Un mâle (1881)
Kistemaeckers (p. 227-238).
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XXX



Le dimanche suivant, Warnant et Mathieu quittèrent de bonne heure la ferme. Grigol, le valet d’écurie, les accompagnait. Ils avaient leur plan.

Ils marchèrent de compagnie pendant près d’une heure, le long de la grande route où Cachaprès avait rossé le fils aux Hayot. Ils allaient d’un pas tranquille, sans se presser, sûrs d’arriver à temps. Mathieu, muet comme à l’ordinaire, l’autre sifflant entre ses dents, Grigol ayant quelquefois à ras des joues un petit rire sans bruit, comme à l’approche d’une bonne partie.

Des toits de maisons se montrèrent au tournant de la route.

— File droit ton chemin à présent, dit l’aîné des garçons au valet, et fais comme c’est dit. On se retrouvera à l’église, sur le coup de la messe.

— Suffit, répondit Grigol en clignant de l’œil, on a été soldat.

Il allongea les jambes et en quelques allègres arpentées prit sur eux de l’avance.

Ils le regardaient décroître dans la profondeur de la route.

Bientôt il arriva aux maisons, longea une haie, s’enfonça sous l’auvent d’une large porte.

Ils continuaient à marcher de leur même pas régulier.

Un sentier s’encaissait entre des talus, un peu avant les maisons. Ils prirent le sentier et débouchèrent sur un chemin charretier. Des habitations basses à toits de chaume s’espaçaient sur les bords du pavé, et plus loin se rapprochaient, finissaient par former une rue au bout de laquelle s’arrondissait un espace découvert qui était la place commune. Au fond, l’église dressait son clocher en poivrière, au milieu d’un cercle de maisons.

La cloche tintait. Ils montèrent les trois marches qui conduisaient au parvis.

Grigol, lui, rôdait pendant ce temps dans la cour du fermier Hayot, cherchant à qui parler.

Il alla à l’écurie, à l’étable, au cellier sans trouver personne, et il cognait aux portes, toussait, appelait, frappait fortement la terre de ses souliers.

— Hé ! y a donc pas un chrétien dans cette barraque ? cria-t-il à la fin, impatienté.

Le torse nu d’un homme se montra à la lucarne du grenier et une voix grommelante demanda « de quoi c’était ».

— Descends une miette, Crollé, j’te bouterai ça, répondit Grigol.

— C’est que j’m’habille, fieu ! dit l’autre, qui passait les emmanchures de sa chemise.

— Hardi ! Dépêche !

Au bout de quelques instants, l’échelle qui menait au grenier craqua, et le Crollé descendit dans la cour, en fixant ses bretelles, ses gros cheveux crépus emmêlés de paille.

— Y a du neuf, dit Grigol.

— Quoi ?

— Y a que p’t-être ben t’à l’heure, si le cœur t’en dit, on se fichera quelques tapées. Affaire de rire un peu. J’t’en veux point, tu n’m’en veux point. Mais faut bien s’amuser.

Grigol prit un temps de repos et continua mystérieusement :

— Motus ! Les garçons d’chez nous, y vont comme qui dirait nettoyer leur affaire avec les garçons d’chez vous. Y faut que j’leur dise un mot pour leur dire. Boute après.

Le Crollé roulait des yeux étonnés ; c’était un gaillard lent et paisible, à encolure de bœuf. Sur les instances de Grigol, il finit par appeler les fermiers.

— Hé ! nos maîtres !

Des bottes cognèrent les dalles du vestibule. Hubert Hayot apparut.

Grigol s’avança, fit jouer sa casquette sur sa tête, et dit :

— C’est les fils à Hulotte qui m’envoient. Y seront deux. Warnant et Mathieu. Y demandent que vous veniez deux, pareillement. Y seront à la messe de dix heures. Après la messe y seront à l’estaminet, en face de l’église, jusqu’à midi. Si vous n’étiez point venus, y s’ront à vous attendre chez Labusette, au Pot d’or, jusqu’à deux heures. Après quoi, si vous n’étiez point venus, y s’ront à la sortie des vêpres. Après quoi, si vous n’étiez point venus, y s’ront à la sortie sur la grand’route à jouer au bouchon jusqu’à six heures. Après quoi y-z-iront vous chercher partout dans l’village, pour vous arracher les oreilles. Et si vous amenez le Crollé, moi j’m’amène. On sera six.

Il se balançait, scandant les mots de hochements de tête, et quand il eut dit, s’arrêta, attendant la réponse. Hubert haussa les épaules, pâle, les lèvres pincées, et tout à coup eut un éclair.

— C’est bon. On se trouvera.

Grigol rejoignit les deux frères à l’église. Il les vit debout, appuyés contre un pilier, près du porche, et tous trois causèrent un instant.

Puis, comme des gens se retournaient, ils demeurèrent cois, les mains jointes, dirigeant seulement la tête du côté de la porte, chaque fois qu’une poussée annonçait un nouvel arrivant.

Des odeurs de tabac entraient par bouffées, se mêlaient aux senteurs de l’encens, lorsque l’enfant de chœur agitait la cassolette ; et constamment la voix du prêtre était couverte par un brouhaha confus de voix, de pieds glissant sur les dalles, de chaises remuées, de chapelets égrenés par des mains calleuses.

Les sonnettes carillonnèrent ; un silence s’établit ; l’officiant imposa les mains, avec le geste de la bénédiction. Puis toutes les chaises grincèrent à la fois, le piétinement recommença pour ne plus cesser, et se bousculant, les coudes et les épaules emboîtés, d’un large flot qui à la porte s’éparpillait, la foule lentement s’écoula.

Les fils Hulotte demeurèrent les derniers sur le parvis plongeant les yeux dans cette masse humaine, en quête des Hayot. Des dos ronds sous des sarreaux lustrés disparaissaient par la porte des cabarets ou bien longeaient les maisons, se perdaient dans l’éloignement. Les Hayot ne se montraient pas.

Ils allèrent au cabaret. Les tables se remplirent autour d’eux ; des parties de piquet s’entamèrent ; les poings abattaient les cartes, bruyamment ; des voix clamaient ; on riait, on criait, on jurait, animés par les lampées, et sérieux tous deux, fumant gravement leurs cigares, ils demeuraient indifférents à ce tapage.

Deux heures se passèrent. Les Hayot continuaient à ne point paraître. Il était midi. Ils gagnèrent la rue, prirent un sentier qui aboutissait à la grand’route, non loin de la ferme des Hayot, La porte étant large ouverte, ils affectèrent de se planter sous l’auvent, tournés vers la cour et haussant les épaules en signe de dédain. Et cela encore étant demeuré sans résultat, ils redescendirent au village. Une large omelette au lard fut commandée chez Labusette, au Pot d’or ; et attablés, tête-à-tête, ils nourrirent fortement leur désir de vengeance.

Puis la cloche sonna aux vêpres. Ils allèrent reprendre à l’église la place occupée par eux le matin, derrière le pilier, et debout, leur casquette dans les doigts, ils regardaient osciller les nuques, dans les créneaux des épaules. Il y eut un tassement ; du monde refluait de l’extérieur. Ils tournèrent la tête et virent les trois Hayot au milieu d’un groupe de jeunes hommes. Enfin ! ils se décidaient donc ! Une chaleur leur passa dans le sang.

À la sortie, ils faillirent se trouver coude à coude. Les Hayot marchaient devant. Warnant pressa le pas, bourrant la file de coups d’épaule. Au moment où il allait poser la main sur le bras de Hubert, un garçon vigoureux s’avança d’un pas, s’interposa entre eux tranquillement. Warnant entrevit une tactique. Les Hayot s’étaient mis sous la protection de leurs amis : ils ne se battraient pas, ou, s’ils se battaient, ils se feraient couvrir par du renfort. Canailles, va ! Un peu plus de colère s’empara des rudes gars. Ils brûlaient de les regarder face à face, dans les prunelles ; mais les trois frères s’obstinaient à ne montrer que leur dos.

La bande entra au cabaret. Les Hulotte entrèrent à leur tour ; ils allèrent s’attabler en face des autres. Il se fit un silence parmi les buveurs, puis on chuchota. Le bruit de la querelle ayant transpiré, les yeux allaient de la table des Hulotte à la table des Hayot, curieux, tenaces, quelquefois narquois. Hubert alluma un cigare longuement. Il avait les joues blanches et les oreilles rouges. Il regardait brasiller la cendre de son cigare tout en causant, pour n’avoir pas à subir le choc des prunelles qu’il sentait posées sur lui. Donat, plus résolu, ricanait en dodelinant la tête de leur côté. Un brouillard enveloppait cette partie du cabaret où les pipes et les cigares rougeoyaient, fumés par grosses bouffées. Warnant remuait sur son banc, à bout de sang-froid, et soufflait dans ses joues, cramoisi, en sueur, âpre à cette rixe qui n’aboutissait pas. Des jurons s’étouffaient entre ses dents, entendus toutefois des Hayot, et il les accompagnait de coups de poing sur la table, de brusques mouvements d’épaules.

Il éclata.

— Hubert Hayot, dit-il, j’te crache à la face comme j’crache ici, tiens !

Et il cracha à terre, en effet, avec un mépris violent.

Hubert hocha la tête d’une épaule à l’autre, et répondit, haussant cette fois jusqu’à lui ses yeux vacillants :

— Crache, fieu ! Ta salive te retombera sur le nez.

Il y eut des rires. Hulotte se leva.

— Viens m’dire ça à la porte, si t’as du cœur.

Hubert ne bougea pas.

— Y ne me plaît point, fit-il.

— Ben, à moi, si ! Y m’plaît, j’te dis. Et j’t’appelle vaurien, lâche, triple coïon !

Là-dessus, Warnant franchit l’espace qui le séparait de la table et se rua vers cette face blême qui se balançait. Hubert se dressa à son tour, effaré, tout à coup pris de fureur. Debout, le corps posé sur une jambe, l’autre jambe tendue en avant, il l’attendait, brandissant son verre.

— Arrière, cria-t-il, ou j’te fends la gueule.

Rapide comme la pensée, le jeune Hulotte ploya le haut de son corps, et la tête en avant, comme un bœuf, se lança. Un bruit de verre s’écrasant sur le carreau alla mourir, derrière ses talons, dans le piétinement des spectateurs. Hubert, bourré d’un choc terrible, avait roulé à deux pas, dans les bris.

Une poussée se produisit dans le cabaret ; tout le monde se mit debout. Déjà Warnant s’était relevé, prêt à fondre sur son adversaire. Des mains le saisirent aux aisselles ; il se sentit enlacé dans des bras. Une rage le prit. Ruant à travers les tibias, ses poings tapant dans le tas, à l’aveuglette, il secouait la grappe pendue après lui, par saccades. Ses veines tendues se nouaient sur ses tempes, pareilles à des cordes d’arbalète et il poussait des han ! rauques de colère et d’effort. Les mains lâchèrent prise ; le cercle s’élargit.

Il était temps.

Hubert Hayot arrivait sur lui, balançant une chaise. La chaise tournoya, s’abattit, pas assez vite pour que Warnant ne parât le coup. Il l’arracha des mains du grand blond, la jeta au loin, puis, bondissant, il saisit Hubert à bras-le-corps, lui broyant les vertèbres de ses biceps robustes.

Hubert râla.

Et subitement un ennemi nouveau se présenta, qui passa les mains au col de Warnant, et de toutes ses forces l’étranglant, lui ploya les reins en arrière. C’était Donat. Warnant se renversa, râlant à son tour, quand son frère Mathieu, d’un large coup de poing envoyé dans la nuque de Donat, fit osciller ce dernier, comme un arbre déchaussé et qui bat l’air de ses feuilles.

Alors, remis sur pied, il poussa droit à l’ennemi, rusant cette fois pour se faire prendre, et sa ruse réussit. Hubert le prit à bras-le-corps comme il avait été pris lui-même ; mais, au moment où il l’enlevait de terre, les deux mains de Warnant s’abattirent sur son front, lourdes comme le plomb, et il tomba à la renverse, entraînant dans ses bras son rival.

Ils se cognaient aux tables, bousculaient les chaises, se tordaient, étroitement serrés l’un à l’autre. Les crânes sonnaient sur le pavement comme des calebasses, parmi les gémissements, les cris inarticulés qui sortaient des gorges ; et des chocs brusques s’étouffaient dans un roulement sourd, continu.

Quelquefois la lutte semblait s’immobiliser ; ils se maintenaient si bien emboîtés que tous deux cessaient de bouger. Puis l’étreinte se relâchait, et de nouveau les mains, les bras, les genoux s’emmêlaient, faisant des angulations furieuses à ras du sol. Une férocité mutuelle donnait à cette masse courant des bordées, des airs de carnage. Les chemises déchirées laissaient les poitrines à nu ; les poignets lacérés, striés d’égratignures, s’engluaient d’une viscosité de sang. Par deux fois, les mâchoires de Hubert avaient happé les joues de Warnant, au point d’y laisser leurs empreintes, larges et carrées. Warnant, ayant les dents branlantes, ne mordait pas ; mais il le tassait sous ses puissants genoux, lui labourait le cou de ses mains nerveuses, le clouait à terre de toute la pesanteur de ses épaules. Et l’autre hurlait, s’aidant de pratiques abominables. Tantôt il lui pointait ses doigts dans les yeux, en fourchons, ou bien cherchait à l’atteindre au bas-ventre, traîtreusement. Mais Warnant, vigoureux et leste, le contrecarrait chaque fois par des parades adroites.

Un coup de tête dans le nez lui fit perdre tout à coup ses avantages. Il se redressa sur les genoux, aveuglé, tous les os de sa face craquant, comme hébété, tandis que Hubert, se dégageant d’une secousse, passait derrière son dos, faisait le geste de l’assommer. Il se croyait triomphant ; il était perdu.

Warnant, bourré dans les épaules sans pitié ni miséricorde, enlaça la cuisse de Hubert et le fit basculer par-dessus lui. Pris à l’improviste dans la partie la plus faible de son corps, ses jambes longues et maigres, le Hayot alla choir de nouveau, la tête en avant, vaincu cette fois et criant à l’aide. Mais Warnant ne prenait plus garde à rien : il bavait de rage, hurlait, voyait rouge. Ramassé sur les reins, comme une bête, il lui cognait la tête contre le carreau à coups redoublés, l’insultant à chaque coup. À toi, losse ! Tiens, brigand ! Encore ! chenapan ! propre-à-rien ! trembleur ! fils de truie ! Et Hubert geignait, suffoqué, l’échine en pièces, ayant dans la cervelle comme un bruit de cloches et appelant du secours, constamment, sans être entendu.

La bagarre était devenue générale dans le cabaret. Sauf quelques anciens qui, dès le premier colletage, avaient prudemment battu en retraite, tout le monde s’en mêlait à présent, qui pour et qui contre. Mathieu, repris par Donat, lui avait lancé au creux de l’estomac un coup de bélier qui l’avait envoyé bouler dans les tables, vomissant, en proie à un détraquement horrible ; mais une grêle de poings s’était abattue sur lui, au même instant. Les amis de Hayot entraient dans la rixe, et de toutes parts circonvenant le pauvre garçon, moins aguerri que son aîné à la lutte, le tiraillaient, le battaient, lui portaient des coups dans les lombes et la poitrine.

Mathieu les esquivait tant bien que mal. Un gros joufflu ayant tâché de l’enlacer, il lui cassa une dent. Il atteignit un autre dans la nuque ; un troisième reçut un formidable coup droit dans le thorax ; et ceux-là se reculèrent aussitôt, faisant place à d’autres qui se ruaient à leur tour. Il avait l’oreille en sang ; sa veste, déchiquetée, béait ; et il continuait à tenir tête, cherchant à gagner le mur pour s’y acculer. Quelqu’un lui passa la jambe, brusquement. Il oscilla, tenta un instant de se rattraper à une table, mais des mains le poussaient, il tomba.

La rixe tourna alors au massacre. Les amis des Hayot, exaspérés, se roulèrent sur Donat, le criblaient de coups de poing, fracassaient ses reins du plat de leurs talons. Un piétinement sourd remplissait la chambre, à travers des bousculades de tables ; par moments, quelqu’un beuglait, un cri de rage s’élevait, pareil à un cri d’animal ; d’entre les dents serrées sortaient des injures furieuses, mais cela se perdait dans l’incessante rumeur confuse de la lutte. L’hôte consterné courait après les verres, en sauvait un çà et là, à la hâte, bien que la plupart gisaient à terre, émiettés, faisant sur les carreaux rouges un poudroiement blanc. Il se lamentait, cet homme paisible, trop âgé pour participer à la querelle, et de temps en temps clamait, criant à merci pour lui et les autres.

Le garde champêtre avait été mandé, mais il tardait ; peut-être ne l’avait-on pas trouvé au logis ; et, en effet, l’envoyé ne tarda pas à rentrer, disant que le garde, profitant de son dimanche, était allé inspecter une coupe de bois, à une lieue du village.

— À moi, Warnant ! gémit Mathieu.

La meute le démolissait ; il ne voyait plus très clair ; ses bras à grand’peine paraient les coups ; il était à bout de souffle. Son appel sonna aux oreilles de Warnant comme un bruit de clairon. À frapper ce grand vaurien de Hubert, il avait oublié son frère. Brusquement il se tourna vers l’endroit d’où était parti le cri, vit Mathieu piétiné par cette bande féroce, se mit debout :

— Hardi ! Tiens bon ! gronda-t-il.

Une chaise se trouvait là. Il la leva, et à deux mains, comme le bûcheron jette sa hache, il l’abattit sur des dos, des crânes, des hanches, au hasard du tas, pensant plus à frapper fort qu’à frapper juste. Six fois, il recommença, sans leur laisser le temps de se reconnaître. Au sixième coup, la chaise se brisa ; il n’en resta plus qu’un tronçon dans sa main ; mais ce tronçon, carré, massif, se mit à tournoyer terriblement. Le sang jaillissait des faces ; il avait à demi-rompu la clavicule à l’un ; un autre avait la mâchoire démantibulée ; tous s’écrasant, se bousculant, s’aplatissant, s’efforçaient de se garer, le dos en boule et les coudes relevés. Et maniant son tronçon de chaise de toute la vigueur de son bras, il continuait à le faire voler sur cette chair tuméfiée et fumante.

Ce fut la fin de la lutte.

Les deux Hayot n’avaient même pas attendu jusque-là pour se mettre en garde contre un retour des vainqueurs. Les habits lacérés, ayant du sang au visage et aux mains, ils avaient battu en retraite du côté de la rue. Des gens les arrêtaient au passage, s’apitoyaient sur eux. Hein ! Comme ils étaient faits ! Leur peau avait des rougeurs de lièvre écorché ! On n’avait pas eu égard à leur beau linge, à leurs habits neufs ! Les femmes surtout exclamaient, en joignant les mains. Ils donnaient des explications, alors ; c’étaient ces canailles de Hulotte ; ils étaient venus les provoquer au cabaret, tandis qu’ils étaient paisiblement à boire. Même ils avaient tiré leurs couteaux, tandis qu’eux, désarmés, s’étaient défendus avec leurs mains. De là l’inégalité de la lutte. Mais on les repincerait ; ils auraient leur compte ; c’était un scandale pour tout le village qu’on ne les eût pas chassés du cabaret. Le monde s’ameutant, ils cherchaient à exploiter les sentiments de la foule. Les hommes hochaient la tête, les écoutant dégoiser leurs propos, sans bouger. Voyant qu’il ne leur restait que la commisération des femmes et le silence stupide des gamins plantés devant eux, un doigt dans le nez et les yeux élargis, ils détalèrent.

La rixe terminée, les curieux affluaient à présent dans le cabaret, entouraient les Hulotte, pressés de questions et qu’une lassitude rendait faibles et tremblants, après ce combat violent. Ils filèrent sous bois à grandes enjambées, puis s’assirent près d’un ruisseau qui serpentait sous les taillis, et bien sûrs qu’on ne viendrait pas les inquiéter là, ils se baignèrent la tête et les bras au courant de l’eau.


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