Littérature2 nouvelle série (p. 20-21).


Un brillant sujet

Roman

à André Breton.

Un mobile animé d’une vitesse telle qu’il fait, selon le plan de l’Équateur et dans le sens inverse à celui de la rotation de la terre, une fois le tour de cette sphère, pendant que celle-ci se serait déplacée d’une quantité négligeable, se conçoit. Avec quelques figures et une bonne réputation, il n’est pas plus difficile de représenter le temps comme une spirale que le temps absolu ou la marche du temps, et un mobile parti d’un point à midi, passerait par 6, 0, 18 heures, et arriverait au midi du jour précédent, — et la suite.

Un ingénieur divorcé construit un appareil en forme d’œuf géant, qui, par des différences de température obtenues par l’électricité et sans influencer la température de la cellule ménagée à l’intérieur de cet œuf, est propre à remonter le courant du temps. Une inquiétude subsiste : on craint que le voyageur ne rajeunisse au cours de son expédition, on craint de trouver à la première station, un nourrisson, ou, si le voyage se prolonge, le père et la mère du voyageur, et peut-être toute son ascendance comprimée dans l’appareil.

Un jeune homme sentimental — soit Palentête — veut profiter de cette invention pour refaire sa vie. Il se propose de retrouver, sept ans en arrière, une maîtresse perdue, et de recommencer cette expérience autant de fois qu’il le faudra pour obtenir un amour réussi.

Départ de Palentête, arrivée de Palentête. Il pénètre dans l’appartement de sa maîtresse : « Moi prime ! s’écrie-t-il en se trouvant en présence d’un Palentête âgé de 20 ans, couché dans le lit de sa maîtresse. J’avais imparfaitement prévu l’intégralité du passé. Je suppose qu’en emmenant le Palentête, ici présent avec moi dans mon œuf, et qu’en faisant une station chaque année, je pourrai me recueillir à mes différents âges, et me confronter dans une même pièce avec une vingtaine de mes exemplaires de toutes les tailles ».

Rivalité de Palentête et de Palentête′. Palentête, fort de la connaissance de ce qui va se passer, supplante Palentête′. Désespéré, Palentête′ menace de se suicider. Effroi de Palentête qui redoute que ce suicide n’entraîne sa mort ; il cède la place à Palentête′ et remonte dans son appareil.

Désireux de se dégourdir les Jambes, Palentête s’arrête 23 ans en arrière, dans le même pays. Divers incestes sont consommés. Palentête a quelques raisons de croire qu’il est son propre père.

« Napoléon, Hannibal, les Pyramides ! Zut ! Passons au déluge ! » articule Palentête en s’appliquant sur la poitrine une machine à enregistrer les battements du cœur, afin de rester capable d’évaluer son âge. Palentête part à la découverte de la Genèse.

Incertain de rencontrer Dieu et impuissant à modifier un passé dont il est issu, Palentête s’applique à en créer de nouvelles versions, juste de quoi déconcerter ceux des hommes de son époque qui s’aventureraient à sa suite dans le passé et qui risquent de ne plus rien y rencontrer de conforme à l’histoire :

À la fin du règne d’Auguste, Palentête, après avoir parcouru six mois la province de Judée, découvre un enfant, Jésus de Nazareth, endormi sous un olivier ; il lui injecte du cyanure de potasse dans les veines.

Quelques années plus loin, il guette, pendant ses promenades, une fillette d’Égypte ; un jour qu’il l’aperçoit seule, il se jette sur elle et, avec sa pince à gaz, il lui mutile le nez. Cette fillette s’appelait Cléopâtre.

Faisant halte dans l’Amérique du sud, Palentête découvre à des hommes rouges l’usage de la vapeur et de l’électricité. On l’honore comme une divinité ; sur sa demande, on lui livre chaque mois 50 filles et 50 garçons.

Palentête enseigne dans les 5 continents le dogme du suicide obligatoire à 20 ans.

Palentête dépose entre les mains d’Homère la deuxième Aventure céleste de Monsieur Antipyrine de Tristan Tzara.

Palentête s’illustre par des prophéties sous différents noms : Ézéchiel, Jérémie, Isaïe.

Palentête n’est pas à l’abri des passions. Il s’éprend d’une courtisane hindoue. Supportant mal les excès du climat, Palentête saute par dessus les étés et consacre les saisons froides à la courtisane. Il se prend pour ses prémisses d’un tel goût qu’il ne couche plus avec elle une fois après l’autre, mais une fois avant l’autre, jusqu’à ce qu’elle en meure à l’âge de 7 ans.

Ses conserves alimentaires sont épuisées, Palentête est obligé de s’arrêter fréquemment. Il perd plusieurs mois à jouer la comédie de la divinité, pour se faire remettre des provisions. Une barbe blanche lui cache la poitrine. De vieillesse, Palentête meurt dans son œuf qui tourne encore.

Jacques RIGAUT.