Un voyage en Espagne


UN VOYAGE EN ESPAGNE,


VAUDEVILLE EN TROIS ACTES


――――――――――――――――――――――――――――――――――――――――――――


ACTE Ier.


Une Posada.



Scène Ire.

PABLO, ROSINE.
Pablo, étendu sur une natte de jonc et fumant un cigare. Rosine entrant.
ROSINE.

Pablo ! Pablo !

PABLO.

Ah ! senora !

ROSINE.

Dis-moi, le senor don Ramon de la Cruz n’est-il pas descendu ici ?

PABLO.

Seriez-vous jalouse de lui ?

ROSINE.

Pablo, je ne t’interroge pas pour que tu me questionnes ? Réponds-moi, don Ramon est-il ici ?

PABLO.

Non. Don Ramon n’est pas ici… (À part) Il vient de sortir à l’instant.

ROSINE.

Fais bien attention, Pablo… si tu desservais les intérêts des christinos, cela te coûterait cher.

PABLO.

Ah ! senora, il n’est pas, dans toutes les Espagnes, d’homme plus dévoué…

ROSINE.

C’est bon, c’est bon !… Eh ! mais, dis donc, Pablo, don Ramon n’était pas chez toi, c’est vrai, mais je l’aperçois qui s’achemine de ce côté.

PABLO.

C’est sans doute vous qui l’attirez ?

ROSINE.

Le voilà… Prends bien garde à ne point bavarder. Tu sais que le parti christino ne badine pas…

Elle baisse son voile.




Scène II.


D. RAMON, PABLO, ROSINE, sortant.
D. RAMON.

Quelle jolie taille… quel pied mignon !… Dis-moi, Pablo, quelle est cette femme ? Tu me semblais en conversation fort animée avec elle.

PABLO.

Chut ! c’est mon infante, ma duchesse, mon idole… J’en suis fou !

D. RAMON.

Sans doute quelque servante qui aura pris la basquine et l’éventail de sa maîtresse ?

PABLO.

Fi donc !… Pour qui me prenez-vous, seigneur don Ramon de la Cruz ?

D. RAMON.

Je te prends pour un imbécile ; si tu crois que je suis dupe de ta fatuité… Cette femme… est attachée au service des gens de la reine… je m’y connais… Elle est venue te demander des renseignemens sur les mouvemens carlistes qui se font dans les environs.

PABLO.

Je vous jure…

D. RAMON.

Ne jure pas…

PABLO.

Si fait, je vous jure… que cette femme ne m’a demandé aucun renseignement sur les mouvemens carlistes qui se font dans les environs… (À part) Comme ça, je ne mens pas…

D. RAMON.

Très-bien !… Dans tous les cas, tu es averti, Pablo… ne t’avise point d’être bavard… Le parti carliste ne badine pas…

PABLO.

Ah ! seigneur don Ramon, il n’est pas, dans toutes les Espagnes, d’homme plus dévoué…

D. RAMON.

C’est bon… c’est bon !… Mais voici Catalina… Laisse-nous.




Scène III.


D. RAMON, CATALINA.
D. RAMON.

Catalina ! vous avez beau venir à l’heure exacte, il me semble que vous n’arrivez jamais… Les minutes sont des siècles, loin de vous…

CATALINA.

Toujours galant !…

D. RAMON.

Non ; toujours amoureux !

CATALINA.

Et toujours aimé, pour notre malheur à tous deux !

D. RAMON.

Dites pour notre bonheur !

CATALINA.

Hélas ! non ! À quoi sert de s’aimer, quand il faut vivre loin l’un de l’autre ? Mon frère est toujours inflexible.

D. RAMON.

Cependant, ma noblesse vaut la sienne.

CATALINA.

Sans doute. Mais il ne s’agit pas de cela. Je suis riche, et mon frère, qui est aussi mon tuteur, veut garder tous mes biens ; il voit moins en vous un amant qu’un voleur… il s’est accoutumé a regarder ma fortune comme la sienne. Autrefois, il m’aurait fait entrer en religion ; mais maintenant les couvens sont fermés ; ce moyen lui manque, et il tâche de tenir les amoureux à distance. Jamais duègne revêche n’a marché de plus près sur les talons d’une jeune fille ; jamais barbon jaloux n’a surveillé plus étroitement une jolie femme coquette, et je tremble en pensant au danger qui nous menace… s’il vous savait seulement dans cette ville… J’ai eu toutes les peines du monde à m’échapper pendant qu’il faisait la sieste et il ne dort pas toujours des deux yeux à la fois.

D. RAMON.

Don Ramon de la Cruz n’a peur de personne.

CATALINA.

Mais il vous tuerait.

D. RAMON.

Ou je le tuerais.

CATALINA.

La belle avance ! si mon frère vous tue, ou si vous le tuez, plus de mariage… Soyez prudent… Partez.

D. RAMON.

Mais pourquoi ?…

PABLO, accourant.

Sauvez-vous, jeunes gens… voici votre frère Inigo… qui rôde de ce côté… Tenez, cette porte donne sur la place San-Antonio… Allez…




Scène IV.


PABLO, INIGO, paraissant au fond.


PABLO.

Il était temps !

D. INIGO.

Il est trop tard… les oiseaux sont dénichés… mais malheur à eux si je les surprends… (À part.) Il y avait du monde ici ?… j’ai entendu plusieurs voix.

PABLO.

C’est un effet d’écho… ma salle est très-sonore.

D. INIGO.

Tu ne mens pas ?…

PABLO.

Je vous jure que ma salle est très-sonore… (À part.) Ça n’est pas mentir… Je suis libre de trouver que cette salle est très-sonore… Il sort.

D. INIGO.

Ce maraud se moque de moi, mais je sais ce que je suis… Il va pour sortir. Reniflard, qui entre violemment, se rencontre avec lui.




Scène V.


D. INIGO, RENIFLARD.


RENIFLARD.

Prenez donc garde à ce que vous faites…

D. INIGO., revenant.

Que je prenne garde à ce je que fais ?… C’est donc a dire que je suis un brouillon, un étourdi, un homme sans jugement ?… Vous m’insultez, monsieur !

RENIFLARD.

Pardon, monsieur ! vous n’y êtes pas… Vous m’avez marché sur un cor que j’ai, et je ne crois pas qu’il y ait là insulte de ma part.

D. INIGO.

Vous m’en rendrez raison.

Air du Baiser au porteur.

De vos propos mon oreille est froissée ;
Mais sachez bien qu’un homme tel que moi,
Quand il sent son âme blessée,
Ne pardonne pas…

RENIFLARD.

Et pourquoi ? Calmez l’ardeur qui vous enflamme : Un mot, un seul, va nous mettre d’accord ; Moi, je n’ai pas voulu blesser votre âme, Et vous avez blessé mon cor.

D. INIGO.

Allons, monsieur, finissons-en… À quoi nous battons-nous… À l’épée, qui est l’arme des gentilshommes ?

RENIFLARD.

Mais je ne vous en veux pas.

D. INIGO.

Ou au sabre, qui est l’arme des soldats ?

RENIFLARD.

Castillan, vous ne me comprenez pas… Je ne veux pas me battre… Vous m’avez marché sur le cor, ça m’a fait mal… mais je ne vous en veux pas… au contraire.

D. INIGO.

Cependant, si j’ai eu tort…

RENIFLARD.

Du tout… c’est moi qui suis dans mon tort… Je vous demande pardon de m’être laissé marcher sur le pied.

D. INIGO.

J’accepte vos excuses, jeune homme… mais n’oubliez jamais que les Espagnols sont tous braves comme le Cid et très-délicats sur le point d’honneur… Jamais vous ne courûtes un si grand danger qu’aujourd’hui, et vous pouvez dire que vous avez frisé votre trépas…




Scène VI.


RENIFLARD, seul.

A-t-on jamais vu un pareil animal ! Va donc, spadassin… Puisses-tu être embroché par un autre que moi… je souscrirai avec plaisir pour ton monument. Holà ! quelqu’un ! La fille !… Personne ne vient ! À la boutique, s’il vous plaît !… Personne ! J’attendrai… (Il s’asseoit.) Enfin ! je suis donc en Espagne, dans cette patrie de la cigarette… Désiré Reniflard !… tes vœux sont exaucés… tu respires le même air que le Cid… Oh ! le Cid, c’est mon héros… Figure-toi, vieux Cid, que j’avais à Paris une profession ridicule… Je tenais un établissement à trois sous la séance… un cabinet de lecture. Depuis deux ans, je m’occupais sans relâche à dévorer mon fonds… intellectuellement : Victor Hugo, Alfred de Musset, Prosper Mérimée, lord Byron, je vous ai lus et relus ; vous m’avez monté la tête… vous m’avez inspiré l’amour de la couleur locale… Oh ! la couleur locale… Je ne rêvais que villes gothiques, à la silhouette tailladée en scie, qu’Alcazars moresques, aux colonnettes et aux trèfles de marbre, clochers en spirale, créneaux festonnés… Je ne rêvais qu’orangers aux pommes d’or, que grenadiers aux fruits de corail, que bandits, contrebandiers, gitanos, et surtout qu’Andalouses au sein bruni, pâles comme un beau soir d’automne… Vous savez le reste… Je n’y puis plus tenir… je confie mes bouquins à une personne sûre… Je franchis les monts en disant comme Louis XIV : Il n’y a plus de Pyrénées… et je n’ai pas plutôt posé le pied sur la terre espagnole, qu’on me l’écrase, le pied… C’est égal, cela ne m’arrêtera pas. Je suis venu en Espagne étudier la couleur locale, et faire un voyage d’agrément. Oh ! l’Espagne !…


Air de M. A. de Wailly.

J’ai soif de la couleur locale,
J’ai faim de l’Espagne au ciel bleu ;
Je ne rêve qu’Orientale,
Soleil d’or et regard de feu !

      Je ne vois qu’échelles de soie
      Aboutissant à des yeux noirs.
      Je ne rêve que flanc qui ploie
      Et que sérénades les soirs.

      Je rêve dague de Tolède,
      Dona Sol et don Ru y Gomer ;
      Alguazils Tenant à mon aide,
      Guadalquivir, Manzanarès !

      Vrai Dieu ! le vent de la montagne,
      Je le sens, va me rendre fou…
      Bref, je ne rêve que d’Espagne,
      Sur les airs de monsieur Monpou !

Ah ! ça, voyons, il n’y a donc personne ici ?… (Il frappe, Pablo paraît.) Ah ! c’est heureux !




Scène VII.


RENIFLARD, PABLO.


PABLO.

Qui donc fait chez moi une si grande consommation de tapage ?

RENIFLARD.

C’est moi… Vous êtes l’aubergiste ?… Je voudrais bien prendre quelque chose.

PABLO.

À vos ordres, seigneur.

RENIFLARD.

Qu’est-ce que je mangerais donc bien ?

PABLO.

Tout ce que vous voudrez.

RENIFLARD.

Voyons, qu’avez-vous à me donner à manger ?

PABLO.

Je vous donnerai à manger ce que vous aurez apporté.

RENIFLARD.

Comment, ce que j’aurai apporté ?… Il faut donc que ce soit moi qui alimente vos casseroles de ma propre substance ?

PABLO.

Sans doute. Est-ce que je suis votre domestique, par hasard ? Pour qui me prenez-vous ?… Je pratique l’hospitalité à la manière antique : j’offre aux voyageurs le couvert, le sel et le feu, en dédommagement de quoi ils me laissent quelques douros au moment de partir.

RENIFLARD.

Ainsi, il n’y a ici ni viande, ni poisson, ni légumes ?

PABLO.

Nous avons trop de foi dans la Providence pour prendre des précautions injurieuses contre elle. Chaque jour amène sa manne !

RENIFLARD.

Où est-elle, cette manne ?

PABLO.

Allez dans le village, et tâchez d’acheter quelque chose ; le boucher est au bout de la rue, le boulanger an coin de la place. Il est vrai que vous ne trouverez personne, tout le monde est à la course de taureaux.

RENIFLARD.

Allons, bon !… Mais vous, aubergiste, comment vivez-vous ?

PABLO.

Moi ?… Je déjeune d’un verre d’eau, je dîne d’une cigarette et je soupe d’un air de guitare.

RENIFLARD.

Allons, je me passerai de dîner aujourd’hui… Je vais me coucher. Donne-moi une chambre.

PABLO.

Une chambre ?… Voilà la plus belle de la maison.

RENIFLARD.

Ça, une chambre !

PABLO.

Qu’y manque-t-il donc ?… Elle a un plancher, un plafond avec une superbe rosace, et quatre murs, ce qui constitue une chambre dans tous les pays du monde.

RENIFLARD.

Je voudrais une couchette… Je ne l’exige pas à bateau, ni en palissandre incrusté… mais suffisante pour reposer ce qui me reste de chair.

PABLO.

Cette natte est excellente ! vous n’y serez piqué que par les moustiques.

RENIFLARD.

C’est consolant… Au moins, pourrai-je avoir un domestique ?

PABLO.

Ceci rentre dans la classe des possibilités… Je connais par là certain drôle qui fera votre affaire.

RENIFLARD.

Amenez-le-moi.

PABLO.

Rien n’est plus facile…

Il siffle.
RENIFLARD.

Cette façon est quelque peu cavalière… En France, ce ne sont pas les hommes qu’on appelle ainsi.

PABLO.

Voilà !




Scène VIII.


LES MÊMES, BENITO.
RENIFLARD.

Il a l’air un peu féroce… Êtes-vous sûr de sa moralité ?

PABLO.

Oh ! très-sûr… Il a fait partie deux ans de la bande de José Maria… un bien brave homme, allez.

RENIFLARD.

Mais ce José Maria était un chef de brigands.

PABLO.

Oh ! c’est la jalousie de la police qui faisait courir ces bruits-là ; José était un homme généreux, brave, salant, charitable, plein d’honneur, et qui n’admettait dans sa société que des gens choisis.

RENIFLARD.

C’est égal, je n’aimerais pas à rencontrer mon domestique le soir, au tournant d’une rue… (Haut.) Aubergiste, fournissez-m’en un autre.

PABLO.

Comment, vous ne voulez pas de celui-là ?

RENIFLARD.

Non… j’en désire un… plus rassurant.

BENITO.

Pardon, seigneur, si je prends la parole… mais je ferai observer à votre seigneurie que me refuser ainsi, sans motif, est une injure !… Quelle raison avez-vous pour ne pas m’admettre à votre suite ?

RENIFLARD.

Au fait… (Haut.) C’est bien… Aubergiste, laissez-nous… (Pablo sort. À Benito.) Comment t’appelles-tu ?

BENITO.

Je ferai remarquer à votre seigneurie que je ne la tutoie pas.

RENIFLARD.

Mais…

BENITO.

Je n’aime point les familiarités.

RENIFLARD.

Soit !… Comment vous nomme-t-on ?

BENITO.

Don Benito Juan de Dios Domingo Mendieta de Alfarnate y Cazorla y Orosco y Benavidez.

RENIFLARD.

Ah ! je suis fixé… Mais si ça ne vous blesse pas, je me dispenserai de vous appeler de tous vos noms.

BENITO.

Oh ! appelez-moi seulement Benito Juan de Dios Domingo Mendieta de Alfarnate… Par ce moyen, vous économiserez y Cazorla y Orosco y Benavidez.

RENIFLARD.

Ah ! très-bien, merci… De quel pays êtes-vous ?

BENITO.

Je suis Biscayen.

RENIFLARD.

Mille bombes !… Et Combien me demanderez-vous pour entrer à mon service ?

BENITO.

Deux piécettes par jour… Mais je veux avoir mes nuits libres.

RENIFLARD.

Et pourquoi donc ?

BENITO.

J’ai des affaires de cœur.

RENIFLARD.

Au fait, je n’ai pas besoin de domestique quand je dors… c’est conclu… Vous allez entrer tout de suite en fonctions… (Il tire une paire de bottes de son parte-manteau.) Cirez-moi ces bottes.

BENITO.

Hein ? plaît-il ? que dites-vous ?

RENIFLARD.

Je dis : Cirez-moi ces bottes… C’est limpide, j’espère.

BENITO.

J’ai compris, parfaitement compris, seigneur étranger… mais je puis tous cacher que je trouve vos propositions très-déplacées… Savez-vous à qui vous parlez ?

RENIFLARD.

À mon domestique, j’imagine.

BENITO.

À un descendant de Pelage… Je suis aussi noble que le roi… peut-être plus.

RENIFLARD.

Est-ce que cet homme serait un réfugié espagnol ?… Ah ! que je suis bête ! nous sommes en Espagne.

BENITO.

De quelle couleur pensez-vous que soit le sang qui coule dans mes veines ?

RENIFLARD.

Mais…

BENITO.

Oh ! je sais que vous allez me répondre…quelque lieu commun sans doute… rouge, n’est-ce pas ?

RENIFLARD.

Dame ! c’est assez la couleur ordinaire.

BENITO.

Seigneur cavalier, je suis Biscayen, et vous ignorez probablement qu’une tradition populaire donne aux naturels de la Biscaye un sang bleu, pur et non mélangé comme celui des autres mortels.

RENIFLARD.

J’ignorais cette tradition populaire, mais je l’adopte… et plus je réfléchis, plus je reconnais la véracité de vos paroles.

BENITO.

Ah !

RENIFLARD.

Je m’explique maintenant un juron très-connu en France, et dont l’étymologie m’échappait.

BENITO.

Quel est ce juron ?

RENIFLARD.

Par la sambleu !… Juron Pompadour… Sembleu !… Imprécation Louis XV… C’est bien cela ; c’est bien cela… C’est étonnant, comme on s’instruit en voyageant… Mais, cependant, illustre descendant de Pélage, si vous ne cirez pas mes bottes, je serai forcé, bien à regret, de garder mes deux piécettes.

BENITO.

Tenez, seigneur, vous m’intéressez, et je veux faire une concession en votre faveur… Je cirerai la botte droite, et vous, la gauche.

RENIFLARD.

Ah !… Eh bien ! je vais vous proposer quelque chose de mieux… vous les cirerez toutes les deux.

BENITO.

Je n’en ferai rien, seigneur… Vous en cirerez une, ou j’y perdrai plutôt mon nom !

RENIFLARD.

Eh bien ! ça ne vous ferait pas de mal… de perdre un peu de votre nom… ça reposerait les oreilles de vos contemporains.

BENITO.

Écoutez, j’aime à rire, j’entends la plaisanterie, mais vous la poussez trop loin… À présent, je parlerai sérieusement. Ici, en Espagne, on n’est le domestique de personne… Ce que, vous, étranger, appelez un domestique, c’est un ami, un aide, qui veut bien vous rendre service.

RENIFLARD.

Ah bah !

BENITO.

Oui, seigneur… Aussi, je le répète, je ne vous ferai l’honneur de travailler pour vous qu’autant que vous m’aiderez dans cette besogne… vous comprenez… Je passe par ici… je vous vois embarrassé, je m’arrête… Je vous donne d’abord quelques conseils… Vous avez la tête dure… je joins l’exemple au précepte… Je Prends une botte, vous l’autre, et nous nous mettons à ouvrage… Voilà comme nous entendons la domesticité… nous autres fiers Espagnols !

RENIFLARD.

Allons !…

Ils se mettent en devoir de cirer les bottes.
BENITO.

Que diraient mes aïeux s’ils me voyaient restaurer votre chaussure ?

RENIFLARD.

Illustre Pélagien, rassurez-vous.

Air : J’en guette un petit de mon âge.

    Vous avez lu que dans l’histoire ancienne
        Un souverain fut laboureur :
    Sans déroger la tige pélagienne
    Parmi les siens peut voir un décrotteur.
    Je le sais bien, d’ailleurs, noblesse oblige.
        Et qui pourrait vous condamner,
        Lorsque vous venez de donner
        Un nouveau lustre à cette tige.




Scène IX.


LES MÊMES, PABLO.


PABLO.

Seigneur, une dame voilée désire ardemment avoir un entretien avec vous.

RENIFLARD.

Avec moi !… Est-elle jolie ?

PABLO.

Je l’ignore.

RENIFLARD.

N’importe… Voyons, je me risque… Présentez-la-moi… (Pablo sort.) Seigneur don Benito Juan de Dios…

BENITO.

Domingo…

RENIFLARD.

Mendieta de Alfarnate…

BENITO.

Y Gazorla…

RENIFLARD.

Y Orosco…

BENITO.

Y Benavidez…

RENIFLARD.

Y Benavidez… Faites-moi le plaisir de me priver de votre société.

BENITO.

Quoi ! seigneur, vous me renvoyez ?

RENIFLARD.

Mais non… seulement, je désire me passer de votre présence pendant mon entretien avec la jeune personne ci-dessus nommée… Allez…

BENITO.

Ah ! n’importe… Seigneur, vous ne paraissez pas avoir un attachement formidable pour moi.

Il sort.
RENIFLARD.

J’en conviens.




Scène X.


RENIFLARD, CATALINA, PABLO.
PABLO.

Par ici, senora… (Il sort.)

CATALINA, à elle-même.

Ma démarche est bien risquée, maïs n’importe, il faut sauver don Ramon à tout prix… Pourvu que mon frère se soit aperçu de mon absence… pourvu qu’il m’ait suivie !…

RENIFLARD.

Mademoiselle… Elle ne m’entend pas.

CATALINA, de même.

Mon plan est bien simple… Que don Inigo, mon frère, surprenne un autre que don Ramon à me faire la cour, c’est sur celui-là que sa colère tombera… et…

RENIFLARD.

Senora… C’est singulier, cette jeune personne ne parait pas faire attention à moi… Senera !…

CATALINA.

Ah ! pardon, seigneur… mais vous allez trouver ma démarche sans doute bien inconvenante… Vous êtes étranger ?

RENIFLARD.

Oui, senora.

CATALINA.

Français, n’est-ce pas ?

RENIFLARD.

Oui… tout ce qu’il y a de plus Français… Je suis de la Pointe-Saint-Eustache, 4me légion, 2me bataillon, 3me compagnie… Nous avons le sac.

CATALINA.

Je vous avais deviné tout de suite, monsieur.

RENIFLARD.

Quoi ! mademoiselle…

CATALINA.

Oui, seigneur… la France est un si beau pays ! et les Français sont si… si…

RENIFLARD.

Si quoi ?… si quoi ?… Achevez, senora. Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/37 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/38 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/39 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/40 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/41 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/42 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/43 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/44 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/45 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/46 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/47 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/48 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/49 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/50 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/51 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/52 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/53 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/54 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/55 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/56 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/57 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/58 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/59 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/60 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/61 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/62 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/63 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/64 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/65 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/66 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/67 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/68 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/69 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/70 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/71 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/72 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/73 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/74 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/75 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/76 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/77 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/78 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/79 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/80 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/81 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/82 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/83 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/84 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/85 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/86 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/87 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/88 Page:Gautier Siraudin - Un voyage en Espagne.djvu/89 Adieu, ma sœur… Quant à votre mari, je m’en charge…

RENIFLARD.

Eh bien ! non, au fait… puisque c’est comme cela, je ne veux pas me séparer de mon épouse, je suis jaloux de monsieur…

D. INIGO.

Taisez-vous donc… allez…

chœur.

Air : El Zapateados.

D. INIGO, à don Ramon.

        Allez, quittez ces lieux,
        Ennemi généreux,
    Voici ma sœur, et je tous la confie ;

(À Catalina.)

        De la philosophie :
        Laisse tout faire ainsi ;
    De ton mari, moi, je me charge ici.

CATALINA.

        Je dois quitter ces lieux ;
        L’ennemi généreux !
    C’est mon époux à qui l’on me confie ;
        De la philosophie :
        Laissons tout faire ainsi ;
    Car Inigo de tout se charge ici.

ROSINE.

        Ils vont quitter ces lieux ;
        L’ennemi généreux
    Est son époux… à lui l’on se confie ;
        De la philosophie :
        Laissons tout faire ainsi ;
    De Reniflard, moi, je me charge ici.

RENIFLARD.

<poem>

       Ils vont quitter ces lieux ; 
       L’ennemi généreux, 
   C’est son époux, à lui l’on se confie ; 
       De la philosophie : 
       Laissons tout faire ainsi ; 
   Car don Nigo de tout se charge ici.<poem> 
D. RAMON.

        Il faut quitter ces lieux ;
        Ennemi généreux.
    Catalina ! quoi ! l’on me la confie ;
        De la philosophi :
        Laissons tout faire ainsi ;
    Qu’importe après ce qu’il arrive ici ?

(Don Ramon et Catalina s’en vont. Rosine, qui est demeurée au fond pendant toute la scène, les accompagne, puis revient quand Reniflard est seul.)

D. INIGO.

Je vais assembler le conseil ! et dans quelques heures je serai débarrassé de vous !…

RENIFLARD.

Assembler le conseil !… je vais vous en donner un…

D. INIGO.

Merci !…




Scène VIII.


RENIFLARD; puis, ROSINE.
RENIFLARD.

Il va, dit-il, se débarrasser de moi ! Je crois qu’il me pend quelque chose de désagréable à l’oreille… Qui diable a fait venir, là, tout exprès, Catalina… d’abord, pour me cajoler… comme si j’étais son mari, ensuite pour faire sauver son époux ?…

ROSINE., s’avançant

C’est moi !…

RENIFLARD.

Rosine !… vous !… quoi ! c’est vous ? mais vous me perdez…

ROSINE.

Il le fallait ! pour m’assurer la protection de dona Catalina… j’ai dû vous compromettre un instant.

RENIFLARD.

Merci !

ROSINE.

Je suis venue tout exprès pour vous tirer du mauvais pas où vous êtes engagé… Don Inigo veut se défaire de vous…

RENIFLARD.

Parbleu ! il ne me l’a pas mâché.

ROSINE.

Mais j’ai prévu à tout… vous allez passer devant un conseil de guerre…

RENIFLARD.

Il me l’a marmotté.

ROSINE.

Et lorsque le conseil sera assemblé, arrangez-vous de manière à vous faire condamner.

RENIFLARD.

Moi, me faire condamner !…

ROSINE.

Il le faut…

RENIFLARD.

Ah ! il faut me faire condamner… Mais à quoi ?

ROSINE.

À mort.

RENIFLARD.

À mort !… me faire condamner à mort !… quel enfantillage !

ROSINE.

Sans cela… c’est fait de vous…

RENIFLARD.

Ah! ça, voyons donc… entendons-nous bien… Vous dites que si je ne me fais pas condamner à mort, je suis perdu ?…

ROSINE.

Oui.

RENIFLARD.

Mais, il me semble que je suis passablement perdu si la condamnation a lieu !

ROSINE.

Non, car l’exécution ne se fera pas !

RENIFLARD.

Ah ! vraiment ?

ROSINE.

Oui, grâce à quelques personnes influentes du parti… et grâce à Catalina…

RENIFLARD.

Ah ! Catalina !… mon épouse !

ROSINE.

J’ai pu obtenir que, lorsque votre arrêt aura été prononcé, on fera un semblant d’exécution.

RENIFLARD.

Comment cela ?

ROSINE.

Voici… On vous conduira à l’endroit désigné ; les soldats armeront leurs fusils ; ils feront feu sur vous…

RENIFLARD.

Sur moi !… Et vous dites que vous voulez me sauver ?…

ROSINE.

Attendez donc… mais les soldats seront prévenus… Leurs armes ne seront chargées qu’à poudre.

RENIFLARD.

Je ne m’y fie pas…

ROSINE.

Vous tombez, comme si vous étiez blessé à mort.

RENIFLARD.

Allez, dites toujours… Je n’écoute plus…

ROSINE.

Ah ! ça, mais vous ne me comprenez donc pas ?

RENIFLARD.

Si fait, je te comprends trop bien… que je m’en vais bravement me poser devant ces canons de fusil, qui me canarderont, mais qui ne me tueront pas, sous le prétexte qu’ils ne seront chargés qu’à poudre.

ROSINE.

C’est cela…

RENIFLARD.

Eh bien ! ça ne me va pas… J’aime mieux un autre moyen…

ROSINE.

Il n’y a que cela pour vous sauver…

RENIFLARD.

Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! Mais êtes-vous bien sûre que les fusils ne seront pas chargés à balles ?

ROSINE.

J’en suis sûre ! D’ailleurs, vous le sentirez bien. Voyons, mon bon Désiré, voyons, rassurez-vous ! Suivez bien mes conseils ; jusqu’à présent, vous vous en êtes bien trouvé, n’est-ce pas ?

RENIFLARD.

Oui, oui ; mais ces satanés fusils me trottent par la tête.

ROSINE.

Ne cherchez pas à vouloir pallier votre crime !

RENIFLARD.

Mon crime ?

ROSINE.

Oui… N’essayez pas de vouloir paraître innocent… cela pourrait attendrir vos juges…

RENIFLARD.

Eh bien ! ça m’irait beaucoup de les attendrir.

ROSINE.

Du tout ! Parce qu’au lieu de vous condamner à mort, ils vous enverraient en prison ou aux galères, en Afrique, d’où, il nous serait impossible de vous tirer…

RENIFLARD.

Ah ! mon Dieu ! dans quelle position suis-je ? Être obligé de faire tous mes efforts pour consommer ma perte… sans cela, je suis perdu… Ma tête se perd…

ROSINE.

Mais j’entends don Inigo… C’est le conseil… Au revoir, Désiré… à bientôt… N’oubliez pas !….

RENIFLARD.

Au revoir… Ah ! pardon… encore un mot…

ROSINE.

Quoi ?

RENIFLARD.

Me promettez-vous que les fusils ne seront pas chargés à balles ?

ROSINE.

Oui… oui… adieu !




Scène IX.


RENIFLARD ; puis, D. INIGO, suivi de quelques hommes.


RENIFLARD.

Ô ma patrie ! quand pourrai je polir, avec les semelles de mes bottes, tes asphaltes et tes bitumes !… Avec quel plaisir je recevrais un billet de garde ! que mon capitaine me semblerait beau sous les armes !… Que le diable emporte la couleur locale !… Elle est jolie, la couleur locale que j’ai étudiée !… Mais voici mes juges !… (Don Inigo entre suivi de ses hommes, qui se placent circulairement. Don Inigo est au milieu.) Sont-ils laids ! Mon Dieu ! quels vilains juges j’ai là !

D. INIGO.

Accusé, avez-vous quelque chose à faire valoir pour votre défense ?

RENIFLARD, à part.

N’oublions pas les recommandations de Rosine… (Haut.) Pour ma défense !… Je ne veux pas me défendre !

D. INIGO.

On pourrait adoucir votre châtiment…

RENIFLARD.

N’adoucissez rien !

D. INIGO.

Une prison perpétuelle…

RENIFLARD.

Plutôt la mort que l’esclavage…

D. INIGO, à part.

Cet homme est brave !… (Haut.) On pourrait user de clémence…

RENIFLARD.

Je méprise votre clémence !… (A part) Je dois un peu les embêter.

D. INIGO.

C’est bien ! Nous allons aller aux voix !… Il parle aux gens qui l’entourent.

RENIFLARD.

S’ils ne me condamnent pas, j’aurai bien du malheur !…

D. INIGO.

Accusé… je vous l’annonce à regret… le conseil, après une mûre délibération, vous a condamné…

RENIFLARD.

À mort ?

D. INIGO.

Vous l’avez dit !

RENIFLARD.

Bravo ! ça me va !… Diable ! j’ai peur que ces gredins de fusils… Oh ! non… Rosine ne m’aurait pas trompé.

D. INIGO.

Dans deux heures…

RENIFLARD.

Pourquoi attendre deux heures !… Tout de suite… j’aime mieux cela…

D. INIGO.

Dans deux heures, vous serez…

RENIFLARD.

Fusillé… Très-bien !

D. INIGO.

Non, pendu !

RENIFLARD.

Pendu !… Je réclame… Ah ! non… pas pendu ! Je veux être fusillé !… fichtre ! Il n’est pas convenu qu’on me sauvera de la corde.

D. INIGO.

Nos lois militaires s’opposent à ce qu’on vous fasse l’honneur d’être fusillé… Vous n’avez pas été pris les armes à la main…

RENIFLARD.

Ah ! je suis un homme perdu… ou plutôt pendu !… J’en appelle…

D. INIGO.

C’est inutile !




Scène X.


les mêmes, D. BENITO, suivi de ses hommes.


RENIFLARD.

Oh ! Rosine !… Rosine… viens à moi !… (On entend un bruit de tambour, de pas, de chants.)

CHŒUR.

    Véritables fils de la gloire,
        Ce pays
      Est par nous conquis,
        Soumis,

Et l’étendard de la victoire
À fait fuir tous nos ennemis.

D. INIGO.

Que veut dire ceci ?…

BENITO.

Ceci veut dire, seigneur, que nous sommes maîtres de la citadelle !

RENIFLARD.

Voilà encore une fois le gouvernement changé… on ne peut pas causer une minute… Tiens ! c’est mon domestique qui est le nouveau gouvernement.

D. INIGO.

Mais, c’est une trahison infâme !

BENITO.

Du tout ! Mes hommes et moi, nous passions fort tranquillement sur la grande route, nous avons vu la porte ouverte, et nous nous sommes dit : « Tiens ! prenons donc la citadelle… »

RENIFLARD.

Ah bah !… six hommes !… Et pas de caporal !… ça suffit pour prendre une citadelle !… Drôle de pays !… Je remarque avec quelle facilité on prend les villes en Espagne ! Ils ne tirent pas un seul coup de fusil…

Reprise du chœur.
BENITO.

Vous êtes tous mes prisonniers.

RENIFLARD.

Mais, moi, seigneur Benito…

BENITO.

Vous, c’est différent… J’ai fait une promesse à don Inigo… je la tiendrai…

RENIFLARD.

Peut-on vous demander quelle est cette promesse ?

BENITO.

Certainement… Je lui ai promis de vous faire assassiner… Il m’a payé pour cela… je ne lui volerai pas son argent.

RENIFLARD.

M’assassiner !… Ah ! Seigneur Dieu !…




Scène XI.


LES MÊMES, ROSINE.


ROSINE.

Arrêtez, seigneur Benito… ce Français est innocent. Don Inigo vous l’a désigné, parce qu’il le croyait le mari de sa sœur… Mais, tenez, lisez…

D. INIGO.

Une lettre de Catalina !… (Il lit.) « Mon époux est celui auquel vous m’avez confiée… Don Ramon… » (Parlé.) Quoi ! c’est don Ramon !

BENITO.

Don Ramon ! celui à qui j’adressais le seigneur Français…

D. INIGO.

C’est lui que je vous désigne… maintenant.

BENITO.

Pardon, mais don Ramon est de mes amis…

D. INIGO.

Mais votre parole ?…

BENITO.

Je ne suis engagé que pour celui-ci, et si vous y tenez…

RENIFLARD.

Non… il n’y tient pas !…

D. INIGO.

Ah !…

BENITO.

Seigneur Français… grâce à vous, mes hommes et moi sommes devenus maîtres de la citadelle… Je vous en dois de la reconnaissance… vous êtes libre.

RENIFLARD.

Ah ! seigneur…

BENITO.

Partez avec la senora… qui parait vous aimer beaucoup…

RENIFLARD.

Oh ! oui, ma chère Rosine… je pars avec vous, je retourne à Paris… Je veux vous faire connaître Paris…

ROSINE.

Je le connais !…

RENIFLARD.

Comment ?…

ROSINE.

Je suis Parisienne !

RENIFLARD.

Allons, bien !… Je ne rencontre dansée pays qu’une espagnole qui me convienne… et c’est une parisienne !

ROSINE.

De la rue Vivienne… où j’ai été modiste, mais vertueuse.

RENIFLARD.

Quoi ! vous seriez…

ROSINE.

Une grisette, tout bonnement… Je suis venue en Espagne… j’ai fait des chapeaux et des bonnets pour toutes les dames de la cour, ce qui vous explique comment je me rattachais à un parti politique.

RENIFLARD.

Mais pourquoi vous êtes-vous intéressée à moi pendant ces trois actes ?

ROSINE.

Parce que je n’ai pas oublié que quand j’étais petite fille, vous me louiez gratis des romans de Paul de Kock, et j’ai la mémoire du cœur et des romans.

RENIFLARD.

Ah ! c’est vous, cette petite… Vous avez grandi et embelli… Les romans vous ont profité.

BENITO.

Jeune Français… je vous ai dépouillé.

RENIFLARD.

C’est vrai.

BENITO.

Je vous ai rançonné.

RENIFLARD.

C’est encore vrai.

BENITO.

Mais maintenant que la fortune me sourit, je vous dois un dédommagement, et je vous rends amplement ce que je vous ai emprunté.

RENIFLARD.

Il appelle cela emprunté.

BENITO.

Prenez ce portefeuille, qui renferme des valeurs assez considérables.

RENIFLARD.

Ah ! seigneur, c’est un beau trait !… (À Rosine.) C’est un beau trait !… (Il ouvre le portefeuille.) Ciel ! que vois-je ?… des cortès ! des rentes espagnoles !… Je suis encore volé !… Il est écrit là-haut que cet homme-là me filoutera toujours !… Tenez, seigneur, mettez le comble à votre générosité… reprenez cela, et donnez-moi à la place deux cahiers de papier à cigarettes.

BENITO.

Deux !… Oh ! non… un.

RENIFLARD.

Volontiers… Au moins… ça vaut trois sous…

CHŒUR.

        Air : El Zapateado.
      Ces amans sont heureux,

     Qu’ils partent de ces lieux,
Sans plus tarder, qu’ils retournent en France.
    Cette douce espérance
    Comblera tous nos vœux.
        Soyez heureux
    Et partez de ces lieux.

RENIFLARD, au public.

Moment tardif ! peut-être, heure trois fois bénie,
Le tour est fait, voilà notre farce finie.
C’est à ton tour, Public, de te montrer charmant.
Nous avons débité nos rôles couramment,
Chanté juste, à peu près nos couplets de facture,
Et déployé les dons que nous fit la nature.
Ne vas pas, te livrant à ton esprit railleur,
Malgré ta probité, siffler comme un voleur !
Pourquoi siffler ? ton chien n’a pas perdu ta piste,
Tu n’instruis pas d’oiseaux, tu n’es pas machiniste.
Ce vaudeville en vaut un autre aussi mauvais.
Laisse donc sur nos fronts tomber la toile en paix ;
Que Reniflard, perdu dans ce pays d’Espagne,
Sur sa route ait au moins quelqu’un qui l’accompagne ;
Donne, sans peur de duel, une claque aux acteurs,
Et daigne pardonner les fautes des auteurs.


REPRISE DU CHŒUR.


FIN.