Un million d’énigmes, charades et logogriphes/Charades et Logogriphes

UN MILLION D’ÉNIGMES,
CHARADES ET LOGOGRIPHES.
Séparateur


1. Énigme.

Je ressemble au torrent qui, par son cours rapide
Se dérobe à soi-même et s’enfuit loin de soi,
Je suis de l’Univers le Tyran et le Roi,
Et de tous les humains le père et l’homicide.

Les forces de Milon et les forces d’Alcide
Ont tenté vainement de s’opposer à moi ;
Les superbes Césars ont fléchi sous ma loi,
Et je n’entreprends rien que le Ciel ne me guide.

Tout cède à mon pouvoir, par force ou par amour,
La Lune et le Soleil font la nuit et le jour.

Afin d’entretenir ma puissance suprême.
Aussi vieux que le monde, et ministre du sort,
Je conduis ici-bas et la vie et la mort ;
Et, comme le Phénix, je renais de moi-même.


2. Énigme.

On doute si je viens des Cieux ou des Enfers,
Tant j’apporte aux humains de plaisir et de peines,
J’inspire l’espérance et les craintes soudaines,
Et rends l’esclave libre au milieu de ses fers.

Aux plus nécessiteux mes présents sont offerts ;
Mais on ne voit jamais que leurs mains en soient
pleines,
Je n’ai de leurs vrais biens que des images vaines,
Je flatte seulement les maux qu’ils ont soufferts.

Je suis comme l’Amour sujet à l’inconstance.
J’aime comme ce Dieu la nuit et le silence,
Et ne chéris pas moins les antres et les bois.

Je suis un Enchanteur qui sans force et sans armes
Triomphe également des peuples et des rois.
Et rien n’est si facile à rompre que mes charmes.


3. Logogriphe.

Méprisée à la ville et chérie au village,
Je n’inspire que le plaisir.
De l’amant discret ou volage
Je favorise le désir ;
Grâce à moi la jeune bergère,
Sous les yeux mêmes de sa mère,
Ose voir son amant et lui donner la main,
Et c’est moi qui la guide au temple de l’hymen.
Si tu ne m’as pas devinée.
Cherche dans mes neuf pieds, lecteur, tu trouveras
L’épouse du pieux Énée ;
Ce qui cause tant d’embarras
Aux rimeurs, aux gens sans oreille ;
Un sel avec art préparé.
Mais avec raison préféré
Au fruit du labeur de l’abeille ;
Un titre en tout lieu vénéré ;
Un instrument qui n’est bon qu’à la chasse.
Si l’art n’en adoucit les sons ;
La déité qui préside aux moissons ;
Une habitante du Parnasse.
En moi que ne trouve-t-on pas ?
On y voit cette fleur chérie
Si belle, mais sitôt flétrie,

Dont Iris orne ses appas ;
Une cité jadis souveraine du monde ;
Un arbre utile, un habitant de l’onde ;
Une ville de France, un fleuve poissonneux.
Enfin je puis offrir encore
Pour les friands un mets délicieux,
Que le gastronome dévore.


4. Énigme.

Plus belle que l’amour,
Je n’avais pas un jour.
Que j’épousai mon père,
Qui m’avait fait sans mère.
Au bout d’un an,
J’eus un enfant.
Admirez ma destinée.
Je mourus sans être née.


5. Logogriphe.

Compagne du bonheur.
Je redoute et je fuis la guerre ;
Lorsqu’elle désole la terre,
Je l’abandonne à mon horrible sœur

Mais quand Minerve a remplacé Bellone,
Quand elle a relevé les talents et les arts,
Sur les pas de Plutus, de Cérès, de Pomone,
Je reparais portant leurs étendards.
Cherchez en moi le sort qu’une princesse.
Dans Naxos, jadis, éprouva ;
Un instrument d’alarme, de détresse.
Qui retentit du Nil au bord de la Néva,
Vomissant la mort, le carnage ;
De légistes choisis l’intéressant ouvrage
À notre attente enfin livré ;
Un adjectif consacré
Au cœur qui m’offre avec délicatesse ;
Ce qu’au contraire avec rudesse,
Allonge sur l’échine un brutal irrité ;
Et ce qui sert à l’endroit maltraité ;
Un appel qui jadis faisait courir aux armes ;
Ou, dans un autre sens, d’un tendron plein de
charmes,
Ce qui nous fait savoir le très-prochain lien ;
Un dur monosyllabe équivalent à rien ;
De Silène enivre la monture chérie ;
Un terme de géométrie ;
Une sorte de siège ; un certain volatil,
Ami des eaux et peu subtil :
Le lieu natal de jeune fille,
Sage et gentille,

Où l’eau, par un ordre divin.
Se trouva changée en vin.
Enfin… mais, lenteur, tu te lasses,
De me voir avec toi ruser ;
Je m’arrête, rends-moi grâces,
Je n’ai voulu que t’amuser.


6. Charade.

On voyait autrefois mon superbe premier
Rouler avec fracas au milieu du carnage ;
Qui n’a ni feu, ni lieu, couche dans mon dernier,
Cérès a de mon tout fait connaître l’usage.
Du temps que Rome était la Rome des Césars,
On a vu des héros pleins de philosophie,
Et qui par leur valeur le disputaient à Mars,
Après avoir donné la paix à leur patrie,
Pratiquer de mon tout les rustiques travaux ;
À nos derniers neveux passera leur mémoire.
Qu’il est beau, sur leurs pas, de voler à la gloire,
D’unir le nom de sage au titre de héros !


7. Énigme.

Des grands desseins aux grands effets
Je conduis les cœurs magnanimes :

Souvent je protège le crime,
Et prête l’éclat aux bienfaits.

Les femmes sans beaucoup de peine
Ne peuvent me garder la foi,
Et telle ne tient que de moi
L’honneur dont elle fait la vaine.

Je suis difficile à trouver.
Et plus encore à conserver,
Mon sort me défend de paraître.

Les curieux me font la cour,
Cependant je cesse d’être
Du moment que je vois le jour.


8. Énigme.

Sans consumer les cœurs nous les pouvons brûler,
Nous sommes les flambeaux et les miroirs des âmes.
Dont les vifs sentiments s’expriment par nos flammes
Et dans notre silence on nous entend parler.


9. Logogriphe.

En coupant une tête on donne le trépas ;
C’est la méthode au moins communément suivie

En amputant la mienne on me donne la vie
Qu’auparavant je n’avais pas.
Je suis alors un oiseau de passage
Très-distingué par son plumage.
On me remarque aussi, dans un repas,
Par mon volume et mes goûts délicats.
En me rendant ma tête, on m’y donne une place ;
C’est l’argent, le vermeil, le Sèvre ou le Japon
Dont on a soin d’embellir ma prison
Qui n’occupe, il est vrai, qu’un très-petit espace.
J’ai fait naître un adage, en arrivant trop tard,
Lequel vulgairement s’applique à tout retard.
Enfin d’un fat à la démarche fière.
L’on dit qu’il croit primer, chez le Saint-Père,
Dans une dignité qui tient son nom de moi.
Tu n’es pas envieux, Lecteur, d’un tel emploi.


10. Énigme.

Mère des ris et des disputes,
Rien ne peut résister à mon vaste pouvoir,
Quelquefois je fais naître aux malheureux l’espoir.
De se relever de leurs chutes.
J’inspire aux plus grossiers souvent de l’éloquence.
Sans user de contrainte avec le plus discret.
Je lui sais arracher doucement son secret,
Et donne au plus timide une pleine assurance.

Le petit et le grand,
L’ignorant, le savant.
Vivement épris de mes charmes,
Viennent tous me rendre les armes
Mais ce n’est que dans ma grossesse
Que l’on fait de moi tant de cas ;
Car dès que mon fruit est à bas,
Tel qui m’avait aimé me méprise et me laisse.


11. Logogriphe.

Je suis pour l’ordinaire
De nature légère ;
C’est moi qui, le matin, fidèle messager,
À l’amant plein d’impatience,
Viens rendre l’espérance
D’entendre l’heure du berger :
Dans cet instant, on me presse, on me choie,
Puis on me baise… Enfin, c’est une joie !…
Oui, mais le lendemain, s’il règne un peu d’humeur,
Adieu caresse, adieu bonheur !
Dans l’accueil qu’on me fait, quelle métamorphose !
On me brûle ; de moi l’on fait bien autre chose.
Mais, comme courrier des Amours.
Je ne sers pas toujours.
D’un débiteur l’âme craintive,
Redoute aussi le moment où j’arrive.

Dans mes six pieds, on rencontre aisément.
Un lieu que la mer environne ;
Des jeux de notre enfance un petit instrument ;
Ce que chez les Anglais le parlement ordonne ;
Dans le Danemark deux détroits,
Ce que dans un tonneau toute liqueur dépose ;
L’endroit où l’on repose ;
Bref, en ce moment où je cause,
Je suis peut-être entre tes doigts.


11. bis. Énigme.

Je suis partout et ne suis nulle part,
Nature est fille de mon art ;
J’agis sans mouvement et je suis sans durée,
Sans oreilles j’entends et sans yeux j’aperçois ;
On ne saurait trouver de moi
Qu’une image défigurée.
Je suis énigme enfin pour le plus grand esprit,
Quoique partout le mot en soit écrit.


12. Charade.

Hôtes charmants de mon premier.
Tendres oiseaux, amants de la nature,

De ma plaintive voix écoutez le dernier,
Qui peint le tourment que j’endure.
Fontaine, ô toi dont j’aime le murmure,
Dont la Fraîcheur embellit ce rosier !
Ouvre-moi ton doux sein, coule, et sois mon entier,
J’étancherai ma soif dans ton onde si pure.


13. Énigme.

D’un frère et d’une sœur je raconte l’histoire,
Telle que la nature et le temps le font voir,
L’un ne saurait souffrir de l’autre le pouvoir,
Tant ils sont orgueilleux et jaloux de la gloire.

Encor que l’un soit blond, et que l’autre soit
noire.
Le monde également s’offre à les recevoir ;
Ils lui rendent tous deux un éternel devoir,
Et chacun à son tour emporte la victoire.

Leur naissance est illustre, ils sont enfants des
Cieux,
L’une comme un Argus est toute pleine d’yeux
L’autre plus clairvoyant n’a qu’un œil qui l’éclaire

Des célestes Jumeaux ils imitent le sort.
Ils se suivent partout malgré le sort contraire,
Et nous les avons vus renaître après leur mort.


14. Énigme.

Mon corps est sans couleur comme celui des eaux,
Je change à tout moment sans perdre ma figure ;
Je fais plus d’un seul trait que toute la Peinture,
Et puis mieux qu’un Apelle animer mes tableaux.

Je donne des conseils aux esprits les plus beaux,
Et ne leur montre rien que la vérité pure ;
J’enseigne sans parler pendant que le jour dure.
Et la nuit on me vient consulter aux flambeaux.

Parmi les curieux j’établis mon empire,
Je représente aux rois ce qu’on n’ose leur dire,
Et je ne puis flatter ni mentir à la Cour.

Comme un autre Pâris je juge les Déesses,
Qui m’offrent leurs beautés, leurs grâces, leurs
richesses ;
Et je leur entretiens les charmes de l’amour.


15. Logogriphe.

Dans mes six pieds, lecteur, on voit plus d’un
pédant
Endormir tout un auditoire.
On trouve en les décomposant,
Un lieu fameux par la victoire ;
Un honneur qu’au héros français
Valurent ses nombreux succès ;
Un élément ; ce que pour la charrue
Quittèrent les premiers Romains ;
Un mets ; ce que sur leur peau nue
Appliquèrent moines et saints :
Ce qui sépare un héritage ;
D’un habile insecte l’ouvrage ;
Une mesure, et de plus un vieux mot
Qu’offre l’ingénieux Marot ;
Ce qui plaît aux yeux dans Céphise ;
Ce que m’est un fidèle ami ;
Une conjonction que l’on met à sa guise ;
Où l’aigle rencontre un abri ;
Une note, et l’endroit où le pieux Noé
Par Dieu fut sauvé du naufrage.
Mais c’est assez, lecteur, et déjà, je le gage,
Tu me tiens, et tu ris de m’avoir deviné.


16. Énigme.

Un bon vieux père a douze enfants.
Ces douze en ont plus de trois cents :
Ces trois cents en ont plus de mille.
Ceux-ci sont blancs, ceux-là sont noirs :
Et par de mutuels devoirs
Un repos éternel dure en cette famille.


17. Logogriphe.

Comme une sage ménagère.
Pendant les beaux jours du printemps.
De mon superflu je sais faire
Une réserve pour le temps
Où les frimas couvrent la terre.
Si tu veux me décomposer,
Soudain je change de nature,
Et d’abord je vais t’exposer
Ce qui peut servir de clôture ;
Ce petit mot qu’un tendre amant
Brûle d’arracher à sa belle,
Et que ses prières, souvent,
N’obtiennent pas de la cruelle ;
Ce qu’était cet homme odieux,

Qui voulant vivre dans l’histoire,
À brûler un temple fameux
Fit consister toute sa gloire ;
Un Dieu des Chinois respecté ;
Puis, une note de musique ;
Enfin, un lieu sombre et voûté
Qu’à plus d’un usage on applique.


18. Charade.

Quand preux et courtois chevalier
Voulait jadis faire à sa belle
Bien pompeusement mon premier,
Et prouver qu’il était fidèle,
Dans les tournois il allait déployer
De mon dernier les forces et l’adresse,
Pour obtenir le prix de mon entier,
Qu’il présentait ensuite à sa maîtresse.
Lecteur, si tu ne peux m’entendre,
À toi le tort, ne m’en impute rien :
Je vais, par un autre moyen.
Tâcher de me faire comprendre.
Sur trois de mes sept pieds, la tête se repose ;
Que je te plains, et quel malheur.
Si mes derniers sont dans ton cœur !
Coupes-en trois de file, en gardant, et pour cause,

Le premier, tu verras d’abord
L’endroit où la tendre Verdière
Pleure l’injustice du sort.
Qui l’a faite, hélas ! prisonnière.
Ôte-moi le premier, mets le troisième à bas,
Des voyageurs, surtout sur l’onde,
Je suis l’effroi : lecteur, tu n’as plus d’embarras,
Depuis longtemps je te seconde ;
Tout cela n’y fait rien ? J’en suis surpris, ma foi.
Recommence donc, et prends-moi.


19. Énigme.

Pour se garantir des filous,
On me met souvent en usage ;
L’avare ainsi que le jaloux,
De son bonheur me croit le gage.

Si je fais quelque fâcheux tour,
Je suis aussi fort nécessaire,
Soit dans les mystères d’amour,
Soit dans la plus secrète affaire.

Je trouve partout de l’emploi,
À me connaître l’on s’applique :
Et jamais personne sans moi
Ne pourrait savoir la musique.


20. Énigme.

Des filles du Soleil je distingue le nombre.
Par moi leur temps est limité,
Et leur immortelle clarté
Se représente par une ombre.


21. Logogriphe.

Je suis ta compagne fidèle,
lecteur, et pour prix de mon zèle.
Un dur lien m’attache à toi,
Et cependant, ingrat, sans moi
Tu manquerais plus d’une affaire ;
Souvent, un tendre rendez-vous,
Au lieu des plaisirs tes plus doux,
Ne t’offrirait qu’une chimère !
En moi tu peux facilement
Trouver un fougueux élément
Ce qui seconde la mémoire ;
La cause de bien des combats ;
Ce que le sage ne craint pas ;
L’antique cité dont la gloire
Jadis a rempli l’Univers ;
Ce qui s’élève dans les airs,

En bravant les enfants d’Éole ;
Enfin j’offre encore à tes yeux
Un métal rare et précieux.
Que roulent les flots du Pactole.


22. Énigme.

Je suis un abrégé des merveilles du monde,
Ou bien je suis plutôt moi-même un monde entier ;
En moi chacun pratique un différent métier,
On y rit, on y pleure, on y chante, on y gronde.

De meurtres je regorge, et de crimes j’abonde.
J’ai l’art de divertir qui craint de s’ennuyer ;
Celui qui me connaît se plaît à publier,
Que ma rare beauté n’eut jamais de seconde..

Une nymphe qui court sans jamais se lasser,
M’apportant l’abondance, aime à me traverser ;
Que de charmes en moi sans cesse l’on découvre !

Paradis de plaisir, et Temple de l’Amour,
Bien que je sois fort vieux je crois de jour en jour.
Et j’ai, sans être roi, mon Palais et mon Louvre.


23. Logogriphe.

Je suis, avec ma tête, un être fort aimable,
L’ouvrage le plus beau de la Divinité ;
Sans tête, ami, par moi tu deviens raisonnable,
Et je ne finirai qu’avec l’éternité.


24. Charade.

Dans ses jours de splendeur, quand la superbe
Rome,
Que souvent parmi nous l’on cite et l’on renomme,
Voulait de ses consuls honorer à la fois
les vertus, la valeur et les rares exploits,
À la postérité transmettre leur mémoire,
Enfin de leurs hauts faits éterniser la gloire,
Elle offrait à chacun la palme du vainqueur.
Debout sur mon premier, le fier triomphateur
Portait avec orgueil ce prix de son courage,
De la reconnaissance éclatant témoignage.
Celui dont la fortune a comblé tous les vœux,
Qui tient de la nature un cœur bon, généreux,
Veut-il de l’indigent alléger la souffrance,
Veut-il lui procurer une honnête abondance ?
Avec discernement qu’il place mon dernier.

Lorsque dans les sillons s’élève mon entier,
Du fermier négligent attestant la paresse.
Il épuise des champs l’engrais et la richesse.


25. Énigme.

Je suis un invisible corps
Qui de bas lieu tire mon être ;
Et je n’ose faire connaître
Ni qui je suis, ni d’où je sors.

Quand on m’ôte la liberté,
Pour m’échapper j’use d’adresse,
Et deviens femelle traîtresse
De mâle que j’aurais été.

Par moi l’un des sens est touché
D’une très-fâcheuse influence,
Et l’on rougit de ma naissance
Comme on rougirait d’un péché.

Un poète eut sept villes pour soi,
Dont chacune s’en disait mère ;
Mais ce qui se fit pour Homère,
Jamais ne se fera pour moi.

Mesdames, dont l’esprit charmant
Veut tout pénétrer, tout comprendre,
Gardez-vous bien de vous méprendre,
Et de me faire en me nommant.


26. Énigme.

Sans eau je bois de l’eau, triste effet du destin :
Mais beaucoup d’eau me fait boire du vin.


27. Logogriphe.

Femme, singe, écolier, l’être le plus malin,
Tout ce qu’on voit de méchant et de traître
N’est rien auprès de moi : c’est peu, pour me
connaître,
De savoir que je suis du sexe masculin.
Quoi qu’il en soit, je brille au doigt de la lingère,
Mais c’est avec ma tête, étant coupé par deux :
De cinq ôtez le trois, Neptune furieux
Me fait servir à sa colère ;
Renversez-moi, ne me changez en rien,
Vous trouvez doublement l’ennemi du Chrétien.


28. Énigme.

Vous sommes plusieurs sœurs à peu près du même
âge,
Dans deux rangs différents, mais d’un semblable
usage.
Vous avons en naissant un palais pour maison,
Qu’on pourrait mieux nommer une étroite prison :
Il faut nous y forcer, pour que quelqu’une en sorte.
Quoique cent fois le jour on nous ouvre la porte.


29. Logogriphe.

Blanche ou grise, épaisse ou fine,
Partout, ami lecteur, sans bruit,
Je t’accompagne jour et nuit ;
En route, avec toi, je chemine ;
Je couche avec toi dans ton lit.
Jadis près d’une source claire,
À prude et fière déité,
Pour désarmer sa cruauté.
J’aurais prêté mon ministère ;
J’aurais su de ce divin corps
Au chasseur voiler les trésors.

Il eût évité sa colère ;
Mais comment pouvais-je le faire,
Si je n’existais pas alors ?
Pour t’assurer de ma nature.
Compte en moi jusqu’à sept pieds :
Qu’ils soient étendus ou pliés.
Je t’offre un nom de l’Écriture ;
Un royaume près des Hébreux ;
Ce qui brûle dans la bougie ;
Ce que l’on fait en loterie ;
En musique deux mots heureux ;
Plus, le sommet d’une montagne ;
Un fleuve arrosant l’Allemagne ;
C’est assez courir après moi,
Lecteur, je suis tout près de toi.


30. Charade.

Jeunes fillettes, mon premier
Souvent occupe vos pensées ;
Vous sentez que dans mon dernier
Vous pourriez être délaissées.
Songez donc vite à mon entier.
Mais gardez-vous d’être abusées ;
Tel qui parait souple est altier,
Et par de faux dehors les femmes sont trompées.


31. Énigme.

Mon corps est fort brillant, mon regard est fatal.
J’opprime l’innocence aussi bien que le crime ;
Un courage étranger me soutient et m’anime,
Je me fais admirer lorsque je fais du mal.

On se moque de moi si j’ai mon pucelage,
Et quand je l’ai perdu je reçois de l’honneur ;
L’on me met en prison pour me rendre plus sage,
Et je fais quelquefois moins de mal que de peur.

L’éclat de ma beauté frappe d’abord la vue,
Je veux qu’un bras hardi me tienne avec raideur.
Pour se servir de moi l’on me met toute nue,
Et lorsque je rougis, ce n’est pas de pudeur.


32. Énigme.

Je viens sans qu’on y pense,
Je meurs en ma naissance,
Et celui qui me suit
Ne vient jamais sans bruit.


33. Logogriphe.

Avec mon chef je suis une prison ;
Sans mon chef, de tes jours, je deviens la mesure,
Et par moi de la vie on règle la saison ;
Si de mon chef tu changes la figure,
Je change avec lui chaque fois.
Je suis avec un G le sceau d’une promesse ;
Avec un M on me vit autrefois
Me prosterner au pied du Roi des rois.
Avec un N et quelque peu d’adresse
Je pourrai te sauver au fort de la détresse.
Avec un P chacun connaît mes tours ;
Avec un R évite mon délire ;
Avec un S on me verra t’instruire :
Mes leçons t’offrent des secours
Contre les peines de la vie.
Enfin avec un T j’arrose dans mon cours
Les champs de la Lusitanie.


34. Énigme.

Je suis dans le milieu du monde,
J’ai quatre pieds dans un tonneau

 
Je ne suis point en terre, encore moins dans l’eau,
Et cependant je suis dans l’onde.

Je dis fort souvent non, et ne dis jamais oui,
Je suis en même temps la tête d’une anguille,
Et la queue nu serpent ;
Jamais pourtant je ne frétille ;
Or devinez mon sort plaisant.


35. Logogriphe.

Mon premier est admiratif,
Mon second est indicatif,
L’un adverbe, l’autre adjectif,
Et mon tout est un locatif
Où végète un seigneur oisif.
Quoiqu’il se dise bien actif.
Pour être plus récréatif.
Décomposons mon substantif.
Voyons d’abord, maître attentif.
Qui pourtant écorche tout vif
Chaque voyageur apprentif.
Un certain mets fort tentatif
Qu’on pêche en un fleuve hâtif ;
Un patriarche primitif
Que trop de vin rendit lascif.

Sa femme resta comme un if,
Car son cœur à Dieu fut rétif ;
Un mot, en deux sens expressif,
Heur, malheur significatif ;
Or, devinez, Jacques Rosbif.


36. Charade.

Mon premier est chef de famille :
Aux amants qui vous poursuivront,
Pour rester sage, jeune fille,
Répondez toujours mon second.
Ah ! que mon tout ferait merveille,
Lecteur, et vous surprendrait bien,
Si pour être musicien,
Il ne fallait que de l’oreille.


37. Énigme.

Quand du lis j’aurais la blancheur,
Et de l’eau l’aimable fraîcheur,
Quand polie ainsi qu’une glace,
Je serais parfaite en ce point ;
Quand je posséderais de Chimène la grâce.
Quand j’aurais d’iris l’embonpoint,

Et que ma peau fine et vermeille
En fermeté n’aurait point de pareille ;
Quand la plus belle enfin qu’on nous vanta jamais
Moins que moi paraîtrait mignonne ;
Sachez que si je ne me tais,
Vous ne me trouverez pas bonne,
Toutes les fois que votre main
Plus délicate que friponne,
Enlève mes habits et découvre mon sein.


38. Énigme.

De l’esprit et du corps j’entretiens l’embonpoint,
J’étale sur le teint et les lis et les roses.
Et celui qui ne m’a point,
N’est pas riche, quand même il aurait toutes choses.


39. Logogriphe.

Dans mes sept pieds, lecteur, je t’offre le tableau
Et le miroir de cette vie.
Je pleure rarement, et je suis le fléau
De la sottise et de l’hypocrisie.
En Grèce on place mon berceau ;
Un Grec en se jouant me barbouilla de lie.

Parfois je prends un noble essor,
Le monde entier est ma patrie :
Je suis Russe, Allemande, Anglaise, et suis encor
Espagnole, Chinoise, et tel est mon mérite
Que l’on me voit cosmopolite.
En me décomposant je présente à tes yeux
L’ouvrage de Solon ; l’inconstante déesse
Qui soumet jusqu’à la sagesse.
Un impôt, un héros, un chant aimé des Dieux,
Un monument fameux dans notre capitale ;
Un lac italien, un vin délicieux ;
De Junon l’aimable rivale ;
De plus, un bipède fameux
Fort honoré dans Rome et dans notre cuisine ;
Enfin si ton esprit déjà ne me devine,
Je veux bien ajouter que tu peux dès ce soir
Me trouver aux Français, à l’Opéra-Comique.
Je suis la sœur de la musique ;
J’habite la taverne ainsi que le salon ;
Je suis parfois grivoise et parfois de bon ton ;
Et pour finir enfin par un trait de satire,
Ceux dont je blâme les défauts.
Les fats, les fripons et les sots.
De leurs portraits dans mes tableaux
Sont toujours les premiers à rire.


40. Énigme.

Quand la voix meurt, on me voit naître.
L’on me fait mourir d’un seul mot,
Je suis moins que rien, ou plutôt
J’empêche quelque chose d’être.

Le chartreux me prend pour son lot.
Aux yeux je ne saurais paraître ;
Par moi l’on ne peut reconnaître
L’habile homme d’avec le sot.

Ce n’est pas moi qui persuade ?
Je suis propre pour un malade,
Et mon règne est durant les nuits.

Qui suis-je, Esprits que l’on admire ?
Je ne suis pas ce que je suis.
Si j‘ai pouvoir de vous le dire.


41. Logogriphe.

Sur huit pieds réunis, je donne la lumière ;
En m’arrachant le chef, de l’affreuse misère

Tu trouveras, lecteur, un fâcheux attribut.
Romps mes extrémités, je produis un tribut
Que maint joueur voudrait ravir à la fortune ;
Sur quatre, je suis sûr de plaire à tous les yeux ;
Enfin, laissez-m’en trois, j’offre chose commune
Que méprise toujours un buveur courageux.


42. Charade.

Du médecin et de l’apothicaire
Mon premier se passe aisément :
Veut-il se procurer un prompt soulagement,
Il cherche mon entier à ses maux salutaire ;
Mais s’il n’a mon dernier, ma foi, tout est perdu ;
Le remède est pour lui sans force et sans vertu.


43. Énigme.

J’ai la tête légère, et le reste pesant,
Et sans tête pourtant j’irais beaucoup plus vite ;
La plume qui m’arrête une guerre suscite.
Où dans les deux partis je me trouve présent.

Je vais comme on me pousse, et toutefois je vole,
Tantôt un coup m’élève, et tantôt il m’abat ;

Mais je tombe plus bas si l’on manque au combat ;
Et dans mon triste sort un seul point me console,
Qu’en voulant sur-le-champ me rendre mon emploi,
Qui veut me relever, souvent tombe après moi.


44. Énigme.

Celui qui détruit tout est celui qui m’engendre.
Pourvu qu’on sache l’art de ménager le veut,
Et que par un souffle savant
On tire mon corps de la cendre.


45. Logogriphe.

Monté sur mes sept pieds, va me chercher, lecteur.
Je suis fort, je suis laid, mais je ne fais pas peur ;
On cite avec raison ma grande complaisance.
On trouve en moi beaucoup de patience ;
Supportant aisément la soif et les chaleurs.
Je suis d’un grand secours pour certains voyageurs.
Veux-tu décomposer mon être
Et mettre ma tête à l’écart,
Tu trouveras un lieu champêtre
Où nature parait sans art ;

Des éléments le plus perfide.
Je fais voir le nom de l’enfant
Qui, d’après l’Ancien-Testament,
Fut maudit d’un père rigide.


46. Énigme.

Je suis un corps sans âme, et j’ai du mouvement,
Je m’arrête aussitôt qu’un indiscret me touche ;
Je sais marcher sans pieds, je sais parler sans bouche.
Et sans sortir d’un lieu je cours incessamment.
Ce que je ne sais pas, je puis même l’apprendre.
Et lorsque je me tais je sais me faire entendre.
Je parle avecque règle, et je suis sans raison ;
Un sévère tyran me tient dans sa puissance,
Et bien que le soleil m’ait donné la naissance.
J’habite une sombre prison.


47. Logogriphe.

Tout gros animal que je suit,
Je veux offrir un doute à la raison humaine,
Et je dis bêtement qu’un de mes pieds démis
Chacun peut m’avaler sans peine.


48. Charade.

Sur mon premier ta tête tournera,
Sur mon second vaisseau cheminera,
À l’aspect de mon tout fillette tremblera.


49. Énigme.

Je règne également sur la terre et sur l’onde,
Et je suis nécessaire en tout temps, en tous lieux ;
Tout agit par moi sous les cieux ;
Et j’emplis tout le monde,
Il n’est rien ici-bas qui ne soit sous ma loi,
Rien ne peut vivre sans la prendre ;
Si je différais de la rendre,
On aurait peu de temps à se plaindre de moi
Je ne suis point une Divinité,
Mon empire est pourtant sensible ;
Enfin je suis, et j’ai toujours été
De couleur invisible.


50. Énigme.

J’habite un sombre lieu d’un accès difficile ;
Lorsque l’on veut m’en faire déloger.

On va chercher un étranger.
En cela plus qu’un autre habile.

Un bandeau sur les yeux, tel qu’on dépeint
l’Amour,
Il m’arrache, m’abat, et fier de sa victoire.
Sitôt qu’il aperçoit le jour,
Il chante à haute voix ma défaite et sa gloire.


51. Logogriphe.

Sur mes six pieds, lecteur, quand j’ai le ventre plein.
Mon maître est bien joyeux, son bonheur est sans
frein.
Je suis, sans tête et queue, une bête cruelle ;
Si ma queue est remise, on trouva sa femelle.


52. Énigme.

Du monde je suis le tableau ;
Ma mer n’eut pourtant jamais d’eau,
Et mes champs sont infertiles ;
Je n’ai point de maison, et j’ai de grandes villes ;
Je réduis en un point mille ouvrages divers ;
Je ne suis presque rien et je suis l’Univers.


53. Logogriphe.

Je pose sur huit pieds, j’offre à la brute engeance.
Lecteur, un végétal utile à l’existence.
Tu trouves dans mon être, en le décomposant.
Le terme qu’un cocher profère à tout passant ;
Deux métaux, et de plus deux éléments contraires ;
Deux notes de musique ; un mal des plus sévères ;
Le fardeau qui nous pèse et s’accroît tous les jours ;
L’enclume de Vulcain, et qui sert aux amours ;
Ce dont la coquette se sert avec usure,
Pour imiter l’éclat de la simple nature.
Une pluie abondante ; un abîme profond ;
Un premier végétal ; un creux plus large au fond ;
Le jouet inconstant qui conduit la Fortune ;
Un enfant de Momus ; une route commune ;
Un meuble grossier ; un instrument confus ;
Un oiseau d’un long col ; l’adjectif aux vertus ;
Celui qui sur la Chine a le pouvoir suprême.
Devine-moi, lecteur, ou malheur à moi-même !


54. Charade.

Mon premier n’est pas sain d’esprit
Mon second est la maladie
Que Saint-Hubert, dit-on, guérit ;
Mon tout se trouve à l’écurie.


55. Énigme.

Sans vouloir imiter l’épée,
Qui fait périr tant de vivants,
Je ne suis jamais occupée
Que du soin de nourrir les gens.
Sur mes vassaux d’espèce différente,
Je n’ai de droits qu’à l’instant qu’ils sont morts.
Alors dès qu’on me les présente,
Je les saisis par le milieu du corps.
Ah ! que de tours je leur fais faire,
Et sur le ventre et sur le dos,
Sans leur donner de repos !
Je m’engraisse avec eux, et voilà mon salaire.
Et tel veut me l’ôter qui souffle sur ses doigts.
Dans les chaleurs et dans les froids,
Le feu m’est toujours nécessaire.


56. Énigme.

Mon origine est incertaine ;
Mais on me dit communément
Ou chinoise ou napolitaine.
Je navigue très fréquemment

Et l’empire affreux de Neptune,
Que mon sexe a tant en horreur.
Ne m’inspire point de terreur :
Quand l’homme y va chercher fortune,
Il ne l’entreprend pas sans moi.
Sans moi, faible est son espérance ;
Je possède sa confiance,
Sans que je devine pourquoi ;
Car chez moi ce n’est qu’inconstance ;
Que faiblesse et fragilité.
Souvent une vivacité
Qu’on prendrait pour extravagance.
À me consulter empressé.
Malgré ces défauts, plus d’un sage
A très-souvent eu l’avantage
De se voir par moi redressé.


57. Logogriphe.

Une consonne et trois voyelles
Te présentent, lecteur, un bien vif sentiment ;
Mais, à ton tour, dis-moi par quel enchantement.
En retranchant mon chef, il me pousse des ailes.
Des pattes, un bec, et comment
Pour ma stupidité toujours on me renomme,
Moi qui suis en honneur dans les fastes de Rome ?


58. Énigme.

Ma mère a quatre enfants : je suis le plus aimable.
Je le dis sans présomption.
Je m’en rapporte au lecteur équitable,
Il va juger si j’ai tort ou raison.
Mon premier frère est si froid et si sombre,
Que de son aspect seul les yeux sont attristés ;
Le second, au contraire, a des charmes sans
nombre,
Mais on se plaint de ses vivacités ;
L’autre est un vrai Crésus ; on chérit sa présence ;
Même pour son retour on fait plus d’un souhait ;
Mais s’il cessait d’amener l’abondance,
Comme on l’aurait vu naître avec indifférence.
On le verrait mourir sans le moindre regret.
Plus gai, moins importun, mon humeur est égale
Je suis aimé de tous, et je ne donne rien.
Des fleurs composent tout mon bien,
Mais ma beauté aussi n’eut jamais de rivale.


59. Logogriphe.

Attrape-moi, lecteur, je fais comme Protée,
Qui, pour se jouer d’Aristée.

Employait de son art les magiques ressorts.
Et changeait, à son gré, la forme de son corps.
Je commence : me voilà ville,
Ville plus belle que Séville ;
Pour me saisir redouble tes efforts.
Soudain je perds la moitié de moi-même ;
Mes quatre pieds se réduisent à deux,
Et je deviens un métal précieux,
Ou bien je finis le Carême.
Lecteur, encore un changement :
Puisque tu veux m’avoir à toute force,
Je vais, dangereux élément,
Environner l’île de Corse.
Mais comment me soustraire au bras d’un bûcheroan
Qui veut me livrer au charron ?


60. Charade.

Signal d’un plaisir destructeur,
Chez maint habitant de la terre
Mon premier répand la terreur
Et sert à déclarer la guerre.
Mon second, enfant de l’Amour,
D’un sot orgueil ou de la bienfaisance,
Presque toujours fruit heureux de l’aisance,
En quelque lieu qu’il ait reçu le jour,

Chez l’indigent ou chez Glycère,
Possède le grand art de plaire.
Moins favorable et moins galant.
Mon tout du sein de ma bergère
Défenseur trop sévère,
Me déplaît très-souvent.


61. Énigme.

Lecteur, je suis discret, religieux et tranquille,
J’aime les ombres de la nuit,
Je sers de retraite et d’asile,
Rien que je sache ne me nuit.
Certain dépôt avec soin je conserve,
Qu’un jour je rendrai promptement.
Car enfin il faut que je serve
À mettre au jour le juste et le méchant.
C’est vainement que tout conspire
À m’éviter ou bien à me braver :
Malgré l’horreur que mon nom seul inspire,
Tôt ou tard on vient me trouver.


62. Énigme.

Souvent en embuscade, à l’abri des dangers.
Malheur à l’ennemi que mes filets légers

Arrêtent tout à coup dans sa course rapide
De ma cruelle soif victime trop timide,
Dans les flots de son sang je m’enivre soudain,
Et s’il veut m’échapper, il se débat en vain.
Mais admirez ici ma perfide industrie
À surprendre ma proie, et prolonger ma vie :
Pour ne point effrayer l’ennemi qui me fuit,
Je plonge le cadavre en un sombre réduit,
J’use de cent détours dans ma course légère,
Mais je crains fort la main de quelque ménagère.


63. Logogriphe.

Mon corps, en son entier instrument de musique,
Enchante les forêts, et soutient les concerts ;
Renverse-le, lecteur, aux flots il fait la nique,
Il est, sa tête à bas, le Dieu de l’Univers.


64. Énigme.

Je suis un instrument bizarre et salutaire :
Lorsqu’on veut m’employer, c’est souvent un
mystère ;
Et du moins il faut fuir toute société.
Quand l’agent qui me meut manque d’habileté.

Le pauvre patient en gémit, en murmurs,
Sans qu’il lui soit permis de changer de posture ;
Ensuite une secrète et fort laide action.
Me tire d’embarras, fait la conclusion.


65. Logogriphe.

Avec huit pieds, je chante à l’Opéra ;
Ôtez-m’en cinq, je sonne à l’Opéra ;
Rendez-m’en trois, je suis un Opéra,
Et c’est à moi que l’on doit l’Opéra.


66. Charade.

Suzon dès la pointe du jour.
Prend mon premier et se met à l’ouvrage ;
Sur mon second, près d’elle, inspiré par l’amour,
Je chante les douceurs du lien qui m’engage ;
Sensible aux accords de ma voix,
Suzette de mon tout a peine à se défendre ;
Son sourire est plus doux, son regard est plus
tendre.
Et l’aiguille échappe à ses doigts.


67. Énigme.

Sombre, brillante, affreuse ou belle,
Avant le monde je naquis,
Et dois régner sur ses débris.
Le moindre éclat m’efface, et je suis immortelle ;
Le soleil n’a jamais éclairé de ses feux
Mon front lugubre et solitaire,
Et j’habite pourtant les airs, l’onde et la terre.
Inconstants et réglés, mes pas silencieux,
Même en fuyant le jour poursuivent sa lumière.
Mais que me sert tout ce mystère ?
La clarté ne peut me trahir ;
C’est dans l’obscurité qu’on peut me découvrir.


68. Énigme.

Je ne tiens rien de la magnificence
Du nom que l’on me fait porter.
Je ne suis pas en évidence,
En tout temps cependant on cherche à me flatter.
Plusieurs gardes font sentinelle
À la porte des lieux remplis d’humidité.
Où sans lumière ni chandelle,
Je suis mis en captivité.

De la table la mieux servie
Je goûte de tout en passant ;
Car je suis juge, et décidé à l’instant
De tout ce qui sert à la vie.


69. Logogriphe.

Fuyez, et loin de moi précipitez vos pas,
Ô vous tous, qui ne voulez pas
Ou rôtir ou vous battre !
Je brûle avec six pieds, et je perce avec quatre.


70. Logogriphe.

Oui, je suis brut et dur, mais on peut me polir.
Un habile ouvrier sait si bien m’embellir,
Que, sans avoir recours à l’art de la peinture,
Je représente la nature.
Lecteur, ôte ma tête, et tu verras après
Qu’on me trouve dans les forêts,
Dans les jardins, dans les campagnes,
Dans les plaines, sur les montagnes,
En un mot dans tous les pays ;
Devine à présent qui je suis


71. Logogriphe.

Timide amante du Zéphir,
Son souffle pur hâte mon existence.
Souvent l’instant de ma naissance
Est celui qui me voit mourir.
L’art quelquefois dispute à la nature
Le soin de me donner le jour.
Par mes couleurs, ou par un heureux tour,
Je sais alors, Thémire, embellir ta parure,
Tantôt j’expire sur ton sein,
De l’amour offrande et victime ;
Tantôt, sous une habile main,
Je pare tes attraits que mon éclat anime.
Je renferme en mon sein deux êtres destructeurs,
Semant la mort et le carnage ;
Et par un bizarre assemblage,
Répandant mille biens parmi tant de malheurs.
Tous deux de notre subsistance
Sont les principaux fondements ;
L’un prépare nos aliments,
L’autre prépare leur naissance.


72. Charade.

Mon premier mène à l’échafaud,
Par des routes plus naturelles

Mon dernier conduit au tombeau ;
Mon tout, à la haine des belles.


73. Énigme.

Je suis long, je suis rond, je suis droit et bossu ;
La nature m’habille en me mettant au monde,
Mais l’art me dépouille tout nu,
Honteux de me voir tel, je tourne et fais la ronde.
D’une agilité sans seconde,
Seulement pour être vêtu :
Mais ma condition en est-elle meilleure ?
Quel est enfin le prix de mon empressement ?
Je ne gagne qu’un vêtement ;
Et ne le garde pas une heure.


74. Énigme.

Deux choses, quoique différentes,
M’ont cependant qu’un même nom
Lecteur, dans les rimes suivantes
Cherchez-en l’explication.
L’une dépend du seul hasard,
Et dans la saison la plus dure,
Est produite par la nature ;
L’autre est un pur effet de l’art

Celle-là ne plaît qu’en été,
Au lieu que dans l’hiver elle est insupportable ;
Mais celle-ci, plus agréable,
Plaît en toute saison par son utililé.
Je vais développer ce ténébreux mystère :
Le sexe fuit l’une avec soin,
Et de l’autre a souvent besoin
Pour trouver les moyens de plaire.


75. Logogriphe.

Lecteur, sur trois pieds seulement
Je t’offre un bruyant instrument,
Un mal qu’on endure avec peine,
Un écueil qu’on fuit prudemment ;
Sur deux pieds, ce métal dont chacun sûrement
Voudrait avoir sa poche pleine.


76. Énigme.

Nous sommes deux qui ne formons qu’un tout ;
On nous emploie à maint usage.
Utiles dans les arts et dans le jardinage,
Sans nous, le plus souvent d’un difficile ouvrage
On ne viendrait jamais à bout.

Quand on s’est fait une blessure,
On emprunte notre secours,
Et lorsque de sa tête on chérit la parure,
Six fois au moins par an à nous on a recours.
Une déesse impitoyable
Nous tient sans cesse dans ses doigts,
Et par nous, à son gré, d’un coup inévitable,
Décide du destin des bergers et des rois.


77. Logogriphe.

Je dois souvent ma vie à ma vélocité :
Que mon espèce soit casanière ou sauvage,
Par ma douceur je suis vanté ;
La peur toujours est mon partage.
En me décomposant, lecteur, je puis donner
Un fleuve dont le lit mouille un pays fertile,
Et si l’on veut le retourner,
C’est alors ce qui forme un tissu très-utile.
Je vous offre un département ;
Ce que fait l’architecte avant que l’on bâtisse ;
Une plante funeste à certain artifice ;
Un solide et bon aliment ;
Ce qui revient toujours et s’écoule sans cesse ;
Un dieu dont le pouvoir fut propice à la Grèce ;
Puis un arbre majestueux ;

Ce qu’on trouve dans une gamme :
Enfin, me connaîtrez-vous mieux,
Si je dis qu’un endroit qui n’est pas montagneux.
Du nom de ma femelle est juste l’anagramme.


78. Charade.

Tu dois à mon premier les enfants de ton fils ;
À bien des gens en vain mon second fut promis,
Mon tout est la terreur des vaisseaux ennemis.


79. Énigme.

Dans le premier âge du monde.
Qu’à l’homme j’ai coûté de pleurs !
Quand il m’impute ses malheurs,
Que veut-il que je lui réponde ?
À ma fraîcheur, à ma beauté.
Si son cœur eût mieux résisté.
Me ferait-il aucun reproche ?
Ce trait me dévoile aisément,
Et si vous fouillez un Normand,
Vous me trouverez dans sa poche.


80. Énigme.

Après une lecture ou deux ;
Œdipe, nomme-moi de grâce :
Mon corps est souvent tortueux,
Souvent on en parcourt l’espace.
Mon propre est d’élever quiconque est abaissé.
Comme aussi d’abaisser quiconque est exhaussé.
Afin que point tu ne me rates,
J’habite où sont tes dieux pénates.
Caché, je masque les plaisirs ;
Visible, à tes moindres désirs
Je donne un secours favorable.
Si le mot ne s’offre à ton gré,
De ce qui t’est si serviable,
Cherche à le savoir par degré.


81. Logogriphe.

Sous un soleil brûlant, le pauvre voyageur
Vient chercher près de moi le repos, la fraîcheur.
Et quand il veut calmer la soif qui le dévore.
Je peux en un instant le secourir encore.
Lorsque de mes sept pieds il en retire deux,
Il peut me présenter au guerrier courageux ;
Mais des cinq pieds restants, s’il lui prenait envie,
D’en ôter encor deux, qu’il craigne pour sa vie,
S’il voyage en Turquie.


82. Énigme.

Je n’ai pour atelier qu’une noire prison :
Tous les ans je reviens, ainsi que l’hirondelle.
En certaine saison.
Je ne porte point d’aile.
Et cependant au haut d’une maison
Je prodigue souvent mes chants aussi bien qu’elle.


83. Logogriphe.

Dans un lustre cinq fois je fournis ma carrière,
Mes jours sont calculés, leur marche est régulière ;
En un temps comme en l’autre, on ne m’a vu jamais
D’une seule minute augmenter ma durée ;
Après un an d’absence, alors je reparais
À ma manière accoutumée ;
Je ne suis pourtant plus si maigre que j’étais.
Pour avoir de mon tout une juste mesure,
Figurez-vous six pieds, en style de Mercure ;
À qui vogue sur l’eau j’offre un très-grand secours.
Car du fleuve le moins rapide,
Sans moi, le nautonier, quoiqu’il fut intrépide.
Ne saurait remonter le cours ;

En moi l’on peut trouver encore
Ce titre flatteur, précieux,
Que toute femme envie, et dont elle s’honore ;
Plus, un ordre religieux ;
De l’univers cette vaste partie.
Qui rend les hommes trop souvent
Victimes de sa perfidie ;
Un terme d’arpentage et de chronologie ;
Ce dont se sert un combattant
Quand il attaque, ou lorsqu’il se défend ;
Un amas d’eau toujours dormante ;
Une saveur au palais répugnante ;
Un instrument à corde, attribut de l’Amour ;
Ou, si l’on veut, ce demi-tour
Qui, vu dans l’air au milieu d’un nuage.
De toutes les couleurs réfléchit l’assemblage ;
Un pronom possessif, un pieux écrivain
Qui d’un législateur nous transmit la doctrine ;
Enfin cette essence divine
Dont est doué le genre humain.


84. Charade.

Mon premier au porc frais en potage s’allie
À la parure ajoutez mon dernier,
La beauté même en peut être embellie.
À table enfin, dans la primeur.
Mon tout parait avec honneur.


85. Énigme.

Quelquefois pour me prendre on fait sonner la
cloche,
L’endroit où l’on m’expose est souvent de sapin ;
Si je suis préparé par la main d’un vilain,
Le gueux certes n’a rien pour mettre dans sa poche.

Voulant me donner l’être, on se sert d’une broche.
Je m’accommode assez d’un excellent lapin ;
Sans moi vous ne pouvez faire la Saint-Martin :
À mes très-doux appas tout bon vivant s’accroche.

Pour me bien disposer, l’acte est d’abord sanglant
Faire vivre un chacun, c’est mon propre talent,
Offrant à tous des mets, et la liqueur divine.

Ne pouvant me trouver, on est bien malheureux ;
Mon absence affaiblit le cœur de l’amoureux ;
C’est souvent pour m’avoir que s’offre la coquine.


86. Énigme.

Sous deux différentes figures.
L’une animée, et l’autre à bigarrures,
Ennemi déclaré de divers animaux,
Dans deux des éléments je leur fais bien des maux,

Dans l’air je porte l’épouvante,
Les habitants en poussent mille cris,
Et ma fureur est toujours violente,
Jusqu’à ce que Ia mort m’ait à la fin surpris ;
Et dans l’eau je réduis sous mon cruel empire
Plus de corps en un jour que je ne fais en l’air,
Et c’est avec plaisir que mon maître me tire ;
Mais ce n’est pas pour m’immoler.


87. Logogriphe.

Sur sept pieds je suis une expérience ;
Mon chef à bas, j’apporte l’évidence.


88. Énigme.

Plusieurs sœurs, au sortir de Ponde,
Composent mon corps précieux ;
On me voit dès lors dans le monde
Occuper un rang glorieux.
Je suis pour le beau sexe un ami plein de charmes
Je sais augmenter sa beauté ;
Pour lui ma chaîne est sans alarmes,
Et ne peut attaquer sa douce liberté.
Tous les jours j’embrasse Sylvie ;
Mon sort est cependant douteux
Car d’un filet dépend ma vie :
Jugez si je puis être heureux.


89. Logogriphe.

Lorsque des ennemis on annonce l’approche.
Soudain, sur mes six pieds, je parcours tout le
camp,
Et je porte le trouble en ville comme au champ,
Sans craindre qu’en cela j’encoure aucun reproche.
Veux-tu mieux me connaître ? aussitôt, cher lecteur,
En retranchant mon chef, j’indique la douleur,
Et me montre souvent aux yeux de l’indigence ;
Si tu m’ôtes deux pieds, je sers à ta défense ;
Enfin, tu peux en moi, trouver un instrument
Pour t’aider à franchir un fluide élément.


90. Charade.

Quand je vois Dorival, cet obscur personnage,
Qui, fort riche en écus mais fort pauvre en usage.
Parce qu’il a changé d’habit et de métier,
Croit pouvoir avec art conduire mon premier,
Et qui, loin de cacher sa grossière ignorance.
Traverse maint et maint quartier,
Pour se montrer dans mon dernier,
Riant de son inconséquence,
Je suis tente de m’écrier :
Eh ! qu’il eût bien mieux fait de mener mon entier !


91. Énigme.

Le plus actif des éléments
Est celui dont je tiens la vie ;
L’art me divise ensuite en morceaux différents,
Pour me poser dans des compartiments,
Où de nombreuses sœurs me tiennent compagnie.
Quoique je sois simple et polie,
Je sers à garantir des injures du temps.
Mon corps, impénétrable aux vents,
Est à l’épreuve de la pluie.
Vous de qui les soins curieux
Veulent savoir et mon nom et mon être,
Sans sortir de chez vous, vous pouvez me connaître.
J’y suis toujours devant vos yeux.


92. Énigme.

J’ai le visage long et la mine naïve,
Je suis sans finesse et sans art ;
Mon teint est fort uni, sa couleur assez vive,
Et je ne mets jamais de fard.
Mon abord est civil, j’ai la bouche riante,
Et mes yeux ont mille douceurs ;
Mais quoique je sois belle, agréable et charmante,
Je règne sur bien peu de cœurs.

On me proteste assez, et presque tous les hommes
Se vantent de suivre mes lois.
Mais que j’en connais peu dans le siècle où nous
sommes
Dont le cœur réponde à ma voix !
Ceux que je fais aimer d’une flamme fidèle.
Me font l’objet de tous leurs soins,
Et quoique je vieillisse, ils me trouvent fort belle.
Et ne m’en estiment pas moins.
On m’accuse pourtant d’aimer trop à paraître
Où l’on voit la prospérité ;
Cependant il est vrai qu’on ne me peut connaître
Qu’au milieu de l’adversité.


93. Logogriphe.

Je t’offre, ami lecteur, un léger vêtement.
Que l’usage rend nécessaire ;
Mon nom n’a que trois pieds, mais le plus
étonnant.
Lecteur, c’est qu’en les retournant,
De plante que j’étais, je devienne rivière.


94. Énigme.

Je fus en tous les temps des mortels désiré ;
Souvent de mes faveurs j’ai comblé le jeune âge ;

Pour moi l’avare en vain a toujours soupiré,
Et jamais du jaloux je ne fus le partage,
Près du volage amant j’apparais et j’expire,
Je suis le prix des constantes amours ;
Dans un cœur bienfaisant j’établis mon empire,
Et chez le sage enfin j’habiterai toujours.


95. Logogriphe.

Je suis un petit ustensile
À tout écrivain fort utile ;
Cependant, des anciens Romains
Je n’exerçai jamais les mains ;
Jamais même au divin Homère
Je ne prêtai mon ministère,
Veux-tu, lecteur, en savoir la raison ?
Tu l’apprendras en devinant mon nom.
Mon chef de moins, je te fournis sans peine
L’épithète de La Fontaine,
De Marot et de Rabelais,
Et du discours que nous tient une Agnès.
Pour un instant je veux bien le permettre
De m’ôter ma dernière lettre ;
Ensuite, prends celle qui reste en fin,
Fais lui place après la seconde,
Et lu verras, pour le certain.

Le premier assassin du monde,
À ma queue est un arbre vert,
Même pendant les rigueurs d’hiver ;
Cet arbre pourra te produire,
Quand tu voudras, une exclamation
Pour témoigner l’aversion.
Mais, cher lecteur, s’il faut tout dire.
Joins-y ma lettre du milieu,
Et tu verras mon terme. Adieu.


96. Charade.

Si pour ton front tu crains l’outrage
Dont mon premier est l’emblème immoral,
Cher lecteur, suis, crois-moi, le parti le plus sage,
Renonce au lien conjugal.
Mon second, habitant des vallons d’Aonie,
D’Homère inspira le génie,
Guida dans leurs doctes travaux
Le compas d’Archimède et les pinceaux d’Apelle,
Et sous les doigts du divin Praxitèle,
Fit respirer le marbre de Paros.
Sur la molle et tendre fougère,
Mon tout, rival du chalumeau,
Anime la danse légère
Des bergerettes du hameau.


97. Énigme.

On parle bien en vain si l’on ne m’envisage :
Mon silence est ma voix, ma forme est mon
langage.
Ce qu’on m’a dit, lecteur, c’est moi qui te le dis ;
Tu dis ce que je dis, dis-moi donc qui je suis.


98. Énigme.

Nous sommes bien des sœurs vivant d’un bon
accord :
Ce trait assez nouveau vous surprendra d’abord,
Car plus d’une famille est parfois désunie ;
Si la nôtre aime à mordre… à trancher… C’est à
tort
Qu’on nous en blâmerait… Quand d’un commun
effort,
On sait que nous servons aux besoins de la vie,
Nous travaillons ensemble… et toujours sans envie,
Nous nous prêtons un mutuel support :
Rien ne saurait troubler notre douce harmonie ;
Nous ne pourrions enfin nous quitter qu’à la mort,
Sans tous ces maux fâcheux, cruels présents du sort,
Dont l’humaine faiblesse est, hélas ! poursuivie.

Quelqu’une d’entre nous languit elle un seul jour ?
Nous en souffrons par sympathie.
Et de la même maladie
On nous voit très-souvent succomber tour à tour :
De nous bien conserver aussi l’on se fait gloire.
De la beauté nous relevons l’éclat ;
Notre blancheur, rivale de l’ivoire,
Fait des roses du teint ressortir l’incarnat.
Nous avons, en santé, toujours cœur à l’ouvrage,
Nous faisons bruit par nos brillants exploits.
Mais l’homme le plus doux, quand on lui fait
outrage,
Avec humeur nous montre quelquefois.
Notre zèle pour lui souvent se tourne en rage ;
Un accident suffit pour nous mettre aux abois,
L’avoûrons-nous ? hélas ! d’incroyables souffrances
Empoisonnent le fruit de nos heureux travaux,
Et nous causons encore plus de maux
Que de piquantes jouissances.
Dieu vous garde, lecteurs, de ce tourment fatal !
Le remède souvent est pire que le mal.


99. Logogriphe.

Si d’oiseau que je suis on me veut quadrupède.
Il faut sans hésiter mettre ma tête à bas.

On sait que pour tel coup il n’est point de remède.
Mais qui gagne au marché ne la regrette pas.
Vigoureux devenu, certainement mon maître.
En la métamorphose admirera mon être.
Attentif désormais à mes divers besoins.
Par mon utilité j’acquitterai ses soins.


100. Énigme.

J’habite en un lieu très-obscur.
Qui pourtant à chacun fournit de la lumière ;
J’ai des dents, c’est un fait très-sûr,
Et n’ai jamais rien mangé sur la terre.
Je suis grande ou petite, au gré de mon patron,
Quand je grandis, c’est un bon signe ;
Mais voyez ma misère insigne :
Des personnes de la maison,
Si je porte un fardeau, je reçois la visite ;
Si je ne porte rien, tout le monde me quitte,
Et j’en conviens, tout le monde a raison
De me reléguer dans mon gîte.
Je ne suis pas du règne végétal,
Et chez le laboureur heureux et jovial
On me plante en cérémonie.
Je suis utile aux besoins de la vie,
Dans tes palais je vis au milieu du fracas,

Mais j’habite pourtant bien rarement la ville,
Et c’est surtout aux champs que tu me trouveras ;
Je sers bien plus souvent dans ce champêtre asile.


101. Logogriphe.

Mes six pieds rappellent, lecteur,
Bossuet et Son éloquence ;
Réduit à cinq, j’offre au pécheur
Un instrument de pénitence ;
Sur quatre, utile au moissonneur,
Je suis encore ville en France ;
Sur trois, je peins la violence
De l’homme en sa mauvaise humeur ;
Avec deux, j’ai ma résidence
Dans la gamme, au gré dur chanteur ;
Quant au dernier, c’est un malheur,
Mais en lui finit l’espérance.


102. Charade.

Si mon premier est cher, mon second l’est aussi :
Mais pour trouver mon tout, il faut le faire ici.


103. Énigme.

Je tiens, comme les dieux, registre des pensées,
Je fixe la parole, et je lui donne un corps ;
Du temple d’Apollon j’ouvre tous les trésors ;
Mon art met sous vos yeux les histoires passées,
Mes forces par le temps jamais ne sont usées,
Et mes charmes puissants ressuscitent les morts ;
Par moi, du noir Cocyte ils repassent les bords.
Et viennent triompher des Parques abusées ;
J’entretiens les plus sourds sans parole et sans bruit ;
Je passe, à ma couleur, pour fille de la Nuit ;
Je mets dans un grand jour les plus secrets mystères ;
J’instruis cet univers de l’un à l’autre bout ;
Et quand on me consulte afin de savoir tout,
Ainsi qu’un enchanteur j’use de caractères.


104. Énigme.

En un seul mot j’offre une fleur, une île,
Une arme, un fruit, un royaume, une ville.


105. Logogriphe.

Sept pieds forment mon tout, si l’on comprend ma
queue ;

L’on me réduit à six, en retranchant ma queue ;
Du genre masculin, quand je porte ma queue,
Je deviens féminin, lorsqu’on m’ôte la queue ;
Ma forme en chaque endroit varie avec ma queue ;
Partout elle est la même, étant privée de queue :
Immobile et solide, alors que j’ai ma queue.
On me meut et je suis fragile sans ma queue.
Je ne cause aucun bruit en reprenant ma queue ;
Il n’en est pas ainsi quand je quitte ma queue :
Je n’ai point de chemise, étant pourvue de queue ;
L’on en fait une exprès pour moi qui suis sans queue :
Comme je puis avoir un coq avec ma queue,
De même l’on me donne un mouton, mais sans
queue.
Combien de mes pareils détruits avec ma queue,
La plupart ont subi le même sort sans queue.
Je ne veux pas, lecteur, avec et sans ma queue,
T’intriguer plus longtems : j’indique avec ma queue
(Pour terminer) l’endroit où l’on me met sans queue.
Me devine qui peut, avec et sans ma queue !


106. Énigme.

Au singulier je suis la fortune du sage
Et des héros mon nom enflamme le courage.
Guidé par son orgueil, très-souvent l’homme altier.
Pour m’avoir au pluriel, me perd au singulier.


107. Logogriphe.

Lorsque de mes cinq pieds, lecteur, on fait usage,
Par moi les combattants, oubliant leur fureur,
Pour un temps limité renoncent au carnage,
Et goûtent du repos la tranquille douceur.
Si de mon premier pied tu fais abstraction,
Que suis-je alors ? Un être imaginaire,
Qui peut pour un moment t’effrayer, ou te plaire,
Mais dont tu sens bientôt toute l’illusion.
Poursuis : en dernier lieu je te donne à connaître,
Si de mon être encor tu restes incertain,
Celle en qui le diable fit naître
Un désir qui causa la mort au genre humain.


108. Charade.

Mon premier de Cérès compose la parure ;
On connaît mon second dans les calculs nouveaux ;
Et mon tout très-malin, dicté par la censure,
Lance ses traits mordants sur les fats et les sots.


109. Énigme.

D’un père lumineux je reçois la naissance,
Et tends toujours à monter vers tes cieux.

Souvent je manque à l’indigence.
Et fais pleurer les plus heureux.
Souvent aussi l’ambitieux
N’obtient que moi pour récompense.


110. Énigme.

J’habite au centre d’un palais
Entouré de deux rangs de gardes,
Qui, sans piques ni hallebardes,
De mon séjour ferment l’accès.
Dès que je veux exercer ma puissance
Ils s’ouvrent aussitôt, s’agitent en tous sens.
Me servent avec complaisance,
Sans jamais sortir de leurs rangs.
C’est moi qui gouverne le monde,
Et je fais tous les jours l’office des valets :
Un souverain du fond d’une grotte profonde,
Me commande et me force à préparer ses mets.


111. Logogriphe.

Cher lecteur, sur cinq pieds
Je vaux six pieds ;
Réduite à quatre pieds,
Je cours à travers champs, n’ayant aile ni pieds ;

J’offre un animal, sur trois pieds,
De deux pattes pourvu ; mais retiens que, sans
pieds,
Il se flatte d’avoir des parens à deux pieds.


112. Énigme.

Je possède le don de plaire,
Et je ne suis qu’un imposteur :
Par moi la piquante Glycère
Trompe plus d’un adorateur.
Je suis chéri de la coquette,
Je ressemble assez à son cœur ;
Aussi toujours sur sa toilette
J’occupe la place d’honneur.
Le fat, cet être ridicule,
Qui n’est que fumée et que vent,
Pour paraître plus sémillant,
A recours à moi sans scrupule.
Jeune habitante du hameau,
Près de toi se flétrit ma couleur mensongère ;
Telle on voit du soleil l’éclatante lumière,
Éclipser celle du flambeau.


113. Logogriphe.

Quatre lettres forment mon nom ;
Je suis l’ouvrage d’un reptile,

Je deviens sans queue un pronom,
Et sans tête une volatile.


114. Charade.

Combien de fois auprès de ma première,
Philis, ai-je attendu qu’un fidèle courrier.
Vint, de ta part, m’apporter ma dernière,
Qu’avec transport je baise et serre mon entier !


115. Énigme.

Par mon heureux secours aux ravages des ans,
La science n’est point sujette ;
Je fais parler beaucoup de gens,
Quoique je sois toujours muette.
Grâce aux mortels industrieux,
Je me trouve presque en tous lieux.
D’un bout du monde à l’autre, avec soin je disperse
Ce que j’amasse de trésors,
Et je sais établir un éternel commerce
Entre les vivants et les morts.
Reconnais-moi, lecteur, à cette illustre marque :
Je trompe la fatalité ;
Malgré le ciseau de la Parque,
Je donne l’immortalité.


116. Énigme.

Ami lecteur, en mille endroits divers
Nous habitons, même sous les chaumières.
Au même lieu nous sommes plusieurs frères.
Souvent tournés de même, et de même couverts.
Chez les uns nous brillons de pourpre et de dorures
Chez d’autres nous portons une simple parure.
Nous figurons au Louvre, au théâtre, à la cour ;
Nous sommes bien souvent des confidents d’amour.
Tantôt, rangés sans goût, et tantôt à la ronde.
Nous présentons un pied droit ou tortu.
Et nous tendons les bras à tout le monde.


117. Énigme.

Blanche ou noire, grande ou petite,
On connaît partout mon mérite.
Le riche et l’indigent, tous ont besoin de moi ;
Le sexe en fait surtout un plus fréquent emploi,
Je suis parfois brillante.
Et toujours très-piquante ;
Mais si je perds la tête, adieu tous mes amis,
le suis en butte alors au plus parfait mépris.


118. Logogriphe.

Iris, aux jeux des grands ma vue est importune ;
Quoique flatteur, humble et respectueux,
Je ne fais pas souvent fortune.
Une lettre de moins, mon sort est plus heureux ;
Car tous les matins j’emprisonne
Les trésors de ton sein et ta taille mignonne.


119. Charade.

Un peu de coquetterie,
Sur ton pied, belle Sylvie,
Fit placer mon premier,
Quoique fraîche et jolie,
Au printemps de ta vie,
Sois toujours mon dernier.
Et si l’on te marie,
Tu verras, je parie,
S’arrondir mon entier.


120. Logogriphe.

Quoique fort mince personnage,
Sous plus d’un sens je puis m’offrir à toi.

D’abord tout écrivain de moi doit faire usage.
Le jour ne peut naître sans moi.
Si de ton corps j’attaque une partie.
Je te fais endurer une vive douleur :
Je vais parfois de compagnie
Avec l’aiguille, avec l’honneur.
Si je viens à perdre mon cœur.
J’occupe un assez grand espace,
Et c’est sur l’eau, mon cher lecteur,
Que pour l’ordinaire on me place.
Quoique j’y sois commun dans mille endroits divers,
Ne va point toutefois me chercher sur les mers.


121. Énigme.

 
Je puis te rendre heureux, pouvant te rendre sage ;
Ne me borne donc pas au seul amusement ;
Lorsqu’on veut bien me faire avec discernement,
Des faveurs de Plutus j’apprends à faire usage,
De ses rigueurs aussi je console aisément ;
L’ennui, je le bannis ; les maux, je les soulage,
Et si j’égare quelquefois,
C’est parce qu’on me fait sans choix.


122. Énigme.

Dans ce vaste univers tout travaille pour moi

Je gouverne à mon gré le berger et le roi ;
Je suis tout à la fois séduisante et volage ;
D’un guerrier au combat j’enflamme le courage ;
D’un poète inspiré je nourris les transports ;
Par moi le matelot sait braver mille morts ;
Je sais des malheureux adoucir la misère ;
Mais surtout aux vieillards j’ai le pouvoir de plaire ;
Un même instant me voit et renaître et mourir ;
Aux regards des mortels, j’embellis l’avenir ;
L’impossible par moi paraît souvent facile ;
Sans moi, vivre serait une charge inutile ;
Enfin, si tu n’étais séduit par mes appas,
Pour me trouver, lecteur, tu ne rêverais pas.


123. Logogriphe.

 
Renverse-moi, lecteur ; et quand ton pauvre esprit.
Tout enveloppé d’un nuage,
Ne saurait distinguer le jour d’avec la nuit,
Tu n’y verras que trop, je gage.
Redresse-moi, le fanal luit,
Cingle droit, ne va pas au port faire naufrage.


124. Énigme.

 
Dans les champs et dans les hameaux,
J’occupe la simple bergère ;

Et dans les palais les plus beaux,
J’amuse quelquefois la reine la plus fière,
Je pare le plus saint prélat
Et la fille la plus coquette ;
Tantôt on me voit en cornette,
Tantôt je parais en rabat ;
Je suis toujours admis aux tables
Où l’on reçoit les plus notables.
Quoique je ne sois pas malin.
Je suis cependant assez fin
Pour me glisser à la toilette,
Même au coucher, au lit enfin
De la dame la plus discrète.


125. Logogriphe.

 
La nuit j’habite sur la terre,
Et le jour je remonte aux cieux.
J’éblouis les regards d’un éclat radieux,
Mais je n’ai qu’un matin pour plaire.
Cinq lettres font mon nom… supprimer la
première,
Je suis un prophète fameux ;
Je deviendrai la fleur que l’on aime le mieux,
En supprimant l’avant-dernière.

Otez-les toutes deux,
Je deviens un mot précieux,
Dont l’Amour même fait mystère.
Et qu’à l’amant, qui sait lui plaire.
L’amante ne dit que des yeux.


126. Charade.

 
Mon premier est droit comme un I ;
À le chercher vous vous cassez la tête
Et cependant, il est dans un ami.
Mon second… Aih, aih, je m’arrête.
Mon second est rond comme un O,
Pour prix de l’amour le plus beau,
Jupin changea mon tout en bête.


127. Énigme.

 
Bien ou mal je fais sur la terre,
Travaux de Mars, travaux des champs,
Traités de paix, traités de guerre,
Bisque à Paris, gamelle aux camps.
Je tiens le sceptre et la charrue ;
Ici je guéris, là je tue :
C’est moi qui donne, moi qui prends ;
C’est moi qui retiens, moi qui rends.

De l’humble cabane et du Louvre
Je ferme la porte et je l’ouvre.
Par moi les palais sont bâtis ;
C’est par moi qu’ils sont démolis.
Par moi la vigne fécondée
Se voit par moi dépossédée
Des trésors dont je l’embellis.
Trop souvent je commets des crimes.
Je fais de très-grands biens aussi ;
Je trace les plus belles rimes,
Je broche les vers que voici.


128. Énigme.

 
À quel étrange sort suis-je donc condamnée ?
On me bat quand je nais ; mais, malgré mes
tourments,
Toute femme voudrait avoir ma destinée.
Plus je vieillis, plus j’ai d’amants.


129. Logogriphe.

 
De mon entier ôtez la tête,
Je perds alors toute raison ;
Et souvent, quoiqu’avec ma tête,
Je n’ai ni rime, ni raison.


130. Énigme.

Sur mes trois pieds je suis au vrai très-singulier ;
Et ma tête et ma queue en tout point sont semblables.
Quant à mon cœur, rien n’est plus régulier.
Ah ! qui que vous soyez, si quelques misérables.
Pressés par le besoin, viennent vous supplier,
N’usez jamais de mon entier.
Tout malheureux sans doute doit me craindre.
Véritables amants, que vous êtes à plaindre,
Lorsqu’incertains de votre sort.
Je puis imprudemment prononcer votre mort !
Mais nos mœurs ont rendu l’événement si rare,
Qu’on ne saurait plus craindre un pouvoir si
barbare.


131. Logogriphe.

Sur mes huit pieds je conduis à la gloire :
Je suis aussi le prix de la victoire.
Si quelquefois je ne suis qu’un lambeau,
Dans ma misère on me trouve plus beau.
Si l’on me décompose, en moi l’on peut trouver
Un instrument meurtrier ;
Ce que cherche un vaisseau battu par la tempête ;
Ce que plus d’une femme a souvent dans la tête ;

Ce que dans une épitre on omet rarement ;
Un animal incommode et méchant :
Une propriété du chêne ;
Un pronom, une saison ;
Ainsi qu’une négation ;
Et la dénomination
De tout ce qui se fait par l’industrie humaine.


132. Charade.

 
Mon premier, mon second, sont en tout
ressemblants ;
Et mon tout dans Paris ressemble à bien des gens.


133. Énigme.

 
Je suis la merveille du monde.
Les plus rares beautés, les plus riches trésors,
S’étalent dans mon vaste corps.
Où tout bien et tout mal abonde.

J’ai par toute la terre un célèbre renom,
Des petits et des grands mon sein est le refuge,
Devinez qui je suis ; l’on me donne le nom
D’un berger, d’un prince et d’un juge.


134. Énigme.

Je sers au fou, je sers au sage,
À l’ignorant comme au savant ;
De moi l’on fait un bon usage,
On en abuse plus souvent.
Je suis au gré de qui m’emploie,
Au gré de l’esprit et du cœur,
Ou l’expression de la joie,
Ou bien celle de la douleur ;
Suppliante quand je demande
Et timide quand j’obéis,
Toujours ferme quand je commande,
Je règne et sers en tout pays.
Parfois on me perd dans l’ivresse
Ou lorsque la peur vient saisir,
Ou dans un accès de tristesse
Ou dans un transport de plaisir.
On me manque… on se le pardonne ;
De moi fort peu l’on se souvient ;
Et quoique souvent on me donne,
C’est bien rarement qu’on me tient.


135. Logogriphe.

La jeunesse aime ma présence ;
La vieillesse a regret de n’en pouvoir jouir ;

Je suis le père du plaisir,
Des ris, des jeux et de la danse ;
Je marche cependant près de la continence.
En me décomposant, lecteur,
Mes huit pieds te feront connaître
Un instrument utile au laboureur ;
Une note ; un auteur
Qui fit chanter les bergers sous le hêtre ;
Du liquide élément un ample réservoir,
Le nom qu’on donne à tout combat sur l’onde ;
Ce que, chaque saison, Chloé craint de revoir.
Et qui pour elle fuit comme pour tout le monde.


136. Énigme.

 
Lecteur, j’ignore encor quelle est mon origine,
C’est un point sur lequel on a bien contesté.
Je pense néanmoins que ma source est divine.
Je suis cruelle, affreuse, ou pleine de beauté,
Commune, riche, pauvre, agréable, légère,
Sublime quelquefois, timide ou téméraire,
Je pénètre partout, sous l’abime des mers,
Dans les antres obscurs, au milieu des déserts.
Plus prompte que les vents, en moins d’une seconde
Je vais d’un pôle à l’autre, et fais le tour du monde.
Cependant, cher lecteur, je ne puis te céler
Qu’on peut me découvrir, me saisir, me voler.

L’un me tourne en tous sens, un autre me torture ;
Et, pour mieux m’accuser, souvent me dénature.
Si j’ajoute un seul mot tu vas me deviner :
Je suis libre… Jamais on ne peut m’enchaîner.


137. Logogriphe.

 
Mon cher lecteur, que ton esprit habile
Daigne de moi s’occuper un moment ;
Je serai court sur mon signalement.
Mon aspect est affreux, mon accès difficile :
Fermeté, dureté, voilà mon élément.
Ajoutes une tête à mon nom rebutant,
Pour lors au gré de ton caprice
Je changerai de forme et de destin.
Si tu me mets un B, je sers en un festin ;
Si c’est un C, je suis plein d’artifice ;
Si ma tête est un F, on me voit au couvent
Exercer quelquefois un tyrannique empire ;
Enfin, si c’est un T, sois et fin et prudent :
Si par moi l’on te dupe, on ne fera qu’en rire.


138. Charade.

 
Avec Noé dans l’arche on trouve mon premier ;
Un vêtement d’Afrique est, dit-on, mon dernier ;
Autrefois dans ta France on trouvait mon entier.


139. Énigme.

Je suis, ô lecteur curieux.
Je suis un fort singulier être.
D’abord inutile à tes yeux,
Sans moi ton œil ne saurait être.
Quoiqu’à les lèvres étranger.
Sans gêne comme sans mystère.
Sur elles je cours me ranger.
Dès que tu nommes ta commère.

Banni de la terre et des cieux,
Je n’en suis pas moins dans le monde.
De plus, ne pouvant faire mieux.
Faute de l’eau j’habite l’onde.
On ne me trouve nulle part,
Cependant partout je me montre,
Et même (badinage à part),
On me voit en toute rencontre.

Sans moi, point de création,
Et sans moi l’univers existe ;
Sans moi point de religion,
Et sans moi le culte subsiste ;
Sans moi, l’on peut être chrétien,
Pour catholique, j’en défie :

Oncques, sans moi, femme de bien
Ne fut honnête de sa vie.

Je suis sans cesse en oraison,
Sans être un instant en prière.
Tout ainsi qu’en dévotion.
Je ne cesse d’être en colère.
Toujours au chœur tu me verras ;
Mais par un bizarre caprice,
À vêpres, je ne parais pas,
Moi qui ne bouge de l’office.

Dans le soleil tu peux me voir.
Ne me cherche pas dans la lune.
Au blanc je préfère le noir.
Et pourtant la blonde à la brune,
Reçu dans toutes les maisons,
Je fuis les champs, je fuis les villes :
Je fréquente hommes et garçons,
Je ne hante femmes ni filles.

Vainement je suis écarté
De la danse et de la musique.
Pour l’opéra je semble né,
Surtout pour l’opéra comique.
À l’orchestre, aux loges assis,
Je dédaigne l’amphithéâtre

Et jamais on ne m’a surpris
Au parterre plus qu’au théâtre.

Je ne quitte point le logis
Et je suis toujours en voyage ;
Sans jamais à table être admis,
Je m’y glisse avec le potage.
Aux noces toujours invité,
Je suis exclu du mariage.
Sans moi pourtant, en vérité.
Jamais on ne vit bon ménage.

Je suis nécessaire à l’amour,
Et j’accompagne l’innocence.
Tous deux ne peuvent un seul jour
Exister hors de ma présence.
À la folie, à la raison,
Je suis également de mise,
Et sers, en toute occasion.
Au bon sens comme à la sottise.

Ai-je tout dit ? Il s’en faut bien ;
Mais, à cette exacte peinture,
Je joins, pour qu’il ne manque rien,
Encore un mot sur ma figure.
Je suis, ô curieux lecteur,
Je suis tout rond comme une pomme,

Et dans ces vers, voilà, d’honneur,
Voilà deux fois que je me nomme.


140. Énigme.

 
Aux imprimeurs je fais la loi ;
Voltaire, avec tout son génie.
N’a pu faire un livre sans moi ;
Et toi, lecteur, je te défie
D’ouvrir un seul registre où je ne m’offre à toi.


141. Logogriphe.

 
Je suis, par quatre pieds, le plus puissant empire ;
Les plus grands souverains sont soumis à mes lois,
Un pied de moins, lecteur, j’habite un autre
empire :
Les beaux yeux de l’objet dont tu chéris les lois.


142. Énigme.

 
Je suis d’humeur leste et volage ;
Ne m’a pas qui voudrait m’avoir :
Qui ne cherche point à me voir
En acquiert souvent l’avantage.

Qu’on me laisse une fois partir
Il est rare que je revienne
Il faut donc que l’on se souvienne
Qu’on doit bien ferme me tenir.
À l’amant je suis secourable ;
Sans horloge, pour l’obliger,
Je fais sonner cette heure aimable
Qu’on nomme l’heure du berger.


143. Logogriphe.

 
Auprès de l’aimable Climène,
Je suis de service toujours ;
Sur sa table je me promène,
Et je suis sa dame d’atours.
Quelquefois Lindor, avec peine,
Me voit, sans obstacle, marcher
Sur deux monts qui sont mon domaine,
Dont je lui défends d’approcher ;
Quelquefois aussi, moins sévère.
De l’amant heureux et badin
Je cède à l’amoureuse main :
Il triomphe, adieu le mystère,
Hélas je suis faible, et jamais
Du dieu qui commande à Cythère,
Je n’ai pu balancer les traits.

Sur sept pieds, ma marche inégale.
Des monts vous offre l’ornement ;
Une embûche aux poissons fatale ;
Et ce qui fait le vêtement ;
Ce qui donne le pain au monde ;
Le fleuve par qui tous les ans
Le sol d’Égypte se féconde ;
Le nom si fameux en tout temps,
D’un antique naturaliste ;
Ce que les hivers, au front triste.
Portent sur l’aile des autans.


144. Charade.

 
Le joueur, soutenu par un peu d’espérance.
Dans mon premier souvent place sa confiance ;
Et qu’en résulte-t-il ? il aggrave ses maux,
Il cause sa ruine, et pour lui le repos
Disparait sans retour. Celui qui, pour s’instruire,
Voudrait de l’univers parcourir chaque empire,
Serait à ses projets forcé de renoncer
Si l’on n’avait pris soin de percer mon dernier.
On trouve mon entier dans le Dictionnaire :
C’est très-vrai ; cependant s’il t’arrive jamais
De vouloir l’employer devant un militaire :
« Halte-là, dira-t-il, ce mot n’est pas français. »


145. Énigme.

À sa mode chacun me fait,
Je suis au grenier, à la cave :
À l’antichambre, au cabinet.
Je suis partout comme une esclave.
Je ne puis briser mes liens,
Et toujours dans le même espace.
Je marche, je vais et reviens,
Mais jamais ne change de place.

Je protège les doux ébats
De l’amour et de l’hyménée ;
Je suis témoin de leurs combats
Et de leurs chaînes fortunées.
Que d’amoureux, que de jaloux,
Lorsque certain point les tracasse ;
Que de voleurs, que de filoux,
Voudraient souvent tenir ma place !

C’est devant moi que mille gueux
Le jour vous demandent l’aumône ;
Je vois le flatteur ennuyeux,
Je vois le créancier qui sonne.
Dans les prisons, dans les cachots,
L’ennui, l’effroi, suivent ma trace,
Faut-il encore d’autres tableaux ?
Lecteur, venez prendre ma place.


146. Énigme.

Je suis quand mon frère n’est pas,
Autrement je ne saurais être ;
C’est en mourant qu’il me fait naître,
C’est en ressuscitant qu’il cause mon trépas.


147. Logogriphe.

 
Je suis un être bien fragile ;
Cependant, soit dit sans fierté.
Au village, comme à la ville,
On vante mon utilité.
L’art, variant mon importance.
M’accorde plus ou moins d’appas ;
Et pour finir mon existence,
Il ne faut souvent qu’un faux pas.

Ami, veux-tu bien me connaître ?
Décompose-moi, j’y consens ;
Et bientôt tu verras paraître
Quelques-uns de mes éléments.
Du travail et de l’industrie
Je t’offrirai l’emblème heureux
Pour m’obtenir dans ma patrie
Plus d’un savant forme des vœux.


Mais pour qu’à tes yeux rien n’échappe.
Je vais encor te faire voir
Ce que l’élève d’Esculape
Obtient parfois sans le savoir ;
À Troyes un objet de commerce
Près du gastronome en crédit.
Ce que plus d’une fois traverse
Et l’ignorant et l’érudit.

Je t’en ai dit assez, j’espère.
Pour avoir frappé tes esprits :
Aussi bien, ami, la matière
Est épuisée… et je finis.
Me tiens-tu ?… Gare à la réplique.
Si tu rougis et me dis non !
Car, sans être par trop caustique.
Je pourrais te donner mon nom.


148. Énigme.

 
Que suis-je, moi, qui toujours t’environne,
Moi qui, sans cesse, autour de toi bourdonne ?
Tu me sens, tu m’entends, et ne m’as jamais vu.
Tu vas, tu viens, partout je t’accompagne.
Voudrais-tu me saisir ? ce serait temps perdu ;
Tu sors, et sous la clef, tu me crois retenu,
Au même instant je te suis en campagne.

C’est là que, librement,
Je plane, je m’exerce :
J’y suis doux, caressant ;
J’y brise, j’y renverse.
Je puis donner le trépas ;
Et sans moi tu ne saurais vivre.
Que plus d’un docteur, ici-bas,
Me guette pas à pas,
Et s’obstine à me suivre :
Le malheureux, hélas !
Que prouve son gros livre !
Il prouve… Il prouve encor qu’il ne me connaît
pas.
Je fus, de tous les temps, une énigme en physique.
Et je vois bien enfin qu’il faut que je m’explique.
Je puis me faire entendre. Écoute, et sois content :
Si je t’échappe, autant en emporte le vent.
Le mot est dit, eh bien ! en es-tu plus savant ?


149. Logogriphe.

 
Qu’on lise à l’ordinaire, ou qu’on lise à rebours,
Je suis toujours la même chose.
Le genre humain me doit ses jours,
Quoique de son trépas je sois aussi la cause.


150. Charade.

Dans la carrière de l’honneur.
Pussiez-vous parvenu jusques à ma première,
Intrépide guerrier, malgré votre valeur,
Hélas ! souvent mon tout vous mit dans ma dernière.


151. Énigme.

Je suis une jeune brunette
Dont, pour les souplesses du corps,
On admire tous les ressorts ;
À la danse, je suis parfaite.

Je me sers souvent de la nuit
Pour faire à qui je veux la guerre ;
Je vais, je viens, je cours et j’erre,
Et jamais je ne fais de bruit.

Je crains pourtant qu’on ne m’attrape,
Ou d’être prise sur le fait :
C’est fait de moi si je n’échappe,
On punit le mal que j’ai fait.

Par une raison surprenante,
On me compare au dieu d’amour ;

S’il inquiète, je tourmente.
Et chacun de nous a son tour.

Si je baise en secret Sylvie,
Je la fais rougir de pudeur ;
Plusieurs voudraient passer leur vie
À jouir d’un si grand bonheur.

Lecteurs, qui cherches la merveille
Que je te cache en ce sujet,
Surtout prends garde à ton oreille,
Je te rendrais plus inquiet.


152. Charade.

 
Un pauvre en sa détresse
Se croit souvent riche avec mon premier ;
Un Gascon rarement dégaine mon dernier
Et plus d’une fois mon entier
Vaut bien autant que sa maîtresse.


153. Logogriphe.

 
Dans ces temps éloignés où le Français encore
De sa splendeur à peine entrevoyait l’aurore,
J’avais su dans l’État m’élever par degré ;
Des emplois, des faveurs, disposant à mon gré,

Je voyais jusqu’aux grands courbés sous ma puissance
M’apporter le tribut de leur reconnaissance.
Aujourd’hui retenu dans un juste devoir.
Je n’ai plus dans mes mains qu’un modeste pouvoir ;
Je porte néanmoins un titre respectable,
Et je tiens dans l’empire une place honorable.
Chargé de proclamer, d’interpréter les lois
Du citoyen je fixe et l’état et les droits,
Toujours avec bonté, douceur et bienveillance,
J’écoute l’opprimé, j’accueille l’indigence ;
Et l’on m’a vu souvent, par de sages avis,
De deux cœurs divisés faire de vrais amis.
Veux-tu de mes cinq pieds déranger la structure
Soit : sans te mettre ici l’esprit à la torture,
Tu vas d’abord trouver l’habitante du ciel
Qu’on représente assise au pied de l’Éternel ;
Du liquide élément une vaste étendue,
Le point qui du chasseur sert à fixer la vue ;
Et puis ce joli mois où l’heureux troubadour
Aimait dans ses chansons à peindre son amour.
Ensuite ce qu’on est lorsque l’on a pris femme,
Un poisson très-commun, une note en la gamme,
Ce qui fait du Français un soldat, un héros ;
Enfin un instrument utile aux matelots


154. Énigme.

Avec nous en tous lieux, en tout temps on se couche.
On nous charge parfois d’or et de diamants ;
Mais quelquefois, lecteur, un seul mot qui nous
touche
A pour nous plus d’appas que tous ces ornements.


155. Logogriphe.

 
De l’Égypte autrefois je faisais les délices ;
Là, mis au rang des dieux (quel travers de l’esprit)
De mon adorateur j’aiguisais l’appétit :
Mais tout, du temps, des lieux, éprouve les caprices
Auprès du Gers on me chérit,
Mais à Paris, haï, proscrit.
Je me vois relégué dans de minces offices.
Sur mes trois petits pieds marchant en sens divers,
Je rencontre d’abord ce prophète pervers
Qui, rival et soutien de Mahomet son maître,
Distribua sous lui des dogmes et des fers.
Tour à tour à la file après je vois paraître
Un mot chez les Chinois symbole du grand être ;
Le signe des douleurs d’un jeune infortuné,
Par les mains d’Apollon à périr destiné ;

Puis un pronom, une note, un poème,
Qui, du temps de Ronsard, fit un plaisir extrême.
Et même de nos jours à quelques partisans…
J’ai fini, cher lecteur ; voilà tous mes enfants.


156. Charade.

 
En courant après la fortune,
Bien des gens perdent mon premier ;
La vie à mon second n’est jamais importune,
À ses yeux elle est mon entier.


157. Énigme.

 
Des couleurs de l’iris quelquefois revêtue,
Je plonge au fond des eaux, ou plane dans la nue.
Par moi l’esprit s’annonce, et parle à tous les yeux.
J’orne le dieu charmant qui préside à Cythère,
L’oiseau fier et hardi qui porte le tonnerre,
L’Africain, l’Indoustan, le messager des cieux.
Fléau du malfaiteur, fléau de l’innocence,
le fais le bien, le mal également ;
Et je puis consoler l’amant
Dans les disgrâces de l’absence,
Par moi, plus d’un gueux s’enrichit,
Plus d’un plaisant se divertit,

Plus d’une belle s’enlaidit,
Plus d’un marchand perd son crédit.
Point d’acte important dans la vie,
Point de solide engagement,
Point de traité, point de serment
Que je ne ratifie.
Arbitre des destins du monde,
J’unis d’un trait les peuples et les rois ;
Je sers à publier les lois,
Et sur moi leur vigueur se fonde.
Quelque juste que soit pourtant cette peinture.
Etre fluet, chétif, et de mince encolure,
Jouet des zéphyrs et du vent.
Vrai symbole de l’inconstance,
Je n’ai par moi nulle excellence,
Et ne suis qu’un faible instrument.


158. Énigme.

 
Je suis le vrai phénix qui renaît de sa cendre :
En sortant du sépulcre où l’on m’a vu descendre,
Par un étrange sort,
Plus digne de pitié que je ne suis d’envie,
Je n’occupe ma vie
Qu’à filer lentement la trame de ma mort.


159. Logogriphe.

Bon ou mauvais avec ma tête.
Méchant ou doux étant sans tête ;
Souvent battu avec ma tête,
Je bats ma femme étant sans tête ;
Parfois j’instruis avec ma tête ;
Je balbutie étant sans tête !
Je déraisonne avec ma tête ;
Je perds la tête étant sans tête ;
On me prend ayant ma tête ;
On me fuit étant sans tête.


160. Énigme.

Sous trois aspects divers je m’offre en mille endroits :
Je suis en même temps douce, agile et brillante ;
Je ne quitte jamais les rochers et les bois ;
Et cependant, bravant la tempête effrayante,
Je suis presque toujours sur l’abime des mers.
Si, forçant brusquement ma prison transparente.
Je brille en un repas, par mille cris divers
Des convives soudain la troupe pétulante
Ve témoigne sa joie et sa gaité bruyante.

Je n’ai ni pieds ni mains ; l’air seul est mon soutien ;
De mes mains, de mes pieds je me sers à merveille ;
Je n’ai point de gosier, je bois et mange bien ;
Je dors de bien bon cœur, jamais je ne sommeille.
J’ai l’œil et le nez fin, je ne vois, ni ne sens ;
Un souffle me détruit ; du vent le plus terrible
La fureur, contre moi, les coups sont impuissants ;
Je suis muette, aveugle, en tout point insensible ;
L’aspect d’un bon dîner réjouit mes esprits ;
Et, quand je suis frappé, je pousse de grands cris.


161. Logogriphe.

 
Je suis de ma nature un être assez petit.
Et, malgré mon grand nom, mon mérite est fort
mince.
Je me couvre parfois du manteau de l’esprit,
Et j’amuse souvent Paris et la province.
Je suis pour les oisifs un objet très commode,
Je vous inscris sans peine au nombre des auteurs ;
Je partage mon trône avec deux de mes sœurs ;
Et, si l’on me méprise on n’est point à la mode
(En province, s’entend) ; et si quelque lecteur
Voulant me disséquer, désire me connaître,
Qu’il cherche dans dix pieds de diverse grandeur :
Aussitôt à ses yeux un métal va paraître ;

Un mal très-répandu, que peut-être il ressent ;
Une exclamation ; le chef d’une famille ;
L’instrument sur lequel on brûla saint Laurent ;
Ce qui toujours distingue un homme d’une fille ;
Ce que cherche un Français en bravant le trépas ;
Et cet objet sacré dont il prend la défense ;
Quoi ! malgré tout cela tu ne devines pas !
Eh bien ! en veux-tu plus ? Je suis en ta puissance.


162. Charade.

 
Mets excellents dans mon premier,
Sont bien accueillis sur ma table ;
Buveur joyeux, j’ai de ma table
Dès longtemps banni mon dernier ;
Au dessert, toujours mon entier
Chargé de fleurs, orne ma table.


163. Énigme.

 
Quoique je ne sois fait que de pierre ou de bois,
Par moi, par mon secours, rien n’est inaccessible :
Je sais l’art de donner des lois
À l’ennemi le plus terrible ;
Il veut en vain me résister,
Un nouveau chemin que je trace

Est suffisant pour le dompter,
Et fait que sur le corps tout le monde lui passe.
De son courroux, de son orgueil,
Je suis l’inévitable écueil ;
Réduit à me céder, il écume de rage ;
Mais ses plus grands efforts fussent-ils employés,
J’en triomphe et j’ai l’avantage
De voir qu’il se réduit à me laver les pieds.


164. Énigme.

 
Lecteur, je m’annonce avec bruit
Et sans jamais causer d’alarmes ;
Pourtant l’effet qui me produit
Fait bien souvent verser des larmes.
Je me répète quelquefois,
Mais toujours dépourvu de grâces,
Et le plus séduisant minois
Fait par moi d’horribles grimaces.
Je fais goûter quelque plaisir ;
Un rien comme lui me fait naître,
Et l’instant qui me donne l’être
Tout aussitôt me voit mourir.
Mais il est temps que je finisse,
Mon récit t’a rendu rêveur.
Courage, allons, mon cher lecteur !
Bon… t’y voilà… Dieu te bénisse.


165. Logogriphe.

Je suis, ami lecteur, chéri de tout le monde,
Plus ou moins, c’est selon, sur la machine ronde.
Nul ne m’a rarement autant qu’il le voudrait :
Me reconnaissez-vous, lecteur, à ce portrait ?
Si ce n’est point assez pour me faire connaître,
Divise tous les pieds qui composent mon être :
En moi tu trouveras un mal des plus affreux,
Ce qui, presque toujours, rend les hommes hargneux ;
Un animal rongeur ; de douze mois l’espace ;
Le cri d’un postillon, pour qu’on lui fasse place ;
Une note en musique : à présent tu me sais ;
Car j’en ai dit par trop, c’est pourquoi je me tais.


166. Charade.

Mon premier sert à faire mon entier,
Ne cherche point, lecteur peu sage,
À dissimuler mon dernier,
Il est presque toujours écrit sur ton visage.


167. Logogriphe.

Je suis à tout vivant meuble fort nécessaire ;
Sans moi tout languirait, esprit, savoir, raison ;

J’ordonne, j’obéis ; du fond de ma prison
Je souffle la paix et la guerre.
Monstrueux assemblage et de bien et de mal.
Je suis, je te l’avoue, un étrange animal ;
Tandis que d’un côté je détruis, j’empoisonne,
J’égratigne, je mords, je foudroie et je tonne ;
De l’autre on voit en moi le plus beau don des
cieux ;
De la société le lien précieux.
Douce, humaine, bienfaisante,
Je suis l’appui des malheureux ;
Sage, équitable, consolante,
Je me plais à louer les mortels vertueux ;
Et toujours attentive à célébrer leur gloire,
Je fais placer leur nom au temple de mémoire.
Enfin, lecteur, si tu le peux,
Décompose, suivant l’usage,
De mes six pieds le bizarre assemblage :
Par un secret peu commun,
Ôtes-en quatre, il n’en restera qu’un ;
Je deviens un état brillant dans l’autre monde ;
Une province en valeur sans seconde,
Qui fut longtemps de Rome la terreur ;
Je sers à fixer la couleur ;
Je suis appas, je suis mesure ;
Je suis pour les vivants du plus sinistre augure ;
Ce que tu prends lorsque tu veux courir ;

Ce que César ne voulait pas souffrir ;
Je suis encore utile en quadrature ;
Voisin fâcheux, d’un pas précipité
Je détruis à la fois l’amour et la beauté.
Puis, tout à coup, jouant un autre rôle,
Au gré des vents sans cesse ballotté,
J’erre souvent de l’un à l’autre pôle.
Rivale des rayons qui nous donnent le jour.
J’emprunte le flambeau que je prête à mon tour ;
Je fais plus : je m’envole au sein de Dieu lui-même,
Et j’annonce aux mortels sa volonté suprême :
À ces signes, lecteur, si tu ne comprends pas.
Va me chercher où tu pourras.


168. Charade.

 
De la nature eussiez-vous en partage,
Vertus, talent, esprit, courage,
Vous ne devez prétendre à rien
Sans mon premier ; c’est bien certain.
Rarement mon dernier est venu sur la terre ;
Aussi, nul de nous n’en a vu :
C’est pour nous un être inconnu ;
Mais il ne l’était pas à notre premier père.
Je définis quel est mon tout,
Qui, je crois, est de votre goût,

Une production rare dans ces contrées,
Mais abondante en d’autres lieux,
Que le marin audacieux
Nous apporte souvent des rives éloignées.


169. Énigme.

 
Je suis une étrange femelle,
Pétillante d’esprit, sans avoir de cervelle ;
Ronde de taille, ou peu s’en faut ;
Brune comme on l’est en Afrique ;
Aveugle et sourde comme un pot ;
Plus combustible qu’un fagot ;
Plus maigre qu’une puce étique ;
Nue enfin comme une relique.
J’inspire en tout climat l’épouvante et l ’effroi ;
Le flambeau de la mort luit toujours devant moi ;
Lorsqu’on veut exercer ma funeste puissance,
On me met en prison sous la garde d’un chien ;
Ce chien, pour m’affranchir, m’offre son assistance ;
Mais il m’anéantit en brisant mon lien.
Quant à mon origine, on me conçut sans mère ;
Je suis fille d’un moine, et j’ai tué mon père.


170. Énigme.

 
Je suis grand ou petit, et ma taille varie ;
Et je n’ai cependant ni plus ni moins qu’un pied

Qui m’a ne fait pas grande envie,
Qui ne m’a pas fait grand’pitié.


171. Logogriphe.

 
D’un héros, sur cinq pieds, je t’offre la patrie ;
Je te nomme un acteur, enfant de la folie,
Dont Paris autrefois admira les talents.
Avec mes quatre pieds, en me décomposant.
De Flore et de sa cour je devins l’ornement.
Mais poursuis, cher lecteur, avec persévérance,
Sur trois pieds des forêts je fais fuir l’habitant,
Hippocrate jadis dans mon sein prit naissance ;
Sur trois encor je sers à tracer un sillon ;
Vers la voûte des cieux je lève aussi mon front ;
Et sur deux pieds enfin, dans le siècle où nous sommes,
Je triomphe de tout, je gouverne les hommes.


172. Énigme.

 
Vingt fois par jour, lecteur, je change de coiffure,
La toilette pourtant a pour moi peu d’attraits,
Et du reste de ma parure
Je ne m’inquiète jamais.
Je quitte rarement mon gîte,

Et cependant toutes les fois
Que l’on vient me rendre visite,
On trouve visage de bois.


173. Logogriphe.

 
Autour de moi quelque soin qu’on se donne.
Pour être plus poli, je n’en suis pas moins dur ;
Mais retranchez mon chef, vous aurez, j’en suis sûr,
De mes fleurs au printemps, de mes fruits en automne.


174. Charade.

 
Pour être heureux en mon entier
Ô toi qu’Amour forma si belle !
Préviens, Iris, de mon dernier
L’aile rapide et trop cruelle :
Et quant au choix de mon premier,
Songe à l’esprit bien moins qu’à l’âme
L’éclair que nous voyons briller
N’offre qu’une légère flamme.


175. Énigme.

 
Je suis le blanc époux d’une brune maîtresse,
Pour me l’ôter du sein il me faut déchirer ;

Quoique je l’aime fort, lorsqu’elle me caresse,
Tout muet que je suis on m’entend murmurer.
Sans qu’on m’ait offensé je chante des injures,
Sans changer de couleur j’ose tout assurer ;
Je provoque au combat et cause des blessures,
Et tout mort que je suis je fais rire et pleurer.
Je cache les secrets, quoique je les découvre ;
Je souffre également et le bien et le mal :
J’ai partout de l’emploi, dans les champs, dans le
Louvre ;
Je sers à la maîtresse, à l’amant, au rival.
J’apprends les bonnes mœurs, et j’enseigne le vice ;
Tout le monde est ravi de mon doux entretien ;
Je sauve du trépas, j’annonce le supplice ;
J’enrichis tout d’un coup, et je n’eus jamais rien.
Je suis le confident et l’héritier des sages,
Je conserve moi seul tous leurs trésors divers :
On lit dessus mon front tous les temps, tous les âges ;
Et l’on y voit dépeint tout ce grand univers.


176. Énigme.

 
Un pied, de ma longueur
Est la juste mesure ;
Il l’est aussi de ma largeur ;
Cependant du carré je n’ai point la figure.


177. Logogriphe.

Prenez un arbre, un élément.
Un des métaux, un sédiment,
Joignez-y ce que fait l’abeille.
Mêlez ensemble tout cela,
Bientôt un diable en sortira
Sans se faire tirer l’oreille.


178. Énigme.

 
Je suis un meuble nécessaire.
Principalement en hiver ;
Prenez-moi dans un sens contraire,
Et je fais dégainer le fer.


179. Logogriphe.

Fille de l’intérêt et de la vanité,
Je suis chère aux plus grands, les rois me trouvent
belle ;
À mes accents il n’est point de cruelles ;
J’humanise l’orgueil, j’adoucis la fierté.
Au village, à la cour, on connaît ma puissance,
Partout je suis la clef du cœur :
Jamais, dès la plus tendre enfance,
On ne m’a reproché qu’un peu trop de fadeur ;

Entre tous mes amants, un seul plut à mon père,
Ce fut l’Esprit, il devint mon époux,
Et ce fut d’un lien si doux,
Que naquit l’art de plaire.
Amis lecteurs, vous trouverez
Dans les sept pieds qui composent mon être,
Un tissu dont jadis vous fûtes entourés ;
Ce qu’au chapeau d’un galant petit-maître,
On ne voit plus éclater aujourd’hui ;
Un ancien magistrat ; un commode réduit,
Dans le temple de Melpomène,
Un laps de temps qu’Armide et Célimène
Trouvent bien court ; un habitant des cieux,
Bien fait, jeune, blond, radieux ;
Une courroie utile en un manège ;
Un animal que l’on trouve en Norwège,
Autre animal encor humble, doux, patient,
Dont Sterne et le fécond Voltaire,
Ont chanté l’humeur débonnaire,
L’esprit bénin et le geste éloquent.
Puis une question ; plus une particule,
Qui parfois sur ma main fît pleuvoir la férule ;
Un fils du Temps, qui, sur ses tristes jours,
Chasse les grâces fugitives,
La candeur, la gaîté, l’innocence naïves,
Et les trop folâtres amours ;
Un élément, deux cités de la France ;

 
L’organe sans lequel il n’est plus d’éloquence ;
En tous lieux, en tous temps, d’un journalier usage,
Lecteur, je suis utile à tout sexe, à tout âge,
Plus ou moins long aussi, selon ceux que je sers,
Ma forme s’accommode à tous les goûts divers ;
L’un veut m’avoir construit en façon polonaise ;
Un autre à l’égyptienne, un autre à la française.
Un adjectif bien cher à votre cœur.
J’offre d’autres rapports, sans doute, mais, lecteur,
J’ai mis à bout toute ma rhétorique.
Je n’aurai point recours aux notes de musique,
Lieux communs dont souvent on use en pareil cas,
Et je finis exprès pour ne m’en servir pas.


180. Charade.

 
Fuyez les chances du premier ;
Évitez l’excès du dernier ;
Et n’éprouvez jamais l’entier.


181. Énigme.

 
Tout à la fois mâle et femelle,
J’habite et sur terre et sur mer ;
Je puis, sans ballon et sans aile,
Paraître, quand je veux, en l’air.
Tout ceci n’est point un mystère ;

 
On me connaît fort aisément,
En voyant la jeune bergère,
Me fouler avec son amant.


182. Énigme.

 
Joliette,
Rondelette,
C’est aux champs
Qu’on me cueille.
Et ma feuille
Aux amants
Sert d’ombrage.
Heureux l’âge
Où la dent
Aisément
De ma loge
Me déloge !
Quelquefois
De mon bois
Retirée,
Et sucrée.
Je parais
Bien blanchette.
De grisette
Que j’étais.


183. Logogriphe.

Dans huit lettres trouvez châtel,
Étole, écho, lacet, hôtel,
Calote, lac, taloche, cole,
Chat, côte, tache, cale, Éole.


184. Énigme.

 
Des dames favori constant,
Je plais aux laides comme aux belles ;
Je les dirige, et cependant
Je suis bien plus fragile qu’elles.
Je ne suis point adulateur,
Je n’ai jamais flatté personne :
Gai, triste, folâtre ou boudeur,
Je prends toujours l’air qu’on me donne.
C’est à mes conseils que l’on doit
De l’art de plaire la recette ;
Vrai petit-maitre, l’on me voit
Présider à chaque toilette.
Les maris n’en sont point jaloux ;
La bonne mère de famille
Me voit sans chagrin ni courroux
En tête-à-tête avec sa fille.


185. Logogriphe.

Je mords les grands quoique petit,
Et cela par pure innocence,
Pour contenter mon appétit,
Mon goût et mon intempérance.
Un instant il faut s’amuser :
Neuf pieds font toute ma structure ;
Lecteur, pour les décomposer,
Donne-toi de la tablature.
Je suis des oiseaux un manger ;
Une ville de l’Italie ;
Du cheval une maladie ;
Un jeu qui n’est point étranger ;
Un poisson de mer ; un herbage
Dont le vendangeur fait potage ;
Un habitant du Canada ;
D’ami l’épithète ordinaire.
Ma foi, lecteur, j’en reste là ;
Car rimer n’est point mon affaire.


186. Charade.

 
Le riche, en mon premier, se loge d’ordinaire ;
Le malheureux, souffrant, en mon second espère.
Et mon tout est souvent sa demeure dernière.


187. Énigme.

Sous les rois fainéants je gouvernai les hommes
Je fus maître au palais, et je suis dans les pommes.


188. Énigme.

 
Il ne faut mépriser personne,
On ne peut trop le répéter :
Tel qui n’a pas une couronne,
Pourrait au moins la mériter,
Et faire trembler sur son trône.
Maint roi qui se laisse entêter
Du faux éclat qui l’environne,
Tel est l’exemple que je donne,
Lorsque, dans un jour de combat,
On me voit du rang de soldat
À celui des grands de l’état
M’élever, sans que rien m’étonne.
De toute la société
Je suis le dernier, je l’avoue ;
Mais, si de moi chacun se joue.
Je peux en tirer vanité ;
Car plus d’un savant personnage,
Plus d’un guerrier et plus d’un sage
S’est de moi souvent occupé,
Surtout lorsque je suis coiffé

 
Pour aller en pèlerinage,
Et que le sort de mes amis
Se trouve entièrement soumis
Au bon succès de mon voyage.
Je ne vais jamais de côté,
Que pour tuer un adversaire,
Qu’une course un peu téméraire
Aurait trop près de moi porté.
Ma marche lente est bien plus sure
Que celle de maint et maint fou,
Que bien souvent, à l’aventure,
On voit courir sans savoir où.
Suivant avec persévérance
Le sentier qui me fut tracé,
Pas à pas toujours je m’avance
Vers le but que l’on m’a fixé ;
Et lentement, avec prudence,
Conduit par une habile main
Je fais à la fin mon chemin ;
Mais, quand j’ai fourni ma carrière,
Changeant et de sexe et de nom,
On me voit changer de manière,
Et d’allure comme de ton ;
Je frappe et d’estoc et de taille
Tous ceux qui s’opposent à moi,
Et je décide la bataille,
En faisant prisonnier le roi.


189. Logogriphe.

j’ai juste quatre pieds, si vous coupez ma tête ;
Je puis en avoir cent, si vous me la laissez.
Vous trouverez chez moi, si vous laissez ma tête,
Ce que j’offre souvent, si vous me la coupez.
Vous me verrez chez vous, si vous coupez ma tête,
Des animaux chez moi, si vous me la laissez.
Je tiendrai lieu de feu, si vous laissez ma tête,
Je puis brûler au feu, si vous me la coupez.
L’on peut me transporter, si vous coupez ma tête ;
L’on ne peut me mouvoir, si vous me la laissez.
Je suis sale en tout temps, si vous laissez ma tête ;
J’aime la propreté, si vous me la coupez.
Pour terminer enfin : si vous coupez ma tête,
À la ville, au village, on pourra me trouver ;
Mais aussi, par bonté, si vous laissez ma tête,
Au village plutôt il faudra me chercher.


190. Énigme.

 
De tous les animaux guide faible et brillant,
Je suis bleu, rouge, vert, jaune, gris, noir et blanc.
Je tourne à tout propos, j’ai plus d’un caractère :
Je suis méchant, perfide, humble, fier, bon, sincère.

 
Modeste, libertin ; je suis doux, furieux ;
Je m’attache à la terre, et je m’élève aux cieux,
Un frère est près de moi qui toujours me ressemble.
Éloquents sans parler, nous inspirons ensemble
L’horreur et la gaîté, l’épouvante et l’amour ;
Nous fuyons le soleil et nous cherchons le jour.
Mais l’amour, se privant de sa flèche à la mode,
Nous cache malgré lui sous un voile incommode.
Le tour est bien méchant, cher lecteur, car il faut
Pour lire cette énigme, en faire voir le mot.


191. Logogriphe.

 
Je réveille
À merveille
Un petit
Appétit.
Que l’on mette
Bas ma tête,
En oiseau
Gros et beau,
Chose étrange !
Je me change.


192. Charade.

 
Mon premier, cher lecteur, est droit comme une
quille ;

 
Mon second, rond comme une bille.
Et mon tout une jeune fille
Que Jupiter trouva gentille.


193. Énigme.

 
Combien de gens qui font mine de se cacher,
Et qui brûlent qu’on les devine !
Moi qui, de bonne foi, veux me faire chercher,
Lecteur, je vais voiler jusqu’à mon origine.
Je sors alternativement
D’un cerf, d’un bœuf, d’une racine.
Ou je me trompe bien, ou l’huître est ma voisine.
Je tiens enfin de près à l’éléphant,
Si l’on ne m’a pas mis au rang des sept merveilles,
Je n’en suis pas moins étonnant.
Bien que je sois petit, il n’est pas moins constant,
Qu’à plus d’un grenadier j’ai frotté les oreilles.
Sans être fin, je démêle aisément
Les choses les plus embrouillées.
Je suis adroit, accommodant ;
Je rafraîchis, je calme en un instant
Les têtes les plus échauffées.
La toilette eut pour moi des attraits en tout temps
La beauté qui sait faire éclore mes talents.
Ajoute tous les jours quelque chose à ses charmes.

 
Je fais peur aux petits enfants ;
Je leur fais verser bien des larmes.
Il est certains petits tyrans
Beaucoup trop communs sur la terre,
À qui, pour le repos d’un grand nombre de gens,
Je fais une éternelle guerre.
Quant à ceux que je tiens une fois dans mes dents.
C’en est bientôt fait de leur vie…
Ne me crois pas pour cela, je t’en prie,
Lecteur, plus dur que je ne suis ;
De grâce ne prends pas le change :
En poursuivant les ennemis,
Je te gratte où ça te démange.


194. Énigme.

 
Chacun à tout moment me montre au bout du doigt.


195. Logogriphe.

 
Les peines, les travaux n’ont rien qui m’épouvante ;
Je résiste aisément aux plus fâcheux revers,
Et celui que j’anime affronte sur les mers,
Avec un air serein, le calme et la tourmente ;
Également tranquille au milieu des combats,
Il voit à ses côtés la mort qui te menace,

 
Semble braver ses coups, et, tout rempli d’audace,
Il l’attend ou bien vole au-devant de ses pas.
Un autre trait, lecteur, me fera mieux connaître,
En me coupant le cou je deviens dangereux ;
Tâche alors d’éviter mes transports furieux.
Quiconque en est atteint, de lui n’est plus le maître.


196. Énigme.

 
Ah ! quel crime mérite un si dur traitement ?
Sans respect pour les lois de la droite nature,
Je vois de faibles corps tires cruellement ;
Une barbare main les met à la torture.
Bientôt une prison les dérobe à mes yeux.
Les feux sont allumés, et le fer étincelle :
Ne crains rien, cher lecteur : cet appareil affreux
Ne tend qu’à rendre Iris plus belle.


197. Logogriphe.

 
Sept lettres peignent ma figure ;
Voici toute ma découpure ;
Écueil en mer très-dangereux ;
Métal dont on est amoureux ;
Source où l’on puise les Sciences
Séjour des pures consciences

Un nom respecté des Français,
Mais moins connu chez les Génois ;
Un saint révéré dans l’église ;
Fleuve qu’en France on préconise ;
Mets de mode à la Saint-Martin,
Qui du peuple fait le festin ;
Un prophète, un ton de la gamme,
Un brillant ornement de femme.
Organe utile et des plus apparents ;
Deux instruments de sons bien différents,
Pour… Ciel ! qu’entends-je ? une cloche maudite
M’appelle, il faut que je te quitte.


198. Charade.

 
De mon premier souvent retentissent les Lois ;
Mon second ici-bas se rencontre parfois,
Et mon tout est charmant s’il tient entre deux
doigts.


199. Énigme.

 
Ne vous étonnez pas si j’ai le corps si plat :
L’eau, le fer et le feu concourent à mon être.
On me met sous la roue, on me presse, on me bat.
Et l’on me fait périr pour me faire renaître.

 
Mon père, toujours mon bourreau,
Quelque temps après ma naissance,
Sans que je fasse résistance,
Me serre et me bat de nouveau.
Avant que de servir, j’ai toujours l’avantage
D’être d’une extrême blancheur,
Et change aussitôt de couleur
Dès que l’on me met en usage.
Enfin, pour n’être composé
Que d’un amas confus de morceaux inutiles,
Je n’en suis pas plus méprisé,
Et j’enrichis la cour, la campagne et les villes.
Par le secours de certains traits,
Sans voix je sais me faire entendre ;
Quelquefois même les muets
Et les sourds peuvent me comprendre.


200. Énigme.

 
Plus on court après moi moins on peut m’attraper.


201. Logogriphe.

 
À Paris, à Florence, un étranger m’admire ;
Je loge Raphaël, Rubens et l’Apollon.
Otez un de mes pieds, j’inspire
Le vieux Homère, Horace, Anacréon.


202. Énigme.

Par les fiers chevaliers jadis mis en avant,
Je leurs sauvait mainte taloche,
Et j’aide encore assez souvent
Leurs humbles descendants qui m’ont mis dans la
poche.


203. Logogriphe.

 
Lecteur, quand je possède et ma tête et ma queue,
Sur l’univers entier mon empire s’étend,
Et je compte un sujet dans chaque être vivant.
Veut-on me retirer et la tête et la queue,
Eh bien ! d’un pôle à l’autre exerçant mon pouvoir,
Je suis l’âme du monde, et je fais tout mouvoir.
Si l’on me restitue et la tête et la queue,
Chez les faibles humains j’imprime la terreur,
Et laisse sur mes pas, les regrets, la douleur.
Mais qu’on mette à l’écart et ma tête et ma queue
Je deviens à l’instant un objet séducteur,
Qui conduit sans détour aux portes du bonheur.
En me rendant encor et la tête et la queue ;
Si je frappe parfois au coin du déshonneur,
Au champ de Mars aussi j’honore le vainqueur.

 
En me privant enfin de ma tête et ma queue,
Combien je suis puissant ! Jupiter amoureux
Brûlait en vain, c’est moi qui le rendis heureux.


204. Charade.

Dans mon premier je vais ou vite ou lentement ;
Quand je joins mon second je vais comme le diable ;
Mais si tu réunis mon tout adroitement,
Je ne suis plus mobile, alors je deviens stable.


205. Énigme.

Souvent, par un défaut de l’art,
De mon emploi je suis frustrée,
Et dans la poussière ignorée,
J’en sors par l’effet du hasard.
Vous, à qui je suis attachée,
Vous, que je sers, sexe charmant,
Quand je tiens la beauté cachée,
Sous le pli de quelque ornement,
Ah, que mon sort est différent !
Nécessaire à votre parure,
Quelquefois je règne à mon tour
Sur ce trône que la nature
Élève au gré du tendre Amour ;
Où la pudeur et le mystère

 
M’imposent de sévères lois
Contre tout amant téméraire
Qui prétend usurper mes droits.
Je ne suis pas toujours ingrate ;
Mais malgré ses pressants désirs,
Je suis pour l’âme délicate
le sceau sacré de ses plaisirs.


206. Énigme.

S’agit-il de la vérité ?
On se la dit rarement à soi-même ;
Si de la faire entendre un autre était tenté,
Cet autre commettrait une imprudence extrême,
Et serait partout détesté,
Moi, je la dis toujours, et cependant on m’aime.


207. Logogriphe.

Dans mon entier, lecteur, je présente un métal
Et six pieds de mon nom forment l’architecture.
En me décomposant et changeant ma structure,
Tu trouveras d’abord une peau d’animal,
Tu vois de plus ce mot dénotant la fureur,
Ce qu’on pousse souvent par surprise ou par peur,
De musique une note, une ville de France,

 
De l’abeille un produit, et puis notre existence,
Cet endroit vers lequel soupire tout marin,
Enfin l’état d’un homme abruti par le vin.


208. Énigme.

Des deux sexes connus je tiens au plus léger ;
Pourtant je suis femelle et me plais à changer ;
Je traverse les airs d’une course rapide ;
Par moi le trépas vole, et suit le fer perfide ;
Aglaé, s’échappant du milieu des plaisirs
Vient assoupir sur moi ses mourants souvenirs ;
J’embellis du guerrier la menaçante armure,
J’orne de la beauté l’élégante parure ;
Mais parfois m’entr’ouvrant sous l’acier destructeur
Une couleur funèbre altère ma candeur ;
De la main qui me guide alors tenant la vie,
Je maudis mon destin ou je m’en glorifie ;
Je fais grâce au coupable ou l’envoie au trépas ;
J’affermis un ministre ou je le jette à bas.
Sensible avec Racine, avec Ducis brûlante,
Sublime avec Lavigne, avec Janin mourante,
Je lègue à mes enfants, mère sans équité,
Ou l’épicier vengeur, ou l’immortalité.
Et cette énigme, enfin, instrument de tes peines,
J’en suis la mère aussi ; mon sang court dans ses
veines.


209. Logogriphe.

On sent, à mon aspect, une frayeur soudaine ;
Mais en perdant mon cœur, sans en être en courroux,
Comme un forçat portant la chaîne ;
J’annonce ce qu’on aime à passer près de vous.


210. Charade.

 
À la tête voyelle.
Et note à mon talon,
Lecteur, mon tout n’est bon
Qu’autant qu’il est fidèle.


211. Énigme.

 
Cinq voyelles, une consonne,
Voilà ce qui forme mon nom ;
Et je porte sur ma personne
De quoi l’écrire sans crayon.


212. Énigme.

 
Il fut un temps où j’étais en honneur.
Alors d’un voile impénétrable

 
Heureux amant, je cachais ton bonheur,
Et ton bonheur en était plus durable.
De la jeune beauté dans un cercle nombreux
J’étais aussi le compagnon fidèle,
Lui parlait-on ? elle baissait les yeux ;
J’en avais plus d’attraits, elle en était plus belle ;
Et si parfois on enfreignait mes lois,
Un instant oublié, mais toujours auprès d’elle,
Je reprenais bientôt mon empire et mes droits.
Que les temps sont changés ! On me fuit, et je crois
Que pour longtemps ma personne est bannie,
Je plaisais, à présent j’ennuie
Et suis réduit à me cacher.
Si tu veux me trouver, ne va point près des femmes ;
Peut-être que longtemps tu pourrais m’y chercher :
À l’égal de la mort, je suis haï des dames ;
Ne viens pas dans les camps, car je crains le canon ;
Mais dans les bois, à l’abri d’un vallon
Qu’ont respecte cent ans et les vents et l’orage ;
Près de paisibles eaux, sous un tranquille ombrage,
Si tu m’en crois, viens diriger tes pas,
Surtout sois seul, et tu me connaîtras.


213. Logogriphe.

Je suis un animal ; sa maison ; un empire.


214. Énigme.

Je suis un mot à double sens ;
Jeune beauté, n’en prenez point d’ombrage :
J’offre des plaisirs innocents,
Vous me goûtez, sans cesser d’être sage.
L’œil est flatté de ma vive couleur ;
J’ose disputer de fraîcheur
Avec la plus belle personne.
Fléau de mille êtres vivants,
Plus j’en détruis, plus je suis bonne.
Un vaste empire est peuplé d’habitants
Qui diffèrent d’habit, de taille et de visage ;
C’est là que j’aime à porter le ravage ;
J’y suis funeste aux petits comme aux grands,
Aux opprimés comme aux tyrans.
Les plus doux des humains s’amusent de mes crimes ;
Ils aiment à compter mes nombreuses victimes.


215. Logogriphe.

 
Sur mon sein la gaîté, l’ennuyeuse tristesse,
La pétulante joie et les plus noirs soucis.
Le travail vigilant et la lente mollesse.
Parfois en même temps sont côte à côte assis.

 
Ce n’est pas tout encor, décompose mon être :
J’ai six pieds, aisément tu pourras me connaître,
De la belle Syrinx en moi cherche l’amant ;
Cette noce où se fit un prodige éclatant ;
Le trompeur vêtement du Guillot de la fable ;
Cet animal braillard qui fit un jour l’aimable ;
Une cité célèbre au pays des Normands ;
Un terme fort connu dans la géographie ;
D’un habitant des lacs la compagne chérie.
Si j’en dis plus, lecteur, j’abuse de ton temps.


216. Charade.

Lorsque je veux tenter le sort,
Mon premier m’est toujours contraire ;
Mon second annonce la mort
Du cerf auquel je fais la guerre.
Sans mon tout, le spectacle aujourd’hui nous endort.


217. Énigme.

De cinq façons, lecteur, je ressemble à l’Amour :
Comme lui je porte des ailes ;
À la beauté ce dieu sait jouer plus d’un tour ;
Comme ce dieu, je fais mille larcins aux belles.
Chacun le trouve charmant……

 
Je rencontre peu de cruelles ;
On le dit inconstant ;
Je fais, à tout instant,
Des conquêtes nouvelles.
Le cinquième rapport entre nous, le voici :
L’Amour se plaît aux champs, moi, je m’y plais
aussi.


218. Énigme.

À la candeur qui brille en moi
Je joins le plus noir caractère ;
Il n’est rien que je ne tolère,
Mais je suis méchant quand je bois.


219. Logogriphe.

Je suis gracieux et brillant,
Et pourtant je suis invisible.
Tantôt je suis affable, honnête, sémillant ;
Tantôt méchant, bourru, dangereux et terrible.
Si je me montre arrogamment,
Souvent aussi j’aime à ne point paraître.
Enfin c’est moi qui seul, en ce moment,
Chloé, vous aide à me connaître.
Six pieds forment mon corps, et vous y trouverez
Ce qui du laboureur renferme le salaire ;

 
L’ordre prescrit pour nos devoirs sacrés ;
Ce que tous les cinq jours on donne au militaire ;
Un plant dont le doux fruit subjugue la raison ;
Ce que l’on voit, Chloé, voltiger sur vos traces ;
Et, sans décomposition,
Chez vous j’accompagne les Grâces.


220. Énigme.

Dans le monde je suis tellement nécessaire,
Que personne aujourd’hui ne se passe de moi ;
Avant que d’exister je suis une matière
Tantôt de précieux, tantôt de mince aloi.
Des souverains, des rois je reçois la naissance,
Eux seuls ont le pouvoir de me donner le jour ;
Et lorsque par leur ordre on m’ôte l’existence,
C’est encor pour renaître et mourir tour à tour.


221. Logogriphe.

Avec ma tête, on peut me voir au firmament ;
Sans ma tête, ici-bas, je sers pour vêtement.


222. Charade.

Au jeu de cartes quelquefois
Mon premier vaut mieux que les rois ;

 
Mon second, dans l’autre hémisphère,
Semble cacher sa tête altière
Dans le vide immense des cieux
Et provoquer même les dieux.
Une reine aima mieux mettre fin à sa vie
En portant mon tout à son cœur,
Que d’aller déposer sa couronne avilie
Aux pieds d’Auguste son vainqueur.


223. Énigme.

J’ignore dans quel temps l’homme me fit paraître,
Mon pays, et le nom de qui me donna l’être :
Il n’importe au surplus, il suffit que je suis
Utile aux grands aussi bien qu’aux petits ;
Que les premiers de moi font plus d’usage,
Et que je suis enfin un meuble de ménage.
Mon véritable logement
Est en lieu chaud de peur du rhume,
Juché, cloué fort inhumainement
Sur un lit qui n’est pas de plume.
J’ai beau crier dès qu’on me fait agir,
De mes tourments sembler gémir,
On ne me traite pas avec moins de rudesse ;
Je dois encor marcher d’une égale vitesse
On m’y force, lecteur, mais devinez par où
C’est en pendant une pierre à mon cou.


224. Énigme.

 
Je suis un mot léger formé de cinq voyelles ;
Une S est le seul nœud qui les unit entre elles.


225. Logogriphe.

 
Sans ma tête et ma queue, enfant de la douleur,
Je suis souvent encor enfant de l’allégresse ;
Avec trois pieds coupés, le poëte sans cesse
Et m’invoque, et me trouve, et dans sa belle humeur,
À l’instant même il me marie ;
Mais souvent il me mésallie ;
Et riche et pauvre tour à tour.
Je fais suivre ose à rose, et Sophie à jolie.
Les plaisirs aux soupirs, un beau jour à l’amour.
Avec sept pieds, innocent exercice,
J’ai pu pourtant te mettre un poignard à la main,
D’un ami, d’un rival tu visas droit au sein,
Tu frappas son cœur même et, sortant de la lice,
Tu fus vainqueur heureux, et non pas assassin.


226. Énigme.

 
Je suis de tout temps quoique enfant ;
Mon père vit dans le carnage,

 
Ma mère a fait jaser souvent ;
Ma sœur, honnête, douce et sage,
Vaut mille fois mieux que nous trois,
Et n’a personne sous ses lois.
De l’Olympe à l’humble chaumière,
J’embrasse la nature entière.
Je visite peu les palais ;
Je fuis la grandeur, l’opulence,
C’est dans les champs que je me plais.
Je suis colère, un rien m’offense ;
Je suis bon, facile, indulgent,
Je suis léger comme le vent,
Et je me pique de constance.
Je suis timide, circonspect,
Hardi, violent, plein d’audace.
Je peste, je gronde et menace,
En parlant toujours de respect ;
Je suis gai jusqu’à la folie,
Et souvent des plus grands plaisirs
Je passe à la mélancolie ;
Impétueux dans mes désirs,
Quelquefois, suivant l’occurrence,
Je sais m’armer de patience.
Je suis aveugle, clairvoyant ;
Je ne vois rien, rien ne m’échappe.
Je suis crédule, défiant ;
Tout m’est suspect et tout m’attrape.

 
J’éclate et parle sans raison ;
Je cherche l’ombre, le mystère.
Je suis un baume salutaire ;
Je suis le père de la vie,
J’enfante de mortels combats.
J’aime la paix et l’harmonie,
Et je trouble tout ici-bas.
Je suis trompeur, plein d’artifice,
Et cependant simple, ingénu.
J’enflamme l’honneur, la vertu ;
Je souffle le crime et le vice.
De tous les biens, de tous les maux,
Je suis le bizarre assemblage.
Je suis, pour finir en deux mots,
Sans vous amuser davantage.
Le sujet de tous les discours.


227. Logogriphe.

Sans rien ôter et sans rien mettre.
Mais en renversant chaque lettre,
On trouve en moi, par un détail succinct,
Une bête, un royaume et la place d’un saint.


228. Charade.

Mon dernier du premier affaiblit les ardeurs,
Et mon tout ceint l’amour d’épines ou de fleurs.


229. Énigme.

Je suis depuis longtemps au monde
À bon usage on m’inventa ;
On me fit d’une forme ronde,
Mais surtout on me garrotta.
Moins j’en ai de sujet et tant plus je raisonne,
Cependant on ne voit personne
Qui soit plus réservé que moi
Et plus serré dans son emploi.
Le liquide me plaît plus que toute autre chose ;
Pour conserver mes jours, il faut que l’on m’arrose,
Sans quoi je périrais, et je vaudrais si peu,
Qu’il faudrait tôt ou tard me condamner au feu.
Je ne suis jamais mieux qu’à l’ombre ;
Mon domicile est un lieu sombre ;
Car, attirés par mes appas,
Certaines gens sont à ma suite,
Et souvent me rendent visite :
Je porte quelquefois une divinité ;
Enfin, à la faveur de ma captivité,
Et la philosophie, et l’histoire, et la fable,
Ont rendu mon nom mémorable.


230. Énigme.

Je suis un joli corps, d’un très-léger volume,
Qui va, revient dans l’air, et sans pied porte plume.


231. Logogriphe.

Je produis en tous lieux le trouble et l’injustice,
Et sans considérer vertu, ni probité,
Du fourbe et du méchant j’entretiens la malice :
Le vrai par moi n’est jamais respecté,
Abusant les mortels, j’ai servi plus d’un traître :
Tu dois, ami lecteur, aisément me connaître,
Par ce tableau sincère et non flatté.
Huit pieds forment mon existence
En les décomposant sous des traits gracieux,
Je t’offre le doux nom que te permet Hortense,
Dans vos entretiens amoureux ;
Le temps, qui rend la mer tranquille ;
Le doux fruit d’un travail qui te sert de leçon ;
Et l’excrément d’une aimable boisson ;
Dans la Normandie une ville ;
Ce que jadis au camp de Porsenna,
Suivant l’histoire, un Romain se brûla ;
Le séjour où de Dieu les saints chantent la gloire ;
Un athlète fameux ; le roi des animaux ;
Le lieu d’où viennent les métaux ;
Celle des doctes sœurs qui préside à l’Histoire ;
L’être qu’on reconnaît aux doux élans du cœur ;
Cet oiseau, dont le cri sauva le Capitole ;
Ce souffle, qui du corps vers l’Éternel s’envole ;

 
Deux notes de musique ; un instrument rongeur ;
Un fleuve, dont les eaux procurent l’abondance ;
Un stupide animal ; une province en France ;
Le mois qui vient tout ranimer :
J’en ai trop dit, tu dois me deviner.


232. Énigme.

On voit marcher sous ma tenture
Et l’honnête homme et le fripon :
On me voit de toute mesure,
Neuf ou revêtu d’un jupon ;
Mais toujours en habit de soie
Je m’étale chaque saison ;
Et lorsque ta main me déploie,
J’intercepte ton horizon.
Toujours sur un pied je voyage,
Et cependant, tout seul, je ne puis faire un pas ;
Mais, suivant le nouvel usage,
Quand je marche, chez moi le haut se place en bas.
Ainsi, pour les gens à la mode,
Je deviens utile et commode.


233. Logogriphe.

Un seul mot dans cinq pieds, sans y rien retrancher,
Vous en fournira cinq, si vous savez chercher ;

 
Transposez-les si bien qu’en prenant chaque lettre,
Vous commenciez celui que vous voulez connaître.
Le premier en hiver sert dans notre maison,
Et devient inutile en toute autre saison.
Vous portez le second : quoiqu’en votre structure
Il soit essentiel, c’est souvent une injure.
Le troisième déplaît au goût, à l’odorat ;
On peut le rejeter sans être délicat.
Sur mer le quatrième aide à vaincre l’orage :
C’est dans ce seul endroit qu’on en peut faire usage.
Le dernier, cher lecteur, est peut-être sur vous ;
Car on le voit briller dans les plus beaux bijoux.


234. Charade.

Un jour, faible mortel, mon premier vengera
L’insulte que tes pieds font à son territoire ;
Et pour bien assurer sa terrible victoire,
Que fera-t-il ?… Hélas ! il te dévorera.
Autant il est cruel et difficile
De s’endormir sur mon dernier,
Autant il est doux et facile
De folâtrer sur mon entier.


235. Énigme.

Dès le point de notre naissance
Nous causons des gémissements ;

 
Quand nous finissons notre temps,
C’est encor nouvelle souffrance.
Nous habitons un humide séjour,
Et ne faisons aucune grâce
À tout ce qui par cher nous passe ;
Nous le détruisons sans retour.
Lorsqu’on nous tire ou qu’on nous coupe,
C’est pour nous le dernier malheur :
Le bel ordre et notre blancheur
Font la beauté de notre troupe.


236. Énigme.

À deviner je dois être facile,
Car, dans l’exacte vérité,
Je fus toujours, aux champs comme à la ville,
De la plus grande utilité.
C’est par dehors, je t’en proviens, lecteur,
Qu’il faut me voir, si le noir te fait peur.
Un mot encore : en certaine saison
Je suis presque toujours d’un très fréquent usage ;
Aussi voit-on chacun m’accorder l’avantage
D’occuper une place au moins dans sa maison.


237. Logogriphe.

À mon aspect le plus hardi frissonne ;
Déplace deux pieds, cher lecteur :

 
Riche attribut de la grandeur.
Les rois me portent sur le trône.


238. Énigme.

De grâce, accordez-moi, disait Lise à son père
Ce que vous n’avez pas et ne pouvez avoir.
Et que de me donner, vous avez le pouvoir…
Quel était donc l’objet de sa prière ?


239. Logogriphe.

Dans Rome, cher lecteur, sur un profane autel,
Jadis le feu sacré fut commis à ma garde :
Sous un second aspect un habile mortel,
M’observant dans les cieux, du haut de sa mansarde
Conclut et prononça qu’onze frères et moi,
Portant tous chaque nuit figure enluminée,
Nous embrassons le temps, nous lui faisons la loi,
Et guidons, tour à tour, chaque mois de l’année ;
Sous un troisième aspect, merveilleux, consolant,
Des faveurs du Très-Haut sage dispensatrice,
Dans des cas épineux au pécheur pénitent,
Je présente sans cesse une main protectrice.
Si mon nom, cher lecteur, est encore un secret,
Je vais, pour toi, subir quelques métamorphoses,

 
Et d’un mûr examen, les passant au creuset,
Tu pourras démêler mes différentes causes.
J’offre un des châtiments qu’on inflige au délit ;
Un lieu voisin des flots ; un mouvement subit ;
L’oiseau qui se nourrit des grappes de la treille ;
Ce que paraît souvent l’ami de la bouteille ;
Une antique cité dans un riche canton,
Dont l’habitant ne dit jamais oui, jamais non ;
Ce qu’un fils de Jacob expliqua dès l’enfance ;
Ce qui, du nautonier luttant contre les flots,
Par sa proximité, ranime l’espérance ;
L’insecte qui se plaît dans la nuit des tombeaux ;
Cette amante, en un mot, si tendre et si célèbre,
Dont on lit à regret les maux et le tourment,
Quand, (j’en frémis encor,) le cœur de son amant
Devint pour elle, hélas ! un aliment funèbre.
Adieu, lecteur, adieu, puisses-tu me trouver
Dans celle que le sort voudra te destiner !


240. Charade.

Sans mon premier, pour l’homme il n’est point d’existence ;
De mon dernier sur l’onde on craint la violence ;
Mon tout offre un asile à la faible innocence.


241. Énigme.

Je suis pointu, carré, rond, long, petit ou gros,
À se servir de moi chaque jour ou s’apprête ;
Et soit qu’un régiment marche ou reste en repos
On me voit toujours à la tête.


242. Énigme.

Sans exception de personne
Je sers le riche et l’indigent ;
L’on me confie une couronne,
De même qu’un vil instrument.
Gardienne de la Justice,
Et la sûreté des marchands,
J’aide quelquefois sans malice,
À favoriser les méchants :
Par mon moyen plus d’une belle
D’un jaloux se met à l’abri,
Conduit une intrigue nouvelle,
Et la fait cacher au mari.
J’ai une sœur fort sédentaire,
Sitôt que nous nous accordons
Tout va bien ; mais pour l’ordinaire
Tout va mal quand nous nous brouillons,


243. Logogriphe.

Trois pieds composent ma structure ;
Je suis aride, chauve et dur de ma nature,
Mais, si l’on me prend au rebours,
Je puis faire un vacarme à rendre les gens sourds.


244. Énigme.

Je disparais toujours d’une vitesse extrême ;
Car un même moment me voit naitre et périr :
Si je brille en naissant, ma mort brille de même ;
L’air est ma sépulture. Adieu, je vais mourir.


245. Logogriphe.

Une étroite prison, à te parler sans feinte,
M’enferme, ami lecteur. Au pouvoir de mes lois
J’enchaîne les sujets, et je soumets les rois ;
À leur faible raison souvent je porte atteinte.
D’Iris que j’embellis je suis le truchement
J’alarme tour à tour et rassure un amant.
En cherchant mes huit pieds, si tu veux me connaître,
Lecteur, en un moment tu vas me voir paraître :
Je renferme un des tons trouvés par Arétin ;
De l’homme vertueux quel sera le destin ;
Un meuble fort utile ; un fruit ; une contrée

Où croit une liqueur à Bacchus consacrée ;
L’ornement des cités ; un litre précieux ;
Un vase où l’on gardait, par un zèle pieux,
Les cendres des héros ; un mal assez funeste ;
Un astre lumineux de la voûte céleste ;
Ce qu’un vil intérêt, l’aiguillon du nocher,
Jusques au sein des mers nous fait souvent chercher.


246. Charade.

Que le Champagne emplisse ma première,
Et que Jenny l’accepte de ma main :
Que sur sa tige on voie éclore ma dernière,
Et que de la beauté j’ose en parer le sein :
Mais mon tout gâterait son teint ;
Laissons-le chez l’apothicaire.


247. Énigme.

Seul, on n’est bon à rien, et chacun vous oublie :
Si l’on parle de moi, ce n’est qu’avec mépris ;
Mais que je me rencontre en bonne compagnie.
De mon mérite alors on connait tout le prix,
À la société je dois mon existence,
Elle est toujours pour moi ce que l’âme est au corps.
Je ne suis point ingrat, et par reconnaissance,
Tous mes associés partagent ma puissance,
Et je les rends dix fois plus forts.
Démon nom quel lecteur n’aurait pas connaissance ?


248. Énigme.

 
Autrefois ce n’était qu’au sage
Que l’on pouvait donner mon nom.
L’extravagance de notre âge
Le donne à des brise-raison,
Esprits forts, dont la triste audace
Détruit tout ce qu’on a de bon :
Goujats que ne les nomme-t-on ?
L’architecte seul peut construire,
Goujats suffisent pour détruire.


249. Logogriphe.

Je suis un enfant du plaisir.
Sur un siège couleur de rose,
On me voit et naître et mourir.
Je tiens des gens la bouche close,
Et, pour me mettre en fuite, il suffit de l’ouvrir.
Lorsque j’applaudis en silence
Aux traits d’un esprit délicat,
Mon étourdi de frère, enclin à la licence,
N’approuve jamais rien sans faire un grand éclat.
Nous savons cependant exprimer la censure,
Moi, suivant mon naturel doux ;
Lui, presque toujours sans mesure :

Aussi le range-t-on souvent parmi les fous.
Je marche sur sept pieds ; non pas comme une bête,
Mais comme un logogriphe a marché de tout tems ;
Mais aussi plus qu’un autre, ouvert, affable, honnête,
Et donnant un sourire à vos jeux innocents.
Vous trouverez en moi, oui, c’est chose facile,
Ce qu’un roi doit toujours se montrer à nos yeux ;
Ce qu’en ses actions, dans ses plans, dans ses vœux,
On considère seul, aux champs comme à la ville.
Que dis-je ? en ce moment où chacun songe à soi,
Où la gloire, où l’honneur n’ont rien qui vous attire,
Quel plaisir de trouver en moi
Ce qui sur vos égaux peut vous donner l’empire !
Or, vous en conviendrez, je crois,
C’est le nec plus ultrà de tout ce qu’on désire.
Muse de nos concerts, viens nous aider un peu !
Sans toi, sans ton secours quelle énigme s’explique ?
De tes sept notes de musique
N’oserai-je indiquer une au moins ? Si parbleu !
Mais qu’entends-je ? Est-ce point cette nymphe
éternelle
Qui, ne pouvant jamais garder l’incognito,
Vous déclare d’abord qu’elle est la nymphe Io ?
En effet, mes amis, c’est elle :
Mais, malgré cet aveu qui semble soulager
Votre esprit déjà moins en peine,
Il est bon que je vous apprenne

Qu’il vous reste un os à ronger,
De la difficulté qu’ici je vous propose,
Si la jeune Chloé daigne se divertir,
En prononçant le mot elle offrira la chose ;
Oui ; je naîtrai pour l’embellir :
Et même, pour prouver qu’en recelant la rose,
Je puis encor l’épanouir.


250. Énigme.

Je suis droite et ronde en affaire,
J’ai les dehors polis : j’allie à la douceur
Une fermeté nécessaire.
Mais chaque pas qu’on me voit faire
Est marqué par une noirceur.


251. Logogriphe.

Je fais sur mes six pieds pâlir le matelot ;
De même sur cinq pieds il pâlit à ma vue ;
Sur six, cinq et trois pieds, je suis le même mot,
Et mon front quelquefois se montre dans la nue.


252. Charade.

La chose extraordinaire !
Je suis plante potagère,

Et mon premier, mon dernier
Le sont comme mon entier.


253. Énigme.

On vient me consulter pour savoir les saisons,
Et quand le soleil entre en ses douze maisons,
De la terre et du ciel j’enclos les destinées,
Et plus je suis nouveau, plus je compte d’années.


254. Énigme.

Je suis de l’espèce femelle,
Et pourtant je ne parle pas,
À tout venant j’ouvre les bras
Sans cesser d’être demoiselle.
Je vais, les poings sur les côtés,
Battant tous les chemins de France,
Promener de tous les côtés
Le grand goût que j’ai pour la danse ;
Mais, à ce métier, j’ai trouvé
Qu’hélas ! on ne s’enrichit guère ;
Aussi, durant ma vie entière,
Suis-je toujours sur le pavé.


255. Logogriphe.

Sur mes six pieds on me présente
Avec respect, avec espoir,

Sur cinq, plus d’une main charmante
Dès le matin me noue, et me dénoue au soir ;
Mais plus d’une bête imprudente
Meurt victime de mon pouvoir.
Sur trois pieds, ma surface et liquide et brillante
Offre à tes yeux un immense miroir ;
Et sur deux pieds, lorsque l’on chante.
Pour chanter juste il faut m’avoir.


256. Énigme.

Souvent je change de nature,
Et mon usage est assez singulier ;
Tantôt je sers au cavalier,
Tantôt je nourris sa monture.
De légumes, parfois, je me compose aussi :
À mon sujet, maint étourdi,
Sans réfléchir, cherche dispute ;
Alors, il faut en venir sur le pré ;
Alors, pour se tirer sain et sauf de la lutte.
Heureux celui qui me porte à son gré !


257. Logogriphe.

Chacun court après moi, rarement on me trouve ;
Plus je suis délicat, mieux je me fais sentir.
Mais hélas ! trop souvent l’indiscret qui m’éprouve,

De sa vivacité pourra se repentir.
Je marche sur sept pieds ; si tu me décomposes,
Tu trouveras en moi maintes métamorphoses ;
Regarde quels trésors je renferme en mon sein :
J’offre à tes yeux une cité brillante
Qui surprend l’étranger, le ravit et l’enchante ;
Un des quatre éléments ; ce qui tient lieu de pain
Chez un peuple qu’à tort nous traitons de barbare
La femme de Jacob ; un titre jadis rare,
Aujourd’hui devenu celui du genre humain ;
Une marque de joie ; une pierre estimée,
Utile à la peinture et de grains d’or semée.
C’en est assez, lecteur ; si pour me deviner,
Tu me ressens, bientôt tu vas me soupçonner.


258. Charade.

Deux fois dans le Français on trouve mon premier ;
Il n’est buveur qui n’aime à dire mon dernier ;
Le voyageur évite avec soin mon entier.


259. Énigme.

Triste et malheureuse victime,
Sans avoir commis aucun crime.
On me consume à petit feu.
Je fais les honneurs d’une fête ;
En mourant je monte à la tête :
C’est ainsi que je dis adieu.


260. Logogriphe.

Sous deux faces je me présente…
Instrument parfois dangereux.
Je suis utile, bienfaisante,
J’unis tous les hommes entre eux.
Je suis vieille comme le monde,
Et j’instruis les peuples divers ;
En merveilles je suis féconde ;
Je charme en prose comme en vers.
Sans être épouse, je suis mère,
Et j’ai des rejetons charmants ;
Mais je sais, quoique douairière,
Plaire encor mieux que mes enfants.
D’un maître interprète fidèle,
Dans tous ses plaisirs de moitié,
Je sers avec le même zèle,
Les arts, l’amour et l’amitié.
Il faut encor que je m’accuse…
Pleine de douceur et de miel,
Quand, hélas ! de moi l’on abuse,
Je répands l’absinthe et le fiel…
Ami lecteur, c’est trop en dire :
Sur moi le mot vient se placer ;
Mais, sans moi, ce mot qu’on admire
Tu ne pourras le prononcer.


261. Énigme.

Mets quatre lettres à mon nom ;
Chez toi, lecteur, est ma prison.
Si tu retranches la première,
Je ne suis plus qu’un franc oison ;
Mais n’effaçant que la dernière,
Qui me suit a toujours raison.


262. Énigme.

Je dis le bien, le mal, le vrai comme le faux,
Je suis sérieux et frivole ;
À tout instant je change de propos ;
Le tout sans dire une parole.
En cent lieux à la fois je puis me faire entendre.
À peine suis-je né,
Que l’on s’empresse de me vendre,
Peu de chose à la vérité.
Chaque jour je renais.
Tout semblables à moi l’on me voit bien des frères,
Nous n’avons point de mère et comptons plusieurs
pères.
Nous portons même nom sans le porter jamais ;
Ma personne est légère ainsi qu’inanimée.
Et j’ai bien du rapport avec la renommée.


263. Logogriphe.

Sur quatre pieds, je suis audacieuse,
Vaine, pleine d’attraits, on m’offre des autels ;
Et cependant je soumets les mortels
À mon humeur capricieuse ;
Un pied de moins, je suis lyrique, harmonieuse,
Et je rendis Horace et Pindare éternels.


264. Charade.

Dans presque tous les corps mon premier prend
naissance,
Trouve ses aliments, y fait sa résidence ;
Mon dernier, très-puissant, exprime tour à tour
Le mépris, l’amitié, la colère ou l’amour ;
Pour mon entier, que l’univers admire,
On le vante, on l’exige en tout autre que soi ;
Mais chacun en secret se soustrait à sa loi,
Lecteur, pour deviner, cela doit te suffire.


265. Énigme.

Je suis la rivale des belles,
Je leur ôte des cœurs et j’en brûle pour elles ;
Je brise ma maison plus vite que le vent ;

C’est pour m’y retenir qu’on me lâche souvent.
J’excite sans égard et les ris et les larmes,
Je ramène la paix, je fais courir aux armes,
J’enfante la folie, et j’aide à la raison :
Pour l’un je suis un bien, et pour l’autre un poison.
Je renverse et soutiens ; on en rit, on me gronde.
On me trouve à la fois sur la terre et sur l’onde.
Le plus riche mortel possède mes faveurs ;
Le plus vil, comme lui, savoure mes douceurs :
Sage ou prostituée, il n’importe, on m’adore.
On déchausse une belle, on me décoiffe : quoi !
Tu ne peux, cher lecteur, me deviner encore ?
Il faut donc que tu sois aussi bouché que moi.


266. Énigme.

En peu de mots, voici les traits
Auxquels on peut me reconnaître :
J’aime à parler, j’aime à paraître ;
J’aime à prôner ce que je fais ;
J’aime à grossir ce que je sais ;
J’aime à juger, j’aime à promettre ;
J’annonce les plus beaux secrets :
Je n’en ai qu’un, celui de mettre
Tous les sots dans mes intérêts.


267. Logogriphe.

Huit lettres composent mon nom,
Et j’en puis former plus de mille.
Les détaillerai-je ici ? non,
Cela ne serait pas facile.
Contente-toi, mon cher lecteur,
D’y trouver celui de ton maître.
De ton égal, de ton inférieur,
De celui qui te donna l’être.
Si cependant tu veux le tien,
Celui de ton Éléonore,
Et de son chat et de son chien,
Tu les y trouveras encore.


268. Énigme.

Chez les moines séditieux
Je fus souvent tumultueux ;
Chez les chanoines orgueilleux
J’étais un peu trop fastueux ;
Mais dans un livre, jeune ou vieux,
Je suis toujours silencieux :
Devine-moi, si tu le peux.


269. Logogriphe.

Sur dix pieds, cher lecteur, au gré de ton envie,
Je t’apprends à régler le cours de cette vie.
Et tu pourras connaître aisément qui je suis,
Quoiqu’on m’ait, de nos jours, voulu changer de face,
C’est surtout aux comptoirs que je trouve ma place.
D’ailleurs, étant commun et d’un modique prix,
À gens de tous étals je deviens fort utile ;
Aux plus sages d’entre eux j’offre même un asile.
En me décomposant tu trouveras dans moi
Le nom d’un grand prophète, et celui d’un grand roi
Qui fut usurpateur d’un trône de l’Asie ;
Celui qui, dans son vol, allant trop près des cieux,
A trouvé dans les mers un trépas glorieux ;
Deux rivières de France, un fleuve d’Italie ;
Un poëte qu’on voit justement applaudir ;
Ce que nous aimons tous aux lèvres d’Émilie ;
Ce marais si fameux qui vit l’hydre périr ;
Un coffret dont le nom annonce la richesse ;
Ce qui n’existe pas, un des quatre éléments,
Celle dont un oiseau posséda la tendresse,
Et ce qu’un fier coursier laisse flotter au vent ;
Une ville d’Égypte, une autre en Normandie,
Un arbrisseau rampant, un juge de Turquie,
Le nom d’un peuple ancien, la boisson du Normand,

Un poisson d’eau salée, un repas nécessaire,
L’action qu’un voleur a plus de peine à faire,
Des arbres toujours verts le plus beau, le plus grand :
Une espèce de chien chéri de mainte belle,
Une arme des anciens, celle des paladins ;
Un animal rusé, le plus beau des jardins,
Ce qui, prenant sans peine une forme nouvelle,
Périt en t’éclairant aux offices divins.


270. Charade.

Pour travailler, Zulmis, vous prenez mon premier ;
Pour mériter le bonheur de vous plaire,
Contre tous mes rivaux j’entre dans ma dernière ;
Votre présence ici fait mon entier.


271. Énigme.

Sans esprit, sans raison, sans jambes et sans bras,
Irrégulière en ma figure,
Je règle tout le monde avec ordre et mesure,
Et je fais voir en moi tout ce qu’on ne voit pas.
Malgré mon ignorance extrême,
Je partage les droits de tous les souverains.
De leurs égarements je tire les humains ;
Et puis, sans autre stratagème

Que quelques regards incertains,
Je sais les égarer de même.
Lecteur qui me cherchez, apprenez que je puis
Donner à votre esprit des lumières parfaites.
Peut-être avez-vous peine à savoir qui je suis ;
Mais je sais fort bien où vous êtes.


272. Énigme.

Lecteur, au nombre cent cinquante,
Ajoute encor celui de dix ;
J’offre une fille intéressante,
Pour le héros ayant son prix.


273. Logogriphe.

Je passe sur dix pieds une bien triste vie :
Coupez-m’en trois, lecteur, je vous supplie ;
Je n’aurai plus le mal que je porte en tous lieux,
Par ce moyen, vous me rendrez heureux.


274. Énigme.

Nous sommes deux enfants du temps,
Tous deux aussi vieux que le monde ;
Rien n’a pu cependant troubler la paix profonde
Qui règne parmi nous depuis tant de printemps.

Notre père, équitable et sage,
À chacun, en naissant, fixa son héritage :
Nous vivons contents d’icelui
Sans empiéter sur autrui.
Depuis plus de cinq mille années,
Nous sommes en possession
Chacun de notre portion,
Sans que les fières destinées
Et que l’impitoyable mort
De notre père aient pu finir le sort.


275. Logogriphe.

Je suis léger, bavard, frétillant, amoureux ;
J’aime à batifoler à l’ombre du feuillage.
De mes sept pieds ôtez-en deux,
L’amour m’est interdit, et je dois être sage.
Mes trois premiers sans feinte offrent à tous les yeux
L’objet que l’on préfère au plus grand personnage,
Et quant aux trois derniers, c’est un présent des cieux
Sans lequel un grand feu ferait trop de ravage.


276. Charade.

Dans un cercle, à la comédie
Dès qu’on entend gentil couplet, bon mot,
Belle sentence ou douce mélodie,

Mon premier retentit bientôt.
J’entends ; mais mon second, qu’est-il ?
C’est ce que fait la poularde à la broche,
La côtelette sur le gril,
Au four le pâté, la brioche.
Fort bien. Et mon tout ? est un petit mets friand,
Qu’à la fin du repas on apporte sur table,
Et qui paraît lorsque l’on sable
Le Champagne, le Frontignan ;
Qu’on mange encor, quoiqu’on ait bien dîné ;
Oh ! pour le coup, j’ai deviné.


277. Énigme.

Lecteur, sans être
Au rang des dieux,
Au milieu d’eux
Je puis paraître ;
Par mon pouvoir
Je fais mouvoir
Le ciel, la terre,
Tout l’univers,
Tous les enfers,
Toutes les mers.
En vain Cerbère
Qu’on fait glouton,
En vain Pluton

Et sa mégère
Voudraient de peur
Remplir mon cœur.
Leur courroux m’aide ;
Tout à ma voix,
Tout à mes lois,
Obéit, cède.
L’air s’obscurcit ;
Terreur profonde !
La foudre gronde
Et l’éclair luit.
Épais nuage
Couvre les cieux ;
Bientôt l’orage
Devient affreux.
Tout ce tapage
Est mon ouvrage ;
Dans un instant,
C’est différent.
Dans le bocage.
Le rossignol
Reprend son vol
Et son ramage ;
Je m’adoucis.
Et je ramène
Les jeux, les ris.
L’aimable Iris

Pare la scène
Et dans la plaine.
Près de Paris,
L’aimable Hélène
Veille sans peine
Sur ses brebis.
Un air bien tendre
Se fait entendre
C’est Colinet
Qui cherche à plaire
À sa Babet.
Bois solitaire,
Il t’a choisi
Pour peindre à l’aise
Son doux souci,
Sur son cœur pèse
Un grand tourment :
Pauvre innocent !
Las ! il s’amuse.
Passe son temps
À souffler dans
Sa cornemuse.
Que voulez-vous ?
Pour être époux
De la gentille
Petite fille,
À sa famille

Il faut du bien,
Et notre drille
Hélas ! n’a rien !
Ce n’est pas bien.
Je m’intéresse
À ce garçon,
Et sans façon,
Par mon adresse
Le voilà roi !
On rit, je crois !
De sa chaumière
Bientôt je fais
Un beau palais ;
Il règne en paix
Sur sa bergère
Et ses sujets.
De ma puissance
Heureux effets !
Point ne connais
La résistance ;
Mais, c’est assez.
Lecteur, je pense,
Vous connaissez
Mon existence
Et mon métier.
Suis-je sorcier ?
Non… suis-je diable ?

Encore moins ;
De tous mes soins,
(C’est raisonnable)
L’unique objet,
Je suis sincère,
Serait de faire
Ce qui vous plaît.


278. Énigme.

L’Arabie est le lieu dans lequel je suis né.
Nous sommes dix enfants : on me fît, par idée,
Le plus jeune de tous et le moins fortuné ;
Mais j’éloigne de moi cette triste pensée ;
Je suis beaucoup, je ne suis rien.


279. Logogriphe.

Dans ta maison, lecteur, je remplis un grand rôle
De tes secrets dépositaire sûr,
Repose-toi sur ma parole,
Je suis aussi ferme qu’un mur.
Renverse mes sept pieds ; d’abord tu trouveras
Le meuble favori de nos braves soldats ;
Deux notes de musique, un certain personnage
Que l’on préfère à tout, une étoffe d’usage,
Un titre qui jadis sur la France eut des droits.

Mon cher lecteur, si tu m’en crois,
Nous finirons ici ; je parlerai pourtant
D’une cité célèbre et d’un métal puissant.


280. Énigme.

Blanche je suis très-agréable,
Et j’exhale une bonne odeur ;
Noire, je suis épouvantable ;
J’ai causé plus d’une frayeur !
Blanche ou noire, mon cher lecteur.
Fuyez ces gens dont le langage,
Paraît quelquefois si mielleux,
Et qui, pour tromper davantage,
Ont soin de me jeter aux yeux.


281. Logogriphe.

J’habite dans le cœur, et j’occupe l’esprit ;
Chacun me sent, me peint, me goûte à sa manière ;
Ici je suis vanté ; là, de moi l’on médit :
Le plus important de l’affaire,
Est qu’en ce monde sublunaire,
Je jouis d’un très-grand crédit,
Qui durera longtemps, j’espère ;
Car je suis, entre nous soit dit,
Fort aimable et fort nécessaire.

Quelle vanité, direz-vous !
Y pense-t-il ? Ami lecteur, tout doux.
La vanité n’est point mon caractère ;
Mais d’un peu de fierté je ne me défends pas ;
Les femmes de toute la terre,
Ce sexe aimable et plein d’appas,
Avoûront que je sais leur plaire,
Que je les divertis, que… Mais, achevons bas,
L’énigme deviendrait trop claire,
Faisons-nous connaître autrement.
Mon père a quatre pieds, et moi, comme ma mère,
J’en ai cinq, c’est tout juste un de plus que mon père.
Elle est belle, ma mère ! et mon père… est charmant.
Elle n’en eût pas fait, sans cela, son amant ;
Mais j’entends un lecteur sévère,
S’écrier presque en se fâchant :
Ces détails sont bien d’un enfant !
Il peut avoir raison, je ris de sa colère.
Et je poursuis : on trouve en me décomposant
L’âge de l’homme avant d’atteindre la vieillesse ;
Un adverbe ; un pronom ;
Une conjonction ;
Ce que, pour voir une maîtresse,
On franchit lestement quand on est amoureux.
Un métal rare et précieux
Qui servit de métamorphose
Au plus puissant de tous les dieux :

Peut-être encor quelque autre chose ;
Mais voilà longtemps que je cause :
C’est assez exercer ton esprit curieux,
Je te quitte, lecteur, pour faire des heureux.


282. Charade.

Connaissez-vous ces plaisirs que l’hiver
Voit commencer quand il ne fait plus clair ?
Mon premier est du nombre.
Connaissez-vous le jeu du corbillon
Et toutes ses rimes en on !
Mon second est du nombre.
Connaissez-vous, pour abréger,
Tous les moyens de voyager ?
Mon entier est du nombre.


283. Énigme.

Mon nom n’est pas Contraste ; et cependant, lecteur,
Je suis, sur mon honneur,
Un être assez bizarre,
Dont le mot est commun, et dont la chose est rare.
J’ai, je n’ai point d’yeux, d’oreilles, de voix ;
Comme Zéphir je suis légère,
Et pour certains travaux on fait cas de mon poids.
Je suis svelte, je suis grossière.

À mon aspect aux champs, sur un chemin,
Dans un salon, on court, on est froid, on s’embrase.
Quand j’ai des bras, ils sont souvent sans main,
Quand je n’ai point de bras, j’ai des ailes de gaze,
Je parle et ne dis mot, je caresse et j’écrase.
Je me coiffe de fleurs, et me chausse de fer ;
Je danse dans un bal, et je vole dans l’air.
Qui suis-je donc, lecteur ? un être qui vous touche,
Vil instrument, pâture d’un oiseau :
Je suis tendre comme Sapho,
Dure comme du bois, frêle comme une mouche.
Me reconnaissez-vous ? Quel Œdipe nouveau
Devinera ma triple essence ?
Je ne lui promets pas un Voltaire, un Rousseau,
Je lui souhaite une autre récompense,
Trésor plus doux, s’il n’est pas aussi beau,
Dans ce pays où de soi l’on dispose
Sans prudence et sans examen,
Si mon Œdipe forme un amoureux lien,
Puisse-t-il rencontrer ce que mon nom suppose !


284. Énigme.

Je suis le même que j’étais,
Et cependant j’ai cessé d’être.
L’anagramme me fait paraître

Le même en latin qu’en français.
Songez donc, pour me bien connaître,
À ce que je suis et je fus :
J’étais naguère et ne suis plus.
Dans peu je dois encore éclore :
Mon trépas commence au matin ;
Et comme je tiens à l’aurore,
Vous pourrez me nommer demain.


285. Logogriphe.

Avec trois pieds, lecteur, on me voit au village
Porter en haletant la farine au moulin ;
Je t’offre sur deux pieds des saisons l’assemblage ;
Mon tout sur quatre pieds est un être divin.


286. Énigme.

Votre sort, ô mortels, ressemble à mon destin
J’étais jeune au lever de la dernière aurore :
Hier je n’étais pas encore,
Et je ne serai plus demain.


287. Logogriphe.

Six pieds composent ma structure ;
Pour des jambes, je n’en ai point.

Veux-tu qu’ici de point en point,
Je te retrace ma figure ?
j’ai la panse assez rebondie,
Une seule oreille arrondie,
Point d’yeux, point de bras, point de nez,
Du reste, le corps bien tourné ;
Polie autant que femme en France ;
En rendant ce qu’on m’a donné,
Je fais toujours la révérence.
Cela ne te suffit-il pas ?
Mon premier pied sortant de place,
Je change d’état et de face.
Ma bouche descend tout en bas.
Je deviens une citadelle
Qu’arment trente mille soldats,
Prêts au butin, prêts aux combats,
Troupe industrieuse et fidèle.
En fouillant mes membres épars,
Tu trouveras un mot d’usage
Que les routiers dans leur voyage
Disent en conduisant leurs chars ;
Une ville de Normandie ;
Ce qu’on désire en maladie ;
Une plante ; un lieu fréquenté ;
Ce que souhaite un pauvre prêtre ;
Enfin ce qu’un billet doit être
Pour que l’argent t’en soit compté.


288. Charade.

Chaque matin, lecteur, tu cherches mon premier,
À ton baudet parfois tu donnes mon dernier,
Souvent dans un concert l’on entend mon entier.


289. Énigme.

Dans mes filets, lecteur, je tiens bien des pays ;
Mais le plus séduisant, selon moi, c’est Paris.
C’est là que je me plais, c’est là qu’en souveraine
À tous ses habitants je fais porter ma chaîne.
La coquette, le fat ne brillent que par moi :
Ils se font un devoir de vivre sous ma loi,
Et je compte à mon char jusques à la dévote.
Dans un salon, du jour racontant l’anecdote,
Jamais le jeune fat n’obtiendrait de succès
S’il n’avait le bon sens d’emprunter mes attraits,
C’est par moi qu’il peut plaire à la légère Hortense,
Captiver tour à tour Aspasie et Prudence.
Enfin, dans ce pays rempli de mille appas,
Comment, ami lecteur, ne me plairais-je pas ?
Tout sans cesse y concourt à me tourner la tête…
On va jusqu’à parler de moi dans la Gazette.


290. Énigme.

Je suis fille d’un père aussi vieux que le Temps ;
D’un grand nombre de sœurs ici tu vois l’aînée ;
Je ne puis pas mourir, mais je suis condamnée
À recommencer tous les ans.
Sans user d’aucun sortilège,
J’aide à former trois péchés capitaux ;
Sans être du sacré collège,
J’ai cependant le rare privilège
Que l’on ne peut sans moi faire des cardinaux :
Avec eux je suis au conclave.
Mais pour donner ma voix dans une élection,
Le puis-je, cher lecteur ? voilà la question.
Le corsaire sans moi ne peut faire d’esclave,
On ne peut pas me voir dans la nuit, ni le jour ;
De tous les saints je fais l’octave,
Et tu ne peux sans moi faire l’amour.


291. Logogriphe.

Que de projets bons ou méchants
Se forment sous mes ailes !
Je suis recherché des amants
Et surtout de nos belles.
Au fond d’un bois, dans un boudoir,

Cherche pour me connaître ;
Et si tu parviens à me voir,
Pour toi je cesse d’être.
Si tu veux m’arracher le cœur,
Alors plus de mystère ;
Loin de charmer un tendre cœur,
Mon aspect le resserre.
Celui qui me trouve sans cœur,
Manque de tout sur terre ;
Mais s’il est fier, avec mon cœur
Je cache sa misère.


292. Énigme.

Mieux qu’un singe je contrefais
Tout ce qu’on fait en ma présence ;
Comme un caméléon je prends sans conséquences
La couleur de tous les objets ;
Comme un avocat d’importance
Je donne mes avis avec sincérité ;
Malheur à celui qui s’offense,
Quand je lui dis la vérité.


293. Logogriphe.

Que diversement on arrange
L’ordre de mes cinq éléments ;
Alors cinq fois la scène change ;
On voit cinq objets différents :

Une ville chère aux gourmands,
Qui n’est pas loin de la Garonne ;
Un meuble commode en hiver ;
Ce qu’on jette au fond de la mer,
Sans faire de tort à personne ;
Un ornement que le hasard
A fait trouver au sein de l’onde ;
Ce que deviendra tôt ou tard
La plus belle tête du monde.


294. Charade.

Quoique je porte un nom vulgaire,
Chacun m’estime et me chérit,
Voici pourquoi : mon entier désaltère.
Mon premier chauffe, et mon second nourrit.


295. Énigme.

Enfant abandonné, même avant ma naissance,
De mes parents je n’eus aucun secours ;
Rien n’assurait ma chétive existence ;
Laid et hideux, je marchais à rebours.
Au fond d’un trou, dans un sombre repaire,
Le besoin et la faim me rendirent méchant ;
Je me livrais à mon goût sanguinaire ;
Jour et nuit je faisais la guerre à tout passant :
Malheur à l’être sans défense

Qui près de moi portait ses pas !
Victime de son imprudence,
Il y trouvait la mort, et moi de bons repas ;
S’il voulait échapper à mes dents meurtrières,
Je l’accablais d’une grêle de pierres ;
Il retombait à ma discrétion.
Craignant enfin l’attention
Que pouvait contre moi réveiller ma conduite,
Sans oser prendre ouvertement la fuite,
Je me cachai dans un tombeau ;
Là, par une diète austère,
Je voulus expier mon métier de bourreau :
Jaloux de revoir la lumière,
Je m’y pourvus d’un bon déguisement
Qui me fit méconnaître ;
Bientôt on me vit reparaître
Dans un nouvel ajustement.
Ayant ainsi changé ma maussade structure,
Hardiment je me remontrai
Dans ma brillante parure,
Sous laquelle je m’admirai :
Une gaze légère, et fine, et transparente,
Que rehaussait l’éclat des plus vives couleurs,
Décora ma taille élégante,
Et m’eût fait remarquer même parmi les fleurs.
J’ai pris, changeant d’habits, un très-bon caractère ;
Je ne m’occupe plus qu’à chercher le plaisir,

Je le poursuis sur l’aile du zéphir.
Je voltige partout, et partout je sais plaire.
Comme ici-bas le mal est à côté du bien,
Dans peu je serai père ou mère
D’enfants qui, comme moi, d’abord ne vaudront rien,
Mais, comme moi, changeront, je l’espère.


296. Énigme.

Toujours en l’air, toujours en peine,
La moitié de mon corps sur l’autre se promène ;
Tantôt je monte, et tantôt je descends ;
Je parais d’humeur noire à quiconque m’aborde ;
Je fais bien pis, je lui montre les dents ;
C’est pourtant sans que je le morde.


297. Logogriphe.

Je peignis les mœurs en mes vers ;
Ma marotte, en riant, fustigea nos travers ;
On trouvera dans moi ce que vaut mon génie,
Ce que je récitai dans les jeux de Thalie ;
L’outil mordant que Boileau sut tenir,
Lorsque sur le métier il allait repolir ;
Le maître d’un état et l’édit qu’il doit suivre ;
La plante aux bras aimants, qui sur l’ormeau veut
vivre
Et qui veut y mourir.


298. Énigme.

J’arrive de fort loin, je viens de Sibérie ;
Le Canada, de plus, est mon autre patrie :
Mais bientôt, grâce à l’art, je forme une maison,
Asile sûr et chaud pour la froide saison.
Deux hôtes toutefois, dans son étroit espace,
Seulement sont admis à trouver une place ;
Là, dans un doux repos, deux élégantes sœurs
Bravent impunément l’hiver et ses rigueurs.
Mais sitôt qu’en nos champs ranimant la verdure,
Le printemps de ses fleurs a paré la nature,
On me laisse, on me cache, on me rend à l’oubli.
Dans un coin pour longtemps je reste enseveli,
Et ce n’est qu’au retour de la saison des neiges
Que je rentre en vainqueur dans tous mes privilèges.


299. Énigme.

Lecteur, Dieu te garde de moi.
Je porte un nom plus respectable
Que le palais du plus grand roi ;
Cependant j’inspire l’effroi.
Je ne reçois qu’un misérable
Qui n’a ni soutien, ni crédit,

Je suis sa dernière ressource.
Si tu ne ménages ta bourse,
Toi-même dans mon sein tu chercheras ton lit.


300. Charade.

L’eau dont s’abreuve mon premier
Le rafraîchit et le féconde ;
Chacun sur la machine ronde
Se distingue par mon dernier,
Et reçoit toujours mon entier
Quand il arrive dans ce monde.


301. Énigme.

Sur quatre pieds, lecteur, je te présente
Un petit mot à triple entente.
Écoute-moi. Veux-tu, d’abord,
Me connaître sous un rapport ?…
De peur que ton esprit ne batte la campagne,
Je, te préviens que j’habite en Champagne…
Sous un autre rapport faut-il m’offrir à toi ?
Dans une église, à l’autel, cherche-moi ;
Tu m’y verras, je t’en fais la promesse
Quand ton curé chantera la grand’messe…
Enfin, en dernier lieu, si tu veux me trouver,
À la pointe du jour tu n’as qu’à te lever.


302. Énigme.

Sous un air de douceur extrême,
Être fourbe, hypocrite et de mauvaise foi
Détruire tes voleurs et te voler toi-même
Voilà, lecteur, tout mon emploi.


303. Logogriphe.

Volage comme le Zéphyr,
Dont les caresses éphémères
laissent aux roses passagères
À peine un léger souvenir,
Je suis de l’inconstance
Un exemple vivant ;
Nulle part ma présence
Ne mesure plus d’un instant.
Et la mode, dont les caprices
Se renouvellent chaque jour,
De moi fait encor ses délices,
Quoique déjà sur le retour.
Lecteur, si tu me décomposes,
Dans mes huit pieds tu trouveras
La règle de toutes choses ;
Et suivant pas à pas :
La badine de Polyphème ;

Des animaux le roi suprême ;
Un végétal qui sert à nous vêtir ;
Un autre dont l’odeur ne peut se soutenir ;
L’aliment le plus nécessaire ;
L’oiseau protégé de Junon ;
Un instrument d’apothicaire ;
Le dieu des bergers ; un pronom ;
Un habitant du nord ; un terme de musique ;
Une note ; un roi de l’Attique ;
La fille d’Inachus, très-célèbre autrefois ;
Le cercle des douze mois :
Ce qu’on voit aux échecs sur la première file ;
De l’Égypte un fleuve ; une ville ;
Ce qui fait briller les métaux ;
Un bon gibier quand il est de garenne,
Et pour terminer mon antienne
La fourrure des animaux.


304. Énigme.

Je suis de ma nature aussi froide que glace.
Mais je garde en mon sein un subtil élément,
Et souvent j’occupe une place
Qu’ambitionne un tendre amant.
J’entretiens la chaleur des dames :
Celle que je produis ne touche point leurs cœurs.
Et si mes yeux leur portent quelques flammes,

Je n’en attends point de faveurs,
Au contraire, ce sexe aimable,
Par de sévères lois,
Me foule aux pieds toutes les fois
Que je suis le plus secourable.
Pendant les plus chaudes saisons,
Je ne suis que froidure et l’on fuit ma présence,
Mon règne aussi ne recommence
Qu’avec les frimas et glaçons.


305. Logogriphe.

Par quatre pieds j’entends, et par trois je réponds.


306. Charade.

Au milieu des débris de la grandeur romaine,
La faux du temps ne m’a pas respecté ;
Je m’élève avec majesté
Sur les deux rives de la Seine ;
J’ai quelque part la figure d’un T.
J’ai six pieds : trois sont du domaine
Ou d’un Chérin, ou d’un d’Hosier ;
Trois sont connus du menuisier :
Cependant j’appartiens à la structure humaine,
Et vous me trouverez à la fois
Dans la bouche du pauvre et dans celle des rois.


307. Énigme.

 
Quelque obscure que je puisse être,
À ces marques, lecteur, tu dois me reconnaître :
Quoique souvent fille de roturier,
À peine je parais que chacun me désire ;
Le roi même est sujet à mon fantasque empire.
Sans faire jamais rien, je suis de tout métier.
Je décide à la cour en maîtresse absolue ;
Quelque bizarre que je sois,
L’usage m’introduit au nombre de ses lois,
Dès l’instant que j’y suis reçue.
Mais que mon règne est court ! après un certain temps
Des caprices du sort j’éprouve la disgrâce,
Et quand je ne plais plus aux hommes inconstants
Une autre me succède et se met à ma place.


308. Énigme.

Je suis bonne, méchante, ignoble, douce, fière ;
Bien souvent je dis vrai ; je trompe quelquefois :
Mon trône est sur le front des rois
Et dans les yeux de la bergère.
Enfant des fureurs de la guerre,
Quelquefois dans mes flancs je cache le tonnerre,
Je recèle la mort et la donne en jouant.

 
Autrefois dans la Grèce antique,
Pendant le règne du talent,
J’avais mon prix, et partageai souvent
Avec le sel le beau surnom d’Attique.


309. Logogriphe.

Sur les amants qu’à mes lois je soumets,
J’exerce mon pouvoir d’une manière étrange ;
Le matin je refuse, et le soir je permets ;
L’inconstance toujours dirige mes projets,
C’est elle aussi qui les dérange.
De mes sept pieds, lecteur, veux-tu chercher
Ce que l’on formerait ? tu trouveras sans peine
Un poisson qu’on prend dans la Seine,
Et qu’à la ligne on peut pêcher ;
Pour le manger le fruit duquel on l’assaisonne ;
Celui que la moisson nous donne ;
Un des quatre éléments ; l’effet de la douleur,
Quelquefois de la joie autant que de la peur ;
Un oiseau bavard et voleur ;
D’un ouvrier fameux le fils trop téméraire,
Qui pour avoir volé trop haut,
Malgré les ordres de son père,
Dans la mer trouva son tombeau ;
Ce que l’on fait souvent en Angleterre ;

 
Le synonyme de colère ;
La qualité d’un bon cheval ;
Et l’utile produit d’un petit animal.


310. Énigme.

Je suis grande ou petite, et plus ou moins bien
faite
Je donne à qui vient m’approcher
Un rien, mais qu’avec art emploie une coquette.
Malgré ma grande utilité,
On me met souvent de côté ;
Je sers à femme de tout âge ;
On me voit dans chaque ménage ;
Sans être un instrument, dans plus d’une maison,
Sitôt que je vieillis, lecteur, je rends du son.
Mais je termine ici ce badinage.
Cherche, lecteur, dans tout ce bavardage,
Cherche le mot qui, sans être marquant,
A quelque chose de piquant.


311. Logogriphe.

Je sais souvent vous amuser
À l’avant ainsi qu’à l’arrière ;
Mais je peux aussi vous blesser
Par devant comme par derrière,

 
Voulez-vous me décomposer
En mettant mon devant derrière ?
Alors je vous ferai danser
Et par devant et par derrière.


312. Charade.

Mon premier est aimé du sage et de l’avare,
Il est l’objet de leur désir.
Mais l’un, à mon second, le joint avec plaisir ;
L’autre, avec plaisir, l’en sépare.
Du bonheur et de la bonté
Mon tout sans doute a pris naissance,
Et de ce père respecté
Naquit l’ingratitude et la reconnaissance.


313. Énigme.

Dans le monde et sans me connaître,
Bien qu’on parle souvent de moi,
Rarement on m’y voit paraître,
Trop heureux quand on peut me fixer près de soi.
Je suis femme et pourtant constante,
Peu coquette, point exigeante ;
De l’intérêt je ne suis pas la loi,
J’adoucis les chagrins, les peines de la vie ;
D’aucun regret ma faveur n’est suivie ;

 
On ne me voit aussi jamais la prodiguer :
Si quelquefois sur leur passage
Les grands ont pu me rencontrer,
La flatterie alors empruntait mon visage.
Entre deux sexes différents,
Lecteur, ne cherche pas ma trace ;
Si j’y reste quelques instants,
Bientôt mon frère m’y remplace.
Le fripon fait si bien….. mais j’allais trop parler.
Adieu, car ma franchise a dû me déceler.


314. Énigme.

Qui me fait seul souvent s’ennuie ;
Je suis l’emblème de la vie,
Comme elle j’ai des hauts, des bas,
Et l’on m’abrège à chaque pas.


315. Logogriphe.

Dix lettres composent mon nom :
Je suis personne, je suis chose ;
Et certainement quiconque ose
Me violer est un fripon.
Cependant, lecteur, je l’assure
Que lorsqu’on pénètre cher moi,

 
L’on peut être de bonne foi ;
Mais alors je suis un parjure.
Trêve à ces contradictions
Qui pourraient me faire connaître ;
Voici de sûres notions
Qu’on trouve en disséquant mon être.
De la nature en moi je porte le rival.
De plus un petit animal
Qu’à détruire l’homme s’obstine,
Parce qu’il vit à ses dépens ;
Souvent même l’on s’imagine
Le trouver chez d’honnêtes gens
Remplis d’esprit et de talents ;
J’offre encore le synonyme
D’une défectuosité ;
De Boileau le genre sublime ;
Un monstre de l’antiquité ;
Le vieux nom d’une île conquise
Par les Musulmans sur Venise ;
Ce maladroit qui traversa les airs,
Et se noya, laissant son nom aux mers ;
Le royaume d’Hiram ; une fort grande cruche ;
L’un des profits qu’on tire d’une ruche ;
L’abri d’un jardinier ; ce qu’un sage doit faire,
Ainsi que moi, si je veux plaire ;
Car à la fin tu me découvrirais,
Et quand je m’ouvre trop tu me trouves mauvais.


316. Énigme.

Nous sommes deux aimables sœurs
Qui portons la même livrée
Et brillons des mêmes couleurs.
Sans le secours de l’art l’une et l’autre est parée.
La fraîcheur est dans nous ce qu’on aime le plus.
Sans marquer entre nous la moindre jalousie,
L’une de nous sans cesse a le dessus,
Et plus souvent encore l’une à l’autre est unie.
Nous nous donnons toujours dans ces heureux instants,
De doux baisers très-innocents,
Jusqu’au moment qui nous sépare.
Alors, et cela n’est pas rare,
On voit, pour un oui, pour un non.
Se détruire notre union ;
Mais l’instant qui suit la répare.


317. Logogriphe.

Entier, je suis souvent un écueil pour l’auteur ;
Sans tête, un des repas du fils du Créateur.


318. Charade.

Sans être saint, au ciel est mon entier ;
Il est aussi dans le calendrier.
— Le jour, le mois ? C’est le vingt de janvier.
En vérité, je n’ai pas le courage,
Pour être peint, d’en dire davantage :
Quoiqu’après tout, un si grand avantage
À moi tout seul n’est pas particulier :
Dans l’almanach on voit que chaque page
D’un tel cadeau peut se glorifier.
De mon premier on admire l’ouvrage ;
Il est encor plus utile que beau ;
Et mon second, qui ne prend que de l’eau
N’est guère seul, autant que je puis croire ;
Et si parfois il quitte son jumeau.
Ce n’est jamais que s’il faut aller boire.


319. Énigme.

Je suis, je ne suis plus ; j’étais et je vais être.
Veut-on me retenir ? Je suis mort pour jamais :
Mais pour jamais aussi, je suis prêt à renaître,
Je meurs toujours ; toujours je nais.


320. Énigme.

L’histoire apprend à qui veut lire
Que, quoique chef d’un vaste empire,
Témoin d’un combat d’animaux,
J’osai s’élancer dans l’arène,
Et braver la fureur d’un lion des plus gros
Que je tuai sans peine :
Ma victoire étonna public et courtisans ;
Ils ne revenaient pas des dangers imminents
Qu’avaient su m’éviter ma force et mon adresse.
Faut-il, dans l’embarras, lecteur, que je te laisse ?
Je ne le peux. J’étais par la taille petit,
Comme mon surnom te le dit.
Vu sous une autre face,
Je te présente encore une moindre surface.
Je t’avoûrai, sans nul déguisement,
Qu’on me met dans un trou qui n’est rien moins
que grand.
Je romps mon enveloppe, et fais sortir de terre,
Au bout de quelque temps,
(J’abuse, ami, de tes instants)
Certain objet ne me ressemblant guère ;
Dans ce qu’il portera chacun doit me trouver :
Sous peu j’espère le prouver.


321. Logogriphe.

Je suis, mon cher lecteur, un oiseau très-petit :
Arrache-moi le bec, et je deviens un fruit.


322. Énigme.

Je suis gris, jaune, rouge ou blanc.
Après le malheur le plus grand
Je parus, des mortels j’adoucis la misère ;
À mon bienheureux inventeur,
Sauf mon respect pour le lecteur,
Je fis montrer le derrière.
Je suis ennemi du chagrin,
Et je fais braver le destin.
Je force mes prisons, j’inspire la tendresse ;
L’amour est sujet à mes lois ;
Je fomente, accrois son ivresse.
J’en ai trop dit pour cette fois.


323. Logogriphe.

Je suis, ivoire ou bois, par le tour façonné ;
Par le milieu de mon corps enchaîné.

Mon adjoint, de forme arrondie.
De part en part dans le centre percé.
Par mon attache est traversé.
Le joueur, d’une main hardie,
Le met en mouvement.
Et circulairement
Vers l’un de mes bouts le dirige :
Par la dextérité que le succès exige,
D’un côté, dans le creux en rond je le reçois ;
De l’autre côté je l’enfile :
Le coup est moins facile,
On le manque parfois.
Si tu démontes ma charpente,
Lecteur, un nouvel ordre à tes efforts présente
Un trait facétieux ou prétendu bon mot.
Misérable pointe du sot ;
Ce juste, d’un embrasement
Sauvé miraculeusement.
Dont l’épouse imprudente a souffert, et pour cause,
Une étrange métamorphose ;
Ce fils, dont les vertus font la célébrité,
Qui d’un parent fameux guérit la cécité.
Neuf pieds me donnent l’existence :
Je suis un joujou de l’enfance ;
Et, pour tout dire en un mot décisif,
Un passe-temps de maint et maint oisif.


324. Charade.

Aux noces de ton fils tu trouves ma première ;
Veux-tu de ma seconde ? il faut tirer au sort ;
Mais sur les eaux ne fais jamais la guerre :
Mon tout y porte et la flamme et la mort.


325. Énigme.

Je suis ce qu’on aime le mieux,
Presque en tous les lieux de la terre,
Et souvent on se fait la guerre,
Pour m’avoir comme un bien et rare et précieux ;
Mais quand on a fait ma conquête,
Celui qui me possède a le cœur si léger,
Qu’à ma possession jamais il ne s’arrête ;
Il ne me garde pas longtemps sans me changer.


326. Énigme.

Même en naissant, de pied en cap armée,
Vierge superbe, insensible à l’amour,
Je suis guerrière, et le sort m’a formée
Prête aux combats dès que j’ai vu le jour.

Si d’un mortel l’audace téméraire
S’est attiré ma colère et mes traits,
Malheur à lui ! mes traits et ma colère
À son audace ont coûté des regrets.

Sur ma cuirasse et mes brillantes armes,
Un art divin sème la pourpre et l’or :
Mais à quoi bon leur éclat et mes charmes ?
J’offre aux humains un plus noble trésor.

Quoiqu’en mon sein respire un grand courage,
Je hais la guerre, elle coûte à mon cœur.
Jamais la paix, dans un instant d’orage,
De mes combats n’accuse la longueur.

Oui, la paix seule, où s’illustrent mes veilles,
La paix, cent fois, est plus chère à mes yeux ;
Les plus doux fruits, les plus rares merveilles,
De mes plaisirs sont le prix glorieux.

Mon cœur se plaît dans une république
Que j’enrichis de dons toujours nouveaux,
Et c’est ainsi que les monts de l’Attique
Ont du jadis leur gloire à mes travaux.

Dans tous les temps, ma divine industrie
Offrit aux arts un exemple cité ;
Quoi d’étonnant ? le ciel est ma patrie,
Si l’on en croit la docte antiquité.


327. Logogriphe.

Frappé par les demoiselles,
Je reçois leurs coups sans souffrir ;
Tête à bas, je puis leur offrir
Un mot latin fort connu d’elles.


328. Énigme.

Je suis un monstre énorme, épouvantable et rare ;
La mer est mon séjour ;
Mais, par un caprice bizarre,
Ta femme, sur son sein, me presse chaque jour.


329. Logogriphe.

De quelque astre fatal la maligne influence.
Par un torrent de maux prélude à ma naissance ;
Le pillage, la mort, se pressant sur mes pas,
Font détester au loin ma funeste existence.
Cependant, mille amants, épris de mes appas,
Pour faire ma conquête, affrontent le trépas ;
Mais fantasque et non moins altière,
Je dédaigne leurs feux,
Et je vois d’un œil sec la fin de leur carrière,
Sans couronner leurs efforts généreux.

Trop docile à la voix de l’aveugle déesse,
Je trompe la sagesse
Des mortels vertueux.
M’envolant d’une aile légère,
Sous les drapeaux de leurs fiers ennemis,
J’ai très-souvent fait mordre la poussière
Aux soldats de Thémis…
Voulez-vous, cher lecteur, décomposer mon être ?
Composé de huit pieds, il vous fera connaître
La cité des Grisons ; un trésor précieux
Que l’abeille ravit au sein fécond de Flore,
Et que l’on fait blanchir sous les pleurs de l’Aurore ;
L’accent de la douleur ; un sentiment fougueux ;
Ce volatile, emblème de bêtise.
Dont le cri de surprise
Sauva Rome des mains d’un guerrier furieux ;
La clef d’un cœur vénal ; l’impuissante barrière
Que la Seine franchit pour inonder la terre ;
L’action de la vue ; un désordre moral.
Ce qu’on perd avec peine,
Quand la parque inhumaine
S’avise d’envoyer au séjour infernal…
Le… Mais il faut finir ; quelque malin critique
Verrait, dans mon babil, une preuve authentique
Du sexe féminin, dont me firent les dieux,
Ou plutôt les humains, pour qui l’aimera mieux.


330. Charade.

La coquette Aglaé, pour rajeunir ses traits,
Se sert de ma première ;
Pour conserver son teint vermeil et frais,
Ma seconde, lecteur, suffit à la bergère :
Mon tout n’est pas chose légère.


331. Énigme.

Nous sommes grand nombre de frères,
Loin de nos pères, de nos mères,
Logés par troupes dans un bois,
D’où nous ne sortons qu’avec peine,
Quand nous y sommes une fois,
Tant nos corps y sont à la gène :
Nous les avons par le milieu pliés,
Et d’une corde tous liés,
Ce qui forme entre nous une espèce de chaîne ;
Cet état, comme on voit, est très-particulier,
Et notre emploi l’est encor davantage,
C’est d’ôter, d’enlever, que nous faisons métier ;
Mais c’est toujours à l’avantage
De ceux sur qui nous l’exerçons,
Ce qu’ils ne veulent pas, nous le leur enlevons.


332. Énigme.

Avec plaisir au printemps,
Lecteur, tu me vois naître ;
Mais quand je viens à disparaître,
Adieu beaux jours et pour longtemps ;
Alors chez soi l’on se retire,
Et seul auprès de son foyer
On me prend, non pour s’instruire.
Mais pour se désennuyer.


333. Logogriphe.

Quoique je sois, lecteur, un être inanimé,
De plaire et d’amuser j’ai pourtant l’avantage ;
D’un doux ravissement un sens par moi charmé
Porte au cœur la gaîté, l’amour et le courage.
Je porte en tête un bec, et ne suis point oiseau ;
L’on voit à mes côtés de clefs pendre un trousseau.
J’offre, dans mes dix pieds, deux tons de la musique ;
Un fleuve ; une saison ; l’un des quatre éléments :
Ce qui de la nature embellit les présents ;
Une arme ; un quadrupède utile et domestique ;
Une perle ; un plaideur ; un mont bitumineux ;
D’un vol le synonyme, et la boisson des Dieux.


334. Énigme.

Aux Pays-Bas,
Belle Zelmire,
Est mon empire.
Je n’y fais pas
Ma résidence ;
Quand ma présence,
Un certains cas
Qu’on ne dit pas,
Est nécessaire,
Avec mystère
Alors j’y vais,
Et je parais
Devant la place,
Dans le moment.
Pavillon blanc,
De bonne grâce
Et de plein gré,
Est arboré.
À peine entré,
Je m’évertue ;
On souffle, on sue,
Et l’on tient bon
Mais je fais rage,
Et l’on enrage

 
Avec raison ;
On perd courage.
Le patient,
Fille, femme, homme,
Pestant, criant,
Impatient,
Jurant, en somme,
Las de suer,
Bientôt me somme
D’évacuer
Ladite place ;
Mais il menace
Longtemps en vain…
Il faut enfin,
Pour que je sorte,
Bon gré, mal gré,
M’ouvrir la porte
Par où j’entrai.


335. Logogriphe.

Lecteur, mon nom se donne à ta femme, à ta mère ;
Ote-moi tête et queue, et je deviens ton père.


336. Charade.

Mon premier fut jadis, aussi bien que Carthage,
On des ports les plus commerçants ;

 
Mais par l’effet d’un double sens,
Dans le génie il offre un tout autre avantage.
Pour mon second, en amour redouté,
Du temps il décèle les traces.
Mon tout s’entend d’un acte répété ;
S’exerce en certains lieux, près de l’eau, sur les
places,
Et sert parfois Plutus, le sort et l’équité.


337. Énigme.

Je suis un être assez original.
On me trouve au sermon, dans les fêtes, au bal ;
Je prêche la vertu, j’encourage les vices,
Je défends le théâtre, et vis dans les coulisses.


338. Énigme.

J’habite dans les airs sans user de mes ailes.
Il est d’importantes nouvelles
Dont c’est à moi de décider.
Qu’on vienne me les demander,
Je rends, quoique sans voix, des réponses fidèles ;
Mais pour m’entendre il faut me regarder.


339. Logogriphe.

Vois, ô Lecteur, combien ma nature est féconde :

 
Tout fut formé de moi, les cieux, la terre et l’onde.
Je ne suis ni petit, ni grand, ni faux, ni franc ;
Je ne suis point vert, gris, rouge, bleu, noir, ni blanc,
Je ne suis point esprit ; encor moins homme ou bête,
Puisque je n’ai ni corps, ni pieds, ni mains, ni tête,
Je ne suis ni vieux ni nouveau ;
Mais je suis ce que prit le chien dont parle Ésope,
Quand dans certain étang cet animal galope,
La gueule pleine, après ce qu’il croit voir dans l’eau ;
Je suis le lot de la misère.
Et la véritable chimère ;
L’objet qu’on ne peut diviser.
Et la pierre philosophale ;
Ce que Gaster doit digérer
Quand en un rêve il se régale ;
Ce qu’on craint, quand on sait très-bien se comporter ;
Ce qu’a fait un coquin, à l’entendre parler ;
De la goutte le vrai remède ;
Le bien que tout pauvre possède ;
Ce que mit au-dessus d’académicien,
Un poète piquant autant que libertin ;
Ce que souvent donne un avare ;
Ce que toujours pense un ignare ;
Ce qu’on trouve de bon au cœur d’un scélérat ;
Ce qu’on espère en servant un ingrat ;
Ce qu’apprend l’écolier qui jamais n’étudie ;
Ce que répond le sage au sot qui l’injurie ;

Ce qu’on paye aisément sans jamais débourser ;
Ce qu’on ne peut voir ni palper ;
Ce qu’Ixion saisit, selon tout mythologue ;
Ce qui suffit souvent pour mettre un homme en vogue ;
Ce qu’appréhende un chat de la part des souris ;
Ce qu’accorda Brutus aux larmes de son fils ;
Au superbe Tarquin ce que permit Lucrèce ;
Ce qu’oppose l’amante à l’amant qui la presse ;
Ce qui sert de soutien aux cieux ;
Enfin, pour seconder les esprits curieux,
Et jeter sur le mot un grand trait de lumière,
Ce que gagne un surnuméraire.


340. Énigme.

Je suis fort utile au ménage,
Quand je ne le gouverne pas.
Je vais souvent sur le rivage,
Car l’onde a pour moi des appas.
De ma nature assez fragile,
On doit me traiter doucement.
Au moral je suis indocile
Et je déraisonne aisément.
Lecteur, il est temps de me taire,
Tu devines assurément :
Ainsi, sans plus long commentaire,
Je t’avertirai seulement

 
Que pour éclaircir le mystère
Qui peut-être a pu te troubler,
il faut, c’est chose nécessaire,
Éviter de me ressembler.


341. Logogriphe.

Sur mes six pieds, lecteur, je suis doux, précieux,
Tendre, piquant, doré, rempli de politesse,
Parfois très-indiscret, parfois mystérieux,
Et je sers le plaisir ainsi que la tristesse.
Ma queue à bas, mon sort est de rouler sans cesse,
Et d’amuser les curieux.


342. Charade.

Mon premier que j’offre en latin,
Jadis, aux temps d’idolâtrie,
Jouissoit du culte divin
Chez un peuple célèbre, au nord de la Nubie.
Voulez-vous en société
Vous présenter avec aisance ?
Que mon second chez vous respire la décence,
Surtout ne soit point affecté.
Mon tout, sous un autre hémisphère.,
Ouvre ses ports aux matelots.

 
Quelle folie ! aller braver les flots,
Et faire le tour de la terre,
Tandis que, carte en main, sans un profond savoir,
Et sans bouger, on peut en faire un chaque soir.


343. Énigme.

Si je n’ai pas des plus brillants carrosses
Et la richesse et l’ornement,
Je n’ai pas le désagrément
De me voir conduit par des rosses.
D’un sort peu favorable éprouvant la secousse,
Mon maître cependant me soutient et me pousse ;
Avec moi l’on ne peut agir plus poliment,
Il me suit par derrière et je vais par devant.


344. Énigme.

Le nom que j’ai, lecteur, avant de naître,
Quand je suis né ne me sert déjà plus.
En m’attendant tu me verras peut-être ;
Mais aujourd’hui pour me connaître,
Tes efforts seraient superflus.


345. Logogriphe.

J’habite les palais, les châteaux, les chaumières ;
Partout j’y suis fêté, même chez l’ignorant,

 
Qui, rougissant tout bas de son peu de lumières,
Voudrait sous mon manteau passer pour un savant :
Ce qu’il désire en moi n’est jamais mon esprit ;
S’il daigne m’honorer d’une courte visite,
Il ne s’informe point si j’ai quelque mérite,
Mais si l’or et l’argent brillent sur mon habit.
Il est vrai qu’au boudoir je plais même en chemise ;
Je suis près du beau sexe un adroit séducteur ;
Je pénètre aisément dans les replis du cœur ;
Et toujours bon dévot, l’on me voit à l’église.
Si l’on coupe ma tête, alors je déraisonne ;
Incapable d’agir, je n’ai plus de talent ;
Je n’ai plus rien d’humain, la raison m’abandonne,
Et je suis, sans mourir, privé de sentiment.
Mais veut-on me trouver ? qu’on m’arrache le
cœur ;
Alors on y verra, sans un plus long mystère,
Au moment actuel ce que fait mon lecteur.
Je vois que l’on me tient, il est temps de me taire.


346. Énigme.

J’étais avant les temps, et depuis que le monde
Est sorti du chaos, j’ai fixé mon palais
Au milieu des déserts, dans l’enceinte profonde
Des bois mystérieux ; c’est là que je me plais.
Aux ris bruyants je préfère les larmes,

Et je déteste les alarmes
Autant que je chéris la paix.
Le tumulte des camps, le signal des batailles,
Les clameurs des guerriers et les cris des mourants,
Sont autant de traits pénétrants
Qui me déchirent les entrailles.
Les sons harmonieux des plus doux instruments
Ressemblent, à mes yeux, aux lugubres accents
Qui précèdent les funérailles.
Par son chant matinal l’oiseau fait mon tourment.
Des bergers la tendre musette,
L’écho des monts qui la répète,
M’importunent également.
De l’eau qui fuit sous la verdure,
Je hais le plus léger murmure,
Et jusqu’aux soupirs d’un amant.
Chez quelques femmes, cependant,
Dont la réunion ajoutait à ma gloire,
Mon règne fut jadis célèbre dans l’Histoire ;
Mais c’était un effort héroïque, étonnant.
Un prodige que l’on admire,
Car mon joug est dur et pesant :
Et c’est surtout dans leur cercle brillant
Qu’on me… Paix ! j’en allais trop dire :
Terminons, il est temps, ce discours éternel.
Un mot de plus me porte un coup mortel.


347. Logogriphe.

Je fais sur mes cinq pieds la gloire d’un empire
J’embellis chaque jour, et l’univers m’admire.
Sur quatre, un joueur m’aime, et l’Anglais obstiné
Par tendresse pour moi souvent s’est ruiné.
Enfin sur trois, lecteur, de l’amour et des grâces
Fidèle compagnon, je suis toujours les traces.


348. Charade.

Sur mon premier de grands et beaux esprits
Ont enfanté de grands et beaux écrits ;
En dissertant ils ont, sur la matière,
Jeté sans doute une vive lumière.
Oh ! qu’ils sont fous ; dans un pareil sujet
Moi, j’étudie aimable et tendre objet ;
En contemplant les beaux yeux de ma Rose,
Je reconnais et j’admire la chose.
Tous les savants pourraient-ils valoir mieux
Que mon amie et mon cœur et mes yeux ?
Mais ne faut pas qu’une amour éternelle
Toujours nous cloue aux pieds de notre belle.

Dans un pays en prodiges fécond
Portons nos pas, nous verrons mon second ;

 
L’admirateur des beautés de l’antique
Aime l’aspect de la terre classique,
Berceau des arts, et dont les monuments
Ont fatigué l’infatigable Temps.

Pour voir un peuple où tout est moins solide
Je me confie à l’élément humide ;
La voile s’enfle ; après quinze ou vingt jours
J’entre au pays des gentils troubadours.
Vers mon entier le complaisant Neptune
Conduit des gens qui cherchent la fortune.
Mercure est là ; de mille dons divers
Tous ses autels sont ornés, sont couverts :
Sa fête unit les habitants du Rhône,
Du Niagara, et ceux du fleuve Jaune.
Je voudrais bien en de lointains climats,
Pour vous tromper, conduire encor vos pas ;
Mais à quoi bon ? À présent j’ai beau faire,
J’ai presque dit le mot de ce mystère.


349. Énigme.

Tout paraît renversé chez moi :
Le laquais précède le maître ;
Le manant passe avant le roi ;
Le simple clerc avant le prêtre ;
Le printemps vient après l’été ;

Noël avant la Trinité :
C’en est assez pour me connaître.


350. Énigme.

Sortis d’un animal grossier de sa nature,
Lecteur, nous sommes deux d’une même figure.
Travaillés avec art, voici notre tableau :
Quoique blancs en naissant, on nous noircit la peau ;
Par nous, deux combattants se disputent la gloire,
Et par nous, l’un des deux remporte la victoire :
Chaque athlète à son tour nous mettant en prison,
Nous y tient avec bruit dans l’agitation ;
Mais quand avec éclat son caprice nous chasse,
Sur le champ de bataille à l’instant renversés,
De l’un nous faisons la disgrâce ;
De l’autre, le bonheur : mais c’est en dire assez.


351. Charade.

Que j’aime à voir, armé de mon premier,
Le joli doigt de ma Glycère,
Éloigner la main téméraire
Qui veut un peu trop approcher
De cette gentille ouvrière !
Glycère est faite à mon dernier ;
Avec tant de beauté que n’est-elle moins fière !

 
Mon cœur pourrait près d’elle s’expliquer,
Sans se servir de mon entier.


352. Énigme.

 
Nous sommes deux frères jumeaux,
Destinés à servir deux sœurs aussi jumelles ;
Les frères sont plus ou moins beaux,
Et les sœurs sont plus ou moins belles.
Quand certain chevalier d’honneur
Jette l’un de nous sur la place,
S’il s’y trouve un homme de cœur
Tout aussitôt il le ramasse,
Et contre l’ennemi qui l’ose défier
Signale sa valeur en combat singulier.


353. Logogriphe.

Sur six pieds je me tiens ; si tu les décomposes,
Tu trouveras de l’or, de la soie et des roses.


354. Charade.

Rois, bergers, conquérants, femmes dont la fraîcheur
Est égale à la rose, et toi-même, lecteur,
Un jour de mon premier vous serez la pâture ;
Telle est la loi de la nature

 
Et de son immortel auteur.
Heureux le tendre amant, alors que sa maîtresse
Prononce mon second dans un moment d’ivresse
Et plus heureux encor qui suit l’étroit sentier
Tracé par mon entier.


355. Énigme.

Je ne suis encor rien, mais à la veille d’être ;
Que ne puis-je à tous ceux qui doivent me connaître,
Promettre également des plaisirs assurés !
Trop inutile vœu ! Dès qu’on m’aura vu naître,
Je ferai des heureux et des désespérés.
Tout le monde m’attend, et cependant peut-être
Tel songe à m’employer qui n’en sera pas maître ;
Ou m’appelle d’un nom que je perds en naissant ;
Mon futur successeur à l’instant s’en empare.
Ainsi, jamais présent, par un destin bizarre,
Mon nom meurt et renaît dans le même moment.


356. Énigme.

Quoique je sois un grand parleur,
Et par conséquent grand menteur,
On voit chez moi troupe choisie
De rois, de riches, d’indigents,

Tous connus pour honnêtes gens,
Et placés sans cérémonie.
Je m’attache à suivre les pas
D’une belle, mais inégale,
Qui quelquefois tout entière s’étale.
Quelquefois ne se montre pas.
On me vient voir toute l’année ;
Mais sitôt qu’elle est terminée,
Tous mes commerces sont rompus,
Je suis au rang des saints que l’on ne fête plus.


357. Logogriphe.

Je suis avec mon chef un fleuve de l’Asie,
Et privé de mon chef le ciel est ma patrie.


358. Énigme.

Il est certain être invisible
Qui blesse nos cœurs malgré nous ;
Le lieu le plus inaccessible
N’est point à couvert de ses coups.
De lui l’oisiveté, presque toujours, accouche.
Du matin jusqu’au temps où le soleil se couche,
Loin de l’objet aimé partout il suit nos pas.
Son atteinte fâcheuse, aux plus fiers potentats,
Pour le peu qu’il les touche,

Fait étendre les bras.
Quelquefois même aux rois il fait ouvrir la bouche ;
Les modernes écrits le font naître, et souvent
L’orateur le débite, et l’imprimeur le vend.


359. Logogriphe.

Je tiens parmi les arts une place éminente.
Naguère un jeune auteur dont la muse élégante
En vers délicieux a chanté mes bienfaits,
Ma bénigne influence et ses heureux effets,
M’a donné du crédit ; pour lui la renommée
Va publiant partout ma haute destinée.
Grâce lui soit rendue, et que pour récompense,
Longtemps encor, lecteur, Apollon lui dispense
Ses plus rares faveurs ; sa mémoire, après tout,
Ne peut manquer de plaire à tous les gens de goût.
De l’enfant de Momus je double l’allégresse,
Et jamais dans son cœur n’entrera la tristesse,
Si, fidèle à mon culte et soumis à ma loi,
Il sait braver l’amour pour n’obéir qu’à moi.
Mon chef à bas, tu vois la science profonde
Qui te fait admirer les merveilles du monde.


360. Charade.

La Fable au rang des dieux a placé mon premier ;

À ton pied, cher lecteur, se trouve mon dernier ;
Demande à ton tailleur le nom de mon entier.


361. Énigme.

Tant de gens ! tant de paix et de tranquillité !
Veillais-je ? n’était-ce qu’un songe ?
Je ne sais ; mais en vérité,
Ce que je vais conter a tout l’air d’un mensonge.
Je viens de voir dans un endroit,
Très-peuplé quoique assez étroit,
Rangés de même qu’en bataille,
Des milliers d’êtres différents
Pris sur le trône et sur la paille ;
Ennemis, amis et parents,
Tous mêlés, ou chez qui la taille
Règle le partage des rangs.
J’ai vu, dans cette république,
Plus d’une fois le roturier
Presser les flancs du noble altier ;
Le tolérant dormir auprès du fanatique ;
Le protestant auprès du catholique ;
Français, Anglais, Espagnols, Portugais,
Jeunes et vieux, bons et mauvais,
Ensemble confondus, offraient un ordre unique,
Une uniformité faite pour plaire aux yeux.

Tous pourtant n’étaient pas également heureux :
Plus d’un péril sous la dent meurtrière
D’un essaim affamé de reptiles rongeurs,
Tristes enfants d’oubli, sortis de la poussière,
Des jugements publics cruels exécuteurs.
Ô vous, lecteur, à qui tout est facile,
Dites quel est le nom de cet asile ?


362. Énigme.

Deux frères, en tout fort égaux,
Qu’un lien très-solide assemble,
Dont très-parfaitement l’un à l’autre ressemble,
Et qu’on prendrait tous deux pour des frères jumeaux
Si l’art, bien plus que la nature,
Ne prenait part à leur structure,
Méritent, par un sort bizarre et malheureux,
Ou’à bon droit on leur fasse un reproche honteux,
Et qu’évidemment chacun voie,
Malgré leur étroite union,
Que partout où l’on les emploie
Ils portent la division.


363. Logogriphe.

Je suis souvent un bien et quelquefois un mal ;
On me vante parfois et parfois on m’outrage ;

Propice à quelques-uns, à tel autre fatal,
À ma loi je soumets le fou comme le sage,
Transpose un de mes pieds, je change de destins :
J’élève jusqu’aux cieux ma voix et mon hommage,
Et chante les vertus de la Vierge et des Saints.


364. Énigme.

Grâce à mon double sens, je suis assez bizarre ;
J’existe en tout pays comme en toute saison :
Quelquefois je me plais sur les bords d’une mare,
Et quelquefois aussi je prends place au salon.
Je suis vive, coquette, agaçante, folâtre ;
Avec âme, sans âme, avec cœur ou sans cœur :
À mes pieds fort souvent est tombé plus d’un pâtre ;
Et l’on y voit aussi maint et maint grand seigneur.
Symbole de candeur, symbole de mollesse,
J’aime quand vient l’été ; mais on m’aime aux frimas.
Je sais au coin du feu délasser la vieillesse,
Et je rends le jeune âge ivre de mes appas.


365. Logogriphe.

J’ai quatre pieds avec ma tête,
Et je n’en ai plus sans ma tête ;
Couvert de poil avec ma tête,
Et nu comme un ver sans ma tête

J’ai des cornes avec ma tête,
Et je n’en ai point sans ma tête ;
Je coûte cher avec ma tête,
Et peu de chose sans ma tête ;
Je suis très-fort avec ma tête.
Mais très-délicat sans ma tête.
Souvent très-gras avec ma tête ;
Et toujours maigre sans ma tête ;
Je puis courir avec ma tête,
Je suis immobile sans tête ;
On m’adora jadis avec ma tête,
Et je donnai le jour à deux dieux sans ma tête.
C’est assez te casser la tête :
Si je te suis offert avec ou sans ma tête,
Prends-moi toujours, lecteur, avec ma tête,


366. Charade.

Mon premier peut être un faux-pas,
Que mon dernier fuit, s’il est sage ;
Mon tout, cher lecteur, ici-bas,
N’est, à dire vrai, qu’un passage.


367. Énigme.

Il semble que mon origine
Remonte à celle de Noé,

Puisque j’entrai dans l’arche où je fus conservé ;
L’on me trouverait bien en Chine.
Mais pourquoi t’envoyer en pays étranger,
Lecteur, lorsque j’existe en France ?
De moi tu vas sans doute mal juger.
Apprends donc que je suis encor dans l’innocence,
Quoique je serve avec indifférence
À la débauche, au vice, à la méchanceté ;
Me livrant à l’intempérance,
Jamais à la sobriété.
Chacun, il est vrai, me possède,
Et chacun doublement a besoin de mon aide.
À Cythère on me voit tenir le premier rang,
Et figurer parmi les Grâces.
J’occupe encor bien d’autres places :
J’en pourrais citer plus de cent.
Vénus me porte à sa ceinture,
Et de son fils je compose l’armure,
l’annonce le courage, et préside aux combats ;
Quoique banni du temple de mémoire,
Que de noms fameux dans l’histoire,
Las ! sans moi n’existeraient pas !
De moi l’on parle avec prudence ;
Mais si je suis hors de raison,
Ou que je paraisse en démence,
Le Français me met en chanson.


368. Énigme.

Mon destin est des plus bizarres :
D’abord, sans l’avoir mérité,
Je tombe dans des mains barbares
Qui me jettent au feu qu’elles ont apprêté.
Lorsque cette épreuve est finie,
On me traîne en un lieu des mortels respecté,
Pour faire la cérémonie
De transmettre mon nom à la postérité.
Après ce vain honneur, garrottée et pendue,
Je me trouve exposée aux injures du temps ;
On m’agite à tous les instants,
Et j’ai peu de repos que je ne sois fendue.


369. Logogriphe.

Éprouve-t-on une douleur subite ?
Est-on pressé, froissé, suffoqué de chaleur ?
Soudain chacun me prononce de suite.
De mes trois pieds, l’un d’eux changé, lecteur,
Et replacé de queue en tête.
Me donne un sens tout différent
Alors je suis cet être divaguant,
Se croyant roi, sophi, sultan, prophète,

Suivant son idée et son goût.
Enfin, dans certain jeu, l’on me place debout.


370. Énigme.

Quand je suis sous les pieds, je marche sur la tête.


371. Logogriphe.

Dans mes cinq pieds on peut trouver, lecteur,
Environ huit cent mille têtes ;
Vices, vertus, talents, beauté, laideur,
Et des Laïs et des femmes honnêtes.
Tous nos voisins, jaloux de ma splendeur,
Viennent en foule assister à mes fêtes.
Dans mes cinq pieds, combinés avec choix,
Vous pouvez voir l’invisible substance
Commune aux bergers comme aux rois.
Ce que l’enfant d’Io cherche dès sa naissance,
Une espèce d’étoffe, une conjonction ;
Une divinité qu’à Memphis on adore ;
Un brusque impératif, une négation ;
L’essaim vif et joyeux qui suit la jeune Isaure :
L’un des sept tons que chérit Terpsichore ;
Le fluide intervalle entre Douvre et Calais,
Dont Blanchard a frayé la route peu suivie :
Aux yeux du voyageur un lieu rempli d’attraits ;

Pour gagner au piquet une carte choisie ;
Un fruit ; ce qui soutient les lambris d’un palais ;
Le lâche ravisseur qui perdit sa patrie.
Enfin, lecteur, au pays champenois,
Près d’Épernay, vous trouverez sans peine
Un bourg fameux, où revient quelquefois
Errer encor l’ombre du vieux Silène,
Et dont le vin pétille à la table des rois.


372. Charade.

Tout mortel doit toujours s’estimer mon dernier,
Quand il peut de mon tout adoucir mon premier.


373. Énigme.

Malgré mille censeurs de ma légèreté,
Vois les humains encenser mes caprices :
Vois la laideur et la beauté
M’offrir servilement leurs vœux, leurs sacrifices :
Cependant je suis sœur de la frivolité.
Que je sois belle ou laide, ou gentille ou bizarre,
Soit que je l’embellisse ou que je le dépare,
Le sexe inconstant comme moi,
En dépit du bon sens veut suivre en tout ma loi.
Jeune beauté, reviens de l’erreur qui t’égare ;

Mon tout ne doit servir qu’à parer des attraits ;
Quand il est ridicule, il doit cesser de plaire,
Et tu dois le changer : ainsi le veut Cythère :
Avec discernement use de mes bienfaits,
Corrige mes défauts, connais tes intérêts ;
Je sers mal tes desseins en voilant trop tes charmes.
Pour aller aux combats, émousse-t-on ses armes ?


374. Énigme.

Lecteur, je suis de forme ronde,
D’or ou d’argent, ou de cuivre ou de fer,
Suivant l’emploi que dans ce monde
On a voulu me destiner.
On me place en la chambre, on me donne à l’église ;
On me voit dans les ponts, et l’on m’observe aux
cieux.
C’est selon ma valeur que le fripon me prise.
Je suis, pour le beau sexe, un objet précieux ;
Soit qu’on s’endorme, ou qu’on s’éveille,
De mon utilité souvent on s’aperçoit.
Fillette à moi prête l’oreille,
Et puis après me montre au doigt.


375. Logogriphe.

Je te vêtis avec ma tête,
Et je te nourris sang ma tête :

Je suis brillante avec ma tête,
On me dit impure sans tête ;
Je suis muette avec ma tête,
Et fort bavarde sans ma tête ;
Maint fat me porte avec ma tête,
Qui me ressemble sans ma tête ;
Enfin, lecteur, avec ma tête
Je sors d’une petite bête ;
Et si tu m’arraches la tête
Je suis une bien lourde bête.


376. Énigme.

Je viens du fond de la Savoie,
Des montagnes où je naquis,
Avec un enfant qu’on envoie
Quêter de pays en pays ;
Pour soulager son indigence
Hélas ! il n’a que moi, moi seule, et l’espérance.


377. Logogriphe.

Je fus reine autrefois, si l’on en croit la Fable ;
Mais par un sort bien déplorable,
Je me vis tout à coup transformée en oiseau,
Et les effets de ma métamorphose

M’ont enlevé trône, sceptre et bandeau.
Je vous en dirais bien la cause,
Si je pouvais m’expliquer ; mais je n’ose.
Apprenez toutefois que, pendant la chaleur,
J’habite les champs ou la ville :
Je m’y bâtis, en architecte habile.
Un abri peu coûteux et de mince valeur,
Mais dans lequel mollement je repose,
Sans rien appréhender des ruses d’un voleur.
Je marche sur dix pieds : si l’on me décompose,
J’offre au lecteur un féroce animal
Dont les rugissements font trembler la Libye ;
Je donne encor ce précieux métal
Qui cause bien souvent les tourments de la vie
Viennent après deux villes d’Italie ;
Ce qui rend immortel le lyrique Rousseau ;
Le contraire de blanc ; deux fleuves de la France ;
Puis un acte de bienfaisance.
Paraît ensuite cet oiseau
Dépeint par le bon La Fontaine,
Monté sur ses grands pieds, emmanché d’un long
cou,
Avide de poisson qu’il trouve de son goût ;
La veille d’aujourd’hui, qui fuit et nous entraide ;
Des oisillons le modeste berceau ;
Un prince qui donna des lois à Syracuse,
Pays, dit-on ; où la nymphe Aréthuse.

Fuyant un séducteur, fut changée en ruisseau ;
Une île qui se trouve auprès de la Vendée ;
Un petit animal surnommé le dormeur,
Des fruits de nos jardins rusé dévastateur ;
La plante qui nous vient des plaines de Judée,
Dont le tissu procure un léger vêtement
Qui sert à la pudeur de voile et d’ornement.
On trouve enfin, sans faire un effort de génie.
Deux fleuves dont les eaux traversent des pays
Différents par leurs mœurs, leurs lois et leurs habits :
L’un coule vers le Nord, en quittant l’Helvétie ;
L’autre arrose l’Égypte, et vient d’Abyssinie.


378. Charade.

Si du premier tu sens la douloureuse atteinte,
Tu ne peux être mon second ;
Du tout on verra l’empreinte
Dans tes yeux et sur ton front.


379. Énigme.

Je ne suis pas, lecteur, très-facile à décrire :
Je sais changer de forme ; et, puisqu’il faut le dire.
Bien ne peut égaler mon bizarre destin.
Sitôt qu’une beauté m’agite avec la main,

Je m’allonge et m’étends, me ferme et me resserre.
Sous des doigts exercés j’ai plus d’un savoir-faire :
J’exprime le dédain, le dépit, le plaisir,
Et sers parfois de voile au plus tendre désir,
Quand la beauté modeste et sage
Veut cacher la rougeur qui couvre son visage,
Un seul geste me suffit quelquefois
Pour dicter les plus dures lois
À l’amant entraîné par son impatience.
Si je sers à l’attaque, je sers à la défense.
Arme redoutable, et trop faible instrument,
J’ai beaucoup trop d’emplois pour exister longtemps,
On me brise, on me perd ; la mode, à qui tout cède,
N’attend pas ma fin pour qu’un autre me succède.
Heureux lorsque le même jour,
En me voyant quitter et prendre tour à tour,
Je peux du doux zéphyre, auprès de mes maîtresses,
Apporter en tribut les plus fraîches caresses.


380. Énigme.

Du mortel qu’en ces vers je trace,
Tâche de deviner le nom :
C’est un vilain qui, de sa grâce.
Change le Pactole en poison.
C’est un ingrat, une âme basse,
Qui retient son maître en prison.


381. Logogriphe.

Je forme assez souvent un cadre assez bien fait,
Et qui chez moi, lecteur, renferme plus d’un trait.
Traits qui frappent vos yeux, en ce moment, j’en jure.
Ne vous mettez donc plus l’esprit à la torture
Pour savoir qui je suis : Vous voilà bien au droit.
Pour peu que je vous donne encore de la marge,
Vous en aurez assez pour me toucher du doigt.
Dans mes cinq pieds, on trouve une route fort large,
Où chacun va comme le vent ;
Le surnom des trois rois, d’un sage ou d’un savant :
Ce qu’on ne doit porter qu’avec droit ou prudence ;
Vous trouverez aussi des vieillards le fardeau ;
Dans l’Océan, une île de la France ;
Ce qui survit à l’homme, au delà du tombeau ;
Des cochers attentifs un cri fort énergique ;
Le contraire de doux ; un terme de musique ;
Le point d’appui d’un galérien ;
Cette cruelle maladie
Qui nous fait souffrir comme un chien ;
Mais crainte de tomber dans la battologie,
C’en est fait, je ne dis plus rien.


382. Énigme.

Femelle, au moindre bruit je suis sur le qui vive ;

Je me cache partout, car je suis très-craintive ;
Mâle, quand je parais, je répands la gaîté ;
J’ajoute un nouveau charme aux traits de la beauté.


383. Logogriphe.

Je suis ce grand oiseau, qu’en deux vers seulement,
Notre bon La Fontaine a peint fidèlement,
En m’arrachant la queue, observe ma figure :
Je deviens cette belle, à blonde chevelure,
Dont la Fable a gardé le souvenir touchant.
Bien qu’elle fut captive en une tour obscure,
Elle éclairait la nuit son courageux amant,
Qui bravait, pour lavoir, un terrible élément.


384. Charade.
Air : V’la c’que c’est d’aller au bois.

Le procureur et le meunier
Font usage de mon premier :
Il sert encore au financier ;
Mais c’est trop m’étendre ;
Vous devez m’entendre.
Et bien Vite vous écrier :
Ah ! j’ai deviné son premier.

Ami lecteur, pour mon second,
On le voit souvent au plafond ;
Il captive un peuple fécond.
Mais c’est trop m’entendre ;
Vous devez m’entendre,
Et vous dire, d’un esprit prompt :
Ah ! j’ai deviné son second.

Mon tout est le cruel moment,
Où l’on pille inhumainement
Ville que de force l’on prend.
Mais c’est trop m’étendre ;
Vous devez m’entendre
Et vous dire certainement :
Ah ! je tiens son tout maintenant.


385. Énigme.

Je suis un être assez maussade,
Froid, insipide, sérieux,
Injuste, inconstant, ennuyeux,
Triste, n’aimant que par boutade.
Je ronfle trop chez les Flamands,
Mais j’y crains peu la perfidie ;
Despote au pays des turbans,
J’y suis bien loin des mœurs de l’ancienne Arcadie.
Voici mes qualités : chez le peuple, brutal ;

Surveillant farouche en Espagne ;
Instituteur en Allemagne ;
Régent chez l’Hibernois ; geôlier en Portugal ;
En France dupe, ou bien esclave ;
Valet en Angleterre ; ami chez le Batave.
Beautés de tous pays qui verrez ce tableau,
Soyez ce que vous devez être :
Ah ! donnez-moi l’amour pour maître,
Et je vous paraîtrai sous un aspect nouveau.


440. Énigme.

Tel que l’arbre qui, dans Éden,
Fut fatal à nos premiers pères,
Je produis des poisons ou des fruits salutaires ;
Je fais le mal, je fais le bien.
Comme cet arbre j’ai des feuilles,
Mais sans avoir de tronc, de branches comme lui.
C’est dans mon sein pourtant, lecteur, que tu recueilles
La vérité, l’erreur, le plaisir ou l’ennui.


441. Logogriphe.

Je suis sur mes trois pieds réputée pour voleuse ;
Au Conclave on m’a vu réunir plusieurs voix ;

Et si mon dernier pied est le premier des trois,
Je paye avec usure la main laborieuse
Qui, pour me reproduire, ouvre, saigne et fouit
La nourrice adorée que pour l’homme Dieu fit.


388. Énigme.

C’est, cher lecteur, pour ton utilité,
C’est pour ton bien que je suis née ;
Et pour remplir ma destinée,
Sans cesse tu me vois braver la propreté.
Mais de quelle étrange manière
On paye un bienfait de nos jours !
L’instant où j’offre mon secours,
Est l’instant où chacun me tourne le derrière.


389. Logogriphe.

Je suis, avec ma tête, affreuse, épouvantable ;
De mille maux je fus coupable ;
Des plus cruels tyrans je servis la fureur.
Sans ma tête, mon cher lecteur,
Des fragiles humains compagne inséparable,
Du mal que je produis je deviens excusable.
Qu’on m’enlève deux pieds, et tu verras en moi
Un immense théâtre où chacun joue un rôle ;

Ou y voit figurer le pâtre avec le roi,
Le sage auprès du fou, l’honnête homme et le drôle,
Souvent, sans trop savoir, ni pourquoi, ni comment.
On siffle, on applaudit, on approuve, on murmure.
Mais, après diverse aventure,
La pièce a pour nous tous le même dénoûment.


390. Charade.

Mon premier figure en musique ;
Mon second captive les cœurs,
Et mon tout est, en politique,
La source de bien des malheurs.


391. Énigme.

On vous annonce une maison
À louer en toute saison :
Elle a deux portes, trois fenêtres,
Du logement pour quatre maitres,
Même pour cinq en un besoin ;
Écurie et grenier à foin,
Elle est dans un quartier qui pourrait ne pas plaire ;
En ce cas, le propriétaire,
Avec certains mots qui font peur,
Et sa baguette d’enchanteur,

Emportera maison, meubles et locataire,
Et tant fera qu’il les mettra
En tel endroit que l’on voudra.
On connaît cet hôtel célèbre
À son écriteau singulier,
Pris dans Barème ou dans l’algèbre.
Et l’on trouve au calendrier
Son nom et celui du sorcier.


392. Énigme.

Quand j’en parcours une à grands pas,
J’en roule une autre dans ma tête ;
De mon gousset trop plat, hélas !
À s’échapper l’autre s’apprête :
De celle-ci quel est le bruit ?
Malheur, peut-être, à plus d’un brave.
Ciel ! j’en vois trois à mon habit,
Oui, mais j’en ai six dans ma cave.


393. Logogriphe.

Un acolyte, un bac, un arc, un lit,
Le troc, le broc, le lec et le cabrit.
Un abricot, le roi, l’air et la Loire,
Ali, Lia, le baril et le bail,

Roc, taire, un bloc, l’abri, le lait et l’ail,
Clio, le Caire, Érato, lire et boire,
Coire, la Brie, un lac et le Loiret,
La toile, Albi, de la cire, un carbet,
Jusqu’au rôlet de ce bon La Fontaine ;
Tous ces objets, qui forment un hachis
Ou, pour mieux dire, un tudesque gâchis,
Ami lecteur, se rencontrent sans peine,
En combinant les neuf pieds de mon nom :
J’offre à tes yeux la machine légère
Avec laquelle un autre Phaëton
Semble vouloir tout réduire en poussière.


394. Énigme.

Il est des gens qui n’ont de mauvais que la tête,
Moi, je ne vaudrais rien si je manquais de tête ;
Mais quand je fais du mal, ce n’est pas à ma tête
Qu’il faut l’attribuer ; jugez mieux de ma tête :
J’empêche le larcin dans un doux tête-à-tête,
À moins que par faiblesse on ne perde la tête :
Si j’entre quelque part, dehors reste ma tête.
Je vais comme on me mène, et souvent sans ma tête
On pourrait bien me perdre ; aussi, grâce à ma tête,
Mon mérite n’est pas tout entier dans ma tête ;
J’ai cela de commun avec plus d’une tête.
Un objet vaut bien peu, s’il ne vaut pas ma tête.

je ne porte ni poils, ni plumes à la tête ;
Point d’entrailles au corps, point de cervelle en tête.
Qu’on devine à quel corps appartient telle tête :
Au surplus en voilà bien assez sur ma tête,
Le mot doit, chers lecteurs, vous sauter à la tête.


395. Logogriphe.

Dans mes sept pieds, lecteur, je t’offre un aliment,
Qui fait, en maigre, assez bonne figure.
Ma tête à part, je suis un vêtement
Qui d’un prélat rehausse la parure.
Rends-moi ma tête, et mets ma queue à bas,
Alors en moi tu trouveras
Un ustensile,
Dans ta cuisine fort utile.
Enfin, veux-tu l’emblème d’un cœur dur ?
Tranche-moi tête et queue, et tu l’as à coup sûr.


396. Charade.

Dans les lieux où gémit, sous sa chaîne pesante,
La victime du crime ou de la fausseté ;
Dans la sombre avenue où la sensible amante
Déplore les écarts de sa légèreté ;
Dans le triste réduit où règne la misère ;

Sur le tombeau d’un fils qu’appelle en vain sa mère,
Partout enfin où sont les larmes, la douleur,
On entend mon premier. Quelquefois le bonheur,
La joie et le plaisir lui donnèrent naissance ;
Mais je le crois plutôt un compagnon des pleurs.
Parmi les végétaux que l’on cultive en France,
Nous comptons mon dernier, légume qui, lecteurs,
Malgré son odeur forte et sa saveur piquante,
Est souvent employé par le bon cuisinier.
Je ne vous dirai rien de mon sinistre entier :
Car sa description n’est pas intéressante.
Apprenez seulement que d’un lieu souterrain
Il interrompt la nuit en rendant l’air plus sain.


397. Énigme.

On m’a souvent pour une obole ;
J’exige des soins assidus :
Si l’on me perd, on se désole ;
Si l’on me gagne, on ne m’a plus.


398. Énigme.

Je dois mon origine à certain personnage
Dont le nom gît dans un livre sacré :

Certes, c’eût été grand dommage
Si je fusse resté des hommes ignoré.
Aux caprices de la nature
Comme eux je fus soumis : c’est la vérité pure ;
Car il est parmi nous des petits et des grands,
Dans tel pays des noirs, dans tel autre des blancs
On me voit au sein des campagnes :
En ville je nais rarement ;
Je me plais mieux sur les montagnes.
Dans les forêts, les bois, jamais ne me trouvant,
Attendu que pour moi leur fraîcheur est mortelle.
Quand je suis encor jeune, un souffle d’Aquilon
Me fait souvent rougir : de Phébus un rayon
Sur moi dans l’âge mûr cause aussi chose telle.
J’ai partout même sort, celui d’être pendu.
Vient-on me séparer de ma mère et nourrice ?
C’est pour me transférer au lieu de mon supplice :
Aux pieds je suis foulé, mon sang est répandu,
Mes bourreaux en sont teints ; pour eux c’est un délice
Que de s’en abreuver ; et par la roue enfin
(Car dans ce monde il faut que tout périsse)
Je termine, hélas ! mon destin.


399. Logogriphe.

Avec ma queue, on me voit d’une belle
Cacher à l’œil maints attraits séduisants

Et sans ma queue en flamme j’étincelle,
Triomphant d’un quinquet dans nos cafés brillants.


400. Énigme.

Sans être Éole, les zéphirs
Reçoivent de moi la naissance,
Et mes ailes ont la puissance
De causer comme eux des plaisirs.
Je sais contenter les désirs
D’une languissante indolence ;
On rit souvent en ma présence,
Et l’on y pousse des soupirs.
Je ne parais plus sur la terre
Quand l’Aquilon lui fait la guerre ;
Je me resserre dans mes plis :
Mais quand le froid, le vent, l’orage
Cessent de causer leur ravage,
Alors je viens revoir Iris.


401. Énigme.

Dans trois différents sens mon nom peut être pris.
Dans le premier, lecteur, je défigure Iris ;
De moi, dans le Second, un amant se décore ;
Et, dans l’autre, on me voit toujours précéder Flore.


402. Charade.

C’est en vain que le coupable
À mon premier fait mon dernier :
On applaudit à mon entier
Quand mon premier est équitable.


403. Énigme.

Sans moi l’on parvient rarement ;
Je mène au but, mais lentement ;
Je suis la devise du sage :
La jeunesse vive et volage
Trop souvent m’abandonne et toujours s’en repent ;
De moi l’on a besoin en tout temps, à tout âge,
Pour acquérir un beau talent
Et pour finir un grand ouvrage ;
La raison, l’esprit, le courage,
Sans moi sont des dons superflus ;
Et seule enfin, j’ai l’avantage
De donner du prix aux vertus.


404. Logogriphe.

De tous les maux sortis de la boîte où Pandore
Trouva le châtiment de sa témérité,

Je ne suis pas le pire encore,
Mais je suis le plus redouté.
Aux bons je dois ce juste hommage,
J’excite la pitié dans leurs cœurs généreux ;
En me plaignant, leur bonté me soulage.
Mais des méchants, qui sont bien plus nombreux,
J’ai le mépris et la haine en partage.
Vous savez tous, lecteurs, combien chez les Hébreux
La lèpre était jadis affreuse, abominable :
Je ne ressemble en rien à ce fléau honteux,
Et l’on me fait subir un destin tout semblable ;
On évite en tous lieux mon aspect importun.
Vous conviendrez pourtant que je ne suis pas vice.
Las ! on me traiterait avec moins d’injustice
Si j’avais l’honneur d’en être un,
Dans mes huit pieds on rencontre une pierre ;
L’ouvrier dont souvent elle lasse les bras ;
Un animal qui vit au centre de la terre ;
Une autre espèce à qui les chats
Ont toujours fait une cruelle guerre ;
Un fort bon mets, surtout s’il est natif d’Amiens ;
Un être précieux qui nous donne la soie ;
Dans ma tête seule je tiens
Une ville de France où l’on frappe monnaie.
Voilà bientôt, lecteur, mon portrait achevé ;
Dès qu’à mes yeux quelqu’un de vous se montre,
Les mains jointes, soudain l’œil au ciel élevé,
J’affecte d’un dévot le maintien réservé ;

Et, par une heureuse rencontre,
Je porte dans mon sein le Pater et l’Ave.


405. Énigme.

Cher et brillant produit d’une vile poussière,
Dans le palais des rois étalant ma splendeur,
J’ai des fruits différents que nous offre la terre,
La forme, la couleur, et le goût et l’odeur.
La flamme me détruit, et je nais par la flamme ;
Souvent d’affreux écueils je couvre au loin la mer.
Dans son boudoir toujours la beauté me réclame ;
Et douce dans l’été, brillante dans l’hiver,
Semblable à l’Éternel, aux feux de la lumière,
J’enfante sur-le-champ mille corps sans matière.


406. Énigme.

Image naïve du temps,
Que rien n’arrête et ne devance,
Bien différent des courtisans,
C’est en reculant que j’avance.


407. Charade.

Mon premier redoublé, dans l’enfance est bien
tendre.
Vous ne méritez pas le bonheur de l’entendre,
Ô vous ! qui, pour l’hymen, ressentez du dégoût.
Sous mon second, le soldat est tranquille.
À Paris, et dans chaque ville
Les arts et les métiers sont soumis à mon tout.


408. Énigme.

En honorant les morts, instruire les mortels,
C’est et ce fut toujours ma triste destinée ;
Tantôt simple, tantôt ornée,
Dans l’église, aux pieds des autels,
J’annonce qui tu fus et que tu cessas d’être.
Partout où l’on me voit paraître
Je suis compagne du cercueil ;
Enfin je dois mon existence
Parfois à la reconnaissance,
Rarement au mérite, et souvent à l’orgueil.


409. Logogriphe.

Je t’ai parlé souvent : tu ne m’as jamais vu ;
Et, sans t’avoir jamais connu,

J’ai pénétré les secrets de ton âme.
Avant qu’il existât, j’avais lu dans ton cœur :
Vieux, jeune, amant, mari, fou, philosophe, femme,
Trouvent en moi leur précepteur.
Me tiens-tu ? Pas encor ? Hé bien ! changeons de
gamme :
Dans les sept lettres de mon nom
Tu pourras découvrir un fleuve, un grand prophète,
Deux villes, deux oiseaux, l’attribut d’Apollon,
Ce qui rendit fameux le mont Hymète,
Un jeu connu, ce que dictait Solon,
Ce dont on a besoin pour polir un ouvrage,
Un Père de l’Église, une plante, un pronom,
Et pour t’éclairer davantage,
Ce qui souvent a gêné ma raison.


410. Énigme.

Ami lecteur, mon nom, véritable Protée,
Peut t’offrir tour à tour un objet différent.
Cherche-moi sur la terre, ou bien dans l’empyrée,
Ici, je serai stable, et là-haut inconstant.
Conservant tous mes pieds, sans les changer de place,
Mais variant ou ma forme ou ma face,
J’inspirerai la joie ou je serai menaçant.
Tantôt je suis de feu, tantôt je suis liquide ;
Et je crains le feu cependant,

Ou je crains l’eau, même la plus limpide.
J’ai fourni des prélats, j’ai fourni des guerriers,
D’excellents vignerons et force tonneliers.
Partout on peut me voir, et même sur sa route ;
Mais si le plus grand nombre ici-bas me redoute,
On agit autrement chez les restaurateurs,
Où je suis désiré, bravé par maints buveurs.
Cherche-moi dans l’Europe, ou même dans la France,
Ou mieux encore en un département…..
Mais, chut ! ami lecteur, j’exige le silence ;
Sinon, je gronderais sur un ton effrayant.


411. Logogriphe.

J’ai trois pieds et suis un pronom ;
Retourne-moi, lecteur, tu trouveras mon nom.


412. Charade.

Chez le peuple romain, aux beaux jours de sa gloire
On a vu mon premier, de pompe environné.
Servir souvent à rendre, après une victoire,
Les honneurs du triomphe aux héros décerné.
D’un bon cœur mon dernier annonce la présence…
Et de crainte, lecteur, que tu ne cherches mal,

Apprends que dans les champs mon tout prenait
naissance
Est le mets favori d’un stupide animal.


413. Énigme.

C’est sur la vanité que mon pouvoir se fonde ;
La beauté me chérit et me cherche en tous lieux
Si je n’existais pas, il n’est personne au monde
Qui pût voir à son gré ce qu’il aime le mieux.


414. Logogriphe.

Par mon esprit, par ma beauté,
Je fus jadis célèbre en France.
Il n’est aucune différence
Entre mon cœur, ma tête et l’autre extrémité.
De cette triple ressemblance
Sans t’étonner, mon cher lecteur,
Enlève-moi la tête, arrache-moi le cœur
Et de femme aimable et jolie
Je deviens un prince d’Asie
Dont un peuple entier, dit-on,
Autrefois a pris le nom.
Poursuis, et que rien ne t’arrête,
Tranche d’un même coup et ma queue et ma tête,

J’offre à tes yeux surpris une Divinité.
Dans ce nouvel état si mon cœur m’est ôté.
Je suis encore une Déesse,
À qui pour prix de sa tendresse
Jupiter fit présent de l’immortalité.


415. Énigme.

L’histoire auprès de nous découvre peu de chose,
Nous en faisons voir beaucoup plus ;
Notre place, toujours, c’est d’avoir le dessus ;
Et le seul piédestal sur lequel on nous pose
Ne se donnerait pas pour cinq cent mille écus.
Incommodes toujours à ceux que nous servons,
On les voit nous ôter et bientôt nous remettre :
Notre solide corps, qu’aisément on pénètre,
Peut servir à tout sexe et dans toutes saisons.


416. Logogriphe.

Je suis, avec sept pieds, une terrible injure,
Par Céline adressée à son amant parjure ;
Mais quand, mon cœur ôté, tendrement il était,
Ce que j’apprends à tous, près d’elle il l’oubliait,


417. Charade.

Chez nos aïeux presque toujours

J’occupais le sommet des plus hautes montagnes,
Et là j’étais d’un grand secours :
Plus souvent aujourd’hui j’habite les campagnes,
Où je figure noblement,
Et j’en fais à coup sûr le plus bel ornement.
Examine mon tout, et fais-en deux parties :
L’une est un animal très-subtil et gourmand,
Réjouissant par ses folies,
De doux maintien, maître en minauderies,
Traître surtout ; l’autre est un élément.


418. Énigme.

Nous avons peu de ressemblance,
Quoique portant un nom pareil…
Dans un trou l’une prend naissance,
L’autre sur un trône vermeil ;
Quoique jolie, on craint de l’une
La nuisible fécondité ;
L’autre est une bonne fortune,
Quand on l’obtient de la beauté.

L’une aux yeux fins n’est qu’une bête,
L’autre annonce beaucoup d’esprit :
L’une peut troubler une fête ;
Et l’autre toujours l’embellit.
Quoique dévorant maint ouvrage,

L’une a, dit-on, peu de savoir ;
L’autre, par le plus doux suffrage,
Aime à le laisser entrevoir.

L’une souvent très-redoutable,
Quoique petite, fait frémir ;
Dans un cercle toujours aimable,
L’autre est le signe du plaisir :
L’une timide, et que l’on guette,
Craint les pièges de l’ennemi ;
Encourageant l’ardeur discrète,
L’autre est guettée d’un tendre ami.

Quel triomphe ! quelle allégresse !
Quand on les a tous deux surpris !
L’une est la dupe de l’adresse ;
L’autre de l’amour est le prix.
À l’une qu’on donne la chasse…
Plus doux objet sait m’attirer :
J’aimerais mieux baiser la place
Où l’autre se fait admirer.


419. Logogriphe.

Sur quatre pieds, lecteur, à l’amoureux mystère,
Je prête quelquefois une ombre salutaire,
Et quelquefois aussi le timide gibier,
Que poursuit sans relâche un chasseur meurtrier.

Rencontre dans mon sein un abri tutélaire ;
S’il peut, dans sa détresse, arriver jusqu’à moi,
J’apaise sa frayeur et calme son effroi.
Autre chose à présent. Transpose avec adresse
Les pieds de mon milieu ; d’une amoureuse ivresse
Le souverain des dieux brûla pour mes appas.
Tu me tiens, ou, mon cher, tu ne t’y connais pas.


420. Énigme.

Il est un monde en miniature,
Qui du grand monde est l’abrégé ;
Monde magique, où la nature
N’a rien produit ; rien arrangé.
Là, le mot est loin de la chose,
L’effet ne tient point à la cause,
Le milieu vient après la fin,
Et juillet arrive avant juin ;
Rien d’ailleurs ne lui manque à cet étrange monde,
Créé quelquefois par un sot.
On y trouve le feu, l’air, et la terre et l’onde,
Esprits et corps, ange et magot,
Plante, fossile, météore ;
On y trouve tout, en un mot,
Et mille autres choses encore.


421. Logogriphe.

Avec ma queue on me voit d’une belle
Cacher à l’œil maints attraits séduisants,
Et sans ma queue elle est souvent rebelle :
J’ai vu naître en mon sein de glorieux enfants.


422. Charade.

Mon premier et mon dernier,
Au sexe près, sont tout à fait semblables :
Ils sont, par un doux nœud, unis dans mon entier ;
Le petit bruit qu’il fait les rend inséparables.
D’une telle union ne vous étonnez pas :
Trouveriez-vous un seul ménage
Qui subsistât longtemps sans bruit et sans tapage ?
Ma nature est pourtant qu’il se fasse tout bas.
Mon premier, aux voleurs cause bien de la peine :
Communément on le fait tout exprès ;
Et mon second, du bonhomme Silène
Grotesquement jadis enluminait les traits.


423. Énigme.

Redouté des humains, désiré tour à tour,
Je porte dans leurs cœurs la crainte et l’espérance.

Pour moi l’active prévoyance
Les fait travailler nuit et jour,
Mais, tel est mon destin, j’expire avant de naître,
Et l’homme meurt sans me connaître.


424. Logogriphe.

Fille de la nature et quelquefois de l’art,
Je suis ou simple ou composée ;
M’insinuer partout est pour moi chose aisée.
Je suis pâle souvent, mais souvent j’ai du fard.
On me prend, on me donne, et, par mon caractère,
Je suis légère, forte, ou douce, ou bien amère ;
Suivant les goûts, lecteur, choisis ;
J’échauffe quelquefois, souvent je rafraîchis.
En détail il est temps de me faire connaître.
Dans les sept pieds qui composent mon être,
On trouve trois pronoms, une disjonction,
Trois mots italiens, deux termes de musique,
L’expression qui plaît à l’acteur dramatique,
Un objet nécessaire à la construction,
Du cœur la qualité première ;
Et pour finir enfin par un trait de lumière,
La montagne de Dieu.
Lecteur, tu me tiens : adieu.


425. Énigme.

Je suis, ami lecteur, un être original :
Je fais le bien, jamais le mal ;
Je me plais pourtant dans le vice,
Et ne connais point la vertu.
C’est un malheur : mais que veux-tu ?
Je suis faite pour le caprice.
J’accompagne partout le roi,
Sans jamais sortir de la ville.
Je sers toujours l’orphelin, la pupille ;
Mais les tuteurs sont des monstres pour moi.
Je suis sensible dans la peine,
Encore plus dans le plaisir :
Sans moi l’on ne saurait jouir,
Ni porter d’amoureuse chaîne.
Dans l’univers je règne avec orgueil,
Rien ne saurait éviter ma puissance :
Mortel, j’assiste à ta naissance,
Et l’on me retrouve au cercueil.


426. Logogriphe.

D’un dieu cruel, par moi seul triomphant,
Je suis, avec mon chef, l’instrument et l’organe ;

Sans ma tête, je suis l’enfant
Qui menace le plus de devenir un âne.
Ôtez-moi tête et cou, dans la bouche des rois,
Comme sur les lèvres des belles,
Je suis un mot bien dur, révoqué toutefois
Moins souvent par eux que par elles.


427. Charade.

Tel bien souvent qui ne s’en doute point.
Et qui de son voisin se raille sans mesure,
Éprouve pareille aventure,
Et porte ma première
où ? n’importe ce point,
Malheureux qui le sait, bienheureux qui l’ignore,
Et plus heureux encore
Qui s’en moque en secret ; car ce malheur, dit-on :
Ne gît que dans l’opinion»
Pour moi, qu’il soit réel ou non,
Je vous dirai, s’il faut être sincère.
Que je déteste cet affront ;
De voir et de penser chacun à sa manière.
Quoi qu’il en soit, lecteur, sur semblable matière
C’en est assez ; et la chose est si claire,
Que tu n’as pas besoin de te gratter le front
Pour trouver ma première.
Ma seconde est le nom d’un être respecté ;

C’est une femme aimable, jeune, belle,
Savante et, qui plus est, pucelle.
Pucelle !… Oui, c’est une vérité ;
Et cependant explique ce mystère ;
La belle quelquefois prodigue ses faveurs.
Et le mortel qui sait lui plaire
N’essuya jamais de rigueurs…
Un mont est le séjour de cette femme étrange,
Ses favoris sont à ses pieds.
Et plus bas rampent dans la fange
Les malheureux qu’elle a disgraciés.
Je suis en somme un instrument champêtre ;
De Tircis je fais les plaisirs,
Quand assis à l’ombre d’un hêtre,
À l’aide de mes sons je charme ses loisirs.


428. Énigme.

Loin de moi le grand jour, je le fuis constamment ;
L’obscurité me plaît, elle est mon élément.
Tantôt, je ne suis que gazée ;
Tantôt, d’un voile épais je suis environnée,
Quelquefois, en suivant une fausse lueur,
On pense m’attraper, ou tombe dans l’erreur.
Si pour me découvrir on a trop de constance,
On s’expose souvent à perdre patience.

Vous qui voulez savoir mon nom,
Lecteur, plaignez ma destinée :
Hélas ! ce n’est pas sans raison
Que je me tiens cachée ;
Découverte, bientôt je suis abandonnée.


429. Logogriphe.

J’ai six pieds, sot lecteur : assise sur ta face,
J’y revêts du manant les mépris, la fierté,
Et du fat parvenu l’orgueilleuse grimace.
D’un front modeste et doux j’effarouche la grâce ;
La pudeur, son sourire et son humble beauté,
Tout tremble devant ma menace.
Tranche ma tête, et de mon corps,
Sous les parvis sacrés, dans l’enceinte bénie,
S’en vont jaillir soudain les suaves accords,
Les sons religieux d’une antique harmonie.
De l’homme auprès des dieux interprète mortel,
Je porte aux pieds du roi du ciel
Les chants pieux des saints poètes.
Terrible et solennel mon organe d’airain
Rappelle au pâle genre humain
La voix tonnante des prophètes.
Rends-moi ma tête, et sur six pieds encor,
Je t’offre, à la faveur d’un funèbre homonyme,
Un tombeau provisoire, un sombre asile, un port

Où gisent nus, sans ordre, en attendant leur sort,
Ces squelettes obscurs dont la mort fut un crime,
Dont un crime hâta la mort.
Jeune lecteur, le monde et t’honore et t’estime ;
Mais prends garde que, quelque jour,
T’entraînant avant l’âge, et précoce victime
De la roulette ou de l’amour,
La Seine ne renvoie en mon sanglant séjour
Tes restes inconnus, ton cadavre anonyme.


430. Énigme.

Je surprends le monde sans bruit,
Et par une noire aventure,
Compagne de la Mort, et fille de la Nuit,
J’efface les beautés de toute la nature,
L’excès de ma grandeur fait que je parais moins,
Et tous les peuples sont témoins
Que je suis rarement compagne de la lune.
Mon empire dépend des regards du soleil ;
Il fait ou défait ma fortune.
Je nais à son coucher, et meurs à son réveil.


431. Logogriphe.

Non, il n’est rien de plus dur que mon cœur ;
Si vous m’ôtez deux pieds, il n’est rien de plus tendre,

Rendez-les-moi, je m’adresse au Seigneur :
Lors il m’entend. Ne peux-tu me comprendre?


432. Charade.

Un ciel pur et serein, la naissante verdure,
Des prés, des huis et des coteaux,
Le gazouillement des oiseaux,
Annoncent mon premier à toute la nature.
Jouant avec sa chevelure,
Iris, à l’ombre des lilas,
Compose mon dernier de ses doigts délicats.
Aux champs de la riante Flore,
De la tendre fleur du rosier
Que le zéphir a fait éclore,
Lucas fait un bouquet charmant, que mon entier
Doit pourtant embellir encore.


433. Énigme.

Je nais parmi le tumulte et les armes :
C’est moi pourtant qui fais naître la paix.
Je suis le prix du sang et des forfaits ;
Objet constant des plus ardents souhaits,
Souvent à qui m’obtient je coûte bien des larmes :
À Gnide, au champ de Mars, l’amant et le guerrier

Attendent de mes mains le myrte et le laurier.
Le héros triomphant que ma gloire environne
Chante partout victoire et vante son bonheur :
L’amant discret que je couronne
Sait renfermer le sien dans le fond de son cœur.
Une jeune bergère
Au souris fin, à la taille légère,
Porte mon nom : heureux qui, dans un doux loisir,
Dédaignant de me suivre au sentier de la gloire,
Tout entier à l’amour aura su l’attendrir ;
Qui, comblé de ses dons, pourrait chanter victoire !
Heureux !… mais c’est assez ; à me trouver, je crois,
Ta peine, cher lecteur, ne doit pas être extrême :
Lis bien, et tu verras qu’en te parlant de moi,
Je me suis dans ces vers deux fois nommé moi-même.


434. Logogriphe.

Jugez si j’ai le don de plaire :
Je sais flatter le goût, l’odorat et les yeux ;
La moitié de mon tout est au sein de la terre,
Et l’autre moitié dans les cieux.


435. Énigme.

Lorsque, pour s’amuser, sans cesse ils s’évertuent
Ces messieurs les humains, ils disent qu’ils me tuent :

Moi, je ne me vante de rien,
Mais, ma foi, je m’en venge bien.


436. Logogriphe.

Quand je conserve et ma tête et ma queue,
Je suis un animal ;
Et quand je perds et ma tête et ma queue,
Je suis un minéral.
Perdant ma tête et conservant ma queue.
Je suis un ornement ;
Gardant ma tête et retranchant ma queue.
Je suis un instrument.
Quand je reprends et ma tête et ma queue,
Je suis connu par mon avidité ;
Et quand je perds et ma tête et ma queue,
Je le suis par ma dureté.
Perdant ma tête et conservant ma queue,
Si je sers c’est en habillant ;
Gardant ma tête et retranchant ma queue.
Je sers aussi, mais en tournant.
Si l’on me rend et ma tête et ma queue,
Je suis bon à manger ;
Et si l’on m’ôte et ma tête et ma queue,
Avec soin il faut m’éviter.
Perdant ma tête et conservant ma queue,
Je décore un prélat ;

Gardant ma tête et retranchant ma queue,
Je fatigue un goujat.


437. Charade.

Pour avoir mon premier.
Femme qui caché mon dernier,
Manque souvent mon entier.


438. Énigme.

Quoiqu’il soit aisé de me voir,
Me palper est chose impossible ;
Le jour je puis être visible,
Mais je ne règne que le soir.
Toujours le soleil me fait naître.
Et, dans mon bizarre destin,
Géant à sa naissance, ainsi qu’à son déclin,
Au milieu de son cours on me voit disparaître,
Pour grandir encore à la fin.
Père et fauteur de la mélancolie,
Parfois je charme tes loisirs :
J’intimide Chloé et j’enhardis Sylvie ;
J’inspire la terreur et flatte les désirs ;
Je suis l’emblème de la vie,
Et l’image de tes plaisirs.


439. Logogriphe.

Entier, lecteur, je suis une chimère ;
Coupe mon chef, et je deviens ta mère.


440. Énigme.

Autrefois, de Bellone ornant la tête altière,
J’animais deux rivaux luttant dans la carrière ;
Et le Dieu dont la lyre enchante les échos,
S’arrogeant à son tour l’honneur de mes rameaux,
En couronnait le front de sa docte cohorte.
Maintenant, ô du sort retour injurieux !
Banni des immortels, ils m’ont conduit, ces Dieux,
Comus à la cuisine, et Bacchus à la porte.


441. Logogriphe.

Nous sommes quatre sœurs, ne marchant guère
ensemble ;
Bénis l’heureux destin qui pour toi nous rassemble !
Privé de nos secours, dans la société,
Tu serais taciturne, inquiet, emprunté,
Insensible aux attraits de la douce harmonie,
Qui charme quelquefois les peines de la vie.
Vas-tu sans nous, lecteur, t’égarer dans les bois ?

Philomèle est muette. Écho n’a plus de voix ;
Zéphire vainement agite le feuillage ;
La mer en vain pour toi mugit sur le rivage ;
Il est vrai que sans nous, dans ton triste repos,
Tu te vois à l’abri des diseurs de bons mots,
Dont la froide gaîté, dont la fade éloquence
Font regretter souvent le modeste silence.
Divise-nous, lecteur ; tu vois ce mot charmant,
Qu’une vierge aux autels balbutie en tremblant,
Un adverbe ; un oiseau, cette nymphe adorable
Que Jupiter aima, si l’on en croit la Fable.


442. Charade.

Mon premier est muet, ouvert ou bien fermé,
Selon que le cas le demande :
La dévote est, dit-on gourmande ;
Par elle aussi toujours mon second fut aimé.
Lorsque Jésus naquit, tout Bethléem charmé
Accourut dans mon tout lui porter son offrande.


443. Énigme.

Pour me loger je n’ai besoin d’autrui ;
Aussi, chez moi je ne souffre personne ;
Et sous mon toit si quelqu’un s’introduit,
C’est quand j’y meurs, ou quand je l’abandonne.

Dans ce solide et singulier abri,
Je brave tout, vent, frimas, pluie et grêle ;
À m’enfermer si le froid me réduit,
Jusqu’au retour de la saison nouvelle,
Sans art, sans peine, et sans aucun apprêt,
Tout simplement je clos ma solitude ;
Et là, je prends, exempt de tout regret,
Du jeune et du repos l’économe habitude.


444. Logogriphe.

Je suis, ami lecteur, une ronde machine,
J’ai huit pieds, une queue et bien plus d’yeux
qu’Argus ;
Mais pour faciliter celui qui me devine,
Je me métamorphose en vingt façons et plus :
D’abord en pièce de monnaie,
Quelquefois en oiseau, d’autres fois en un fruit.
Quand je veux, à mes sons le chien de chasse aboie.
Je me déguise ensuite en ministre du Christ.
Je deviens un puissant monarque,
Ou bien d’un nautonier je supporte la barque.
Je séduis un auteur, j’ai ma place en ses vers,
Et lui cause bien du travers.
Faut-il changer, je me fais une ville,
Ou ce que pour passer l’on y trouve d’utile ?
Aussitôt je me vois un métal précieux.

Un poisson, s’il me plaît, un arbre si je veux,
J’offre deux notes de musique,
Et de l’affirmative un terme symbolique.
Je deviens propre à faire des flambeaux,
Ou sers d’asile à certains animaux.
Rechangé tout à coup, l’amour et son empire
Font que pour la beauté jour et nuit je soupire
Enfin, quand vous aurez appris
Que j’ai ce qui donna la naissance à ma mère,
Que l’on dit reine de Cythère,
Sans doute vous serez surpris.


445. Énigme.

Je marche sur six pieds, je vis dans le silence,
Et je suis, en amour,
Pour qui craint les jaloux, d’une grande importance.
Plus d’un bavard me trahit chaque jour.
Je suis ; ….. mais c’est assez ; tu devines peut-être :
En ce cas, cher lecteur, pour toi je cesse d’être.


446. Logogriphe.

J’ai sous un même nom deux différents emplois :
Tantôt en exerçant les doigts
Je sers ou nuis à bien du monde ;
Tantôt, ô force sans seconde !

Lecteur, tu le peux croire, et souvent tu le vois,
Je porte sur mon dos le ciel, la terre et l’onde.
Voilà ce que je fais ; voici ce que je suis,
En peu de mots je le déduis,
Tant de longueur est superflue :
Ma tête est un adverbe, et par inversion
Je forme de ma queue une conjonction.
Si vous ne devriez, vous avez la berlue.
À votre gré, si j'en ai dit trop peu,
Voici de quoi finir mon jeu :
Lecteur, fouille-moi jusqu’au centre
Tu trouveras un rat enfermé dans mon ventre.


447. Charade.

D’où te vient cet orgueil étrange ?
Disait le tout à mon premier :
Sitôt que l’on te voit voler dans mon dernier,
Femmes, enfants, vieillards, tout s’enfuit, tout se
range :
L’un peur d’être roue, l’autre peur de la fange.
On me voit au contraire, au retour du Zéphir,
Au gré du laboureur, pour mieux remplir sa grange,
Dans son champ couramment aller, et puis venir ?
Loin de fuir on s’arrête ; et c’est pour applaudir
Au sol qui sous ma loi docilement s’arrange.
Si, comme mon premier on ne fait qu’éblouir,

Si, comme mon dernier, on ne fait qu’étourdir.
On n’est pas, cher lecteur bien digne de louange.
Vive qui, comme moi, travaille-à te nourrir !


448. Énigme.

À la ville ainsi qu’en province,
Je suis sur un bon pied, mais sur un corps fort
mince.
Robuste cependant, et même faite au tour,
Mobile sans changer de place,
Je sers, en faisant volte-face,
Et la robe et l’épée, et la ville et la cour.
Mon nom devient plus commun chaque jour ;
Chaque jour il se multiplie.
En Sorbonne, à l’Académie,
Dans le conseil des rois et dans le parlement ;
Par tout ce qui s’y fait on le voit clairement.
Embarrassé de tant de rôles ;
Ami lecteur, tu me cherches bien loin,
Quand tu pourrais peut-être, avec un peu de soin,
Me rencontrer sur tes épaules.


449. Logogriphe.

Que suis-je ? un être abstrait, petit, moyen ou grand.
Rond, carré quelquefois, entier, rompu souvent.

De disputes sans fin très-innocente cause,
Beaucoup, pour m’établir, n’ont rit trêve, ni pause.
Dans mes six pieds divers que ne trouve-t-on pas ?
L’antiquité crédule en faisait bien du cas :
Certains me disaient d’or ; et dans cette importance,
Du monde, suivant eux, je réglais l’existence.
Ces honneurs sont passés : du cerveau des savants
Je descendis depuis au comptoir des traitants.
Là, je règne : on m’y voit bien rangé par colonne…
Mais c’est assez : voyons ce que mon nom vous donne.
Vingt mots, ni plus ni moins, dans mon sein
rassemblés,
Vont vous rendre bientôt tous mes traits dévoilés.
D’abord, voici le nom de ce bon patriarche
Qui replanta la vigne au sortir de son arche ;
Puis ce qu’aux champs, l’été, cherche le promeneur ;
Un arbre ; une rivière ; un métal séducteur ;
Ce que dès en naissant nos pères nous transmettent ;
Et ce qu’à leurs désirs les sages toujours mettent.
Les sages ! c’est bien dit : en est-il ici-bas ?
Cette affaire, au surplus, ne nous regarde pas.
Poursuivez : je vous offre un lieu dans l’Helvétie :
De la gamme une note ; et ce qu’en temps de pluie
Les dames, avec grâce, ont soin de relever.
Plus, une particule ; un titre à mériter,
Quoiqu’en ce siècle, hélas ! il ait peu nos hommages ;
Le théâtre effrayant des vents et des naufrages ;

Deux pronoms ; certain mot dont au jeu l’on se sert ;
Un mont, chez les Hébreux, au milieu d’un désert ;
L’aspect qu’imprime au front le crime ou l’infortune.
Si ce trop long détail, lecteur, vous importune,
Terminons en deux mots : dites le nom latin
Du plus affreux tyran de l’Empire Romain,
Et joignez-y la ville, en héros si féconde,
Qui fut (et l’est encor) la première du monde.


450. Énigme.

De moi, quand je suis seul, on ne peut faire emplois
C’est pour cela qu’on m’associe,
Avec certaine compagnie
Dont le plus petit membre est encor plus que moi ;
Je suis pourtant de bonne escorte.
Par le puissant effet d’un talent singulier,
Avec mes compagnons, quand je vais le dernier,
La troupe en est neuf fois plus forte.


451. Logogriphe.

Je suis sur mes cinq pieds divinité champêtre ;
Sur quatre je me vois remplacé par le mètre ;
Sur trois pied son me dit ombrageux, indocile,
Pour l’homme néanmoins, je suis parfois utile ;

Sur deux tu vois enGn une note en musique
Et ce qui te vieillit, c’est un fait authentique.


452. Logogriphe.

Quoique fort mince personnage,
Sous plus d’un sens je puis m’offrir à toi,
D’abord tout écrivain de moi doit faire usage ;
Le jour ne peut naître sans moi.
Si de ton corps j’attaque une partie,
Je te fais endurer une vive douleur ;
Je vais parfois de compagnie
Avec l’aiguille, avec l’honneur ;
Si je viens à perdre mon cœur,
J’occupe un assez grand espace.
Et c’est sur l’eau, mon cher lecteur.
Que pour l’ordinaire on me place.
Quoique j’y sois commun dans mille endroits divers
Ne va pas toutefois me chercher sur les mers.


453. Énigme.

Par la vertu de ma baguette
Je rassemble chez moi les vivants et les morts,
Et je note par étiquette
Leurs noms ainsi que leurs trésors.

Là, par l’orgueil des rangs chaque place est fixée :
Ils ne sont pas égaux, je ne puis le nier ;
Les grands sont au rez-de-chaussée,
Tandis que les petits logent dans le grenier.
Parlerai je de leur parure ?
Les uns brillent par la dorure,
D’autres, d’un pauvre habit sont à peine couverts.
Malgré leurs vêtements divers,
Mes hôtes vivent tous en bonne intelligence :
Et dans leur compagnie il règne un tel silence,
Qu’on entendrait mouche voler.
À ce sage statut aucun d’eux ne déroge ;
Et même alors qu’on l’interroge.
Chacun répond sans vous parler.


454. Charade.

Le pirate sur mon premier
Court après la fortune ;
Le médecin par mon dernier
Augmente sa fortune ;
Et protégé par mon entier
Le marchand fait fortune.


455. Logogriphe.

Lecteur, si tu m’ôtes la tête,
Je charme les hôtes des bois,

De l’Enfer je fais la conquête,
Et tout rend hommage à ma voix.
Avec ma tête, dans la Fable,
Ministre d’un des premiers Dieux,
Je tiens de lui le pouvoir ineffable
De te plonger, quand je le veux,
Dans un calme délicieux.


456. Énigme.

Je suis le père des merveilles ;
Le caprice est ma seule loi.
Tel manant quand il dort, tel savant dans ses veilles.
Ne font souvent qu’extravaguer par moi.
Je figure fort bien dans les tragiques scènes ;
De mille œuvres je suis la définition ;
J’occupe enfin bien des têtes humaines ;
Qui veut me deviner me mette en action.


457. Logogriphe.

Je suis une vertu que partout on révère ;
De bien des malheureux j’adoucis la misère.
Dans les livres sacrés on lit souvent mon nom ;
On le cite parfois en chaire, en oraison ;
La concorde, la paix, la bonne intelligence

Sont les heureux effets qu'on doit à ma puissance.
Dans mes sept pieds, lecteur, on trouve un animal,
Nourri pour en détruire un autre qui fait mal ;
Une ville qui fut la mère de Carthage ;
Deux interjections, une plante en usage ;
Un quartier de Paris, une île de l'Aunis ;
Le siège où le soleil dans la Fable est assis ;
L’effort que fait la voix pour se mieux faire entendre :
Si ce n’est pas assez pour me faire comprendre,
Tu trouveras encor, en me combinant bien,
Un léger instrument qui sert au musicien ;
L’élément dans lequel pour s’élever aux nues,
Montgolfier sut trouver des routes inconnues.


458. Charade.

À la bienfaisante Cérès
Mon premier doit son origine ;
Il est l’ornement des guérets,
Barbu, pointu comme une épine :
Mon second fait souvent honneur
Aux enfants du dieu d'Épidaure,
Qui, possédant l’art du Centaure,
Calment, guérissent la douleur ;
Mon tout, fuit connu dans la Grèce,
À sa secte donna son nom ;

Que si ce nom vous intéresse…
Il est l’opposé de Zénon.


459. Énigme.

Je suis l’enfant et le roi de la terre
Autrefois j’ai servi le maître du tonnerre ;
Mais de mille attributs que j’ai.
Celui-ci peut suffire à me faire connaître ;
Tant que chez mon patron je demeure engagé,
Je lui suis inutile, et dangereux peut-être,
Je ne rends service à mon maître
Que quand j’en reçois mon congé.


460. Logogriphe.

J’ai de maux infinis affligé les humains,
J’ai parfois opéré des biens inestimables,
Le sort de l’univers repose dans mes mains,
Je produis des vertus, comme de grands coupables :
Je donne un vaste essor au cœur comme à l’esprit ;
Mais malheur à qui vit aux jours où je dois naître !
Il ne goûtera point de la paix le doux fruit ;
Pour calmer mes fureurs il n’aura plus de maître.
À me décomposer exercez vos talents ;
Je renferme en mon sein, comme jadis Pandore,

Des célestes fléaux les emblèmes frappants,
Je vole sur dix pieds de l’une à l’autre aurore.
Du roi des animaux j’ai les traits menaçants,
J’offre aussi d’un brigand le regard hypocrite,
D’un noble souverain j’ai les traits imposants,
Et d’un diable incarné la figure maudite.
Je renferme en mon sein ce qui de tout acteur
Fixe l’attention : ce qui de la musique
Fait l’essence et les lois, une utile liqueur,
Ce qui règle toujours un concert harmonique,
Je vous présente encor un mode pour les choix,
L’heureuse qualité qui subjugue et qui touche,
Prototype sacré des mœurs comme des lois,
Grand mot que mes faiseurs ont toujours à la bouche.
Du libre arbitre j’ai le principe constant ;
Le crime le plus vil, dont je suis très-capable ;
L’étoffe qui des rois est le riche ornement ;
Ce qui des indigents est le sort misérable.
Je m’explique, lecteur, avec trop de clarté.
Tu me nommes déjà : grâce à l’effort sublime
Du héros, dont les lois m’ont enfin arrêté.
On n’apercevra plus partout mon noir abîme.


461. Charade.

L’avare a soin d’encoffrer mon premier ;
Le boulanger vend toujours mon dernier ;
Le jardinier pratique mon entier.


462. Énigme.

Je suis d’une taille très-fine,
Et propre dans mon origine ;
On me gâte pour mon malheur,
Et c’est ce qui fait ma valeur.
D’une tranquillité profonde,
Je souffre tout sans aucun choix ;
Avec moi mille et mille exploits
Se font craindre par tout le monde.
Sorti de la gêne et des fers,
À voir ce que je suis tout le monde s’empresse :
En cent façons on me tourne, on me presse,
Pour me faire courir et les monts et les mers ;
Et pour comble de mon martyre,
Je me garderai bien de dire
À quel vil usage je sers.


463. Logogriphe.

Si tu veux voir, lecteur, un poisson fort commun,
Que l’on mange à Paris aussi bien qu’à Melun ;
Une ville autrefois en grands hommes féconde,
Et qui tient un haut rang dans les fastes du monde,
Puis ensuite un endroit des pitons fréquenté
Au printemps, en automne, eu hiver, en été,

Un métal précieux que tout mortel désire,
Pour lequel Harpagon incessamment soupire,
Et dont il se sépare avec bien des regrets ;
Un arbre assez commun qui peuple les forêts…
Dérange les cinq pieds qui composent mon être ;
Ce petit passe-temps t’amusera peut-être.


464. Énigme.

Lorsque la nature sommeille,
On voit paraître mes beautés ;
Aux champs que le jour a quittés,
Je suis la petite merveille.
Mon éclat n’est point emprunté :
Sur la terre, je suis un astre
Qui ne prédit aucun désastre.
De me saisir on est tenté.
Ma lumière croit, diminue ;
Souvent, quand on veut m’approcher,
Je sais me cacher à la vue,
Et l’on ne sait où me chercher.


465. Logogriphe.

Je me tiens dans les champs, on me trouve à la ville,
Je puis nuire partout, partout je suis utile.

Quel calme autour de moi ! quelle aimable fraîcheur ;
Et près de moi, souvent, quel fracas ! quelle odeur !
Le repos m’est funeste, et l’on a vu mon être
Disparaître en un temps, dans l’autre reparaître.
On vante mes bienfaits, on m’évite, on me fuit ;
Si je plais quelquefois, lecteur, c’est par mon bruit.
Enfin, quoique toujours dans la fange et l’ordure,
Mon corps n’en est pas moins une chose très-pure.
Outre ces attributs de mes pieds réunis,
Mon sein pourrait t’offrir des objets infinis ;
Mais je ne veux ici qu’un moment te distraire ;
Et qui gazouille trop fatigue au lieu de plaire.
Deux mots te suffiront pour me connaître bien :
Prends mes trois derniers pieds, sans eux je ne suis
rien,
Et toi-même, lecteur, tu serais fort à plaindre.
Saisis-toi de mon tout, divise-le sans craindre :
L’une de mes deux parts fait paraître à les yeux
Ce qui sert aux trois pieds, du moins en plusieurs
lieux ;
Avec deux pieds nouveaux, précédés de ma tête,
C’est là que trop souvent malgré moi je m’arrête,
Que peut-être cent fois tu maudis mon séjour.
Je suis arbre, poisson, ville et jeu tour à tour ;
Je marque le plaisir, j’annonce la tristesse ;
Tantôt… Non, non, c’est trop ; fidèle à ma promesse,
Évitons un détail pénible, hors de saison ;

Toutefois si quelqu’un n’a pu trouver mon nom,
Qu’il lise les Jardins du moderne Virgile,
Ou plutôt se rappelle une élégante idylle.


466. Charade.

Descendez lentement mon dangereux premier ;
Montez bien doucement mon pénible dernier ;
Célébrez dignement le jour de mon entier.


467. Énigme.

Mon père est l’air et ma forme est sphérique,
Je suis légère, éclatante, élastique ;
J’offre aux regards les plus vives couleurs :
En me brisant, je m’exhale en vapeurs.
Deux éléments composent mon essence ;
D’un autre agent je tiens ma consistance,
Et mon volume est plus ou moins petit.
Le moindre choc m’anéantit ;
Et très-souvent je cesse d’être
Au moment où je viens de naître.
Un souffle léger me produit,
Un souffle trop prompt me détruit.
Aux amusements de l’enfance
Je dois ma trop courte existence.

À tous ces traits, on voit combien
Il est aisé de me comprendre.
J’ajoute : si l’on veut me prendre,
Je disparais, on ne tient rien.


468. Logogriphe.

Avec mon cœur je te nourris.
Et sans mon cœur je te détruis.


469. Énigme.

Je n’ai pas le dessein d’insulter à la France ;
Mais s’il faut du bon goût respecter les arrêts,
Lorsqu’aux lointains pays j’ai reçu la naissance,
Je suis plus estimé que si j’étais Français…
Je vois votre surprise, et je veux sans mystère,
Tout entier me peindre à vos yeux :
Ma figure d’abord est assez régulière,
Et si parfois je suis boiteux ;
Mon mérite n’en souffre guère.
Quant à mon naturel, ici je l’avouerai,
Je porte la finesse au suprême degré :
Séduire la vertu, rendre la beauté fière.
D’une amante irritée apaiser la colère,
Et devenir souvent la terreur des époux

Sans cesser jamais d’être doux,
Sont les effets divers que l’un me voit produire.
En un mot, si pour moi votre femme soupire,
Dut-il vous en coûter quelques milliers d’écus,
À ses désirs hâtez-vous de souscrire,
Sinon vous grossirez la liste des… battus.


470. Logogriphe.

Avec mes six pieds différents,
Je fais naître vingt-quatre enfants ;
Mais cette nombreuse séquelle,
En naissant quitte le palais
Où l’on me fixa pour jamais
Au fait, je suis une femelle ;
Et voilà sans doute pourquoi
Nos malins faiseurs d’épigrammes
Prétendent qu’entre elles les femmes
Ne sauraient se passer de moi.
Mais sur mon exemple on a beau dire,
Je ne m’en effarouche pas,
Et je suis bonne en tous les cas,
Pour riposter à la satire.
Afin d’exercer mes talents,
Je vais nommer tous mes enfants :
D’aucun je ne le ferai grâce :
Mais j’ai termine ma préface ;

J’entre en matière ; attention !
À deux pieds, je donne le ton ;
D’un lustre aussi je fais partie ;
Je suis ville de Normandie,
Et ce qu’en ménage, dit-on,
Deux époux doivent toujours faire.
À trois pieds, jadis je fus d’or ;
Deux fois je mouille ; je sais braire ;
Je suis zéro ; je suis encor
Ce qu’un candidat voudrait être ;
Et certain appât assez traître.
Que doivent craindre les moineaux.
À quatre pieds, une autre ville,
Et puis un de nos minéraux ;
Un récipient bien utile ;
Du ciel un page ; un mal qui cuit ;
Ce qui donne de la souplesse ;
La blanche reine de la nuit :
Ce qu’un homme à l’autre est sans cesse
Devant l’interprète des loix.
À cinq pieds, j’étais en mesure ;
J’ai ma pointe ; je chasse aux noix ;
Je suis enfin la couverture
Qui garantit l’enfant de l’air ;
Et je pousse au bord de la mer.
C’est assez ; voilà ma portée.
Mais apprends, pour te mettre au fait,

Qu’en débitant mon chapelet,
Je puis, lecteur, être arrêtée,
Par le moindre petit filet.


471. Charade.

Un avare, un amant, serrent dans mon premier,
L’avare son argent, l’amant de son amante
Le portrait, les cheveux, quelque lettre charmante,
Heureux qui peut toucher le point de mon dernier !
Heureux encor celui qui, le premier janvier,
À la beauté qui l’intéresse
Et qui mérite sa tendresse,
Pourrait présenter mon entier !


472. Énigme.

Sans moi tu ne peux vivre, et je vivrai sans, toi ;
Sans me voir tu me sens : ainsi définis-moi.


473. Logogriphe.

Je suis un animal existant sur la terre,
Cher lecteur, et créé pour ton utilité ;
Tantôt craintif et doux, tantôt hardi, colère,
De toi je suis chéri, plus souvent redouté.

Entreprends-tu, lecteur, un pénible voyage,
Tout mon être est à toi : partout je suis tes pas,
À travers les périls mon corps t’ouvre un passage,
Et parfois ma valeur le dérobe au trépas.
Souvent… Mais je me tais ; car trop parler peut-être
Facilement par toi me ferait deviner.
Qui suis-je cependant ? Me voilà… tout mon être
Repose sur cinq pieds. Veux tu me démembrer ?
À tes yeux s’offrira la place où jour et nuit,
le corps las des travaux que plus souvent j’endure,
Je viens me reposer ; et pour moi ce réduit,
Quoique simple, de l’air me fait braver l’injure.
Je voudrais bien, lecteur, t’en dire davantage,
Mais me nommer sitôt vraiment serait peu sage.


474. Énigme.

Nous sommes tous égaux et nous sommes tous frères,
Toujours en l’air et toujours suspendus ;
Nous sommes des agents par qui sont étendus
Les voiles des plus doux mystères.
Mais pour nous deviner, voici l’essentiel ;
Le soleil comme nous est de figure ronde
Il fait le tour du monde,
Et nous le tour du ciel.


475. Logogriphe.

Je suis avec mon cœur une pauvre monture ;
Ôte-le-moi, lecteur, j’embellis la nature.


476. Charade.

Mon premier, dans les mains de la docte Uranie,
Mesure hardiment et la terre et les cieux ;
Et mon dernier dans les plaines d’Asie
Levait jadis un front audacieux.
Mais aujourd’hui dans la poussière
Il incline son front altier,
Et sa splendeur, si célèbre naguère,
N’excite plus que mon entier.


477. Énigme.

Aidé du feu l’on me produit,
Et par le feu l’on me détruit.
Le même jour voit la fleur la plus belle
Éclore et mourir :
La même nuit me voit, comme elle,
Briller et périr.


478. Logogriphe.

Je tiens t’offrir, lecteur, un composé bizarre ;
Car, sans changer de nom, phénomène assez rare,
Je suis tout à la fois végétal, homme, oiseau,
Homme, dans ce pays mon destin est très-beau,
Je dirige, à mon gré, le char de la victoire,
Et conduis les héros au temple de mémoire :
Oiseau, ma seule étude est de faire l’amour ;
Arbre, je rafraîchis de la chaleur du jour.
Monté sur mes neuf pieds, si l’on me décompose,
le suis un végétal plus brillant que la rose ;
Un temple révéré de plus d’un connaisseur ;
Un des plus sûrs moyens de jouir du bonheur ;
Dans les jeux de Thalie, un rival de Molière ;
Une vieille monnaie, emblème de misère ;
De l’habitant des airs l’asile ingénieux ;
Enfin de tous les arts l’art le plus difficile,
Qui conduit quelquefois à l’immortalité,
Je suis ce qui fait naître et détruit la beauté ;
Un quadrupède ignoble, entêté, mais utile ;
Le cachet désastreux de la caducité ;
Un espace de temps ; un grand saint ; une ville
Un animal friand, rusé, très-fin chasseur ;
L’antithèse de tout ; un célèbre empereur,
Que n’a peint épargne l’affreuse calomnie ;

Parce qu’il employa le reste de sa vie
À prouver que son cœur était reconnaissant.
Eh bien ! mon cher lecteur, me tiens-tu maintenant ?
Pas encor ! Poursuivons….. Escorte du tonnerre.
Si j’appelle le deuil en ravageant la terre,
Des humains très-souvent je rafraîchis le sein.
J’étais en premier chef un instrument de guerre ;
Je suis dans le second un végétal bénin.
Ce n’est pas tout, lecteur : forcé par ma nature,
Je change tout à coup et de forme et d’allure.
Et sous les mains d’Eglé je deviens un lutin :
Je caresse, je mords, car tel est mon destin :
Cet état dure peu : nouvelle fantaisie
Vient dans le même instant féconder mon génie ;
Et, traversant d’un trait le vaste sein des mers,
Sans jamais redouter l’inclémence des ans,
Dans ce cap si fameux, nommé Bonne-Espérance,
Je suis un volatil très-aime de l’enfance :
Crois-tu que tout est dit, mon cher lecteur ? Attends,
Un caprice nouveau s’empare de mes sens.
Dans les climats neigeux de l’âpre Sibérie,
Me voila quadrupède, actif, laborieux ;
Je suis le seul trésor, le bonheur et la vie,
Des pauvres habitants de ces pays affreux.
Il fait trop froid ici, je viens vite en Afrique,
Et j’y vends mes parents : aimes-tu la musique ?
J’y tiens un second rang : dans un jeu très-ancien

À qui sait nie placer je procure du gain ;
Je suis un élément à l’homme nécessaire ;
Du règne végétal la source la première ;
Un poisson recherché par Beaucoup d’amateurs ;
Un secours consolant dans leè grandes douleurs ;
Enfin pour terminer mon histoire bizarre,
Je suis un beau présent dont le ciel est avare.


479. Énigme.

Je suis un symbole funèbre ;
Tous les jours cependant on chante ma douceur ;
Chez les païens je fus célèbre.
J’eus une triste mère, une plus triste sœur ;
Comme elles je fuis la lumière.
Quand je vous frappe, homme présomptueux
Vous perdez à l’instant votre vigueur première ;
Iris, j’éteins aussi l’éclat de vos beaux yeux.
Le héros le plus fier, et le lion farouche,
Sont terrassés sitôt que je les touche ;
Rien ne peut résister au pouvoir de mon bras.
Encore un mot pour me faire connaître.
Un mortel, sans le moi qui ranime son être,
Tomberait dans un moi qui ne finirait pas.


480. Logogriphe.

Je suis, cher lecteur, tour à tour
Et temple de la haine, et temple de l’amour ;
Sans être oiseau, je vis dans une cage
Que j’ai construite en mon bas âge,
Et que j’entretiens chaque jour.
Est-on amant ? on parle mon langage :
Est-on époux ? il est bien peu d usage.
En mes cinq pieds on trouvera,
Si par hasard on m’analyse,
Ce qu’on montre quand on s’en va ;
Ce que voudrait avoir maint et maint clerc d’église ;
Un lieu sans couverture, et renfermé de murs ;
Un léger mal, fréquent chez la coquette ;
Ce qui porte le chef ; un des corps les plus durs ;
Ce qu’on demande en payant une dette ;
Une plante qui sert dans les pâles couleurs ;
Ce que font les dindons auprès de leur poulette ;
L’instrument musical que portent les chasseurs ;
Ce que promet la médecine
Au malade qui se chagrine ;
L’endroit où l’on n’a pas, dit-on, un seul ami ;
Une pièce d’argent, la note entre ut et mi ;
Et ce métal, moteur des cervelles humaines,
Qui tient tout l’univers asservi dans ses chaînes.


481. Charade.

Je vais, mon cher lecteur, te dire une charade,
Qu’un sauvage invitait un jour son camarade
À deviner : « Superflu mon premier,
« Excellent mon second, au diable mon entier.
Un brave Européen pénétrant le mystère.
Lui dit : « Ami, chez nous c’est le contraire,
« Et ton mot nous dirait : Mon premier est besoin,
« Mon second peu goûté ; mon entier prend le soin
« De guider les humains au chemin de la gloire. »
Décide, cher lecteur, entre le Talapoin
Et ce dernier : pour moi, j’ai fini mon histoire.


482. Énigme.

Tantôt majestueux, tantôt simple et modeste,
Tantôt vert, tantôt blanc, et tantôt bigarré,
À détourner de l’homme un éclat trop funeste,
Je fus par la coutume en tous temps consacré.
Sans jamais s’écarter du séjour de la terre,
Ma tête touche au ciel ; et, quoique dans les fers,
J’ai parfois le bonheur d’aller rejoindre un frère.
Le jour, la nuit, au gré du maître que je sers,
De combien de secrets je suis dépositaire… !
Faut-il les révéler au grand jour, ces secrets ?

Non, non. On doit surtout respecter le mystère,
Quand on est établi contre les indiscrets.


483. Logogriphe.

Je marche sur cinq pieds : on peut trouver en moi
Le fer cher à Cérès, et qui fend les campagnes ;
Cet instrument bruyant qui fait frémir d’effroi
Et le cerf des forêts, et le daim des montagnes ;
Le vorace animal qui se nourrit de glands ;
Ce que, dans les enfers, le triste fils d’Éole
En vain et sans repos route pour ses tourments ;
Et ce métal enfin qui du monde est l’idole.


484. Énigme.

Avec deux doigts on me saisit ;
Il y faut mettre un peu d’adresse ;
Garçon de moi se garantit ;
Un enfant aisément s’y blesse ;
Il m’appartient plus d’un emploi ;
Le temps s’annonce par mes signes ;
Le marin ne peut rien sans moi,
Et l’on me trouve en ces huit lignes.


485. Logogriphe.

Prends garde, cher lecteur, qu'à toi je ne m’accroche,
Ce que je tiens, je le tiens fort ;
Je le déchire, je l’arrache,
Si, pour m’en séparer, on veut user d’effort,
Je ne suis pourtant pas toujours si redoutable,
Car je sers aussi d’ornement :
Je décore le front d’une bergère aimable
Et je brille peut-être en ton appartement.
Désires-tu me connaître ?
Coupe mon chef, du pontife et du prêtre
Tu vas trouver un vêtement
Ne coupe que ma queue, et tu vas voir paraître
Un terme en musique usité :
Mais sans ma queue et sans ma tête,
Je dois être encor redouté :
Si, par l’effort de la tempête,
Je suis de mon siège emporté
Je renverse et j’entraîne au fond des précipices,
Tout ce qui s’offre à ma fureur,
Tu croiras que partout je porte la terreur.
Rassure-toi, je rends de grands services,
Et sers de base aux plus beaux édifices.


486. Charade.

le gourmand, au sortir d’un table splendide,
Est souvent obligé de prendre mon premier ;
Le frileux, en hiver, rarement se décide
Et répugne toujours à quitter mon dernier ;
L’homme le plus chagrin s’amuse et se déride
Toutes les fois qu’il peut aller à mon entier.


487. Énigme.

Quoiqu’un astre malin préside à ma naissance,
Mes jours n’en sont pas moins heureux ;
L’on fait de moi, dans mon enfance,
Un présent, il est vrai, de peu de conséquence,
Qui, pourtant, quelquefois se trouve gracieux :
Car sans vouloir ici vanter mes avantages,
Et sans passer pour fanfaron,
Je puis fort bien me mettre au rang des personnages
Dignes d’admiration.
Je suis tout à la fois politique, algébriste,
Géographe, chronologiste,
Historien, et généalogiste :
Je pénètre souvent dans le sombre avenir ;
Et quoique quelques gens m’accusent de mentir ;
Cependant, en plus d’une affaire,

Mon conseil est très-nécessaire ;
Tantôt, vêtu superbement,
Je suis aussi doré qu’un général de France ;
Tantôt, mis plus modestement,
Comme un simple homme de finance,
Du cabinet j’ai le département.
À ces traits, cher lecteur, tu dois me reconnaître
Ou, si tu n’es encor bien au fait de mon être,
Pour ne te plus inquiéter,
Je finis par te souhaiter
Qu’un jour Dieu te fasse la grâce
De venir chez moi prendre place.


488. Logogriphe.

Mon corps, qui sur six pieds a reçu l’existence,
Est, à n’en pas douter, dans la chambre du roi ;
Lorsqu’on veut à cheval faire le tour de France,
À mes pareils toujours on donne de l’emploi ;
Dans un carré parfait, en me coupant la tête,
Vous pouvez aisément me trouver quatre fois.
Si jusque-là, lecteur, rien ne t’arrête,
Sur trois pieds autrefois, je fus, un jour de fête,
La monture du Roi des Rois.


489. Énigme.

Voyez quelle bizarrerie !
Du bien, du mal, je suis l’auteur ;
Je suis un principe de vie,
Je suis un fléau destructeur.
C’est dans l’hiver qu’on me courtise ;
C’est dans l’été que l’un me fuit.
Je brille dans les jeux de Lise,
Je m’éteins dès qu’elle est au lit.


490. Logogriphe en bouts rimés.

Quoique de basse extraction,
De vil métier et de nom méprisable,
Certain jeu, par attraction,
Me va rendre recommandable ;
On verra là maint curieux
Exercer à l’envi son esprit et ses yeux ;
M’examiner des pieds jusqu’à la tête,
Pour deviner si je suis homme ou bête ;
Chacun y fera de son mieux.
Je donne avis, entre autres choses,
De ne mettre d’abord la patience au croc.
Parmi bien des métamorphoses

Que renferme mon nom, vous trouverez un roc ;
Cherchez autour et prenez garde au choc,
Un instrument que je porte en écharpe,
Qui n’est ni luth, ni tambourin, ni harpe,
Viendra se présenter, n’en doutez : c’est un hoc ;
Ce hoc diminutif, augmentant ma figure,
Pourra devenir roche, ou si l’on veut rocher ;
Continuez, et si, par aventure,
Ce chemin raboteux vous rebute à chercher,
Je vous présente une douce voiture,
C’est un coche avec le cocher ;
Je puis vous faire voir encor d’autres merveilles,
Fournir de cruche un porteur d’eau,
Assortir un prélat de son petit manteau,
Donner la retraite aux abeilles ;
Ce n’est pas être Turc que d’en agir ainsi,
Je suis pourtant encore un Turc en raccourci.


491. Charade.

Enfant du luxe et de l’orgueil,
Mon premier va comme on le mène,
Et mon second en demi-deuil
Jase souvent à perdre haleine.
Mon tout se plaît à l’hôpital,
Aux champs de Mars est nécessaire,

 
Et guérit quelquefois le mal
Que le point d’honneur a fait faire.


492. Énigme.

Polygame ici-bas, là-haut célibataire,
Mes attributs et mes goûts sont divers ;
Tantôt je plane dans les airs,
Et tantôt je gratte la terre.
Je ne me connais point d’égal :
La hardiesse et le courage
Furent toujours mon apanage,
Et j’ai souvent triomphé d’un rival.
Malgré cette fierté, qui m’est si naturelle,
Sur un fumier l’on m’aperçoit souvent ;
Et sans changer de nom, je vois d’où vient le vent,
J’annonce le beau temps, et l’orage, et la grêle.
Autrefois,
À ma voix,
Un très-grand personnage
De pleurs inonda son visage ;
Mais aujourd’hui mes chants infructueux
Fatiguent les humains, surtout les paresseux.


493. Logogriphe.

Les savants ne sont point d’accord
Sur ma nature et sur mon sort ;
Les uns me font plante marine,
Quoique Aristote et le vieux Pline
Me fassent tous deux arbrisseau.
D’autres veulent enfin que je sois un insecte ;
Si ma recherche les affecte,
Je leur dirai qu’on me trouve dans l’eau,
Six pieds font toute ma structure.
Et ma couleur sert de parure
Aux lèvres de la belle Iris ;
J’embellis celles de Cypris.
En me décomposant, je suis un corps sonore ;
Un métal précieux ; un écueil au rocher
Qui vient pour me pêcher.
Que dirai-je de plus encore ?
Gousse, j’aide à manger le pain du laboureur ;
Il trouve en moi quelque saveur.
En remontant de mes pieds à ma tête,
Vous trouverez la fille de Laban,
Qui de Jacob fut la conquête
Vers les campagnes du Liban.
Plus, le poil tempérant l’effet de la lumière,
Sans quoi l’œil souffrirait du jour qui vous éclaire ;

Plus enfin, l’instrument propre à lancer un trait :
Voilà mon analyse, et voilà mon portrait.


494. Énigme.

Lecteur, sous deux rapports lu peux m’envisager ;
Je suis une boisson, ou bien une demeure :
Boisson, je rafraîchis ; je te donne à songer.
Sous le second rapport, quelle est cette demeure ?
Le destin la désigne ; il ne saurait changer :
Pour la trouver, hélas ! pense à ta dernière heure.


495. Logogriphe.

Lecteur, je suis sorcier : mon nom, quoiqu’effrayant.
T’offrira dans sept pieds, en les décomposant,
Maint objet suffisant pour donner de la joie ;
Le produit d’une mine d’or ;
Ce qu’un chasseur appelle cor ;
Plus, le travail du ver à soie ;
Ce que fait un coucou dont on entend le cri ;
Un ton à l’octave du si ;
Comment se nomme un roi que l’on appelle sire ;
Et ce qu’emploie un ouvrier
Pour faire une tête de cire ;
Un arbuste connu sous le nom de rosier,

 
Ainsi que le nom d’une rose.
Tu peux encor….. mais taisons-nous, pour cause ;
Si j’usais de tout mon pouvoir,
Je te ferais, lecteur, trouver dans moi ce soir.


496. Charade.

Dimanche, la jeune Colette,
Allait sortir de sa maison,
Quand soudain sa mère l’arrête :
« Où vas-tu donc ? » La coupable fillette,
Pour répondre à la question,
Cherche mon entier dans sa tête,
Et dit : « Je m’en vais au sermon. »
(Dieu savait son intention.)
Sa mère, qui craint la surprise,
La suit de l’œil jusqu’à l’église.
Inutile précaution !
Colette a vu rentrer sa mère.
Déjà le curé dans la chaire
Lentement vient de se signer ;
Il a même dit mon dernier,
Qui fait deviner tout le reste.
Alors, d’une démarché leste,
Colette va vers mon premier.
Où son amant s’impatiente

Dis-moi, lecteur, si ton amante
N’employa jamais mon entier ?


497. Énigme.

Tout est soumis à mon empire.
Je fais plus de bien que de mal ;
Si l’on me perd, c’est un signe fatal :
Pour mon retour aussitôt on soupire ;
Quand on me force à revenir
On risque de s’en repentir,
De qui veut m’échapper je deviens le supplice.
Je vais quelquefois au sermon,
Dans le temple de la justice.
On m’appelle souvent avec une chanson,
Avec de méchants vers, sans sel et sans malice,
Je suspends les maux des mortels.
Les peuples autrefois me dressaient des autels ;
Mais on ne m’offre plus encens, ni sacrifice,
Je suis banni des lieux où règnent les plaisirs,
D’un amant malheureux je calme les soupirs,
Je vais coucher avec sa belle,
Qui ne me fut jamais cruelle.


498. Logogriphe.

En de certains pays bienheureux qui me porte

En France on me respecte, on me craint à la Porte.
J’ai six pieds bien comptés, dont toute la valeur,
Je puis vous l’assurer, consiste en la couleur :
Si vous les partagez, prenez garde à ma tête ;
Souvent elle épouvante et fait fuir mainte bête.
Si vous la renversez, on la craint dans les eaux ;
En la décapitant, elle est un des métaux.
Quant à ma queue, on la trouve estimable,
Selon que plus ou moins elle est considérable.
À mon tout est pendu ce signe précieux,
Qui, tout ainsi que moi, fait bien des envieux.


499. Énigme.

À m’annoncer trop promptement
C’est à tort que l’on se hasarde ;
À tes yeux plus je parais grand,
Et plus j’ai besoin qu’on me garde
Femme qui me cache un seul jour
Éprouve souvent un malaise ;
Je n’existe plus en amour,
Et sans que je sois corps, je pèse.


500. Logogriphe.

En naissant, de la nature
J’ai reçu maint trait vengeur,

 
Qui, par sanglante blessure,
Repousse le ravisseur :
Sous ma défense une reine
Semble sans cesse avertir
Qu’il faut passer par la peine
Pour arriver au plaisir.
Si tu prends la patience,
Lecteur, de me désunir,
À tes yeux quelle abondance
Ne vais-je pas découvrir !
Trois de mes pieds à la France
Donnent de quoi la nourrir ;
En quatre l’on trouve ensemble
Tout ce qui sert à vêtir.
Crois-moi, bornant ton désir
À ces biens que je rassemble,
Songe à me fuir ; surtout tremble
De connaître, de sentir
Ce que mon corps va t’offrir,
Et qui mérite ta haine :
Un mal physique et moral,
Qui, par un destin fatal,
Afflige la race humaine,


501. Charade.

Quand on entend gronder l’orage,

Qu’il est doux d’être en mon premier !
On aime assez dans le village
Le goût puant de mon dernier ;
On voit mon tout à chaque église
Plus ou moins richement orné ;
Il n’est besoin que plus j’en dise
Même à l’esprit le plus borné.


502. Énigme.

Six membres font mon nom, je suis de tout pays ;
L’injustice souvent présidé à ma naissance ;
Si par un sort heureux, quelques-uns j’enrichis,
J’en réduis un grand nombre à l’extrême indigence,
Redoute-moi, lecteur, autant que le décès :
J’altère la santé, le repos et la bourse ;
Et si tu ne m’éteins dans mon premier accès,
Rarement pourras-tu m’arrêter dans ma course.


503. Logogriphe.

Sur mes six pieds j’embellis un parterre,
Sur cinq encor je couvre ta maison ;
Sur cinq encor je rafraîchis la terre ;
Sur quatre je soutiens un pont,
Ou de mer je suis un poisson ;
Sur trois pieds le fermier m’entasse,

Ou bien je suis entouré d’eau,
Ou, lecteur, je suis un oiseau ;
Sur trois, encor, je te délasse,
Ou je suis au fond d’un tonneau ;
Sur deux, je suis note en musique.
Ou bien je deviens un pronom :
Je crois, lecteur, que je m’explique,
Déjà tu dois savoir mon nom.


504. Énigme.

Je fais avec l’échine un contraste frappant ;
Si quelques nœuds, formés de distance en distance
Veulent qu’à cet égard je lui sois ressemblant,
Lorsque je la mesure, on sent la différence,
Je hâte d’un baudet le pas tardif et lent,
Je modère l’ardeur d’un coursier qui s’élance ;
Dans les mains de l’aveugle utile suppléant,
S’il me trouve à ses pieds, gare la révérence,
Des plus nobles guerriers j’étais la récompense,
Je suis celle aujourd’hui du faquin imprudent.


505. Logogriphe.

Sur cinq pieds je suspends les malheurs des
humains,

 
Sur quatre je deviens l’emblème
De la gloire, des biens, de la grandeur suprême ;
Et sur trois, le démon, usant de stratagème,
Me fit tremper jadis dans ses mauvais desseins.


506. Charade.

Mon premier fut jadis une plante sacrée,
Par nos vieux Gaulois révérée,
Comme reine des végétaux,
Et comme un remède à tous maux.
Mais rien n’est stable en ce bas monde ;
Sur la fortune est bien fou qui se fonde.
Il a perdu tout son crédit ;
Le cultivateur le détruit ;
Aujourd’hui l’on ne le voit guères
Que chez les oiseleurs et les apothicaires,
Et non, comme autrefois, chez les gens du bon ton.
Il est certaine circonstance,
Où l’on doit d’un total soustraire mon second :
Du brut au net il est la différence,
Vous voyez qu’en détail je ne suis pas heureux :
Mais en total serais-je plus chanceux ?
Je suis sans cesse à la torture ;
Mes boyaux sont pincés, bandés outre mesure
On se plaît à me tourmenter
Et pourquoi, s’il vous plaît ? pour me taire chanter.


507. Énigme.

Je suis pointue et suis une merveille :
Sans âme en action je sais parler aux yeux ;
Je n’ai point le talent de parler à L’oreille.
Quoi qu’il en soit, en moi tout tient du merveilleux
Dans tout ce que l’on fait, en juge impartial,
Je décide du plus ou du moins de lenteur.
Si je parais quelquefois inégale,
C’est sans caprice et sans humeur.


508. Logogriphe.

À mes désirs, lecteur, le sort est si contraire.
Que je ne vais t’offrir rien qui puisse te plaire.
Sur cinq pieds, ma fureur, bouleversant les flots,
Imprime la terreur au cœur des matelots.
Sur quatre, c’est bien pis ; il n’est point de supplices
Capables d’égaler ceux que je fais souffrir ;
Et quel que soit le rang qu’ici-bas tu remplisses,
Quel que soit ton pouvoir pour t’y bien maintenir,
Sous mes trois derniers pieds il faut que tu périsses.


509. Énigme.

Du coupable mortel salutaire ennemie,
Je l’immole à son crime, et lui sers de bourreau ;
Car parmi les plaisirs qu’il goûte dans la vie.
Je lui fais entrevoir la mort et le tombeau.
Pleine d’aigreur pour lui, sans agir, je le touche.
Sans yeux, je l’aperçois, je lui parle sans bouche.
Comment me deviner ? comment me définir ?
On me connaît trop tôt quand on veut réfléchir.


510. Logogriphe.

Qu’on me laisse en entier ou qu’on me décompose,
Je répands partout la terreur.
Je pars sur mes cinq pieds ; qu’à moi rien ne
s’oppose ;
Les obstacles ne font qu’irriter ma fureur.
Sur quatre, encor plus redoutable,
Par d’horribles tourments je conduis à la mort ;
Sur trois, d’un coup inévitable,
J’atteins le gueux, le riche, et le faible et le fort.


511. Charade.

Mon premier, mon second, répétés tour à tour,

 
Au buveur, à l’enfant, présentent de quoi plaire.
L’un imite ce bruit connu du troubadour,
Peignant du jus divin la chute passagère ;
L’autre, simple jouet, captive par ses tours,
Et se meut en vertu d’une loi générale.
À table, enfin, mon tout se découvre toujours
Par une avidité tout à fait animale.


512. Énigme.

Notre nombre est toujours compté :
On nous connaît tant que nous sommes ;
Nous ne pouvons, aux yeux des hommes,
Paraître qu’à l’extrémité.
Quelquefois près de nous l’envie
Reste pour quelques moments ;
Le fer nous retranche en tous temps,
Mais il nous conserve la vie.


513. Logogriphe.

Je suis un animal du gibier la terreur ;
Mais si vous m’arrachez le cœur,
La force que j’acquiers est alors sans seconde :
Qu’on me donne un appui, je culbute ce monde.


514. Énigme.

Des mains de l’art je reçus l’existence.
Le fer, le feu, la terre et l’eau
Eurent tous part à ma naissance,
Et pour combattre l’air je quittai le berceau.
Par mon état placée à la classe femelle.
Je n’eus jamais d’époux, j’ai cependant un fils ;
Je le porte en mon sein, et sa nature est telle,
Qu’il existait peut-être avant que je naquis.
Lecteur, lorsque des jeux une troupe légère
T’entraîne, à tes devoirs je sais te ramener ;
Je te rends à l’amour, et plus d’une bergère
N’eut pas reçu sans moi l’hommage du berger.
Par mes soins, par ma vigilance,
Je préviens les fureurs d’un fougueux élément ;
Et je m’oppose à la prudence
D’un ennemi qui te surprend.
Mets-tu le deuil ? sensible à tes alarmes,
En accents douloureux je partage tes larmes,
L’hymen couronne-t-il ton amoureuse ardeur ?
Par mille cris joyeux je chante ton bonheur.
Et quand la nuit, sortant de ses demeures sombres,
Sème dans l’Univers le silence et les ombres,
Tu dors, et respectant ce précieux sommeil.
Je me tais, pour ne point trop hâter ton réveil.

 
Pour prix de mes bienfaits, quelle est ma destinée ?
Tu me charges de fers, me mets la corde au cou ;
Au plus haut d’un gibet je me vois attachée :
C’est l’acte d’un ingrat, ou bien celui d’un fou.


515. Logogriphe.

Assis sur le berceau du monde.
Je finirai sur son tombeau.
Mon empire s’étend sur la terre et sur l’onde,
Je rends le sort de l’homme ou plus triste ou plus
beau.
Sept pieds, en tout, forment mon être :
Les quatre premiers font connaître
Pour un cœur bien épris un titre précieux,
Trois de plus, lecteur, j’offre à votre impatience
Ce qui fuit, et jamais ne se rend à vos vœux ;
Vous trouverez en moi ce qu’avec la naissance
Vous donna le divin auteur ;
Le nom d’une chose très-rare,
À la hauteur de notre cœur ;
Deux éléments, dont un fut le tombeau d’Icare ;
L’épithète d’absinthe ; un mal très-redoutable ;
Ce qu’aux dépens de la raison,
Souvent cherche un poète ; une fougue indomptable ;
Ce que, dans la belle saison,

 
On entend dans les champs. Ma foi, c’en est assez ;
Devinez-moi bien vite, ou sinon me laissez.


516. Énigme.

Au masculin, je suis cet antre redouté
Où veille la divinité
Que le peuple appelle justice ;
Au féminin, germe heureux et propice,
J’annonce la fécondité.
Des plaideurs au Palais ta foule m’environne ;
Le jardinier m’observe en ses jardins fleuris ;
J’ai souvent ruiné les sujets de Thémis,
Mais j’enrichis ceux de Pomone.


517. Logogriphe.

En me décomposant, de moi l’on peut extraire
Festin, amis, témoins, mariage, notaire,
Amiens, Niort, Angers, Reims, Mante, Saint-Omer,
Naître, agiter, gémir, oser, sentir, aimer,
Ton, notes, re, mi, fa, son, air, gosier, ramage,
Aisne, Saône, Tamise, Oise, Marne, Mein, Tage,
Songe, mânes fantôme, antre, monstre, géant,
Mine, or, argent, étain, agate, fer, aimant,

Anatomie, organe, os, nerfs, sang, rate, foie,
Geai, tarin, agami, serin, taon, faisan, oie,
Ogre, tigre, magot, âne, faon, singe, rat,
Rétif, maigre, fort, sage, ignare, ingrat,
Iman, émir, aga, roi, trône, sénat, mitre,
Estragon, tamarin, anis, origan, nitre.


318. Énigme.

Mon origine est fort ancienne :
Avec un philosophe on me vit dans le temps,
Courir et la ville et les champs.
Avec Jeannot on me vit sur la scène.
On ne trouve jamais une auberge sans moi.
Je suis du voiturier la fidèle compagne :
En Suède, en Russie, en Prusse, en Allemagne,
J’habite la chaumière et le palais du roi.
À t’intriguer, lecteur, tu crois que je m’applique,
Je le pourrais assurément :
Mais si parfois je suis un peu magique,
C’est pour contribuer à ton amusement.


519. Logogriphe.

Je suis du sexe féminin ;
Et femme, du soir au matin,

M’emploie à différent usage,
À sa tête, ou bien au corsage.
Le jour, la nuit, je suis utile.
On peut me choisir entre mille.
Tantôt les trésors de Golconde
Enrichissent ma tête ronde ;
Tantôt simple et sans ornement,
Je soutiens un ajustement.
J’ai sept pieds. Si je suis petite,
Je n’en ai pas moins mon mérite,
Dans mon sein, si tu veux chercher,
Aisément tu pourras trouver
De l’Égypte un fleuve connu ;
Un arbre qui n’est jamais nu ;
D’une déesse la couronne ;
Ce qu’on ôte quand rose on donne ;
Ce qui souvent tombe en janvier,
Le nom de la jeune naïade
Qui de Bacchus lia le nourricier ;
Un héros de la pasquinade,
Qu’on voit toujours sur une estrade ;
Ce que les anciens adoraient.
Ou souvent ce qu’ils redoutaient ;
Ce qu’on fait dans un mauvais cas ;
Du bon vin ce qu’on ne boit pas ;
Enfin, lecteur, chose étonnante !
Sans épine, je suis piquante.


520. Charade.

Mon tout, aussi bien que ma tête,
A des dents, mais non pas ma queue :
Car je suis bête par ma tête.
Et j’ai des bêtes dans ma queue ;
Parfois on fuit devant ma tête.
Parfois on fuit devant ma queue.
Parfois, quand on poursuit ma tête,
Elle la fourre dans ma queue ;
Et parfois on mange ma tête,
Mais sans jamais manger ma queue.
Le villageois, homme de tête,
Veut à propos avoir ma queue,
Et tâche d’attraper ma tête :
Lors il prend mon tout par la queue
Pour se défaire de ma tête.


521. Énigme.

Je tais mon origine, et passé sous silence
L’époque où je parus pour la première fois.
Présentée à la cour de France,
Exprès pour moi l’on établit des lois.
J’ai des sœurs en grand nombre, et toutes du même
âge :

La plus parfaite égalité
Règne en notre famille, et d’un autre côté
Nous différons beaucoup ; car plus d’un personnage
À la supériorité :
Quelques-unes de nous ont même l’avantage
De figurer avec des rois
Qu’en triomphe chacun n’a pu voir maintes fois.
Dans les sociétés nous sommes répandues,
Souvent, le croirait-on, battues
Par ceux qui nous aiment le plus.
Dans les salons dorés, et sous le tout rustique,
En tête-à-tête, en séance publique,
Nous nous trouvons aussi. Point de mots superflus
Abrégeons : si par nous on se laisse séduire,
Que l’on soit sage et réservé,
Car on aurait ssujet de nous maudire,
Ce qui m’est que trop arrivé !
Pour savoir l’avenir, il est nombre de femmes
Qui vont nous consulter : eh ! songez donc, mesdames,
Que nous mentons presque toujours.
Et vous, amis lecteurs, qui connaissez sans doute
Quelques-uns de nos petits tours,
N’allez pas voir ici votre esprit en déroute.


522. Logogriphe.

Je traîne avec six pieds ma funeste existence,
J’accable l’infortune et même l’opulence ;
Tel qui se croit bientôt au faite du bonheur,
Est par moi tout à coup plongé dans le malheur.
En me décomposant, lecteur, tu peux trouver
Ce qui vient, en dormant, souvent te présenter
De l’objet adoré la plus flatteuse image ;
Ce qui des végétaux fait croître le feuillage ;
Ce qui sert de défense à l’oiseau carnassier ;
En voiture souvent ce qu’on craint d’éprouver ;
Ce que faisait si bien le sublime Boileau,
Et qu’à peine je peux tirer de mon cerveau ;
Ce qu’on fait à l’enfant qui quitte sa nourrice ;
Mais j’en ai dit assez, il faut que je finisse.


523. Énigme.

Trouver en moi, dans un seul mot,
Trois êtres différents et de même origine,
Ce n’est pas l’affaire d’un sot.
Je suis peuple, pays, grain qui porte farine
En précis voilà tout mon lot :
Vile, lecteur, qu’on me devine.
Sans attendre jusqu’à tantôt.


524. Logogriphe.

Avec cinq pieds je suis fragile ;
Réduit à trois je suis rampant ;
Pour peu, mon cher lecteur, que vous soyez habile,
Vous trouverez en moi ce qu’on fait en dormant.


525. Charade.

Pour fixer des amants en cohorte volage,
Mainte coquette a soin de cacher mon dernier.
Grégoire, au cabaret, peut vider mon premier
Cinq à six fois au moins, et souvent davantage.
— Ah ! c’est un peu trop fort ; quoi ! six fois, dites-vous ?
Mais ce Grégoire est donc le plus fieffé des fous ?
— Vous faites plus encor ; en voulez-vous des
preuves ?
Je puis vous les donner sans beaucoup d’embarras ;
Vous dînez quelquefois ? eh bien, dans ce repas,
En avalant mon tout, vous avalez deux fleuves.


526. Énigme.

Souvent un mortel amoureux
Me charge d’exprimer les tourments qu’il endure ;

 
Souvent j’ajoute à la parure,
De l’aimable objet de ses feux,
De la légèreté symbolique peinture,
Je suis nécessaire en tous lieux :
De mes traits quelquefois on ressent la blessure ;
Mais d’un seul trait aussi je puis faire un heureux.


527. Logogriphe.

On doit me craindre sans ma queue,
Et me chérir avec ma queue,
Je suis perfide sans ma queue ;
Mais je suis bonne avec ma queue ;
Je cause mille morts sans queue,
Et donne l’être avec ma queue.


528. Charade.

Mon premier, sans travail.
Nourrit gros et menu bétail ;
Mon second, des plus pures flammes,
S’il est pur et sacr,
Bien remâché, bien digéré.
{{em|}Nourrit les chastes âmes ;
Et mon tout nourrit de vains mots
La troupe nombreuse des sots.


529. Énigme.

Que je sois beau, que je sois laid,
Grand ou petit, droit ou mal fait,
En tous temps, en tous lieux, je suis très-nécessaire.
A-t-on besoin de moi, on ne calcule guère
Mon plus ou moins de qualité.
À peine même on considère
Ma bonté, ma solidité.
Sans y penser, de ma force infinie
On fait usage tous les jours ;
Pour elle ne sont rien les fardeaux les plus lourds ;
Ils peuvent m’écraser : mais jamais je ne plie,
Et toujours dur et ferme comme un roc,
D’une armée aisément je soutiendrais le choc.
Je parcours les vallons, je franchis les montagnes,
On me trouve au milieu des fertiles campagnes ;
Je suis toujours ouvert, je sers tous les états,
Riches et indigents, officiers et soldats.
Je sais diriger et conduire
Même celui qui ne me connaît pas,
Et si parfois il est dans l’embarras,
Un signe, un mot suffisent pour l’instruire,
Et rendre plus certains ses pas.
Souvent de m’avoir fait on se vante, on se loue.
Cependant envers moi (faut-il que je l’avoue ?)

 
On ne craint pas d’être cruel,
Et sans que je sois criminel,
Je subis le tourment des fers et de la roue.


530. Logogriphe.

Il n’est si mince auteur, commis, pédant ni cuistre
Qui seul de mes six pieds ne croie être pétri ;
Et pour me rencontrer, même chez un ministre,
Les rois ont bien cherché depuis le grand Henri.
On peut à volonté changer ma symétrie,
De moi faire un objet utile à l’industrie,
Ou bien certain quêteur, solitaire et pieux,
Fuyant titres, honneurs, et se cachant aux yeux.
Sur cinq j’orne aux grands jours un prêtre dignitaire ;
Symbole de l’amour, j’embellis un parterre ;
Si l’on veut me sonder avec attention,
Mes cinq pieds ont encor plus d’une acception ;
Lucine me réclame en son vocabulaire ;
Je trouble le sommeil du pauvre locataire.
Du langage français je remplace les mots ;
Jadis j’eus des autels, des prêtres, des dévots.
Sur quatre, quelque soit ton rang ou ta puissance,
J’attends de toi, lecteur, amour, reconnaissance.


531. Charade.

Mon maître porte à mon premier
Une mortelle haine,
Et le poursuit jusque dans son grenier ;
Mais ce n’est pas sans peine
Qu’il se procure mon dernier,
S’il n’a près de lui la fontaine.
Mon tout convient au jardinier.


532. Énigme.

Nous sommes deux jumeaux de pareille grandeur.
Employés pour servir une noire maîtresse ;
Nous sommes faits tous deux pour la servir sans cesse ;
Et pour elle Vulcain se consume d’ardeur.
On ternit de nos fronts la plus vive splendeur,
Quand l’époux d’Orithye est cause qu’on nous presse ;
Plus ardent est l’été, plus ils ont de froideur.
Ainsi que le soleil nous portons à toute heure
La couleur du métal que l’avarice pleure,
Quand avec ses trésors on enlève son cœur.
Dès que l’hiver s’enfuit, notre lâche est finie ;
Mais si le ciel toujours exerçait sa rigueur,
On nous verrait toujours en bonne compagnie.


533. Logogriphe.

 
Je suis, mon cher lecteur, ta plus fidèle amie ;
Au faite des grandeurs et dans l’adversité,
Je te reste toujours : vois ma fidélité,
Tu ne me perds qu’avec la vie.
Des malheureux amants
Je soutiens seule la constance,
Et je leur dis. Souffrez quelques mois de tourments
Pour un instant de jouissance.
Dans mes neuf pieds, cherches, en t’amusant,
L’amant courageux d’Andromède ;
Certain pays enchanteur, ravissant,
Où parmi les plaisirs on trouve son remède ;
Ce qu’un gourmand aime à remplir ;
Un peuple très-fameux, vaincu par Alexandre ;
Un sentiment que tu ne peux comprendre,
Et qui fuit loin de toi quand tu crois le saisir ;
Ce qui contient ton cerveau ;
Le fondateur d’un ordre austère,
Où, tout vivant, on se plonge au tombeau.
Mais, j’en ai dit assez, il est temps de me taire ;
Je suis femme, et j’ai peine à subir cette loi.
Adieu, mon cher lecteur, je te laisse avec moi.


534. Énigme.

Avec cinq pieds, en certaine saison,
Je suis, lecteur, un meuble fort utile ;
Plus d’une fois, rentrant dans ta maison,
Autour de moi tu cherches un asile ;
Mais si toujours je sers avec chaleur,
Garde-toi bien de m’arracher le cœur ;
Du globe alors je franchirai l’espace,
Pour ne t’offrir qu’un point froid comme glace.


535. Logogriphe.

Comme de bonnes sentinelles,
À leur consigne bien fidèles,
Avec soin nous avertissons,
Quand le moindre bruit nous approche ;
Si quelqu’un veut faire un reproche,
Ou solliciter des pardons,
Ou dire un mot de politesse,
C’est toujours à nous qu’il s’adresse ;
Trop heureux si nous l’écoutons !
Sans nous, les auteurs de musique,
Les chanteurs et les violons,
Même les faiseurs de sermons
N’obtiendraient aucune pratique ;

Sur huit pieds nous nous soutenons
Combine-les : nous présentons
De beaucoup d’objets la série ;
Nous en tairons une partie :
Le bois pliant dont les vaniers
Font usage pour leurs paniers ;
Le point principal en optique ;
L’éminent et funeste emploi
Que proscrit notre république ;
La matière que saint Éloi
Employait dans ses beaux ouvrages
Le prophète qui fit cadeau
À son confrère d’un manteau,
Quand il monta dans les nuages ;
Ce qu’en tes écrits tu mettras,
À tes lecteurs si tu veux plaire ;
L’objet du culte des Incas ;
La plante que la cuisinière
Oppose à la fadeur des mets ;
Le marchand de cabriolets ;
Enfin, la solide matière,
Que l’on façonnait en jetons,
Et qu’un chimiste apothicaire
Va convertir en bons bouillons.


536. Charade.

Modeste et simple en sa parure,
Philis ignore mon premier ;
Elle s’assied sur la verdure,
Et se mire dans mon dernier.
Quelques fleurs forment sa couronne ;
Celle qu’on porte sur le trône
Pour Philis serait mon entier.


537. Énigme.

Mon pouvoir sur les cœurs est sans comparaison,
Lorsqu’un art délicat m’a de grâces pourvue.
Parfois je suis du miel, et parfois du poison,
Et je découvre tout sans pouvoir être vue.
Au barreau j’éclaircis, j’obscurcis chaque point.
Souvent je suis sans poids, souvent d’un poids extrême.
Aucun ne vous dira qui je suis, que moi-même ;
Je vous fais tout connaître et ne me connais point.


538. Logogriphe.

Je suis un mot très-court, mais peut-être l’unique
Qui Soit, au choix de l’écrivain,
Substantif, adjectif, masculin, féminin,

 
Sans rien changera ma fabrique.
Des différents objets que par un même son
J’offre à l’esprit, voici l’énumération :
Dans le sens le plus en usage
Je suis oiseau, c’est mon moindre avantage.
Ce qui vaut mieux, je vous rappelle un saint
Martyrisé sous Antonin
Lorsque pour adjectif à quelque œuvre on m’assigne,
D’un bon chrétien je la remis digne.
Ce n’est pas tout, mon cher lecteur,
Il faut me voir à présent sur le trône
Revêtu de la suprême grandeur,
Et le front ceint d’une triple couronne.


539. Énigme.

Les visages par moi se trouvent embellis ;
J’entretiens sur le teint et la blancheur des lis,
Et l’iucaruat des roses.
De l’esprit et du corps je me vois le soutien ;
Et ceux qui ne m’ont pas n’ont rien,
Quand même ds auraient toute chose.


540. Logogriphe.

Quand d’un ami tu régi elles l’absence,
Lise, je suis un confident discret :

Si tu doutes de sa constance,
Ou s’il t’en faut une assurance,
Tu me prends, et j’ai ton secret.
Dans les six pieds qui composent mon être,
Tu trouveras un immortel,
Pour qui dans les jardins s’élevait un autel ;
Tu peux encore y reconnaître,
Un personnage à Rome révéré ;
Un instrument par Vadé célébré ;
Plus, le sentiment d’une offense ;
Du vide l’étendue immense ;
Et ces présents, qu’aux malheureux humains
Cérès dispense à pleines mains :
Plus, un oiseau d’espèce babillarde :
Moi-même, l’on me fait bavarder quelquefois.
Eh bien ! voilà-t-il pas, tandis que je bavarde,
Que tu me tiens, sous tes yeux, dans tes doigts.


541. Charade.
SUR DOUZE MOTS RÉUNIS.

Je cède avec plaisir au transport qui me prend,
Et veux, mon cher lecteur, travailler dans le grand ;
Las de suivre toujours une route ordinaire,
J’entreprends d’en ouvrir une autre moins vulgaire.

Je décris douze mots, dont le premier, à tous
Bien pareil, est guidé par l’aveugle fortune,
Chose, bêlas ! ici-bas on ne peut plus commune.
Mais le second de l’un est le fait des filous,
Et son tout est charmant avec l’objet qu’on aime.
D’un autre, le second est partout fort commun,
Et l'on garde son tout avec un soin extrême.
De celui-ci le tout éloigne un importun,
Et son second exprime un vrai terme de gloire.
De celui-là le tout est souvent dérisoire,
Et son second toujours un terme de mépris.

Déjà de quatre mots avec beaucoup de peine
J’ai donné la charade : il faut reprendre haleine,
Puis je continuerai mon ouvrage entrepris.

Tout mon cinquième mot désespère un malade,
Et mon second déplaît à l’enfant paresseux.
Tout mon sixième rend un homme fort maussade,
Et mon second exprime un ordre impérieux.
On aime en un trésor le second du septième,
Dont le tout désespère un couple bien uni.
On goûte un doux repos au second du huitième,
Et son tout par le ciel n’est jamais impuni.

Respirons un moment ; les deux tiers de l’ouvrage
Sont déjà terminés : mon Pégase est en nage ;
Il est un peu poussif, et, malgré mon effort,

 
Je crains bien d’échouer avant d’entrer au port.
Mon neuvième est utile à tout homme d’affaire ;
Son second quelquefois est bien lourd à porter.
Mon dixième est fâcheux pour un homme de guerre ;
Quand mon second est beau, c’est plaisir d’y trotter.
On trouve en mon onzième un esprit qui tourmente ;
Et son second vous donne un pronom possessif.
Dans mon douzième enfin, une reine puissante
Sait montrer un air noble, une mine imposante ;
De cacher son second il est expéditif.

Cher lecteur, bien ou mal j’ai fini l’entreprise ;
Tu peux donner l’essor à ta sagacité,
Et critiquer l’auteur eu toute liberté :
Moi, je vais me coucher et changer de chemise.


542. Énigme.

Je ne suis point esprit et j’existe dans l’âme ;
Simple dans la malice, et double dans la femme ;
J’ai trois pieds assez courts ; ma voisine en a deux.
On ne verrait sans moi jamais de malheureux ;
Sans peine vous pourrez me trouver dans le monde ;
Parcourez cependant le ciel, la terre et l’onde.
Vos efforts seront vains, l’on ne m’y trouve point ;
Seule je ne puis rien (observez bien ce point),
Il faut que de mes sœurs la troupe m’environne ;

 
Si je marche avec Mars, je fuis pourtant Bellone ;
Enfin, pour abréger, nécessaire en amour,
Je suis dans la lumière, et j’abhorre le jour.


543. Logogriphe.

Avec huit pieds au bois j’habite,
Je m’endurcis en grandissant ;
Je vis dans une coque et péris sous la dent.
Avec cinq pieds, on me cherche, on m’évite ;
Je suis d’un naturel méchant et tracassier,
L’homme prudent m’apaise, un querelleur m’excite.
De ces cinq pieds, retranchez le premier,
Vous me passez sur tous les ponts de l’Oise ;
Retranchez-en deux à la fois,
Je marche sur deux pieds, quoiqu’il m’en reste trois.
L’on me trouve toujours, lorsqu’on a cherché noise.


544. Énigme.

Je suis un être imaginaire ;
Je suis beaucoup et ne suis rien ;
L’un m’appelle un mal nécessaire,
Et l’autre m’appelle un vrai bien.
Qui m’a trop, sans me satisfaire,
Est privé d’un plaisir toujours vif et nouveau ;

 
Quand je règne avec l’abondance,
Je fais des sensuels les uniques plaisirs ;
Mais quand je suis dans l’indigence,
Des mortels je ne fais qu’irriter les désirs.


545. Logogriphe.

Dans mon entier, lecteur, je mesure le temps,
Pour tout mortel, je suis d’un très-fréquent usage,
Je suis un guide sûr. Écoute en ce moment,
Et de six pieds ici je forme l’assemblage ;
Mais divise ces pieds, bientôt tu vas trouver
De Neptune d’abord le très-perfide empire ;
Ce que craint tout mortel, sans pouvoir l’éviter,
Mais aussi ce métal que toujours il désire ;
Tu dois trouver de plus de France une rivière,
Deux pronoms, une note en gamme nécessaire.
Un arbre, et ce qu’enfin tu dois déjà tenir…..
Mais j’en ai dit assez, il est temps de finir.


546. Charade.

Lecteur, si vous savez votre géographie ;
Un château-fort en Picardie
Est mon premier.
Un élément trompeur, nécessaire à la vie,
Qui, dans sa noire perfidie,

 
À bien des gens l’aura ravie,
Est mon dernier.
Heureux les jours du sage qu’on oublie !
Il les passe sans peur, sans remords, sans envie
Dans mon entier.


547. Énigme.

Qu’il pleuve par torrents ou que le ciel soit beau,
Pendant la canicule, au temps de la froidure,
Je porte toujours un manteau,
Et sans lui je ferais assez triste figure.
Si quelquefois on vante ma beauté,
C’est bien à lui que j’en suis redevable ;
Je paraîtrais aussi noire qu’un diable,
S’il ne couvrait ma triste nudité ;
Malgré le peu d’attraits dont je me vois pourvue,
Je n’en compte pas moins nombre d’adorateurs ;
Le plus froid s’échauffe à ma vue,
Et le plus près qu’il peut vient briguer mes faveurs ;
Le soir plus que jamais on m’entoure, on me presse,
Et trop souvent on ne me laisse
Que lorsqu’il est grand jour. Ô temps ! ô siècle ! ô
mœurs !


548. Logogriphe.

 
Je peins une fleur du jeune âge,
Que l’on n’a plus après quinze ans,
À moins que l’on ne soit bien sage.
On dit que chez nos vieux parents,
On la portait dans le ménage ;
Mais par malheur depuis longtemps
Nous avons banni cet usage.
En voyant ce tableau, lecteur,
Vous croyez déjà, je le gage,
Trouver le nom de cette fleur,
Et dans le fond de votre cœur,
Vous croyez qu’elle rime en age !
Ainsi dans ce siècle volage
L’esprit de la légèreté
Sait tourner tout en badinage,
Et l’on préfère ce langage
À celui de la vérité.
Mon cher lecteur, soyez plus sage ;
Et loin de la frivolité
Cherchez l’objet de mon ouvrage.
Neuf lettres composent son nom.
On trouve en en faisant usage.
Une nymphe qui de Junon
Autrefois brouilla le ménage,

 
Et lui fit faire un grand tapage ;
Ce que fait toujours un fripon,
Si ce n’est à la question,
À moins qu’il n’ait bien du courage ;
le nom qu’on donne à ce beau jour,
Qui devrait couronner l’Amour,
Et fixer les amants volages ;
Un mot qu’on voudrait avoir dit,
Dans nombre d’honnêtes ménages,
Où de bon cœur on se maudit ;
Une fille du dernier âge,
De qui les attraits, les talents,
L’esprit et le libertinage
Charmaient tour à tour les savants,
Les voluptueux et les sages ;
Un seigneur qui fait les messages
D’un prince qui bénit les gens ;
Une fille en saint équipage,
Qui souvent malgré ses vertus.
Voudrait bien craindre le veuvage ;
Un vieux mot que l’on ne dit plus ;
Une ville sur le rivage
De la… Mais il me faut cesser :
Je crains, lecteur, de vous lasser
Par la longueur de cet ouvrage,
Où je peins en faible langage,
Un sujet facile à trouver.

 
Chaque homme l’a dans son jeune âge ;
Heureux qui peut le conserver !


549. Énigme.

Je suis une ombre, un souffle, un rien ; me définir
Ne parait donc pas chose aisée.
L’existence, lecteur, m’est même refusée.
Toujours on me poursuit sans pouvoir m’obtenir.
Quel mortel cependant sait braver mon prestige ?
Qui, mille fois joué, trompé,
De moi ne se vit pas plus ou moins occupé ?
Je tourmente, je plais : je console, j’afflige ;
Je rassure, j’effraye : et, vrai caméléon,
Des sujets où j’agis les traits, l’impression,
Rendent à l’infini ma couleur variable.
Chez un peuple entier, dit la fable,
Un monstre qui porta mon nom
Répandit la terreur, la désolation ;
Aussi fais-je trembler la crainte, la faiblesse.
Mais les cœurs, les esprits de plus heureuse espèce
Me trouvent des attraits ; dans leur illusion,
Ils m’appellent souvent sirène enchanteresse.
Grâce à mon charme, ils sont bercés par les amours,
Par la fortune, par la gloire
Puisses-tu, cher lecteur, comme eux, me voir toujours
Couleur de rose et jamais noire !


550. Logogriphe.

Lecteur, que j’ai d’attraits pour toi !
Chaque nuit je t’offre des charmes ;
Et bien souvent des soupirs et des larmes
L’on n’a d’autres témoins que moi ;
Avec ardeur chaque soir l’on m’embrasse,
Et des ennuis du jour le souvenir s’efface,
Si tu ne me connais, cherche donc à loisir ;
D’abord je fais toujours plaisir ;
Aux curieux, souvent, je cause de la peine ;
Je sers encore aux curieux.
Je t’offre un mets chéri dans le bas Maine ;
Un prophète qui fut enlevé dans les cieux ;
Un vieux seigneur, aux nonnes redoutable ;
Un refuge au vaisseau qu’une tempête accable ;
Ce qu’au fond d’un tonneau on trouve chaque fois ;
Un Dieu que les païens adoraient autrefois ;
Une tête couronnée ;
Ce que, pour être instruit, on doit faire souvent :
Ce qu’on voudrait faire toute l’année :
De plus, malheur à l’acteur ignorant
Qui paraîtrait sans me connaître,
Car le public s’en vengerait peut-être.
Lecteur, si tu n’as pas compris
Le sens des vers que je viens de t’écrire.

Pour bien reposer tes esprits,
Je t’attends ce soir, c’est tout dire.


551. Charade.

Mon premier, cher lecteur, à la ville, au village,
En tout temps, chaque jour, est d’un fréquent usage ;
Du robin, du soldat, du bourgeois, du manant,
L’on tire de son sein le meilleur aliment.
Passons à mon second ; tu le vois dans la gamme,
J’en atteste Lays, Chéron, Lainez, Bertin,
Elleviou, Chenard, et Baptiste et Martin,
Virtuoses chéris que le bon goût proclame,
Qui de nous enchanter possèdent l’art divin.
De mon entier, lecteur, chante par La Fontaine,
Grave bien dans ton cœur cette utile leçon :
« Sache économiser pendant chaque saison,
Pour ne point emprunter à la saison prochaine. »


552. Énigme.

On me voit en tous lieux, jusque dans la chaumière,
Et près de moi l’on aime à trouver le repos.
Le pauvre avec transport souvent me considère,
Le riche vient souvent pour me tourner le dos.
J’ai bon cœur ; j’ai reçu plus d’une confidence :
Le plaisir que je fais semble toujours nouveau.

Je ne me cache point, cependant, par prudence,
Jamais, en aucun temps, je ne suis sans manteau.


553. Logogriphe.

À la fois utile et fatal,
De loin je suis un bien, de près je suis un mal.
L’aveugle passion et l’intérêt sordide,
Me servent trop souvent de compagnon, de guide.
De mes fausses douceurs on verrait le poison,
Si leur attrait d’abord n’égarait la raison ;
Je suis pourtant si nécessaire,
Que le monde sans moi deviendrait solitaire.
Avec lui je naquis, car je suis fort ancien ;
Et mon terme, à coup sûr, entraînera le sien :
Combine mes sept pieds, cher lecteur ; je commence
Par deux mots différents qui font mon existence.
L’un est ce que convoite Iris depuis longtemps ;
L’autre ce qu’elle cache avec ses ornements.
Dans moi tu trouveras un accès de colère ;
Ce qui fait en tous sens voguer une galère ;
De l’art de bien chanter la première leçon
Celui de recourir au pouvoir du démon ;
Un sage de l’Égypte ; un élément subtil ;
Ce qui dirige l’œil en tirant le fusil ;
Cet élément divin par qui l’homme respire ;

Du frère de Pluton le turbulent empire ;
De l’oiseau de Jupin le berceau spacieux ;
La vierge la plus pure, un mois fort gracieux ;
Celui que tu choisis pour conseiller sincère ;
Du plus simple aliment ce que le vieux préfère ;
De nos rois fainéants le gouverneur altier ;
L’homicide instrument du valeureux guerrier ;
Le doux chant des oiseaux ; un ouvrage en peinture
Où l’art, avec succès, imite la nature ;
Enfin, ce qui souvent déconcerte un rimeur,
Et qui plus d’une fois lui donna de l’humeur.


554. Énigme.

Tout le monde a besoin de moi ;
À plus d’un genre je m’applique :
Chacun me donne de l’emploi,
Riche ou pauvre, artisan, savant ou politique.
Suivant mon sort, j’ai pour berceau
Le pur esprit, ou la matière :
On me fait de métal, on me construit en pierre,
Et souvent pour m’avoir on creuse son cerveau.
Je suis en certains lieux instrument de censure ;
Je soutiens ta maison, j’occupe l’intrigant ;
Je guide le chanteur, je satisfais l’amant,
Et je t’accompagne en voiture.

À mon poste l’on me conduit :
On me tourne et retourne, on me prend, on m’accroche !
Et tel qui m’a sur son habit,
Peut m’avoir aussi dans sa poche.


555. Logogriphe.

Sur mes cinq pieds je suis ami de l’onde.
Sans mon cœur, d’une belle ou voudrait m’obtenir.
Sans ma queue et mon cœur, je rajeunis le monde ;
Et tous les ans on me voit revenir.


556. Charade.

Ah ! que mon premier est joli !
Tout se ranime à sa présence ;
Tout, par son heureuse influence,
Dans la nature est embelli !
Alors, ma Zelmis même est plus jolie encore ;
À la fraîcheur, aux roses de son teint,
On la prendrait pour Vénus ou pour Flore ;
Surtout quand mon second, sans art et sans dessein,
Caressant les attraits qu’Amour a fait éclore,
Voltige ou flotte sur son sein.
Quant à mon tout, mes bons amis, je l’aime ;
C’est le bonheur, le charme de nus jours :

Et je sens bien qu’il me plaira toujours,
Puisque ce tout est Zelmis elle-même.


557. Énigme.

Lecteur, quand je te fais affront,
Aussitôt ta plume s’arrête,
Souvent je fais gratter le front
À ceux qui n’out rien dans la tête.
Je n’existe pas sans ma sœur ;
À l’esprit nous jouons des niches ;
Et, grâce à plus d’un pauvre auteur,
Nous ne sommes pas souvent riches.


558. Logogriphe.

Tantôt mâle, tantôt femelle,
J’ai fait naitre ici-bas mainte et mainte querelle ;
Brillant dans les combats, charmant dans un boudoir,
Je désole une belle, ou je lui rends l’espoir ;
Je parle avec Pindare au maître du tonnerre ;
Avec un pauvre auteur je marche terre à terre ;
J’amuse, je déchire et vante tour à tour
Le crime, la vertu, la sagesse et l’amour.
Ma tête à bas, la coquette Glycère
Voudrait me dérober aux regards curieux ;

Mais, hélas ! on lit dans ses yeux,
Ce qu’elle veut cacher avec tant de mystère.


559. Énigme.

Existé-je en effet, ou n’existé-je pas ?
La réponse n’est pas facile.
Si j’existe un instant, je m’en vais à grands pas :
Vouloir me retenir, c’est bien peine inutile.
J’ai deux frères : l’un est l’aîné ;
Dès que je termine ma vie,
Je deviens lui. Vous êtes étonné !
Mais ce n’est pas une folie.
Mon cadet, qui n’est pas encor,
Est moi, sitôt qu’il reçoit l’être !
Hélas ! plaignez son triste sort !
À peine vous aurez le temps de le connaître !
Cesse-t-il d’être moi ? devient-il mon aîné ?
C’est comme s’il n’était pas né.


560. Logogriphe.

Ici, l’on me vénère, ailleurs je suis proscrit,
Et jadis pour mon culte on fit plus d’une guerre :
Dans des conciles même où l’on m’avait maudit,
Je fus réinstallé par l’ordre du Saint-Père.
Si tu coupes ma tête, alors, mon cher lecteur,

Tu trouveras le nom qu’on donnait à ces sages
Qui vinrent d’Orient pour voir notre Sauveur,
Lui présenter leurs vœux et leurs humbles hommages.
Mon corps renferme aussi certain mot en usage,
Qui figure le temps et dont le prompt déclin
Déplaît à la coquette et même à l’homme sage.
On ne me voit en grand que dans un lieu divin.


561. Charade.

Quand votre joli doigt entre dans mon premier,
On voit naître les fleurs sous votre main savante ;
Et si pour mieux charmer vous prenez mon dernier,
Des rives du Permesse on vous croit habitante.
Mon tout est ce transport vif et délicieux
Qu’en vous aimant j'éprouve, belle Hortense ;
Il est aussi ce trouble malheureux
Que produirait votre inconstance.


562. Énigme.

Nous t’offrons, cher lecteur, un couple assez semblable
À ces deux jumeaux de la Fable,
Qui, partageant entre eux leur immortalité,
Tour à tour habitaient le ciel et le Ténare ;

Notre destin, sans doute, est tout aussi bizarre,
Quoiqu’il soit un peu moins cité.
Dès que, de sa demeure sombre,
Mon frère au grand jour se produit,
Incontinent, je cherche l’ombre,
Et pour moi bientôt il fait nuit.
Ainsi des vains mortels la fortune se joue,
Quand je tombe, il arrive au plus haut de la roue ;
Mais celui de nous deux qui regorge de bien
Verse des pleurs en abondance,
Tandis que l’autre, qui n’a rien,
Pour narguer le sort, saute et danse.


563. Logogriphe.

De bien des gens, lecteur, ma bizarre nature
Met l’esprit éclairé souvent à la torture ;
Dix pieds forment mon tout : fais bien attention
Que j’exige toujours de la réflexion.
En moi tu trouveras un fleuve d’Italie ;
Ce qu’on doit observer, ce qui guide aux combats
Le courage et l’ardeur de nos jeunes soldats ;
Ce qui se fait chérir en excitant l’envie ;
Un fruit d’automne ; enfin, pour me deviner mieux,
Te le dirai-je, ami, je suis devant tes yeux ?


564. Charade.

Un des sept frères en musique
Compose toujours mon premier ;
Chaque être porte avec lui mon dernier ;
En guerre encor il est mis en pratique ;
Et l’on trouve dans mon entier
Une calamité publique.


565. Énigme.

Je suis joli, je suis affreux ;
J’amuse, ou je tourmente l’homme.
Quoique je sois sans pieds, sans yeux,
Je pourrais vous mener à Rome.
Je nais et meurs à chaque instant,
Pour bourreau j’eus toujours mon père.
Et ma destruction souvent
Vous contente ou vous désespère.


566. Logogriphe.

J’exprime avec six pieds la joie et la tristesse,
Quelquefois la colère, et souvent la tendresse :
Mon chef à bas, lecteur, je suis par les soldats,

Sous des noms différents, porté dans les combats ;
Si tu veux voir, pour peu que tu me décomposes,
Combien dans mes six pieds je renferme de choses.
Tu trouveras d’abord que chez nos bons aïeux,
Dans toutes les maisons j’étais au rang des dieux,
Et que je ne deviens un instrument utile,
Que quand je sors des mains d’un forgeron habile ;
De plus, en voyageant dans deux départements,
Deux villes s’offriront sous des noms différents :
Je suis ce qui t’anime ; et sur l’humide plaine
Je fais parfois marcher la chaloupe sans peine.
Je suis une mesure en usage aujourd’hui,
Et dont dans tout l’Empire on se sert comme ici.
Il n’est guère de mets que je ne l’assaisonne ;
Mais il faut se garder que mon trop y foisonne :
Sur mes gouffres profonds plus d’un négociant,
Au milieu des dangers s’est repenti souvent.
Qui me goûte s’expose à faire la grimace ;
Je qualifie encore un chagrin qui terrasse :
Les Romains comme un Dieu m’adoraient autrefois,
Jusqu’à me consacrer le premier de leurs mois.
J’offre aussi l’attribut d’un animal immonde,
El la fosse qui sert de réservoir à l’onde.
Je finis, car je crains que tu ne sois, lecteur,
Comme à la fin du jour se trouve un voyageur.


567. Charade.

L’enfant en doublant mon premier
Exprime une peine légère ;
Pauvres oiseaux, tâchez d’éviter mon dernier,
Et toi Chloris, si la vertu t’est chère,
Crains mon entier, asile du mystère :
Souvent l’amour s’y cache en tapinois,
Et soudain lance au cœur de la bergère
Le plus aigu des traits de son carquois.


568. Énigme.

De Thémire, innocente encore,
Je tourmente les quinze ans ;
Souvent je devance l’aurore
Et de la raison et des sens.
J’excite une aimable tempête
Dans la prison qui me dérobe au jour ;
Je la romps, et rien ne m’arrête :
Car mon Éole, c’est l’Amour.
Quelquefois de la plus sage
Innocemment je trahis le secret ;
Mais l’amant seul devine mon langage…
En face d’un jaloux, je suis triste ou muet.


569. Logogriphe.

Ô prodige ! en perdant ma tête,
Je lève vers les cieux une orgueilleuse tête,
Tandis qu’en conservant ma tête.
Le caprice, en tyran, me gouvernai sa tête.
À la postérité je passe sans ma tête ;
Comme une ombre, un éclair, je passe avec ma tête ;
J’illustre les héros eu déposant ma tête ;
Je règne sur les faits, en reprenant ma tête ;
Je puis orner la tête.
Quand je garde ma tête ;
Et je sors de la tête,
Quand je n’ai plus ma tête ;
Enfin je fais avec ma tête,
Aux coquettes tourner la tête..


570. Énigme.

Pour t’aider, cher lecteur, à deviner mon nom,
Je ne demande ici nulle combinaison.
En latin, en français trois pieds forcent mon être,
Sans les décomposer tu peux me reconnaître :
Mon latin, tous les ans, fait naître les jasmins,
Décore tes bosquets, embellit tes jardins :
Mon français moins brillant ne t’offre qu’un reptile.
Adieu, mon cher lecteur, je demeure tranquille.


571. Logogriphe.

D’une admirable république
Je suis l’ouvrage merveilleux :
À former ma douce fabrique ;
Chaque membre est industrieux ;
On dirait que Flore elle-même
A, dans sa bienfaisance extrême,
Choisi ces zélés artisans,
Pour mieux nous rendre ses présents.
Lecteur, je suis tout autre chose,
Par un très-léger changement :
Mon horrible métamorphose
Me rend cruelle très-souvent ;
Je mords, j’arrache, je déchire,
Tant que je puisse assez détruire
Hélas ! qui ? nos propres agneaux,
Ceux avec lesquels je suis née ;
Telle est ma triste destinée,
Mes dents sont autant de bourreaux
Qui retranchent de leur espèce,
À force de les mettre en pièces :
Qui peut ne me pas concevoir ?
Je suis si facile à savoir ;
Que je n’ai pas besoin de dire
Que quatre doivent me suffire

Oui, quatre lettres font mon nom ;
En Languedoc j’ai du renom ;
Dans le sens anagrammatique
l’habite en plus d’une boutique.


572. Charade.

Mon premier, quoique vil, a pourtant l’avantage
De soutenir quelquefois l’indigent :
Mon second, sur la mer développant sa rage,
Bouleverse cet élément,
Et porte bien loin le ravage.
Mon tout est un adverbe et se trouve aisément :
Tes yeux, lecteur, le rencontrent souvent.


573. Énigme.

Lecteur, croirais-tu bien la chose ?
J’ai deux têtes, et tour à tour
Sur l’une ou l’autre, nuit et jour,
Je me promène ou me repose.
À toutes deux pourtant je ne fais que toucher !
Mais j’embellis, je pare la première.
Et bien qu’on sache m’attacher,
Avec elle je puis prendre l’air et marcher
Sur l’autre je suis prisonnière.
Jadis plus d’un docteur

Et tant de personnes d’honneur
Composaient à mon ombre une mine empruntée.
Mais chut ! ne disons rien de trop ;
Concluons seulement qu’Absalon, cet impie,
Lorsqu’il s’enfuyait au galop,
Par mon secours eût pu sauver sa vie.


574. Logogriphe.

Je suis du genre féminin ;
Souvent l’effet de la colère,
Ou de l’envie ou du chagrin ;
Et j’atténue et j’exagère.
Tout auteur me craint. J’ai neuf pieds.
Cherchez en moi, vous trouverez
Le mot latin rendant colère ;
Et ce malheureux roi troyen
Dont Achille traîna le fils sur la poussière ;
Contre un calme trop grand un utile moyen ;
Une bête fort babillarde.
Vous trouverez encore un petit poids nouveau,
Et le plus grand espace d’eau.
Je devrais m’arrêter ; car je suis trop bavarde.
Vous y verrez de plus l’amant infortuné
Par qui de blanc au noir le mûrier fut changé ;
Enfin, un mot qu’avec ivresse

On dit toujours à sa maîtresse.
Mais, lecteur, vous avez sans doute deviné.


575. Énigme.

Si vous croyez que sans argent
On ne saurait vivre content,
C’est bien le comble du délire :
Peut-on rien trouver de plus fou ?
Pour moi, quand je n’ai pas le sou,
Alors je ne fais plus que rire.


576. Logogriphe.

Je suis un être à peine en vie ;
Je n’ai ni plumes, ni toison ;
Je vais selon ma fantaisie,
Partout sans quitter la maison.
Si je me mets à la fenêtre,
C’est pour insulter le passant ;
À mon lecteur vingt fois peut-être
J’ai fait cet affront innocent ;
Peut être aussi dans sa colère
S’est-il vengé cruellement :
Un jaloux ne pardonne guère
Ce qui rappelle son tourment.
Mais comment fuir ou me défendre

 
Contre un ennemi si puissant ?
Je n’ai ni pieds ni mains, et j’ai la peau fort tendre,
Son triomphe n’est donc pas grand.
Qu’un curieux me décompose,
J’ai de quoi contenter son goût ;
Et sans denaturer mon tout.
Je peux subir pour lui mainte métamorphose.
À l’avare j’offre de l’or ;
À la beauté j’offre une rose ;
Au chasseur je fournis un cor ;
À l’oiseau d’Iris une cage.
Mais ce qu’on ne comprendra pas,
On peut en moi trouver un sage,
Et je n’en ai pas moins des rats.
De cet assemblage bizarre,
Le pire, c’est d’y voir un sot
(Mais la rencontre n’est pas rare)
Figurant avec un cagot.
Sans être beau je possède les grâces ;
On ne me perdra point, je ne suis pas sans traces ;
Ma cuisine est fort maigre, et j’ai pourtant du rôt.
Mais j’en dis trop, et la gaze est trop claire ;
Prenons plutôt la méthode ordinaire.
Faisons d’abord voguer notre lecteur
Sur un fleuve d’Espagne ; et puis, s’il n’a pas peur
Je l’embarque pour la Colchide,
Sur le vaisseau du héros intrépide

 
Qui déroba la célèbre toison,
Je le ramène après dans le champ de ses pères
Reprendre l’instrument qui donne la moisson,
Instrument dédaigné par des mains meurtrières.
Pour derniers traits j’offre à ses yeux
L’asile ridicule où Géronte, peureux,
Croyant d’un spadassin éviter l’estocade,
D’un fripon de valet reçut la bastonnade ;
Ce que Polyphème amoureux
Lança contre un rival heureux ;
Ce qu’à Londres la populace,
Qui s’amuse d’un jeu sanglant,
Chez deux coqs d’une égale audace,
Pour le combat garnit d’un fer tranchant.
Huit lettres ont produit tout ce beau radotage ;
Devine ou non, lecteur, je ne dis plus un mot,
Car s’il t’en fallait davantage,
Tu serais bête alors autant qu’un escargot.


577. Charade.

Mon premier tous les ans n’arrive qu’une fois,
Mon second sur la tête élégamment s’arrange,
Et mon tout sur les cœurs a le pouvoir d’un ange
Qui descendrait du ciel pour nous donner des lois.


578. Énigme.

J’étais un élément ; mais une autre doctrine
De cette liste m’élimine :
Ne me demande pas si c’est à tort ou non,
Cherche plutôt quel est mon nom.
Mon nom formé de trois voyelles
Qu’un nœud très-étroit lie entre elles,
Se prononce en français (observe bien ce point)
Comme celle, lecteur, qui ne s’y trouve point.


579. Logogriphe.

Je ne descends point sur la terre,
Immobile ou courant, je reste dans les airs.
Je renferme en mon sein nombre d’objets divers,
Qui, pour me découvrir, vous fournissent matières
Ce dieu qui sait dompter l’aquilon mugissant,
Et dispose à son gré du zéphir caressant ;
L’animal qui sauva la liberté romaine,
L’auteur des jours d’Ajax, et la fille d’Ismène,
Un sol environné d’eau,
Ce qui remplace un berceau,
Un esclave à Lacédémone ;
Ce qui reste au fond de la tonne
Dont on soutire la liqueur ;

 
Ce que fait le législateur.
Ce qu’on trouve à la loterie ;
Le nom de la troupe choisie,
Cette trame qu’arrache un valet vigilant,
Et que tend l’araignée à l’insecte volant :
Des Cyclopes l’ouvrage en feuille,
Enfin le nom des droits que le curé recueille.


580. Énigme.

De ma faveur les amants sont jaloux.
Des voluptés je suis le père ;
L’Amour ou m’obtient ou m’espère,
Et je préside aux rendez-vous.
La bergère me craint et pourtant me désire ;
Contre moi sa pudeur est un faible rempart ;
Son cœur complice, ou le simple hasard,
La force à partager mon séduisant délire.
Voyez ce couple heureux par mes charmes instruit,
Dans ses transports il oublierait la terre :
Il était sourd aux éclats du tonnerre…
Un tiers survient, je suis détruit.


581. Logogriphe.

Je règne dans le cœur des bergers et des rois,
Et l’univers sans peine obéit à mes lois.

 
Je peux, de mes six pieds combinant l’assemblage,
Varier à plaisir mes traits et mon visage.
On rencontre d’abord ce tissu précieux
D’un insecte changeant ouvrage industrieux ;
Un funeste métal des avares l’idole ;
Cet oiseau qui jadis sauva le Capitole ;
Une fleur, tendre objet des baisers du Zéphyr,
Que le même soleil voit éclore et mourir ;
Cet arbrisseau rampant dont la tige docile,
Façonnée avec art, devient un meuble utile ;
Le mortel envié, qui, sur le trône assis,
Peut-être bien des fois est rongé de soucis ;
Du colon malheureux l’espoir et la richesse ;
Deux notes de musique, un pape, une déesse ;
Ce qui rend à nos corps la force et la vigueur,
Et des sens énervés ranime la langueur ;
Un légume, une ville, un présent de Pomone ;
Ce langage commun que la nature donne ;
Une rivière, un fleuve, un dieu rempli d’appas,
Qui toujours de Vénus accompagne les pas,
Et voltige en riant sur des lèvres de rose ;
Le tapis de gazon qu’une eau fécondé arrose ;
Un breuvage flatteur avec soin apprêté,
Que l’art industrieux offre à la volupté ;
Un nom fait pour les rois ; la victime tremblante
Que le vautour enlève et dévore sanglante ;
Enfin, le temps paisible où les Jeux et l’Amour

 
Viennent nous consoler de l’absence du jour
Ô toi, qui dans ton cœur bien souvent m’as vu naître !
Lecteur, encor deux mots, et tu vas me connaître.
J’annonce les honneurs, la gloire, les plaisirs ;
Et de tous les mortels je flatte les désirs ;
Au plus infortune je promets un miracle ;
Et bientôt il s’endort sur la foi de l’oracle ;
Mais, avec son flambeau, la triste vérité
Des ombres de l’erreur perce l’obscurité ;
Alors de mes discours il connaît le mensonge,
Et pleure en s’éveillant la perte d’un beau songe.


582. Charade.

Une charade, Églé ! Vous n’avez qu’à vouloir :
En musique aisément mon premier se fait voir ;
Vous êtes mon second, sans art et sans parure ;
Ne soyez pas mon tout, l’amour vous en conjure.


583. Énigme.

On trouve perte et gain, vice et vertu chez moi ;
Bien loin de ses couleurs j’écarte la peinture ;
Je sépare un palais de son architecture,
Et place l’athéisme au-dessus de la foi.

Je fais avant la mort précéder le convoi ;
Mais j’étale en leur ordre et l’art et la nature ;

 
Et sans confusion, sous même couverture,
Je loge également le berger et le roi.

Bien des gens, dont partout on chante la louange,
Se trouveraient souvent dans une peine étrange,
Si je ne leur prêtais un utile secours.

Mais n’appuyez pas tant sur ces discours frivoles ;
À moi, dans le besoin, si vous aviez recours,
Vous n’en pourriez jamais tirer que des paroles.


584. Logogriphe.

Je marche sur sept pieds : célébré par Horace,
À ses vers pleins de feu je donnais de la grâce ;
Tu trouveras, lecteur, en me décomposant,
Un arbre, de nos bois ornement imposant ;
Une note, un marais où de l’hydre homicide
Le sang fut répandu par le vaillant Alcide ;
L’amante de Tibulle et ce que font souvent
Ceux qui vont promener au boulevard de Gand ;
Un animal criard écourtant fort utile,
Qu’on voit chaque matin arriver à la ville ;
Le cirque où le gladiateur
Soutenait un combat cruel et difficile.
Je m’arrête, il est temps ; devine, cher lecteur.


585. Énigme.

Éloigné de l’objet que j’aime,
Lui seul peut calmer mon ennui.
Il est plus beau que l’amour même,
Mais elle est plus belle que lui.


586. Logogriphe.

Je suis assez content, lecteur, de mon emploi ;
Un homme d’importance arrive-t-il chez toi.
Ou bien un jeune auteur, cité pour son mérite
Dans le monde savant, te rend-il sa visite,
Aussitôt, enchanté d’une telle faveur,
Tu me fais avancer à la place d’honneur.
Mais tout n’est pus plaisir sur la machine ronde,
Nous apprend un proverbe aussi vieux que le monde.
Presque tous les matins un insolent laquais,
Dont l’aspect me fait peur, que j’abhorre à jamais,
S’en vient en fredonnant, armé d’une baguette,
Me frapper sans pitié ; le maroufle me traite
Sans nul ménagement ; pourtant d’autres travaux
L’appelant, il faut bien qu’il me laisse en repos.
Mais changeons d’entretien : dérange ma structure,
Jette par-ci par-là mes pieds à l’aventure.

 
As-tu fait ? — Oui. — Voyons. Fort bien. Ce n’est
pas tout ;
Je veux tout simplement, procédant avec ordre,
Tirer quelque parti de tout ce beau désordre.
Pose-moi sur trois pieds, tu dois apercevoir
Ce qui fait du buveur le plus grand désespoir.
— C’est vrai. — Sur trois encor ne vois-tu pas
paraître
Le nom qu’avec raison l’on donne au petit-maître ?
— Oui. — Toujours sur trois pieds, tu vois sans trop
chercher
Un meuble indispensable en ta chambre à coucher.
— Rien n’est si vrai. — Fort bien. Sans crainte de
réplique.
Sur quatre tu dois voir deux notes de musique.
— Je ne réplique rien, le fait est avéré.
— Sur sept découvres-tu ce village illustré
Par la réunion de deux célèbres poëtes,
Qui, sablant le Champagne, échauffèrent leurs têtes
Et qui, détermines par un beau désespoir,
Voulurent d’embarquer pour le rivage noir ?
— Oui — Bravo. Sur deux pieds ne vois-tu pas la
ville,
Qu’environne un pays agréable et fertile ?
— Si fait, je l’aperçois. — À merveille, ma foi.
Tu me tiens donc ? — Oui — Bien ! alors repose-toi.


587. Charade.

Quelquefois mon premier
Renferme mon dernier ;
Et quant à mon entier,
Si ce n’est une peine,
Il sert pour indiquer
Où tel chemin vous mène.


588. Énigme.

Je suis aux champs avec ma tête.
Dans la basse-cour sans ma tête ;
Si l’on me mange avec ma tête,
On me mange aussi sans ma tête ;
Je suis très-gros avec ma tête ;
Je suis fort petit sans ma tête.
Couvert de poil avec ma tête,
Je suis lisse, uni, sans ma tête ;
Roux, gris, blanc, noir, avec ma tête,
Et toujours très-blanc sans ma tête.


589. Logogriphe.

J’ai sept pieds, cher lecteur, et je suis une femme ;
Sur trois on peut me voir dans le fond d’un tonneau

 
Je suis presque toujours seule au milieu de l’eau.
De cet œil enchanteur qui, te séduit, t’enflamme,
Je suis l’ornement le plus beau.
Sans moi que peut faire un tailleur ?
Que peut faire une couturière ?
À tout rasoir, mon cher lecteur,
Je suis tout à fait nécessaire.
Sur quatre pieds j’ai vu de terribles combats ;
Et sans les mettre en parallèle,
J’ai le nom d’un polichinelle,
Et d’un prophète saint que je ne connais pas.
Bien souvent on m’invoque, on m’outrage, on m’implore ;
J’entre aussi dans le cœur d’un auteur envieux ;
Mais si tu veux que l’on m’adore,
Laisse-moi mes sept pieds… Toi-même, si tu peux,
Résiste au pouvoir de mes yeux.


590. Énigme.

Notre nombre est celui des Danaïdes,
Leur père et leur mère compris.
Ces filles ne sauraient emplir leurs tonneaux vides ;
Nous ne saurions aussi contenter les esprits.
Nous marchons tantôt deux, tantôt trois, tantôt quatre ;
L’ordre à notre retour est rarement gardé.

 
Quand on nous trouve ensemble, on commence à
nous battre
Et par là de plusieurs le sort est décidé.


591. Logogriphe.

Mes conseils, cher lecteur, sont toujours excellents
J’éclaire sur huit pieds les sots et les savants.
Le filou me redoute et l’amoureux m’évite ;
C’est surtout dans la nuit que brille mon mérite.
Sans ma tête, je suis, pour L’humble mendiant,
Un objet de douleur qu’il aperçoit souvent ;
La qualité qui plaît à l’univers entier
Se présente à tes yeux sur quatre de mes pieds ;
Mais si de bien chercher tu formes le dessein,
En me décomposant tu trouves dans mon sein,
D’abord, deux éléments l’un à l’autre contraires ;
Puis, ce que le méchant se plaît toujours à faire ;
Un outil nécessaire au temps de la moisson ;
Deux notes de musique, un article, un pronom ;
Le siège de l’honneur, celui du sentiment ;
Le nom qu’on donne aux flots agités par le vent ;
Des amis de la danse une assemblée chérie ;
Ce que l’on croit gagner dans une loterie.
Devine si tu peux, je ne t’en dirai plus ;
Pour vouloir être clair, je deviendrais confus.


592. Charade.

Ce que l’on voit enclore
Les beaux présents de Flore,
C’est mon premier.
Une utile machine
Sépare la farine
De mon dernier.
Quelquefois en voyage
On cherche de l’ombrage
Sous mon entier.


593. Énigme.

Dans une auberge d’Angleterre,
Un matin, couché sur mon lit,
Je rêvais, triste et solitaire,
Quand soudain ma porte s’ouvrit.
Un homme à mine hétéroclite,
Le front pâle et les pieds poudreux,
Entre et dit : Levez-vous de suite,
Vous voyez bien ce que je veux.

Jugez quelle frayeur m’assiège,
Pourtant je m’habille en tremblant.
L’inconnu me fait prendre un siège

 
Et couvre mon corps d’un drap blanc.
Quels dangers mon esprit se forge !
Mais je veux résister en vain,
Car il me saisira la gorge
Avec un instrument d’airain.

Dans cette affreuse conjoncture,
Il me force à rester muet,
Et puis me meurtrit la figure
Avec un énorme boulet.
J’écumais, j’étais tout en nage ;
Quelle mort j’allais endurer !
La sueur couvrait mon visage
Et j’avais peine à respirer.

Il voit la terreur qui m’agite ;
Ému par mon regard touchant,
Voulant m’expédier plus vite,
Il s’empare d’un fer tranchant.
Par une blessure profonde
Mon sang coule… Plus de milieu,
Je vois qu’il faut quitter ce monde.
Et je me recommande à Dieu.

Mais le bourreau qui se reproche
Des tourments qui durent si peu,
S’éloigne d’un pas, se rapproche,
Et me présente une arme à feu.

 
Il prend mes cheveux et les lie,
Il m’a presque tordu le cou.
C’en est fait : pour m’ôter la vie
L’assassin ajuste son coup.

Ma foi, j’en reviens d’une belle !
Quel hasard a pu m’en tirer ?
Devant me brûler la cervelle,
Son feu n’a fait que m’effleurer.
Il s’y prend d’une autre manière :
Son courroux venant l’échauffer.
Dans un tourbillon de poussière
Le voilà qui veut m’étouffer.

Il voit que le sort m’est propice,
Et ma mort trop lente à ses vœux ;
Et, pour augmenter mon supplice,
Il tire et coupe mes cheveux.
Je pousse un soupir lamentable ;
L’assassin, voulant me braver,
Saisit ma bourse sur la table
Et vient à moi pour m’achever.

Ce trait indigne me transporte…
Je m’arme d’un couteau de bois.
Mon inconnu gagne la porte.
Et dans un miroir je me vois,
quelle surprise ! jugez comme

 
Mon courroux dut être apaisé.
Quand je reconnus que mon homme
M’avait poudré, coiffé, rasé.


594. Logogriphe.

Je suis difforme, je suis belle,
Je suis aimable et dure aussi ;
Je suis sotte, spirituelle,
J’ai de la joie et du souci.
On peut me voir et jeune et vieille ;
Ici pâle, plus loin vermeille ;
Enfin j’ai sur moi, mes amis,
Mille contraires réunis.
Six pieds composent tout mon être ;
Et pour me voir et me connaître,
Je vais indiquer sans détour
Ceux qui de moi tiennent le jour :
Un oiseau grand, long, sec et mince ;
Une brutale passion ;
Un fruit qui vient de la province ;
De mépris une expression ;
Un arbre ; un morceau de musique ;
Un passage ; un métal massif ;
En hiver, un préservatif
Contre le froid aigu qui pique ;

 
Vous me cherchez, et je vous vois
Mettre à l’instant la main sur moi.


595. Charade.

Le sage pense et tend à mon premier ;
L’avare pense et tend à mon dernier ;
Je ne sais trop à quoi pense et tend mon entier.


596. Énigme.

Je suis aussi vieux que le monde ;
Quoiqu’on me foule aux pieds, on vante mon emploi ;
Dans toute la machine ronde,
On ne peut se passer de moi.
Bon sans vertu, mauvais sans vice,
Dans un État ou règne une exacte police,
Jamais à me choisir aucun ne se méprend :
Un bois officieux m’indique ;
Et, grâce aux soins que l’on en prend,
Ce bois, quoique muet, est toujours véridique.
On a besoin d’un tel secours,
Car je suis quelquefois très-fertile en détours.
Je vais parfois aux champs, et parfois à la ville ;
Étroit, large, droit ou tortu,
Je ne suis jamais plus utile
Que lorsque je suis bien battu ;

 
Chez moi tout marche pêle-mêle :
Je reçois sans égard le riche et le pied-plat ;
Quelquefois je suis mâle et quelquefois femelle ;
Mais de quelque nom qu’on m’appelle,
Je ne change jamais ni d’emploi, ni d’état.


597. Logogriphe.

Mâle ou femelle, sans tête,
Je suis femelle sans queue ;
On me méprise avec ma tête,
Et l’un m’estime sans queue.
Je suis bête, sans ma tête,
Je suis divine, sans queue :
Parfois sauvage sans tête,
Je suis humaine sans queue.
On me tire sans ma tête.
On me donne sans ma queue
Je vais sur l’eau sans ma tête,
On me viole sans ma queue :
Je chante mal sans ma tête,
On me jure sans ma queue :
Grasse ou maigre sans ma tête,
Je suis vertu sans ma queue :
On m’apprivoise sans ma tête,
On me repousse sans ma queue,

 
L’homme, ainsi que sans ma tête,
Me mange avec tête et queue.


598. Charade.

On aime entendre mon premier ;
On s’amuse sur mon dernier ;
Mais on déteste mon entier.


599. Énigme.

Je suis à double face ; et de la vérité
Je garde à la postérité,
L’expression naïve et pure ;
Je porte également et l’éloge et l’injure ;
D’impostures souillé, je mens impunément :
Ce n’est pas à moi qu’on s’en prend ;
Et la plus secrète pensée
Se voit, par le plus sage, en mon sein déposée ;
J’ai pourtant divulgué maints secrets importants.
Je sers de jouet aux enfants ;
Je suis léger, gris, noir ou jaune,
Blanc, doré, vert ou bleu, petit ou long d’une aune.
Sans être condamné, bien souvent je péris,
Mais je renais de mes débris,
Et je porte au bout de la terre,
Le pardon, la justice, ou la paix ou la guerre.


600. Logogriphe.

Dans l’antique Lemnos jadis on me vit naître ;
De cinq pieds mon auteur a composé mon être.
J’ai fourni, dit-on autrefois
La foudre au maître du tonnerre ;
Ces métaux qu’en son sein tient renfermés la terre,
Je les soumets tous à mes lois,
Pour des besoins divers, c’est moi qui les apprête
Quand on veut me laisser ma tête.
Mais si par toi, lecteur, je suis décapité,
Sans que j’aie recours à ta vertu magique,
Je deviens aussitôt production rustique.
L’avare en moi voit sa félicité,
Orphée un ton qu’il emploie en musique ;
Et maint Achille en proie à la rigueur du sort,
Trouve aussi l’instrument qui lui donna la mort.


601. Charade.

Je voudrais pour que l’homme eût un destin prospère.
Que l’amour à l’hymen fut toujours mon premier ;
Que toujours Apollon inspirât mon dernier ;
Que sans cesse la paix régnât dans mon entier
Mais n’est-ce pas courir après une chimère ?


602. Énigme.

Je suis affectueux, sincère,
Cher aux amis, cher aux amours,
Heureux, si tel on me voyait toujours !
Mais quelquefois aussi je suis vain, dur, colère,
Impérieux, méprisant et brutal.
Mon frère, ou plutôt mon rival,
Est d’un tout autre caractère :
Il est froid, réservé, civil et complaisant ;
C’est un flatteur insinuant :
Aussi, près d’un monarque il est seul en usage.
Je suis plus élevé, plus sublime pourtant :
Aussi, quand un auteur, dans un pompeux ouvrage,
Apostrophe le Tout-Puissant,
Un prince, un grand héros, un grand poëte, un sage,
Mon frère, au prix de moi, serait froid et rampant.
Dans un instant d’emportement,
On le quitte pour moi, même assez brusquement,
Mais, lorsque l’on commence à calmer sa furie,
Ou qu’on veut concentrer tout son ressentiment,
On me quitte pour lui, mais pas si promptement.
Pendant le temps de crime et d’anarchie,
Je m’étais perverti, gâté ;
Et mon rival, partout persécuté,
S’est presque vu contraint de quitter la partie :

 
Enfin, de nous trouver êtes-vous curieux ?
Eh bien ! voici ce qu’il faut faire :
Feuilletez à loisir les tomes de Voltaire
Il nous a célébrés tous deux.


603. Charade.

Habitant des forêts, qu’anime sa présence,
Fier, orgueilleux, léger comme le vent,
Triste jouet de la puissance,
Mon premier quelquefois sert au plaisir des grands
Et rarement échappe à leur perfide adresse.
Mon dernier, qu’on dirige avec dextérité,
Va de l’amant à la maîtresse,
Et bien souvent, dans sa légèreté,
Est un tableau de l’infidélité
Qui cependant amuse la jeunesse.
Mais mon tout, plus audacieux,
Plus vif en sa course légère,
S’en va presque toucher les cieux
Sans se séparer de la terre.


604. Logrogriphe.

La plupart des humains, ardents à ma poursuite,
Recherchent vainement le bonheur à ma suite ;

 
Mon appareil séduit leurs cœurs ambitieux,
Qui, comblés de mes biens, n’en sont pas plus heureux.
Je suis un fleuve illustre, en me coupant la tête,
Et sans chef et sans queue une indolente bête.
Je vous offre de plus un très-bel instrument,
Un métal, un oiseau. Devinez maintenant.


605. Charade.

Mon premier toujours vert, et cher à plus d’un cœur,
De ses rameaux sacrés ceint le front du vainqueur.
Mon second, cher lecteur, cache ainsi que les belles,
Sous des dehors charmants, des épines cruelles.
Mon tout, qui de la rose a le nom, les appas,
Y joint encor des traits qu’elle même n’a pas,
Comme elle, s’embellit des larmes de l’aurore ;
Mais plus qu’elle survit aux doux baisers de Flore.


606. Énigme.

Je porte ce qu’on veut, je ne refuse rien ;
Soit par devant, soit par derrière,
Je suis propre à montrer et le mal et le bien,
La joie et la misère,
Le paradis, l’enfer, les saints et les démons,
Et le ciel et la terre ;

 
Les princes et les rois avec leurs écussons,
Et la paix et la guerre ;
Mes parents pour moi sans amour.
Sitôt que je suis née.
M’exposent aux rigueurs des saisons nuit et jour :
Voilà ma destinée.
Quoique facile à voir, on me cherche avec soin
Sans faire de bévue.
Et l’on trouve souvent ce dont on a besoin
Sitôt que l’on m’a vue.


607. Logrogriphe.

Tout à la fois arbuste et militaire,
Je sers l’État, j’embellis un parterre,
Et je me montre tour à tour
Avec la caisse ou le tambour.
Neuf pieds, lecteur, forment mon être,
Et pour t’aider à me connaître,
Cherche d’abord un habitant du ciel,
Ce beau jardin planté par l’Éternel,
Un homme noir, une chaste dresse,
Ce qui chez toi présage la vieillesse,
Au mois de mai ce que font les oiseaux,
Un élément, un asile aux vaisseaux.
Je puis encore offrir à ta pensée,

 
Cette vapeur par le froid condensée,
Ce mont fameux où le berger Pâris
Donna la pomme à la belle Cypris,
Le rossignol célèbre en Arcadie,
Certain oiseau jasant comme une pie,
Ces boulets creux lancés par des soldats,
Et dont le sein renferme le trépas ;
Enfin ce cri qu’un faquin en voiture
Parfois t’adresse en te couvrant d’ordure.


608. Charade.

Lorsqu’on a vu passer trois jeudis du carême,
On voit avec plaisir arriver mon premier :
Lorsqu’on doit sommeiller près de celle qu’on aime,
On voit avec bonheur arriver mon dernier.
Mais dans un vieux château de gothique structure.
Lorsqu’on va se coucher seul et loin du portier,
Qui d’un fantôme blanc a coûté l’aventure,
On voit avec frayeur arriver mon entier.


609. Énigme.

Pour le seul opulent j’ai beaucoup de finesse.
Vous me voyez femelle, et mâle je naquis.
J’ai le peuple sous moi, l’église et la noblesse,
Et porte quelquefois des ornements exquis.

 
Je touche également les amants et les dames ;
J’accompagne en tous lieux leurs plus secrètes flammes.
Le mortel le moins pur aime ma pureté.
Mon voile faiblement vous cache la beauté.


610. Logrogriphe.

Monstre enfanté par la Terre et Neptune,
Mon aspect est hideux ; ma présence importune,
Si Virgile n’est pas menteur.
Ôte un de mes six pieds : alors de Terpsichore
Je suis l’attribut enchanteur ;
À tes regards, je représente encore
Ce foyer vaste et lumineux,
Qui du navigateur relève le courage,
Au moment qu’un écueil affreux
Des horreurs du trépas lui déployait l’image ;
Enfin, je l’offre cet oiseau
Vif, enjoué, de plumage assez beau,
Qui furète, grimpe et sautille,
Nous vole, quand il peut, et sans cesse habille.


611. Charade.

Haute ou basse au concert on entend mon premier,

 
Plus d’un filou promène et cache mon dernier ;
En sortant du spectacle, on reçoit mon entier.


612. Énigme.

De tous temps nécessaire,
Et sans être de prix,
J’ai l’heureux don de plaire
Aux femmes, aux maris.

À moins qu’il fût malade.
L’homme ne pourrait pas
M’avoir en promenade,
Ni même à maint repas.

Mais la femme, au contraire,
Peut me porter partout ;
Et, pour une grand'mère
Je suis du dernier goût.

Souvent je porte plume,
De poil je suis couvert,
Et quand on craint le rhume,
C’est de moi qu’on se sert.

Quoique de mince taille,
Je me vois élevé ;
Dans plus d’une bataille
On m’a souvent trouvé.


613. Logogriphe.

Quatre pieds forment mon essence ;
Mais, ceux que je puis comporter,
Cher lecteur, malgré ta science,
Tu ne pourrais point les compter.
Si toutefois de me connaître
Tu sens le désir curieux,
Lecteur, décompose mon être,
Et trois de mes pieds à tes yeux
Offrent un bien qu’après la gloire,
Tout honnête homme doit chérir ;
Dont peu d’humains, suivant l’histoire,
Ont possédé l’art de jouir.
L’impatience te dévore !
Eh bien ! dans un ordre nouveau,
Trois de mes pieds peuvent encore
À tes yeux offrir un oiseau,
Animal vigilant, timide,
Dont le cri, poussé jusqu’aux deux,
Trahit la valeur intrépide
De nos redoutables aïeux.


614. Charade.

Si mon premier est bon, mon second l’est de même ;
Mon tout pour les enfants est d’un attrait extrême.


615. Énigme.

Je suis une cité de charmante structure :
J’ai pourtant contre moi des ennemis si forts
Qu’ils abattent mes murs et leur font mille torts,
Sans avoir de ma part reçu la moindre injure.
On est tenté toujours, en voyant ma figure,
De faire contre moi d’agréables efforts.
Quand mon maître me vend, mes habitants sont
morts ;
Et comme leur cité, je suis leur sépulture.


616. Logogriphe.

Sans moi l’homme ici-bas ne serait pas heureux,
Je déride son front et j’anime une fête,
Mais je deviens, lecteur, si vous m’ôtez la tête,
Un être sot, lourd, ennuyeux.
Et cependant c’est à ma vigilance
Que les Romains durent leur délivrance.


617. Charade.
ADRESSÉE À UNE JOLIE FEMME.

Mon premier, de tout temps, excita les dégoûts.
Mon second est cent fois plus aimable que tous ;

 
Quant à mon tout, dont vous êtes l’image,
Tout haut j’en fais l’éloge et tout bas j’en enrage.


618. Énigme.

Avec même vitesse en tous les lieux je vole.
L’hiver comme l’été, les nuits comme les jours ;
De l’uniformité je suis le vrai symbole,
Rien de plus règle que mon cours.
Tout le monde pourtant n’en juge pas de même.
Contre ma lenteur on blasphème.
Dans l’exil et dans les cachots.
On s’en plaint encor plus, quand la fièvre brûlante
Sur un corps épuisé frappe à coups inégaux :
Mais combien on voudrait que je fusse en repos,
Lorsque près d’une tendre amante,
On brûle de l’encens aux autels de Paphos !
Tantôt on me maudit, tantôt on me souhaite ;
Trop souvent on me tue, et puis on me regrette.
L’auteur vient de me perdre en me définissant ;
Ne va pas, cher lecteur, me perdre en me cherchant.


619. Logogriphe.

Depuis des siècles je suis mort.

 
Mais Paris tout entier m’applaudit et m’admire,
Et l’âme que l’honneur inspire
S’exalte au récit de mon sort.
Si de trois pieds à présent on me prive,
Mon allure au village est vive,
Elle est grave dans un salon.
Je suis un lieu brillant que l’homme libre esquive,
Où l’ennui tient sa cour, escorté du bon ton.
Un pied de moins, je suis un jour de fête ;
Des rochers je franchis la crête ;
Et mon nom prouve assez combien je suis léger ;
Je suis province en même temps que ville
Dans un pays vaste et fertile
Où jamais le raisin n’a paru sans danger.
Si l’air n’existait pas je serais inutile,
Et l’Amour, ce dieu si mobile,
A besoin de moi pour changer.
Sur trois pieds si je me traîne,
Je suis un fleuve auprès de qui la Seine
N’est plus qu’un modeste ruisseau ;
Je montre l’instinct de l’oiseau ;
D’un ignoble animal je suis la nourriture,
Quand je devrais l’être de tant de gens.
La mer, un fleuve est ma ceinture ;
Et mince tige dans les champs,
L’homme prend soin de ma culture
Et me transforme en vêtements.

 
D’un parterre de fleurs si je suis la parure,
Je brille aussi dans les armes d’un roi ;
Tout votre esprit, madame, est plein de moi,
Sur deux pieds terminant ma course,
Je deviens au piquet d’une utile ressource ;
Le corps sans moi manque d’appui,
Et je demeure entier bien longtemps après lui.
De Jupiter enfin je suis une conquête
Dont son amour fit une bête.


620. Charade.

Dans leurs jeux, leurs combats, usant de mon
premier,
Les Romains volaient à la gloire :
Du méchant qui voudrait opprimer mon dernier,
Périsse le nom….., ta mémoire !
Un subtil élément dévore mon entier :
Voilà la fin de mon histoire.


621. Énigme.

Je suis l’ainé de tous mes frères,
Mon cadet expirant décide de mon sort ;
Je suis plus désiré des enfants que des pères,
Et l’avare me hait presque autant que la mort,

 
Je suis vieux, cependant mes heures sont bornées :
Mon règne a de l’éclat qu’on voit bientôt finir ;
Je viens dans la saison des plus courtes journées,
Je disparais et suis longtemps à revenir.


622. Logogriphe.

Je suis un végétal ; de mes heureux tributs,
Dans leurs solennités, aux plus beaux jours de fête,
Les prêtres de Sion jadis étaient vêtus ;
Mets ma tête à ma queue et ma queue à ma tête.
J’offre à tes yeux, lecteur, un fleuve dont les bords
Se parent tous les ans de mes riches trésors.


623. Charade.

En triomphe dans Rome un généreux guerrier
Entre d’abord sur mon premier.
Il parcourt mon second, et puis d’un air tranquille
Il va rejoindre mon entier,
Trouvant que ce dernier métier
Était tout aussi noble et beaucoup plus utile.


624. Énigme.

Je suis du genre masculin,
De tous les temps, de tous les âges

 
Je sers à tout le genre humain,
Au riche, au pauvre, aux fous, aux sages ;
À l’enfant ainsi qu’au barbon :
À la ville, comme au village,
Chez l’honnête homme et le fripon,
De moi partout on fait usage.
Je suis tantôt noir, tantôt blanc.
Mes couleurs sont fort variées ;
Je suis petit, moyen et grand,
Mes formes sont multipliées ;
Quoique simple ou sans ornement,
L’on m’admire et j’ai de la grâce ;
Quoique entouré d’or ou d’argent,
Je bâille et je fais la grimace.
En tout pays j’ai même emploi ;
Et, puisqu’il faut que je le dise,
Entre mon congénère et moi,
Également on le divise.
Sous le joug on me fait plier
Tant que dure mon existence ;
Mais aussi, peut-on le nier ?
Je me prête à la circonstance.
Si Lise au spectacle se rend,
Je monte avec elle en carrosse ;
Épouse-t-elle son amant,
Il est sûr que je suis de noce ;
Vient-elle à perdre son mari.

 
Je suis de deuil, oh ! point de doute :
Fuit-elle avec son favori.
Je ne la quitte pas en route.
Je force plus d’un curieux.
Dans un bal, à la promenade,
À baisser devant moi les yeux,
Item devant mon camarade.
On me consulte assez souvent,
Je suis parfois d’un bon augure ;
Tel m’achète qui me revend
Avec ou plus ou moins d’usure.
Enfin avec moi, chers lecteurs,
On est dans l’aisance ou la gène :
Zulime à force de faveurs,
Serre mes liens et m’enchaîne ;
Elle me quitte, me reprend ;
À sa suivante elle me donne ;
On me traite comme un enfant ;
Quand je suis vieux, on m’abandonne.


625. Charade.

Lise demande mon premier,
Dans la crainte que mon dernier
Ne la prive de mon entier.


626. Charade.

Coupe la queue à mon premier,
Coupe la queue à mon dernier,
Je suis, dans l’Inde, un fruit qui désaltère.
Mon premier répété deux fois,
C’est mon entier qui, dans les bois,
Au mois de mai, devient son propre Homère.


627. Énigme.

Sans être ni femme, ni fille.
Ami lecteur, tiens pour certain,
Qu’ainsi que toute ma famille,
Je suis du genre féminin.
Ici je suis Française, et quoique favorable
À maint et maint écrivain,
À beaucoup de savants j’ai paru détestable.
Combien d’entre eux dédaignent la beauté
De mes plus jeunes sœurs, et courtisent les vieilles,
Leur consacrent travaux et veilles ;
Dans leur possession placent la volupté,
Et préfèrent, la chose est des plus étonnantes,
Quoique l’exacte vérité,
Far un goût singulier, les mortes aux vivantes.


628. Charade.

Comme un sultan au fond de son sérail,
Mon premier dans mon tout, loin de l’œil du valgaire,
Se tient tapi et ne se montre guère :
Mon second vit dans l’eau, c’est là son vrai bercail ;
Si vous le mangez frit, vous ferez bonne chère.


629. Énigme.

J’ai le corps blanc et l’âme noire,
Aussi tu peux aisément croire
Que je suis faite pour le mal.
Quand on en donne le signal
On me déchire et l’on me brûle.
Afin que par un coup fatal
Le faible succombe ou recule.


630. Logogriphe.

Je disposais jadis de la nature entière.
Et j’inspirai longtemps le respect et l’effroi ;
Mais aujourd’hui, lecteur, plains-moi,

 
Je ne puis renverser la plus faible chaumière.
Pris en détail, mes huit pieds te font voir
Une ville aux confins d’Italie et de France ;
Chez les Orientaux un homme de savoir ;
D’un marchand le flatteur espoir ;
L’objet dont un amant désire la présence ;
Une prison ; ce qui fait ma puissance ;
Et ce qu’on tend pour recevoir.


631. Charade.

La gamme t’offre mon premier,
Ne juge pas sur mon dernier,
Préserve-toi de mon entier.


632. Énigme.

Je sors, tout à la fois, du règne végétal,
Et marche aux premiers rangs dans le règne animal.
Tantôt je suis jaloux de me faire connaître ;
J’ai deux pieds et deux mains, tout l’esprit de mon
maître :
Tantôt j’ai quatre pieds, mais je n’ai plus de mains :
C’est de mon maître alors que l’esprit doit paraître.
Je suis en général propre à tous les humains,
Pour causer entre soi, sans se voir, ni s’entendre.

 
Seul, avec mes deux pieds, je puis tout entreprendre ;
Avec mes quatre pieds je ne puis rien sans toi.
Quand on s’adresse à moi, je suis propre aux affaires,
Depuis celles d’État jusques aux plus vulgaires.
J’exerce, avec deux pieds, souvent plus d’un emploi ;
À quatre, il n’en est qu’un dont je sois susceptible.
Parfois, avec deux pieds, je trahis ton secret ;
Jamais, à quatre pieds, je ne suis indiscret.
Je marche avec deux pieds : avec quatre, impossible.


633. Logogriphe.

Sans sortir de chez moi chacun va me connaître ;
N’importe, je poursuis : pour me procurer l’être,
Pour m’embellir, Lecteur, et pour plaire à tes yeux,
On vole impunément et la terre et les cieux ;
Je réunis alors l’agréable et l’utile.
Je cache quelquefois, suivant mon institut,
Du genre humain les maux, l’exemple ou le rebut.
On juge par le mien du lustre d’une ville :
Sous un aspect, hélas ! bien différent,
Je reçois, dans mon sein, aisé, riche, indigent.
Nécessaire autant que commune,
J’ai maître, et puis servir d’enseigne à sa fortune.
Là, dans un triste et malheureux écart,
Je n’offre trop souvent qu’un amas de poussière

 
Ici, majestueuse et fière,
Du passant curieux je fixe le regard.
Souvent on me partage : hé bien, fais-en de même ;
Pourfends-mon corps en deux, tu verras d’un côté
Certain bouquet planté
Près du logis de l’objet que l’on aime,
Et de l’autre, lecteur,
Ce que le vent moteur
D’une utile maçhine
Avec économie extrait de la farine.


634. Charade.

Mon premier des Chinois obtient l’absurde hommage,
Mon dernier de Bacchus barbouille le visage
Mon entier des mortels est souvent le partage.


635. Énigme.

J’ai bien le cœur d’une coquette ;
Il se laisse échauffer, sans jamais s’attendrir.
D’un éclat emprunté parais-je m’embellir……
Aussitôt la foule indiscrète
Devant moi vient se réunir.
Après les compliments d’usage

 
Sur la douceur de mes bienfaits,
Souvent le moindre mot engage
Une discussion volage
Où l’on traite mille sujets.
On juge tout, morale, politique,
Commerce, prose, vers, et même les procès.
On décide sur la musique,
On analyse les succès,
Et toujours a l’éloge on mêle la critique.
Assis auprès de moi, le lecteur enchanté
Relit plus tendrement une scène charmante.
Et par un logogriphe un Œdipe agité
Saisit plus ardemment le mot qui le tourmente.
Ces mouvements divers dont j’offre le tableau.
Sans doute à ton esprit m’ont déjà fait connaître :
Cher lecteur, quoi qu’il en puisse être,
Ne m’arrache pas mon manteau.


636. Logogriphe.

Tantôt je console un amant ;
Tantôt aussi je le désole ;
Propice, ou sourde au sentiment.
Tour à tour je suis triste et folle :
Noircie en recevant le jour,
Avant d’exister je suis blanche ;
Quelquefois je prends un détour ;

 
Mais souvent je suis franche.
Par un caprice du destin,
Je change à tout moment de place ;
Je voyage soir et matin,
Pourtant jamais je ne suis lasse ;
On me renferme pour raison,
Et par calcul on me délaisse ;
Mais bientôt je sors de prison,
Et, grâce à mon adresse,
Vous pourrez deviner bientôt
L’énigme que je vous propose :
Doit-on balancer sur le mot,
Quand, dans la poche, on a la chose ?
Pour me trouver, celui qui lit
Ces vers que je viens vous soumettre,
Doit, au lieu d’en chercher l’esprit,
S’entretenir à la lettre.


637. Énigme.

File-moi, je te vêts ; retourne-moi, je coule.


638. Énigme.

Sans être devin, la beauté
Bien souvent me consulte ;

 
Lorsque je dis la vérité,
Femme laide m’insulte.
Sur le sein de plus d’un tendron
Je vois la rose naître,
Et devant moi plus d’un barbon
Singe le petit-maître.
Ingrats amants, l’hiver s’enfuit ;
Sous la feuille nouvelle.
Une onde claire vous séduit ;
Vous me quittez pour elle.
L’écho peut trahir vos soupirs,
Et moi, je suis discrète.
L’oiseau peut chanter vos plaisirs,
Et moi, je les répète.


639. Logogriphe.

Je cours le monde en gardant mon milieu ;
Je cours le monde en ôtant mon milieu ;
Je suis très-dur en gardant mon milieu ;
Je suis très-douce en ôtant mon milieu ;
Je suis utile en gardant mon milieu ;
Je le suis plus en ôtant mon milieu ;
Je suis fort brusque en gardant mon milieu ;
Je suis fort bonne en ôtant mon milieu ;
Je brave les combats en gardant mon milieu ;

 
Je sers dans les combats en ôtant mon milieu ;
Je suis audacieux en gardant mon milieu ;
Je suis friponne en ôtant mon milieu ;
Je vais à droite, à gauche, en gardant mon milieu ;
Je suis ou droite ou gauche, en ôtant mon milieu ;
Je sers la république en gardant mon milieu ;
Je sers tous les humains en ôtant mon milieu ;
Je suis entreprenant en gardant mon milieu ;
Je suis entreprenante en ôtant mon milieu.


640. Charade.

Les Mozart, les Grétry, ces grands compositeurs
Qui ne trouvent partout que des admirateurs,
Ces sublimes talents qu’approuve Terpsichore,
Et dont avec orgueil la scène se décore,
Dans leurs œuvres toujours usent de mon premier.
Vers le soir d’un beau jour un amant toujours
tendre
Vient-il à ses désirs vous presser de se rendre,
De ses discours, Irma, sachez vous défier ;
Mais pourtant n’allez pas lui dire mon dernier,
Car dans son désespoir de n’avoir pu vous plaire,
Il pourrait se jeter… dans les bras de Glycère.
Ô combien mon entier doit faire de jaloux,
Lorsque dans votre lit admis seul avec vous,

 
Par ses jeux agaçants et par ses gentillesses
Il sait fixer sur lui vos plus tendres caresses.


641. Énigme.

J’habite dans le feu ; je fuis la terre et l’onde ;
Je me plais dans la nuit, le trouble et les douleurs ;
On me voit dans les cieux, mais jamais dans le
monde.
Ma famille est en joie, et moi je suis en pleurs.
Je me mets en fureur dans un séjour nocturne,
Et sans quitter jamais le deuil ni le tombeau,
Je parais dans Mercure, au milieu de Saturne,
Et vais dans le mois d’août couvert d’un grand
chapeau.


642. Logogriphe.

Dans les cercles brillants de la société
Ou me voit arriver avec l’Oisiveté ;
Ma sœur me suit de près, et souvent son langage
Plus méchant que le mien remporte l’avantage ;
En me décomposant, on trouve, cher lecteur,
Une ville où naquit un prophète imposteur ;
Celui dont le talent nous conserve la vie ;
La déesse propice aux vœux d’Iphigénie ;

 
Des sens le moteur immortel ;
Le pain qu’à nos aïeux distribuait le ciel ;
Ce qu’on trouve au sein de la terre ;
Un peuple d’Orient, amateur de la guerre ;
Le mois où tous les cœurs se livrent à l’amour ;
Dans l’ancien almanach, la veille d’un saint jour ;
L’exercice léger qu’inventèrent les Grâces.
Mais j’en dis trop, lecteur, je te vois sur mes traces.


643. Charade.

Sans cesser d’être mon dernier,
Sexe aimé, mais parfois volage,
Si je te vois sur mon entier,
Je double mon premier pour t’offrir mon hommage.


644. Énigme.

L’art nous créa jumeaux, nous ne travaillons guère
Dans la saison caniculaire ;
Mais l’hiver, occupés d’un service assidu,
Nous rachetons le temps perdu.
Alors plus de repos, toujours peine nouvelle ;
On nous voit dans les plus grands froids,
Le long du jour porter du bois,
Et la huit faire sentinelle ;

 
Car il nous faut garder un prisonnier sournois,
Moitié soumis, moitié rebelle,
Qui, rompant sa chaîne une fois,
Ne connaît plus ni frein ni lois.
Notre asile ordinaire est une grotte obscure,
Où d’objets ténébreux nous sommes entourés.
Jamais nous n’affichons l’éclat de la parure
Qu’en allant nous asseoir sur les lambris dorés.
Là, pour charmer l’ennui de notre maître,
Quand la bise vient l’assiéger,
Sous les traits du plaisir nous aimons à paraître,
Tantôt nymphe, tantôt berger,
Tantôt nous couronnant de feuillage champêtre,
De raisins prêts à vendanger,
Ou de fleurs qui viennent de naître.
Notre berceau, dit-on, fut l’atelier d’un dieu.
Quelque titre imposant que la Fable nous forge
La froide vérité nous respecte si peu,
Qu’en livrant notre corps au feu,
Elle nous met souvent les deux pieds sur la gorge.


645. Logogriphe.

Véritable chaos, bigarrure complète
Et d’êtres et d’objets divers,
Je suis grand comme l’univers ;

 
Oui, lecteur ; et sans tête,
Instrument de désastre et de prospérité,
Et d’immenses trésors vainement enrichie,
Dans mon sein, souvent agité,
Je donne la mort et la vie ;
Et j’ai produit, détruit, en vérité.
Déjà plus de trésor, plus d’êtres, je parie,
Qu’on n’en voit aujourd’hui sur le globe habité.
Sans cœur, à tous les yeux charmante,
Souvent bizarre, et plus qu’extravagante.
Aux frivoles penchants offrant un libre cours,
Et prodigue autant qu’inconstante,
Je fais des heureux tous les jours.
Je parais, et bientôt je passe ;
De moi l’on raffole, on se lasse ;
Mais on me recherche toujours.
Et sans tête, sans cœur, quand un beau feu m’anime,
Fière, prenant un essor glorieux,
Je m’élance jusques aux cieux ;
Et dans un mélangé sublime
Je parle aux Dieux.


646. Charade.

Je suis sur mes huit pieds une ville de France ;
Mais si tu veux, lecteur, me mettre en deux moitiés,

 
Alors mon premier corps t’offre son assistance
Pour passer mon second sans te mouiller les pieds.


647. Énigme.

En tête des enfants de Mars,
J’affronte avec eux les hasards
De la plus sanglante bataille.
Qu’on escalade la muraille,
Ou que l’on combatte en plein champ,
Je ne tremble pas pour mon sang.
On peut me maltraiter sans doute,
M’écharper, me mettre en lambeaux ;
Parmi les morts, quoi qu’il m’en coûte,
Je crains peu de laisser mes os.
C’est avec calme que j’endure
La chaleur des étés, des hivers la froidure.
Aux yeux des conquérants j’ai d’autant plus d’éclat,
Que je reviens en plus mauvais état.


648. Logogriphe.

À mon aspect posé, souvent roide et sévère ;
À mon style précis importé du Palais ;
Bref, à ces mots connus de clause et d’honoraire,
L’on peut fort bien, je crois, reconnaître mes traits ;

Mais pour plus de clarté, si l’on poursuit encore,
Sans air, je puis offrir un objet fort léger,
Fixant le souvenir d’un sujet passager,
Ou d’un compte rendu qui flatte ou déshonore.


649. Charade-Énigme-Logogriphe.

Mon premier quelquefois se présente à ta vue
En portant son front dans la nue ;
Quelquefois, pour te divertir,
Il échappe à tes yeux sous une main subtile,
Il te fait aller et venir,
Soit dans les champs, soit dans la ville :
Par le pied d’un artiste habile
Circulairement agité,
C’est une mécanique utile
Pour différents besoins de la société.
Il fut jadis an messager fidèle
Dans ces prisons où le faux zèle
Condamnait la jeune beauté,
Au triste vœu de chasteté.
Mon second, cher lecteur, chose assez surprenante,
Exprime trois mots à la fois,
Par une seule émission de voix :
C’est une pièce circulante ;

Si l’on en fait deux parts, on voit premièrement.
Ce que mon ami Pitt à son sénat présente
Pour en obtenir de l’argent.
On découvre secondement
Certain pronom qui, suivant la grammaire,
Est excepté de la règle ordinaire,
Comme étant sans déclinaison
Et sans genre dans l’oraison.
Mon tout enfin, lecteur, fut jadis un problème ;
Il servit à bâtir un célébré système ;
La France honore encor le nom de son auteur,
L’Angleterre celui de son contradicteur.
Mais laissons là ces disputes savantes ;
Parmi les choses étonnantes
Que de mon tout on peut citer.
C’est par lui que nos élégantes
À Tivoli se laissent emporter.


650. Énigme.

Sorti d’un corps vivant et de vile naissance,
J’acquiers pour certain temps du lustre et de l’éclat.
Et sur gens d’un certain état
Je domine avec arrogance ;
En paix, à la guerre, au combat,
Au-dessus des héros je porte mon audace.

Plus ils ont de fierté, moins je cède ma place :
Mais la moindre femme m’abat.
Mon trône est de figure ronde,
Quoique formé sans règle et sans compas ;
Superbe j’y parais aux yeux de tout le momie,
Et celui qui sous moi s’enfle de mes appas,
Est le seul qui ne m’y voit pas,


651. Logogriphe.

J’ai cinq pieds, cher Lecteur, et mon rôle, ici-bas.
Est de porter au loin la céleste vengeance,
D’ébranler l’univers, d’abattre avec fracas.
Des mortels effrayés l’annuelle espérance.
En éloignant mon chef ne crois pas me calmer.
Je change de nature et suis bien plus à craindre ;
Tu périras si je te puis atteindre :
À ma sombre fureur rien ne peut t’arracher.
Enfin d’un second chef tu peux bien me priver.
Mais à l’aide du temps, par une loi commune.
Quel que soit ici-bas ton rang ou ta fortune,
Au ténébreux séjour je saurai t’amener.


652. Charade.

Mon premier sert à plusieurs jeux.
Et sous une autre forme est encor plus utile ;

Vive le Français belliqueux
Pour forcer mon second qui protège une ville !
Et mon entier d’un sort fâcheux
À préservé plus d’une fille.


653. Énigme.

En tout temps, en tout lieu, sur tout ce qui respire
J’exerce un invincible et naturel empire ;
Et je cause aux mortels, soumis à mes désirs,
Et de cruels tourments, et de bien doux plaisirs.
Sans cesse, à leurs regards, je me métamorphose,
Et même, à leur insu, de leur sort je dispose.
Rien au monde, lecteur, même ta volonté,
Ne saurait désunir notre société ;
Avec toi je naquis, et nous mourrons ensemble.
Par un contraire effet, en moi seul je rassemble
Et la présomption, et la timidité,
Et l’adresse à séduire, et la crédule ivresse.
Toujours l’oreille au guet, les yeux toujours ouverts,
Bien souvent, et j’entends, et je vais de travers.
Je suis bas, orgueilleux ; je gronde, je caresse.
Mon sentiment, mon goût, sont fins, sont délicats ;
Le mets le plus grossier a pour moi des appas.
Frère du dieu de la tendresse.
J’assure ses succès ; et le fripon parfois,

Sans respect pour mon droit d’aînesse,
Me force à fléchir sous ses lois,
Des autres je m’occupe avec un soin extrême,
Pour mon propre intérêt ; car c’est moi seul que
j’aime…
Mais j’ai parlé trop clairement ;
Et c’est ainsi que bien souvent.
En voulant me cacher, je me trahis moi-même.


654. Logogriphe.

De forme ronde et comparable à l’or,
Je n’ai de prix que loin de mes pénates.
Ma saveur plaît aux bouches délicates ;
Pour les nez fins j’ai des charmes encor.
Dans mes six pieds, de nature diverse,
Le premier tiers est ce métal trompeur
Qui donne tout, excepté le bonheur ;
Mais le restant, par sa richesse inverse,
Vient à coup sûr briller d’un autre éclat.
La douce paix, la candeur, l’innocence,
Fixent toujours son bienheureux état,
Et sa vertu fait sa magnificence.


655. Charade.

On Chante mon premier,

Ou sème mon dernier,
Le beau sexe, par ton, feint d’avoir mon entier.


656. Énigme.

Heureux celui qui sait bien m’employer !
Malheur à qui de moi fait un emploi frivole !
Bien cher, dans plus d’un cas, on voudrait me payer ;
Quand je m’enfuis, on se désole :
On me regrette alors qu’on m’a perdu.
Et ce regret est toujours superflu.
Tour à tour à mon gré j’ôte et donne la vie,
Sans être charlatan, je suis bon médecin :
J’offre un remède souverain
Contre plus d’une maladie.
Je sais calmer surtout les soucis, le chagrin ;
Mais parfois je suis sourd, et mon cœur est d’airain.
De suspendre mon vol en vain on me supplie.
On a beau me tuer, enfin je vis toujours.
Si par moi la beauté sans cesse est embellie,
On la voit aussi chaque jour
Par mes ravages enlaidie.
À mon vaste pouvoir chacun cède à son tour.
Je fais languir souvent le plaisir et l’amour.
Je parais long… quand on s’ennuie ;
Près d’un aimable objet ou me trouve trop court.


657. Logogriphe.

Sous trois noms différents, dont le sens est le même,
J’occupe dans la sphère un des points cardinaux :
Tous les matins, mon front d’un brillant diadème
Offre aux humains l’éclat, les rappelle aux travaux.
En me décomposant, de mes membres on tire
Une espèce de sel âpre et médicinal ;
Un minéral qui fait souvent notre martyre ;
Un végétal piquant ; un stupide animal ;
De la grandeur suprême on y trouve le faîte :
Le souverain qui porte une couronne en tête ;
L’organe qui sécrète une de nos humeurs ,
Et la privation de toutes les couleurs ;
Enfin, ce que devient un objet qu’on nettoie ;
Ote mon premier pied, les hommes dans la joie.
Font le restant, Lecteur, si tu me comprends bien,
Retranche le dernier, je suis réduit à rien.


658. Charade.

Tout me plaît en Iris, et surtout mon premier ;
On entend mon second la nuit comme le jour.
Et très-souvent, lecteur, on voit gémir l’amour,
Contraint de se soumettre aux lois de mon entier.


659. Énigme.

Tout sert à composer mon corps
Toujours de structure bizarre ;
Mon père fait tous ses efforts
Pour me donner un air barbare.
Avec des habits différents,
Tous les mois on me voit paraître.


660. Logogriphe.

Avec six pieds, je suis un mets fort restaurant ;
Avec cinq, des traités je deviens le garant ;
Avec quatre, mes flots roulent avec vitesse ;
Avec trois, en fuyant, j’emporte la jeunesse.


661. Charade.

Si quelque jour je prenais ma dernière,
Je la voudrais aimable, et surtout mon premier ;
Qu’à ses amants, beauté toujours sévère,
On n’eût jamais pour elle appelé mon entier.


662. Énigme.

Un mot latin donne mon nom,
Et le prêtre souvent le prononce à l’office.
Dans une double acception
Je vais m’envelopper sans ruse ni malice.
Objet de pur amusement,
Au village ignoré, l’on ne trouve qu’en ville
Des gens qui par désœuvrement
De moi se font un jeu… Mais, chut ! changeons de
style.
Je suis de diverses couleurs ;
Mais plus communément ou me voit noir, ou rose,
Et si mes dehors sont trompeurs,
À ma simplicité j’en rapporte la cause.
Quiconque me porte sur soi,
A nécessairement une étrange figure.
C’est la nuit qu’on se sert de moi :
J’ai donné lieu sans doute à plus d’une aventure ;
Mais quand on m’occupe le jour,
C’est dans un autre sens, et sous une autre forme.
Une prison fait mon séjour :
J’ai nombre de sujets qui portent l’uniforme.
Dans la mêlée ils sont égaux :
Voyez-les se heurtant, rouler sur la poussière ;
Après un instant de repos.

Défiler à l’appel en ligne irrégulière,
Quelques-uns, restant à l’écart.
Attendre sans bouger que le choc recommence.
Les personnes qui prennent part
À tous ces mouvements m’ont deviné d’avance.
Aussi je ne poursuivrai pas.
Mais las ! suis-je pour toi difficile à connaître ?
Je vais te tirer d’embarras :
Songes-y bien, lecteur, demain, ce soir peut-être.
Si tu m’aimes, tu me tiendras.


663. Logogriphe.

Avec six pieds, je suis un des mets les plus sains ;
Avec trois, je deviens ce que cache une fille ;
Avec cinq, un garant de ta foi des humains ;
Avec quatre, je cours à travers la Castille.


664. Charade.

Je n’en puis plus douter ; une beauté nouvelle
De ton cœur m’a fait le premier ;
Belle, à la fleur de mon dernier,
Devais-je craindre, hélas ! quand je te suis fidèle,
De te voir sitôt mon entier ?


665. Énigme.

Je suis une vertu qu’au beau sexe on refuse,
Et, franchement, ce n’est pas sans raison ;
Mais l’autre sexe qui l’accuse
N’est pas toujours docile à mes leçons.
Dupe de sa flamme amoureuse,
Samson les oublia, puis s’en mordit les doigts,
Turenne aussi me trahit une fois.
Par une feinte ingénieuse
Papirius observa mieux mes lois.
En politique, en intrigue, en affaire,
En amour, en police, en guerre,
Je suis un agent principal ;
Et sans cet agent tout est mal.
Inséparable du silence,
Je suis enfin, ensemble ou tour à tour,
La compagne de la prudence
Et la probité de l’amour.


666. Logogriphe.

J’ai six pieds, et deux sens divers ;
À te détruire, à t’embellir je sers.
Si, dans un sens, ma couleur est fort noire,

Dans l’autre j’ai la blancheur de l’ivoire.
D’un côté, l’on craint mon odeur.
De l’autre on en est amateur.
De tirer de mon tout, lecteur, il t’est facile
Un vêtement en hiver fort utile :
Un petit animal ; un cercle très-actif :
Du fer l’ordinaire adjectif :
Le nom qu’on donne à tout esprit céleste :
Un sentiment enfin qu’un bon soldat déteste.


607. Charade.

Ma tête est sur la terre,
Et mes pieds sont aux cieux :
Je le dis sans mystère.
Mon tout est précieux.


668. Énigme.

J’ai vu, j’en suis témoin croyable,
Un jeune enfant armé d’un fer vainqueur,
Le bandeau sur les yeux, tenter l’assaut d’un cœur
Aussi peu sensible qu’aimable :
Bientôt après, le front élevé dans les airs,
L’enfant, tout fier de sa victoire,
D’une voix triomphante en célébrait la gloire,

Et semblait pour témoin vouloir tout l’univers.
— Quel est donc cet enfant dont j’admire l’audace ?
Ce n’était pas l’amour ; cela vous embarrasse.


669. Logogriphe.

En six lettres, lecteur, mon vrai nom est compris,
Alors, mort ou vivant, je vaux toujours mon prix.
Des six, ôte-m’en une, ou deux, ou trois, ou quatre,
Transpose, et mets surtout les bonnes dans leurs
lieux,
Et soudain je deviens un Protée à tes yeux ;
Ou bien si de ces six tu ne veux rien abattre,
Transpose-les aussi, combine pour le mieux ;
Pour en juger toi-même, écoute et sois habile :
Tantôt je suis ma mère, et tantôt je suis ville ;
Sous un nom je parais devoir être cruel,
Sous un autre en chimie on me tient pour utile.
Soumis aux lois de l’Éternel.
Je me prête à la terre, immobile ou mobile ;
Je couronne les vœux d’un joueur téméraire ;
Mais aussi mon refus fait sa confusion.
En adverbe changé, je ne puis que déplaire
À celui qui se livre à son ambition.
J’ai placé entre les mets où l’on fait bonne chère ;
Enfin je suis pronom, de plus, conjonction.
Je me tais : développe à présent le mystère.


670. Charade.

Sur un tapis où l’or abonde,
Fixer tous les yeux à la fois,
Ou de la brune, ou de la blonde
Savoir orner les jolis doigts ;
De mon premier tel est l’usage.
L’amant qui vole au rendez-vous,
Le soldat, l’homme qui voyage,
De mon dernier, selon leurs goûts,
Voudraient abréger l’étendue.
Lorsqu’un chef, par quelque bévue,
Conduit sa troupe en mauvais pas.
Dans mon entier on pille, on tue,
Et le vainqueur chez les soldats
Sème la fuite et le trépas.


671. Énigme.

Recélant dans mon sein une ardente matière.
Je parcours un pays à Morphée engagé ;
Et qui me suit m’est obligé
De l’avoir bien voulu parcourir la première.


672. Logogriphe.

Je charme bien souvent les ennuis de la vie :
J’attire en un beau jour nombreuse compagnie.
Tout le monde à son gré jouit de mes douceurs.
Je fais plaisir le soir dans le temps des chaleurs.
Pour un agonisant je ne vaux pas le diable.
On me néglige fort pendant un certain temps,
Mais aussi, que je plais au retour du printemps !
Dans les lieux enchanteurs où la beauté s’empresse,
J’offre un cercle brillant de luxe et de mollesse ;
La nature et ses dons, je les étale aux yeux.
Qui me fréquente enfin voit la terre et les cieux.
Devinez maintenant tout ce qu’en moi l’on trouve :
Un discours de curé qu’aujourd’hui l’on réprouve ;
Un arbre très-commun ; un métal précieux ;
D’un ouvrage élevé le rond majestueux ;
Ce qu’un minois coquet recherche à la folie ;
Un fleuve renommé, trois villes d’Italie ;
Un mot latin, qu’on place au bas d’une maison ;
Un paisible animal, grand ami du chardon ;
Un tapis de verdure ; un instrument terrible ;
Ce qu’on trouve toujours dans un être sensible ;
Ce qu’il faut manier pour pousser les bateaux ;
Celle qui tint la boîte, amas de tous nos maux ;
Temps que met le soleil autour du zodiaque ;

L’opposé du midi, la lice où l’on attaque ;
Le présent que l’on fait ; un grand ouvrage en vers ;
Ce qu’on voit dans un camp, l’habitant des enfers ;
Ce qui fut fait par Dieu ; la nocturne visite
D’un adjudant ; le flot qui fortement s’agite ;
L’endroit où les vaisseaux sont à l’abri du vent ;
L’époque d’où l’on part pour bien nombrer les ans ;
Un sot imitateur de l’illustre Corneille ;
Un grand théâtre où l’art n’offre aux yeux que
merveilles.
Un outil de ménage et deux départements ;
Une étoffe ; l’oubli des discours offensants ;
Le terme désignant la personne ou la chose ;
L’ouvrage qui souvent de nos pleurs est la cause ;
Un énorme amas d’eaux ; leur flux et leur reflux ;
Ce qui répand au loin les crimes, les vertus ;
Une peine qu’on paye ; un amas d’eau dormante ;
Deux noms chers aux enfants ; un cercle ; une
bacchante ;
Un fer dans la serrure ; un oiseau merveilleux ;
Une ville de France ; un livre fabuleux ;
Un nom de tragédie ; un poëme lyrique ;
Instrument fait pour coudre, et note de musique ;
Ce qui sert à grimper l’escalier des maisons ;
Titre de femme ; fer que l’on met aux talons ;
Ce qui précède un nom, une abondante pluie ;
le premier qui planta la vigne si chérie ;

Une rivière enfin. Lecteur, cherche à présent :
Neuf lettres de mon nom forment le complément.


673. Charade.

Mon premier, par un sort bizarre,
Pour l’un ne saurait être heureux,
Qu’au même instant, chose peu rare,
Pour l’autre il ne soit malheureux.
Dans mon second, jadis en France,
Nos preux exerçaient leur vaillance,
Et s’égorgeaient par passe-temps :
Mon tout est la touchante ivresse,
Que votre voix enchanteresse
Porte sans cesse dans nos sens.


674. Énigme.

Vous connaissez l’outre où le Dieu des vents
Jadis, au gré d’Ulysse, enferma ses enfants,
Pour empêcher que leur haleine
Ne troublât ce héros fendant l’humide plaine.
Eh bien ! j’ai même emploi ; je porte dans mon sein
De ce peuple volage un invisible essaim,
Que je tiens prisonnier comme elle.
Faut-il à ces captifs donner la clef des champs ?
Voici tout mon secret, je me presse les flancs.

J’ouvre le bec et bats de l’aile ;
Alors ce n’est pas sur les flots
Que je les abandonne à leur humeur légère ;
Je combats avec eux un élément contraire.
Qu’il ne m’est pas permis de laisser en repos.
Attaché sur ses pas comme un gardien sévère.
Si je le trouve oisif, et surtout endormi,
Ma consigne veut d’ordinaire
Que je le traite en ennemi.
Dieu sait quelle horrible tempête
Je fais soudain éclater sur sa tête ;
Le dormeur en est étourdi.
Il s’éveille en grondant, il frémit de colère ;
C’est où je l’attendais, et je le laisse faire :
Il en va mieux quand il s’irrite ainsi.
Son travail recommence, et le mien est fini.


675. Logogriphe.

Dans un certain billet profitable au porteur,
Je suis fort éloquente et dois plaire au lecteur.
Si vous tranchez mon chef, Flore me rend la vie
Mon sort est d’expirer sur le sein de Sylvie ;
Mais, réduite à trois pieds, je suis un mot bien
doux
Qui se lit dans les yeux, en dépit des jaloux.


676. Charade.

Reviens, jeune Aglaé, reviens par ta présence
Changer de mon premier la maligne influence :
Plus d’un berger, voulant te captiver,
En vain de mon second employa la puissance ;
Mais de ces traits vainqueurs, que le dieu d’Amour
lance,
Mon tout auprès de toi ne pourrait nous sauver.


677. Énigme.

À tout venant beau jeu, sans être une coquette,
Jeune ou vieux m’est indifférent ;
Je leur réponds également.
Je rends fleurette pour fleurette
Au voyageur, surpris que j’amuse en passant ;
je fais tout ce qu’on veut : je chante, je raisonne ;
Je ne suis ni mort ni vivant :
Quant à l’esprit, ma foi, j’en ai si l’on m’en donne.


678. Logogriphe.

Lecteur, qu’est-ce qu’un mot où tu trouves deux U,
Un R, un P, deux O, puis un I, puis deux Q ?

Ce mot est-il français, syriaque, hébreu, grec ?
On ne t’offrit jamais logogriphe plus sec.
Prends la plume, calcule, et tu verras bientôt
Que de trois mots égaux est composé ce mot ;
Qu’il est fort en usage, et qu’on fait tous les jours
La chose qu’il exprime en procès, en amours ;
À la cuisine, au jeu. Tu la feras aussi,
Plus d’une fois peut-être, en devinant ceci.


679. Charade.

J’ai rêvé la nuit précédente,
Qu’auprès de vous, Thirza, couché sur mon
premier,
Vous cessiez d’être mon dernier.
Dieu ! que mon âme était contente !
Sur mon sein palpitant, je pressais mon amante……
Amour, Amour, confirme mon entier.


680. Énigme.

Il est peu de mortels dont je ne sois connu ;
On en voit tant sur qui j’exerce ma puissance !
Chez l’hôte qui me loge, une fois parvenu,
Je deviens importun : si, las de ma présence,
Il ne me chasse point, je m’érige en bourreau
Qui chaque jour invente un supplice nouveau.

Ce n’est pas tout, Lecteur, car je fais pis encore :
Celui qui me nourrit, eh bien ! je le dévore.
Pour me vaincre, il ne faut savoir que me charmer ;
Mais le choix des moyens est assez difficile :
Rien pour moi n’a d’attraits, je ne puis rien aimer.
L’on me trouve au village aussi bien qu’à la ville ;
Dans le palais des rois je pénètre aisément ;
Je me glisse partout, sous les simples cabanes,
Dans les temples sacrés et dans les liens profanes.
L’épouse avec l’époux m’évite rarement.
Enfin, lorsqu’un amant s’éloigne de sa belle,
C’est moi qui le remplace : alors je m’introduis
Jusque dans son boudoir ; là je m’empare d’elle,
Et…… Mais l’amant revient ; adieu, vite je fuis.


681. Logogriphe.

Mon essence, lecteur, n’est point due au hasard :
Je suis enfant chéri du génie et de l’art.
Si je remonte encore à plus haute distance.
Mes aïeux sont créés de la toute-puissance ;
Dieu les plaça lui-même à des postes divers :
Les uns, sans nul effort, font mouvoir l’univers ;
D’autres, doux et liants, ô sublime structure !
Font agir de concert la vivante nature.
Archimède, étonné de ses propres succès.
Calcula mon pouvoir et ses heureux effets ;

Enfin la mécanique, à ma force asservie,
Reçoit de mes moyens un principe de vie.
Il s’en faut déjà peu que vous ne deviniez
Ma nature, mon nom, le nombre de mes pieds.
Votre sagacité m’ordonne le silence.
Et je la blesserais avec moins de prudence.
Transposez à loisir mes membres tortueux :
Vous verrez ce que prend l’aigle majestueux,
Quand, s’élançant des monts, il veut dans l’éthérée,
Admirer la grandeur de la voûte azurée ;
L’idole qu’Harpagon si souvent visitait ;
Le métal pour lequel toujours il soupirait ;
Un être singulier, tout incompréhensible.
Qui distribue aux uns ses plus douces faveurs,
Tandis qu’au même instant, par son bras invisible,
D’autres sont accablés de toutes ses rigueurs ;
Vous y verrez enfin cet homme ridicule,
Pour qui toute science est absolument nulle,
Qui bavarde sans cesse et se mêle de tout ;
Qui n’a ni faculté, ni jugement, ni goût ;
Qui prend ses lourds propos pour d’heureuses
sentences,
Et termine toujours par des impertinences.


682. Charade.

À mon premier chacun aime à se gouverner ;

Voulez-vous mon second ? tâchez de le gagner ;
Vous entendrez mon tout à chaque instant sonner.


683. Énigme.

Comptez, lecteur, calculez par vos doigts,
Vous me rencontrerez au nombre dix-neuvième ;
Mais, direz-vous, est-ce en un mois,
Ou bien en l’an qu’on trouve ce quantième ?
Marchez, lecteur ; eh quoi ! vous restez en chemin ?
Ce qui suit suffira pour me faire connaître :
Voulez-vous que deux vers qui commencent mon
être
Vous disent qui je suis ? Ce n’est pas mon dessein.
J’étonnerai
Quand je dirai
Que, seule de mon ordre,
Je préside au tapage, et jamais au désordre,
Et que, sans être au vol on me trouve au butin ;
Mais ce qui surprendra sans doute d’avantage,
C’est que de tout étant le principe et la fin.
J’ai, malgré cet honneur, le malheureux destin
De rentrer au néant par le plus bas étage.


684. Logogriphe.

Adroit et leste avec ma tête.

Je divertis les spectateurs,
Insipide ou froid sans ma tête,
Je glace ou j’endors les lecteurs ;
Sur les tréteaux, avec ma tête.
Je me fais souvent applaudir,
Chez le libraire, sans ma tête.
On me voit plus souvent moisir :
Enfin gaîment, avec ma tête,
Si je sais parfois m’enrichir,
C’est à l’hôpital, sans ma tête
Que je cours le risque de mourir.


685. Charade.

De mon premier, charmant chez ma bergère.
Quand mon second veut d’une aile légère
Écarter tresse blonde ou semblables atours,
Enchanté, je m’écrie : Ô mère des amours !
Protège-la : ce serait bien dommage
Qu’à tant d’appas mon tout servit de cage.


686. Énigme.

Presque aussitôt que je suis née,
Je cours le monde, et me vois destinée
À passer ma jeunesse entre les mains d’autrui.

Pour m’y faire valoir, j’ai votre savoir-faire,
Coquettes, qu’on voit aujourd’hui
Si savantes en l’art d’amuser et de plaire.
Je cours à l’artifice, et m’en pare si bien
Que, sous ce faux dehors, et piquante, et jolie,
Je suis de mille gens, comme vous, accueillie ;
Mais pour moi tous ces gens ne sentiraient plus rien,
Le croirez-vous, si, toute nue,
Je m’offrais seulement un instant à leur vue.


687. Logogriphe.

Tout homme peut errer ; mais on est excusable,
Surtout si, lorsqu’on fut coupable,
On eut bien soin de m’éviter.
De huit membres qu’on peut compter,
Mon existence se compose ;
Qu’on me coupe le cou, soudain,
En chaussure de chambre on me métamorphose.
On peut encor voir en mon sein,
Une eau qu’au milieu de la terre
La nature sut amasser ;
Un bon légume ; une rivière
Que les hommes ont su creuser ;
Et ce plaisir enfin, exercice agréable,
Où chacun en cadence, et par bonds et par sauts,

Goûte, au sein d’une joie aimable,
Un bien présent, et l’oubli de ses maux.


688. Charade.

Estelle, étourdie et légère
(Mon dernier l’excusait) avait atteint quinze ans
Et déjà ses yeux pétillants
Annonçaient le désir de plaire.
Un jour que se mirant dans une eau fraîche et claire
Elle sourit à ses attraits naissants.
Colin folâtre et vif, des plus entreprenants,
Survint doucement par derrière ;
Il l’agaça d’abord et voulut l’embrasser.
La pauvrette eut beau résister,
De mon premier il se rendit coupable,
Mais n’en eut pas moins un baiser ;
Même il osa recommencer,
Et comme il était très-aimable,
Il fallut bien lui pardonner.
Fort du pardon de l’innocente,
Le traître sut surprendre un cœur trop confiant ;
D’aimer jusqu’à la mort Colin fit le serment :
Mais bientôt la jeune imprudente
Apprit trop tard, pour son malheur,
Où commence, où finit l’amour d’un séducteur.
Dès que pour obtenir un doux baiser d’Estelle,

Il n’avait plus besoin de mon premier.
L’ingrat, courant de belle en belle.
Fit voir qu’il était mon entier.


689. Énigme.

De certain endroit de la terre
La méfiance m’a banni ;
Mais dans l’empire de Cythère
Je joue un rôle si joli,
Que mon secours est nécessaire
Pour enchaîner femme et mari.
Si par une ardeur éphémère
Je suis trop brusquement ravi.
Mon empressement téméraire
De regrets est bientôt suivi.
Mon résultat est nécessaire
Quand je suis sage et réfléchi ;
Du bonheur j’ouvre la carrière
Pour un couple bien assorti.
Sur les lèvres d’une bergère
J’expire avant d’être sorti.
Quelquefois la beauté sévère
Me refuse au berger chéri ;
Mais je n’en suis que plus sincère.
Et tout mon charme est mieux senti,

Si, quand la bouche, me diffère,
Des yeux je suis déjà parti.
J’annonce à l’amant qui sait plaire
Que sa belle aime comme lui.
Et qu’il aura le doux salaire
Que doit attendre un bon ami.
Dans ses écrits qu’Amour révère,
Gentil-Bernard m’a travesti
Sous l’emblème d’un mot contraire.
Mais plus décent et moins hardi.
Par cette enveloppe légère,
Mon synonyme rajeuni,
Sut prêter l’ombre du mystère
Et le faux air d’un démenti
Au tendre aveu qu’on ne profère
Qu’en le déguisant à demi.
Grâce à la gaze de mon frère,
De lui pudeur a moins rougi,
Et le galant vocabulaire
D’un terme neuf s’est enrichi.


690. Logogriphe.

Lorsque la nuit, le front orné d’étoiles,
Vient, sur son char parsemé de saphirs,
Envelopper l’univers de ses voiles,

Du malheureux je suspends les soupirs,
Il m’appelle, et je le console.
Tu peux rencontrer dans mon sein
La nymphe que Junon fit garder à dessein ;
Ce qu’il faut deux cents fois pour faire une pistole ;
La fille de Thémis ; ce qu’elle a pour symbole ;
Le nom de ces oiseaux qui furent autrefois
Propices aux Romains, funestes aux Gaulois ;
Un instrument à dents ; un terme numérique ;
Le sédiment qu’on trouve au fond d’une barrique ;
Un produit de l’abeille, et trois notes de chant.
Mais il est temps que je termine ;
Sans que le lecteur me devine,
Il me rencontrerait peut-être en me cherchant.


691. Charade.

Sur la terre humblement se traîne mon premier :
Un pronom forme mon dernier ;
Dans l’honnête homme on trouve mon entier.


692. Énigme.

Ma femme chaque jour s’applique
À me faire perdre le mien ;
Mon libraire a dans sa boutique

De quoi nourrir longtemps le sien ;
Celui des Chaulieu, des Voltaire
Aujourd’hui n’est pas très-commun ;
Ciel ! j’entends dire à ma grand’mère
Qu’elle en a vu revenir un.


693. Logogriphe.

Que suis-je ? où suis-je ? — En vérité.
Je serais bien embarrassé.
Messieurs, s’il fallait vous le dire.
Quand l’homme éprouve des malheurs,
Il en accuse mes rigueurs,
Et ne cesse de me maudire ;
Je suis, dit-il, capricieux ……
Il n’en est plus ainsi lorsqu’il devient heureux !
Alors ce n’est pas moi qu’il vante :
Son bonheur, il le doit au mérite, au talent ;
Et cependant le plus souvent
C’est encore à moi seul qu’il doit ce qui l’enchante,
De mes quatre cléments si vous en coupez deux.
Les deux restants, souvent, rendront moins
malheureux
Ceux à qui mon tout est contraire :
Mais changez un seul caractère,
Vous finirez par avoir tort
Si vous ne trouvez pas, messieurs, que je suis mort.


694. Charade.

Mon premier, a-t-on dit, vaut mieux qu’une
couronne ;
Le sentiment de forme, et la raison le donne.
Un homme bienfaisant fait souvent mon dernier.
Chez une blanchisseuse on trouve mon entier.


695. Énigme.

Un jour un bel esprit, que la sage nature
Avait comblé de ses présents,
Des énigmes que lit l’amateur du Mercure,
S’applaudissait de pénétrer le sens :
Nulle pour lui, dit-il, ne fut jamais obscure……
En ce cas, lui répond, d’un ton modeste et doux.
Une jeune personne : ah ! sans être perplexe,
Vous me direz : Qu’est-ce que tous.
Hommes, femmes, enfants de l’un et l’autre sexe,
Au même instant, font ensemble ici-bas,
Sur la terre, sur l’onde et dans tous les climats ?
Le savant de rêver mais, recherche inutile,
Il est encor dans le même embarras……
Sans doute, ami lecteur, tu seras plus habile.


696. Logogriphe.

 
Quoique muet, je parle, et qui me voit m’entend ;
Je trompe quelquefois, mais je trompe gaîment.
Aux amants je sers d’interprète ;
Je suis une monnaie assez en cours chez eux ;
La prude en est avare, au lieu que la coquette
En fait des charités à plus d’un malheureux ;
Ce fut peut-être à moi que Vénus dut la pomme ;
Mais, lecteur, en détail si tu veux me saisir,
Ma première partie est une faible somme
Et ma seconde un grand plaisir.


697. Charade.

Vous tondez mon premier,
Vous rasez mon dernier,
Vous lisez mon entier.


698. Énigme.

Je dois, ami lecteur, te sembler bien à plaindre :
On déchire mon sein, on me perce en tous sens,
Et cependant, s’il faut ne te rien feindre,
Loin de souffrir de ces affreux tourments,

Je n’en deviens que plus belle et meilleure.
Devant un énorme foyer
L’on me fait tourner à toute heure.
On croirait que je dois griller.
Point du tout, la cuisine où je me vois placée,
Est si vaste dans son contour,
Que d’un côté je suis froide et glacée,
Et que l’autre brûlant, devient froid à son tour.
Pour m’apprêter, il faut peu de dépense :
De l’eau dont en tournant on m’arrose à propos
Je rends une partie, et donne en récompense
De la graisse, du sang, de la chair et des os.
On a recours à moi pour faire bonne chère ;
De truffes, en hiver, mon ventre se remplit :
Mais malheur à qui me pourrit,
Je possède un tel appétit,
Que rien ne peut le satisfaire.
Je l’avoûrai, lecteur, en rougissant.
Toute chair me convient, même la chair humaine.
Je dois te dire cependant
Que parfois j’accepte sans peine
De simples végétaux, mais je les rends bientôt :
La chair, sans doute, est mieux ce qu’il me faut,
Je ne la rends jamais. Jusqu’ici tu m’as vue
Tenir à ton secours, fournir a tes repas ;
Mais, ô transition terrible, inattendue !
Prends garde, ami lecteur, où portes-tu tes pas ?

Ne vois-tu pas mes narines brûlantes
Lancer des flammes dévorantes ?
Éloigne-toi dans ces affreux moments ;
Vois-moi plutôt, dans ma coquetterie,
Me parer des fleurs du printemps.
Quoique vieille, toujours jolie.


699. Logogriphe.

Avec ma tête, avec mon cœur,
Rentrer aux champs je fais tapage ;
Du soldat j’excite l’ardeur
Au milieu du carnage,
Sans tête, sans cœur, les mortels
Redoutent ma puissance,
Partout je trouve des autels,
Et surtout dans la France.


700. Charade.

Dans mon premier, Phœbus voit la nymphe qu’il
aime ;
L’odeur de mon second plaît à la volupté.
Dans mon entier voyez l’heureux emblème
De la gloire et de la beauté.


701. Énigme.

J’ai grand ou petit œil,
Et je pleure sans deuil ;
J’enfle sans nul orgueil,
Je rends ce qu’on me donne, et ne suis pas ingrate,
Il est vrai qu’il faut me presser.
Lorsque près d’une belle on me voit m’avancer.
Je fais bien du chemin, et n’ai ni pieds ni patte.
Maris jaloux,
Tyrans des dames,
J’ai presque autant de droits que vous :
Vous me souffrez cependant sans courroux
À la toilette de vos femmes.


702. Logogriphe.

Je sers au parfumeur comme au pharmacopole ;
Chez l’épicier je joue aussi semblable rôle,
Qui passe par chez moi certes est bien petit,
Et bien fin : néanmoins, sans faire un certain bruit,
On n’y peut parvenir. Pour me faire connaître,
Disons qu’en cinq on désunit mon être.
Mais pour mes chers lecteurs si ce n’est point assez.
On doit trouver en moi, supprimant mes côtés,

Un de ceux qui, s’ils n’ont que l’intérêt pour guide,
Sous un air de candeur cachent un cœur perfide.
Unis et renversés, mes côtés sont vraiment
Un terme indéclinable et silence imposant.
Dans mon tout combiné, sans être sur le Pinde,
On découvre aisément un royaume de l’Inde,
Avec une cité portant le même nom ;
Deux tons de la musique, une conjonction ;
Un terme au jeu d’échecs, ainsi que de marine ;
Un mois des plus riants. Adieu, lecteur, devine.


703. Charade.

Mon premier n’a point de serrure,
Et cependant il a sa clé.
Mon second est trompeur, c’est une chose sure.
Si vous manquez de nourriture.
Par mon entier bientôt vous serez désolé.


704. Énigme.

Nous sommes deux qu’on met ensemble ;
Ce n’est pas un bonheur, ce semble ;
Car en tout temps notre union
N’opère que division,


705. Énigme.

On ne me voit jamais sans feuille,
Quelquefois je donne des fleurs
Attrayantes par leurs couleurs ;
Mais il est peu commun que la main qui les cueille,
Y passât-elle et les jours et les nuits,
Ait le bonheur d’y rencontrer des fruits.
Si le hasard vous en présente.
Prenez garde d’être séduits ;
Leur forme d’abord vous enchante,
Leur suc vous plaît par sa saveur,
Mais ce n’est qu’un appât trompeur ;
Car leur écorce qui vous tente,
Souvent renferme une liqueur.
Douce à la bouche, amère au cœur.
Ne jugez pas de mon mérite
Par mon volume et ma grandeur.
Que ma feuille soit grande, ou moyenne, ou petite,
Cela fait peu pour ma valeur ;
Car j’en porte de trois espèces.
Les petites, parfois, sont bien les plus traîtresses,
Les grandes ne font qu’endormir.
Quant à mes fruits, pour un qui fera vivre,
Il en est cent qui font mourir.

À leur goût dangereux l’insensé qui se livre.
S’abreuve d’un subtil poison
Dont l’effet doit, au moins, altérer sa raison.
Lorsque je suis à grande feuille,
Il est bien rare qu’on m’accueille,
Le vulgaire de moi fait alors peu de cas.
Mais quand mes feuilles sont petites ou moyennes,
Souvent de vers elles sont pleines,
Et c’est même par là qu’elles ont plus d’appas.
Parmi ces vers, les uns se jouant avec grâce.
Vrais papillons, sont vifs et sémillants ;
Les autres lourds, pesamment se trainant,
Du triste ennui semblent suivre la trace ;
La feuille sur laquelle on trouve ces derniers,
Est un puissant soporifique
Qui par degrés amène un sommeil léthargique ;
À forte dose, elle a de grands dangers.
Puisque j’ai dit de moi tout le mal que j’en pense,
Pour l’acquit de ma conscience,
Je dois pourtant en dire un peu de bien :
Les grands talents, la vertu, la vaillance
Par moi trouvent leur récompense ;
Et du héros que flatte le une telle espérance,
Dans les périls, je deviens le soutien.
Mes feuilles forment la couronne
Qu’un lâche, un intrigant réclameraient en vain,
Et qui, lorsqu’une habile main,

Pour nous illustrer, nous la donne,
Est plus durable que l’airain.
Mais terminons ; car si l’on voulait suivre
Tout le bien et le mal qu’on peut dire de moi,
Tu dormirais, lecteur, je suis de bonne foi,
Car il faudrait faire un grand livre.


706. Logogriphe.

Sur six pieds, cher lecteur, j’arrose tes prairies ;
Sur quatre, en tes jardins tu me mets volontiers ;
Avec trois, en hiver, j’échauffe tes foyers ;
Tout humain avec trois me doit encor la vie.


707. Charade.

Il ignorait, Adam, notre bon père.
L’utilité de mon premier ;
Ève, sa femme et notre mère,
Sans le secours de mon premier,
Mangea tout cru le fruit de ce fatal pommier.
Venons, lecteur, à mon dernier,
Adam le méconnut encore ;
Il est enfant de Terpsichore ;
Mon tout, insecte travailleur,
Est, comme Adam, l’œuvre du Créateur.


708. Énigme.

Tout au rebours de la chauve-souris,
Je porte plume et suis dépourvue d’aile.
Si sur la nuit ses voyages sont pris,
À cet égard, je diffère encor d’elle :
Communément je ne vois que le jour,
Quand je descends au terrestre séjour.
Tel de mon vol observe la justesse,
Qui, si j’arrive au gré de mon désir,
Jaloux de montrer son adresse,
Me reçoit et me chasse avec même plaisir.


709. Logogriphe.

Quoique de grande utilité,
Soit qu’on me fasse faible ou forte,
En hiver ainsi qu’en été,
On me met souvent à la porte.
Je marche sur cinq pieds ; en les décomposant,
Tu trouveras, lecteur, un mal épouvantable ;
Ce qu’un ambitieux aime mieux que l’argent ;
Ce que craint une femme aimable ;
Une ville du Languedoc,
Ce que crie un nocher pour éviter le roc ;

Ce qui met les vaisseaux à l’abri de l’orage ;
Des Romains un célèbre ouvrage
Qui subsiste encore en entier
Ce dont quelqu’un bien né se pique ;
Plus une note de musique ;
Adieu, c’est trop griffonner de papier.


710. Charade.

Bien des gens semblent nés pour porter mon
premier ;
C’est toujours mon second qui porte mon entier.


711. Énigme.

D’un père lumineux je suis la fille obscure
Je méprise la terre et je m’élève aux cieux.
Où j’apaise souvent la colère des dieux.
Si mon père est aimé, personne ne m’endure.
Car je coûte des pleurs aux gens les plus joyeux.


712. Logogriphe.

Avec cinq pieds, je présente un mélange
De vices, de vertus, de raisons, de travers.
Si vous m’ôtez le cœur, mes caprices divers

Gouvernent à leur gré cet assemblage étrange.
Retranchez-vous ma tête, en ce nouvel état.
Je célèbre la paix, j’anime le combat.
Insérez un seul pied, et je présente au sage
De nos rapides jours une sensible image.


713. Charade.

Mon premier d’un pronom a quelquefois l’usage ;
Mon second fut un droit qu’aimait peu le village :
Mon tout croît loin d’ici, c’est un don précieux
Qu’on prodigue aux humains, mais qui n’est dû
qu’aux dieux.


714. Énigme.

Même forme et même grandeur
Me rendent semblable à ma sœur ;
Dans des corps assez grands nous n’avons point
d’entraille
Nous servons le puissant ainsi que la canaille.
Quoique avec assez d’embonpoint,
On nous nourrit de peu car nous ne mangeons point ;
Toujours de chair et d’os notre panse est remplie.
Et c’est pour bien courir qu’on nous donne la vie ;
Mais, malgré notre activité,
Le mouvement n’est pas notre partage ;

Nous avons pour tout apanage,
Force, noirceur et dureté.
C’est trop développer notre être.
Prends garde, cher, lecteur que pour mieux nous
connaître,
Tu n’approches trop près ; il sort de notre flanc
Un aiguillon pointu qui pique jusqu’au sang.


715. Énigme.

Nous sommes deux sœurs de même âge,
Qui n’avons rien de différent ;
Et dans notre ordinaire usage,
On nous place toujours en lieu fort apparent
Quoique de bien des gens nous secondions l’adresse.
En commerce amoureux notre usage est suspect ;
Et malgré d’un amant le plus profond respect,
Nous lui nuisons auprès de sa maîtresse ;
On nous en chasse lestement
Comme étant alors inutiles.
On nous conserve assez soigneusement ;
Aussi sommes-nous bien fragiles.
Jugez si notre sort est doux ;
Tels ont des rois l’entière confidence
Qui dans le cabinet ne lisent qu’avec nous
Les secrets de plus d’importance.


716. Charade.

Mon premier invite au repos.
Et mon second peut inviter à boire :
Mon tout, sur les pas d’un héros,
Conduit souvent les Français à la gloire.


717. Logogriphe.

Mon tout est quelquefois un tout ;
Souvent aussi ce n’est qu’un bout.
Dès qu’on me prive de ma tête,
Je deviens par malheur une mauvaise bête ;
Mais cette bête exhale une agréable odeur
Si vous en arrachez le cœur.
Alors sans tête elle dit au poëte,
Ce mot qui fait affronter le danger
Quand la victoire le répète.
Puis coupez-lui la queue, après joyeuse fête.
Et l’on n’y trouvera plus qu’un os à ronger.


718. Logogriphe.

Ma première enivre le monde ;
Pour la traiter avec mépris,
Il faudrait être la seconde,

Et mon ensemble a quelque prix.
De ma première on fait un cas extrême,
Vous l’avez souvent à la main.
Ma seconde est en vous, ma seconde est vous-même,
Et mon tout partagé formerait votre sein.
Si l’on s’en tient au lot de ma dernière,
Il faut s’attendre à faire des jaloux ;
Mais au défaut de la première,
L’esprit languit dans la poussière,
Et la beauté se fane sans époux.
Utile en paix, utile en guerre,
Désir et poison des humains,
Un insensé me tira de la terre ;
Je corrompis son cœur, et je souillai ses mains ;
Voilà la syllabe première.
Ma seconde habite les cieux,
Voltige autour de vous, se montre dans vos yeux,
C’est un pur esprit de lumière,
Lorsque le Tout-Puissant, bien ou mal à propos,
Sortant un jour de son repos,
Visita la nuit éternelle,
Il était porté sur mon aile ;
Et tandis que sa main posait les fondements,
De la machine immense,
Mes chants unis à dix mille instruments,
De la nuit incréée écartaient le silence.

Vous ne me nommez pas, et l’énigme vous fuit ?
Eh bien ! lisez donc ce qui suit :
Jeune homme, arrête, et souffre qu’un moment
Je demeure où j’ai pris naissance
Mais il ne m’entend pas ; l’homme est capricieux !
Tous les jours son impatience
Pour une courte jouissance
Détruit de l’avenir l’espoir délicieux.
Bientôt, hélas ! sa main légère
Me sépare d’avec mon père,
Et va m’attacher au lacet
Qui serre le joli corset
De la jeune et tendre bergère ;
Là, si mon règne fut charmant,
Il fut bien court : presque avant que de naître
Je mourus, où le jeune amant
Se mourait, lui, de ne pas être.
Ainsi l’homme, jouet de sa folle pensée,
Court après le plaisir, n’atteint que la douleur
Sous son vêtement déguisée,
Et dans son ardeur insensée
Perd le fruit pour cueillir la fleur :
Devinez-vous enfin ? Non, la chose est étrange,
Et vous avez de l’esprit comme un ange,
Et votre bourse est pleine d’or !
M’entendez-vous ? — Non, pas encor ;
Mais j’ai tout dit. — Il est vrai, c’est……


719. Énigme.

Vous m’admirez sur le front de l’enfance,
Dans son regard, dans ses plus simples jeux ;
Et sur ses traits j’imprime l’espérance
D’un avenir qui promet d’être heureux.
Mais le temps marche, et la pure auréole
Dont j’entourais ce front si radieux,
Dans les ardeurs d’une jeunesse folle,
A disparu ; lors, je remonte aux deux,
Et nuls regrets, nuls pleurs, nulle prière
Ne me sauraient retenir un seul jour ;
À qui me perd je deviens étrangère,
Et quand j’ai fui, j’ai fui sans nul retour
Heureux qui, plus calme et plus sage,
A su par de constants efforts
Me garder jusqu’au dernier âge,
Comme le plus sûr des trésors ;
La tombe n’a rien qui l’étonne,
descend l’œil radieux,
Puis pour recevoir sa couronne,
Avec ardeur il monte aux cieux.


720. Charade.

Un avocat dans mon entier

Fait souvent mon premier
Et mon dernier.


721. Logogriphe.

Sur cinq pieds, cher lecteur, on me craint, on m’évite ;
L’homme bien rarement échappe à ma poursuite.
Si tu tranches mon chef, le prévoyant rocher,
Redoutant mon aspect, se prépare au danger.
Enfin à ton esprit épargnant la torture,
Réduis encor d’un pied ma très-mince structure,
Un bonheur éternel s’ouvre alors devant toi,
Si tu sauves, mourant, ce qui reste de moi.


722. Charade.

Pour s’étaler dans mon premier,
Il ne faut qu’un peu de richesse :
Mais pour bien placer mon dernier.
Il faut tact et délicatesse :
Mon tout fait honte au jardinier
Dont il atteste la paresse.


723. Énigme.

On peut en plaisantant m’appeler une ville.
Jouons donc sur ce mot, puisque plus de cent mille.
Hommes, femmes, garçons, filles, vieillards, enfants.
Pendant le cours d’un an, se font mes habitants.
Chez moi bravoure, ni noblesse,
Vertus, ni talents, ni richesse.
Ne donnent point la primauté,
Le plus ancien bourgeois la prend d’autorité.
Hors de mes murs, et par prudence,
Mon gouverneur tient sa séance ;
Et soumis à tous mes bourgeois,
Aux bêtes seulement il peut donner des lois,
Bêtes qu’on met dehors pour être plus utiles,
Hommes en mouvement, et pourtant immobiles
Changeant de lieu sans en changer,
Ne demandant qu’à déloger ;
Et sortant la nuit par cohortes,
Ils vont dormir hors de mes portes,
Et viennent le jour plusieurs fois
Se mettre à couvert sous mes toits.
Mais, me dira bientôt un devineur habile :
L’énigme à deviner me parait trop facile !
Voici le mot, je l’ai trouvé ;
Cette ville, c’est un café.

Peut-être dans Paris il en est bien plus d’une ;
On y prend en public une liqueur commune ;
Les habitants y sont oisifs,
Grands disputeurs, et décisifs ;
Mais hors de la dispute, ils sont humains, affables :
Et s’ils débitaient moins de fables,
Ils seraient bons historiens.
C’est un café sans doute ; à ce mot je reviens :
Et de peur qu’on ne le devine,
Je le dis franchement. La franchise est bien fine :
Car qui peut me croire assez sot
Pour dire en même temps, et l’énigme et le mot !


724. Charade.

Mon premier se fait en chantant ;
Mon dernier, sauvage et stérile,
Offre un tableau peu séduisant ;
Mon entier, astronome habile,
Est bien connu du vrai savant.


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