A. Lefrançois (p. 228-242).

CHAPITRE X

ÉPILOGUE

I. Exécution des condamnés. ─ II. Après le procès. ─ III. Conclusions.


I

Le jugement avait été rendu le 11 brumaire, l’exécution fixée au lendemain. La nuit du 11 au 12 fut employée aux préparatifs. On savait la population des faubourgs favorable aux condamnés ; on craignait une tentative de délivrance. Les précautions furent prises pour prévenir, et, s’il devenait nécessaire, réprimer le désordre. La ville fut étroitement surveillée, la garnison entière mobilisée ; le Général Girardon en personne commandait les troupes.

Le 12, à dix heures et demie du matin, les condamnés étaient extraits de la prison, alors sise rue Saint-Étienne. Entre deux haies de fantassins, fusils chargés, ils marchaient, tête nue, Gaudin dans les vêtements qu’il portait à l’audience, de Canchy et de Mauduison en pantalons blancs collants, bottes à l’écuyère, habits verts de la dernière mode : c’étaient les costumes, qu’en prévision d’un acquittement cru certain, ils avaient commandés pour leur sortie de prison. Par des rues détournées le cortège, précédé de fifres et de tambours, gagna le Champ de Mars, où l’échafaud avait été dressé. Front haut, les condamnés y montèrent, et leur tête tomba dans le silence impressionnant d’une foule péniblement émue.

Le samedi suivant (16 brumaire), sur la place des Halles, l’échafaud se dressait de nouveau. Cette fois la foule était agitée, bruyante : elle attendait les époux Lacroix. Ils furent liés aux poteaux, sous un écriteau portant le motif de leur condamnation. L’exposition dura quatre heures. Un seul incident la marqua ; une main inconnue lança un bouquet aux pieds de Mme  Lacroix.

Le soir même, le Général Girardon annonçait au Ministre de la Police que justice était faite : « La ville est tranquille, écrivait-il, et malgré les différentes sensations que les débats et les talents des défenseurs avaient fait naître, la décision du Tribunal, qui jouit de l’estime universelle, a imposé silence et a été respectée[1]. »


II

Tranquillité de surface ! Trop de passions, au cours des recherches et de l’instruction comme au cours des débats, avaient été excitées, trop de haines soulevées, trop d’intérêts lésés, trop de réputations atteintes, pour que, chez les uns, le désir de se disculper, chez les autres, la soif des représailles, ne perpétuât pas l’agitation.

Des acquittés du procès l’on n’entendit plus parler. Pour eux silence était prudence.

La famille de Canchy, abîmée dans sa douleur, fut également muette – et digne. Elle paya, sans bruit, les frais de procédure auxquels, suprême ironie, le Tribunal avait condamné (et, solidairement avec eux, leurs héritiers) ceux dont il prenait la tête. Il existe, à ce sujet, au Dossier d’Angers, une pièce singulièrement émouvante en sa simplicité fiscale. La voici :

Chartres, 27 octobre 1807.


« Le Receveur de l’Enregistrement à Chartres certifie que les frais de la procédure criminelle suivie contre Canchy et autres, par jugement du Tribunal spécial de Maine-et-Loire, en date du 11 brumaire an X, et qui ont été liquidés à la somme de 16.281 fr. 75 centimes, ont été acquittés par le tuteur de l’enfant mineur du dit Demoustier Canchy, savoir :

15 messidor an XII 1.500 »
20 messidor an XII 300 »
16 brumaire an XIII 910 29
16 vendémiaire an XIII 12.000 »

Total 14.710 29

et que le tuteur du mineur Demoustier Canchy a obtenu remise des 1.551 fr. 46 restant dus, par décret impérial du 26 fructidor an XIII. »

Mme  de Mauduison se montra moins circonspecte et moins résignée. À peine le drame qui lui prenait son fils avait-il eu son dénouement, qu’elle chargeait le citoyen Foucaud-Cesbron, d’Angers, de réclamer restitution des six mille francs comptés à Viriot lors de son passage à Nogent-le-Rotrou, et de deux mille francs déposés chez Dupray[2] : « Le scélérat, disait-elle de Viriot, plus bourreau de mes enfants que le malheureux qui a été obligé d’exécuter les ordres de la Justice, voudra-t-il y ajouter le rôle de voleur, ou rendra-t-il les 8.000 francs[3]. » Cette lettre, communiquée au Commissaire du Gouvernement, mais dont le citoyen Cesbron refusa de se dessaisir, a disparu, et sa disparition commande, à l’égard de ces paroles, la circonspection. Mais les sentiments dont elles témoignent ne blessent pas la vraisemblance. Ils s’expliquent tout ensemble par l’exaltation de la douleur et par l’indignation d’une âme droite et fière. Seule l’estime force la reconnaissance. Si les faits reprochés à Viriot étaient exacts, quel mépris l’infortunée ne devait-elle pas garder au justicier prêt à trafiquer de la justice ? Quel ressentiment à l’homme qui avait leurré sa tendresse d’un irréalisable espoir ? Quelle rancune au juge dont la vénalité attirait la suspicion sur la foi que, mère, elle avait dit avoir en l’innocence de son fils ? Car, il faut le dire, contre de Canchy et de Mauduison, la plus forte présomption de culpabilité résultait des efforts mêmes de leurs proches pour acheter la conscience de Viriot.

À la suite de son incartade, celui-ci avait été cité devant le Tribunal. Il aggrava son cas par sa jactance et fut rayé des cadres de l’armée. Vainement, durant un demi-siècle, il s’insurgea contre l’arrêt qui l’avait frappé[4] ; vainement, à chaque changement de régime ou de règne, il demanda qu’on lui rendît son grade et son épée. Il mourut en 1860, sans avoir obtenu sa réintégration dans cette même armée qui accueillait ceux dont la coopération à la délivrance du Sénateur avait, en fin de compte, mené de Canchy et de Mauduison à l’échafaud ; dans cette armée qui chargeait de grades et d’honneurs les Carlos Sourdat[5] et les Bourmont.

Ce dernier n’avait pas appris, sans frémir, les insinuations dirigées contre lui par le Commissaire du Gouvernement[6], et la conduite déshonorante du Ministre, qui les avait couvertes de son silence. Sa protestation pour être tardive[7], n’en fut pas moins vive : « Dans quelle vue, s’écriait-il, aurais-je fait enlever le Sénateur ? Est-ce comme ennemi personnel ? Je n’en avais entendu parler de ma vie. Est-ce comme ennemi de parti ? Je le crois un des moins dangereux qui existent, et la façon dont j’ai traité ceux que les chances de la guerre avaient mis en mon pouvoir prouve que je suis, par caractère et par principe, très ennemi de violences semblables. Serait-ce enfin pour avoir de l’argent ? pour tourmenter un acquéreur de biens nationaux ? Les acquéreurs de mes propres biens ont été sans cesse à ma disposition ; je pouvais les rançonner, je pouvais même les tuer impunément. Je n’en ai rien fait... »

La fierté de Bourmont s’en prenait à un homme, dont le crédit, encore qu’atteint par une disgrâce passagère, n’en était pas moins tout-puissant[8]. La bravoure des royalistes tourangeaux s’en prit à une femme, la vieille et faible Mme  Bruley. Ils ne lui pardonnaient pas d’avoir trop vivement chargé leurs amis. Poursuivie de leur haine et de leurs colères, elle dut quitter Tours, dont le séjour lui était devenu difficile. « La santé de ma tante va toujours cahin-caha, écrivait, le 6 janvier 1802, le noble et courageux Bruley[9]. Je ne pense pas qu’elle doive espérer beaucoup mieux que cela. En s’observant comme elle fait, elle peut éviter les grandes infirmités et pousser loin sa carrière. C’est ce que nous lui souhaitons tous, et nos vœux pour son bien-être sont bien vifs. Elle fait faute à notre société, mais ses amis ne peuvent improuver son patriotisme. Tu ne peux te faire une idée de l’excès de haine que les royalistes lui portent, et tu connais sa conduite. »

Plus heureuse, jusqu’en son malheur, fut Mme  Lacroix. Frappée par le même verdict qui avait frappé Gaudin, de Canchy et de Mauduison, elle bénéficia des mêmes indulgences, ces indulgences dont le préjugé politique couvre volontiers certains crimes de droit commun. On oublia, – ou l’on feignit d’ignorer – que, par ses révélations, elle avait amené leur arrestation, et la sympathie pour la victime fraya la voie à la compassion pour la femme. Fouché lui avait accordé la faveur de ne pas être séparée de son mari et de subir leur peine dans la prison de Loches. La naissance de deux enfants, venus au monde pendant leur détention, adoucit pour eux les tristesses de la captivité. À sa sortie de prison, ruinée par les frais du procès, elle trouva, dans la générosité de quelques royalistes, de quoi faire face aux premières nécessités et se préparer un avenir meilleur. Seule une crainte troublait sa quiétude. Exposée à rencontrer des amis de Clément de Ris et le Sénateur lui-même, quelle serait sa contenance ? Si on la questionnait sur le passé, que devait-elle dire, et, surtout, que devait-elle taire ? Il était prudent d’avoir les conseils du Ministre de la Police. Elle demanda une audience, n’obtint pas réponse, et revint à la charge, comme le montre une lettre adressée à Fouché le 29 janvier 1808 :

  « Monseigneur,

» Je me trouve obligée de renouveler à votre Excellence la demande d’un instant d’audience, et de la renouveler avec la plus vive instance. Forcée de voir des amis de M. Clément de Ris, je n’ose souvent répondre à toutes les questions qui me sont faites sur cette malheureuse affaire. Ne pouvant éviter de me trouver bientôt avec M. Clément de Ris lui-même, je désirerais vous entretenir avant cette entrevue, que je ne puis ni refuser ni accepter avant de savoir vos intentions. Je prie votre Excellence de me les faire savoir et de me tirer de l’inquiétude où je suis sur la conduite que je dois tenir avec les différentes personnes avec lesquelles je suis obligée de me trouver[10]. »

Mme  Lacroix n’avait pas à redouter les questions de Clément de Ris. Devenu Préteur du Sénat, Membre de la Légion d’honneur, admis dans l’intimité de tous les hauts dignitaires de l’État ; un des familiers de l’entourage de Mme  Mère et de l’Impératrice Joséphine, plus que jamais il s’enfermait dans le silence sur son aventure. Il n’y faisait pas, il ne voulait pas qu’on y fît allusion. Quelque indiscret se hasardait-il à le questionner : « Ne parlons pas de cela ! » disait-il. Ses proches, ses parents, ses enfants même ne surent à ce sujet rien de plus que les étrangers.

Il a été beaucoup épilogué sur ce silence, comme il avait été beaucoup discuté sur son abstention aux débats. On les a jugés avec une égale sévérité, parce qu’on s’est moins inquiété d’en pénétrer les véritables causes, qu’à faire, à cette occasion, le procès de Fouché, et, par surcroît, celui de Clément de Ris. On a dit qu’il se taisait par ordre ! On a dit qu’il se taisait par peur, – la peur d’attirer sur lui le ressentiment du Ministre et de compromettre sa fortune politique ! Rien, dans ses lettres au Préfet de Loir-et-Cher[11] ou au Président du Tribunal de Maine-et-Loire[12] n’est d’un homme qui a peur. Le Ministre voulait le châtiment, Clément de Ris l’oubli ; le Ministre prescrivait une sévérité impitoyable ; Clément de Ris prônait, sollicitait la clémence[13]. Il est d’ailleurs à noter que les plus ardents à l’accuser de peur sont les mêmes qui affirment avec le moins de réserves sa complicité dans le complot de Marengo. Comment un homme si pusillanime n’eût-il pas été arrêté de hasarder sa tête, même en qualité de comparse, dans une conspiration où elle courait gros risque, à plus forte raison d’y jouer un premier rôle, et, plus encore, d’y accepter le recel des preuves matérielles du complot ?

La vérité est que son silence lui avait coûté. Il s’y était résigné plutôt que complaisamment prêté[14]. Les excuses alléguées par lui pour ne pas comparaître sont moins des raisons que des prétextes, destinés à couvrir les vrais motifs de son abstention. S’il se déroba, ce fut surtout, semble-t-il, par une nécessité d’ordre moral, par désir de rester fidèle, pour sa part, à une promesse d’oubli, condition de sa mise en liberté. Pouvait-il déclarer qu’il ne reconnaissait ni Gaudin, ni de Canchy, ni de Mauduison, sans manquer au serment prêté devant le Tribunal de dire toute la vérité ? Pouvait-il les reconnaître, sans manquer à l’engagement pris envers eux de ne rien révéler, et sans amener du même coup, par cette révélation qui n’eût pas sauvé les prévenus arrêtés, l’arrestation de ceux qui ne l’étaient pas ? Angoissante alternative, qui ferma sa bouche. Son abstention même, par l’argument qu’elle fournissait à la défense, était un moyen, l’unique moyen d’épargner aux inculpés une condamnation, ou d’en atténuer la rigueur. Et si, dans la suite, il se tut encore, c’est qu’à ces causes, dont les conséquences subsistaient en ce qui concernait les coupables soustraits à la Justice, s’en ajouta une autre. Il avait su, et beaucoup savaient, le secret de la comédie jouée par Fouché lors de sa délivrance. On avait abusé de sa crédulité. Or les gens dupés n’aiment pas à s’entendre rappeler qu’ils ont été dupes. À la qualité de dupe s’attache toujours quelque ridicule, et plus on est haut placé, moins facilement on se résigne à avoir contre soi les rieurs.

Sans doute il eût été de bonne politique de prendre les devants, de sourire le premier de sa mésaventure. Peut-être Clément de Ris l’eût-il fait si son silence n’avait eu d’autres raisons que la vanité et l’égoïsme. Ces raisons, nous les avons indiquées telles qu’elles nous apparaissent. Il se tut d’abord par nécessité, par scrupule, par loyauté ; il continua à se taire par amour-propre, et aussi par sensibilité ; la pensée qu’à cause de lui des têtes étaient tombées sur l’échafaud était demeurée odieuse à son souvenir[15]. Il ne se tut pas par ordre, il ne se tut pas par peur, encore moins par remords : sa conscience ne pouvait lui reprocher la condamnation d’hommes que son intervention n’eût pas sauvés, qu’il savait coupables, et qui l’étaient en effet.


III

Nous n’ignorons pas que l’esprit de parti, mettant à profit les déclarations de Viriot et le cri de Canchy : « Je suis assassiné et non jugé ! » a protesté dès l’origine, et n’a pas cessé de s’élever plus tard contre la légalité et l’équité de l’arrêt d’Angers. Le caractère exceptionnel du Tribunal ; les alibis invoqués par les inculpés ; le défaut de preuves matérielles permettant d’affirmer l’identité des prévenus avec les ravisseurs ; le refus du Sénateur de se prêter à une confrontation ; l’absence au banc des accusés d’au moins trois des coupables, puisqu’ils étaient six et qu’on avait reconnu l’innocence de Lemesnager, de Leclerc et d’Aubereau ; la communication aux Juges de pièces dont les défenseurs n’auraient pas eu connaissance ; la recommandation du Ministre de ne pas relâcher, en cas d’acquittement, certains des inculpés ; tout, disait-on, prouvait que le Tribunal avait ordre de condamner ; le Jugement était illégal ; les condamnés étaient innocents. C’était pousser la logique des conclusions au delà des bornes de la logique même. Les vices de forme ou l’illégalité d’un jugement prouvent qu’en droit le jugement est matière à révision, et ne prouvent rien quant au fond. Mais l’esprit de parti n’admet de logique que celle de la passion, et, pour la passion, toute conclusion est légitime qui justifie son désir.

On a été plus loin. De cette innocence présumée des inculpés en cause, on a conclu que le délit était imputable soit aux agents de Fouché (c’est la version de Viriot ; elle se rattache à l’hypothèse du complot de Marengo, dont nous avons dit ce que nous en pensions) ; soit à de vulgaires brigands, sans attache avec les chouans. C’est parler contre l’évidence même. Indépendamment des déclarations de Bourmont et de Carlos Sourdat, on a, sur ce point, l’aveu de Chauveau-Lagarde : « Le délit, disait-il en son plaidoyer pour de Canchy, est un délit de circonstance, né de l’esprit de parti, et qui n’aurait jamais eu lieu sans la Révolution. » Qu’à un délit, ou plutôt à une série ininterrompue de délits de circonstance, commis par un parti qui se prétendait au-dessus ou en dehors des lois, ait répondu l’institution d’une justice de circonstance, on peut le regretter, on ne saurait s’en étonner. C’est le malheur des temps de Révolution, la conséquence de la fatalité de la cause et de l’effet.

Quant au manque de preuves matérielles, s’il fallait proclamer caducs tous les jugements où elles firent défaut, quelle serait la proportion entre le chiffre total des arrêts rendus et le nombre des arrêts réputés valables. Hors le cas de flagrant délit, est-il d’autre preuve matérielle que l’aveu des inculpés ? Encore en a-t-on vu s’avouer coupables de crimes ou de délits non commis par eux. Une des raisons d’être des tribunaux n’est-elle pas précisément la nécessité sociale de faire discerner par un pouvoir indépendant et impartial, en l’absence de toute preuve matérielle, si, d’après le faisceau des témoignages recueillis, et confrontés les uns avec les autres, les prévenus sont innocents ou coupables des faits motivant la poursuite ?

Cela dit, nous accorderons qu’à s’en tenir aux révélations de l’audience, les juges d’Angers se déterminèrent surtout d’après des présomptions. L’historien possède aujourd’hui, pour asseoir son jugement, des renseignements qu’ils ne possédaient pas, ou qui, s’ils en eurent connaissance, devaient être communiqués aux intéressés et discutés contradictoirement. Le droit des inculpés à obtenir toutes garanties contre l’arbitraire était d’autant plus impérieux qu’il s’agissait pour eux de vie ou de mort, et que l’arrêt était sans appel. On n’avait pas, en l’époque, le même respect de la vie humaine que nous avons ; on ne comprenait pas ce que nous comprenons. Déplorons-le, et félicitons-nous que les choses aient changé, comme les temps eux-mêmes ont changé. Mais, quelques sévères appréciations que notre intelligence, plus ouverte à ces graves questions, nous invite à porter, au nom de la morale et du droit, sur le jugement rendu par les juges de 1801, ne poussons pas l’amour paradoxal de la rédemption jusqu’à déclarer innocents ceux dont un impartial et consciencieux examen de faits actuellement connus, actuellement prouvés, atteste la participation à l’enlèvement et à la séquestration de la victime.

Sans revenir sur les déclarations des époux Lacroix, sur les dénonciations de Gondé, sur l’accord des témoins les plus qualifiés à reconnaître les inculpés, sur maints faits accessoires examinés au cours de cette étude, peut-on nier qu’à ces preuves s’ajoutent, contre Gaudin, de Canchy et de Mauduison, et les efforts tentés pour acheter la conscience des juges, et le silence gardé, sous la Restauration, par les familles des condamnés sur une affaire dont il appartenait à eux et à leurs amis de demander la révision. Les royalistes avaient le pouvoir ; les réclamations, même les moins justifiées, trouvaient faveur ; l’heure, l’opinion étaient aux représailles ; quelle occasion de poursuivre la réhabilitation de ceux qu’ils disaient injustement poursuivis, injustement condamnés ! Et ils se sont tus ? Il y a plus. L’aveu de culpabilité résulte de l’affirmation d’un de ceux dont ils ont invoqué le plus complaisamment le témoignage quand il semblait favorable aux prévenus, M. A. de Beauchamp : « Je ne crois pas, lit-on dans ses Mémoires inédits, que Charles ait eu l’intention de nuire par préférence à Mme  Lacroix, avec qui il était bien, ni à MM. de Mauduison et de Canchy, qu’il avait été chercher exprès, et qui ne pensaient pas à lui. »

Nous n’ajouterons rien à ces paroles. Nous croyons avoir assez établi la part à faire à la légende dans ce qui a été dit ou écrit sur cette mystérieuse affaire. Légende la participation de Clément de Ris à un prétendu complot de Marengo ; légende le roman attribuant à Fouché, par désir de recouvrer des papiers compromettants, l’attentat contre le Sénateur ; légende l’ordre intimé à ce dernier de se refuser à toute confrontation et de ne pas paraître aux débats ; légende son insensibilité et son indifférence au sort des inculpés ; légende enfin l’innocence de ceux qui furent exécutés.

Pour nous, la vérité est telle : des chouans, lie du parti, « hommes perdus de dettes et de crimes » conçurent, en vue de se procurer de l’argent, soit par vol, soit par rançon, l’idée de l’enlèvement et le préparèrent. Il leur fallait des auxiliaires. La haute situation de la victime et sa qualité d’acquéreur de biens nationaux prêtant à donner à l’entreprise les apparences de représailles politiques, ils gagnèrent à leur dessein des jeunes gens de familles honorablement connues : leur fougue les servirait dans l’exécution, l’aisance de leur situation les garantirait contre un partage du profit, l’éloignement de leur résidence écarterait le soupçon. Servis d’abord, trompés ensuite par l’événement, ils songèrent à sauver leur tête au détriment des malheureux qu’ils avaient entraînés, et à la honte du crime ajoutèrent celle de les dénoncer. Arrêtés, jugés, condamnés, exécutés, ceux-ci payèrent pour tous. Plaignons leur sort ; accordons pitié à leur jeunesse, respect à la douleur de leurs familles. Mais ne réclamons pas pour eux contre l’évidence, et aux dépens de Clément de Ris, leur victime, dont l’honneur valait autant, et, en l’espèce, plus que celui de Gaudin, de de Canchy et de de Mauduison, ses bourreaux, une réhabilitation que leurs proches, maîtres de le faire, n’ont pas demandée, parce qu’ils savaient ne pas devoir l’obtenir.



  1. « J’applaudis aux mesures que vous avez prises pour maintenir la tranquillité, répondit Fouché par retour de courrier. J’écris au Substitut du Commissaire du Gouvernement, qui vous a secondé, ainsi que vous me l’annoncez, avec beaucoup de zèle, pour lui témoigner ma satisfaction. » Archives administratives de la Guerre. Correspondance générale.
  2. Voir la note des pages 221-222.
  3. Rapport du Ministre de la Guerre aux Consuls.
  4. Voir l’étude déjà citée de M. Lenôtre.
  5. Voir page 86, note 1.
  6. Voir page 217.
  7. En août 1803. Voir page 121.
  8. Fouché.
  9. Correspondance privée de Clément de Ris.
  10. Archives nationales, F7 6265.
  11. Voir page 146.
  12. Voir pages 195 et 207.
  13. Lettres à l’avocat Blain (page 136) et au Président du Tribunal d’Angers (pages 195 et 207).
  14. Voir pages 179-180.
  15. Rappelons ce qu’il disait dans sa lettre au Président du Tribunal spécial de Maine-et-Loire : « La condamnation me fera éprouver un sentiment profondément pénible, qui me suivra toujours ! »