J. Hetzel et Cie (p. 1-16).

UN
DRÔLE DE VOYAGE


I

découverte de l’amérique par deux écoliers.

Charles et Émile, que l’on nommait familièrement l’un le gros Charlot, et l’autre le brave Mimile, étaient cousins germains.

Leurs mères étaient sœurs et avaient épousé les deux frères qui exerçaient la même industrie. Ils étaient marchands de métaux.

Assez gênés au début de leur association, ils s’étaient enrichis par un travail persévérant et une stricte économie. Les deux familles n’en formaient qu’une. Elles demeuraient sous le même toit et prenaient leurs repas à la même table. Elles n’avaient point de maison de campagne, et passaient l’été à Paris pour ne pas négliger leurs affaires, qui nécessitaient une surveillance d’autant plus grande qu’elles avaient pris une importance extrêmement considérable.

« Le travail nous amuse, disaient-ils à leurs amis qui leur reprochaient de n’avoir pas un train de maison en rapport avec leur fortune, de ne pas quitter leur maison d’affaires et de n’avoir pas même une maison de campagne aux environs de Paris ; quand nous serons vieux, nous penserons au repos. Cela ne va pas tout seul, une maison aussi compliquée que la nôtre, et si nos fils étaient d’âge à nous suppléer, nous serions aussi aises que d’autres d’aller demander à la campagne un air plus pur que celui de Paris. »

Les deux frères avaient chacun un garçon et une fille.

Les filles, Louise et Dorette, plus jeunes que leurs frères, n’avaient jamais quitté la maison de leurs parents.

Les garçons avaient été placés tous deux en qualité d’internes au collège Chaptal, car ce qu’on voulait pour eux c’était une instruction industrielle et commerciale très-solide, qui leur rendît possible de prendre à un moment donné la suite des affaires de leurs pères.

Si M. Charlot et M. Mimile n’étaient pas les premiers de leur classe, ils n’en étaient pas non plus les derniers. C’étaient en somme des garçons intelligents. Le malheur voulut que Charlot fût paresseux, et que Mimile, bien qu’il ne manquât pas de bon sens, fût si turbulent, que l’application souvent lui était difficile. Bien que les caractères des deux cousins fussent très-différents, ils s’étaient toujours entendus à merveille. L’un complétait l’autre, et c’était peut-être là le secret de leur mutuelle affection.

Le gros Charlot était naïf et crédule à l’excès. Son plus grand bonheur était de pouvoir écouter, la bouche toute grande ouverte, les histoires les plus extraordinaires. Il aurait passé ses nuits à en lire si la consigne de Chaptal le lui eût permis. Les récits de voyages, notamment, ne trouvaient pas d’auditeur à la fois plus attentif et plus ému, d’admirateur plus complaisant.

Les jours de congé, on le voyait le nez au vent, immobile et l’œil fixe, interrogeant le ciel et les horizons lointains pendant des heures entières. L’esprit du gros Charlot faisait évidemment plus de chemin que ses jambes et se lançait volontiers à travers les espaces.

M. Mimile, au contraire, était toujours en mouvement ; il était de ces enfants qu’on accuse d’avoir du vif-argent dans les veines et qui, plutôt que de se tenir tranquilles, trouvent mille moyens de remuer, même sur place. À l’étude, en classe, partout, en écrivant, en lisant, en faisant ses devoirs, il remuait ; quand ses mains étaient occupées, ses pieds sous table battaient la mesure. Il était si peu à ce qui se passait autour de lui, qu’un jour son professeur d’histoire lui demandant le nom de l’assassin d’Henri IV, il lui répondit, très-occupé qu’il était d’une marche de tambour qui se faisait entendre dans la rue : « Monsieur, je crois que c’est le rappel. »

On juge du succès qu’obtint sa réponse et du nombre de mauvais points qu’elle lui valut.

Jouait-il, sa voix dominait tous les bruits de la récréation. Il faisait plus de gambades en deux minutes qu’un autre dans une heure. Il sautait comme un chevreuil et pirouettait comme un toton. Ses maîtres l’appelaient M. Salpêtre. Ses camarades l’avaient, nous l’avons dit aux premiers mots de cette histoire, surnommé le brave Mimile.

Vous allez croire qu’il était batailleur, querelleur ; pas le moins du monde pour son compte, il était doux comme un mouton, mais pour le compte des autres, c’était un foudre de guerre ; pour défendre ses camarades opprimés, pour bondir au secours de son cousin Charlot, c’était un lion. Il avait en outre quelques qualités qui, au collège, passent à bon droit pour des défauts. Il connaissait à fond la cuisine qu’on peut faire dans un pupitre. Cette science, qu’on n’enseignait cependant pas à Chaptal, lui avait valu plus de pensums que ses devoirs ou ses leçons, car il ne se passait guère un jour sans qu’il confectionnât indûment quelque friandise à son profit, au profit de Charlot et de leurs amis communs.

Pour faire du chocolat dans une timbale, au risque d’incendier son pupitre, pour introduire des pommes de terre dans le four du poêle sitôt que le professeur avait la tête tournée, l’audacieux Mimile n’avait pas de rival. Les pommes de terre, passe encore, cela cuit discrètement, mais les marrons, quand on oublie de les fendre, comme cela lui était arrivé un jour, c’est une autre affaire.

Ce fut subitement une série de détonations telles que l’on crut que les murs de la salle allaient crouler, et qu’un ennemi du collège Chaptal avait caché dans le poêle une machine infernale.

Cette équipée avait valu un mois de retenue à l’élève Mimile.

Cela ne l’avait pas entièrement corrigé ; mais cela avait donné au professeur la sage idée qu’un poêle dans un collège ne devait être orné d’aucun four, et le four avait été impitoyablement supprimé. Sublata causa, tollitur effectus. Ceux de mes jeunes lecteurs qui apprennent le latin, traduiront cette maxime ; cela les punira d’avoir ri de l’équipée du coupable Mimile.

Si pensif que Charlot fut d’ordinaire, il n’en était pas moins toujours prêt à applaudir aux folies de Mimile.

En classe, Charlot avait pour voisin un garçon de quinze ans qu’on avait envoyé à Paris pour y faire ses études. Il se nommait Harrisson.

Harrisson ne cessait d’entretenir Charlot des splendeurs de l’Amérique et de la vie heureuse et aventureuse qu’on y menait. Selon lui, on ne pouvait pas y faire un pas sans rencontrer des forêts enchantées, pleines d’animaux terribles ou charmants et plantées d’arbres aux fruits délicieux.

Avait-on besoin d’un beefsteack, on tuait sans façon un bœuf pour sa consommation ; d’un gigot de mouton, on mettait à la broche un mouton tout entier ; d’un oiseau quelconque, on tirait un coup de revolver au hasard, et il en tombait à foison qu’on n’avait pas besoin de faire cuire ; comme les alouettes, ils tombaient tout rôtis dans la bouche.

À l’entendre, la vie libre des forêts était la plus désirable de toutes. Là, nul besoin d’études, nul besoin d’argent ; la nature suffisait à tout.

Désirait-on un cheval, on en trouvait à volonté dans les bois ; on sautait dessus, et tout était dit. Préférait-on un éléphant, on en rencontrait par troupeaux, qui se mettaient à genoux pour qu’on pût, s’asseoir sur leur dos, sans se donner la peine d’y grimper.

Quand Charlot avait longtemps écouté Harrisson avec la plus respectueuse attention, il ressentait comme un vague besoin de traverser de part en part des forêts vierges, de rencontrer des cocotiers, de ramasser des tortues énormes sur le bord des fleuves, d’affronter des torrents et de dormir à la cime des arbres.

Son imagination prenait le galop. Il rêvait la nuit qu’il combattait des sauvages, des bêtes féroces, et qu’il rentrait chez lui couvert de leurs dépouilles — et de gloire !

Il racontait alors son rêve à Mimile, qui d’abord s’enflammait, mais qui bientôt pensait à autre chose de plus pratique, il faut dire, car Mimile, malgré sa pétulance, avait l’esprit juste. Les usines de son père et de son oncle, quand l’âge aurait calmé sa turbulence, pouvaient espérer de trouver en lui un directeur habile. Ses jambes l’entraînaient à mille escapades, mais sa tête le ramenait à une plus droite appréciation des choses.

« Dis donc, dit un jour Charlot à Mimile, c’est aujourd’hui dimanche, j’ai une idée.

— Laquelle ? demanda Mimile en sautillant.

i
il rêvait qu’il combattait des sauvages.

— Je voudrais aller en Amérique, répondit Charlot tout bas ; tu sais, dans le pays d’Harrisson.

— En Amérique ! Mais c’est très-loin, s’écria Mimile.

— Oui ! mais en marchant bien… et en courant un peu… répliqua Charlot. Nous irions tous les deux, et quand nous serions fatigués, nous nous reposerions. »

Cette fois, Mimile fit un saut de stupéfaction. Les rôles étaient intervertis ; pour la première fois qu’il avait une idée folle, le gros Charlot le dépassait de cent coudées.

« Mais, lui dit-il, nous ne pourrons peut-être pas revenir le soir même ; nos parents nous croiraient perdus, et ça leur ferait beaucoup de chagrin. »

Charlot garda un moment le silence, n’ayant pas songé tout d’abord à cette grave objection.

Il reprit enfin :

« Mais, d’un autre côté, si nous leur en demandons la permission, il est possible qu’ils disent non.

— Bien sûr, ils diront non, répondit Mimile.

— Et alors nous continuerons donc à rester toute notre vie enfermés dans un collège ? Il me semble, Mimile, que lorsqu’on sait lire, écrire, calculer et surtout nager comme nous, — car nous nageons très-bien tous les deux, — on sait tout ce qu’il faut pour très-bien voyager.

— Mon papa et le tien trouveront peut-être que nous n’en savons pas encore assez, répondit Mimile, à qui son âge donnait un peu plus de raison.

— Papa tient beaucoup à la géographie, reprit Charlot ; eh bien, je crois que le seul moyen de l’apprendre est de voyager.

— Ça, c’est vrai, dit Mimile en sautant à pieds joints sur une chaise.

— Quand on pense, poursuivit Charlot, que nous avons, moi plus de neuf ans, toi presque douze, et que nous ne sommes jamais sortis tout à fait de Paris, même pendant les vacances !

— C’est encore très-vrai, dit Mimile en faisant une culbute sur le lit de Charlot, nous ne savons pas ce que c’est que la campagne.

— Nos petits camarades vont tous à la campagne, aux bains de mer, en Suisse ou ailleurs.

— Tous ? pas tous ! Il y a Philippe qui est comme nous.

— Oui, Philippe, je ne dis pas.

— Et Auguste, et Guillaume, et Henri, et le grand Gaspard, et Jules lui-même… et bien d’autres qui passent leurs vacances au collége et sortent encore moins que nous, riposta Mimile, qui, pour le moment, s’occupait à attraper des mouches.

— Oui, mais chacun n’est pas fait de même. Moi, j’ai des dispositions pour voir des choses extraordinaires, pour rencontrer des serpents, des lions, des tigres, des éléphants, des ours et des oiseaux à grandes pattes rouges et à long bec.

— Eh bien, tu n’as qu’à aller au Jardin d’Acclimatation ou au Jardin des Plantes, » répliqua Mimile en tombant en garde comme pour faire de l’escrime.

M. Charlot fit une grimace peu flatteuse pour les bêtes de ces deux jardins.

« Des animaux toujours en retenue, toujours en prison, et qui ont l’air de s’y ennuyer encore plus que moi quand je suis privé de sortie.

— Tiens, il faudrait peut-être leur faire de la musique, les laisser promener sur les boulevards ou leur donner des petits garçons à manger dit Mimile, qui avait pris la canne de son père et espadonnait contre le mur.

— Tu me réponds des bêtises quand je te parle sérieusement. Moi, je voudrais voir tous ces animaux-là dans les forêts, poursuivis par des sauvages ; voilà ce que je voudrais.

— Je comprends, dit Mimile sans interrompre ses exercices, ça pourrait être divertissant.

— Je voudrais, continua Charlot, aller tout le jour à la chasse et dormir la nuit dans les bois, ou bien sur la mer dans un vrai vaisseau, couché dans des hamacs…

— Avec des ours blancs tout autour, comme j’en ai vu dans un tableau, n’est-ce pas ? ajouta Mimile, qui suait à grosses gouttes à force de gesticuler.

— Oui, je tirerais dessus dès que je serais réveillé, et toi qui es brave, tu en abattrais encore plus que moi.

— Paf paf ! Et ils rouleraient les uns sur les autres en se noyant, ajouta Mimile.

— Au moins ce serait amusant à voir, dit Charlot.

— Mais où prendrais-tu tes repas ? demanda Mimile, qui savait que le gros Charlot pensait volontiers au positif.

— Je vivrais de ma chasse, répondit Charlot, et de la tienne, car tu es plus adroit que moi.

— Tu mangerais du lion et du tigre, dit Mimile, qui, éprouvant le besoin de se reposer un peu, s’était assis par terre, les jambes croisées, devant Charlot.

— Et de l’éléphant aussi… très-bien, de la trompe surtout et des pieds cuits dans le sable avec des cailloux.

— Au fait, c’est peut-être très-bon, tout ça…

— Harrisson m’a dit que c’était excellent, les pattes de derrière surtout.

— Et les pattes de devant, qu’est-ce qu’on en fait ? demanda Mimile, qui n’était pas fâché de s’instruire en passant.

— Harrisson ne me l’a pas dit on les leur laisse.

— Ça n’est pas sûr, et il faudra le demander à Harrisson, » répondit d’autant plus gravement Mimile qu’il retenait une forte envie de rire.

Charlot reprit :

« Il y aussi du bœuf et du mouton, pour ceux qui aiment leurs habitudes. Ils passent devant vous et on en mange un morceau, celui qu’on préfère ; Harrisson me l’a dit.

— Ça, c’est commode ; mais il faut les faire cuire.

— D’abord, tu es un très-bon cuisinier, reprit Charlot, ça c’est connu ; et puis ensuite Harrisson m’a dit que par là tout se faisait cuire rien qu’au soleil.

— De cette façon, ça ne peut pas sentir la fumée, comme la cuisine que Rosalie nous fait quelquefois, fit observer Mimile.

— Oh ! pas du tout ! ça ne sent que le soleil, répondit sérieusement Charlot.

— Il y a probablement du gibier aussi ? dit Mimile.

— Certainement ! Et des fruits ! Il y en a sur tous les arbres et qui sont gros comme ma tête.

— Quel dommage s’écria Mimile enthousiasmé, que nous ne puissions pas y aller tout de suite.

— Pourquoi pas ? Il fait si beau temps.

— Tu sais bien que papa et mon oncle disent qu’on ne doit rien entreprendre avant d’avoir terminé ses études, qu’il faut apprendre un état, sous peine de mourir de faim, répondit Mimile.

— Nous serons chasseurs, voilà tout, répliqua victorieusement Charlot, c’est un bel état par là-bas ! On mange les bêtes et on vend les peaux.

— Nos parents diront que ce n’est pas un vrai état et qu’ils préfèrent que nous soyons ingénieurs pour diriger plus tard nos usines.

— Moi, d’abord, je ne veux rien diriger du tout.

— Mais tu sais bien qu’un enfant n’est pas son maître. Tant que nous n’aurons pas vingt et un ans, nous ne pourrons pas aller en Amérique, ni ailleurs, sans permission.

— C’est ça ! attendre jusqu’au moment où nous serons tout à fait vieux.

— Ah ! que tu es bête, Charlot !

— C’est possible, mais chacun a ses idées.

— Puisque tous les enfants vont au collége ou en pension et apprennent un état, il faut bien que ce soit nécessaire, répliqua Mimile, qui était sûr de toujours donner de l’ouvrage à ses jambes sans aller en Amérique.

— Moi, je ne trouve pas ça.»

Ils en étaient là de leur conversation quand on vint les prévenir que, le temps étant très-beau, on allait faire une promenade en famille sur les buttes Montmartre, d’où la vue s’étend très-loin autour de Paris.

Les deux cousins sautèrent de joie à cette nouvelle et s’empressèrent de prendre leurs chapeaux.

Le père de Charlot et celui de Mimile, deux frères, nous l’avons dit, se nommaient Thirion — Thirion frères.

Ils demeuraient rue de Trévise.

MM. Thirion frères sortirent donc de chez eux en tenant chacun sa petite fille par la main.

Charlot et Mimile les suivaient.

La circulation dans les rues de Paris, spécialement le dimanche, est devenue difficile ; on y est toujours occupé à se garantir des voitures et des passants, et cela rend la conversation entre plusieurs personnes, obligées la plupart du temps de se suivre, presque impossible ; aussi nos promeneurs arrivèrent-ils au pied des buttes Montmartre sans avoir échangé vingt paroles.

« Allons, mes enfants, le moment est venu de délier nos jambes ! » s’écria M. Thirion aîné.

Charlot, Mimile, Dorette et Louise ne se firent pas répéter l’invitation et s’élancèrent à l’assaut de la montagne.

Les deux papas restèrent en arrière pour aider, au besoin, les deux petites filles, dont les petites jambes ne pouvaient, dans une pareille ascension, rivaliser avec celles de leurs frères.

La montée est un peu rude, et ce ne fut pas sans s’arrêter de temps en temps, pour reprendre haleine, qu’on atteignit le plateau.

L’herbe, incessamment foulée, piétinée, n’est pas là d’une grande fraîcheur, ce qui n’empêcha pas Louise et Dorette de s’y asseoir aussitôt arrivées. Mimile, lui, se mit à faire de très-jolies culbutes pour le divertissement de sa petite sœur et de sa cousine.

Quant à Charlot, debout entre son père et son oncle, il ne daignait pas regarder la ville, qui n’était pour lui qu’une vaste fourmilière. Ses yeux avides contemplaient l’univers entier qui suffisait à peine à son regard.

« Tout de même, le monde est grand ! dit-il avec admiration à son père.

— Et encore n’en vois-tu qu’un bien petit morceau, répondit M. Thirion en se retournant. Nous irons voir le reste un jour ou l’autre quand tu seras grand, ajouta-t-il en s’apercevant de la déconvenue de son fils.

— Dis donc, papa, reprit tout à coup Charlot, de quel côté est l’Amérique ?

— L’Amérique !… c’est par là, répondit son père en indiquant le sud-ouest avec le bout de sa canne.

— Tout droit par là ?… poursuivit Charlot.

— Tout droit. Quant à l’Italie, si tu tiens à le savoir, elle se trouve plus à gauche, ajouta M. Thirion en désignant le sud-est.

— Ah ! » répondit Charlot, sans même tourner la tête.

Que lui importait l’Italie ? Maître Charlot ne s’en souciait guère. Ce n’était pas assez loin.

M. Thirion entraîna Charlot sur le versant opposé.

Mais là, le père eut beau vouloir attirer l’attention de monsieur son fils sur la situation géographique de l’Angleterre, de la Russie, de la Chine, etc. ; enfin il eut beau lui faire continuer la rose des vents, à laquelle il avait paru d’abord s’intéresser, il ne put y réussir.

Deux heures après, on rentrait à la maison.

Charlot ne se trouva pas plus tôt seul avec Mimile, dans la chambre qui leur était réservée, qu’il lui dit :


« Je sais maintenant où se trouve l’Amérique ; papa me l’a fait voir du haut des buttes Montmartre ; ça paraît très-joli.

— Il fallait m’appeler, je l’aurais vue comme toi, répondit Mimile.

— Dame, elle a si peu l’air de t’intéresser, l’Amérique ! répliqua Charlot.

— Moi… mais si ! répliqua Mimile. Un pays où tous les fruits sont gros comme ma tête, même les cerises, ça m’irait joliment.

— Eh bien ! viens-y avec moi. Une fois arrivés, nous écrirons à nos parents pour qu’ils ne s’inquiètent pas de nous.

— Si l’on pouvait partir le matin et revenir le soir, je ne dis pas ; mais s’en aller pour trop longtemps, et ne plus voir ni papa, ni maman, ni Dorette, ni Louise, ça m’ennuierait trop.

— Cela m’ennuierait certainement beaucoup, moi aussi, répondit Charlot. Mais cela nous amuserait tant d’être ailleurs qu’au collège !

Bah ! le collége a du bon, dit Mimile ; les récréations, les jours de sortie… »

Charlot ne se donna pas la peine de répondre un mot à son ami Mimile. Pour la première fois, il commença à craindre qu’il ne devînt jamais un héros.

Le soir, il refusa de dîner.

Le lendemain, il était hors d’état de se lever, le pauvre gros Charlot, il avait la fièvre.

Huit jours après, il était malade tout à fait, et ce qui inquiétait le plus ses parents, c’est que le médecin avouait qu’il ne comprenait absolument rien à son mal ; ses joues étaient mates, il maigrissait à vue d’œil.

Grâce à quelques indiscrétions involontaires de Mimile, le médecin comprit enfin que Charlot était sous l’empire d’une idée fixe ; or, chacun sait que c’est là une maladie qui ne laisse pas que d’être très-dangereuse.

Toute la famille tint conseil. Mimile, poussé à bout, et dans l’intérêt de son ami, raconta toute la conversation de Charlot à la suite de leur promenade aux buttes Montmartre, et on apprit ainsi que la maladie de Charlot était son idée fixe d’aller en Amérique.

Que se dit-il ? quelle résolution prit-on dans cet entretien solennel, où le docteur lui-même assistait, et où de graves questions, toutes relatives à l’état extraordinaire de Charlot, s’agitèrent ? Nul ne le saura jamais, tous les assistants s’étant juré le secret.

Toujours est-il qu’après une nuit passée au chevet de Charlot, qui avait eu une sorte de délire, si bien que c’était à croire qu’il devenait fou, Mimile, profitant d’un moment où il n’y avait personne que lui dans la chambre de Charlot, lui dit confidentiellement qu’il était son homme et que, toute réflexion faite, il était prêt à partir avec lui pour l’Amérique et à le suivre jusqu’au bout du monde s’il le fallait.

D’un bond, le petit malade se dressa sur son lit.

« Vrai, Mimile, tu veux bien venir partout avec moi ? demanda-t-il à son cousin d’un air anxieux.

— Puisque cela te rend malade de rester ici, répondit Mimile, il le faut bien. »

Charlot sauta à bas de son lit, se jeta au cou de Mimile et l’embrassa à l’étouffer.

« Pauvre Charlot ! murmura Mimile.

— Partons tout de suite, le temps est si beau ! » lui dit Charlot tout bas à l’oreille.

On était au milieu de l’été.