Un Problème de morale et d’histoire - Les Borgia/02
A partir de l’année 1498, une entreprise unique a occupé la vie d’Alexandre VI : faire de César le grand despote de l’Italie. Dès ce moment, l’on pourrait, dans la série des papes, retirer le nom du prince régnant et le remplacer par celui de la famille pontificale; jusqu’au mois d’août 1503, ce sont les Borgia qui président à l’histoire tragique du saint-siège. C’est pourquoi, avant de montrer la suite de cette histoire, je dois décrire la partie morale du problème que je me suis proposé d’expliquer, et demander aux témoins du règne les élémens d’une enquête psychologique sur Alexandre VI et son fils.
L’histoire n’a affaire, en effet, qu’à ces deux personnages. Don Juan a disparu trop tôt, ne laissant aucune trace, bonne ou mauvaise, dans ces dernières années du XVe siècle italien. Don Joffré se trouvera trop jeune orphelin ; il n’aura pas le temps d’entrer en scène et d’essayer un rôle viril entre son père et son frère. Quant à Lucrèce, dont la tradition romanesque a si gravement altéré la figure véritable, il faut renoncer à voir en elle une Messaline, une Frédégonde ou une Théodora. En tout pays et en tout temps, elle paraîtrait bien pâle et bien effacée ; mais en pleine renaissance, et à l’heure la plus violente de la tyrannie, elle semble absolument neutre. Elle n’a rien de la virago, de la femme d’action héroïque, telle que fut Catarina Sforza, comtesse de Forli ; rien non plus de la femme de haut esprit et de raison supérieure, telles que furent Victoria Colonna et Isabelle de Mantoue. En elle, tout est fuyant, indécis, timide, l’esprit comme le visage, avant tout le caractère. Il est facile de plaider sa cause ; elle fut, dans les mains de son père et de son frère, comme une cire molle, une esclave gracieuse, que l’éducation n’a point formée à la pudeur, à la dignité délicate de la femme, très douce, résignée d’avance aux plus navrantes aventures, qu’une sorte d’inconscience morale lui rendait moins douloureuses. Elle dut s’habituer à la souffrance, comme elle s’habitua à l’étrange spectacle de la cour paternelle ; dans le billet qu’elle écrivit d’une main mourante à Léon X, on entend comme la plainte tranquille d’une malheureuse à qui son passé a laissé une impression de mélancolie plutôt que d’effroi. En réalité, Lucrèce n’a pas d’histoire ; sa vie tiendrait en trois pages. Grégorovius, dans sa Lucrèce Borgia, a reproduit l’ensemble historique de la famille, décrit Rome, Spolète, Pesaro, Ferrare, les entrées princières, les fêtes du palais apostolique, les traits généraux de la renaissance romaine autour d’Alexandre VI et de la civilisation italienne dans la maison des Este. Lucrèce passe souvent, comme une comparse, sur ce théâtre singulier ; elle y tient même, pendant quelques jours, la régence du royaume de l’Église, sous la direction du vieux cardinal de Lisbonne ; avec son troisième mariage, qui devait, comme l’avaient fait les premiers, aider au plan politique des Borgia, elle s’enfonce enfin en une région vague où l’histoire ne peut plus la suivre. L’Arioste alors a célébré ses vertus dans une octave de l’Orlando furioso ; elle n’avait jamais été Bradamante, mais elle n’était plus Angélique ; le poète la proclamait très chaste, parce qu’elle n’avait plus de faiblesses ; les Borgia étaient morts, et sur la duchesse Lucrèce de Ferrare, qui avait toujours échappé aux historiens et n’appartenait déjà plus aux moralistes, il ne restait à écrire qu’une louange sonore, et rien de plus.
Tout au contraire, Alexandre VI est une figure vivante au plus haut degré, et qui retient l’observateur, j’allais dire l’artiste, par un très vif attrait de curiosité. Il est tout en dehors, et ni la fourberie de ses paroles, ni l’ambiguïté de sa conduite ne parviennent à cacher comme sous un masque ce caractère impétueux, formé de passions profondes et simples, qui, au moindre accès de la colère, de l’orgueil ou de la peur, se dévoile avec une franche naïveté. « Il est si passionné, — sensual, — dans ses sentimens et ses intérêts, écrivait l’ambassadeur vénitien Antonio Giustinian moins d’un mois après son arrivée à Rome, qu’il ne peut s’empêcher de dire quelque parole qui indique l’état présent de son âme. » Quand il parle de César, il ne tarit plus ; quand il est joyeux, il ne se tient plus de plaisir. Au moment de la prise de Camerino par son fils, « l’orateur d’Espagne et moi, dit Giustinian, nous avons trouvé le pontife plus joyeux que nous ne l’avions jamais vu ; il nous fit venir tout près de lui, et, en nous racontant la nouvelle, il se perdait en une joie telle que les paroles lui manquaient pour achever sa pensée; mais, afin d’exprimer plus vivement ce qu’il éprouvait, il se leva de son fauteuil et se mit dans l’embrasure d’une fenêtre, où il nous fit lire la lettre de son duc. » Quand il cherche à tromper son interlocuteur, on voit le mensonge se former sur ses lèvres, à mesure qu’il parle; lui-même, il finit par être à moitié dupe de son invention ; il continue de mentir, mais avec conviction. Chaque fois qu’il souhaite l’alliance de Venise, il répète à Antonio qu’il « veut placer son cœur dans la main de la république. » Il parle avec une telle émotion « que sa poitrine semble s’ouvrir et que les paroles lui sortent du cœur, non de la bouche. » Quand il sent que la fortune de sa maison décline, tantôt il éclate en paroles de menaces ou d’angoisses, mais très brèves, qu’il s’efforce sur-le-champ d’adoucir ou de retirer; tantôt, faisant bonne mine à mauvais jeu, il feint l’espérance et la gaîté, mais son trouble se lit dans les traits de son visage et l’accent de sa voix. Aux jours les plus difficiles, lorsque les événemens font violence à sa volonté, il est capable de parler en souverain pontife. « Dites librement tout, ambassadeur: ici, il n’y a que Dieu, moi et vous. » En 1594, lorsque Charles VIII s’efforce de le détacher du parti aragonais : « Sa Sainteté, dit un ambassadeur, préfère perdre tout, la mitre, l’état et la vie, plutôt que de trahir son allié. » Aux ambassadeurs de Giovanni Bentivoglio de Bologne, qui le prient d’épargner leur maître, il répond, cette fois avec cynisme : « Non, je chasserai ce tyran de sa ville, quand je devrais vendre tous les offices de Rome et en créer de nouveaux en plus grand nombre; je vendrai tout, jusqu’à ma mitre. » Un jour, il s’emporta si fort contre César, dont la politique lui semblait équivoque, qu’il lui adressa, en langue espagnole, les plus triviales injures, les seules dont il n’eût pas le droit d’outrager son fils.
Mais ces crises étaient courtes. Cette âme véhémente et légère rejetait vite, comme une charge importune, l’inquiétude ou l’ennui. Parfois, à l’improviste, après avoir lu une dépêche fâcheuse, il faisait seller ses chevaux en pleine nuit, sortait de Rome et s’en allait, sous le soleil ou la pluie, à travers la campagne romaine, jusqu’aux montagnes latines. Il chassait pendant deux ou trois jours autour de Rocca di Papa, et revenait à la ville, ayant ainsi, selon l’expression de Giustinian, « purgé sa mélancolie. » Courir le cerf ou le sanglier était une distraction décente, sinon canonique. Mais Alexandre revenait trop souvent aux faiblesses de son temps de cardinalat. Pour lui, le grand remède contre la tristesse était un ballet voluptueux dansé par de toutes jeunes filles. Je laisse, bien entendu, de côté la fameuse orgie du 31 octobre 1501, dont Alexandre, César et Lucrèce furent les spectateurs, que Burchard a décrite minutieusement, comme il eût fait d’une cérémonie du bréviaire romain, et que confirment trois autres sources contemporaines tout à fait indépendantes l’une de l’autre. Mais à Piombino, à peine le pape a-t-il été reçu par le clergé et les magistrats, il demande un ballet, et, dit Burchard, « les plus belles femmes et filles de la ville dansèrent pendant plusieurs heures, sur la place publique, devant le palais où était le saint-père. » Chaque jour, dit Giustinian, « il fait danser des jeunes filles, qui sont de toutes les fêtes et de tous les divertissemens. » Cela produisait parfois d’étranges confusions : on vit un jour, dans une messe solennelle, un groupe de jeunes filles, qui n’étaient point des nonnes, se tenir entre le maître-autel et les bancs des cardinaux. En juin 1500, une tempête abattit la cheminée de la chambre à coucher du pape, qui fut enseveli sous les ruines du toit, du plafond et du baldaquin pontifical ; on le retira blessé, à demi-mort, totum attonitum. Il fut soigné alors, dit l’ambassadeur de Venise Capello, par sa bru Sancia, par Lucrèce et une demoiselle d’honneur de celle-ci, che è favorita del papa. Certes, on aurait mauvaise grâce à accuser Alexandre VI d’hypocrisie religieuse. La gravité de la liturgie, l’observance exacte de la discipline, l’intéressaient fort peu. Quand il célébra à Saint-Pierre la messe devant Charles VIII, il brouilla toutes les cérémonies de la communion. Ce n’était point qu’il fût troublé par la présence du roi ; lors de la première entrevue, il s’était trouvé mal, mais c’était, dit Burchard, une fausse syncope et un procédé dont il usa quelquefois. Un autre jour, il égara sur l’autel un fragment de l’hostie sainte. En voyage, il mangeait allègrement de la viande, malgré le carême. Le 5 mai 1493, il fit dans Rome une procession pittoresque qui dut attrister les bons chrétiens : en tête marchait la croix, accompagnée, adroite, par le sultan Djem, à gauche, par César, cardinal de Valence, habillé en Turc ; puis venait le pape à cheval, avec un état-major de cardinaux. On visita ainsi Saint-Jean-de-Latran, la basilique trois fois sacrée, « mère des églises du monde entier ; » comme on n’avait point de mosquée sous la main, la cavalcade porta ensuite ses dévotions à Sainte-Marie-Majeure, aux Saints-Apôtres, à Saint-Marcel et à Sainte-Marie-du-Peuple.
Les hommes du tempérament d’Alexandre, que le premier bond de la passion emporte et que l’imagination domine, ont une sorte de courage irrégulier, qui faiblit souvent en présence d’un danger vague, mais peut se relever en une heure très périlleuse. Que Charles VIII marche sur Rome, que la peste ou la fièvre paludéenne sévisse sur la ville, le pape a une peur réelle ; il se cache ou se sauve bien loin, sans le moindre souci de ses devoirs ni de sa dignité. Mais, lisez dans Burchard et la dépêche d’un ambassadeur florentin le récit de la tempête qu’il essuya, en mars 1502, en vue de Porto-Ercole ; ici, plus d’un trait rappelle la tempête de Panurge, mais c’est le rôle tranquille de Pantagruel qu’Alexandre VI y représente. Tout le monde tremble, pleure et roule pitoyablement sur le pont. Le duc César, qui montait une autre galère, redoutant le naufrage, s’était fait reconduire en barque sur le rivage de Corneto. « Le pape seul se tenait ferme à sa place, assis à la poupe, sans peur, et regardait ; et quand la mer frappait violemment le navire, il disait : « Jésus ! » et faisait le signe de la croix. » Tandis que les cardinaux, malades à l’excès, croyaient leur dernière minute toute proche, « il interpella souvent les matelots pour qu’ils lui préparassent à dîner ; mais l’agitation de la galère et la force du vent empêchaient d’allumer le feu. Enfin, la mer s’étant un peu calmée, on put frire des poissons que le pape mangea de bon appétit. »
Mais ces traits de caractère ne forment encore que l’originalité tout extérieure d’Alexandre VI. On remarquera que la perpétuelle saillie de la passion, la mobilité de la pensée, sont des qualités bien italiennes. Un séjour d’un demi-siècle en Italie et la vie ecclésiastique à Rome avaient effacé en lui l’Espagnol ; il s’était dépouillé du génie sévère, de la gravité, de l’obstination et de l’arrogance de son pays et de sa race ; mais ce qu’il avait pris, en échange, à sa patrie politique, l’exubérance mal disciplinée de la parole et du geste, n’était point ce que l’Italie du XVe siècle prisait le plus en un prince. Il fallut que la passion souveraine de son âme vînt régler toute cette agitation et l’obligeât à une maîtrise sur lui-même et à une tension de la volonté sans lesquelles la renaissance ne reconnaissait point le tyran véritable. Le jugement de Capello montre bien en Alexandre VI ces deux élémens distincts, le caractère instinctif et primesautier, qu’une pensée unique parvient à fixer et à gouverner : « Le pape a soixante-dix ans ; il rajeunit tous les jours ; ses soucis ne durent pas une nuit ; il est de tempérament joyeux et ne fait que ce qui lui plaît : son unique désir est de rendre ses enfans puissans. Tout le reste lui est indifférent. » Dès 1493, le roi Ferdinand avait tracé un portrait plus sombre, en homme d’état que le voisinage d’un pareil pape préoccupait fort : « Sa vie, qui ne respecte point le siège où il est établi, est pour tous un sujet d’abomination ; il n’a d’autre soin, d’autre désir que de créer contre tout droit la grandeur de ses fils. En toutes choses, il trompe et dissimule, et tire de l’argent de tout ce qu’il peut vendre. » Il avait aimé tendrement don Juan ; mais il trouva moyen d’accommoder la terreur que lui inspirait César fratricide avec l’amour de plus en plus grand qu’il ressentait pour ce fils, devenu l’aîné de sa maison, en qui il voyait l’avenir et la gloire de sa dynastie. Il aimait passionnément Lucrèce, mais il la réduisit à n’être, par ses deux derniers mariages, qu’une des conditions de la fortune de César. Il eût pu reprendre pour lui-même, avec une signification détournée, la devise insolente de son bien-aimé : Aut Cæsar, aut nihil. Pour ce fils, le tourment et la joie de ses dernières années, il eut le courage, difficile aux voluptueux, de dévouer sa vie à un intérêt tout théorique, d’embrasser une politique sanguinaire, de s’y attacher avec une âpreté étonnante, d’y concentrer, sans jamais se lasser, toute sa fourberie et l’avarice dont la nature l’avait doué. A l’Italie, que César allait dévorer ville par ville, il n’avait plus rien à demander, ni protectorat pour la souveraineté de son fils, ni alliance durable. Il reprenait à son bénéfice la méthode inventée par Ludovic le More : l’appel à l’intervention étrangère ; il employa tout son esprit à observer les chances, perpétuellement incertaines, selon lesquelles le patronage, soit de la France, soit de l’Espagne, déterminerait le plus sûrement l’orientation de sa politique. Toutes les fois que la situation respective des deux puissances lui semblait trop équivoque, c’est vers Venise qu’il se rejetait, et il répétait dors à Giustinian, comme il l’avait fait plus d’une fois à Capello, son Nunc dimittis servum tuum Domine : « Je mourrais content, si je voyais le duc adopté par la république. » Mais qu’il fût, pour quelques jours, Vénitien, Espagnol ou Français, le but qu’il visait demeurait immuable. C’était l’œuvre à laquelle le pontificat romain sacrifiait, depuis trente années, la noblesse de l’église et la paix de l’Italie, et qui, à peine ébauchée par la main d’un pape, le jour même où le prince mourait, disparaissait fatalement. La complicité seule de l’étranger, l’amitié de Venise qui, république séculaire, agissait encore dans le jeu du principat italien à la façon d’une souveraineté étrangère, pouvaient seules soutenir l’édifice dynastique hâtivement élevé par un vieux pontife : « Notre âge est si avancé, disait Alexandre à Giustinian, que nous devons nous presser d’en finir, afin de laisser notre postérité certaine de conserver ce que nous lui léguerons, et cela ne peut être sans le concours de la seigneurie vénitienne. »
Certes, César méritait bien que la papauté, l’antique puissance pacificatrice de la péninsule, donnât pour lui seul le spectacle de l’Italie vendue sans pudeur, égorgée sans pitié. On avait vu, depuis un siècle et demi, des tyrans de grande race : un Barnabo Visconti, un François Sforza, un Laurent le Magnifique, un Sixte IV, un Ferdinand d’Aragon, un Ludovic le More; mais tous, quelque vaste que fût leur ambition, ils avaient semblé accepter une limite à leurs convoitises. Leur politique tenait compte de l’équilibre italien ; ils avaient recherché l’hégémonie, la suzeraineté et non l’empire; leur conduite, fondée sur un système d’alliances italiennes, supposait la tyrannie intacte en ses organes principaux; ils avaient rêvé d’abaisser, non de détruire leurs voisins. Celui-ci est un exterminateur. Son père et lui n’ont été arrêtés dans leur acte de piraterie que par la présence des étrangers français et espagnols dont ils avaient espéré le concours. La France tenait la Lombardie ; elle couvrit Ferrare, Bologne et la Toscane; à partir de 1501, la France et l’Espagne occupaient les Deux-Siciles et s’y faisaient la guerre, sans permettre qu’un troisième larron leur enlevât un seul lambeau de province. Mais il restait encore un vaste domaine ouvert à César, le royaume même de l’église rempli par les fiefs des barons romains, Pérouse et Sienne, le duché "d’Urbin sur l’Adriatique, les Romagnes en dehors de l’état de Bologne et la ligne de villes fortes qui, le long de l’Apennin, entre Imola et Rimini, menaçaient la vallée du Pô, Ferrare, Mantoue et les terres vénitiennes. En peu de temps, il fut le maître de l’Italie centrale, moins par la valeur de ses armes que par l’ascendant de son esprit et sa duplicité, surtout par la terreur qui marchait devant lui. L’Italie n’avait point connu jusqu’alors un tel virtuose de despotisme. Il lui parut être le tyran par excellence, le prince idéal; et le livre que Machiavel écrivit plus tard sous ce titre équivoque n’est qu’une analyse expérimentale de la politique de César Borgia. Machiavel avait pu l’étudier de fort près au cours de sa légation en Romagne, dans l’automne de 1502. Il eut peur de lui, en sa qualité de bon Florentin, et trembla plus d’une fois, après une audience, pour la liberté de Florence ; mais il l’admira sincèrement, en sa qualité de bon Italien, et crut que ce fils de pape pourrait édifier une monarchie italienne avec les débris de l’ancien principat, et qu’il aurait assez de génie pour chasser d’abord, comme grand condottiere de l’Italie, l’étranger. Le Vénitien Capello écrivait : « Il est très royal, même prodigue, ce qui déplaît au pape... Il sera, s’il vit, un des premiers capitaines de l’Italie. » César séduisit alors Machiavel par la courtoisie de ses paroles dorées, il le fascina par l’effrayante énergie de ses résolutions, la ténacité de sa volonté, sa façon inflexible de haïr, l’extraordinaire possession qu’il avait de soi-même. « Quand j’aurais de l’eau jusqu’à la gorge, disait-il à l’historien, je n’implorerais pas l’amitié de ceux qui ne sont pas mes alliés dès aujourd’hui. » Là fut le secret de sa puissance sur autrui. C’était une âme noire, toute close, où l’émotion des choses du dehors n’entrait jamais, et dont l’immense égoïsme ne fut bien connu que d’elle seule. Il était capable de décisions brusques et de mouvemens de rage furieuse ; mais ces accidens, qui étaient en contradiction avec sa nature, ont été bien rares. Il poignarda un jour, entre les bras d’Alexandre VI, Perotto, un adolescent: « Le sang, dit Capello, jaillit au visage du pape. » Il assouvissait parfois, dans les courses de taureaux, les instincts brutaux de son tempérament; il savait trancher d’un coup de sabre le cou d’un jeune buffle. Ces courtes apparitions de l’Espagnol sont l’élément négligeable du caractère de César. Le tyran de la renaissance s’est tenu en lui debout jusqu’à la ruine définitive, taciturne, impénétrable ; quand il parlait, il mentait ; il préférait ne rien dire, se dérobait aux regards, caché au fond de ses palais, ajournait les auditeurs, ne sortait que masqué, accourait à l’insu de tout le monde des Romagnes à Rome, s’enfermait dans le Vatican comme en un tombeau, et partout se faisait suivre de son assassin de confiance, don Micheletto, qui, très probablement, avait été le compagnon mystérieux de don Juan durant sa dernière nuit. « Il ne quitte pas son masque, écrit Giustinian, en mars 1503, et, bien qu’à Rome on connaisse sa présence, il n’a voulu se découvrir que pour quelques personnes. Moi-même, parlant au pontife, j’ai feint de ne rien savoir sur le séjour du duc, car le pape n’en soufflait mot, et je continuerai ainsi, tant qu’il ne parlera pas le premier. On ne comprend rien à cette conduite, car les fantaisies du duc échappent à tous les calculs ; toutes les conjectures sont vaines ; cependant, s’il se résout à rester ici, il faudra bien qu’il enlève son masque. » Giustinian, quand il cherche, après Machiavel, à déchiffrer l’énigme de cette âme, n’y distingue clairement qu’une chose : pour ses ennemis, une haine diabolique; pour ses amis, c’est-à-dire pour ceux qui se dévouent à sa fortune sans réserve, une bonne volonté provisoire dont se défiaient ses plus fidèles serviteurs. Quinze jours avant la maladie mortelle d’Alexandre, il disait : « Me voici à Rome, mais avant l’autre mardi je serai en un lieu où je pourrai faire du bien aux miens, sinon je mourrai plutôt. » Les capitaines de stradiotes qui abandonnèrent le service de César, en l’année 1503, étaient gracieusement congédiés; deux jours après, on les trouvait pendus quelque part ou égorgés. La qualité vraiment politique du Valentinois était le sang-froid avec lequel il réglait ses haines, et sa patience à attendre l’heure la plus propice pour une vengeance exquise. Le pape, qui ne savait, lui. ni se taire ni attendre, admirait sans réserve, sur ce point, le génie de son fils. Le 1er janvier 1503, Giustinian fut témoin au Vatican d’une scène bien édifiante : « Ce matin, après la messe, Notre Seigneur a appelé tous les ambassadeurs qui étaient présens et les cardinaux; il nous a dit que, cette nuit, une dépêche avait apporté la nouvelle de la capitulation de Sinigaglia. En disant cela, il montrait une grande joie, et feignait néanmoins de n’avoir été mis au courant de rien dans ces derniers jours ; il accusait la régente de Sinigaglia d’avoir, par ses trahisons, obligé le duc, qui n’y pensait point, à prendre cette ville par indignation pure. Il ajouta que la nature du duc était de ne point pardonner à qui l’outrageait et de ne laisser à personne le soin de sa vengeance : il menaça les autres, qui avaient fait tort à son fils, et en particulier Oliverotto, que le duc avait juré de pendre de ses propres mains, s’il pouvait s’en emparer. Après que Notre Seigneur eut donné ces nouvelles, chacun, selon la coutume, se réjouit avec lui, et lui chatouillait les oreilles d’une façon ou d’une autre, ce qui lui causait une extrême satisfaction, et, dans l’épanouissement de son plaisir, il se mit à chanter les vertus et la magnanimité du duc. La plupart des cardinaux faisaient chorus du bout des lèvres, surtout Mgr de Sienne, qui a le cœur un peu gros, et qui a peur pour l’état que son neveu possède dans la Marche. »
Ces deux Borgia, si différens par le génie, unis l’un à l’autre par la complicité d’un égoïsme sans frein, se partagèrent donc l’entreprise perverse des dernières années du pontificat. Alexandre prit pour lui la diplomatie, César l’action militaire; le père se chargea de séduire l’église temporelle, et, au besoin, de l’effrayer. Il se réservait de caresser les princes italiens, de les attirer à sa politique; de soutenir enfin, par une bonne alliance étrangère, les intérêts de la famille. Il serait facile alors au fils d’abattre l’un après l’autre tous les petits tyrans de l’Italie centrale ; puis, par une police sanguinaire, de pacifier ses conquêtes et de réduire l’indiscipline de ses condottières. il fallait beaucoup d’argent pour nourrir des armées où les compagnies françaises se mêlaient aux bandes suisses, espagnoles ou italiennes ; Alexandre puisait dans les coffres de la sainte église et les vidait, puis il les remplissait de nouveau par les moyens très efficaces que l’on verra plus loin. Mais, avant tout, il était utile aux Borgia, afin d’avoir l’esprit et les mains libres, et d’imposer silence aux objections du monde chrétien, de témoigner avec éclat de leur parfaite indifférence pour le christianisme, les plus graves traditions de l’office pontifical et la mission divine du pasteur des âmes.
L’occasion se présenta d’elle-même au pape, le lendemain de la mort horrible de son fils aîné. Depuis quelques années, le dominicain Savonarole était le maître de Florence ; il avait aidé à la chute des Médicis et poussait la république dans les voies dangereuses d’une démagogie théocratique. Il tonnait du haut de sa chaire contre les abus de l’église, les scandales du haut clergé, la corruption de la cour romaine. Je ne crois pas qu’il fût pour Alexandre VI, dont il demandait la déposition, un adversaire bien redoutable. Il était trop violent et faisait peser sur les Florentins un régime trop irritant d’inquisition monacale pour qu’il pût gouverner longtemps, du fond de son cloître, cette ville spirituelle où s’était posé le berceau de la renaissance. Le frère Jérôme, qui fit brûler sur la place de la Seigneurie les livres, les tableaux et les meubles précieux, n’avait, comme partisans fidèles, que le petit peuple, les dévots à l’âme étroite, les pleureurs, les piagnoni ; contre lui étaient les médicéens, puis les républicains de l’ancien régime communal, enfin les frères mineurs et la multitude bourgeoise du tiers-ordre franciscain. L’heure de sa chute semblait donc marquée. C’était une révolution de plus à faire par ce peuple aimable qui, depuis quatre ou cinq siècles, avait bouleversé chaque vingt ans sa constitution, et n’en était pas moins le plus civilisé de l’Italie. Mais la pire faiblesse de Savonarole était dans la nature même de ses vues religieuses. Il méditait trop assidûment sur l’Apocalypse pour être bien entendu en ces derniers jours du XVe siècle italien. Il parlait en prophète à un peuple sceptique qui lisait le Décaméron et le Morgante maggiore ; il contait ses visions à un auditoire de chrétiens très particuliers, où se rencontraient Machiavel et Pic de la Mirandole. S’il rêvait d’une croix noire dressée sur Rome comme un symbole funèbre pour la papauté des Borgia, il plaçait son rêve dans son plus prochain sermon. Cet illuminé, âme très grande, d’une pureté d’enfant, était étonnamment arriéré. Savonarole remontait à Grégoire VII et à Pierre Damien; il attendait des chefs de l’église ou d’un concile la guérison du mal dont souffrait la société chrétienne, et pensait que le monde serait sauvé si un saint s’asseyait sur le siège de saint Pierre. Il reprenait, en les rétrécissant par ses rancunes de moine mendiant qu’irrite la richesse de l’église séculière, les vieilles idées d’Arnauld de Brescia ; mais il retardait de plus de trois siècles. Il oubliait que l’abbé Joachim, François d’Assise, et Jean de Parme avaient rendu aux âmes la pleine liberté religieuse ; que, par la main des grands mystiques de l’Italie, les consciences avaient été délivrées des chaînes de la hiérarchie ecclésiastique, et que désormais, entre les Italiens et le saint-siège, il n’était plus question des intérêts de la foi, mais d’intérêts tout temporels et d’équilibre politique. Ainsi, dans sa lutte contre Alexandre, Jérôme avait mal choisi son champ de bataille. Il eût pu remplir un rôle autrement puissant en se tenant sur le terrain de la politique pure, en gardant d’Arnauld de Brescia et de Rienzi une vue tout à fait supérieure, cette notion évangéli({ue du royaume de Jésus, qui n’est pas de ce monde, et du royaume de César, qui échappe, par sa nature même, au prêtre, à l’évêque, au pontife ; il lui était facile, du sein de Florence revenue pour quelques années à l’état communal, et dans une Italie où la tyrannie semblait très malade, à Milan comme à Naples, d’essayer un apostolat républicain que la France eût peut-être soutenu, comme Charles VIII l’avait fait déjà en faveur de Pise. Si, du haut en bas de la péninsule, l’esprit municipal avait encore pu tressaillir, Rome, réveillée par les familles féodales, par les Orsini et les Colonna, dont le pape et son fils avaient juré la ruine, se fût redressée tout à coup; elle eût brisé la forme de la tyrannie papale pour reconstituer la commune ecclésiastique d’Innocent III. Savonarole ne soupçonna rien de tout cela : il s’obstina à prêcher contre la simonie, le luxe des palais, les hontes de la Babylone pontificale. Le pape le déclara hérétique. Le dominicain demanda l’épreuve du bûcher, contradictoirement avec un frère mineur. On a longtemps cru qu’Alexandre avait souhaité lui-même cette expérience périlleuse, afin de brûler Jérôme par la grâce de Dieu ; des documens publiés, il y a dix ans, par le père Bayonne, ont prouvé tout le contraire. Alexandre VI chercha à empêcher l’épreuve, comme s’il redoutait véritablement un miracle. Un orage inonda le bûcher, qu’on ne put allumer. Savonarole, ce jour-là, fut dépouillé de son prestige et se sentit perdu. La seigneurie, qui lui était hostile, l’arracha, à la suite d’une émeute effroyable, de son couvent de Saint-Marc. On lui fit rapidement son procès d’église. Sa véritable hérésie était dans ces paroles, écrites en 1497 aux princes de l’Europe : « Je vous jure, au nom du Seigneur, que cet Alexandre n’est point pape et ne peut être considéré comme tel, car, laissant de côté son très criminel péché de simonie, par lequel il a acheté le siège papal, et chaque jour vend au plus offrant les bénéfices ecclésiastiques, laissant aussi ses autres vices manifestes, j’affirme qu’il n’est pas chrétien et ne croit point qu’il existe un Dieu, ce qui dépasse le comble de toute infidélité. » L’évêque de Vasona, légat d’Alexandre, et les commissaires apostoliques présidèrent à cette iniquité. Les témoins furent intimidés par la torture, leurs dépositions furent faussées, les paroles de Jérôme et de ses deux compagnons défigurées. Cependant, on ne put rien établir de sérieux contre les accusés, ni quant à la doctrine religieuse, ni quant à la conduite politique. On les condamna à être pendus, puis brûlés. La sentence fut exécutée le 23 mai 1493. Quand l’évêque dégrada Savonarole de sa dignité sacerdotale, il oublia, dans son trouble, la formule liturgique et dit : « Je te retranche de l’église militante et de l’église triomphante. » Le martyr répondit : « De la militante, oui, mais non pas de la triomphante, car tu n’as pas ce droit. » C’était la conscience même de la chrétienté qui, par ce cri de Savonarole, déniait au saint-siège le droit d’intervenir dans les conseils de Dieu et de fermer ou d’ouvrir l’entrée du royaume céleste.
Mais Alexandre VI ne s’inquiétait point des portes du paradis; il lui suffisait que la voix importune de ce moine fût enfin muette. La chrétienté était dorénavant clairement avertie de la façon dont le souverain pontife accueillerait la protestation des mystiques, la clameur des prophètes et les textes tirés de l’Évangile. Il s’agissait maintenant de trouver en Italie et à l’étranger des coadjuteurs bienveillans à la politique dynastique des Borgia. L’amitié de la France venait spontanément au saint-siège. Louis XII avait besoin de la dispense pontificale pour répudier sa femme, Jeanne de Valois, et épouser la veuve de Charles VIII, Anne de Bretagne. Alexandre fit porter le bref apostolique par César, qu’il avait délivré, au mois d’août 1498, de son chapeau de cardinal et de sa mitre d’archevêque. Dès le mois de juillet, Lucrèce, veuve d’un mari toujours vivant, épousait don Alphonse de Bisceglie, bâtard d’Alphonse II d’Aragon, un enfant de dix-sept ans. Cependant, l’ancien cardinal de Valence en Espagne recevait de Louis XII le titre de duc de Valentinois en France, puis, au printemps de 1499, la main de Charlotte d’Albret, sœur du roi de Navarre. Il s’appellera désormais César Borgia de France. En même temps, une alliance formelle était conclue entre le roi, le pape et Venise. La république sérénissime et le saint-siège livraient à Louis XII Ludovic le More, la maison des Sforza, le Milanais. Venise devait recevoir Crémone et la Ghiara d’Adda ; César serait aidé par l’influence française et les propres troupes du roi dans son entreprise contre la Romagne. Louis vint en octobre recueillir à Milan le fruit d’une conquête que la trahison des capitaines de Ludovic avait rendue facile à d’Aubigny et à Trivulzio. Alexandre, protégé par les fleurs de lis, se hâta d’avancer la fortune de ses enfans. Il nomma Lucrèce régente de Spolète, une ville de l’église qui n’avait point de tyran, puis il attira à Rome Giacomo, le chef de la grande maison des Gaetani, le fit enfermer au Saint-Ange, l’accusa de lèse-majesté, confisqua tous ses domaines et le fit empoisonner. On porta le mort à San-Bartolomeo, dit Burchard, où sa mère et ses sœurs le virent à visage découvert. Tandis que son fils aîné, Guillaume, s’enfuyait à Mantoue, les sicaires de César étranglaient le plus jeune, Bernardino, près de Sermoneta. Le i’2 février 1500, Lucrèce achetait par une vente fictive, pour 80,000 ducats, le fief de Sermoneta.
César, de son côté, n’avait point tardé à se mettre à l’œuvre. La Romagne et les Marches étaient, au nord des états de l’église, le dernier débris de l’ordre féodal en Italie. Les comtes, dont l’institution remontait au XIVe siècle, au temps du cardinal Albornoz, étaient les vicaires du saint-siège, vassaux fort indisciplinés, qui refusaient de payer la redevance et se dérobaient à la main du suzerain pontifical. Alexandre les attaqua donc à la fois par l’interdit spirituel et le glaive temporel. Dès le mois de novembre 1499, César, après être venu secrètement à Rome pour s’entendre avec le pape, assiégeait Imola avec ses troupes françaises et suisses. La ville, qui appartenait aux Riario, tomba le 1er décembre. Le 12 janvier 1500, les Français prirent la citadelle de Forli : Catarina Sforza Riario, la veuve héroïque du neveu de Sixte IV, fut emmenée à Rome et conduite au château Saint-Ange. Dix-huit mois plus tard, les capitaines français obtinrent sa liberté. Elle avait eu de son amant, Jean de Médicis, un fils, Jean des Bandes noires, qui fut, sous Clément VIl, le dernier soldat de l’indépendance italienne.
Cette année 1500, qui fermait le siècle, vit le jubilé d’Alexandre VI. Le monde chrétien marcha, comme il faisait jadis, aux temps de foi profonde, vers la sainte ville de Rome. Le carnaval eut une magnificence extraordinaire; le jour de Pâques, deux cent mille pèlerins s’agenouillèrent sous la bénédiction du vicaire de Dieu. Pendant six mois, le pape se crut parfaitement heureux. Le royaume de César grandissait à vue d’œil : Imola, Cesena, Forli, Forlimpopoli, en formaient déjà le noyau. En février, le Valentinois, vêtu de velours noir, ses cheveux blonds flottant sur les épaules, était entré pompeusement à Rome, à la façon d’un triomphateur antique, applaudi par les femmes et les jeunes filles, qui riaient tout le long du cortège. La courte restauration de Ludovic le More, favorisée par Venise, passa comme un léger nuage sur ce ciel rayonnant. Le 10 avril, le tyran de Milan, fléau de l’Italie, dit Paul Jove, tomba aux mains des Français, à qui il avait ouvert, sous Charles VIII, la route des Alpes. La péninsule était désormais asservie au nord, et l’étranger tenait pour plusieurs siècles les clés de l’Italie. Mais l’envahisseur était alors le bon ami du saint-père, le cousin de César, et les Borgia, réjouis par l’adoration de l’église universelle, ne songeaient, au printemps de l’an 1500, qu’à fêter leur fortune. Le pape offrait aux chrétiens des processions, le Valentinois des tournois de taureaux. C’est à peine si, dans l’allégresse de Rome, quelques impressions pénibles mêlaient, de loin en loin, une ombre de mélancolie à la joie religieuse des pèlerins. On apprenait un jour que l’ambassadeur de France avait été dévalisé, avec toute sa suite, aux environs de Viterbe; on voyait un soir, en revenant d’un office à Saint-Pierre, aux abords du pont Saint-Ange, attachés aux potences, les bandits arrêtés çà et là dans la campagne romaine ; on se contait l’histoire du médecin de l’hôpital du Latran, qui, au crépuscule matinal, tuait à coups de flèche, autour de la basilique, les dévots trop pressés d’aller à Saint-Jean et les dépouillait, ou b en empoisonnait, avec le concours du confesseur de la maison, les malades riches et leur dictait un bon testament. Mais ces légers incidens ne troublaient point la beauté du jubilé de 1500. Tout à coup, une nouvelle catastrophe fit tressaillir Rome et l’Italie, et révéla une fois de plus à Alexandre VI l’incertitude de ses joies de famille.
Quinze mois après son mariage avec Lucrèce, en août 1499, Alphonse d’Aragon s’était enfui sans raison apparente, alla macchia, écrit un contemporain, dans les bois, comme un misérable poursuivi par les sbires; puis il s’était retiré à Genzano, chez les Colonna. Il devinait peut-être que la politique des Borgia, inféodée alors à la France, serait dans un temps prochain hostile à la dynastie napolitaine. Le souvenir de don Juan l’effrayait; il eut peur, et, laissant sa femme enceinte de six mois, il courut loin de la sinistre ville apostolique. Le pape rappela son gendre et lui ordonna de rejoindre Lucrèce à Spolète. Alphonse obéit. Alexandre revit, peu de jours après, à Nepi, les deux époux, qui rentrèrent à Rome vers le milieu d’octobre. Le retour de César dans la capitale ecclésiastique, après sa première campagne de Romagne, ne semble pas avoir donné à Alphonse de nouveaux sujets d’inquiétude. Il prit part, avec toute la famille, aux fêtes du jubilé. Le 15 juillet, il se rendait, vers onze heures du soir, du Vatican à son palais, qui était voisin de la basilique ; deux serviteurs l’accompagnaient. Sur les degrés de Saint-Pierre, quatre hommes masqués, armés de poignards, l’assaillirent et, sous le balcon de la bénédiction papale, le blessèrent grièvement à la tête, à la gorge, à l’épaule et au bras. Les assassins se replièrent, selon Burchard, sur une troupe de quarante cavaliers qui les attendait dans l’ombre, et tous se sauvèrent à bride abattue hors de Rome. Alphonse, tout sanglant, put se traîner jusqu’au Vatican. Polo Capello écrit : « Il dit au pape: Je suis blessé; et Mme Lucrèce, sa femme, qui était dans la chambre du saint-père, s’évanouit. » — « On ne dit pas, écrit l’ambassadeur florentin, qui sont les meurtriers, et l’on ne voit pas qu’on les recherche avec le zèle qui conviendrait. Mais le bruit court dans Rome que c’est encore un crime de famille, car, dans ce palais, il y a tant de haines anciennes et récentes, tant de jalousies politiques et autres, qu’il est nécessaire que de pareils scandales éclatent souvent. Ainsi, chaque jour, le pape a de nouveaux sujets d’amertume et d’affliction qui lui donnent beaucoup à penser. » — « L’assassin, dit Capello, est le même qui a tué le duc de Gandia et l’a jeté au Tibre. » — « Je n’ai pas tué le duc, disait César dans les jours qui suivirent; mais si je l’avais fait, il l’aurait bien mérité. » Le cardinal de Capoue vint confesser le jeune prince, qui fut soigné, pendant trente-quatre jours, sous les yeux du pape, par Lucrèce et par sa sœur Sancia. Les deux femmes préparaient elles-mêmes les alimens, « à cause de la haine que lui portait le Valentinois, » écrit Capello. « Le pape, ajoute l’orateur vénitien, le faisait garder par seize personnes, de crainte que le duc ne le tuât.» Et quand le pape visitait le blessé, le duc ne l’accompagnait point, sinon une fois, où il dit : « Ce qui ne s’est point fait au dîner se fera au souper. » Le 18 août. César entra dans la chambre d’Alphonse, qui se levait déjà ; il chassa d’un geste la femme et la sœur du malheureux ; puis don Micheletto parut, jeta le duc de Bisceglie sur son lit et l’étrangla en présence de César. Le soir même, on porta furtivement, sans prières et sans prêtres, l’enfant royal de Naples dans la chapelle funéraire de Saint-Pierre. Alexandre, qui n’avait pu sauver la vie d’Alphonse, n’osa point lui accorder les honneurs qu’on avait prodigués, trois ans plus tôt, à son fils aîné. On feignit, comme on avait fait pour le duc de Gandia, de rechercher les assassins. On expédia au Saint-Ange les médecins de la victime et un pauvre bossu, son valet de chambre; on les interrogea, puis on les renvoya, leur innocence étant évidente, « ce que savaient très bien, dit Burchard, ceux qui les avaient fait arrêter. » Lucrèce se retira, soit de son plein gré, soit par l’ordre de son père, dans son château de Nepi, avec une escorte de six cents cavaliers, afin, écrit le scribe pontifical, « de prendre quelque consolation ou distraction à la douleur et au trouble qu’elle eut ces jours derniers pour la mort de l’illustrissime don Alphonse d’Aragon, duc de Bisceglie et prince de Salerne, son mari. » L’orateur de Venise laisse entendre que les larmes de l’infortunée irritèrent César, et qu’Alexandre l’éloigna, afin de complaire à son fils. « Mme Lucrèce, qui est sage et libérale, était auparavant dans les bonnes grâces du pape ; mais celui-ci ne l’aime plus aujourd’hui. » Capello écrit encore que le pape redoute plus que jamais César, tout en l’aimant avec passion. Certes, Alexandre chérissait toujours sa fille, à qui, tout à l’heure, il cherchera, pour troisième mari, un prince héréditaire. Mais la politique entraînait les Borgia d’une façon de plus en plus impérieuse. La seconde campagne de Romagne allait s’ouvrir. Le principat des Aragons, auquel on venait d’envoyer un adieu sanglant, était au moment de subir le sort des Sforza et des Médicis. L’heure n’était point propice aux doléances et aux récriminations de famille. D’ailleurs, le deuil de Lucrèce fut assez court. Une longue douleur n’était point faite pour la jeune veuve. Elle tenait de son père une conscience très mobile, et, selon un contemporain, un caractère « toujours gai et serein. »
A la fin de septembre 1500, César se remit en marche vers le nord avec 900 hommes d’armes, 200 chevau-légers et 6,000 fantassins. L’artillerie était commandée par Vitellozzo Vitelli, un condottiere de conscience équivoque, qu’attendait une fin terrible. L’armée ducale se dirigea d’abord, par le pays de Pérouse, vers Pesaro, où Giovanni Sforza, beau-frère du duc, essayait de se défendre. Mais la ville se souleva contre lui le 11 octobre, et envoya au Valentinois une députation pour lui porter la capitulation. Le 21, la citadelle se rendit. César entra à Pesaro le 27, au soir. Un proscrit, l’humaniste Pandolfo Collenuccio, qui se hâta de revoir sa maison après le départ du tyran, eut une audience du vainqueur ; César fit à ce lettré présent d’un sac d’orge, d’une charge de vin, d’un mouton, de seize poules et chapons, de deux paquets de chandelles et de deux boîtes de dragées. Pandolfo écrivit au duc de Ferrare l’éloge de son bienfaiteur et le récit de ses faits et gestes dans Pesaro : « Il est plein de cœur, de hardiesse et de générosité, et l’on pense qu’il tiendra compte des gens de bien. Il est âpre à la vengeance ; c’est un grand esprit, avide de puissance et de gloire, mais il semble plus désireux d’acquérir des états que de leur donner un bon gouvernement. » Pandolfo n’avait évidemment rien obtenu en dehors de ces précieux présens, ni une fonction publique, ni une pension. Giovanni Sforza s’était enfui à Venise, puis à Mantoue. Rimini chassait ses Malatesta et ouvrait ses portes au Valentinois. L’armée ducale s’achemina du côté de Faenza, que gouvernait le seul tyran qui fût, dans cette région, aimé de son peuple, Astorre Manfredi, un orphelin, le plus bel adolescent de toute l’Italie. Son père avait été assassiné et sa mère chassée comme complice du crime. Ses sujets l’avaient protégé contre les intrigues de ses cousins. Il avait grandi dans la terreur de Venise, de Florence et de Bologne, qui convoitaient son héritage. Vitellozzo souleva contre Astorre une partie de la campagne de Faenza. La ville, réduite à ses propres ressources, étroitement assiégée, jura de combattre jusqu’à l’épuisement de ses forces, pour sa liberté et pour son prince. Le siège dura près de six mois. On vit, un jour d’assaut, une jeune fille, Diamante Toselli, repousser et précipiter du haut des remparts les soldats du duc. Les Florentins et Giovanni Bentivoglio abandonnèrent tour à tour Astorre, leur pupille. Pendant tout cet hiver. César séjourna à Imola. Le 26 avril, les anciens signèrent la capitulation et remirent Faenza au Valentinois. Astorre devait, selon le traité, garder sa liberté et ses biens, garantis par la clémence du pape; la commune payait ses créanciers; la ville conservait ses coutumes, et les fonctions communales étaient réservées à ses seuls citoyens. Le soir même, Astorre et ses frères se rendirent au camp de César. Le duc, violant sa promesse solennelle, les dirigea sur le château Saint-Ange. Ils y languirent de longs mois, et Burchard a noté leur fin en ces quelques lignes : « Le 9 juin (1502), on trouva dans le Tibre, noyé et mort, le seigneur de Faenza, jeune homme d’environ dix-huit ans; il était d’une si belle stature et d’un visage si charmant qu’on n’eût pu trouver son pareil parmi mille jeunes gens de son âge; il avait une pierre au cou. Près de lui, deux jeunes gens, liés l’un à l’autre par les bras, l’un de quinze ans, l’autre de vingt-cinq; avec eux, une femme et beaucoup d’autres. »
La reddition de Faenza avait achevé, en 1501, la constitution du duché de Romagne, dont le Valentinois recul le titre par bulle pontificale. C’est à ce moment qu’il eût dû s’arrêter: son œuvre avait des chances d’avenir. Il avait jeté, au centre de l’Italie, le lest d’un principal nouveau, soutenu par la France et par l’église ; il pouvait, à la mort d’Alexandre, demeurer comme tyran militaire de la péninsule et reprendre le rôle perdu par les Sforza. Ce duché, qui n’était point encore soudé au royaume ecclésiastique, ne compromettait point l’équilibre italien. Sur ses frontières du sud et de l’ouest, il était limité par Urbin, Camerino, Pérouse, la Toscane et l’état de Bologne. L’erreur de César fut de combler le fossé qui le séparait du domaine de l’église, de déposséder les Montefeltri d’Urbin, les Baglioni de Pérouse, les Petrucci de Sienne, de menacer les Bentivogli de Bologne, d’inquiéter Florence par la prise de Piombino et les menées de son condottiere Vitellozzo, qui souleva les villes méridionales de la république florentine, Arezzo, Borgo San-Sepolcro et Cortona; enfin, d’allumer la révolution à Pise, qui, pour échapper aux griffes de Florence, eût levé l’étendard de l’Antéchrist. Ces excès d’ambition parurent à l’Italie une menace d’autant plus grave qu’ils coïncidèrent presque tous avec la faute capitale d’Alexandre VI, la proscription de la dynastie d’Aragon en 1501, le partage des Deux-Siciles entre Louis XII et Ferdinand le Catholique. Le pape crut faire merveille en attirant sur une proie commune la France et l’Espagne; il ne s’aperçut pas qu’il consommait ainsi la ruine de l’Italie, qu’il se plaçait lui-même entre l’enclume et le marteau, soumettait toute sa politique à la fortune des envahisseurs, réduisait son fils à la condition de vassal suspect aux deux puissances, ses convoitises étant un danger pour l’une et l’autre. Les hommes d’état voyaient alors à quel point étaient redoutables les projets de César et de son père, mais ils comprenaient aussi que le remède était près du mal. A la fin d’octobre 1501, Machiavel, ambassadeur en France, disait au cardinal d’Amboise : « Les Français n’entendent rien à la politique, autrement ils ne laisseraient pas l’église devenir si grande. » Le 25 juillet 1502, après les affaires d’Urbin et de Camerino, Giustinian était informé par le cardinal de Naples que le roi de France venait d’écrire au pape : « Vous n’avez pas le droit de vous rendre le maître de l’Italie in temporalibus, pour le temporel. » Une autre fois, l’orateur vénitien dénonce le plan des deux Borgia: « faire l’Italie d’un seul morceau. » Ils espéraient que Louis XII, s’il sortait vainqueur de son inévitable conflit avec l’Espagne, accepterait la suzeraineté traditionnelle de l’église sur les Deux-Siciles. Pendant quelque temps, ils sacrifièrent tout à l’alliance française. L’été et l’automne de 1501 se passèrent en laborieuses négociations pour le troisième mariage de Lucrèce avec Alphonse d’Este, fils aîné du duc Hercule de Ferrare, ami et client de la France. Le duc, qui représentait la plus vieille dynastie italienne, répugnait à l’alliance de ces redoutables parvenus; le jeune prince n’envisageait pas sans quelque trouble la façon dont les Borgia avaient coutume de rompre les chaînes conjugales de Lucrèce. Les deux pères discutèrent plusieurs mois sur le chiffre de la dot avec une âpreté d’usuriers. Le mariage se fit par la volonté souveraine de Louis XII ; ce fut, pour Lucrèce, le dernier. Alphonse d’Este ne vint point à Rome, où le sacrement fut donné par procuration. Cette. union, le dernier service politique rendu par la jeune femme à sa famille, fut pour elle la délivrance. Le 6 janvier 1502, elle reçut la bénédiction suprême d’Alexandre VI et quitta Rome pour n’y rentrer jamais.
César avait accompagné, comme condottiere de Louis XII et gonfalonier de l’église, l’armée française dans sa campagne de 1501 contre Frédéric d’Aragon. Il prit lui-même Capoue d’une façon digne de lui, par trahison. Un certain Fabrizio lui livra l’entrée de la ville. « Il fut le premier tué par les gens du duc, écrit Burchard, et après lui environ 3,000 fantassins et 200 cavaliers furent massacrés, et, après ceux-ci, les bourgeois, les prêtres, les religieux des deux sexes, même dans les églises et les monastères ; les femmes et les jeunes filles furent, sans aucune pitié, la proie du vainqueur. » Selon Guichardin, le Valentinois choisit, pour sa part de butin, quarante des plus belles jeunes filles de Capoue. Les malheureuses se jetaient par désespoir ou par honte dans le Volturne. Mais ces gages de bonne amitié ne suffisaient point pour assurer le roi de France de la fidélité des Borgia. L’avidité et la fourberie du pape et de son fils devenaient chaque jour plus inquiétantes pour leurs alliés. En septembre 1501, Alexandre confisquait les derniers fiefs des Colonna, des Savelli, des Gaëtani, attribuait à Rodrigo, fils de Lucrèce et de don Alphonse. Sermoneta, Ninfa, Norma, Albano, Nettuno, Ardea ; à Giovanni Borgia, l’infant romain, son propre fils ou celui de César, il donnait Nepi, Palestrina, Pagliano, l’abbaye de Subiaco et ses dix-huit châteaux. En juin 1502, César et le pape sollicitaient le duc d’Urbin et le seigneur de Camerino de leur prêter des troupes pour les garnisons des Romagnes; les deux tyrans une fois désarmés, particulièrement de leur artillerie. César envahissait leurs états, les chassait, et pillait tout, jusqu’à la bibliothèque des Montefeltri. Guidobaldo d’Urbin s’enfuit à Mantoue par des sentiers de montagnes. Jules-César Varano, seigneur de Camerino, fut découvert au fond d’une citerne et étranglé. Le même sort attendait ses enfans, Annibale et Venanzio, qui périrent à la Cattolica, par les mains d’un neveu de don Micheletto. Les Borgia supprimaient, contre les vaincus, le droit des gens, et ils s’étonnaient naïvement qu’on leur répondît par de désagréables représailles. Louis XII garda quelques jours comme otage, au château de Milan, son cousin César de France. « Le pape, dit Giustinian, jure et anathématise le duc qui est allé à Milan à son insu. » Il ne comprenait pas qu’on eût à son égard une conduite équivoque, lui qui, dans ses confidences bavardes aux ambassadeurs, étalait à tout propos sa théorie cynique de la trahison. « Jusqu’à présent, nous avons été Français, et nous continuerons à l’être, si la France envoie assez de troupes pour vaincre les Espagnols; mais si elle balance et veut que nous nous battions pour elle, nous aviserons à ne point perdre ce que nous avons acquis, et, si Dieu veut que les Espagnols soient les plus forts, nous ne devons point vouloir autrement que Dieu. » — « Ce pape, disait l’ambassadeur d’Espagne à Giustinian, me paie des meilleures paroles du monde, mais je suis certain que, s’il voyait les Français devenir puissans, il me tournerait les épaules. » Tandis qu’Alexandre, en ses jours de grande détresse, suppliait Venise d’adopter son fils. César arrêtait, près de Sinigaglia, des marchands vénitiens et menaçait en leur présence la république de son inimitié. Alexandre dut faire à l’ambassadeur des excuses au nom de son fils. « Je prie la seigneurie de considérer sa grande jeunesse, et que ces paroles, s’il les a prononcées, ont été dites dans un moment de fureur. » Mais le pape, de son côté, faisait arrêter la femme de Bartolomeo d’Alviano, condottiere de Venise, avec ses deux jeunes neveux. Cette pauvre politique, si bien qualifiée par Giustinian. « qui ne tenait compte que du fait du jour, « oubliant le fait de la veille, « et ne prévoyant pas le lendemain, » minait sourdement l’œuvre audacieuse des Borgia. Peu à peu, toutes les victimes de leurs attentats, l’Italie, l’étranger, qui ne voulait point de leur prépondérance et prétendait arrêter leurs convoitises, leurs propres créatures, effrayées par leur ingratitude, s’entendirent dans l’ombre, et les enlacèrent d’un réseau d’intrigues, de résistances obstinées et de conspirations. Les Colonna s’engageaient dans le parti espagnol, les Orsini se donnaient aux Bentivogli et à la France; Louis XII fermait à César le chemin de Florence. Venise accueillait tous les proscrits et mettait à Ravenne des troupes d’observation; les cardinaux sollicitaient à leur tour le protectorat de Venise pour les libertés de l’église et de la péninsule. Le cardinal de Sienne, conversant avec Giustinian, reprenait le mot du cardinal de Médicis, le jour de l’élection de Borgia : « L’Italie est la proie du loup ; » et il ajoutait : «Voyez comme le pape, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, met le pied où il veut. Il est à présent d’accord avec les Espagnols (c’était en juin 1503), et il se montrera pour eux plus ouvertement, dès qu’ils auront repris Gaëte aux Français ; il voudra Sienne, il voudra Pise, il mettra à l’agonie l’état florentin, il ira aussi loin qu’il lui plaira. » Ce profond mouvement d’opinion se tournait, avec une puissance extraordinaire, contre les deux princes qui avaient si insolemment méprisé l’opinion. Ils avaient longtemps attaqué : en 1502 et 1503, ils sont réduits à se défendre à tâtons contre des ennemis invisibles.
A la fin de l’été de 1502, tous ceux qui haïssaient le plus les Borgia se réunirent à la Magione, près de Pérouse, afin de s’entendre pour la perte de César. Les Orsini, Carlo, bâtard de Virginio, Paolo, fils du cardinal Latino Orsini, le cardinal Gianbattista Orsini, Francesco Orsini, duc de Gravina, le condottiere Vitellozzo Vitelli, Oliverotto tyran de Fermo, Gian Paolo Baglione de Pérouse, Petrucci de Sienne, Bentivoglio de Bologne, formèrent une alliance, réunirent 10,000 hommes et battirent à Fossombrone Ugo de Moncada, capitaine du Valentinois. Urbin et Camerino se soulevèrent et rappelèrent leurs seigneurs. Les conjurés se mirent en marche vers les Romagnes. Louis VII et Florence, qui refusa de concourir à la ruine de César, empêchèrent la catastrophe. C’est à ce moment que les Florentins envoyèrent Machiavel à Imola, afin de sonder les intentions du duc à leur égard. Le roi obtint une réconciliation apparente entre César, les condottières et les barons conjurés. Paolo Orsini, Vitellozzo, Oliverotto, reprirent leur service à l’armée ducale. Guidobaldo d’Urbin sortit de nouveau de sa ville après une courte restauration. Le cardinal Orsini, invité par des lettres paternelles du pape, revint à Rome. Bentivoglio refusa de faire ce dangereux voyage. Les condottières prirent en décembre 1502 Sinigaglia à son seigneur, Francesco Maria Rovere, l’héritier présomptif d’Urbin, qui avait onze ans. Puis ils invitèrent le Valentinois à entrer solennellement dans cette nouvelle conquête. Le 31, César arrivait à Fano, après avoir ordonné à ses capitaines de loger leurs troupes dans la campagne, afin qu’il pût prendre les quartiers pour son armée d’escorte. Ils obéirent, et attendirent presque seuls, à peine armés, le duc en dehors de la ville. Celui-ci les engagea à le suivre au palais de la ville, afin de conférer plus à l’aise. Oliverotto restait en arrière : César, d’un coup d’œil, lui dépêcha Micheletto, afin de le joindre à la compagnie. A peine fut-on entré dans les appartemens, que les anciens conspirateurs de la Maglione se virent arrêter. Tout aussitôt, les soldats du Valentinois mettaient la ville à sac. La nuit venue, Oliverotto et Vitellozzo, assis dos à dos sur deux chaises, furent étranglés ; Oliverotto pleurait et accusait son complice ; Vitellozzo suppliait qu’on lui fît parvenir, avant sa mort, l’absolution du saint-père. Petrucci avait pu s’échapper. Paolo Orsini et Gravina furent tués, le 18 janvier, à Castel-della-Pieve, par Micheletto. Le chevalier Orsini fut épargné et ne mourut assassiné que sous Jules II. Cependant, à Rome, la vengeance des Borgia suivait son cours avec une remarquable sûreté d’exécution. Le 3 janvier, le cardinal Gianbattista Orsini, à la nouvelle de la prise de Sinigaglia, s’était empressé d’accourir au Vatican pour féliciter le pape. En route, il rencontra le gouverneur de Rome, « qui feignit, dit Burchard, de l’accompagner comme par hasard. Arrivé au palais, le cardinal descendit de sa mule ; tous les chevaux et mulets de son cortège furent emmenés à l’écurie du pape ; dans la chambre du Papagallo, le cardinal se vit entourer de gens armés, et il pâlit. « Il fut aussitôt conduit à la prison de Torre-di-Nona, et, après lui, le protonotaire Orsini, Jacomo de Santa-Croce, Antonio de Santa-Croce, archevêque de Florence, Bernardino, abbé d’Alviano, et Carlo Orsini. Jacomo, « qui a conduit le cardinal à la boucherie, » écrit Giustinian, racheta le lendemain sa liberté. Le 4 janvier, le gouverneur déménégeait, pour le pape et pour son propre compte, l’appartement du cardinal et celui de l’archevêque. « Ils ont tout pris, jusqu’à la paille des écuries, « dit Giustinian. Le même jour, Alexandre fit part de l’événement à l’orateur vénitien. « Il me dit : le cardinal est servi par ses propres domestiques. Nous ne savons ce qu’il adviendra. Si nous le trouvons en faute, nous userons plutôt de clémence, comme c’est notre office, que de cruauté. Et, continue Giustinian, il par la ensuite de telle sorte qu’évidemment il veut le faire mourir; mais je crois, d’après ces paroles mêmes, qu’il attendra pour cela la venue du duc, afin de se décharger sur celui-ci de cette opération. Le duc fera d’abord mourir l’abbé d’Alviano, après lui avoir arraché une accusation contre le cardinal. » Le 5 janvier, l’ambassadeur écrit : « La mère du cardinal a été chassée de sa maison, avec ce qu’elle portait sur le corps, accompagnée de quelques jeunes servantes; les malheureuses errent dans Rome, où personne ne veut les recevoir, car tous ont peur. Le cardinal a été conduit au Saint-Ange; certainement, de l’avis de tous, il est destiné à mourir. On croit que la fête est déjà faite pour l’abbé d’Alviano. Le seigneur Giulio Orsini a pu s’enfuir, avec ce qu’il a pris en croupe de son cheval, dans les états de Gian Giordano, emmenant sa femme, son fils et les jeunes enfans de Paolo Orsini. « Le jour même, « le cardinal se confessa et s’arrangea avec Dieu, car il attendait la mort d’une heure à l’autre. » Mais la mort fut lente à s’asseoir à son chevet. A la fin de janvier, la mère du prisonnier fit tenir au pape, par l’intermédiaire de la maîtresse de son fils, qui se rendit au Vatican déguisée en page, 2,000 ducats et une perle précieuse qu’Alexandre réclamait. Il fut permis, à ce prix, aux deux femmes, de préparer les alimens du cardinal. Mais la faveur était bien tardive, selon Burchard, qui écrit, avec un laconisme saisissant, biberat calicem ; il avait bu le calice. C’était le poison lent, le venenum atlerminatum de la Renaissance. Le cardinal Orsini mourut le 22 février. Burchard fut chargé de veiller aux funérailles. Mais, écrit le prudent chapelain, « ne voulant pas en savoir plus qu’il ne fallait, je n’y allai point et ne m’en occupai d’aucune façon. » Le 14, Alexandre convoquait les médecins qui avaient assisté le moribond, et leur imposait de jurer que cette mort était la plus naturelle du monde, de déterminer la maladie et d’en signer le procès-verbal. Le pape avait expédié quelques jours auparavant à son fils un bref où il lui ordonnait d’agir sans miséricorde contre les Orsini, à l’égard desquels il jugeait le duc trop bienveillant. « Il faut en finir sur-le-champ avec toute cette maison, prendre tous ceux que nous pourrons et n’épargner ni les femmes ni les petits enfans, » et cela parce qu’ils étaient tous traîtres aux Borgia, à l’église et au roi de France. Alexandre mentait, en traçant ces lignes, à sa propre conscience. Il se souciait fort peu des trahisons contre l’église ou le roi très chrétien; il pouvait, en laissant aller des innocens, venger encore avec éclat la dynastie pontificale. Mais il craignait qu’un jour quelque rejeton de cette maison ne se levât contre ses fils. « Monsieur l’ambassadeur, disait-il à Giustinian, nous avons les mains rouges du sang des Orsini, le duc a coupé la tête à Paolo et aux autres que vous savez; nous avons été si loin contre eux, qu’il faut nous assurer de tous pour qu’ils ne nous fassent point de mal. » Et puis, tuer tout, femmes et enfans, c’était détruire jusqu’à la racine la plus riche famille des états de l’église, prendre tous les fiefs, tous les palais, tout l’or des Orsini. A mesure qu’il vieillissait, une effroyable avarice grandissait en lui. Il ne songeait qu’à hériter, qu’à dépouiller les vivans et les morts. En mai 1503, il reçut 130,000 ducats des nouveaux cardinaux. Mais vendre des chapeaux rouges, des indulgences, des dispenses, des bénéfices, quêter pour la guerre contre le Grand-Turc, c’étaient de bien vieux moyens; il imagina un tarif d’exactions sur les cardinaux, les prélats, tous les fonctionnaires de la curie et les instituts de charité. Chacun payait 10 pour 100 de son revenu, et Burchard nous a conservé ce curieux tableau. Le cardinal Ascanio Sforza, le plus riche, était taxé à 3,000 ducats par an, les sous-diacres de sa sacristie, l’un dans l’autre, à 4 ducats. Le cardinal Corner, « qui n’avait point de revenus, » ne payait rien. L’hôpital de Saint-Gérôme était marqué pour 2 ducats. L’addition, que Burchard a négligé de faire, donne 45,836 ducats. Chaque clerc était pareillement astreint à la dîme, chaque juif au vingtième de son revenu. La luxure de l’or tourmentait Alexandre. Il finit par calculer la fortune mobilière et l’argent comptant de ses cardinaux; de temps en temps, il en envoyait un dans l’autre monde et s’inscrivait comme héritier des biens meubles du défunt. Le 11 juillet 1502, Giustinian écrit : «Le cardinal de Modène est malade, avec peu d’espoir de guérison ; on croit au poison. » Le 12 : « Le révérendissime cardinal de Modène va mieux; mais les médecins jugent la situation très grave. Si Dieu exauçait les prières de toute la ville, il ne se relèverait point. » Ferrari était, en effet, dataire et trésorier apostolique, et avait longuement pillé Rome. Le 19, il se trouvait au plus bas, et « la pleine lune devait l’emporter la nuit suivante, selon les médecins. » Sa Sainteté lui rendit visite; « mais elle ne voulut pas se retirer avant d’ordonner qu’on fît inventaire de tout le mobilier du palais ; elle se préoccupe fort du bien que lui apportera la mort du cardinal, qui a, dit-on, « une grosse somme d’argent comptant. » Le 20 juillet, il était mort, au « contentement de tous. » Son favori, Sébastien Pinzon, recevait une large part de ses bénéfices, in premium sanguinis. « Il est certain que le cardinal a été empoisonné, et que ce Sébastien a été son bourreau... Le pape l’a reçu au nombre de ses familiers... Le pontife a touché 14,000 ducats trouvés chez le défunt. » Pinzon fut plus tard mis à mort par Léon X, pour ce crime, qu’il confessa.
En avril 1503, ce fut le tour du cardinal Michiel, un Vénitien, neveu de Paul II. Il mourut en quelques heures, vers minuit. « On a la certitude, dit Giustinian, qu’il a été empoisonné. Dès qu’il eut la nouvelle, le pape envoya le gouverneur au palais du mort, et, avant le jour, tout était dévalisé. La mort de ce cardinal lui donne plus de 150,000 ducats,» argent comptant, argenterie, tapisseries, provision de blé, champs ensemencés, dont Alexandre attendait la moisson, chevaux de luxe, génisses et buffles, plus onze coffres du cardinal Colonna qu’il gardait dans son appartement. Le lendemain, « notre Seigneur s’enferma, portes closes, pour compter l’argent. » Trois jours plus tard, il conduisait l’ambassadeur dans la chambre où étaient les ducats de Michiel, 23,632 seulement, et disait avec douleur : « Regardez, toute la ville prétend que nous avons touché 100,000 ducats de l’héritage du cardinal; nous n’avons trouvé que ceci. » Puis il supputa que le cardinal, étant très riche, dépensant peu, devait avoir des capitaux à Venise, et demanda que la seigneurie fît arrêter son intendant Tommaso, qui était sur le point d’apporter les rentes de son maître, et renoncerait sans doute au voyage de Rome. Enfin, comme Michiel avait de grands pâturages dans son évêché de Porto, Alexandre se rendit dans cette ville, « non pour se divertir, mais pour s’emparer de ce qui appartenait au révérendissime cardinal, surtout des génisses et des buffles. » Il revint le 23 avril, « avec une bonne figure ; » l’expédition avait été fructueuse. Les troupeaux de l’éminence défunte, qu’il venait de ramasser sous sa crosse pastorale, lui avaient peut-être rappelé d’une façon réjouissante la parole évangélique : Pasce oves meas. Sous Jules II, le secrétaire de Michiel et son cuisinier furent poursuivis pour ce crime. Le premier avoua tout et dénonça en même temps Alexandre VI.
Le 2 août de la même année, seize jours avant Alexandre, le cardinal de Monreale, un Borgia, mourait presque subitement. « Le pape a fait bon visage à cette mort, bien que ce fût un sien neveu, car celui-ci passait pour avoir de l’argent et des bijoux en quantité, outre le mobilier de son palais, qui était très bien ordonné. Tout compte fait, le pape touchera 10,000 ducats, outre le prix des bénéfices. » Giustinian ne put conférer le lendemain avec le pontife sur la vacance du patriarcat de Constantinople. « Notre Seigneur s’est excusé sur la peine qu’il ressentait de la mort du cardinal ; la peine était de compter l’argent et de manier les joyaux. » Mais cette affaire fut excellente et finit par monter à plus de 100,000 ducats. On dit tout haut que Monreale « a été expédié par le chemin qu’ont pris tous les autres, après qu’ils ont été bien engraissés ; on accuse particulièrement le duc. »
Le sacré-collège vivait dans l’épouvante. Les cardinaux qui avaient eu, dit Giustinian, quelque mauvaise pensée secrète contre le pontife, songeaient à la fuite. Le cardinal de Médicis, ayant reçu un jour une caresse inaccoutumée d’Alexandre, se crut perdu, lui et son frère Pierre. En janvier 1503, l’arrestation de l’évêque de Cesena et du protonotaire Andréa de Spiritibus fit passer la terreur dans les rangs des prélats. Ceux-là étaient riches ; leurs maisons furent vidées par les sbires pontificaux. « Toute la cour tremble, et surtout les prélats qui ont de l’argent, et les gentilshommes romains; les uns ont fui, les autres se cachent, personne ne se croit plus en sûreté. Chacun compte les péchés qu’il a commis et s’inquiète des fautes commises par ses parens. » Cinq mois plus tard, l’ambassadeur vénitien renouvelle le même avis, à propos de Jacomo Santa-Croce, qui, après avoir payé 10,000 ducats pour avoir la vie sauve, fut pendu le lendemain; ses biens furent confisqués, sa femme et son enfant proscrits. « Tous les Romains qui passent pour riches, tous ceux qui ont la faveur populaire ou appartiennent à un parti politique, sont dans une peur extrême et se croient à chaque minute le bourreau sur les épaules. » On avait maudit la Rome désordonnée d’Innocent VIII, terrifiée par les brigands ; on retrouvait la Rome de Catilina et des triumvirs. Ces derniers temps du pontificat furent véritablement affreux. La recherche des suspects pénétrait jusque dans la plus humble population romaine. Un mot étourdi, surpris dans un carrefour, dans un coin de taverne, par les espions du Valentinois, était un arrêt de mort. Un masque qui avait trop d’esprit eut la main et la langue coupées; la langue, clouée sur la main, fut exposée pour l’édification des âmes sensibles. Rome prenait un aspect funèbre. Le carnaval de 1503 se présenta d’une façon si lugubre que le pape convoqua sa noblesse au Vatican et l’engagea à se divertir, sans aucune préoccupation, « à faire la fête, pour tenir la ville en joie. » Mais lui-même commençait à avoir peur de son ombre ; il triplait la garnison du palais, du Saint-Ange et du Borgo, il rappelait don Joffré avec ses troupes, il faisait entrer à Rome les bandes de César, il suspendait les jeux du carnaval, puis il les autorisait de nouveau, à la condition que les Romains, dans leur belle humeur, ne porteraient point d’armes cachées sous leurs travestissemens. Jour et nuit, dit Giustinian, Rome, occupée par les soldats du duc, « semblait une caverne de brigands; on dépouillait les gens en pleine rue; » la nuit, on se massacrait entre Romains et Césariens. C’étaient ces atroces mercenaires du Valentinois qui venaient de brûler le territoire de Sienne. « A San-Quirico, dit Burchard, ils n’avaient trouvé que deux vieux et neuf vieilles femmes ; ils les pendirent par un bras, les pieds dans un brasier, afin qu’ils révélassent le lieu où leur argent était caché. Mais ils ne révélèrent rien et moururent dans ce supplice. » Les Borgia, sentant la haine monter autour d’eux, ne voyaient plus que des traîtres dans les serviteurs les plus éprouvés de leur politique. César avait fait pendre don Remiro, son lieutenant-général en Romagne, accusé d’avoir affamé le pays en accaparant les grains. En mai 1503, le secrétaire pontifical Trozzo, l’agent de toutes les besognes louches, s’enfuit tout à coup : on crut d’abord qu’il était parti pour une mission diplomatique ; il se sauvait simplement par horreur pour le bourreau. Il fut, repris en Corse et, dit Giustinian, « bien qu’il eût des brefs rassurans du pape et de bonnes lettres du duc, ils l’ont envoyé, lui aussi, faire pénitence de ses péchés dans l’autre monde. Les uns disent qu’on l’a noyé, d’autres qu’on l’a étranglé ; mais il est certain qu’il est mort. » L’ambassadeur de Ferrare, Costabili, raconte qu’il fut étranglé par Micheletto, dans une tour du Transtevère, sous les yeux du Valentinois, caché en un lieu où l’on ne pouvait l’apercevoir. » L’orateur vénitien termine sa dépêche sur la fin de Trozzo par ces paroles : « Maintenant ils restent privés des hommes qui les servaient le mieux dans tous leurs crimes. Le duc n’a plus que Remolines et don Micheletto, qui s’attendent à un malheur prochain. »
Mais la tragédie allait finir brusquement. Au moment où le pape, forcé de se décider à bref délai entre la France et l’Espagne, ne savait plus, dit Giustinian, « où reposer sa tête, » et se voyait à la veille d’une guerre désastreuse, dont Venise profiterait pour envahir les états du duc, la mort vint le tirer d’embarras. Déjà, le 11 juillet, il s’était trouvé indisposé, peut-être par une indigestion ; l’orateur vénitien le vit, couché sur un lit de repos, tout habillé, « avec un bon visage. » Le 14 le pape reçut Antonio dans la salle des pontifes, assis, «un peu faible, » mais toujours l’esprit alerte. Il semble alors s’être bien rétabli. Mais le 7 août, l’ambassadeur le trouve assez triste, « plus renfermé en lui-même que de coutume. » La fièvre ravageait Rome, et Alexandre se plaint du grand nombre des morts, qui lui fait peur : « Nous prenons, dit-il, plus de précautions pour notre personne que dans le passé. » Le 11, il célébrait, « sans sa bonne humeur habituelle, » l’anniversaire de son exaltation ; « il était en suspens, et inquiet au fond de son âme. » Ce jour-là, comme il regardait, d’une fenêtre, passer un enterrement, il dit : « Ce mois-ci est fatal pour les gens obèses. » À ce moment, un hibou tomba à ses pieds; il rentra épouvanté dans sa chambre, se répétant : « Mauvais présage! mauvais présage! » Le même jour, un vendredi, il dîne encore de bon appétit; on a retrouvé le menu de ce dernier repas : œufs, langoustes, citrouilles au poivre, confitures, prunes, une tourte enveloppée de feuilles d’or. Il est douteux qu’il ait arrosé d’eau de Trevi ce dîner dangereux pour la saison fiévreuse. Quelques jours auparavant, il avait soupé tard, à la fraîcheur mortelle de la nuit, avec César et plusieurs cardinaux, dans la vigne du cardinal Adrien. Le samedi 12, le mal se déclara violemment ; il était pris de fièvre et de vomissemens. Le duc se mettait au lit avec la fièvre, le cardinal Adrien et tous les autres convives ressentaient les mêmes symptômes inquiétans. Le 14, le pape fut saigné largement et l’état du duc empira. Le 15, Giustinian ne put obtenir de nouvelles sûres : ceux qui entraient au Vatican n’en sortaient plus ; le duc rappelait ses troupes à Rome ; les familiers du palais feignaient une grande sécurité ; « mais toutes ces précautions sont de mauvais augure. » Le 16, la situation n’avait point changé. Le 17, le pape prit médecine; son médecin, l’évêque de Vanosa, ne cachait point son inquiétude. Vers le soir, le palais « fut sens dessus dessous ; chacun cherchait à sauver secrètement ce qui lui appartenait. » Les gouverneurs des petits Borgia, Giovani et Rodrigo, expédiaient à Piombino les objets précieux de leurs pupilles. Le 18, de bonne heure, Alexandre se confessa et communia, au cours de la messe célébrée près de son lit; il avait alors une étrange hallucination : il voyait un singe qui bondissait à travers sa chambre; un cardinal, pour le calmer, dit qu’il allait prendre la bête : « Laissez-le, laissez-le, dit le mourant, car c’est le diable! » A l’heure de vêpres, il reçut l’extrême-onction; puis, en présence d’un évêque, du dataire et des palefreniers du palais, il expira. « Aussitôt, dit Burchard, le duc, qui était alité, envoya don Micheletto avec beaucoup de monde; ceux-ci fermèrent toutes les portes de l’appartement pontifical, et l’un d’eux tira un poignard et menaça le cardinal Casanova de l’égorger et de le jeter par la fenêtre, s’il ne lui livrait les clés de l’argent du pape. Le cardinal, effrayé, donna les clés. Ils entrèrent tous dans le cabinet voisin de la chambre du pape, et prirent toute l’argenterie qu’ils trouvèrent, et deux coffres renfermant environ 100,000 ducats. Puis, vers le soir, on ouvrit les portes et on publia la mort du pape. Les valets s’emparèrent de ce qui restait dans la garde-robe et la chambre à coucher, et ne laissèrent rien de bon, à part les fauteuils, quelques coussins et des tapisseries clouées aux murs. Le duc ne vint jamais voir le pape pendant sa maladie ni après sa mort, et le pape, dans ses derniers jours, ne se souvint pas une seule fois ni de son fils ni de Mme Lucrèce. »
Les cardinaux ne vinrent point prier au chevet du pontife. Le scandale de l’ensevelissement de Sixte IV se renouvela. Burchard habilla Alexandre le mieux qu’il put ; il ne trouva pas d’anneau pastoral à lui mettre au doigt. La première nuit, le pape demeura allongé sur une table, entre deux cierges, tout seul, et nemo cum co. Quand il fut porté le lendemain à Saint-Pierre, accompagné seulement de quatre prélats, les suisses du palais livrèrent bataille au clergé de la basilique, qui se sauva dans la sacristie. Je ne puis traduire, d’après Burchard et les ambassadeurs, le spectacle affreux que donna tout à coup le cadavre, qui devint « couleur de drap très noir. « Il fallut se hâter. Six portefaix et deux charpentiers, « tout en plaisantant et en riant autour du pape, » le déposèrent dans un coffre « trop étroit et trop court. » On ôta la mitre pontificale, on jeta sur Alexandre un vieux tapis et, à coups de poing, donnés çà et là, les misérables ajustèrent le cadavre. « Il n’y avait, dit le chapelain, ni cierges, ni lumières, ni prêtres, ni personne pour veiller sur le pape mort. » Le marquis de Mantoue écrivit sérieusement à Isabelle d’Este, sa femme, qu’on avait vu sept diables entourer l’agonie d’Alexandre VI. On disait à Rome qu’un chien noir courait, sans s’arrêter, dans l’intérieur de Saint-Pierre. La conscience populaire créait une légende satanique sur la tombe d’Alexandre Borgia.
Le pape et son fils avaient-ils donc été empoisonnés? Les témoins immédiats de cette catastrophe n’ont point cru à l’empoisonnement. L’ambassadeur vénitien par le de fièvre, et, d’après maître Scipion, l’un des médecins du pape, d’apoplexie. Burchard s’en tient à la terzana, la fièvre tierce. L’ambassadeur de Ferrare croit à un mouvement désordonné de la bile, colera citrina, et à l’effet du mauvais air de Rome autour du Vatican. Les cardinaux ne semblent pas avoir pensé davantage au poison. L’altération rapide du cadavre du pape, la maladie simultanée de César et des autres convives du cardinal Adrien, donnèrent la première idée d’un crime. Je trouve, à l’Archivio de Rome, une note de notaire ainsi rédigée: « Aujourd’hui... le pape Alexandre VI est mort empoisonné, ainsi que le démontrent l’aspect de sa face et les conjectures les plus probables. » Les écrivains postérieurs, ou ceux qui n’étaient point à Rome lors de l’événement, ont, pour la plupart, adopté cette opinion. Le récit de Guichardin est, sur ce point, très complet, mais avec une abondance de détails qui paraissent bien romanesques. Le vin empoisonné, envoyé d’avance à la vigne par le Valentinois, afin de tuer le cardinal son hôte, et confié à un échanson qui n’en soupçonne pas l’importance ; le pape altéré, épuisé par la chaleur du jour, qui, à peine arrivé, demande à boire sur-le-champ; la fiole fatale saisie par hasard et versée dans la coupe d’Alexandre et dans celle de son fils, ajoutons même de toute la compagnie; l’étourderie du duc, qui a bu ce vin comme de l’eau de roche; puis l’entrain joyeux de Rome, qui accourt à Saint-Pierre, afin de se rassasier de la vue du tyran défiguré par une agonie hideuse, tous ces traits ne répondent pas assez à l’ensemble de faits précis recueillis par Giustinian et Burchard. On sent ici un arrangement dramatique, produit en partie par l’imagination impersonnelle des contemporains, accepté par l’historien florentin, et relevé encore par la colère répandue dans cette page fameuse. Mais le récit de Guichardin contient une erreur très grave, qui le rend suspect au plus haut degré. Selon lui, la fin du pape fut foudroyante; on le rapporta moribond de la vigne du cardinal au palais ; le lendemain, 18 août, il était déjà dans sa chapelle mortuaire, à Saint-Pierre. L’écrivain orateur, afin de mieux prouver le caractère tragique de cette mort, a supprimé les sept jours de maladie, les accès de fièvre, les saignées, les médecines et les médecins qui figureraient d’une façon médiocre dans une tragédie ; il a oublié que le souper d’Adrien précéda de quelques jours la première apparition du mal. Je crois que l’opinion de Guichardin, l’empoisonnement fortuit et en quelque sorte providentiel des Borgia, tués, dit un contemporain, « comme les scorpions, par leur propre venin, » n’est pas digne de créance. Reste le crime prémédité et exécuté par leurs ennemis. Le Vénitien Sanuto, qui en raconte plus long que son ambassadeur Giustinian, écrit que le cardinal Adrien lui-même avait acheté pour 10,000 ducats la complicité du propre échanson d’Alexandre ; cet homme prépara un sirop et le servit à son maître et au Valentinois, durant le souper du cardinal. Ici les vraisemblances sont plus fortes, mais ne défient point encore toute objection. Il était bien dangereux pour Adrien de se livrer à la discrétion d’un valet capable de toutes les infamies. Puis, l’intérêt de l’échanson était, comme celui du cardinal et de tous les ennemis de la famille Borgia, de tuer vite et sû rement le duc en même temps que le pape, plus vite même que le pape, et d’employer, pour mettre sa tête à l’abri, tous les raffinemens de son alchimie. Quel que fût l’empoisonneur, il était forcé, tant le crime était dangereux, de le consommer tout entier, avec une implacable rapidité. Enfin, tous les convives, et l’amphitryon comme les autres, ayant été malades des suites du festin, ne doit-on pas supposer que l’assassin n’était point présent, qu’il avait ordonné cette fête, mais qu’il n’y parut point? La guérison du Valentinois, le temps même qu’Alexandre mit à mourir, sont un argument considérable contre l’hypothèse de l’empoisonnement, tandis que les symptômes consignés par Giustinian se rapportent bien à la terrible fièvre paludéenne. La mal’aria romaine, la peste des marais Pontins, s’était assise dans la vigne du cardinal comme un hôte inattendu, et avait touché la main du vicaire de Dieu et de César de France.
Cependant, le Valentinois accomplissait son coup de maître : il durait pendant vingt jours et faisait peur encore. Il était malade lui-même, mais il occupait toujours le Vatican avec ses cardinaux espagnols et ses gardes; il tenait le château Saint-Ange, d’où ses canons tirèrent un beau soir du côté de la Minerve, où le sacré-collège se réunissait chaque jour pour trembler, sous l’invocation du Saint-Esprit. Jamais l’église n’avait été dans un tel désarroi et ne se vit livrée à de pires intrigues. César et le souvenir effrayant de sa vie, les Espagnols avec les Colonna, les Français avec les Orsini, Julien de La Rovere et George d’Amboise, qui venaient de France comme candidats papables, selon le cœur de Louis XII ; de tous côtés, l’usurpation, la conquête étrangère, la guerre civile ou le schisme menaçaient Rome. Les cardinaux fermèrent de barricades les abords du couvent où ils délibéraient sur le moyen d’attirer le lion hors de son antre. Mais le lion n’avait plus ni griffes ni dents; il ne lui restait plus qu’un prestige d’opinion, dont personne, à Rome, n’apercevait alors la vanité ; avec cette souplesse toute féline et la grâce qui, dix mois auparavant, avaient séduit Machiavel, il reprenait le rôle de grand comédien abandonné par Alexandre VI; il caressait en même temps les Espagnols et les Français, tout en tramant l’élection d’un pape espagnol. « Il trompe tout le monde, écrivait Giustinian, et continue l’astuce paternelle ; il temporise pour voir à quel parti il peut s’attacher avec le plus de sécurité, et son art est si grand que chacun croit l’avoir avec soi. » L’orateur de Venise lui fut envoyé par les cardinaux pour l’exhorter à sortir du palais apostolique et de Rome. « Il me répondit avec courtoisie et respect beaucoup de bonnes paroles, disant que, depuis la mort de son père, aucun scandale ne s’était produit et ne se produirait à cause de sa personne, ni rien de contraire aux libertés de l’église et du sacré-collège, dont il était le fils respectueux et très obéissant, paroles dont on pourrait se contenter, si le cœur y répondait véritablement. A la demande de son prompt départ, il répondit que, le désirer, c’était vouloir sa mort, car il était trop malade pour sortir non-seulement de Rome, mais de son lit, sans un danger mortel, comme en témoignaient tous ses médecins ; quant à l’obliger à renvoyer ses troupes, c’était pareillement le faire mourir et le livrer à ses puissans ennemis ; il promettait de s’en aller de Rome, avec tout son monde, pour complaire au collège, dès qu’il le pourrait sans péril; puis il nous renvoya. » Il parlait ainsi, étendu, tout habillé, sur un lit de repos, « feignant d’être malade, dit Giustinian, plutôt qu’il ne l’était réellement. » Il avait tout prévu, dit-il trois mois plus tard à Machiavel, pour l’éventualité de la mort du pape, tout, excepté cette brusque maladie qui l’empêcha, soit de rentrer, à la tête de son armée, en son duché de Romagne, soit même de tenter contre l’état pontifical un coup de main et de se proclamer tyran dans la maison de saint Pierre. Il vit l’écroulement de sa fortune, tout en gardant l’impassibilité altière des plus beaux jours de sa puissance, et, tandis que son père, frappé de quelque mésaventure, eût répandu ses doléances et sa fureur en face de toute la chrétienté, César parut accepter sa destinée avec le fatalisme tranquille des hommes de son siècle; il ne prit personne pour confident de sa rage et de son deuil, et s’échappa de Rome à la dérobée, presque seul. Il marchait au-devant d’une ineffable misère, la trahison de ses capitaines et la perte de son royaume italien, le parjure de Jules II, qui lui dut la tiare, l’exil, et, sur les grands chemins de l’Espagne, la mort obscure d’un aventurier.
Dans la première des quatre dépêches qu’il expédia le 18 août à la seigneurie de Venise, quelques heures avant la mort d’Alexandre, Giustinian écrivait : « Tout le monde est en suspens; tous désirent que cette maladie soit la fin des tribulations de la chrétienté. » Il y a quelque excès dans ces paroles. L’orateur vénitien n’était point placé, pour juger les Borgia, à la perspective plus juste que sait trouver la postérité. Le champ de sa vision était rempli par les personnages qu’il voyait de trop près; ils lui paraissaient trop grands, et le diplomate n’apercevait plus toute la suite de faits et d’hommes qui avaient préparé ce pontificat, toutes les causes historiques dont l’œuvre des Borgia a été l’achèvement. Ce n’est point à la chrétienté, mais à l’Italie qu’ils ont fait Je plus de mal. L’Occident avait perdu depuis longtemps la notion du pasteur universel, que la société catholique retrouva plus tard, après la réforme, surtout après le concile de Trente, avec une grande netteté. Que les Borgia fussent en dehors du christianisme, que le tabernacle de leur église fût vide, que l’évêque romain fût marqué du signe de l’apostasie, comme l’avait cru Savonarole, la conscience religieuse de la renaissance acceptait cet accident sans trouble profond. Luther et ses disciples, les humanistes allemands, les écrivains calvinistes français, ont été les premiers à accuser la papauté de trahison envers Dieu et la chrétienté ; les catholiques, les indépendans, tels qu’Érasme et Rabelais, et l’ensemble des écrivains italiens, Machiavel comme Cellini, n’ont point cru que l’indignité des pasteurs ait été si funeste au troupeau, et que la perversité des maîtres de l’église ait fait perdre Dieu aux âmes individuelles. Les hommes de ce temps souffraient d’ailleurs assez peu du spectacle d’une immoralité dont la tyrannie italienne avait produit les plus beaux exemplaires, et qui, d’Italie, a gagné par contagion la France du XVIe siècle. Le sentiment de la loi, le respect du droit d’autrui, la discipline personnelle, n’avaient point été conciliables avec la cupidité, l’égoïsme et l’orgueil sans bornes qui furent parmi les forces vitales de cette civilisation. Les Borgia n’ont témoigné, par la licence de leur vie, comme par la cruauté de leur gouvernement, d’aucun esprit d’invention. C’est dans le domaine de la politique que le jugement de l’histoire doit les rechercher et les atteindre. Ce n’est point par leur fourberie constante, leur impudeur et leur dureté de cœur qu’ils ont nui le plus à la péninsule, mais par la façon particulière dont ils ont compris le rôle du saint-siège en une certaine heure très critique de l’histoire italienne. Ils ont voulu que leur maison fût la maîtresse de l’Italie, non par son ascendant sur les principats rivaux, mais par la destruction des tyrannies, grandes ou petites. Ils avaient hérité, sans doute, de traditions mauvaises ; le mouvement d’extension territoriale et de népotisme insolent, commencé par Sixte IV, ralenti sous Innocent VIII, avait abouti aux Borgia. Ils n’auraient pu l’arrêter net sans compromettre la situation de la royauté ecclésiastique en Italie, et se condamner eux-mêmes au rôle effacé d’un principat inerte dans le tourbillon du combat pour la vie que se livraient les tyrans du haut en bas de la péninsule. Mais ils pouvaient modérer et régler ce mouvement en limitant leurs propres ambitions. Leur crime est d’être allés si loin qu’ils ont dû, pour assurer leurs convoitises, appeler l’étranger.
Cet attentat contre les libertés nationales de l’Italie n’était point nouveau. Les papes du moyen âge avaient appelé les empereurs, puis Charles d’Anjou, puis Charles de Valois; Ludovic le More avait attiré Charles VIII sur la péninsule. Mais il s’agissait alors, soit de ramener un maître dans les Deux-Siciles, habituées et résignées an joug étranger depuis la fin de l’empire romain, soit de rétablir l’ordre dans la féodalité italienne, soit de pacifier une province, la Toscane, par exemple. Le nord italien, la Lombardie, la frontière des Alpes, avaient toujours été considérés par le saint-siège et le reste de l’Italie comme une région réservée, dont l’autonomie importait à la péninsule entière ; pour l’arracher aux empereurs, le saint-siège avait provoqué, au temps des communes, un véritable soulèvement national. Alexandre VI méconnut cet intérêt séculaire et abandonna le Milanais à Louis XII. Non content d’établir l’étranger au nord, il livra le midi à deux nations étrangères. Il fallut quatre siècles et demi et l’intervention généreuse de la France pour effacer les derniers effets de cette criminelle politique.
On peut objecter que cette évolution historique de la péninsule était inévitable, et que l’Italie, épuisée par la guerre civile de ses tyrans, semblait condamnée à la servitude. Mais je ne vois point ce que les Borgia gagneraient à être considérés seulement comme la cause occasionnelle à la fois et fatale de ce grand désastre. Après tout, un prince, un homme d’état, n’agit jamais, en bien ou en mal, qu’à l’aide de forces préexistantes, et c’est la situation générale de son pays et de ses voisins qui le porte à choisir le rôle utile ou néfaste auquel il dévoue sa vie. La responsabilité historique doit se mesurer au degré de conscience et de volonté libre des hommes qui ont précipité les événemens; pour les despotes, que l’égoïsme donne et qui ne peuvent s’excuser sur l’aveugle violence de l’opinion ou de la passion publique, cette responsabilité est absolue. Mais ceci n’empêche point les moralistes de noter des différences dans la perversité des hommes qui ont produit en commun une œuvre mauvaise et ont été assez puissans dans le mal pour troubler toute une civilisation. Il est clair que ces deux Borgia étaient inégaux en scélératesse. L’immoralité politique du père a été décuplée par l’ambition féroce du fils. Le pape fut, après 1497, l’instrument docile du Valentinois. Le duc était le virtuose principal ; le pape, possédé par l’épouvante de ce fils, qui ne reculait devant aucune horreur, l’a suivi pas à pas, jusqu’à son dernier jour, dans tous les détours de sa voie sanglante. Il est digne de quelque pitié. Il n’a pas goûté, grâce à César, toute la joie qu’il s’était promise du pontificat; il a perdu, dans l’âpre labeur auquel son fils l’avait asservi, sa gaîté naturelle et un vague instinct de grandeur d’âme que manifestaient encore, dans les premières années de son règne, quelques paroles vraiment nobles. Le Valentinois fut le démon de la famille. Il doit porter la plus lourde part de la gloire maudite des Borgia.
EMILE GEBHART,
- ↑ Voyez la Revue de 15 décembre 1887.