Un budget du seizième siècle

UN BUDGET DU SEIZIÈME SIÈCLE.

PROLOGUE.

J’ai pensé à employer une fiction : c’est de réunir tous ces centons dans une seule harangue, que je suppose avoir été prononcée dans une de ces assemblées des États du temps de L’Hospital, à l’occasion d’un budget du seizième siècle ; ce cadre m’a fourni un moyen naturel de classer mes extraits, en les rangeant sous différens chapitres dont l’ensemble offre l’idée de l’état politique d’alors et de la manière dont on traitait les affaires publiques.

Plusieurs traits de ce tableau n’offrent sans doute aucune ressemblance avec l’époque où nous vivons ; mais, dans le nombre, il en est qui peuvent, même à présent, fournir d’utiles conseils et renfermer de fortes leçons. — Il y a de quoi surtout inspirer de la modestie à ceux des modernes qui seraient tentés de prétendre qu’ils ont les premiers élevé la voix en faveur des libertés publiques ! Nos pères les ont défendues aussi courageusement que nos contemporains ; mais hélas ! leurs voix éloquentes n’ont pu surmonter les cris de l’intolérance et de la barbarie !

Sachons leur rendre un légitime hommage en imitant leur patriotisme et leur vertu.

HARANGUE

DU

CHANCELIER DE L’HOSPITAL

SUR UN BUDGET DU XVI e SIECLE.

« Messieurs, il est sans doubte que le peuple reçoit grand bien des Estats-Généraux ; car il a cest heur d’approcher de la personne de son roy, de luy faire ses plaintes, luy présenter ses requestes, et obtenir les remèdes et provisions nécessaires.

« Aulcuns ont doublé s’il étoit utile et profitable aux roys de tenir les Estats, disant que le roy diminue aucunement sa puissance, de prendre l’advis et le conseil de ses subjets, et aussi qu’il se rend trop familier à eux : ce qui engendre mespris, et abaisse la dignité de la majesté royale[1].

« Telle opinion me semble avoir peu de raison.

« Premièrement, je dis qu’il n’y a acte tant digne d’un roy, et tant propre à luy, que tenir les Estats, que donner audience générale à ses subjets, et faire droit à chascung

« Davantage, les roys tenant les Estats oient la voix de la vérité, qui leur estoit souvent cachée par leurs serviteurs. Pour ceste cause, ung bon et ancien autheur les admoneste de lire les histoires et livres qui enseignent comme il faut gouverner les royaumes : car, par la leçon d’yceulx, les roys connoistroient ce que leurs amjs ne leur osent ou veulent dire.

« Combien de pauvretez, d’injures, d’injustices qui se font aux peuples, sont cachées aux roys, qu’ils peuvent ouyr et entendre, tenant les Estats î cela relire les roys de trop charger et grever leurs peuples, d’imposer de nouveaux subsides, de faire de grandes et extraordinaires despenses, de vendre offices à maulvais juges, de bailler évêchés et abbayes à gens indignes, et d’autres infinis maulx, que souvent par erreur ils commettent ; car la plupart des roys ne voyent que par les yeux d’autruy : et n’oyent que par les oreilles d’autruy : et au lieu qu’iiz deussent mener les autres, se laissent mener…

« Le bon roy Louys douzième prenoit plaisir à ouyr jouer farces et comédies, mesme celles qui éloient jouées en grande liberté, disant que, par là, il apprenoit beaucoup de choses qui estoient faites en son royaume, qu’aultrement il n’eust sçues…

« Ceulx qui disent : Le roy diminue sa puissance, ne le prennent bien…… Théopompe fut roy de Sparte ; il créa des magistrats qui furent appelés les éphores, et ordonna que les roys ne feroient aulcune chose d’importance sans leur conseil. Sa femme le tança, lui disant que c’estoit honte à luy de laisser à ses enfants la puissance royale moindre qu’il ne l’avoit reçue de ses prédécesseurs. A quoy répondit Théopompe : « Moindre n’est-elle, mais plus modérée ; et ores qu’elle fut moindre, elle sera par ce moyen de plus longue durée : car toutes choses violentes ne durent guères. »

« Quant à la familiarité, elle n’a jamais nuy aux roys de France. Il n’y a rien qui tant plaise et contente les subjets, qu’être cogneu et de pouvoir approcher de son prince. Si le roy pouvoit voir tout son peuple souvent et sans son incommodité, feroit très-bien de le voir et cognoistre[2].

« Il est vraisemblable que ceulx qui tiennent l’opinion contraire parlent plus pour eulx que pour le prince. Ce sont genz, peut-être, qui veulent seuls gouverner et conduire tout à leur vouloir et plaisir, qui craignent leurs faicts eslre cogneus par aultres, assiègent le prince et gardent que nul approche de luy.

« Car de vouloir dire que toutes grandes assemblées sont a craindre et dévoient estre suspectes : ouy, aux lyrans ; mais non aux princes légitimes, comme est le hostre ; et si nous regardons au tems passé, pour notre instruction à l’advenir, nous trouverons que tous les Estats qui ont été teneus ont apporté profit et utilité aux

princes, et les ont secourus à leur grand besoing.

I.

Observation des loix en général, et surtout de la loi fondamentale, gage de paix et d’alliance. In legibus salus.

« Tous Estats et républiques sont entreteneus et conservez par l’observation des loys ; et le mespris et violation d’icelles leur apporte ruyne.

(Veuillez bien mettre ceci en vos mémoires :)

« LE ROY NE VEUT RIEN CONTRE LES LOIX[3].

« C’est donc une frénésie bien ferme d’appeler capitulation la loj du prince qui conserve la juste liberté a ses subjets, les munit contre l’oppression, ratifie ce que long-tems y a que sa majesté et son conseil a arresté, octroyé, et ordonné, et au il faudroit de nouveau ordonner s’il étoit à faire ; et lui conserve le nom et le tiltre de bon prince. Mais c’est bien persécuter hostilement son prince, d’esloigner sa volonté par malins artifices d’une tant salutaire et sainte réconciliation, avec menace de l’abandonner s’il y veut entendre ; n’est-ce pas le tyranniser et opprimer ? Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/21 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/22 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/23 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/24 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/25 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/26 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/27 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/28 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/29 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/30 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/31 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/32 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/33 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/34 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/35 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/36 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/37 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/38 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/39 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/40 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/41 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/42 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/43 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/44 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/45 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/46 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/47 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/48 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/49 Page:Paris ou le livre des 101, tome 14, 1831.djvu/50

« Qu’est-ce qui enviera à la France son repos, et au Royce triomphe, d’avoir esteint un grand brandon de sédition ?

« Finissant donc cette triste et cruelle guerre (des partis), reluyra une très-joyeuse et très-aimable paix, qu’à bon droict j’appelleray une précieuse et sacrée conquête, laquelle rendra Sa Majesté très-redoutable à l’Europe, qui saura bienviste la grandeur de puissance quele Roy aura remis sous sa main, en appaisant les factions. »


Par cette harangue, lecteur français, apprends à connaître ce que doit être un véritable chancelier ; et quel grand homme ce fut que Michel L’Hospital !

DUPIN aîné. 
  1. Opinion du cardinal de Lorraine et des siens, lors de l’assemblée de Fontainebleau.
  2. Exemple pour les temps modernes : l’heureux voyage du roi, en 1828, dans les départemens du nord de la France.
  3. Volumus quod nostrae leges volunt. Novelle 82, cap. 13. — Voluntatem regiam in legibus habes. Cassiod. Var. lect. vii, 2.