Un Roman légitimiste en Angleterre

UN


ROMAN LÉGITIMISTE.


LÉONIE VERMONT,
A Story of the Present Time, 3 vol. – London, 1849, R. Bentley.


When – and how.


Séparateur



La révolution de février a fait un grand nombre de légitimistes du lendemain. Les révolutions sont comme les persécutions ; elles ne convertissent aux idées qu’elles font triompher que des esprits impotens et des cœurs abjects. Les hommes de quelque valeur intellectuelle qui ont toujours éprouvé pour les doctrines radicales une aversion mêlée de dégoût ne pouvaient naturellement adorer l’idole sur son autel de barricades couronné du drapeau rouge. Les hommes qui connaissaient les meneurs du parti révolutionnaire et qui les méprisaient ne pouvaient raisonnablement accepter un évangile prêché par de pareils apôtres. Les événemens qui allument dans l’histoire les dates glorieuses à la lueur desquelles marche l’humanité ne s’accomplissent point par des mains comme celles qui ont trempé dans la révolution de février. Voir la France de saint Louis, d’Henri IV et de Louis XIV, de Bossuet, de Pascal et de Corneille, de Richelieu, de Colbert, de Turenne et de Napoléon, épouser le personnel du gouvernement provisoire ! À ce seul signe, il était impossible de se méprendre. Dès le premier moment, toute ame française a dû ressentir la révolution de février non-seulement comme un incalculable malheur, mais comme une humiliation sans mesure pour notre patrie. Alors un changement étrange s’est opéré dans bien des esprits ; les perspectives de l’histoire de ce dernier demi-siècle se sont soudainement déplacées. Nous avions été élevés à célébrer les bienfaits et la gloire de la révolution française, et nous avions espéré qu’elle avait enfin conduit la France dans un port de salut et de repos ; ces idées nous paraissaient établies au-dessus de toute discussion, elles étaient devenues en nous comme des préjugés de naissance, lorsque la révolution de février les a brutalement fauchées, ne laissant à la place qu’une déception honteuse et un doute plein d’effroi. Le procès de la révolution s’est rouvert aussitôt dans les consciences éclairées et honnêtes. L’impitoyable logique des faits a remis en question les principes que nous avions regardés jusqu’à ce jour comme incontestables. Nous avons cherché le point où la révolution a dévié. Nous avons vu qu’elle avait blessé au cœur ses œuvres légitimes et le génie de la France du même coup dont elle avait frappé le principe d’autorité et ses permanentes garanties La révolution de février était un châtiment ; tout châtiment contient une leçon ; toute leçon, une espérance. Pour ne pas désespérer de la France, nous nous sommes plu à la rêver telle qu’elle aurait pu être sans les fatalités révolutionnaires. Et voilà comment beaucoup de gens sont devenus légitimistes du lendemain.

Je ne sais ce qu’il adviendra de cette curieuse transformation ; mais, dans un temps où l’on fait pour se désennuyer des révolutions qui donnent le spleen, elle rompit, pour un moment du moins, la plate monotonie de notre existence. Je ne suis pas étonné qu’un esprit observateur, une imagination vive, une plume étrangère y ait trouvé le motif d’une intéressante étude de mœurs. Le roman qui a paru à Londres, il y a un mois, sous le titre de Léonie Vermont, est consacré à la peinture de cette nouvelle variation des esprits en France. Je ne serais pas surpris non plus que la lecture de Léonie Vermont fût fort recherchée en Angleterre. Je ne partage pas toujours la manière de voir de l’auteur de ce livre ; mais il est évident qu’il connaît la France, qu’il peint sur le vif, qu’il écrit dans notre mêlée. Puis les Anglais sont habitués au roman politique. Ils aiment à suivre, dans les combinaisons de la vie ordinaire, l’influence des affaires publiques. Au fait, c’est un attrayant spectacle que de voir derrière cet appareil artificiel de la politique l’homme véritable, celui qui travaille, qui sent, qui aime, qui doute, qui souffre, qui vit enfin. Le roman politique peut avoir l’intérêt des mémoires, avec ce double avantage de plus qu’il ouvre les coulisses pendant que la pièce se joue, et qu’il idéalise les caractères. Tandis que l’émeute nous arquebusait, que les clubs nous proscrivaient, que les journaux nous donnaient leur fatigante et infatigable parade de tous les matins, que l’assemblée constituante s’agitait et que Dieu nous menait, il y a toujours au-dessous des hommes qui vivaient ; il y avait les grands passionnés, ceux qui, dans cette époque misérable, ont eu le bonheur de s’absorber dans un religieux enthousiasme ou dans une tendresse infinie, il y avait les adolescens qui aspirent les fraîches joies de la vie, les innocens qui veulent être heureux, il y avait les vieux routiers, les endurcis, les éclopés, tous ceux qui vivent des basses préoccupations et des soucis vulgaires, ceux qui se croient sages et habiles, parce qu’ils ont atteint l’âge où chaque jour nous apporte une ride et une petitesse, une laideur et un vice. Eh bien ! je le répète, il est curieux de suivre l’enchevêtrement des choses générales et des destinées particulières, de voir comment les révolutions repétrissent les caractères et comment le sort des individus s’enroule aux vicissitudes de la société, d’observer cette jonction mystérieuse où un sentiment de la vie ordinaire devient une opinion politique et où les événemens publics produisent des drames domestiques. Certes, pour de pareilles études, la scène est riche depuis deux ans en France et en Europe, et pour les Anglais, ces dilettanti qui contemplent d’un lieu sûr nos orages, il y a là ample matière de romans politiques.

Je saisis donc avec empressement l’occasion que m’offre Léonie Vermont pour aborder quelques questions, je ne dis pas plus graves, mais plus positives que celles qui d’habitude naissent de la critique d’un roman. Je trouve dans Léonie Vermont, au milieu de sentimens excellens, à côté de plusieurs peintures fines, élevées et fidèles de notre société contemporaine, des jugemens qui me paraissent injustes, des appréciations que je crois légères, des préjugés qui, au moment où nous sommes, me semblent contraires au but que poursuit évidemment l’auteur. Ces injustices, ces illusions, ces préjugés, appartiennent moins, il faut le dire, au roman lui-même qu’au parti légitimiste, chez lequel ils sont trop répandus ; ils seraient funestes, encore une fois, à l’avenir de ce parti, funestes à la société dans laquelle ils perpétueraient les divisions qui nous tuent, si on ne les combattait très franchement et très énergiquement. Mais, avant d’entamer ce côté sérieux, qu’on me permette d’indiquer rapidement le plan et les caractères de Léonie Vermont.

Le roman commence à la fin du règne de Louis-Philippe. Le comte de Briancour, ancien émigré, ancien colonel de la garde royale, avait été un des amis les plus intimes et les plus dévoués de la branche aînée. La révolution de 1830, le dépouillant de ses emplois et de ses pensions, le réduisit aux revenus d’un mince patrimoine. Il vécut depuis lors dans son château avec son fils, sa fille et deux enfans d’un ancien militaire qui lui avait autrefois sauvé la vie, et qu’il avait recueillis au temps de ses splendeurs, Philippe et Léonie Vermont. La fille du comte, Isabelle, était restée veuve après un brillant mariage, et retourna chez son père. Philippe Vermont s’était fait peintre, et menait à Paris la folle vie d’artiste. Fernand de Briancour était parti le dernier du château paternel. Une éducation solitaire, l’oisiveté où le retinrent les opinions politiques de sa famille, donnèrent à son ame un tour rêveur et poétique. Quand il vint à Paris, un volume de vers lui fit une popularité élégante dans les salons que lui ouvrait son nom. Comme toutes les natures élevées, qui ne peuvent consentir à se désintéresser de leur temps, Fernand se sentit entraîné vers la vie active par le spectacle des affaires et des hommes. Un intérêt délicat l’y poussait d’ailleurs. Il voulait être indépendant de son père, car il aimait Léonie, et il n’espérait pas que le comte approuvât son mariage. Fernand sollicita un emploi diplomatique ; il était appuyé par une des grandes dames du monde parisien : la place lui fut promise. Une intrigue, ce qu’on appelait, du temps où nous n’avions pas de plus grands malheurs, un acte de corruption, la lui escamota. La révolution survint. Le vieux comte de Briancour était en ce moment à Paris, et eut la joie de voir la chute de l’usurpateur et d’entrer avec le peuple dans le palais du tyran. Philippe Vermont, l’artiste sensuel, le républicain concupiscent et envieux, devient un des meneurs du peuple, un des hauts fonctionnaires du gouvernement provisoire, un des chefs de club les plus violens et les plus influens. Fernand de Briancour est nommé représentant du peuple. Il pourra épouser Léonie Vermont, mais Philippe commande une bande d’insurgés dans les journées de juin : il se déshonore aux yeux mêmes de son parti ; il est condamné à une peine infamante. Léonie, ame noble et virile, craint de ternir d’une éclaboussure de honte le nom de Fernand de Briancour : elle s’immole et se fait religieuse. Fernand accepte cet holocauste. Je ne veux point faire de byronisme ; cependant, s’il y eut jamais temps où il fût permis de sacrifier une convenance à un sentiment, son intérêt à sa passion, c’est celui-ci ou pas un. Fernand reste dans la politique. Il est membre de l’assemblée législative ; il y appartient à cette fraction qui cherche à réconcilier les classes pauvres avec la société par un patronage religieux et des institutions charitables. Il est aussi de ceux qui entrevoient la fin de nos maux dans une restauration, laissant à la Providence le soin de répondre à la question décisive : When — and how, quand et comment ? On voit que ce canevas traverse toutes les scènes de notre histoire récente : il se prête à des épisodes nombreux. Je signalerai, entre autres, comme un des côtés les plus intéressans du roman, le caractère d’un ouvrier, Pierre Larcher, et le triste drame de ses malheureuses illusions politiques et de ses plus malheureuses amours.

Je disais donc que je reproche à l’auteur de Léonie Vermont de n’avoir point échappé à des préjugés fâcheux qui sont encore trop accrédités au sein du parti légitimiste. Au moment même où il y a dans le pays un mouvement favorable à ce parti, où des fractions de l’opinion qui lui ont été autrefois hostiles veulent oublier les anciennes divisions, où il faut enfin que tous les élémens sauveurs de la société s’unissent dans des sentimens de confiance mutuelles ; dans un pareil moment, si les légitimistes ne veulent pas trahir la cause commune, il faut qu’ils renoncent à des antipathies injustes, à des illusions puériles et à des habitudes de conduite maladroite.

La première concession qu’ils devraient faire au moins aux nécessités de notre temps, ce serait de répudier les vieilles calomnies qu’ils ont répétées pendant dix-huit ans contre le gouvernement de juillet. Je comprends que l’origine du gouvernement de juillet leur ait causé un mortel déplaisir. Hélas ! pourtant dans cette France, qui depuis soixante ans a reçu du hasard, des révolutions ou de l’étranger, dix ou douze gouvernemens différens, il faudrait être stupide pour garder rancune à un pouvoir quelconque, surtout lorsqu’il est tombé, du vice de son origine. Ce que je ne plus souffrir c’est de voir encore jeter l’injure et le mépris, aujourd’hui, après l’expérience criante des deux dernières années, à la moralité de la politique du régime de 1830. J’avoue, par exemple, que je ne garde pas mon sang-froid quand je l’entends accuser de corruption. Certes, les hommes qui ont dirigé ou soutenu la politique de 1830 ont eu un grand tort : c’est de se laisser impunément insulter pendant dix-huit ans. On les accusait d’abaisser la France vis-à-vis de l’étranger. Eux qui la sentaient se relever peu à peu, par l’ordre et la prospérité intérieure, de l’abaissement et de la faiblesse où les révolutions plongent toujours un pays, ils laissaient dire. On les accusait de favoriser les intérêts matériels ; eux qui espéraient qu’une société laborieuse et économe se moraliserait en pansant ses blessures, ils laissaient dire. On les accusait d’être corrompus, et eux, sûrs de leur désintéressement, trop fiers pour se sentir atteints par l’outrage, ils souriaient ; ils savaient que la calomnie est une arme inévitable dans les combats de la liberté, et pour l’amour de la liberté ils méprisaient la calomnie, comme les hommes de guerre saluent sur le champ de bataille les boulets qui leur apportent la mort. Se laisser accuser injustement quand on a le pouvoir, ce peut être une erreur de magnanimité ; mais, vaincus, on ne peut tolérer une injure qui retombe sur tous ceux qui, à tous les degrés de la société, étaient unis, par leurs services, par leurs vœux ou par leurs espérances, au régime constitutionnel de 1830.

Quand je lis Léonie Vermont, ou si j’écoute les conversations des légitimistes, le plus gros crime qu’on impute à la monarchie de juillet, c’est la corruption : on cite quelques faits particuliers, on parle de la distribution des places livrée à l’abus des influences. Poussons à bout l’accusation. Je connais trois sortes de corruption : il y a la corruption individuelle, qui tient à la faiblesse et à la dépravation de notre nature ; celle-là est un venin que chacun porte en soi, et la religion elle-même désespère de l’extirper du cœur de l’homme. Il y a la corruption politique produite par certaines institutions : celle-là est inhérente au tempérament des peuples ; elle est la faute de leur histoire. Il y a la corruption générale des mœurs : celle-là tient a l’esprit, aux idées et aux passions qui dominent une société. Je nie, en serrant de près la question, que sur ces trois chefs aucun parti en France ait le droit de se proclamer, je ne dirai pas moins coupable, mais aussi innocent que celui qui a été vaincu en février.

Je prends la première catégorie, celle des fautes individuelles, des crimes personnels. Certainement la fatalité qui accumula l’explosion de plusieurs scandales sur la dernière années du règne de Louis-Philippe a contribué, grace à la malice des partis, à troubler l’opinion publique et à préparer la révolution ; mais ce qui n’est permis à personne, ce qui est interdit aux légitimistes surtout, c’est de prétendre qu’ils l’aient justifiée. Est-ce donc la première fois que de grands crimes ont consterné les hautes régions de la société sous les gouvernemens même les plus grands et les plus prospères ? Ne se souvient-on pas de ces empoisonnemens où furent compromises, sous Louis XIV, grandes dames et des princesses ? N’est-ce pas Saint-Simon qui a dit, à propos de cette effroyable épidémie du poison, qu’il y a des modes de crimes, comme d’habits ? » L’Angleterre n’a-t-elle pas eu des ministres corrompus, des grands seigneurs déshonorés sans que ses institutions en aient été ébranlés ? Je sais que d’autres fois des malheurs pareils ont servi au renversement d’institutions affaiblies. Ils ont pu être une arme aux mains des démolisseurs, ils n’ont jamais été un argument contre leurs victimes. Avec les quinze louis qu’il se laissa prendre par Mme Goësman, Beaumarchais porta un coup terrible à l’ancienne magistrature française ; les légitimistes trouvent-ils que la vénalité d’une femme suffisait à déshonorer un parlement ? L’affaire du collier a perdu Marie-Antoinette ; parce qu’un cardinal libertin se laissa leurrer par une fille, les légitimistes croient-ils que l’opinion publique et le tribunal révolutionnaire ne furent point injustes envers cette si noble et si belle et si imprudente reine ?

L’auteur de Léonie Vermont insiste davantage sur la seconde corruption, celle qui tient au mécanisme politique, sur la distribution des places. Plusieurs chapitres de Léonie Vermont sont consacrés à la description d’une course au clocher dont le théâtre est le salon d’un ministre ou de son chef de cabinet, dont les acteurs sont un député qui veut pousser son fils, et une noble dame qui s’intéresse à un noble jeune homme, dont le but est le poste diplomatique recherché par Fernand de Briancour. L’influence du député l’emporte, et cela paraît fort immoral à l’auteur de Léonie Vermont. Ici il y a plusieurs choses à remarquer. D’abord, comme le disait énergiquement un écrivain du XVIe siècle, « les places se sont toujours données à l’appétit. » En second lieu tant que nous aurons des institutions représentatives, c’est-à-dire tant qu’une influence politique supérieure pèsera d’une assemblée sur l’administration, il est mathématiquement inévitable que le choix des fonctionnaires ne dépende de ceux qui posséderont cette influence. Les révolutions ne feront rien à cela ; la république n’y a rien changé. On ne se plaint de cet arrangement des choses, on ne réclame contre cet usage naturel des influences que lorsqu’on n’a pas de sujets de récrimination plus sérieux, et que le pays s’ennuie, comme disait M. de Lamartine ; mais aujourd’hui M. de Lamartine nous a procuré de l’amusement, et comme au surplus on a fait assez récemment la curée des places, on ne se récrie pas encore contre l’action des députés, on ne déclame pas encore contre la corruption. Troisièmement enfin, tant que la distribution des emplois sera confiée à des hommes, il est impossible que cette combinaison de relations personnelles, de goûts réciproques, d’intérêts communs que les mécontens appellent faveur ou corruption, n’y ait un poids décisif. Mon Dieu ! les solliciteurs pousseront toujours l’enchère à la façon des plaideurs de Racine :

— Monsieur, je suis cousin de l’un de vos neveux.
— Monsieur, je suis bâtard de votre apothicaire.

L’auteur de Léonie Vermont paraît préférer l’influence des femmes à celle des députés ; je ne l’en blâme point. Je reconnais qu’il y a eu des temps où les femmes ont été plus influentes que sous le règne de Louis-Philippe, sous la restauration par exemple, sous l’ancien régime, sous le directoire aussi. Que l’auteur de Léonie Vermont y prenne garde cependant ; cette influence aussi était appelée corruption, corruption souvent plus immorale que l’autre, je suppose. On s’en est plaint dans tous les temps, témoin ces paroles que je trouve, dans les Commentaires de Blaise de Montluc ; le vieux capitaine gascon les adressait à Charles IX : « Je voy que le premier qui vous demande un gouvernement de quelque place, une compagnie de gens-d’armes ou gens du pied, un estat de maistre de camp, sans considérer quelle perte et quel dommage peut advenir à vostre royaume et à vostre personne propre ; facilement vous l’accordez, voire mesme à la requeste de la première dame qui vous en prie et qui vous aura peut-estre entretenu le soir au bal ; car, quelques affaires qu’il y ait, il faut que ce bal trotte. Sire, elles n’ont que trop de crédit dans vostre cour. »

Anciens constitutionnels et légitimistes, chassons donc de nos conversations et de nos romans ces accusations injustes qui ne prouvent rien, parce qu’elles prouvent contre tout le monde. Nous avons à nous occuper de maux plus sérieux. Il y a en effet dans notre société et dans notre époque une corruption plus réelle et plus générale ; elle est dans les idées, et par les idées elle envahit les mœurs. La grande corruption de la France actuelle est la concupiscence sans bornes de l’esprit et de la chair érigée de toutes parts en philosophie, en économie sociale, en politique, elle est dans cette indocilité des intelligences auxquelles on a enseigné à mépriser toute autorité, elle est, dans cette fièvre des besoins, et des désirs à qui l’on a prêché qu’ils devaient se satisfaire même aux dépens des lois sociales. Tous et tour à tour nous sommes la proie du grand tentateur qui domine la civilisation moderne. À chacun dans son ambition et dans sa convoitise, il dit : Tu es souverain. — Philosophe, affronte sans trembler toutes les hardiesses de la spéculation ; — citoyen ; fie-toi à ton sens propre, n’aie foi qu’en ton opinion, institue-toi juge et redresseur du pouvoir ; — homme, ton premier droit est le droit au bonheur ; les lois morales, ce sont les vœux de tes penchans ; n’obéis pas, sois ton maître et tu seras grand. – Il y a long-temps que cette tentation a fait monter l’ivresse à la tête de la société. « La liberté qu’on se donne de penser tout ce qu’on veut, disait déjà Bossuet, fait qu’on croit respirer un air nouveau ; on s’imagine jouir de soi-même et de ses désirs, et dans le droit qu’on pense acquérir de ne se rien refuser, on croit tenir tous les biens, et on les goûte par avance. » Au XVIIIe siècle, les classes supérieures de la société, celles dont les légitimistes gardent l’héritage, s’abandonnèrent à ce délire, en 1789, la bourgeoisie en fut possédée ; aujourd’hui, il est descendu dans les masses. Il y a d’ailleurs, dans le génie français, dans sa légèreté, dans ses entraînemens, dans ses graces, tant de points corruptibles ! L’atmosphère moral que la civilisation du XVIIIe siècle nous a laissée et que les révolutions ne détruiront plus a des parfums subtils, des vapeurs amollissantes, des mirages sensuels qui attirent, caressent et tour à tour endorment ou embrasent les ames. Les étrangers sentent bien, en arrivant chez nous, ces pénétrantes effluves ; les Anglais qualifient avec énergie ce perfide enchantement, lorsqu’ils appliquent à la physionomie de Paris le mot meretricious. Il y a un moment de la jeunesse où le charme de ces séductions, un aspect de ce beau Paris, de ce Paris si aimé que nous avons connu dans le faste de son opulence et dans la sécurité de ses plaisirs, une simple vue du boulevard par une de ces belles journées d’hiver qui répandent dans les rues toutes les élégances et tous les luxes, à l’heure où le portique de la Madeleine se glace de teintes roses, et où, au loin, à travers la brume violette, les vitres frissonnantes lancent des étincelles rouges au soleil couchant, il y a un moment de la jeunesse où cette vue donne la fièvre, où, lorsqu’on a pris la liberté de penser tout ce qu’on veut, on veut en effet jouir de soi-même et de ses désirs. Il y a dans l’existence des classes inférieures un moment où le spectacle des délices matérielles les rend folles, où elles aussi elles prennent la liberté de penser ce qu’elles veulent, où, croyant avoir le droit de ne se rien refuser, elles veulent pareillement tenir tous les biens et les goûtent par avance.

J’ai lu des pages dans Léonie Vermont où cette corruption qui veut envahir les classes populaires et la tentation exercée sur elles par le Satan démocratique sont peintes avec beaucoup de finesse et d’énergie : c’est la scène où Fernand et un Anglais de ses amis entendent, dans un restaurant de Saint-Cloud, la conversation de l’ouvrier représentant du peuple, qui dépeint la fascination invincible et énervante exercée sur lui par les délices du monde supérieur dans lequel l’a un moment introduit sa soudaine élévation. Telle est la corruption par où finissent les civilisations usées, mais celle-la, à qui l’imputer ? quels sont aujourd’hui la classe et le parti qui n’y ont point contribué ? Il n’y a qu’un moyen de combattre cette infatuation d’orgueil et de révolte et l’ivresse sensuelle qu’elle allume, c’est le respect pratique de l’autorité, le culte des idées d’ordre et de hiérarchie. Si le parti légitimiste a une valeur réelle, une force, un prestige encore dans ce pays, c’est parce qu’il paraît devoir être le dépositaire le plus naturel des traditions hiérarchiques et du respect qui unit par un lien anobli l’obéissance à l’autorité. Il est malheureusement certain cependant que, durant dix-huit ans, la portion militante du parti légitimiste a été infidèle à cette haute vocation. Pendant dix-huit ans, autant que les vices du temps le leur ont permis, les hommes qui ont été à la tête du gouvernement de 1830 ont travaillé avec ardeur à relever ce qui restait encore en France du principe d’autorité ; pendant dix-huit ans, ils se sont efforcés, quoi qu’en puissent dire d’aveugles ennemis, avec un courage et un talent que l’histoire admirera, d’opposer une dernière digue morale à l’esprit de révolte et de destruction ; pendant dix-huit ans, le parti légitimiste leur a fait une guerre révolutionnaire. Dans les ruines que la révolution de février a montrées d’un rapide éclair semées sur la France, le parti légitimiste peut s’attribuer une large part. Défenseur de l’autorité en théorie, dans la pratique, le parti légitimiste n’a cessé de lui porter les coups les plus violens. Il n’a pas compris qu’aujourd’hui plus que jamais le pouvoir doit être fortifié par des exemples et par des actes ; il a méconnu cette haute responsabilité sociale qui, suivant ses doctrines traditionnelles, investit le pouvoir, non pas un pouvoir idéal et abstrait, mais le pouvoir existant, d’un caractère sacré ; il a jeté tous les jours au pouvoir la diffamation et le mépris, il a provoqué par les paroles séditieuses les actes séditieux. Couvrant une passion du nom d’un principe, il n’a cherché qu’à se venger d’une révolution par une révolution. Il avait des représentans dans l’émeute de février, et, comme le rapporte l’auteur de Léonie Vermont, au sac les Tuileries, dans le lieu même où Louis XVI et Marie-Antoinette furent abreuvés d’outrages, un jeune homme qui porte un grand nom légitimiste joue une polka aux chahuteurs de l’orgie révolutionnaire. S’il y a dans le parti légitimiste des hommes qui, aujourd’hui même, ne comprennent pas et ne regrettent point les fautes qu’ils ont commises alors contre la société et contre la France, les honnêtes gens, les hommes qui ont défendu en tout temps, sans autre parti pris et sans arrière-pensée, la liberté, l’ordre et l’autorité, ne seront jamais avec eux. Qu’ils continuent aujourd’hui, ces légitimistes-là, le rôle qu’ils ont joué sous Louis-Philippe ; qu’ils flattent les mauvaises passions et les préjugés populaires, qu’ils offrent au socialisme des amorces, comme ils ont, pendant dix-huit ans, tendu à la démocratie le suffrage universel, qu’ils caressent avec un machiavélisme imbécile certains révolutionnaires de notre temps, comme leurs pères, en 1815, courtisaient le régicide Fouché ; qu’ils s’allient maintenant avec les rouges, comme ils se sont unis avant février, aux républicains, traîtres au nom qu’ils portent, que du moins ils ne s’avisent pas d’accuser personne d’avoir travaillé autant qu’eux à la corruption de la France !

Si les légitimistes ne veulent pas repousser les seuls hommes avec lesquels ils puissent faire des alliances honorables pour eux et utiles au pays, qu’ils y prennent garde, ils doivent renoncer aux injustes accusations qu’ils ont portées trop long-temps contre les hommes du régime de 1830. Il faut que les légitimistes oublient beaucoup, car ils ont beaucoup à faire oublier. Dans les vieux ressentimens des partis, il y a du reste d’étranges anachronismes. Lorsque les luttes des partis ont été ardentes et ont duré long-temps, elles s’enveniment d’animosités personnelles qui entretiennent encore les divisions même après que les motifs en ont disparu. Je comprends que quelques-uns des légitimistes qui ont pris part aux luttes de la restauration aient gardé contre les hommes éminens du parti libéral qui étaient alors leurs adversaires, et ont paru diriger la révolution de 1830, des ressentimens difficiles à déraciner ; mais ne serait-il pas absurde que les deux partis conservassent comme un héritage les haines d’une autre époque ? On ne réfléchit pas assez que le temps change le personnel des partis. Les hommes qui ont aujourd’hui quarante ans étaient encore dans les écoles lors de la révolution de juillet ; les hommes qui ont aujourd’hui trente ans entraient à peine au collége en 1830. Ces deux générations sont la force de la France actuelle, elles n’ont rien à démêler avec les querelles de la restauration, qui ont laissé tant d’amertume dans l’ame des légitimistes de cette époque. Parmi les hommes de ces générations qui sont entrés dans la vie après 1830, il est incontestable que la majorité des jeunes gens instruits, sages, honnêtes, laborieux, s’était ralliée au régime constitutionnel : en choisissant leur parti, ils ne subissaient l’influence d’aucun antécédent d’intérêt, de passion, de fidélité : ils obéissaient simplement aux dictées de leur raison et de leur patriotisme. Ils voyaient devant eux des institutions établies, un gouvernement organisé, — au-dessous une société qui avait besoin d’ordre pour guérir ses blessures, une société libre, prospère, qui semblait ne demander que de la paix et de la sécurité pour continuer ses développemens et réaliser tous les progrès. Ils voyaient l’ordre, la paix, la sécurité menacés par des républicains et des socialistes qui brûlaient de faire subir à la France de cruels déchiremens et d’effrayantes épreuves. En honneur et en conscience, que devaient-ils faire ? Fallait-il rester à l’écart, déserter la cause des institutions et du gouvernement chargés de défendre la société, se désintéresser des affaires de son pays, se borner à prévoir, à souhaiter peut-être, à laisser du moins s’accomplir le naufrage de la société, dans le morose espoir qu’un principe incertain ressusciterait au-dessus du cataclysme ? Non, pour l’honneur de l’élite de la jeunesse française, elle n’a point choisi cette lâche et chagrine inertie. Dans l’armée, dans l’administration, dans la politique, elle s’est associée modestement, laborieusement et consciencieusement au régime libéral et conservateur de 1830.

Notre lot à nous, enfant de cette génération, a été, je le sais, triste et sévère. Nous n’avons pas eu pour nous les ardeurs de l’enthousiasme, l’éclat des aventures, les grandes prouesses du talent, les fanfares de la popularité, si douces aux jeunes cœurs. Nous n’avons connu que les devoirs obscurs, les services arides, la muette discipline des carrières sérieuses et des fonctions inférieures. Nous n’avions pas même, si j’ose le dire, le bénéfice de nos vertus. Aux yeux mêmes de ceux que nous servions, notre modestie passait pour médiocrité d’esprit, notre dévouement quelquefois pour ambition vulgaire. Un de nos hommes d’état dont la jeunesse a été des plus brillantes sous la restauration me disait, peu d’années avant la révolution de février, en se plaignant de la stérilité de notre époque en jeunes renommées : « Les jeunes gens de votre temps sont très estimables ; ils ont des qualités solides. Ce sont d’excellens sous-préfets. » Je me souviens de l’étonnement naïf que témoignait devant moi un de nos orateurs les plus éloquens en parlant à un très jeune écrivain qui défendait le dernier ministère de la monarchie de juillet. Il n’en revenait pas. « Vous voulez donc être préfet ? » lui dit-il avec assez d’impertinence. Hélas ! l’écrivain n’est que trop vengé aujourd’hui. Le grand orateur, et ce fut un de ses plus beaux triomphe, le triomphe de la conscience et de la sincérité, s’est publiquement repenti de l’opposition, pourtant si loyale et si noble, qu’il avait faite lui-même sous le régime déchu.

La portion de la jeunesse qui avait adhéré à la royauté constitutionnelle de 1830 a servi une cause vaincue ; mais, dans ses intentions et dans l’accomplissement de ses devoirs, elle ne s’est point trompée. Je me demande quel intérêt pourrait avoir le parti légitimiste à la froisser, à l’éloigner de lui, en attaquant un passé auquel cette jeunesse est attachée par des souvenirs honorables et des affections qu’une révolution ne fait que rendre plus pieuses et plus chères. Le parti légitimiste s’est renouvelé, lui aussi, de plusieurs générations. Nous avons dans son sein des contemporains d’âge, d’études, nous pourrions presque dire des compagnons de sentimens, de goûts, de tendances. Cette jeunesse légitimiste, placée dans un parti par la naissance et les traditions de famille, ne s’est pas mêlée aux violences de la politique ; comme nous, elle est pure des ressentimens aigres et injustes que laissent dans les cœurs les anciennes luttes. Jusqu’à la révolution de février, elle a cherché un noble aliment à son activité dans la défense des intérêts religieux et dans le patronage des institutions charitables. Nous nous sommes souvent rencontrés avec elle dans les œuvres qui ne font appel qu’aux généreuses émulations de l’esprit ou à la foi du chrétien. Entre elle et nous, l’alliance est naturelle, elle est facile, elle est faite. Que ceux qui ont plus vécu dans le passé qu’ils n’ont à vivre dans l’avenir aient assez de clairvoyance et de patriotisme pour ne pas rallumer les dissentimens que le temps efface entre les hommes que le temps rapproche.

Quelques passages de Léonie Vermont se ressentent un peu de l’esprit de présomption que des actes récents d’une certaine fraction du parti légitimiste ont trahi avec un fâcheux éclat. Certains légitimistes tirent du nom même qu’ils portent une fatuité très maladroite. Ils croient posséder, c’est à peu près leur langage, le principe, le seul principe qui puisse terminer les douloureux ébranlemens de notre pays. On a besoin de nous, disent-ils ; on sera forcé de venir à nous. Et là-dessus ils pensent pouvoir se dispenser de dissimuler leur dédain pour les fractions considérables du parti de l’ordre qui n’ont pas eu l’insigne bonheur de recevoir à la naissance le baptême légitimiste ou de ne jamais varier dans l’orthodoxie. Cette morgue est commune à tous les partis exclusifs ; elle n’est pas nouvelle chez les légitimistes. Nous l’avons vue briller très récemment au front des républicains de février ; avec quel aplomb et quelle magnanimité polie ces citoyens n’invitaient-ils pas la France à faire exclusivement à leur profit la première épreuve du suffrage universel ! La république, disaient-ils, est désormais le seul abri de la France ; la république ne peut être constituée que par des républicains : de républicains, il n’y a que nous ; nous sommes assez peu nombreux pour être bien connus : électeurs, nommez-nous. — Nous avons été témoins du beau succès de cette prétention. La même chose s’était passée aussi en 1815 pour les ultras du temps. Je lisais dernièrement un curieux livre sur cette époque, l’Histoire de la session de 1815, de M. Fiévée. Cet écrivain doit être peu suspect, j’imagine, aux royalistes ; il faut voir pourtant avec quelle finesse il se raille de ces braves, émigrés se disputant entre eux l’honneur d’avoir quitté la France les premiers et d’y être rentrés les derniers. Il semblait que la restauration fût leur bien, leur chose. Combien de temps elle leur appartint, on l’a vu. C’est que, dans la situation politique et morale où se trouve la France depuis soixante ans, ce que les partis exclusifs, absolus, regardent comme un privilège, est, au contraire, un de leurs torts aux yeux de la masse de la nation. La majorité de la France a certains sentimens, certaines tendances, certaines humeurs, certains préjugés, si l’on veut, mais elle n’est enrôlée à aucun parti absolu : elle n’est ni républicaine, ni légitimiste. Elle redoute même les partis exclusifs, parce que ces partis, prétendant la régir au nom d’un principe absolu, ont l’air, au jour de leur triomphe, de la vouloir traiter comme leur conquête.

Bien loin donc de regarder ce qu’ils appellent leur principe comme un avantage qui les rend arbitres de l’avenir, les légitimistes soulèveraient moins de défiances, s’ils en faisaient moins ostentation. Qu’ils n’espèrent pas l’imposer de haute lutte, comme une de ces nécessités qui révoltent toujours la fierté du peuple obligé de les subir par la trahison des événemens. Pour que la Providence réserve un jour dans l’avenir aux principes légitimistes, il faut que les hommes de ce parti y aient préparé l’opinion du pays par un large esprit de conciliation, par une alliance sans réticence et sans arrière-pensée avec tous les partis dévoués au maintien de l’ordre. Parce que la révolution de février a un moment dispersé les intérêts, les opinions, les hommes qui s’étaient groupés autour du gouvernement de 1830, qu’ils ne s’imaginent point que l’œuvre de ces dix-huit années soit abolie dans la conscience et dans l’ame du pays. Après les surprises révolutionnaires, après les essais nouveaux, il viendra un jour, nous vous le prédisons infailliblement, où le règne de Louis-Philippe réveillera en France des regrets avec des souvenirs. On se souviendra de ces dix-huit années de vie libre, de mœurs douces, de travail prospère et de progrès pacifiques ; on se souviendra des hommes qui consacrèrent leur courage, leur talent et leur vie à faire à la France ces courtes années de bonheur ; on se souviendra surtout de cette famille royale si vaillante et si patriotique dans ses jeunes princes, si charitable, si vertueuse, si pieuse dans ses princesses ; on se souviendra aussi de celui que, dans cette noble famille, on nommait le père, de ce roi tant de fois sacré par les balles des régicides, qui furent les éclaireurs de la révolution de février.

Pour ceux qui ont le droit de s’appeler légitimistes, je ne sais aujourd’hui qu’une manière de justifier leur nom. Si ce parti représente un principe grand et vrai, c’est le principe de l’autorité et du respect. L’hérédité monarchique n’en est qu’une conséquence. Le droit divin, le droit national que l’on invoque ne sont que des argumens variables avec le temps, par lesquels on s’efforce de rajuster la conséquence au principe. L’hérédité est une garantie pour la perpétuité et la majesté du pouvoir. Je crains que, par une fausse position trop long-temps prolongée, les légitimistes n’inclinent trop encore à sacrifier le but aux moyens, la force et l’honneur du pouvoir à la question héréditaire. Il y a des époques de troubles dans l’histoire des peuples monarchiques où la transmission héréditaire s’interrompt, où, dans la confusion universelle, le droit du plus brave et du plus digne fonde des légitimités nouvelles. Il est permis de croire, je présume, que l’époque où nous sommes, où, dans le cours de la vie d’un homme, on a vu la France changer dix ou douze fois de gouvernement, est un de ces temps. Or, durant ces crises, le premier devoir des défenseurs du principe d’autorité, des vrais légitimistes, est de penser plus au dieu qu’au prêtre, et de défendre l’autorité dans l’homme qui la représente, tant que cet homme ne la laisse pas s’avilir dans ses mains. Mais faire au pouvoir existant une opposition impatiente, inconsidérée, systématique ; contribuer à dégrader l’autorité, en combattant à l’étourdie ses dépositaires, en incriminant leurs actes sans en connaître les motifs et avant d’en avoir pu apercevoir la portée, se livrer contre le pouvoir à ces attaques quotidiennes d’épilepsie qui constituent malheureusement ce qu’on appelle, chez nous, la liberté de discussion et la liberté de la presse, — quand on agit ainsi, on a beau se parer d’un nom historique, on a beau se donner comme un disciple de M. de Chateaubriand, parce qu’on écrit comme M. d’Arlincourt, — quand on agit ainsi, on n’est pas légitimiste, on est révolutionnaire.

Je regrette que ces réflexions, en m’entraînant un peu loin de Léonie Vermont, m’aient empêché de rendre justice au talent que révèle ce livre et aux intentions généreuses qu’il manifeste. Je ne voudrais pas pourtant que l’on attribuât à ce roman toutes les fausses tendances légitimistes contre lesquelles je me suis élevé. Ce qui domine plutôt dans Léonie Vermont, c’est, sous une forme chaleureuse et élégante, la meilleure partie de l’esprit légitimiste, celle que j’ai signalé tout à l’heure : un sentiment religieux élevé, une sollicitude éclairée et sincère pour les classes pauvres.


Eugène Forcade.