Un nouvel appareil de sauvetage

UN NOUVEL APPAREIL DE SAUVETAGE

Il y a peu de temps, un public nombreux était réuni dans les catacombes de Paris, répondant à l’appel d’un jeune officier d’artillerie, M. Denayrouse. On ne circulait pas dans ces vastes souterrains dont les murs sont garnis d’ossements et au milieu desquels on ne peut se hasarder sans prendre, comme Ariane, un fil conducteur. Les spectateurs apercevaient, à travers une glace séparant en deux parties la galerie dans laquelle ils étaient un homme éclairé d’une lampe en compagnie d’un lapin et d’une poule. Tout à coup ces animaux parurent inquiets, ils furent comme saisis de brusques convulsions et ne tardèrent pas à mourir. Nous eûmes bientôt le mot de l’énigme l’homme et les animaux, séparés de nous par une glace polie, étaient placés dans une atmosphère viciée qui avait déterminé la mort rapide des animaux, tandis qui— l’homme ne paraissait incommodé en aucune façon. L’opérateur était en effet protégé par un appareil dont M. Denayrouse voulait prouver au public l’efficacité. Ajoutons encore que la lampe dont l’opérateur était muni ne cessait de projeter une vive clarté, tandis que les lampes ordinaires qu’on allumait ne tardaient pas à s’éteindre.

Dans un grand nombre de circonstances, l’homme est exposé à traverser des milieux dont l’air est impur à ce point qu’il peut déterminer l’asphyxie. Les pompiers, les puisatiers, les cureurs dégoûts sont sujets a ces terribles accidents.

Depuis longtemps déjà les savants ont cherché les moyens de traverser sans dangers une atmosphère délétère. Le principe qui permis de construire tous les appareils établis dans ce but est le même. Il faut tout d’abord éviter la respiration de l’air impur ; si l’espace à parcourir est de peu d’étendue, il suffira donc de se fermer complètement le nez et la bouche. Mais la respiration est, on le sait, à tel point indispensable a la vie, que nous ne pouvons la supprimer pendant plus de quelques secondes ; c’est ainsi que les meilleurs nageurs ne peuvent, séjourner sous l’eau que pendant un temps très-court. Le procédé que nous venons d’indiquer serait donc inapplicable dans le cas où un séjour de quelque durée dans le milieu vicié deviendrait nécessaire et, par exemple, quand il s’agit de travailler au fond d’une mine ou d’un puits rempli de gaz irrespirables, ou lorsque des recherches un peu longues doivent être faites au fond de l’eau. On a songé dès lors à placer dans la bouche de l’opérateur l’une des extrémités d’un tuyau dans l’intérieur duquel on fait circuler de l’air respirable. Comment est disposée la pompe qui introduit dans la bouche de l’opérateur l’air pur ? Comment le système employé permet-il à l’ouvrier de pratiquer successivement les deux actes de la respiration l’inspiration et l’expiration ? Ce sont là des détails fort intéressants sans doute, mais dans lesquels nous ne pouvons point entrer aujourd’hui. Disons tout de suite que l’appareil de M Denayrouse est construit sur ce même principe et que, dans ce système, l’opérateur porte sur son dos une série de petits barils contenant de l’air pur venant du dehors et dont l’écoulement est réglé par l’opérateur lui-même ; le nez du patient est pincé de façon à ne pas permettre par cet orifice l’accès de l’air, tandis qu’un tuyau sortant de ces barils se termine dans sa bouche. Muni de cet appareil, l’ouvrier peut indéfiniment vivre dans un milieu délétère, à condition, bien entendu, que les barils soient remplis d’une manière continue. La lampe de l’opérateur est mise, de la même façon, en communication avec l’air atmosphérique, de telle sorte qu’elle ne cesse pas d’éclairer.

Nous avons dit déjà que ces appareils de sauvetage ; pouvaient rendre d’immenses services lorsqu’il s’agit, par exemple, de porter secours à des personnes asphyxiées dans des puits. dans des égouts. Il nous faut ajouter encore que leur usage devra pour ainsi dire être permanent dans l’intérieur des mines de houille, ou se dégagent souvent des vapeurs délétères.

Combien doit nous paraître triste et rude l’existence de ces ouvriers mineurs qui vont, au risque de mille morts, nous chercher ce combustible précieux, le charbon de terre ! Ces morceaux de houille ou de coke qui animent nos locomotives et nos bateaux à vapeur, qui éclairent les villes et chauffent presque tous les foyers, sont obtenus, non-seulement au prix d’un dur labeur, mais au prix d’un grand nombre d’existences humaines. « Ce n’est pas sans raison. dit fort justement M. Simonin dans son ouvrage la Vie souterraine, que l’art des mines emprunte à l’art de la guerre quelques-unes de ses expressions ; qu’on appelle du nom de campagne une année d’exploitation, du nom de postes les divers ateliers souterrains, du nom de brigade ou d’escouade une compagnie de mineurs. » L’ouvrier mineur est sans cesse exposé aux éboulements de la terre qui le recouvre, aux inondations, à l’asphyxie enfin et surtout aux explosions de grisou.

Ce nom de grisou n’est malheureusement inconnu de personne ; trop souvent de sinistres nouvelles nous apprennent qu’une explosion du grison a occasionné dans une mine de houille de terribles accidents.

Ce gaz détonant des houillères, l’hydrogène proto-carboné, au contact d’une flamme, se combine avec l’oxygène de l’air en produisant une terrible explosion. « Les hommes sont aveuglés, jetés par terre, calcinés, souvent leurs habits prennent feu. Quand on essaye de voler à leur secours, il n’est plus temps : ce ne sont plus que des cadavres à peine reconnaissables. Que les chantiers occupent cent, deux cents mineurs, le fléau ne respecte personne, la mort s’étend sur toute la partie de la mine où régnait le gaz, où l’explosion a lieu. »

La détonation du grisou est, nous venons de le dire, produite par le contact du gaz avec la flamme de la lampe dont les mineurs se servent dans leurs travaux.

Ces terribles accidents doivent-ils donc fatalement se produire, et l’industrie moderne doit-elle abandonner complètement l’emploi de l’un de ses plus puissants auxiliaires, la houille, ou se condamner à laisser périr chaque année un nombre malheureusement grand d’ouvriers ?

Au commencement de ce siècle, un illustre physicien, Davy, observa qu’en plaçant au-dessus d’une flamme une toile métallique à fils très-serrés, il refroidissait assez cette flamme pour qu’elle ne pût traverser le treillis de métal. Immédiatement Davy imagina d’entourer d’une toile métallique les lampes dont se servaient les ouvriers mineurs. « Prisonnière dans sa cage, disait Davy, la flamme ne communiquera pas avec le gaz de la houille, et les explosions n’auront pas lieu. »

Cependant la flamme ainsi protégée n’éclairait que faiblement la galerie et les mineurs imprudents ne se faisaient pas faute de découvrir leur lumière. Depuis Davy, des perfectionnements nombreux furent apportés à la lampe qui porte son nom. Faut-il le dire cependant, l’imprudence des ouvriers a constamment détruit, en partie, l’efficacité de ces appareils protecteurs et aujourd’hui la statistique nous apprend que, par suite des explosions de mines, il meurt, en Europe, trois ouvriers tous les deux jours. Au moment même oh nous écrivons, nous lisons la dépêche suivante « Une explosion a eu lieu dans la houillère de Jatkef, en Staffordshire ; trente à quarante mineurs ont été tués. Le feu, qui avait pris dans la mine, a été difficilement éteint. Les cadavres ne sont pas encore retirés. »

Ce fut en vain qu’on essaya d’établir dans les mines des indicateurs de grisou qui avertissaient les ouvriers de la présence du gaz détonant ; on songea avec plus de fruit à débarrasser la mine du gaz dangereux qu’elle contient. Depuis longtemps d’ailleurs on a l’habitude, dans un grand nombre de mines de houille, de faire détoner volontairement le grisou. Le lundi matin, des ouvriers qui portent, à cause de leurs fonctions et de leur costume, le nom de canonniers ou de pénitents, tendent vers les parties supérieures des galeries, où s’amasse le gaz, des lumières ajustées au bout de longues gaules et font partiellement détoner le grisou.

Malheureusement, nous ne saurions trop le redire il faut compter avec l’insouciance et l’imprudence des mineurs. Ces imprudences, sans cesse renouvelées, sont bien faites pour décourager les savants de présenter des appareils perfectionnés, soit pour l’éclairage de la mine, soit pour l’indication du grisou. Nous pensons donc, malgré l’appareil nouveau dont M. Denayrouse vient de doter l’industrie, que toute l’attention des ingénieurs devra se porter sur les meilleurs systèmes de ventilation dans l’intérieur des mines, parce que, grâce à cet aérage, le gaz hydrogène carboné ne pourra plus s’accumuler dans l’intérieur des galeries et que ce résultat sera obtenu sans rien demander à la prudence des mineurs.

Albert Lévy.
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