchante, posé sur l’eau comme un oiseau des mers.

Et il s’arrête.

Ce n’est pas le genre de bateaux qu’il cherche, que lui importe ! il n’en veut pas d’autre.

Il saura enlever la rouille, le repeindre et le rendre à nouveau jeune et beau, car il est très vieux.

Fox Smith a su trouver les mots, ils s’adaptent si bien à son bateau de rêve que l’on pourrait penser parfois qu’il s’adresse à la femme la plus aimée !

Je restai anéantie devant cette description : ce que je lisais, ce que j’éprouvais, ne l’avais-je pas ressenti de la même poignante façon ? N’avais-je pas vécu cette page aussi il y a quatre années ?

Comment se pouvait-il faire que ce grand poète ait été bouleversé de la même façon que moi devant la révélation, l’apparition du bateau aimé ? Nous avions senti de même, mais lui, happy soul, avait pu traduire sa pensée.

Mais il m’encourage ? Et je vais essayer de traduire en mots, pour la première fois, ce souvenir si semblable.

J’endurais depuis quelques mois une vie intermédiaire.

Mon grand yacht était désarmé et à vendre. Tout le passé m’attirait dans ma vie maritime, il me chantait dans l’âme, je savais retrouver mes souvenirs rayonnants sur la crête des lames et respirer l’écume au milieu de la rumeur des tempêtes. L’avenir de ce soi-disant lendemain je le dévisagerais sans trop pouvoir analyser ses traits. J’avais quitté la vapeur pour naviguer à voiles, ne l’ayant pratiquée qu’en régates, il m’était difficile d’imaginer ce que je connaissais imparfaitement.

Il fallait cependant me décider. La saison d’hiver approchait. Mais quel bateau prendre ? Auquel donner mon cœur et confier mes illusions et tous mes rêves ?

Dans ma chambre le désordre régnait ; sur toutes les tables et les chaises, voir même sur les tapis, s’étalaient les plans bleus, les règles, les croquis et des spécifications, ainsi que des photographies et des manuels de pratique sur la navigation à voiles.

Je savais bien ce que je voulais, une goëlette de 300 à 350 tonnes avec un moteur de secours, belle, rapide, je me souciais peu du confort… comme équipage, une quinzaine d’hommes, mais j’avais beau plier et replier tous ces plans aucun de ces bateaux ne me plaisait.

De ceux que j’avais rencontrés avant-guerre sous voiles et qui me plaisaient, s’étaient éparpillés sur les mers : « Sylvana », « Xarifa », « Sea Foam », et tant d’autres qui n’étaient pas à vendre.

J’arrivai à penser que le voilier que je désirais tant n’existait pas.

Que faire ? que devenir ? Faire construire ? non, l’époque ne s’y prêtait pas. Pourtant c’était bien là mon vrai grand rêve. Il me fallait une goëlette rapide, voulant supporter toutes les mers et tous les temps voulant courir avec mes bateaux de courses dans tous les pays du monde. Le temps passait et je ne pouvais me décider.

Pourquoi entreprendre en Angleterre ou en Écosse un déplacement inutile ? Ces bateaux qui ne pouvaient me plaire, ici en photographie, sous toutes leurs voiles, ne le pouvaient pas davantage au désarmement, que serait-ce même de les voir dans leurs souilles de vase, sous la pluie ?

Non — Non — et le découragement me saisissait, mon présent n’existait pas puisque j’étais sans navigation — mon avenir me semblait si incertain et lointain.

Mon passé seul me retenait et par ces jours lents d’automne pluvieux, à travers la grisaille qui tombait avec les feuilles, je revivais mes jours anciens — ruminant, si je puis dire, doucement, savoureusement mes tempêtes et mes beaux jours.

Un matin, l’on m’apporta un télégramme ; c’était de l’un de mes agents : « Belle goëlette quatre cents tonnes ex-Météor IV, venez la voir Rotterdam : Lettre et photos suivent ».

Je restai songeuse. Était-ce le fameux Météor que j’avais vu courir à Cowes en 1913 avec son Empereur Allemand, avec les grandes goëlettes Américaines et Anglaises ?

J’attendais les photographies et la lettre détaillée qui les accompagnait avant de me mettre en route.

Oui, c’était bien l’ex Météor IV que j’avais vu courir, grand cygne blanc avec l’aigle Impérial Allemand à la proue et couvert de dorure, très voilé, très bas sur l’eau ; je reconnaissais ses hublots à ras de la flottaison !

La photographie était magnifique ; j’apprenais qu’on lui avait apporté des modifications en diminuant la surface de voilure depuis son temps fameux des régates Impériales et que l’on avait installé un petit moteur semi Diesel de secours pour le rendre plus maniable et davantage de croisière. Conquise par cette photographie, je prenais le train.

C’était en novembre, par grand froid, j’arrivai à Rotterdam par la neige. Le lendemain matin, en hâte, je quittai l’hôtel pour aller visiter « L’Aar », ex Météor IV, avec mon agent.

Je ne saurais oublier l’impression que me fit cette goëlette !

L’eau était noire et la coque blanche ; elle était amarrée le long d’un quai couvert de neige.

Je ne vis que sa coque, sa ligne parfaite — vision — élégante et puissante à la fois… elle ne semblait pas « être dans l’eau », on l’eut dit seulement délicatement posée…

Cette impression ne devait jamais me quitter et bien souvent, en revenant à mon bord de nuit c’était fantastique et saisissant pour moi de la voir se détacher, si belle dans la nuit avec sa coque sombre, si parfaite qu’elle semblait irréelle !

Aussitôt que j’eus mis les pieds à bord, je fus sous son charme, sans défense ; tout en elle dégageait puissance et délicatesse.

À la fin de ma visite, j’avais perdu la tête et elle gardait mon cœur ; je devais être désormais sous son joug.

À ce point que je ne pus la quitter ce jour-là qu’en me répétant tout bas à moi-même : oui, c’est elle que je cherchais, je l’ai trouvée enfin !

Quelle joie, comment exprimer le bonheur ! Et les pourparlers d’achats commencèrent.

Cependant cette goëlette n’était pas du tout le bateau marin et maniable qu’il me fallait pour remplir mes engagements maritimes à l’étranger.

C’était un bateau de course ! les transformations apportées n’étaient pas suffisantes pour l’avoir amélioré, il devait garder les défauts de ses qualités !

Mais que m’importait ! il m’était impossible de la laisser partir loin maintenant que je la connaissais.

Il fallait un équipage de 27 hommes, composé de 14 marins de pont, de 8 officiers et maîtres d’équipage et de manœuvres et 5 civils, toutes les manœuvres étaient à bras, les ancres, les embarcations, la grand’voile ; sa bôme était terrifiante pour la croisière, pesant 7 tonnes, et elle avait encore 1400 mètres carrés de voilure au lieu de 1600 ; elle faisait facilement ses 17 nœuds !

Un sourire radieux me traversait la figure car tout ce qui pouvait m’éloigner d’elle m’attirait davantage. N’était-ce pas avec un tel bateau que j’avais la chance de devenir un marin ? de me découvrir moi-même ?

La navigation serait dure et parfois dangereuse, mais n’était-ce pas le moyen d’apprendre et d’aimer mon métier ?

Et cependant que de choses à faire !

La responsabilité m’écrasait, j’avais parfois peur, à certains moments d’avoir entrepris une besogne trop lourde pour mes épaules.

Mais ces moments de défaillance étaient de courte durée. J’osais — et à la mer je sais maintenant que j’oserai toujours !

Le confort à bord n’existait pas malgré tout ce que je pus faire ; je ne devais pas y arriver.

Impossible d’avoir l’eau chaude dans les cabines, une baignoire existait pour des tubs d’eau de mer, les sonnettes à chaque porte s’éparpillaient mais pas une ne fonctionnait ; mauvaise lumière, pas de chauffage, dans cette coque d’acier où l’humidité suintait et régnait un froid glacial.

Le grand moteur était très usé, le petit moteur auxiliaire pour l’électricité et les pompes pour assurer le service étaient à changer.

Il pleuvait partout, le pont devait être entièrement calfaté.

La vedette n’existait pas, les embarcations étaient dans un état lamentable.

Toutes les voilures de course allemandes étaient très usagées et elle n’avait que ses belles robes de régates pour se promener.

Et mille détails que je passe sous silence, pour ne pas la faire rougir.

Voilà dans quelles conditions j’avais découvert le seul, l’unique bateau qui chantait à mon âme, enthousiasmait mon cœur, exaltait ma raison.

Je l’achetai au plus vite et par deux degrés au-dessous de zéro dans les appartements, par tempête de neige, en décembre, je l’amenai au Hâvre avec un équipage composé de l’ancien capitaine Allemand avec sept de ses hommes et onze Hollandais pris sur le quai de Rotterdam !

Cette traversée mémorable fut très mouvementée et reste un de mes beaux souvenirs à la mer.

Le capitaine Allemand, qui fut parfaitement correct me prêta son fourneau à essence ; il avait peur, me dit-il de me trouver gelée dans ma cabine.

Mais je passai la plus grande partie de mon temps sur le pont, dans la neige, au milieu d’une tempête fantastique ou dans la cuisine à me chauffer au fourneau.

Arrivés au Hâvre, je l’invitai à déjeuner au restaurant ; après un déjeuner maritime et courtois, il me confia certains renseignements précieux sur mon bateau et qui devaient dans l’avenir m’être très utiles ; il m’avoua aussi comme un grand secret le plus grand défaut du bateau…

Elle est trop vite, disait-il en anglais, je me souviens de son accent en appuyant bien sur chaque syllabe, elle va toujours trop vite.

Et combien il devait avoir raison.

Il pleura lorsqu’il quitta son bateau qui devenait le mien, mais il me dit en partant : « Je suis quand même heureux de le laisser entre de telles mains ». Et je le verrai toujours disparaître en taxi au tournant de la rue Bassins Docks en se penchant encore toujours pour apercevoir la coque délicate posée sur l’eau. La plus belle coque du monde.

Quel travail de la rendre aussi belle qu’elle devait être.

La coque fut mise complètement à nu, un nouvel enduit la rendit parfaite et douce ; un manteau bleu foncé bien brillant « Navy blue » lui donna un éclat incomparable, sa flottaison blanche accentua l’élégance de ses lignes.

Je faisais enlever l’aigle Impérial Allemand, et le remplaçais par deux ailes légères et ouvertes, symbole de mes envolées !

Je supprimai tout l’or… Les mâts furent grattés, vernis et remis à neuf, ils devaient faire l’admiration des connaisseurs.

Le gréement fut changé ; je commandai deux moteurs. Des voiles neuves de Ratsey et Lapthorn, et petit à petit, avec patience et amour « Ailée » est devenue « Ailée ».

Simple, calme, courageuse, élégante et bonne.

Et en songeant à tout ce lent travail, je ne pouvais m’empêcher de penser que ce bateau était le plus beau parce qu’il était le plus aimé de tous les bateaux.

Vous comprendrez maintenant pourquoi, en lisant le beau poème de Fox Smith le souvenir de « Ailée » s’éleva si intense dans ma mémoire. Ce poète avait découvert et aimé un bateau dans les mêmes conditions que moi. S’il lui avait été donné d’écrire d’aussi jolies choses, ce fut par la révélation de ce bateau.

Si j’avais pu aussi ressentir la beauté de ce sentiment c’est que mes yeux venaient de découvrir au milieu de tous les bateaux du monde le vaisseau « Ailée ».

CINQ ANNÉES APRÈS


MISSING


She will not come… oh never, never more

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Her weary wings at sunset any more

To any port of all the ports there be
Shall she come with her beauty from the sea
Aye all that grace and beauty strength and speed
All that she was, are now no more indeed.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

No more, that strength that swiftness and the grace

Then on blown foam, flake on the ocean’s face

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Where rest she now.............

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

An the time

Comes, and the time goes and the ocean slime
Coats her with foulness, and the seaweeds green
Clothe her whom once men tended like a queen
Let be ! she is one with all things that have been

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Lost yet remembered that were ours they are

Things lovely and beloved that are no more

AILÉE S’EN VA


Ailée s’en va…

J’ai le cœur serré…

La brume est là, elle va nous absorber ; à côté du timonier, je traîne avec mes bottes de babord à tribord toutes mes pensées ! Elles ne sont pas gaies ce soir !

Les ordres se croisent, les manœuvres se succèdent. J’assiste impassible au dernier appareillage ; écoutant attentivement les sonneries et les bruits accoutumés que je n’entendrai plus jamais, je conduis mon « Ailée » à Gosport au moteur, équipage réduit pour la désarmer chez Nicholson ; j’ai commandé à ce chantier une goëlette trois mâts de 500 tonnes. Quelle tristesse de la voir désarmée en grand.

Le pont est galipoté, les cuivres peints, les tauds sont en place recouvrant les vernis et les embarcations ; les mâts de flèches sont calés sur le pont. Plus une seule voile en place, le gréement a été enlevé et les voiles sont toutes ramassées.

Les bas mâts dépouillés ressemblent tristement à une forêt en hiver.

Oh ! combien Ailée est triste ; elle n’est plus la même, elle est déjà une autre, prête à devenir différente en devenant une autre goëlette !

Triste est mon âme, ce soir, comme son image ; et comme à la veille d’une grande séparation sans paroles nous nous dévisageons. Je vais du carré à la bibliothèque de ma cabine dans la descente.

Puis une dernière visite dans les soutes, en passant par le poste de l’équipage, la cuisine et le carré des officiers, enfin je prends mon dernier souper solitaire dans le carré.

Pour ma dernière nuit à la mer à bord de mon « Ailée » je ne me coucherai pas. Je dormirai de 9 heures à minuit dans la descente, je ferai jusqu’au jour mon dernier quart dans la brume, l’humidité et le froid.

La corne à brume régulièrement envoie sa plainte.

Nous croisons quantités de vapeurs aux regards verts et rouges, mais invisibles ; nous naviguons dans l’obscurité comme des aveugles.

C’est l’arrivée à Gosport et le mouillage devant les chantiers. Je l’habitai encore trois journées de bel automne clair.

Les trois pavillons ondulaient gaiement comme si rien n’était arrivé, comme si le lendemain allait être un jour pareil ! J’avais le cœur serré, je fis un grand effort pour quitter « Ailée », pour m’arracher à elle et à mes souvenirs ; les pavillons furent amenés ; je serrai les mains du capitaine et de l’équipage, je descendis lentement l’échelle de corde pour prendre le you-you qui m’attendait.

Puis il ne me resta plus que mes yeux pour dire longuement adieu, dans la cadence des avirons elle diminua, s’estompa jusqu’au moment où un yacht blanc m’arracha sa chère image solitaire et triste, posée sur l’eau moirée comme un grand cygne noir trop beau pour être réel et qui s’en va…

Dans mon esprit demeure le poignant souvenir en deuil de cette séparation faite de grandes ailes noires fermées !



Mon « Ailée »… comme la vie change… nous n’irons plus toutes les deux, avec la même âme, errer à l’unisson sur la crête des lames parmi la même écume jaillissante !

Ces bons embruns glacés qui savaient si bien en nous balayant les fronts y chasser toutes pensées qui n’étaient pas maritimes ! T’en souviens-tu ?

Nous allons maintenant devenir si différentes en naviguant séparées.

Sans toi, je ne serai plus tout à fait la même ?

Et crois-tu que, loin de moi, tu resteras le bateau que j’ai tant aimé ? non, c’est impossible, cependant tout arrivera comme je l’écris aujourd’hui — c’est la vie — et non seulement nous ne naviguerons jamais plus ensemble, mais la chose insensée devient réelle.

Tu navigueras encore, et moi je continuerai mon intense navigation.

Qu’y faire ?

Combien d’êtres m’ont dit que nous nous ressemblions et formions à nous deux un tout.

Certes, nous nous complétions et l’une sans l’autre était toujours en attente de l’autre.

Quand reprendras-tu la mer avec un nom inconnu ? Quand appareillerai-je avec ma nouvelle « Ailée » ?

Ce soir, au coin du feu, assise la tête dans mes mains, je fais revivre dans les flammes ardentes nos navigations passées, et nos années se succèdent et nos heures passent claires, fidèles et harmonieuses.

Oh ! si nous pouvions encore revivre le temps qui n’est plus, nous repartirions toutes les deux vibrantes jeunes et remplies d’enthousiasme pour l’horizon là-bas, au-delà des flammes, si tu voulais… si je voulais… nous pourrions reprendre notre essor en ouvrant nos ailes !



Quand je pense à « Ailée » tout devient souvenirs… maintenant qu’elle dort désarmée dans un port Anglais.

Sa vie intense s’est retirée en un seul instant, s’est figée implacablement dans le passé !

Dans ma mémoire, où elle sera ancrée désormais, elle roulera doucement avec sa haute mâture, silhouette fine se détachant toute noire sous la pâleur d’un vivant clair de lune.



Quel sera ton nouveau nom ?

Pour quel pays appareilleras-tu ?

Quelles seront les couleurs de ton pavillon étranger ?

Dans l’immobilité de l’hiver, je songe à nos éclatantes randonnées d’été !



Je me console de t’avoir abandonnée, en songeant que personne n’a su t’aimer et t’admirer autant que moi. Lorsque je disais ton nom mon visage s’éclairait !

J’avais, parait-il, en prononçant ton nom « Ailée » un tel accent d’affection que je communiquais aux profanes même l’attirance d’aller te voir passer au large, sous toutes tes voiles, comme un beau songe fleuri emporte ses pétales.



Te souviens-tu lorsque grand largue tu filais tes seize nœuds emportée comme un oiseau des mers, les embruns et la rumeur montaient des flots, la fuite des vagues échevelées et la vitesse nous enivraient. Il semblait que tu volais en effleurant la mer de tes battements d’ailes. L’orgueil gonflait nos cœurs ; la brise chantait dans le gréement et les voiles ouvertes se tendaient de rondeur sous la pesée des rafales ! Et nous semions en riant les cargos et les vapeurs qui tanguaient péniblement dans la mer démontée : le nez dans la plume, ils n’en manquaient pas une…

Et nous fuyions le cœur en fête, sans souci du lendemain et de la nuit noire qui approchait accomplissant, dans la plénitude, un record superbe.


Où sont les instants bénis, les moments radieux que nous passions en grande intimité pendant les longues traversées ?

Nous vivions en parfaite harmonie et je saisissais ton langage et ta plénitude souveraine lorsque tu étais satisfaite de la façon dont on te faisait naviguer.

Parfois, dans les longs calmes, je faisais mettre le you-you à la mer et j’allais t’admirer toute accalminée ; avec tes grandes voiles vides, tu te reflétais si parfaitement dans l’immobilité avec ta coque noire et tes ailes blanches qu’en me penchant hors du you-you il me semblait pouvoir ramasser tes voiles comme j’aurais cueilli des roses.

Un soir, je me souviens, la lune faisait sur la mer un sillage argenté ; majestueuse, en fendant les flots, tu avançais avec une telle sérénité que l’on eut dit que la nuit, pour faire rayonner ta beauté, avait créé pour toi seule ce chemin de clarté palpitante.



Comment faire pour ne plus parler encore de toi ?

Comment faire pour chasser ta chère silhouette de mes yeux ?

Demande plutôt à la mer d’être toujours la même.

Demande plutôt aux mouettes de ne plus s’envoler jamais.

« Ailée » a choisi dans mon cœur son mouillage.



Comme un vol de mouettes disparaît à l’horizon ailes battantes absorbées dans la grisaille du crépuscule, tels, mon cher bateau, nous nous enfoncerons un soir, mais avec des ailes différentes, dans notre séparation sans fin !

L’horizon sera fait d’un ciel et d’une mer confondus comme un grand manteau, doux linceul immense posé sur le jour.



Que tu étais belle en rade sous le soleil !

Ancrée d’une chaîne, les ailes pliées en attente, tu ressemblais à un oiseau posé. Ta coque brillait, les cuivres étincelaient, sur le pont bien blanc venaient s’enrouler en petits tapis tes cordages souples, les vernis reluisaient et chaque chose était à sa place.

Le soleil faisait scintiller même les pommes de mât ! Sous la voûte arrière ton nom s’offrait éclatant comme une couronne d’or posée sous les trois couleurs qui se déployaient dans l’azur

Et l’eau heureuse venait chuchoter le long des hublots, tandis que, dans le ciel toujours bleu, une étoile devenait visible.



« Ships are like folks » said nurphy, the way they come an go.
An’some you’ll sail for years with an’never seem to Know…
An’some you’ll sign just once winth, an’part, an’there’s an end…
An’some you’ll first clap eyes on an’Know you’ve found a friend.
« Ships are like folks » said Murphey.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

An’curse’em when they’re livin-an’ miss, em when they’re ded.
Fox Smith.


« AILÉE » EST PARTIE


À travers le cloître rose, j’aperçois là-haut dans l’azur comme une vision pure : la Corse neigeuse qui dort lointaine sur la mer rêveuse.

Le clocher de Roquebrune s’agrippe à la montagne d’aigle : j’entends deux sons : celui de la mer qui vient murmurer aux rochers du cloître.

L’autre celui des cloches qui s’égrène et descend de la montagne vers la mer. Mon cœur reste emprisonné par le souffle aérien qui se mêle au rythme infini de la respiration lente de la mer calmée.

Les grands pins s’agitent, se courbent sous les rafales ; ils sentent bon et racontent, pour la mer, un grand secret sans fin.

Jamais je n’ai vu la mer plus belle qu’aujourd’hui. Immuablement bleue, rieuse, douce et silencieuse, je l’admire et, comme je reste au rivage, je lui en veux et la jalousie au cœur, je la déteste tant je l’aime.

Je fuis les humains, la solitude est si douce lorsque l’on peut échapper aux regards et rêver les yeux à horizon. Je ne puis aimer et comprendre que la rumeur des vagues et le chuchotement des embruns ; je me refuse à écouter la conversation de ces désœuvrés.

Je m’arrête dans le port, j’erre… J’ouvre tous grands les yeux mais je ne vois rien, si, un paysage charmant avec ses contours précis, mais il manque la présence de l’âme.

Lorsque je les ferme, je vois une goëlette qui repose dans la baie, si harmonieuse que l’on dirait un grand cygne noir endormi pour la nuit.

Alors tous les souvenirs m’assaillent, les parfums des temps passés me remontent à l’âme et chantent dans mon cœur les airs anciens et préférés.


« Ailée » n’est pas là, cependant je la vois.

Portant haut ses pavillons, elle les envoie fleurir jusque dans les montagnes.


« Ailée » n’est pas dans le port, cependant je puis voir sa haute mâture rouler doucement en balayant le sommet des montagnes neigeuses !

Les jours passent, mais les heures s’écoulent si lentement ; la mer vient s’écraser sur les roches dans une lente respiration monotone sans brise aucune dans le silence pesant.

Cette nuit, je la passerai à l’écouter, lointaine.

Mon cœur grand ouvert est vide.

Il semble à mon âme qu’elle ne saurait plus jamais désirer rien.

Dans cette torpeur ma pensée veille ; hallucination douce seulement aux choses qui furent et non à celles qui seront.

Mes facultés s’endorment au son morne de la mer proche sur les cailloux.

Et mon être vaillant s’étiole d’être dans l’inaction, mon imagination s’effrite de n’être plus en contact avec les difficultés et les dangers de la navigation à voile.

Lorsque je dors c’est du sommeil de ceux qui ont perdu leur raison de vivre.

Désarmement des bateaux, arrêt momentané de la vie – convalescence – je ne sais exprimer le mal profond dont je souffre.

Sans embarquement – séjour à terre prolongé ou bien en mal des horizons lointains.

Je ne demande pas aux êtres de m’intéresser ni de m’amuser. Le temps passe trop vite avec mon idéal. Je voudrais seulement pouvoir m’ennuyer moins intensément auprès d’eux.

Mon « Ailée » est désarmée. La nouvelle se construit pendant ce laps de temps je ne suis nulle part ; où mettre en lieu sûr mes illusions et faire survivre mes rêves pendant ce contact brutal avec terre, où puis-je soigneusement les garder pour ne pas les perdre et les casser ?

Je me suis fabriqué une si belle épopée parmi les vagues au milieu des embruns sur mon empire mouvant.

Nul royaume n’est plus beau que l’immensité.

À bord, mon bateau m’absorbe tout entière, je n’ai le temps de rien faire d’autre. Sans mon « Ailée » tout est monotone et vide, j’ai trop de temps pour faire tout et cette grande accalmie pesante de silence est trop lourde pour mes épaules.

Je plains ceux qui peuvent regarder leur pavillon national claquer dans la brise sans avoir un battement de cœur pour le symbole qu’il représente.

Chaque bateau qui flotte avec le pavillon tricolore est une parcelle de la grandeur de notre marine.

Depuis que je suis la poupée d’étrave du grand vaisseau qu’est le Yacht Club de France, je veille à le conduire vers l’honneur et le bonheur !

Comme je suis riche de tenir dans mes bras faibles l’Idéal Maritime !

En allant à l’horizon en sachant pourquoi.

Combien je plains ceux qui végètent et qui s’enfoncent vers la mort en regrettant leur jeunesse.

Mon Dieu, je m’agenouille de reconnaissance, parce que vous mavez guidée vers la route des flots, et m’avez permis de reconnaître la voie qui me convenait parmi toutes les autres qui n’étaient pas pour moi.

Merci, mon Dieu !

Je sais que je suis à ma place où je suis.

Je sens que je fais ce que je dois faire.

Ma vie doit être de dévotion et de dévouement.

Dans le sacrifice, je me retrouve.

Dans la joie, je serais désorientée.

Je suis attachée à ma part de tristesse, que j’aime partager avec les simples.

Ma vie, je dois la donner à mon pays comme je le pense.

Je voudrais cependant que tous les mondains et les désœuvrés sachent qu’en ne pensant qu’à eux ils fuient la chance de rencontrer ce qu’ils cherchent.

Je voudrais qu’ils sentent, en me voyant, qu’une âme veille pour le beau, dans l’unique espoir d’être un petit exemple au milieu de leur grand gâchis.

Je voudrais faire plus.

Je voudrais faire mieux.

J’espère que j’aurai le temps de conduire mon vaisseau au bout du monde.

On ne peut être heureux que par le cœur et profondément malheureux que par lui ; mais l’esprit veille, le combat s’engage et il faut que la tête domine le cœur.

Alors, en vous, la sérénité descend comme après l’orage à la fin du jour, lorsque le soleil se montre avant de disparaître.

Les personnes que je rencontre ne me comprennent pas.

Elles me prennent pour un être différent de ce que je suis ; ce serait trop simple qu’elles me voient à travers des yeux droits, qui reflèteraient la vérité.

Elles ne me jugent pas par mes actions, mais à travers leurs sentiments.

Physiquement, je les étonne : « comment pouvez-vous conduire vos bateaux à la victoire avec des attaches si fines » ou encore « comment se peut-il que dans un corps si menu puisse se cacher une telle énergie ? »

Je souris par habitude, mais l’abîme moral est encore plus profond.

Elles ne me comprennent pas, parce qu’elles ne le peuvent pas.

La vie qu’elles mènent et celle que j’ai choisie sont trop différentes.

Mon esprit s’assoupit à l’heure où le leur s’éveille, je me réveille à l’heure où elles s’endorment.

Quel grand bonheur d’avoir pu échapper à cette vie de luxe, à ses mondanités et à ses corvées ; plus de vie canalisée avec un voile sur les yeux pour vous empêcher de voir toutes les misères du dehors.

J’ai tellement ouvert les fenêtres, et la brise fraîche sur mon front et la brise pure dans mes cheveux m’a raconté de si jolies choses que pour m’approcher plus près d’elle et l’entendre mieux — j’ai quitté les fenêtres trop étroites pour habiter le même palais qu’elle : La Mer — et c’est à travers des hublots que je regarde la vie maintenant lointaine.

Je suis à bord, ce matin, d’une Aile et mon âme déborde de poésie. Un lyrisme me monte du cœur aux lèvres et je voudrais inventer et choisir les plus beaux mots du monde qui s’adresseraient au soleil qui miroite sur la mer, puis penchée vers elle, lui dire combien je l’aime.

La bonté est la seule beauté de la vie.

Dans l’existence de tous les jours trop de personnes oublient de cultiver la bonté !

C’est cependant le plus beau jardin du cœur où fleurissent les plus belles roses.

Vous vous préparez le jardin dans lequel vous irez dormir. N’oubliez pas que chaque jour nous achemine doucement vers la mort et ce jour-là seules nos actions de bonté seront rappelées.

Or il arrivera que les plus riches seront peut-être les plus pauvres, les plus déshérités les mieux partagé.

Ne pas faire fuir les humbles, attirer ceux que la misère touche, voir autour de soi des regards chargés de reconnaissance et des sourires sur des visages usés et ravagés.

Si l’on pense plus aux autres qu’à soi — la très jolie chose arrive que les autres le voyant, s’occupent de vous.