Un songe de nuit d’été/IV
ACTE IV.
Scène I.
OBÉRON, derrière eux, est invisible.
Ô, mon cœur ! Ô, ma joie !
Viens près de moi parmi ces fleurs, pour que je voie
Sous ces roses de mai ta beauté sans pareille,
Que j’embrasse ta joue, et caresse la soie
De tes longues oreilles !
Fleur des Pois !
Me voici !
La tête me démange ; gratte !…
Maintenant, Toile d’Araignée !
Présent !
Et va m’abattre cette abeille aux cuisses rouges
Qui, là-haut, sur ce chardon, bouge
Et brille comme un arc-en-ciel !
Apporte-moi son sac à miel !
Mais ne t’écorche pas et ne cours pas trop fort ;
Et surtout ne va point le crever par mégarde :
Tu serais inondé de sucre, monsignor !…
Où est monsieur Grain de Moutarde ?
Présent !
De faire des cérémonies !…
Que me commandez-vous ?
… Je ne sais plus…
Tiens, gratte-moi la tête ; aide ce cavalier…
Il me faudra bientôt passer chez le barbier ;
Mon visage devient terriblement poilu…
Et vois-tu, sans que je m’en flatte,
Je suis un âne si douillet
Que dès qu’il me démange
Il faut que je me gratte !
Ne veux-tu pas entendre un concert, ô, mon ange ?
Ah, j’adore chanter quand je suis en goguette !
Et je n’ai pas l’oreille d’un profane !
Apportez donc deux baguettes
Et de la peau d’âne !
Veux-tu qu’on t’apprête un festin ?
Eh, je ne dis pas non ! Quelque bon picotin,
Des chardons, du foin ; une botte
De foin ; rien n’est meilleur pour vous mettre en ribote,
Avec de l’avoine bien sèche…
Un sylphe peut, en un clin d’œil,
Chercher au nid d’un écureuil
Quelques noisettes toutes fraîches !…
J’aime mieux les pois secs !… Pourtant,
Que personne ne se dérange !
Il est trop tard pour que je mange ;
Je vais dormir quelques instants…
Je me sens une étrange
Indisposition au sommeil !…
Mes deux bras berceront ton sommeil enfantin…
Sylphes ! Disparaissez soudain !…
Ainsi la glycine sauvage
Et la glycine des jardins
Enlacent leurs bras de feuillage ;
Ainsi le lierre aux branches torses
Met ses anneaux aux doigts d’écorce
De l’orme fier qui le soutient…
Je t’aime follement ! Je suis à toi !… Dors bien…
Salut, mon bon Robin !… Vois, le charmant tableau !…
Je vais prendre en pitié cet amour trop docile !
Ne l’ai-je pas, tantôt, trouvée au bord de l’eau,
Qui cherchait des douceurs pour ce triple imbécile !
Je l’en ai fait rougir, d’où nouvelle dispute !
N’avait-elle pas mis, sur ces tempes hirsutes,
Sa fraîche couronne de fleurs,
Où quelques gouttes de rosée
Roulaient, comme des pleurs
Qui témoignaient de leur douleur
De se voir ainsi méprisées !…
Blâmée, elle voulut par des moyens plus doux
Me faire absoudre sa conduite.
Et j’en obtins enfin le petit page hindou
Qu’elle envoya chercher par quelqu’un de sa suite,
Pour le mener chez moi, dans mon bosquet féerique.
Maintenant que je l’ai, je vais guérir ses yeux
De leur vision chimérique.
Toi, gentil Puck, enlève à ce rustre joyeux
Sa tête de bourrique,
Afin que, réveillé comme ces endormis,
Il s’en retourne en ville auprès de ses amis,
Ne se souvenant plus du roman qu’il achève
Que comme on se souvient des incidents d’un rêve !…
Mais délivrons la reine !…
Comme tu vis toujours,
Et sois ce que tu fus, si tel est le pouvoir
Que la fleur de Diane a sur la fleur d’amour !
Allons, Titania, réveillez-vous ! Je lève
L’arrêt qui vous condamne…
Mon Obéron ! C’est toi ! Dieux, quel étrange rêve !…
Je rêvais que j’étais amoureuse d’un âne !…
Mais voici votre amant par terre !
Oh ! Comme il me paraît odieux !
Toi, Puck, enlève-lui cette tête !
Votre musique !… Il faut qu’un sommeil plus puissant
Qu’un sommeil ordinaire assoupisse leurs sens !
À moi, musiciens !… Qu’un air assoupissant
Charme leurs yeux scellés !…
Toi, dès que la lumière entrera sous tes cils,
Regarde avec tes yeux naturels d’imbécile !…
Chante musique !… Et vous, reine, prenez ma main !
Nous bercerons la couche où rêvent ces dormeurs !…
Nous voilà bons amis comme autrefois !… Demain,
Vers minuit, nous irons danser dans la demeure
Royale de Thésée, et pourrons y bénir
Son illustre postérité !
Là-même, ces deux couples d’amants vont s’unir,
Et chacun prendra part à leur félicité !…
Roi des Elfes, ce chant lointain,
C’est l’alouette du matin !…
Partons !… Dans cette paix austère
Accompagnons la nuit mourante.
Nous pouvons encercler la terre
Plus vite que la lune errante !…
Viens, mon seigneur ; soutiens mon vol !
Et dis-moi comment ton amie
A pu se trouver, sur le sol.
Avec des mortels, endormie ?…
Cherchez le forestier !… Car voici terminée
La célébration des rites coutumiers ;
Et je veux, pour ouvrir cette belle journée,
Que le concert de mes limiers
Soit votre aubade matinale !…
Découplez-les dans la vallée occidentale !
Allez chercher le garde !… Et nous, chère compagne,
Du sommet de cette montagne,
Cependant qu’ils détalent,
Nous entendrons rouler en grondement d’émeute,
Les cent voix de l’écho qui répond à la meute !
Un jour, avec Hercule et Cadmus, j’ai chassé
L’ours dans les bois de Crête !
Ils avaient des limiers de Sparte, bien dressés…
Quel fier vacarme et quelle fête !
Non seulement les bois, mais le ciel et les sources,
Et le pays entier tremblaient sous la tempête
De leurs abois et de leurs courses !
Ma meute en compte aussi, d’une race pareille !
Leur lenteur est pleine de force ;
Leur poil est roux, leur gueule est large ; leurs oreilles
Pendent dans la rosée ; ils ont les jambes torses ;
Le fanon qu’on voit aux taureaux de Thessalie ;
Et, tel un carillon, lorsque leurs voix s’allient
Pour fêter la curée au fond du crépuscule,
Jamais plus mâle accord
Ne répondit au cor
De Cadmus ou d’Hercule !…
Vous pourrez en juger ; nous allons les entendre !…
Mais… que vois-je ?…
Et c’est Démétrius !… La fille de Nédar
Également !… Seigneur, quel étrange hasard
Les réunit, tous quatre, alors que je dormais ?…
Sans doute ils sont venus ici, de compagnie,
Célébrer le rite de mai,
Avant de prendre part à nos cérémonies !…
Mais, à propos, c’est bien aujourd’hui, brave Égée,
Que ta fille s’est engagée
À nous faire connaître
L’époux qu’elle a choisi ?…
C’est aujourd’hui, mon maître…
Bien !… Va dire aux veneurs de sonner, en hérauts,
À pleins poumons !
Fanfare de cors et tapage.
DÉMÉTRIUS, LYSANDRE, HERMIA et HÉLÈNE
se réveillent et se lèvent.
N’est-ce donc qu’à présent, quand avril est fini,
Que les petits oiseaux s’accouplent dans les nids ?…
Pardonnez-nous, seigneur !…
Vous trouve-t-on couchés ici, paisiblement,
Côte à côte, vous, deux rivaux ?
Deux bouillants ennemis ?… Par quel accord nouveau,
Calmant soudain le feu qui courait dans vos veines,
La haine s’endort-elle à côté de la haine ?
Monseigneur, excusez mes propos imprécis…
Je suis comme quelqu’un qui se réveille à peine…
Je ne sais pas, vraiment, comment je suis ici…
Cependant… Oui… Je crois… Oui, oui, je me rappelle,
C’est avec Hermia, seigneur, c’est avec elle
Que, résolu de fuir Athènes, j’ai passé
Par ce bois…
Je demande la loi contre lui ! Je réclame
La loi sévère qui punit l’enlèvement !
Ils voulaient fuir, vois-tu, pour te voler ta femme,
Et me mettre en défaut de mes engagements !…
Seigneur, je connaissais, par Hélène, leur fuite
Et leurs projets ; la colère et la haine
M’ont dicté ma conduite ;
Et je les ai suivis, cependant qu’à ma suite
L’amour poussait Hélène !
Mais, par je ne sais quel étrange sortilège,
Voici que mon amour pour Hermia, soudain
Se fond comme la neige,
Et ne touche pas plus mon cœur désabusé
Qu’un de ces jouets anodins
Qui, tout enfant, m’ont amusé !
Hélène est mon amour ! Tout mon être en témoigne !
Je l’aimais bien avant de connaître Hermia ;
Puis mon cœur la répudia ;
Je l’écartai de moi, comme un malade éloigne
Un aliment qui lui déplaît ;
Mais la santé me rend mon appétit complet.
Et je l’aime, et je la désire, et j’ai faim d’elle,
Et jusqu’à mon trépas je lui serai fidèle !…
L’affaire, beaux amants, s’est fort bien arrangée ;
Nous en reparlerons !… Quant à toi, brave Égée,
N’obstine pas ta volonté,
Obéis-moi, sois souple !
Je veux que, comme nous, au temple ces deux couples
Soient unis pour l’éternité !…
Chère Hippolyte, le temps passe ;
Il est trop tard pour notre chasse
À présent !… Nous allons regagner la cité !…
Trois femmes ! Trois époux !… Que d’heureux mariages !…
Tous ces événements qui tiennent du mirage.
Me semblent furtifs, indistincts,
Comme ces monts lointains
Qu’on prend pour des nuages…
Pour moi, Démétrius me paraît un bijou
Trouvé, que l’on possède et qui n’est pas à vous…
Êtes-vous bien certains que nous ne dormons pas ?
Moi, je crois sommeiller, et qu’un rêve m’enivre…
Tout à l’heure, le duc n’était-il pas ici ?…
Au temple, où nous serions unis avant demain !…
Nous ne dormons donc plus ! Bien ! La main dans la main !
En route !… Et contons-nous nos rêves en chemin !…
Quand viendra ma réplique, appelez-moi !… Le texte
Dit : “Mon Pyrame bien-aimé” …
Ohé ! Coing ! L’Affamé !
Flûte !… Morbleu, sous quel prétexte
Sont-ils filés, sans crier gare,
Quand je dormais ?… J’ai fait un rêve bien bizarre !
Ça n’avait rien, vraiment, d’un songe habituel,
Et je crois que l’esprit le plus spirituel
Ne l’expliquerait pas !… Non, vrai, qui se propose
De l’expliquer ne peut être qu’une bourrique !…
J’étais… Il me semblait que j’avais… quelque chose…
Ou plutôt que j’étais… Non ! Qu’un fou vous explique
La chose que je fus !…
Un œil n’a jamais écouté,
Une oreille n’a jamais vu,
Une main n’a jamais goûté
Un cœur n’a jamais raconté
Un si drôle de rêve !… Il faut que Coing m’en fasse
Un chant, intitulé : « Le rêve de Culasse ».
Je pourrai le chanter devant le duc… Et même,
Avant de succomber,
Pour donner à la pièce un pathétique extrême,
Je pourrai le chanter sur le corps de Thisbé !…
Scène II.
Et s’il ne revient pas ?… Sans lui, qu’est-ce qu’on fait ?
La pièce est injouable !…
Car dans tout le quartier, je ne vois pas une âme
Capable d’enlever le rôle de Pyrame !
Et quel amoureux réussi !…
Dites donc plutôt quel héros !
Etre un amoureux, Dieu merci,
Autant être un zéro !…
Mes maîtres, le duc sort du temple,
Où deux couples amourachés,
Pour suivre son exemple,
Se sont fait marier par-dessus le marché !
Si nous avions joué notre drame, sur place,
Notre fortune à tous était faite !…
Mon pauvre ami Culasse, en nous jouant ce tour,
Tu perds un revenu de douze sous par jour !
Le duc l’aurait payé ! Tu le méritais bien !
Douze sous pour jouer Pyrame ! C’était rien !…
Mes amis, je pourrais vous conter des merveilles !…
Mais je n’en ferai rien ! Vous croiriez que je mens !
Et c’est la vérité pourtant, incontestable !…
Qu’il faut que vous vous habilliez,
Car le duc va sortir de table !
Attachez votre barbe et nouez vos souliers !
Puis, en route ! Au Palais ! Et que chacun contrôle
Une dernière fois son rôle !
La pièce est annoncée et le théâtre est prêt !
En tous cas que Thisbé mette du linge frais !
Que, surtout, le lion ne coupe pas ses ongles.
Ça lui donnera l’air d’un vrai lion des jongles !
Enfin, mes chers acteurs, ne mangez pas d’oignons !
Il faut que le public sente la pièce pleine
D’une suavité pareille à notre haleine !…
C’est compris ?… En avant ! En avant, compagnons !…