Éditions Prima (Collection gauloise ; no 3p. 62-64).

xii

M. Couillard veut encore une fois être violé sur les
cochons de bois.


Le suite des évènements se déroula comme il avait été prévu. Il y eut seulement en plus les obsèques solennelles faites au comte de La Roche Pelée, et au cours desquelles on admira la douleur profonde de sa jeune veuve (sauf naturellement les gens au courant qui la trouvèrent une merveilleuse comédienne).

Le docteur Rabaud fut élu député et maire sans concurrent, et tout Château-du-Lac se pressa au mariage de sa fille avec le sous-préfet.

Quelque temps après, le nouveau député obtenait du ministre un avancement flatteur pour son gendre, « qui avait conquis à la République la circonscription de tout temps réactionnaire de Château-du-Lac ».

Edgard fut de nouveau appelé au cabinet du ministre, mais cette fois en qualité de chef-adjoint.

Or, un peu moins d’un an s’était écoulé depuis la nuit mémorable si remplie d’événements qui avait bouleversé la vie sociale de Château-du-Lac. Ce jour-là, M. Edgard Dumoulin fumait tranquillement un cigare dans son bureau, lorsque l’huissier entra et lui présenta une carte sur laquelle le haut fonctionnaire lut, non sans surprise :

Isabelle Trident de Puyprofonds

— Par exemple, dit-il… Faites entrer.

Et, comme Edgard s’y attendait, Éléonore entra :

— Éléonore ! fit-il.

— Vous dites cela, comme le soir où je suis venue vous surprendre dans votre sous-préfecture. Mais rassurez-vous, je ne viens pas troubler votre ménage que l’on dit très heureux.

« Non, mon cher, le passé est oublié.

« Je viens seulement demander au chef-adjoint du cabinet de ne pas oublier le service que lui rendit jadis mon mari, M. Agénor Trident.

— Agénor… Votre mari ?

— Parfaitement, non cher… Je lui devais bien cette réparation puisque je lui avais pris sa virginité. Je m’en trouve d’ailleurs fort bien et lui aussi. Et je vous avoue que je n’ai plus besoin de faire des retraites prolongées dans aucun couvent comme au temps de mon vieux premier mari.

« Mais voilà… Je voudrais qu’Agénor fût nommé sous-préfet…

— Pas à Château-du-Lac ?

— Nous n’y tenons pas absolument. Où vous voudrez. Vous remarquerez que mon mari à repris mon nom pour l’ajouter au sien. Trident ce n’était pas mal, Trident de Puyprofonds, c’est mieux…

— Certainement. Eh bien ! mais, chère amie, j’en parlerai au ministre, c’est entendu.

« À propos, vous savez… en ce moment, c’est la fête de Neuilly… Puisque votre mari est à Paris, nous pourrions y aller ce soir tous les quatre, j’emmènerais ma femme…

— Et on monterait sur les cochons de bois…

« Quand on pense aux conséquences du dernier tour de cochons que nous avons fait ensemble…

À ce moment, l’huissier entra, et tendit une carte à Edgard.

— Oh ! dit-il… Ce cher M. Couillard. Qu’il entre… Il sera le bienvenu.

C’était, en effet, M. Joseph Couillard.

Il s’attendait à un accueil plutôt réservé.

Aussi fut-il étonné de voir le chef-adjoint du cabinet lui tendre les deux mains :

— Ce cher président, comment allez-vous ?… Et Mme Couillard ?… Et la petite-nièce ?…

— Très bien, très bien, je vous remercie…

Le pauvre homme était tout éberlué.

Il se décida enfin à parler :

— Voilà, dit-il, je suis seul à Paris. Je voulais d’abord venir vous voir pour m’excuser de l’histoire de l’an passé… Ce n’est pas de ma faute, c’est ma femme qui…

— Mais je l’ai bien compris. Et puis, non seulement, je ne vous en veux pas, mais je vous remercie, parce que sans cette histoire, comme vous dites, je ne me serais pas marié et je n’aurais pas encore obtenu le haut poste que j’occupe…

— Alors, vous ne m’en voulez pas…

— Au contraire, et si je peux vous rendre un service…

— Eh bien ! Voilà, vous me mettez à mon aise. Comme je suis seul à Paris, ma femme étant restée dans la Loire-et-Garonne… je voudrais… je voudrais que vous m’emmeniez de nouveau à la fête de Neuilly… avec les petites femmes… Je voudrais être violé sur les cochons de bois, mais cette fois… pour de bon !…

— Ah ! non. Cela, c’est absolument impossible, je suis marié maintenant… et je ne fréquente plus les petites femmes.

— Mais… madame… il me semblait.

— Il vous semblait mal, monsieur Couillard, madame est une personne très honorable, la comtesse Trident de Puyprofonds, dont le mari est un jeune et sérieux fonctionnaire…

— Oh ! Excusez-moi… excusez-moi… Pourtant j’aurais tant voulu…

— Écoutez, puisque vous y tenez tant, voici l’adresse d’une des dames de l’an dernier : Mme Irène d’Ambleuse. Allez la trouver de ma part… Peut-être consentira-t-elle à vous emmener à la fête de Neuilly.

— Oh ! sûrement, elle, elle ne sera pas mariée. Et je pourrai réaliser mon rêve… être violé sur les cochons de bois !…

Et M. Couillard s’en fut.

Alors Edgard, se tournant vers Isabelle-Éléonore, lui dit :

— Ce qui vous prouve une fois de plus, chère amie, que dans le cœur de tout homme il est un cochon qui sommeille.

— Oui, un cochon de bois… Et dans le cœur de la femme, alors ?…

FIN

Edmond Mandey.