J. Hetzel et Cie (p. 215-229).

XVI

la tribu des nez-rouges.

La cabane du sauvage si lestement dépêché dans l’autre monde par Giboulot n’avait pas plus de trois mètres carrés. Elle était encombrée de peaux de bêtes, de massues, de têtes d’animaux séchées, de vieilles écuelles, de grandes plumes et de grandes pattes d’oiseaux, de flèches, d’arcs, et d’un tas d’os moisis, débris de la nourriture quotidienne de son défunt propriétaire.

Dans tout cet ensemble on ne peut plus sauvage, c’étaient deux têtes d’éléphant séchées au soleil et servant de sièges qui frappèrent le plus l’imagination de Charlot ; il n’aurait jamais pensé qu’il y eût quelque part de semblables escabeaux.

Cette inspection terminée, Giboulot procéda au travestissement des deux cousins.

Une bonne demi-heure s’écoula avant que Mimile et Charlot ressemblassent parfaitement aux habitants de l’Amérique du Sud, tribu des Nez-Rouges.

Quand l’opération fut terminée, c’est-à-dire lorsqu’ils furent coiffés de plumes, couverts de peaux de bêtes, chaussés de mocassins assez semblables — par parenthèse — à des espadrilles ; qu’ils furent teints en noir, tatoués de jaune et de rouge dans toutes les parties de leur corps qui étaient visibles, Giboulot leur donna à chacun une petite massue pour ajouter à la couleur locale.

Le ravissement de Charlot eut été complet si Giboulot ne l’avait contraint, ainsi que Mimile, à laisser son couteau de cuisine de fabrique européenne. Il ne fallait pas, disait-il, que rien pût trahir leur origine.

Giboulot lui fit comprendre, d’ailleurs, que la massue pouvait remplacer toutes les autres armes dans un combat. Au lieu de piquer son ennemi, on l’assommait ; le résultat était le même ; ce dernier système avait, en outre, l’avantage sur les autres d’être moins salissant.

Mimile et Charlot se passaient tour à tour leur petit miroir pour se rendre compte des agréments de leurs nouveaux costumes ; par malheur, ce miroir de poche ne leur permettait point de se voir de pied en cap.

« Ne vous occupez pas de cela, leur dit Giboulot ; je vais l’inspecter, moi, votre ensemble, et faire au besoin les retouches nécessaires ; tenez-vous bien droits, à un peu de distance l’un de l’autre. »

En parlant ainsi, Giboulot avait repris son pinceau, une sorte de pinceau à cirage, puis les vases où se trouvaient, délayés à l’eau pure, du jaune, du noir et du rouge…

Ainsi pourvu, Giboulot allait de Mimile à Charlot et de Charlot à Mimile, mettant un peu de noir par-ci, un peu de rouge par-là, et, de temps à autre, un scrupule de jaune. Charlot aimait beaucoup cette dernière couleur ; il trouvait qu’elle lui allait bien, et il en avait redemandé deux fois.

Ces derniers perfectionnements terminés à la satisfaction des deux intéressés et de l’artiste Giboulot, ce dernier s’écria :

« Et maintenant, vive la tribu des Nez-Rouges !

— Quartier des bêtes féroces ! » ajouta Mimile.

Une musique enragée, assourdissante, criarde, un vrai charivari de carnaval, éclata tout à coup à une faible distance de la cabane.

Nos trois amis se regardèrent.

Giboulot appuya son œil droit au trou laissé dans la porte par l’ancienne serrure.

« Sac à papier ! s’écria-t-il tout à coup, voilà une demi-douzaine de Nez-Rouges qui ont l’air de se diriger par ici. Celui qui est à la tête est grand presque comme une maison. »

Charlot pivotait déjà sur lui-même, cherchant un trou où se fourrer, quand Giboulot, devinant son intention, le saisit par un bras en lui disant :

« Du sang-froid, ou nous sommes perdus ! Nous sommes des Nez-Rouges comme ceux qui arrivent, ne va pas t’aviser de l’oublier.

« Nous aurons du sang-froid, » dit Mimile.

La trombe musicale s’accentuait de plus en plus.

Charlot eut besoin d’une tape de l’ex-gardeur d’oies pour ne pas perdre la tête.

« Ça va être très-gai de voir toute cette sauvagerie-là, dit Mimile en se frottant les mains.

— Attention !… Ayez soin d’imiter tous mes gestes, dit Giboulot.

Au même instant, la porte de la cabane fut enfoncée plutôt qu’ouverte par un furieux coup de poing.

Le chef de la tribu des Nez-Rouges (car c’était lui) parut sur le seuil.

Son escorte musicale attendait respectueusement à quelques pas derrière lui.

Cet important personnage était, avant tout, un gaillard de première force. Son nez long, gros, très-gros, d’un rouge brillant, avait l’air d’être en sentinelle perdue au milieu de son visage, lequel était ombragé par un immense bonnet entouré de plumes de coq. Les deux tiers de son corps se dissimulaient sous une peau de tigre ; ses jambes et ses bras, badigeonnés de jaune-vert, étaient comme le corps d’un chimpanzé. Mais le plus étrange, à coup sûr, était sa cravate faite d’une peau de serpent dont la tête, ornée d’un dard fourchu, ballottait par derrière sur ses épaules, comme un grand cache-nez. Nous allions oublier de mentionner un gros os bleu qui, retenu à son cou par une ficelle, lui pendait sur le ventre.

xvi
je demande où est le vieux chacal ?
Après une minute d’un silence effrayant, le grand chef

de la tribu des Nez-Rouges poussa un petit cri en lançant un léger coup de poing à la face de Giboulot.

Cela voulait dire en langue sauvage :

« Où se trouve le maître de céans ? »

L’ex-gardeur d’oies, qui n’avait qu’une notion imparfaite de cet idiome, se contenta pour toute réponse de s’incliner profondément.

Mimile et Charlot l’imitèrent.

« Je demande où est le Vieux-Chacal ? reprit le grand chef, roulant ses yeux d’une façon inquiétante en examinant l’un après l’autre nos petits aventuriers.

— Grand chef des Nez-Rouges, répondit alors Giboulot, j’ai l’honneur de vous apprendre que mon oncle, le Vieux-Chacal, est parti pour un voyage de quelques jours, et qu’il nous a confié, à mes petits frères et à moi, la garde de sa cabane.

— Ah ! ah ! c’est différent… Mais, dites-moi, vous a-t-il aussi chargés d’aller en guerre à sa place ?

— Il nous en a chargés, très-gracieux, très-illustre chef, répondit Giboulot d’un air aimable, et nous sommes tous trois prêts à vous obéir. »

Les trois amis s’inclinèrent très-bas.

« Très-bien, dit le grand chef. J’étais précisément venu pour le prévenir que nos ennemis de la tribu des Vilains-Museaux se préparent à descendre de leurs montagnes, au nombre de vingt-trois, pour nous réduire en poussière.

— Qu’ils viennent ! » s’écria Giboulot en s’inclinant, ainsi que Mimile et Charlot.

Le chef reprit d’un air calme :

« C’est après-demain la fête de Saint-Dévorant, leur patron, et ils répètent partout, je viens de l’apprendre, qu’il leur faut quelques guerriers de la tribu des Nez-Rouges pour alimenter leur festin patronal.

— Oui-dà ! Eh bien, nous verrons ! s’écria Giboulot avec une feinte colère.

— Oui, nous verrons ! poursuivit le grand chef, car en ce moment les plus terribles guerriers de notre tribu, réunis sur la place, se préparent au combat en mangeant du cœur de lion assaisonné aux pommes de terre, ce qui est le moyen par excellence de se donner du courage. »

Tout à coup, le grand chef s’interrompit pour renifler d’une manière épouvantable. Il regardait dans tous les coins de la cabane.

« C’est extraordinaire, dit-il après avoir terminé son inspection, il me semblait sentir ici l’odeur de la chair blanche.

— C’est une erreur de votre illustre gros nez, grand chef, » dit Giboulot en s’inclinant.

Mimile et Charlot se hâtèrent de l’imiter.

« Je sais ce que c’est, dit le grand chef, j’en ai mangé ce matin je suis trompé par cet agréable souvenir. »

Charlot, en écoutant cette confidence, regardait le chef avec une épouvante si visible, que Giboulot dut lui pincer le bras en manière d’avertissement.

Par bonheur, ledit grand chef tournait en ce moment sur ses talons pour aller terminer sa ronde.

« À propos, reprit-il en se ravisant tout à coup, il va sans dire que votre oncle, le Vieux-Chacal, vous a prévenus que les étrangers, avant de séjourner parmi nous, devaient se présenter à l’hôtel de ville et s’y faire inscrire comme citoyens combattants de la tribu des Nez-Rouges ?

— Il l’a oublié, très-illustre chef, répondit Giboulot en s’inclinant très-bas, ainsi que Mimile et Charlot.

— C’est un tort, car il vous exposait à être rôtis comme espions. Allez donc vous présenter à l’hôtel de ville tous les trois en disant que vous êtes les neveux du Vieux-Chacal. Vous ajouterez que vous êtes déjà agréés par moi comme Nez-Rouges.

— Et si l’on refusait, très-illustre chef, de nous croire sur parole ?

— Eh bien, vous remettriez ceci comme lettre de créance. » Le grand chef, en disant cela, présentait à Giboulot le gros os bleu qui lui pendait sur le ventre.

« C’est la patte d’un lion gigantesque que j’ai étranglé l’année dernière, ajouta-t-il.

— Merci, très-illustre chef, dit Giboulot, qui ajouta : Et cet os, devrai-je le garder ?

— Garder mon os ! s’écria le grand chef en rugissant et en brandissant sa massue. Mon os bleu ! le signe de mon commandement ! le garder !…

— Le garder pour vous le remettre respectueusement, très-illustre grand chef, répondit vivement Giboulot.

— À la bonne heure ! reprit le grand chef en se calmant. Eh bien, non, tu ne le garderas pas ; tu le laisseras à la mairie, où j’irai le reprendre. »

Le grand chef partit comme il était venu, escorté par son abominable musique et laissant nos petits aventuriers dans une perplexité bien concevable.

Dès que le grand chef se fut éloigné, nos trois amis se regardèrent pendant quelques instants en silence ; ils étaient naturellement fort perplexes.

Charlot reprit le premier parole.

« Si nous retournions sur nos pas, après avoir jeté l’os du grand chef ? dit-il.

— On nous empêcherait de passer, répondit Giboulot.

— Et si nous allions plus loin ?

— Ce serait la même chose ; les Nez-Rouges, qui s’attendent à être attaqués par les Vilains-Museaux, ont dû placer des sentinelles sur tous les chemins qui aboutissent à la tribu.

— Le plus sage, dit Mimile, est de faire nos efforts pour nous habituer ici ; qui sait si nous ne serions pas encore plus malheureux ailleurs ? Un peu plus tôt, un peu plus tard, il faut toujours et partout faire son service militaire.

— Le métier des armes est le plus noble métier, dit Giboulot.

— Nous ferons comme les autres, ajouta Mimile, et quand la guerre sera finie, nous irons en pleine forêt manger ces gros fruits dont nous a parlé Harrisson, et nous tuerons des lions le reste de la journée.

— Oh ! Harrisson est un menteur, je le vois maintenant, car il ne m’a jamais dit qu’on mangeait les blancs en Amérique, répliqua Charlot.

— S’il ne t’a pas tout dit, c’était sans doute pour te laisser le plaisir de quelques surprises.

— C’est évident, dit Giboulot ; mais il ne s’agit pas de Harrisson, il faut aller nous faire inscrire à l’hôtel de ville.

— Comme cela, nous serons en règle, quoi qu’il arrive, ce qui est toujours sage, fit observer Mimile.

— Ah ! diable, dit Giboulot, j’allais oublier l’os bleu du grand chef. »

Ce fut ainsi que nos trois amis quittèrent la cabane du Vieux-Chacal.

La tribu des Nez-Rouges, formée d’une cinquantaine d’individus logés dans de misérables huttes, n’accusait pas une civilisation bien avancée. Des femmes, les cheveux flottant sur le dos, comme c’est la mode même à Paris, vaquaient aux soins du ménage sur le devant de leurs portes, au milieu de petits garnements noirâtres, mouchetés de rouge et de jaune, qui se roulaient dans la poussière en se jetant des cailloux à la tête. Plus loin, ils rencontrèrent un groupe d’hommes couverts de peaux d’animaux et qui se battaient entre eux en poussant de grands cris.

« Il n’y a pas moyen de les retenir, depuis qu’ils ont mangé du cœur de lion aux pommes de terre, » dit une vieille sauvagesse en haussant les épaules.

Charlot, tout effrayé d’un pareil spectacle, entraînait ses compagnons en leur disant tout bas :

« Allons-nous-en ; je suis dégoûté de voir ça.

— Allons-nous-en, répéta Giboulot, mais n’ayons pas l’air de nous sauver ; ça pourrait les mettre en colère contre nous. »

Ils défilaient ainsi la tête un peu basse, quand ils rencontrèrent tout à coup un petit hangar sur lequel était écrit en très-grosses lettres :

hôtel de ville de la tribu des nez-rouges.

« Un hôtel de ville !… dit tout bas Charlot, ça ressemble à une baraque de saltimbanques.

— Chut ! répondit Giboulot sur le même ton, je vais frapper à la porte. »

Un grognement sourd lui répondit de l’intérieur.

Giboulot poussa la porte et entra, suivi de ses deux compagnons.

Ils n’aperçurent qu’une table au milieu de la pièce ; un grand registre, écorné par un long usage, en occupait le milieu. Le long du mur se trouvait une collection d’énormes faux-nez rouges, portant un numéro d’ordre.

— Il n’y a personne, dit Giboulot. J’avais cru pourtant entendre…

— Et pour qui donc me prends-tu, moi ? » s’écria un être fantastique, un sauvage cheveux roux, qui s’était élancé tout à coup d’un grand panier masqué par la table, comme un diablotin de sa boîte.

Charlot, Mimile et Giboulot, à cette vue, reculèrent de quelques pas.

« Que voulez-vous ?… Parlez vite !… car c’est jour de combat aujourd’hui, et j’ai besoin de reposer mes membres, afin de les rendre plus élastiques, plus propres à agir contre les Vilains-Museaux. Voyons, parlez !…

— Nous sommes venus, illustre Nez-Rouge, dit Giboulot, qui ne savait trop quel titre donner à ce vilain personnage, pour nous faire inscrire comme citoyens combattants.

— Vous n’êtes pas dégoûtés… Mais qui êtes-vous ?

— Nous sommes les neveux du Vieux-Chacal.

— Où est-il lui-même en ce moment ?

— Il est parti cette nuit pour un voyage de quelques jours.

— À la veille d’une attaque des Vilains-Museaux ?…

— Il l’ignorait ; sans cela, croyez bien… illustre Nez Rouge…

— C’est un vieux rageur, je le sais ; mais qui est-ce qui me prouvera, en son absence, que vous dites la vérité, que vous n’êtes pas de vils espions au service de nos ennemis ?

— Cet os bleu qui m’a été remis par le grand chef de la tribu, comme lettre de créance.

— L’os bleu du grand chef !… Il vous a confié son os bleu ?… » s’écria le sauvage en plaçant l’os sur son cœur ; puis, il le baisa pour témoigner du profond respect que lui inspirait ce signe de commandement.

« Cela suffit ! ajouta-t-il. Dites-moi vos noms.

— Je me nomme Cœur-Bouillant, » répondit Giboulot, qui crut nécessaire de se donner un nom sauvage.

L’homme ouvrit son registre, trempa une aiguille de bois dans une sauce rouge, et fit une marque sur le livre.

« Et toi ? dit-il à Mimile.

— Je me nomme Tête-Froide, répondit celui-ci avec le plus grand sérieux.

— Un beau nom ! dit l’homme en faisant une nouvelle marque sur son registre.

— Et toi ? dit-il à Charlot.

— Moi, l’on m’appelle le Brave-des-Braves, » répondit celui-ci avec beaucoup d’aplomb.

C’était Mimile qui lui avait soufflé ce surnom.

« C’est encore plus beau ! » fit observer l’homme avec admiration.

L’homme inscrivit ce dernier nom à côté des deux autres, pendant que Charlot riait sous cape du magnifique pseudonyme qu’il s’était attribué.

« On va tout de suite, dit le sauvage, vous soumettre aux épreuves ordinaires et extraordinaires.

— Quelles épreuves ? demanda Giboulot.

— Vous le verrez de reste, » répondit le sauvage, qui alla se placer sur le seuil de sa porte et poussa par deux fois un grand cri.

Une demi-douzaine de Nez-Rouges accoururent à cet appel.

« Voici trois gaillards, dit-il, qu’il s’agit de faire passer par les épreuves ordinaires et extraordinaires ; emmenez-les. Quand la chose sera faite et parfaite, vous me les ramènerez pour que je leur distribue à chacun un nez d’ordonnance, numéroté comme il conviendra. »

Charlot, Mimile et Giboulot durent se laisser emmener ; mais il était facile de voir à leur attitude, aux mots qu’ils échangeaient à voix basse, qu’ils n’étaient pas sans inquiétude sur les épreuves qu’on allait leur imposer.

L’escorte les conduisit sur le terrain des épreuves.

Un vieux sauvage, l’appariteur de la tribu, apercevant le cortége, s’était mis immédiatement à frapper sur une vieille cuve de métal qui se trouvait plantée sur une pierre, à l’angle d’un petit carrefour.

Il en résulta un bruit infernal qui attira en ce moment toute la population ; grands et petits sauvages et sauvagesses, tous plus hideux les uns que les autres, se hâtant d’accrocher leur nez rouge, ainsi qu’il était d’usage dans les grandes occasions, se ruaient pêle-mêle du côté de l’appariteur. Ils étaient suivis par trois ânes verts et une demi-douzaine de chiens bleus. Ces deux espèces d’animaux étaient sans doute particulières à cette partie de l’Amérique.

« Aux épreuves ! aux épreuves !… » criait ; l’appariteur, tout en frappant à tour de bras sur son horrible instrument.

La foule n’eut pas plus tôt compris de quoi il s’agissait, qu’elle s’élança en poussant des cris de joie sur les traces de nos petits amis.

L’appariteur lui-même, remplissant son office, se mit à courir derrière eux.

Toute la tribu des Nez-Rouges voulait assister à une cérémonie qui n’avait lieu qu’à de rares intervalles.

Le grand chef qui avait provoqué cette solennité se trouvait là ; son os bleu était déjà replacé à sa ceinture. Une estafette, montée sur un âne, était allée le lui rapporter à bride abattue.

Il dominait la foule, non-seulement de toute sa hauteur, mais encore de la hauteur d’un vaste tronc d’arbre qui lui servait de piédestal.

Il avait placé Charlot, Mimile et Giboulot devant lui, et, d’un geste, fait reculer les assistants qui s’étaient par trop approchés.

Les six chiens bleus étaient venus se coucher à ses pieds ; quant aux trois ânes qui, avec la plus grande indiscrétion, persistaient à se maintenir au premier rang, il avait fallu les chasser à coups de gaule.

Le grand chef prit alors la parole :

« Vaillants Nez-Rouges, dit-il, les trois jeunes garçons qui sont devant vous sont les neveux du Vieux-Chacal, et ils demandent à faire partie de la tribu des Nez-Rouges, c’est-à-dire à vivre et à mourir au milieu de vous. Voulez-les considérer vous leur accorder ce grand honneur et les considérer comme vos frères ?

— Nous le voulons ! » crièrent les assistants avec une telle furie, que les six chiens bleus, qui crurent sans doute à l’apparition des Vilains-Museaux, se dressèrent sur leurs pattes et commencèrent un ensemble d’aboiements furibonds. Pour mettre le comble au vacarme, les ânes verts leur firent chorus avec une énergie qui témoignait de leur mécontentement d’avoir été expulsés de l’assemblée à un moment si intéressant.

Le silence se rétablit enfin, et le grand chef poursuivit :

« Vous allez donc vous avancer un à un pour donner aux nouveaux l’accolade fraternelle ; nous passerons ensuite aux épreuves.

— Oui ! oui ! l’accolade et ensuite les épreuves ! » hurla la foule comme un seul sauvage.

Alors commença le défilé.

Chaque assistant, retirant son faux nez, vint tour à tour embrasser nos petits amis avec un empressement, une énergie qui témoignaient de leurs bons sentiments pour eux. Deux vieilles sauvagesses surtout s’étaient tellement acharnées dans leurs caresses en les serrant dans leurs bras, que grand chef s’écria :

« Assez, les commères ! cela suffit.

— Ils sentent si bon ! qu’il semble qu’on mange de la chair blanche ! » murmurèrent les deux vieilles en s’éloignant à regret.

Nos petits aventuriers, aux trois quarts étouffés, achevaient à peine de se remettre, quand le grand chef s’écria d’une voix tonnante :

« Aux épreuves ! »