J. Hetzel (p. 101-110).

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retraite de mac-clellan. — pope lui succède

Tandis que Lee s’efforçait de devancer son ennemi et demandait à Richmond les moyens de transport, les renforts, les munitions dont il manquait, Mac Clellan se défendait habilement et utilisait, pour couvrir sa marche, les difficultés du pays qu’il traversait. Il se jeta résolument dans un immense marais[1], que l’artillerie dut franchir sur une chaussée faite de troncs d’arbres coupés et rangés l’un à côté de l’autre. Impossible pour les assaillants de suivre les Fédéraux autrement que par ce chemin qui déjà disparaissait sous la boue, — à droite ou à gauche, le terrain leur manquait.

Cependant, chaque jour fut marqué par un combat. Le 29, ce fut à Savage Station, le 30, à Malvern-Hill, au bord de la rivière James, où l’armée fédérale retrouva l’appui de ses canonnières. Là s’arrêta la poursuite. Si le général Lee n’avait pas détruit son adversaire, il l’avait réduit pour longtemps à l’impuissance, il avait sauvé Richmond. Ce fut un moment de joie, telle qu’il en fallait à Lee pour adoucir l’amertume de sa patriotique douleur. « Sauf pour la défense de ma terre natale, avait-il écrit à Scott, j’espère ne plus jamais tirer l’épée. » Puisqu’il avait cru devoir prendre part à cette navrante lutte d’Américains contre Américains, c’était une consolation, une joie, fugitive peut-être, mais ineffable, d’avoir réussi à délivrer sa patrie des ravages de l’invasion.

Ajoutons que la guerre, depuis que le général Lee commandait en chef, avait pris un caractère de régularité qu’elle n’avait pas eu jusque-là. Il ne s’agissait plus des brusques convulsions de la première année, efforts mal réglés du sentiment national exalté. Maintenant, les Fédéraux trouvaient devant eux une résistance calme et forte ; ils devinaient, aux mouvements de l’armée, que la science d’un chef expérimenté la dirigeait : ils avaient la preuve, par ses progrès dans la discipline, par la modération dont ils voyaient les effets, qu’un esprit nouveau présidait à toutes choses.

Mac Clellan ne s’y méprit pas et, le 7 juillet, il adressait à son gouvernement un mémoire destiné à l’éclairer sur la position respective des partis, qui rappelle des principes de droit des gens que l’Amérique tendait à négliger, et que notre pauvre Europe semble, hélas ! avoir oubliés.

« Cette rébellion, dit-il, a pris le caractère d’une guerre régulière, elle doit être regardée comme telle, et conduite d’après les principes les plus élevés de la civilisation chrétienne. Quoi qu’il arrive, une telle lutte ne doit pas aboutir à l’asservissement du peuple d’aucun État ; elle ne doit pas non plus, en aucune façon, être une guerre contre la population, mais seulement contre les forces armées et l’organisation politique des États séparés. Les confiscations de propriétés, les exécutions politiques, le morcellement des États, l’abolition violente de l’esclavage, doivent être choses rayées de notre programme.

« À l’avenir, toute propriété particulière et toute personne sans armes devront être efficacement protégées… Tout objet requis pour l’usage de l’armée doit être payé… Le pillage et les déprédations inutiles doivent être traités comme des crimes réels, et les torts des militaires envers les habitants, rapidement punis…

« Le droit d’arrêter des citoyens ne peut être accordé à l’autorité militaire que sur le lieu même des hostilités actives. Cette autorité ne doit s’employer que pour maintenir l’ordre public et assurer l’exercice des droits politiques. »

Mac Clellan ajoutait : « Un système de conduite basé sur la légalité, adouci par l’influence chrétienne, inspiré par un esprit libéral, nous attirerait bientôt l’appui de tous les hommes vraiment honnêtes. Les populations rebelles, elles-mêmes, et les nations étrangères, en recevraient une profonde impression, et nous pourrions avoir l’humble espérance que notre conduite obtiendrait la faveur du Tout-Puissant[2]. »

Mac Clellan ne se bornait pas à prêcher le respect ou la pitié des adversaires, il en donnait lui-même l’exemple. Au début de la campagne, il s’était trouvé occuper la Maison Blanche, demeure où Washington avait connu celle qui devait être sa femme, où il s’était marié, et qui était alors la propriété de mistress Lee. Dès que Mac-Clellan sut à qui appartenait l’habitation, il en défendit l’entrée, et se retirant lui-même, alla s’établir dans les dépendances. Il est fâcheux d’avoir à ajouter que cette même Maison Blanche fut ravagée, pillée, puis brûlée le lendemain même du jour où Mac-Clellan la quitta, car les sentiments élevés du général avaient bien peu d’écho autour de lui. Un grand nombre des plus précieux souvenirs de Washington devinrent ainsi la proie des flammes.

Il semblait, du reste, que les plus chères retraites de la famille Lee fussent vouées à la ruine. Dès le commencement des hostilités, Arlington, servant de poste avancé aux Fédéraux, avait été dévasté, et les fréquents passages de troupes avaient achevé l’œuvre de destruction[3].

Mistress Lee, privée de tout mouvement par une paralysie prématurée, s’était réfugiée dans Richmond avec ses filles. Malgré ses infirmités, elle devait y prendre une grande part à l’organisation des secours aux blessés. Quant aux trois fils du général Lee, ils servaient dans l’armée : l’aîné, Custis, avec son père, le second, sous les ordres de Stuart ; le troisième, Robert, jeune homme de seize ans à peine, était simple volontaire dans le corps de Jackson. Mais il nous faut revenir à Mac Clellan.

Il aurait eu plus d’influence sur son gouvernement s’il eût été vainqueur. Son noble langage déplut après un revers : le commandement lui fut retiré et confié au général Pope.

Ce dernier n’avait ni la modération, ni le talent de son prédécesseur. Il voulut procéder par intimidation et la guerre prit sous lui un caractère de brutalité sauvage qu’elle n’avait pas connu jusque-là.

Le cœur saigne à la lecture de faits dont une récente expérience nous a révélé l’horreur. On croit retrouver la guerre de France et les procédés prussiens. Carte blanche fut laissée aux soldats à l’égard des habitants, des otages pris dans la population civile répondirent de la tranquillité du pays et nous retrouvons jusqu’à l’antipathie prussienne pour les francs-tireurs dans le refus de reconnaître comme belligérants les Bushwhackers (batteurs de buissons), soldats régulièrement enrôlés dans la cavalerie légère des Confédérés.

Ces cruelles mesures excitèrent l’indignation du général Lee, et avec l’approbation de son gouvernement, il s’adressa au secrétaire de la guerre à Washington pour signaler quelques faits odieux qui venaient de s’accomplir, et l’avertir des mesures qu’il allait prendre pour en empêcher le renouvellement.

Il prévint qu’à l’égard de Pope et de ses principaux officiers généraux, il regardait comme annulée la convention signée récemment pour l’échange des prisonniers, convention qu’ils avaient violée par des meurtres commis de sang-froid. « Mais, ajoute-t-il, le Président m’autorise à vous informer que nous n’entendons point user de notre droit d’infliger la peine du talion, nous ne voulons pas frapper des innocents, et nous continuerons à traiter comme par le passé les simples soldats de l’armée du général Pope.… Quoique les faits pussent justifier, de notre part, le refus d’exécuter le cartel par lequel nous avons consenti à libérer le surplus des prisonniers de guerre tombés en nos mains, une crainte sacrée de manquer à la foi jurée, nous empêche d’accepter, même pour un instant, l’apparence de la violation d’une promesse[4].… »

Cette lettre fut prise en considération, le général Pope se vit contraint de retirer ses ordres, et la guerre, déjà si désastreuse, ne fut plus aggravée, en Virginie du moins, par des mesures aussi cruelles. Ajoutons qu’il se trouva des officiers du Sud pour imiter Pope, et que la perversion du sens moral, fruit maudit d’une longue guerre, donna lieu dans la suite à reprocher aux deux partis des actes de barbarie également coupables, également odieux.

L’armée de Lee resta toujours étrangère à de tels excès[5]. L’ardente affection que les soldats éprouvaient pour lui les préserva, mieux encore que sa vigilance, de commettre des actes dont il eût vivement souffert dans sa conscience de chef, car il les considérait comme des crimes.

  1. White Oak Swamp.
  2. Le général Mac-Clellan au président Lincoln, lettre du 7 juillet 1862.
  3. Arlington fut peu après, par ordre du gouvernement de Washington, converti en cimetière. On estime à trente mille le nombre des soldats fédéraux qui y ont reçu la sépulture.
  4. Quartier-général de l’armée des États confédérés, près Richmond, 2 août 1862.
  5. Consulter à cet égard les rapports du colonel Freemantle, officier de l’armée anglaise, détaché à l’état-major de l’armée virginienne.