LE PAYSAN POÈTE
DE LA SOUABE

III[1]
LES EXCÈS DU NÉO-BOUDDHISME


I

Puisque nous allons avoir maintenant à critiquer certains excès du mysticisme de Wagner, excès qui transparaissent déjà dans la ballade du bramine, arrêtons-nous encore un instant pour rendre justice à la noblesse d’une doctrine dont l’apôtre se proclame, à bon droit, fort par la conscience « de n’avoir pas créé de souffrance, et, tout au contraire d’avoir diminué la souffrance autour de lui. » On assure en effet qu’il a su mettre ses actes en accord avec ses préceptes : que si, dans sa première jeunesse, il a commis la faute d’entreprendre une collection de papillons, cette cruauté inutile a été bien rachetée depuis lors par les soins prodigués de sa main à tout ce qui respire, aux petits oiseaux affamés durant l’hiver, et surtout à ses animaux domestiques. Son historien rapporte qu’il forma de bonne heure la résolution de ne jamais vendre au boucher une pièce de bétail, préférant choisir, parmi les acheteurs, ceux qui destinaient l’animal à la reproduction. Or, sur ce point déjà, nous touchons à l’excès dans les conséquences pratiques de la doctrine : car, si Wagner, en vendant ses élèves assez jeunes pour qu’ils fussent encore propres à la reproduction, put éviter de les livrer lui-même aux mains des bourreaux, ces infortunés durent nécessairement en passer par là tôt ou tard, dès que leurs nouveaux maîtres y trouvèrent avantage, et ne les utilisèrent plus autrement. Le poète ne saurait donc faire une loi générale de sa délicatesse de cœur, sinon par la prédication d’un strict végétarisme, qu’il reconnaît lui-même impossible. Ses scrupules de vendeur auront donc satisfait la tendresse de son âme ; mais de semblables exemples, comme on le dit au collège en présence de certaines licences des classiques, sont plutôt à admirer qu’à imiter : magis admiranda quam imitanda.

Il va beaucoup plus loin par instans, et nous allons voir en lui le poète égarer singulièrement le prédicateur de morale pratique. Tout d’abord, dans son amour universel du monde animal, il ne songe pas assez que, les animaux se dévorant entre eux, tout ménagement exercé vis-à-vis des espèces carnassières prépare une aggravation de souffrances aux races inoffensives. Les Présens votifs nous offrent une pièce qui, à ce point de vue, n’est pas sans laisser le lecteur un peu perplexe :


J’avais dans mon jardin des sarcleuses : et voici qu’une petite araignée, traînant avec peine ses œufs enfermés dans un sac (c’est la coutume de certaines espèces), s’enfuit sous leurs pas avec angoisse. Ne l’écrase pas du pied, ô sarcleuse, n’es-tu pas mère toi-même, comme cet insecte hideux et méprisé ? Épargne-le donc : de peur que Dieu n’écrase tes enfans en retour[2].


Outre que la menace est vraiment exagérée, on songe malgré soi à l’opinion des mouches, amies du bramine, qui leur prépare de la sorte une nouvelle génération de persécutrices.

Mais voici qui est plus grave encore pour un cultivateur, et pour un administrateur avisé de son bien. Lorsque, dès la préface de son premier recueil, Wagner parle de fonder une communauté de propriétaires, dont les champs seront un asile pour les bannis et les persécutés, où nul piège, nul poison ne menacera les petits gourmands, on imagine tout naturellement que l’auteur songe aux passereaux inoffensifs qu’il nourrit durant l’hiver. Cependant, ailleurs, comme nous l’avons vu, il y joint expressément les souris, mortes de faim dans le piège ; elles se dresseraient un jour contre leur bourreau[3]. En une autre occasion, il va même jusqu’à laisser leur part aux hannetons[4], qui demeurent pourtant les ennemis de l’agriculture, durant tout le cours de leurs métamorphoses, s’attaquant successivement aux racines, puis aux feuilles des plantes. Nul homme de bon sens ne le suivra sur ce terrain, et de pareilles exagérations suffiraient à expliquer, sinon à excuser cette attitude peu sympathique de ses voisins à son égard, que nous aurons l’occasion d’indiquer tout à l’heure.

Et que dire enfin d’un culte de la beauté qui se manifeste chez un cultivateur par les effusions que l’on va lire ? car les Présens votifs renferment encore une pièce intitulée : Beauté intangible[5] :


Je marchais le long de mon champ pour arracher dans le froment la mauvaise herbe qui y foisonne. De loin, déjà, je le voyais resplendir de l’azur des bluets, de la pourpre sombre des coquelicots. Je demeurai attristé d’une part, mais, de l’autre, nageant dans les délices, à l’aspect de cette splendeur indicible. Jamais, ô sol divin, je ne troublerai ta paix ; ta beauté me demeurera toujours sacrée ; je ne saurais l’offenser, et j’abandonne volontiers les gerbes qui me manqueront en retour. Je dis, et je m’en allai dans une satisfaction silencieuse, et dans une extase céleste.


Faut-il penser cependant qu’en ces lignes charmantes, la forme sauve le fond, qu’il y aurait pédantisme à les prendre à la lettre, que, malgré tout, Wagner a souvent arraché coquelicots et bluets dans ses blés ? Problème délicat, et, parvenu en cet endroit de mon étude, je me suis senti dans une atmosphère intellectuelle si nouvelle pour moi, que j’ai eu recours une fois de plus à mon savant ami. Je réclamai donc de sa complaisance quelques éclaircissemens sur la morale extensive de son poète, et sur l’origine d’un état d’esprit à ce point inattendu chez un homme des champs.


II

« Je ne fais partie, m’a-t-il répondu, d’aucune Société protectrice des animaux ou des plantes, et je ne puis vous fournir que des indications générales sur ce sujet : néanmoins, mes excursions dans le domaine bouddhique m’ont amené à y prêter quelque attention. Récemment encore un édit chinois, émané d’un gouverneur de province, défendait de dérober leur lait aux vaches, parce que cet acte constitue évidemment une grave injustice à l’égard du veau. De toute antiquité, d’ailleurs, la doctrine védique de l’identité de notre âme individuelle, l’Atman, avec l’âme universelle ou Brahman, a conduit ses fidèles à regarder tout ce qui vit comme composé d’une même essence. Une formule mystique, à ce point solennelle qu’elle porte en sanscrit le nom de Grande Parole, résume cette conviction métaphysique. « Tat twam asi, » littéralement : « Tu es cela ; » telle est l’exhortation qu’il faut s’adresser à soi-même à la vue de chaque animal, afin de conserver présente à l’esprit l’identité de notre être et du sien.

Je ne saurais m’attarder à vous faire ici un exposé historique complet des rapports de l’homme avec la bête. Sachez seulement que, là encore, Schopenhauer fut le plus efficace intermédiaire entre la pensée hindoue et l’âme occidentale, prétendant réveiller en nous sur ce point les vieux instincts aryens assoupis. Vers la fin de sa vie, surtout, il s’est vivement prononcé pour la protection des animaux : et, avec la passion qu’il apportait d’ordinaire dans ses attaques contre l’Ancien Testament, il exprimait volontiers son dégoût pour la prétendue cruauté de la Bible en ces matières ; il flairait là plus qu’ailleurs le fœtor judaïcus, la mauvaise odeur de judaïsme, qui exaspérait ses nerfs malades à la lecture du livre saint. Dans son dernier ouvrage, il reproche avec indignation au Créateur d’avoir abandonné tous les animaux au pouvoir de l’homme « sans même lui recommander de les bien traiter, ce que fait cependant, sans y manquer, tout marchand de chiens qui se sépare d’un de ses élèves. » Un autre passage de l’Écriture agitait aussi particulièrement sa bile. Le Juste, est-il dit dans les Proverbes de Salomon (XII, 10), prend pitié de son troupeau.

« … Prend pitié ! s’écrie notre censeur, quelle expression déplacée ! On prend pitié d’un malfaiteur, d’un coupable, mais non pas d’un brave animal innocent, qui nourrit son maître, et n’en reçoit qu’une maigre pitance en retour. Prend pitié ! ce n’est pas de la pitié, c’est de la justice qu’on doit aux animaux[6]… »

Plus loin, afin de stigmatiser l’inconscience qu’apportent certains hommes dans l’exercice des pires barbaries, il offre une citation tirée d’un des écrivains d’édification du protestantisme. C’est un fait révoltant, dit-il, de voir Jung Stilling, qui se prétend si pieux et si chrétien, nous présenter froidement la comparaison suivante dans ses Scènes du royaume des esprits. Il s’agit d’une apparition fantastique.

« Soudain, écrit Stilling, le squelette se contracta jusqu’à présenter la figure d’un petit nain, qui inspirait une indicible épouvante. Telle une grosse araignée, placée au foyer d’une lentille tournée vers le soleil, se réduit à rien et fond sur elle-même, tandis que son sang éthériforme bout en sifflant sous les rayons brûlans. »

Ainsi donc, poursuit alors le philosophe de Francfort, cet homme de Dieu a exécuté en personne une pareille abomination, ou, tout au moins, il l’a considérée avec le calme d’un observateur attentif, ce qui revient au même en pareil cas ; et il y a trouvé si peu de chose à reprendre, qu’il nous la raconte en passant, avec la plus grande bonhomie. Tels sont, aux yeux de Schopenhauer, les effets des leçons de la Genèse, et en général de toute la conception juive de la nature. Et, après avoir couvert d’anathèmes la vivisection, il conclut par cette boutade que, à son avis, le plus sérieux bienfait des chemins de fer, c’est d’avoir adouci à des millions de chevaux de trait leur pénible existence.

— Les personnages bibliques ne sont pas toujours si impitoyables, objectai-je, et l’ânesse de Balaam me paraît avoir eu le dernier mot dans son différend avec son maître. Quant au christianisme, malgré le crime de Jung Stilling, il me semble superflu de le défendre contre le reproche de barbarie envers les animaux. Une religion qui compte parmi ses saints François d’Assise, l’ami des loups, des cigales et des petits oiseaux, peut braver les sophismes, les distinctions subtiles, et les citations plus ou moins tronquées. Je me souviens qu’un de mes compatriotes[7] a écrit jadis qu’il faudrait tout un volume non pas pour analyser, mais seulement pour indiquer par leur titre les innombrables légendes où les animaux figurent comme acteurs, à côté des moines et des saints du moyen âge, offrant de gracieux symboles de cette charité merveilleuse que les légendaires et les poètes chrétiens prêtent aux bêtes pour corriger les hommes de leurs instincts cruels. La seule image du bon Pasteur, tracée aux murailles des temples, ou encore la crèche de Bethléem avec le bœuf et l’âne, ne sont-elles pas un enseignement de charité et de mansuétude ? Enfin, tout récemment, une main pieuse a réuni les textes sans nombre par lesquels l’Eglise établit sur ce point sa doctrine[8]. Peut-être les interprètes de la Bible et de l’Evangile, émancipant l’homme des liens de la matière, et l’invitant à se retirer en lui-même afin de puiser dans la conscience de sa valeur éminente parmi les créatures le sentiment de sa dignité morale, ont-ils parfois poursuivi, au prix d’une rigueur apparente envers l’animal, un avantage certain pour l’humanité ? Mais remarquez-le bien, la distinction si tranchée établie par la scolastique et le thomisme entre l’homme et la bête, plus tard les excès de Descartes et de Malebranche, refusant à l’animal jusqu’à la possibilité de souffrir, sont d’origine plutôt classique que chrétienne. Les penseurs de la Grèce, Platon et Aristote en tête, ont, par leur dualisme tranchant, et leur anthropocentrie trop exclusive, créé l’état d’esprit que certains auteurs chrétiens ont emprunté à leur enseignement. J’ajoute enfin que, si la théorie des rapports entre l’homme et l’animal a pu recevoir des interprétations diverses dans le sein du christianisme, la pratique y fut presque constamment favorable à la douceur et à la modération.

— Quoi qu’il en soit, poursuivit mon ami, les droits des animaux offrent un problème qui préoccupe sérieusement nos contemporains. Nous allons examiner, si vous le voulez bien, les opinions de quelques-uns d’entre eux, choisis parmi les plus cultivés, parmi ceux qui ont pris nettement position dans le débat. Comme avocat intransigeant du droit des animaux, nous ne saurions trouver mieux que M. Weltrich, Fauteur de cette biographie de Christian Wagner que je vous ai remise avec les œuvres du poète, et qui doit certainement son origine à la sympathie inspirée au critique bavarois par les vues si exceptionnelles du paysan souabe sur les rapports entre l’homme et la bête. Ce bouillant champion des animaux a en effet profité de l’occasion qui lui était offerte pour insérer dans son livre tout un réquisitoire contre leurs ennemis : il en est même un chapitre qui semble une brochure de propagande, primée par quelque Société protectrice.

Et, certes, les doléances de M. Weltrich portent souvent fort juste : soit qu’il plaigne le sort des cailles, capturées en masse sur les côtes de la Tripolitaine et de l’Egypte, pour être aussitôt transportées à Londres dans des cages où elles périssent par milliers de faim ou de maladie ; soit qu’il consacre un paragraphe particulièrement ému aux « cruautés de la cuisine, » cette chambre de torture, où des cordons bleus trop zélés pour les plaisirs gastronomiques de leurs maîtres, imposent des supplices barbares aux anguilles, aux canards, aux écrevisses, aux escargots. Sur ce terrain, tous les hommes de cœur s’entendront sans peine, afin de réprimer par tous les moyens possibles de semblables abus.

Au risque d’encourir les anathèmes des délicieuses modistes parisiennes, je me reconnais même assez favorable à la campagne ouverte contre le port des plumes sur les chapeaux ou dans les coiffures : campagne qui a pris un certain développement en pays germanique. Lorsque ces dépouilles sont empruntées à des espèces utiles ou inoffensives, comme il arrive la plupart du temps, leur vogue favorise des massacres incessans. Et des fleurs artificielles ou naturelles pourraient, il me semble, les remplacer sans porter préjudice à la beauté des élégantes acheteuses. Il est vrai, qu’en cette dernière tolérance, je serais déjà suspect au zèle de M. Weltrich, dont on risque de froisser, là encore, les susceptibilités. Il a en effet des prescriptions rigoureuses sur l’usage des fleurs. On peut bien offrir quelques roses à sa bien-aimée, mais il est interdit de saccager sans raison une prairie embaumée, et de couper, pour une fête mondaine, toute la parure d’un jardin. S’il est licite de cueillir un modeste bouquet qui ornera la chambre d’un ami attendu, les amas prétentieux de plantes rares qu’on adresse trop souvent aux étoiles de la danse et de la galanterie annoncent, chez leurs donateurs, autant de barbarie que de stupidité.

— Voilà des distinctions passablement subtiles, objectai-je, et il faudrait une conscience bien affinée pour reconnaître où commence la culpabilité en si délicate matière. Ce serait un beau sujet de thèses pour une école de casuistes horticulteurs.

— Vous raillez ; mais vous n’êtes pas au bout de vos surprises. Rendons pourtant justice une fois encore à M. Weltrich pour ses pages judicieuses sur la vivisection : il conseille à bon droit de la restreindre, autant que possible, aux expériences de recherche, nécessaires au progrès de la science, et, au contraire, de la proscrire, des cours publics et des expériences de pure démonstration. Encore ne faudrait-il pas se laisser entraîner à poser sur ce point des règles trop absolues : il est bon d’examiner de sang-froid chaque cas en particulier. Ainsi, notre critique a conservé le plus mauvais souvenir de certain physiologiste, qui, à la fin d’une de ses leçons, annonça gaiement à ses auditeurs qu’on allait assommer un lapin, afin de leur faire constater la persistance, pendant quelque temps après la mort, des mouvemens péristaltiques de l’intestin. Sans doute, l’expérience n’était pas indispensable en ce cas : mais l’animal n’a pas du moins souffert avant de périr ; et, s’il fut ensuite mangé en gibelotte par le préparateur du cours, on ne voit pas en quoi son sort différa de celui qui attendait ses voisins de clapier.

— Vous avez parfaitement raison, dis-je, ici, l’indignation porte manifestement à faux, mais elle me paraît néanmoins excusable, car il est bon de mettre un frein à l’audace de ces expérimentateurs qui soumettraient volontiers l’humanité elle-même à leur scalpel. Nous avons eu en France des débats de presse retentissans sur la greffe du cancer, qui furent probablement l’origine de la belle pièce philosophique de M. de Curel, la Nouvelle Idole. Et je lisais récemment, dans un de ces recueils socialistes qui se font une spécialité de redresseurs de torts, l’histoire de ce médecin colonial qui, au Cameroun, entreprit des expériences sur la transmission par les moustiques de la fièvre paludéenne, en faisant piquer des nègres sains, envoyés à son hôpital pour quelque blessure accidentelle[9].

— Approuverez-vous de même les imprécations véritablement bibliques dont M. Weltrich charge la patrie des courses de taureaux ? À l’en croire, la perte de Cuba serait le juste châtiment de sa dureté de cœur : « Mané, Thécel, Pharès, s’écrie-t-il, tu as été pesée, pesée et trouvée trop légère… Espagne ! Espagne ! des dons magnifiques t’avaient été départis cependant, mais ton sein a engendré, sans s’épuiser, des bourreaux et des valets de bourreaux. » Et il a sans doute applaudi de loin à l’action d’éclat de ce jeune étudiant suédois, qui, aux courses de taureaux organisées à Deuil, près de Paris, le 4 juin 1900, tira deux coups de revolver sur le matador, déclarant qu’il eût aussi volontiers fait feu sur le public, s’il avait pu pénétrer dans l’enceinte payante.

— Je veux bien, dis-je, croire au danger moral des courses de taureaux, et je ne désire pas les voir s’acclimater en France, bien qu’elles ne me semblent guère plus cruelles que la chasse à courre par exemple, avec ses chiens décousus et son cerf dagué comme le taureau, après une plus pénible agonie. Mais avouez que l’Espagne a, pour ce goût national, quelques circonstances atténuantes. Si elle a conquis de bonne heure cette unité que l’Allemagne réalisa si tardivement, c’est qu’elle a vaincu le Maure et que sa valeur a triomphé des hordes farouches de l’Islam. Victimes du fanatisme religieux des sectateurs du Croissant, et de leurs procédés barbares envers les infidèles, les populations chrétiennes ont dû leur emprunter jusqu’à un certain point leurs propres armes, et développer sur toutes choses le courage personnel en leurs enfans. Pourquoi s’étonner que les générations actuelles gardent encore l’empreinte de cette rude éducation morale ? On assure qu’elle n’éteint pas les sentimens humains, et les journaux annonçant récemment la mort de Lagartijo, la grande espada de la fin du XIXe siècle, célébraient à l’envi la bienfaisance presque excessive qui lui avait valu ce surnom, plus glorieux que son sobriquet de plaza : « la Providence de Cordoue. » Le cœur de celui-là ne s’était donc pas endurci par l’exercice de sa périlleuse profession. Enfin, je vous demande pardon de ma franchise, mais, ayant longtemps parcouru pour mes études les colonnes de vos journaux socialistes, j’y ai lu qu’en Prusse, la brutalité des maîtres d’école, des geôliers, des sous-officiers, s’y exerce volontiers sur les humains, parfois jusqu’à causer la mort, s’il faut en croire les adversaires de l’ordre de choses actuel. Un peu d’indulgence siérait aux compatriotes de ces brutaux personnages.

— Vous touchez ici à la question délicate des deux Allemagnes[10], me répondit mon ami. L’Allemagne de l’Est, aryenne et dolichocéphale au dire des anthropologues, et par là tranchante, brutale, aristocratique et guerrière, n’a pas grand’chose de commun avec l’Allemagne du Sud, celtique, brachycéphale, et, en conséquence, rêveuse, sentimentale et fort propre à préparer des recrues au bouddhisme européen. M. Weltrich appartient à cette dernière, et, bien qu’ancien professeur à l’Académie de guerre et au corps des cadets bavarois, nul ne déplore plus que lui la prussification de son pays et les excès du caporalisme envahissant. Il cite avec amertume, comme un trait rempli d’actualité à l’heure présente, l’anecdote de ce colonel prussien qui, s’étant trouvé par hasard sur le passage du convoi funèbre de Goethe, s’informa du nom du défunt, et s’étonna grandement qu’un simple poète se vît porter en terre avec les honneurs attribués par les règlemens à un officier supérieur d’état-major ! Vous ne sauriez donc, en bonne justice le rendre solidaire d’un état d’esprit qu’il réprouve, et lui ôter le droit de se montrer sensible envers les animaux. Poursuivons donc la revue de ses indignations.

Après les courses de taureaux, il s’en prend au tir aux pigeons, et nous offre un récit d’édification à ce sujet. L’écrivain alpin Henri Noé, à qui l’on vient d’élever un monument à Bozen, se trouvait certain jour à Abbazia, la Nice de l’Adriatique, où ce sport de luxe compte de nombreux fervens durant la saison. Il rencontra par hasard un convoi de volatiles destinés au plomb des grands fusils de l’endroit : se précipitant aussitôt sur les cages, il les ouvrit toutes grandes, et donna la liberté aux prisonniers ailés. Poursuivi pour cet exploit par les propriétaires des pigeons, lésés dans leurs intérêts, il fut condamné sans retard par le tribunal local. Et, ici, M. Weltrich d’élever la voix, et d ajouter avec exaltation :

« A l’instant même où fut rendue la sentence, un autre tribunal, invisible aux sens grossiers des spectateurs, prononçait de son côté sur le pauvre inculpé. Un génie lumineux, incarnation de la Pitié, recueillait les suffrages des juges, de nobles figures s’avançaient en cortège personnel pour célébrer l’acte héroïque, et un ange de lumière couronnait enfin des roses brûlantes de l’amour le front du martyr de la Charité. »

Et déjà l’ami de M. Weltrich, le délicat écrivain Théodor Vischer, estimait que tout homme de cœur, mis par le hasard en présence d’un charretier brutal, doit nécessairement penser en lui-même : « Je vais sauter à la gorge de cet homme, quoi qu’il en puisse advenir à mon égard. » Le héros du récit qu’il a intitulé : Auch Einer subit cette impulsion, y obéit, et trouve la mort dans son intervention courageuse. Comment s’étonner après cela si l’élève d’un tel maître méprise la sanglante profession du boucher ; s’il recommande de placer dans nos menus le poisson de préférence au bœuf, qui souffre davantage en mourant ; si enfin la petite esquisse du musée de Berlin où l’on voit un enfant blond et joufflu faisant voleter entre ses mains un oiseau captif, lui inspire une émotion profonde : Rubens, dit-il, n’a pas rougi de prêter son pinceau à la représentation des tortures d’un animal. Il en demeure sur son art comme un reflet d’immoralité.

Mais pourquoi, poursuivit mon camarade, s’attarder à ces chicanes de détail. Nous allons, si vous le voulez bien, élever la question, comme on dit dans l’enceinte parlementaire, et établir que celle des droits de l’animal (ou même du végétal et du minéral) n’est qu’un cas particulier d’un problème plus vaste, dont le temps présent doit méditer la solution. Le mérite de Nietzsche a été de le poser en termes précis devant une génération qui en oubliait trop les données : c’est le problème des deux morales. L’une, communiste, égalitaire, sentimentale, mène au socialisme des hommes, mais tout aussi logiquement, nous allons le voir, à celui des animaux. L’autre, individualiste, brutale, et sans autre fondement que la force conduit au contraire à traiter en bêtes de somme le plus grand nombre des humains. Le chemin de la vérité et du bon sens ne peut être qu’entre ces doux excès, et nous nous efforcerons tout à l’heure d’en discerner la courbe prudente. Contemplons d’abord l’aboutissement des deux autres.

Si nous nous plaçons au point de vue de l’école sentimentale, notez bien qu’il faut entendre ici le mot « droit des bêtes » non pas au sens moral ou figuré, comme vous l’imaginez peut-être, mais bien au sens propre et juridique du terme. Après la déclaration des droits de l’homme, nous aurons quelque jour celle des droits de l’animal, qui inspirera les codes de l’avenir. Un juriste distingué, M. Bregenzer, a consacré récemment un ouvrage important à l’étude de la morale animale[11]. Bien qu’assez pratique et modéré dans ses desiderata, il y réclame expressément pour les animaux des droits autonomes, en opposition avec la théorie de l’intérêt humain exclusif, qui est la nôtre et à laquelle nous allons revenir. Sur cette autonomie du monde animal, M. Weltrich est plus catégorique encore : Nous ne voulons pas, dit-il, être appelés les maîtres, mais les protecteurs de la création. Les animaux sont, au même titre que nous, citoyens de la terre ; nous rêvons et nous espérons qu’une génération future honorera et ordonnera le rapport juridique qui réside dans cette communauté de vie.

Le droit positif n’a-t-il pas étendu successivement son bras protecteur sur la femme, sur le vieillard, sur l’enfant, sur l’aliéné, jadis sans garanties légales ? Pourquoi donc ne finirait-il pas par embrasser jusqu’au monde animal ?

— Voilà, dis-je, des extensions bien imprudentes ; et il serait tout aussi légitime d’annoncer le règne prochain du végétarisme sous le prétexte que l’anthropophagie a disparu presque entièrement de la surface du globe. Après avoir renoncé à manger son semblable, l’homme ne doit-il pas, en bonne logique, arriver à s’abstenir de la chair des animaux ?

— Je suis de votre avis, poursuivit mon interlocuteur, et vous allez voir où l’on serait conduit, si l’on acceptait à la lettre les exagérations des avocats du code animal. Sous une forme tranchante et grondeuse, leurs distinctions juridiques, leurs appels à l’intervention de l’Etat, leur recours aux devoirs maternels de la société, rappellent invinciblement d’autres dissertations, d’autres anathèmes qui sont la monnaie courante des réunions publiques et des polémiques de la presse avancée. On y sent poindre un socialisme extensif, qui, embrassant tous les êtres vivans devenus citoyens du globe au même titre que nous, créerait à l’homme des obligations impératives à l’égard de toutes les créatures. Et, admirant la puissance d’émotion sentimentale, qui permet à des esprits cultivés de s’arrêter sans sourire à de semblables utopies, de les appuyer même par une éloquence communicative, on entrevoit, dans leurs argumens, une exagération caricaturale, une irrésistible réfutation par l’absurde de certaines thèses chères aux réformateurs contemporains.

Puisque les animaux et les plantes elles-mêmes sont des « frères mineurs » de l’homme, presque au même titre que l’enfant et le vieillard, pourquoi ne pas les comprendre dans la distribution des richesses qu’ils contribuent à créer ? L’aigle n’aura-t-il pas légalement droit à une partie du troupeau communal : le chêne à une ration de l’eau distribuée en temps de sécheresse ? Si l’on suppose en effet la créature humaine capable de l’effort d’altruisme nécessaire au fonctionnement du collectivisme pur, pourquoi ne pas lui demander de franchir un degré de plus dans la voie de la perfection, en appliquant les principes dont on découvre si nettement les germes chez les penseurs que nous examinons ? Et sans doute, ces principes trouveront quelque jour des apôtres dans la société de l’avenir. Nous le prévoyons pourtant dès aujourd’hui : le code futur qui reconnaîtra le droit des animaux au plein exercice de leurs dispositions naturelles, soulèvera quelques difficultés dans son application. Une objection souvent présentée aux apôtres de la société collectiviste c’est que les diligens y travailleront pour les paresseux, les hommes de bonne volonté pour les mauvaises têtes, qui les premiers s’en apercevront vite et risqueront fort de se décourager. Or, à l’exemple de Christian Wagner protégeant les araignées de son jardin contre le talon de la sarcleuse, son biographe, si sévère aux cruautés de nos Nemrods, a des trésors d’indulgence pour les méfaits des bêtes de proie.

« Si, dit-il en propres termes avec indignation, un animal carnassier, contraint d’obéir à son instinct, offense à l’occasion le droit sacro-saint de la propriété, si un oiseau de proie, par exemple, s’avise d’enlever un chevreau ou un lièvre, l’extermination de sa race semblera permise, et sera même conseillée par mesure de police. Tout vaurien désireux de toucher une prime pourra fusiller dans les airs l’oiseau majestueux, tandis que, au fond de leur aire, les aiglons privés de leurs parens mourront de faim... Et un jour viendra que nul aigle royal ne traversera plus l’espace, les ailes toutes grandes ; on ne le connaîtra dès lors que par les livres et les écussons. »

Voilà qui est fort bien ! Mais que pensera le futur justiciable du code nouveau, qui aura épargné son coup de fusil à un lièvre, parce qu’il pourrait le blesser sans le tuer, ce qui est cruel, et que, après tout, il en sera quitte pour se contenter de légumes à la soupe du soir ; qui, quelques pas plus loin, laissera passer sans dommage un aigle à bonne portée, pour ne pas priver de leur père les pauvres aiglons affamés ; et qui, à deux cents mètres de là, verra l’aigle, en parfaite conformité avec le code, enlever le lièvre, lui crever les yeux, et l’emporter pantelant dans son aire. Si notre homme ne se permet pas quelques réflexions sur l’illogisme des lois existantes, c’est que son cœur sera bien profondément modifié par la pitié, par l’amour, je n’ose ajouter par la raison. Les citoyens hommes prêteront alors volontiers l’oreille aux suggestions de quelque Nietzsche de l’avenir, et pétitionneront tout au moins pour être inscrits dans la Constitution parmi les bêtes de proie à qui il est licite de se montrer dociles à leur instinct naturel.

Qui sait même si ce socialisme-là s’arrêterait aux animaux et aux arbres ? On pourrait, au besoin, l’étendre aux minéraux. M. Weltrich, accordant pour un instant à des contradicteurs supposés que la mutilation des animaux inférieurs ne leur cause aucune douleur, grâce à leur système nerveux rudimentaire, ajoute ensuite sur un ton de triomphe :

« Même en ce cas, priver un insecte d’un membre, ou un ver d’un anneau, serait encore un vol, un dommage causé à la vie. »

Faut-il donc aller beaucoup plus loin pour affirmer que le bris d’un cristal dans une grotte à stalactites n’est pas seulement, comme on l’accorderait volontiers, un acte de vandalisme, une faute de goût, un péché contre le sens esthétique de l’homme ; mais bien un véritable crime envers la nature elle-même, que quelque code encore plus lointain que celui des bêtes se chargera de réprimer un jour ?

— Vous exagérez, dis-je, mais je comprends cette réaction de vos nerfs irrités par la suffisance et le pédantisme hargneux de certains apôtres qui sont excusés seulement par leurs excellentes intentions.

— Cela est vrai : je me laisse entraîner en ce moment par l’impatience. Mais je ne suis pas seul à réagir ici, ayant pour avant-garde tout un détachement de penseurs contemporains, fatigués par des excès trop évidens. J’ai parlé de Nietzsche : n’a-t-il pas écrit quelque part que ses conquérans, ses magnifiques « bêtes de proie blondes, » occupés à massacrer, à brûler, à violer les populations qu’ils se préparaient à doter des bienfaits de l’état moderne, ne connaissaient pas plus le sentiment de la responsabilité et du remords en ces matières, que nous ne l’éprouvons nous-mêmes, pour avoir écrasé en la chassant trop vivement, une mouche importune ? Partager l’humanité en castes, et faire traiter par la caste supérieure tout ce qui est en dehors d’elle-même comme nous traitons actuellement les animaux, voilà le rêve de l’école aristocratique et darwinienne du temps présent. Ecoutez la définition que l’un de ses représentans les plus conséquens nous fournit du droit, et venez encore nous parler non seulement des droits de l’animal, mais même des droits de l’homme.

« L’idée même de droit est une fiction ; il n’y a de réel ici-bas que la force ; les droits sont de pures conventions, des transactions entre puissances égales, ou même inégales si elles y trouvent un avantage réciproque. Seulement, dès que l’une des parties cesse d’être assez forte pour que la transaction soit maintenue par elle vis-à-vis de l’autre, le droit cesse à l’instant : car il n’était que l’état de choses créé par la force, et qu’elle seule maintenait, à l’état ouvert ou latent. »

En conséquence, les animaux devront attendre, pour se voir reconnaître par nous des droits, qu’ils soient capables de traiter avec leurs maîtres ; jusque-là, ils n’ont pas d’autre titre légal que celui du tigre sur le coin de jungle où il prélève sa pâture, en attendant la balle du rifle qui mettra fin à sa suzeraineté ; ils n’en ont pas d’autres que les Républiques Sud-africaines aux yeux de l’impérialisme anglo-saxon. Races inférieures, dépourvues de lyddite, ou bêtes fauves mal armées contre les carabines de précision, c’est tout un pour nos modernes réalistes. Et n’est-ce pas un poète anglais, homme excellent par ailleurs, qui, à chaque intervention trop indiscrète à ses yeux des Sociétés protectrices d’animaux, se précipitait vers son chenil et y battait sa meute[12] ?

— Vous devenez attristant, dis-je. On croirait que vous partagez les idées dont vous exposez si nettement les principes et les conséquences.

— Vous me supposez déjà passé, n’est-il pas vrai, dans le camp du professeur Max Müller, si bien impérialisé par son long séjour en Angleterre qu’il s’est vu renier par Mommsen, et par nos associations les plus germaniques. Rassurez-vous : j’enseigne à Heidelberg et non pas à Oxford. Et j’ai sur ce sujet une tierce opinion. Je ne me donne pas du reste pour son inventeur, car elle n’est autre chose que la doctrine de notre vieux maître Kant. Le privilège de la raison, dit-il en substance, étant dévolu à l’homme et non aux animaux, crée entre eux une différence spécifique. L’animal n’a aucun devoir moral, et par conséquent aucun droit, et l’homme, d’autre part, ne doit accepter de devoirs que vis-à-vis de l’homme. Son devoir supposé vis-à-vis des autres êtres est tout simplement un devoir envers lui-même et envers ses semblables. Ainsi, par la brutalité exercée sur les animaux, par la vivisection inutile, se trouve affaibli le sentiment d’une certaine solidarité qui est utile à supposer entre les créatures vivantes. Car il en résulte une disposition très favorable aux premiers degrés de moralité dans nos rapports avec les autres hommes, considérés simplement comme des créatures vivantes et sensibles. Nous condamnerons donc ces pratiques, pour le tort qu’elles causent à notre propre valeur morale et aux nécessités de la vie sociale. Voilà la parole virile et de sang-froid qui me paraît l’expression de la vérité. Elle n’exclut nul ménagement raisonnable, nulle protection efficace des espèces utiles à l’homme. Eh ! sans doute, comme le fit jadis l’école romantique dont les passions ardentes s’irritaient devant le froid « impératif catégorique » du vieux garçon maniaque de Kœnigsberg, les âmes sentimentales peuvent bien s’insurger contre une rigueur logique qui blesse leurs plus chers instincts, contre un dédain trop marqué pour les penchans et les inclinations du cœur. Et Wagner conduirait à bon droit l’attaque, lui qui, dans les rangs de la littérature allemande contemporaine, serait assez congrûment rangé parmi ceux qu’on nomme les néo-romantiques. C’est pourtant là seulement que je reconnais la voie de la raison et le chemin du progrès, et ces vues modérées inspirent en somme la législation protectrice des animaux en tous pays depuis un siècle. A y regarder de près, c’est encore au kantisme qu’en reviennent involontairement, pour persuader leurs contemporains, les apôtres du droit autonome des animaux. Pas une des excellentes mesures proposées par M. Bregenzer dans son œuvre érudite qui ne se justifie par l’intérêt humain bien entendu. Ecoutez aussi M. Weltrich plaider pour un de ses cliens végétaux :

« Les communautés ou les individus qui se trouvent en possession d’un arbre puissant, prodigue de son ombre, purifiant l’air à la ronde, reposant les yeux du passant fatigué, doivent peser dix fois leurs mobiles avant d’user du droit de l’abattre. »

Malgré lui, notre auteur se prend à raisonner ici en faveur des hommes et non plus au profit de l’arbre ; et, pour vous en mieux convaincre, examinez si les droits à la vie de quelque beau chêne arrêteraient un Stanley ou un Marchand occupés à s’ouvrir à coups de hache un chemin dans la forêt tropicale ? L’intérêt humain parle trop haut en pareil cas pour qu’il ait besoin de s’appuyer à des subtilités de légistes ; et les efforts de nos jurisconsultes bénévoles pour reporter à tout prix dans la créature le fondement de son droit vis-à-vis de l’homme apparaissent plus clairement comme de purs jeux d’esprit, à la lumière de la nécessité inexorable.

— Vous avez raison, ajoutai-je, et notez que, même dans ses rapports avec les animaux domestiques, à l’égard desquels on ne saurait prêcher trop de justice et de ménagemens, l’homme est cependant contraint sans cesse, par son intérêt bien entendu, de faire tort aux races qu’il a réduites en esclavage. La science contemporaine a fort nettement mis en évidence ce qu’il faut entendre par l’« amélioration » des animaux d’élevage. C’est toujours amélioration au point de vue de l’homme, en chair, en graisse, en laine, en rapidité ; mais détérioration au point de vue de l’animal, car tous ces prétendus progrès ont pour conséquence un affaiblissement des qualités vitales, des armes du struggle, chez la race améliorée. Atrophie du squelette ou du cerveau, alourdissement des muscles, suppression graduelle des moyens de défense naturels, tels que les cornes, ces perfectionnemens prétendus laisseraient l’espèce dans l’impossibilité de vivre au cas où elle serait abandonnée à ses propres forces. Cas qui n’a nulle raison de se présenter d’ailleurs ; mais un disciple de M. Weltrich n’en devrait pas moins considérer comme un crime inexplicable l’action de tarir à dessein les sources de vigueur et de prospérité d’une race animale : c’est là un véritable dommage causé à la vie des bêtes ; en revanche, il facilite celle de l’homme, et votre principe permet de négliger tout scrupule, une fois ce fait établi. Cependant, pourquoi donc en faites-vous honneur à Kant ? Si ce n’est celui du bon sens tout pur, c’est assurément celui du christianisme bien compris.

— Peut-être. Quoi qu’il en soit, si vous retournez à Christian Wagner muni des éclaircissemens que j’ai pu vous fournir, vous reconnaîtrez qu’on a, sur ce point, exagéré le christianisme lui-même, et détourné singulièrement de leur sens ses leçons les plus touchantes. Achevez votre lecture, puis ajoutez-y celle du petit livre que voici.

Et, en me quittant, mon camarade me remit un volume de nouvelles signées d’un nom aristocratique, celui du prince Emile de Schœnaich-Carolath.


III

En effet, je reconnus bientôt que, parmi les excès auquel Christian Wagner se laisse entraîner dans son amour exalté pour les créatures, il en est un d’une nature toute particulière, et qui mérite un rapide examen. Son éducation chrétienne l’a conduit après quelques autres, par une invincible association d’idées, à une conception inattendue : celle de la Rédemption des animaux.

Schopenhauer avait agité déjà ce bizarre problème, et signalé un obscur passage de saint Paul qui semble s’y rapporter. — On lit dans l’épître aux Romains (VII, 19-24) : « Aussi les créatures attendent-elles avec un grand désir la manifestation des enfans de Dieu... dans l’espérance qu’elles seront elles-mêmes affranchies de cet asservissement à la corruption, pour participer à la liberté et à la gloire des enfans de Dieu. » Sans nous essayer dans l’interprétation de ces lignes, nous rappellerons que le philosophe de Francfort, les renforçant par une citation de son mystique favori, maître Eckhard[13], y voyait une confirmation de sa thèse métaphysique sur la Négation de la Volonté de vivre. — Si, en effet, la Volonté, essence des choses, est renfermée tout entière, indivisible, en chacune de ses manifestations sensibles, Il suffit qu’un individu vivant se rachète, en se niant, pour racheter avec lui tout ce qui vit, et même tout le monde sensible. Dans sa jeunesse, Schopenhauer acceptait, sous forme dubitative il est vrai, cette conséquence logique de son enseignement.

Je crois pouvoir admettre, dit-il, que, avec la plus haute apparence de la Volonté qui est l’homme, le monde animal s’éteindrait, ainsi que les demi-teintes s’évanouissent dans la pleine lumière. La connaissance étant supprimée complètement, le reste du monde s’évanouirait aussi de lui-même dans le néant : car, sans sujet, il n’y a pas d’objet.

Plus tard, quand le succès fut venu au penseur solitaire, deux naïfs cadets autrichiens lui écrivirent pour lui soumettre leurs scrupules à ce sujet. Ils lui demandaient, si, niant en eux-mêmes, suivant ses préceptes, la Volonté de vivre, ils n’entraîneraient pas le monde tout entier dans les abîmes métaphysiques ? Mais ils durent se contenter pour toute réponse de l’assurance que la question, étant transcendante, échappait aux investigations de l’intelligence humaine.

Il n’est pas besoin de ces subtilités philosophiques, pour amener les âmes naïvement chrétiennes au rapprochement qui nous occupe. Dans le curieux roman du nouvelliste de la Styrie, Pierre Rosegger, qui est intitulé le Chercheur de Dieu, on voit peser sur toute une communauté montagnarde la malédiction de l’Église. Un enfant au cœur tendre marche par la forêt sans pouvoir songer à autre chose qu’à cette affreuse excommunication : il n’y a plus de Sauveur pour son village natal.

« Un écureuil escalada le tronc d’un arbre, s’avança sur une branche et considéra le jeune passant du haut de cet observatoire aérien. Son regard, évidemment moqueur, semblait dire : « Pauvre diable, tu n’es pas mieux partagé que moi-même à présent. Vous autres, enfans de Dieu, vous aimiez à rappeler que les animaux n’ont pas de Rédempteur, et traînent une vie misérable, sans nul espoir d’un Au-delà. Nous voici sur le même pied, sauf que je grimpe mieux que toi[14]. »

Christian Wagner a, lui aussi, traité plus d’une fois ce thème qui, en tant que fiction poétique, ne manque pas de grâce, et fait songer aux légendes du moyen âge chrétien. Déjà les muguets réclament de lui une sorte de rédemption :

Que faites-vous au long des sentiers, et sous la futaie des chênes, clochettes privées de voix ?... — Jadis, nous tintions à toute heure, nous tintions matin et soir dans la forêt, et nous avions même une oreille délicate pour écouter les chants de nos compagnes. Mais l’homme vint, avec sa cruauté et tout son cortège de misères. Nous priâmes alors le Dieu trois fois saint : « Ah ! Seigneur dans les cieux, fais-nous sourdes et muettes, ne nous rends plus l’ouïe et la voix avant que la paix ne règne de nouveau sur la terre. Et, depuis, nous demeurons là dans l’attente : et d’année en année, notre foi dans l’avenir se renouvelle. Nous sonnerons un jour à l’unisson quand le Ciel descendra sur la Terre. Un enfant de bénédiction[15] doit nous faire retentir le premier, afin que l’enchantement s’éloigne de nous. Nous sonnerons alors comme jadis, de près et de loin, célébrant le grand Dimanche, le véritable jour du Seigneur.


Mais la pensée apparaît plus précise, bien que discrète encore, dans la charmante Ballade des moutons[16]. Rappelons qu’en souvenir du bœuf et de l’âne présens dans l’étable de Bethléem, les animaux domestiques reçoivent le don de la parole pendant la nuit de Noël.


Dans la nuit de Noël, par le chemin couvert de neige, à travers la forêt de pins, un homme se dirige vers sa demeure. — La glace scintille, le sol est d’une blancheur éclatante, que la lune argente là où ses rayons pénètrent. — Tout alentour, voici des troupeaux innombrables, et des moutons qui marchent dans la neige profonde, comme d’ordinaire ils vont parmi les trèfles. — Nul berger ne se montre, aucun chien ne les accompagne : pas un bêlement, pas un son ne s’élève de la horde. — Et voilà que tous, ô terreur ! contemplent le passant attardé, et l’entourent en rangs pressés sous le clair de lune. — Il prie tout bas dans ce cercle magique, il prie de tout son cœur pour que Dieu le prenne en pitié. — Mais, mot par mot, des paroles se chuchotent à la ronde et volent de bouche en bouche autour de lui. — Une petite voix s’élève plus distincte : « Ne nous abandonne pas. N’es-tu pas celui qui doit briser notre joug ? N’es-tu pas le Rédempteur, que nous attendons avec angoisse depuis si longtemps ? — Nous voici tous réunis en ce lieu, car nous avons souvent espéré dans ce jour, — depuis la dernière fois que nous fêtâmes la Noël au fond de la vallée des bruyères, il y a mille ans. » Mais bientôt un soupir s’élève au sein de la foule : « Ayez pitié de nous, Seigneur, ce n’est pas lui encore. Nulle auréole n’entoure son front. » — malheur, malheur ! pleure-t-on sur les pentes voisines, tandis qu’un fourmillement de formes sombres s’agite sous les plus obscurs. — Et le troupeau s’évanouit comme un petit nuage clair : il se dissipe par les airs, tandis qu’une faible voix ajoute : — « Adieu l’espoir ! Adieu jusqu’à notre réunion prochaine, dans mille ans, au fond de la vallée des ifs. »


Wagner se montre rarement aussi sobre, aussi impeccable que dans cette ravissante légende : c’est un morceau d’anthologie. Et, légèrement esquissée de la sorte, l’idée de la rédemption des animaux se fait accepter comme une tendre fantaisie du cœur, conseillère de douceur et mansuétude.

Tous ceux qui l’ont mise en œuvre n’en usent pas avec la même discrétion. Un poète de talent, le prince Emile de Schœnaich-Carolath, a publié, dans un recueil de nouvelles[17], une fantaisie intitulée Le Sauveur des animaux, qui conduit impitoyablement jusqu’à sa conclusion logique une analogie si hasardée dans sa seule indication. Son héros, fils de parens misérables, dut la vie dès sa naissance à la maigre vache, unique ressource de la pauvre demeure. Bien qu’épuisée elle-même par une nourriture insuffisante, la bonne bête fournit en effet la faible quantité de lait qui fut tout d’abord indispensable à l’enfant. Cependant, vers l’âge de cinq ans, ce dernier se trouve à l’improviste le spectateur de la mort du pauvre animal, devenu vieux, et que ses maîtres ont été contraints de mener à l’abattoir. Le petit Martin garde de cet horrible aventure une sorte d’hébétude nerveuse, dont il ne se guérit qu’après plusieurs années, et précisément dans une circonstance où il a pris la défense d’un chien blessé par de mauvais garnemens. Parvenu cependant à l’âge d’homme, il recueille l’héritage de son père, enrichi par le travail, et se trouve propriétaire d’un beau domaine rural. Mais, loin d’imiter la bonne administration paternelle, le jeune fermier, sous l’empire d’une irrésistible vocation, ne songe qu’à alléger les souffrances des animaux, à atténuer la brutalité de ses voisins, à prêcher de parole et d’exemple en faveur de ses amis opprimés. Il passe des journées entières auprès d’une montée trop rapide afin de pousser à la roue les lourds chariots, offrant quelque monnaie aux voituriers, pourvu qu’ils s’engagent en retour à modérer l’usage de leur fouet. De la part des humains, cet apostolat ne lui procure toutefois que méfiance, soupçons, malveillance, et bientôt antipathie déclarée. Car les nouveautés sont suspectes au paysan, surtout quand elles lui semblent à ce point impratiques, et les concitoyens de notre rêveur lui témoignent bientôt une haine sauvage. Bien plus, par une méchanceté raffinée, quelques-uns s’efforcent de l’atteindre au point sensible, en infligeant à ses bestiaux d’odieuses mutilations. — Alors, sous l’aiguillon de ces persécutions féroces, sa monomanie s’exalte jusqu’à lui persuader qu’il est le Sauveur, dont le sang est nécessaire aux animaux pour se voir racheter à l’égal de l’homme. Les forces décuplées par la folie, il parvient à atteindre un tronc d’arbre mort, qui se dresse au-dessus du village, sur une paroi rocheuse inaccessible, dominant toute la vallée. Et, là, il se crucifie de ses propres mains, sous les yeux de ses persécuteurs, éperdus d’horreur et de colère à la pensée que ce martyr, dont ils ne peuvent enlever les restes, va demeurer comme une malédiction éternelle suspendue sur leurs têtes coupables[18]. L’incendie des habitations et la ruine de la contrée ne tardent pas d’ailleurs à venger mieux encore l’infortuné « Sauveur des animaux. » La description de ces événemens inouïs ne manque pas d’une certaine grandeur, et, témoignant du talent de l’auteur, elle pourrait servir d’illustration, un peu grossie et forcée, aux périls d’un sentimentalisme trop exalté.

En terminant, sur cet avertissement, notre étude de la morale animale, offrons encore, à ceux du moins qui portent leurs sympathies en dehors du cercle des animaux domestiques, une dernière objection tirée du sort futur des bêtes sauvages. Leurs avocats trop empressés ont-ils songé parfois à la fin inévitable que leur prépare la destinée ? Dans le cas le plus favorable, c’est la mort par inanition, au fond d’une retraite obscure, quand la vigueur nécessaire fait défaut pour la difficile conquête de la nourriture quotidienne : ordinairement, c’est la mort violente sous la dent d’une espèce carnassière, d’autant plus probable que l’affaiblissement sénile rendra plus difficile la défense par la force ou par la ruse. L’animal n’a pas d’autre alternative[19] ; le coup de fusil du chasseur, ou le coup de talon de la sarcleuse sont-ils donc beaucoup plus cruels ?


IV

La disposition d’esprit et de cœur que trahit chez Christian Wagner son attitude fraternelle vis-à-vis du monde animal et végétal, devait l’amener aussi en d’autres matières à d’intéressantes conclusions morales, dont il nous reste à poursuivre dans son œuvre le fort et le faible, afin d’achever la ressemblance du portrait que nous avons entrepris. Reconnaissons d’abord avec sympathie, que, à l’inverse de certains maniaques trop exclusivement épris des bêtes, il ne leur sacrifie pas du moins les affections humaines. On assure que, dans les sphères sociales plus élevées, où se recrutent les cliens des tailleurs spécialistes pour chiens[20], ou même des entrepreneurs de cimetières pour animaux, se rencontrent aussi les caractères les plus rognes et les moins tolérans vis-à-vis de leurs semblables. Wagner ne mérite pas ce blâme, car le cercle de ses proches est souvent l’objet de touchantes effusions sous sa plume. Nous avons vu déjà quelle place tiennent en son cœur le souvenir de sa mère et celui de sa seconde femme. Voici une délicate analyse sentimentale qui surprend chez un homme à ce point absorbé par le labeur quotidien, et poursuivi par le souci du pain de chaque jour.


O toi, dit-il dans sa belle prose à l’accent biblique, ô toi qui possèdes père ou mère, épouse et enfans, frère, sœur ou ami, savoure chaque heure de leur présence auprès de toi. Savoure-les comme l’enfant le fait du pot de miel qui lui fut donné, lentement, et avec précaution, jusqu’au fond du vase, et jusqu’à l’épuisement complet : afin que la jouissance en dure plus longtemps, et que rien ne soit perdu de ce suc embaumé. Oh ! savoure ainsi le temps de votre réunion, goûte de la sorte à leur amour. Une seule nuit peut-être, et ils ne seront plus, et tu les contempleras d’un œil fixe, tandis que, peu à peu, l’amère vérité se fera jour en ton âme. Tu les a perdus : et, qui sait ? peut-être pour toujours ? Alors tu croiras t’éveiller d’un songe : tu comprendras ce que tu possédais et ce que tu n’as plus, et que tu as été si immensément stupide de savourer à la légère le vase de miel de leur vie d’amour. Tu penseras alors qu’ils vont reparaître, aujourd’hui ou demain, et tu épieras les passans, afin de reconnaître, parmi eux, tes absens.


Wagner a encore sur l’usage qu’il convient de faire de la prospérité des pages remarquables, qui dévoilent un cœur tendre et fier, trop souvent froissé par les rigueurs du sort. S’il demande à Dieu du bonheur, il faut, dit-il, par une belle métaphore, que ce soit un bonheur (c sans maître, » c’est-à-dire qui ne revienne pas en bonne justice à quelque autre ; car il ne voudrait pas d’une joie payée par le renoncement d’autrui[21]. Et voici un pittoresque avertissement sur l’accueil à réserver aux événemens heureux de la vie[22].


Cette félicité que tu entrevois prochaine, ne la saisis pas d’une main trop hâtive et trop impétueuse, car elle pourrait alors s’éloigner de toi. Ainsi le pourvoyeur de l’étable s’approchant, tout chargé de foin, du râtelier qu’il va garnir, est parfois gêné par les mufles avides, et ne peut déposer la nourriture en son lieu. Il la retire donc tout à fait, pour un instant, et montre d’abord un solide bâton.


Gardons-nous enfin d’oublier le prochain aux heures favorables. Un bonheur qui nous échoit doit être considéré comme une somme d’argent qu’il faudra restituer par annuités[23]. Payons en bienfaits les intérêts tout d’abord ; rendons même le capital en son entier par portions successives. Ou encore :


Vis-à-vis du doux rayon de soleil de la prospérité, comporte-toi comme le joyau précieux : sous le rayon sacré de la joie, deviens une opale translucide : ne garde rien pour toi de ce bonheur, mais reflète-le sextuplé au dehors.


Voilà qui est digne d’une approbation sans réserves. Pourquoi donc faut-il qu’il nous reste une tâche moins agréable à accomplir, celle de marquer encore une fois les excès auxquels notre paysan se laisse entraîner par la tendance mystique de sa nature rêveuse et exaltée. En signalant les écarts de son essor poétique, nous essaierons toutefois de manier d’une main légère les ailes diaprées de sa fantaisie, et tout d’abord, nous proclamerons une fois de plus notre indulgence secrète pour une doctrine d’amour qui garde quelque charme jusqu’en ses aberrations.

Nous avons longuement étudié les pages émues dans lesquelles Wagner prêche ce qu’il nomme l’amour extensif, et conseille de porter à toute la création les tendresses inassouvies de notre cœur. A ses yeux, c’est même une institution morale, c’est une infirmité voulue par le Destin, si l’homme ne peut retrouver dans la Nature la trace certaine des êtres chers à son souvenir, si, quoique présens par quelque métempsycose, ces absens demeurent pour nous confondus dans le spectacle divers du monde extérieur. Par là, nous pouvons nommer nôtres toutes choses, et, à l’avenir, aimer beaucoup d’êtres au lieu de quelques-uns. Ces considérations ne sont pas excessives en elles-mêmes, mais encore faudrait-il accepter pourtant quelque hiérarchie dans ce devoir d’amour universel, et ne pas faire trop bon marché, à l’occasion, des liens du sang et de la voix de l’instinct. Sinon, cette affection trop vaste risque fort de demeurer à l’état de vague profession de foi panthéiste, privée de la force et de la vertu nécessaire pour se traduire en œuvres efficaces. Quand nous lisons la Parabole des Enfans volés, par exemple, notre adhésion déjà prête à récompenser l’effort moral évident du poète, se reprend et s’interroge tout d’abord. Le renoncement qui est prêché là est-il véritablement sain et favorable au progrès humain[24] ?

[25] [26]


Et ce fut alors un temps de grande persécution, on enleva aux parens leurs enfans pour les conduire en des orphelinats, et les élever dans d’autres croyances, d’autres mœurs, un autre langage. Une mère, qui ne pouvait oublier sa fille disparue, se mit un jour en chemin pour la retrouver. Quand elle parvint à la ville où l’on avait conduit les petits, et qu’elle les aperçut de loin, il lui parut qu’elle les voyait plus joyeux que jadis ; la plupart semblaient mieux vêtus, quoique leurs habits fussent d’une coupe étrangère, comme l’étaient aussi devenus leurs façons et leur langage. Alors, il advint qu’elle se sentit toute troublée et se demanda : Comment retrouverai-je mon bien dans une telle multitude, car cette éducation nouvelle l’aura bien transformé. Après avoir longtemps cherché et interrogé en vain, elle rencontra un vieillard qui parlait son langage, et elle lui exposa son embarras. L’homme répondit : « O bonne femme trop naïve, je ne m’étonne guère que tu n’aies pas trouvé ton enfant ; au contraire, j’eusse été stupéfait si tu l’avais reconnu. La petite est ici cependant, car je sais que tous ceux qui y furent amenés y sont encore, et qu’aucun d’eux n’est mort depuis leur arrivée. Tu l’as peut-être rencontrée déjà sans t’en douter. Mais pourquoi venir parmi nous si c’est pour y demander l’impossible ? Tu ne pourrais même plus te faire comprendre d’elle, si tu la voyais en réalité. Et d’ailleurs tu ne recueilleras aucun renseignement certain sur son compte, car chacun des enfans a reçu un nom nouveau tandis que l’ancien est oublié à jamais. Voici donc ce que je te conseille : Demeure encore parmi nous quelques jours, contemple les petits ; réjouis-toi de leur aspect, de leur pure beauté, de leur parure de jeunesse, de leur gaieté, de leur force débordante. Pense alors : Mon enfant est parmi eux. Et, si tu désires lui témoigner quelque tendresse, témoigne-la au premier venu, car tu ne peux savoir si ce ne sera pas celui-là. Et même, si tu en distingues un plus pur, plus beau, plus joyeux, plus fort que les autres, il t’est permis de penser : voilà le mien[27].


La voyageuse suit cet avis bienveillant, et sur la route du retour, les voix de la nature l’invitent une fois de plus par la bouche de Wagner à ouvrir son cœur davantage encore, pour retrouver son enfant dans les fleurs, les oiseaux, les papillons qui l’accueillent au seuil de sa demeure. Il nous paraît inutile d’épiloguer sur ces lignes : toute mère en sentira le fort et le faible. Faut-il approuver plutôt la consolation touchante, mais quelque peu égoïste que prêche l’Adoption[28] :


Puisque nous avons enseveli notre unique enfant (on sait que nul enfant ne survécut de ceux qui naquirent durant le premier mariage du poète) puisque nous voilà des époux sans postérité, adoptons-nous donc réciproquement, pour la courte étape qui nous reste à parcourir sur le chemin. Toi, chère femme, sois désormais pour moi une pieuse et tendre fille, accepte-moi par contre pour ton fils, en échange de celui qui nous fut si tôt ravi.


Le sentimentalisme s’énerve ici dans sa recherche, et en vient à se payer de mots ; néanmoins, il est juste d’excuser quelque faute de mesure dans le trouble de la douleur sincère.

Un genre de consolation qui apparaîtra malsain sans conteste, c’est celui que le poète est tenté de chercher parfois dans les aberrations du spiritisme, sur les traces de Schopenhauer ou de du Prel ; et son biographe nous confirme qu’il s’est en effet intéressé quelque temps à ces spéculations hasardées. Voici la singulière Fête funèbre par laquelle l’époux, demeuré seul, s’efforce un jour à retrouver les douceurs de la vie commune : une couleur antique, assez heureusement reproduite, laisse, il est vrai, jusqu’à un certain point, à cette pièce, l’aspect d’une fantaisie littéraire :


Allons, debout, pour cette fête maternelle. Venez, enfans, faisons ce qui convient à nous-mêmes et à la chère défunte : c’est aujourd’hui son anniversaire de naissance. Selon les rites, pieux, en beauté et en vérité, convoquons-la au milieu de notre assemblée intime.

Placez son siège là où il était d’ordinaire, avant que la clarté de son regard ne fût éteinte. Apportez son plat favori, remplissez l’assiette, et posez sur la table son verre plein d’un muscat doré.

Debout ! concentrant tous vos sens, comme fait une sentinelle vigilante, soumettez le tombeau et la nuit à l’ardeur sacrée de votre vouloir. Ainsi que l’appel du ramier ramène sur le pin sa colombe, que la puissance de notre charme magique attire ici celle que nous attendons.

Hélas ! elle n’apparaît pas encore. Cependant ne nous séparons pas avant d’avoir assouvi nos regards de la douceur de son aspect ; sans doute, nous ne sommes pas jusqu’ici assez forts de notre enthousiasme, pour l’arracher au tombeau vaincu.

Demeurez donc fermes, sans hésitation, en pleine conscience, avec une seule pensée dans votre âme, celle de l’attirer en notre cercle, laissez s’élever hautes et claires les flammes sacrées de l’aspiration. L’âme absente ne peut longtemps résister à l’ordre divin qui émane d’une telle insistance. Sans volonté, sans défense, sans libre arbitre, elle se dresse soudain comme un brouillard bleuâtre au milieu de la salle.

Mère, mère, murmurent nos lèvres à la ronde. Nous voyons ses lèvres s’approcher de son verre. Elle verse sur nous les délices à la fois chaudes et glacées de ce revoir, jusqu’à ce qu’elle nous échappe, en se dissolvant dans l’air léger.


Dangereux plaisirs, peu dignes en somme d’une mémoire vénérée et bénie. Mais la superstition est l’un des écueils du mysticisme ; et, si nous ajoutons foi au dire de son historien bénévole, Christian Wagner lui ferait bien d’autres concessions encore. Il croit, nous l’avons dit, à des démons vengeurs, mais plus encore à l’influence de la bénédiction ou de la malédiction des hommes, aux pressentimens, à la télépathie, à l’importance de quelques chiffres fatidiques. En particulier, par la somme des dates de naissance, de mariage et de mort dans une famille, on pourrait tirer une conclusion sur la destinée d’un de ses descendans, parce que « un certain rythme du sort » se fait sentir ici-bas.

Ces petites faiblesses sont vénielles. Le terrain sur lequel Christian Wagner se meut le plus lourdement à notre gré, c’est celui de l’amour sensuel et païen, vers lequel il porte volontiers ses pas. Il s’y montre emprunté, forcé dans son affectation de désinvolture ; l’homme qui a écrit de si belles pages sur les affections de famille, se prenant à jouer l’épicurien dégagé, apparaît décidément inférieur dans un rôle mal fait pour son tempérament. Tant que son indulgence pour les faiblesses de la chair garde une sorte de couleur évangélique, comme dans la Ballade sur les Colchiques[29], ces vierges folles dont nous avons parlé, ou dans la pièce qui traduit le repentir de la Madeleine par une effloraison de roses[30], il y avait mauvaise grâce à lui chercher querelle. Mais, déjà, à la suite du Mythe de l’Automne[31], que nous avons reproduit en partie, il introduit une « canonisation de la femme, » qui sonne faux sous sa plume, et où la dignité de prêtre dont il se pare afin d’approcher librement du sanctuaire assez dévoilé de la grâce féminine fait songer involontairement au grand pontife des Saint-Simoniens, et aux plus douteuses théories du Père Enfantin.

On retrouve cette impression de malaise à la lecture d’une courte pièce des Présens votifs, intitulée : Charme d’Amour.


Veut-elle de moi ? Cela n’est pas bien clair. Qu’importe ! je caresse doucement sa chevelure. M’aime-t-elle ? Cela n’est pas sûr le moins du monde. Qu’importe ? j’embrasse ses lèvres de pourpre. Et si la loi et le degré de parenté sont contre nous, qu’importe ? je la tiens dans les rets de mon amour. Mon âme l’enveloppe dans le domaine de son pouvoir, et elle ne pourra jamais s’en échapper.


Voilà un de ces morceaux que Wagner eût fait sagement de laisser en dehors de son recueil, et de conserver inédit, comme le témoignage d’un fugitif entraînement. Certaines confidences risquent d’étonner le public, quand surtout on a pris vis-à-vis de lui une altitude de réformateur et d’apôtre. Mais, c’est dans sa dernière œuvre, Oswald et Clara, la seconde partie des Nouveaux Poèmes, que la fantaisie décidément érotique de l’auteur se donne libre carrière, et, sous couleur de métempsycose, le conduit à un libertinage fardé d’onction et d’attendrissement, dont l’impression est déplaisante. Nous avons déjà cité, en signalant chez Wagner la conception de l’Eternel Retour, cette promenade au cours de laquelle il rencontre une jeune fille ravissante, si semblable à Clara dans son adolescence, que le poète la juge faite des mêmes particules, rassemblées de nouveau après quarante années. C’est par cette confusion voulue qu’il s’achemine vers les illusions dangereuses, que nous allons indiquer et pour lesquelles il ne néglige pas de se préparer d’abord de faciles excuses. Voici en effet l’interprétation casuistique qu’il sait donner à ces mille répétitions de notre existence, à cette pensée grandiose dans laquelle Nietzsche voyait une incomparable action morale : « Qui peut savoir, dit-il[32], combien de fois déjà notre vie terrestre s’est répétée, ni combien elle se répétera par la suite ? Nous aurons donc bien assez de temps et d’occasions propices pour réparer quelques petits péchés de légèreté. » On ne saurait être plus naïvement libertin.

Muni de ce viatique, notre poète se sent donc tout joyeux un autre jour, quand il rencontre une brune servante d’auberge, qui lui offre de nouveau quelques traits de sa Clara[33]. Serait-ce sa chère femme ressuscitée ? « Peut-être, » se contente-t-il encore d’insinuer pour cette fois. Mais, ailleurs, le voici tout à fait assuré que sa compagne du moment est bien véritablement Clara, « C’est par désir du changement sans doute, ou dans un accès d’humeur taquine, qu’elle s’était donné un autre nom et paraissait avoir oublié à dessein tous nos rapports antérieurs[34]. »

Enfin, dans une pièce intitulée : Réveil tardif, l’inoubliable Clara avoue sans ambages ces déguisemens singuliers, et semble encourager son fidèle Oswald à retrouver l’illusion de sa présence dans la compagnie de toute femme dont l’aspect l’a séduit[35].


Je crois bien, mon cher Oswald, qu’il y avait un peu d’ivresse dans ton cas, lorsque tu fis hier à cette belle servante une cour si pressante et si chaude. Tu le vois, je sais tout. Il est vrai que tu me croyais morte, et qu’il en est bien à peu près ainsi. Mais, comme je connais ton faible, je me suis amusée à t’approcher revêtue d’un déguisement sous lequel j’étais assurée que tu me courtiserais de nouveau. Sois sans crainte d’ailleurs : je ne t’en veux pas le moins du monde pour les baisers de feu que tu m’as donnés. Seulement, tandis que tu vidais sans relâche la coupe de vin empourpré... je savais que, le lendemain, tu aurais la tête lourde, et que tu dormirais toute la sainte matinée.


L’époux, encouragé par une indulgence si gaillarde, ne manque pas de former les meilleurs propos de persévérance en cette agréable voie :


Me voilà maintenant frais et dispos, dis-moi donc bien vite, charmante Hébé, quand nous nous retrouverons ensemble ? — Penses-tu, riposte Clara, que j’irais porter une seconde fois le même masque joyeux ? Fi ! cela serait terriblement ennuyeux et sot. Tout ce que je puis te dire, c’est que tu me reverras sous un nouveau déguisement taquin : peut-être un peu moins coquette cependant. Tu me courtiseras de nouveau avec la flamme d’autrefois, et tu triompheras, car je ne me serai rapprochée de loi qu’afin de me laisser reconquérir. — Mais, reprend Oswald sous l’empire d’un dernier scrupule, n’y aurait-il pas, chère Clara, un signe de reconnaissance entre nous, un mot d’ordre que tu pourrais me confier dès à présent ? — Ah ! que non, Oswald ; sinon peut-être cette maxime : Ce qui peut t’être offert désormais en amour, prends-le en compensation de celle qui est partie.


C’est une élégie conjugale qui finit comme une chanson du Caveau. Voilà donc Wagner définitivement échoué sur les écueils éternels du mysticisme, la sensualité caressée avec complaisance, sous prétexte de sentiment, et le désordre encouragé par la prétendue piété du souvenir. Car le libertinage se couvre ici d’un masque hypocrite, lorsqu’il emprunte les traits bénis de la fidélité et de la constance pour donner le change au lecteur sur son véritable visage. Efforçons-nous donc de ne voir en ces pages choquantes que des fantaisies sans portée réelle, où se révélerait seulement plus encore qu’ailleurs cette fatigue évidente de l’inspiration créatrice que nous avons signalée déjà chez l’auteur des Nouveaux Poèmes.


IV

Les lignes que nous venons de reproduire suffiront à démontrer combien Christian Wagner est en somme mal à l’aise dans le domaine de l’érotisme et de la gaieté sensuelle. Et, bien que son historien, M. Weltrich, en veuille faire l’apôtre de l’amour, de la joie et de la beauté, ce panégyriste consciencieux doit reconnaître lui-même que son héros trahit toujours quelque effort dans les passages de bravoure. Tantôt c’est la tension nerveuse du mélancolique qui cherche à s’étourdir à tout prix, tantôt cette « humeur de lendemain de fête » que Clara connaît si bien chez son Oswald, et qui le précipite machinalement vers la distraction nouvelle, dans l’écœurement mal dissipé de la précédente débauche. Par bonheur, ces traits sont assez rares en son œuvre : il suit plus volontiers son inspiration naturelle, qui le montre, après ses maîtres Bouddha et Schopenhauer, foncièrement pessimiste et attristé. C’est dans ce sens qu’il rencontre l’inspiration sincère, et la forme adéquate à sa pensée. Et, par exemple, il a écrit peu de pages plus pénétrantes que la Ballade de l’Astrologue, qui nous dit combien le bonheur est ici-bas mesuré d’une main avare aux humains[36] :


L’astrologue se tient sur la terrasse : son maître, le duc, est accoudé près de lui, Père, dit-il, n’est-il pas au ciel une étoile qui t’annonce clairement que mon union sera favorisée de nombreux enfans ?

Cette étoile, ô mon fils, s’attarde encore dans le brouillard de l’horizon, pourtant, puisque tu veux le savoir, et si mon art ne me trompe, lorsqu’elle se tiendra au-dessus du faîte de ton château seigneurial, sept enfans formeront autour de toi une douce constellation.

Mais, en revanche, à ce moment même une étoile disparaîtra vers le Couchant en franchissant le seuil céleste ; c’est une double étoile qui déjà s’abaisse tandis que l’autre monte à l’Orient. Ah ! cette double étoile, si j’en interprète bien le sens, ah ! combien le déclin de cet astre m’attriste ! Tu songes à ton père vénérable et à ta mère chérie, n’est-il pas vrai ? Béni sois-tu pour les larmes que, d’avance, tu verses en secret sur leur perte.

L’astrologue marche sur la terrasse ; son seigneur le duc se lient de nouveau près de lui : Quand donc, ô mon père, quand donc, durant la course des mondes, se lèvera pour moi l’astre de la gloire ?

Celui-là, ô mon fils, prend justement son essor ; dès minuit, Orion se montre[37], et, vers l’aurore, il va briller royalement au-dessus de ton front, l’environnant de ses rayons.

Mais, au Couchant en revanche, une étoile disparaît en franchissant le seuil céleste, un étoile d’amour, qui déjà s’abaisse, tandis que l’autre s’élève à l’Orient.

Ah ! cette étoile, si je sais l’interpréter, ah ! combien le déclin de cette étoile me fait peine. Époux, époux chéri, tu songes à l’amour qui peu à peu s’envole... Sois plaint pour les larmes que tu verses déjà en secret.

Oui, cela est douloureux sans doute ; mais toutes nos étoiles n’atteignent jamais ensemble à leur apogée sereine ; le cours des mondes présage celui du destin ; un astre se couche tandis que l’autre se lève.

Oh ! homme insensé, poursuit en prose le promeneur du Dimanche, qui voudrais réunir autour de toi toutes tes joies, comme une poule rassemble sa couvée sous son aile ! Réponds-moi, sais-tu donc accoupler en un seul bouquet les hyacinthes, les roses et les asters ? Sans l’émission, avec une ponctualité d’airain, chaque être voit le jour à l’époque fixée pour sa venue, et quitte la scène quand son heure a sonné...


Peut-on prêcher de façon plus persuasive et plus noble les résignations nécessaires en cette vie ? L’on sent ici l’accent ému de l’expérience personnelle[38], car l’étoile de la renommée ne s’est levée pour Wagner qu’après que celle de l’amour fut éteinte ; et sa famille s’est accrue autour de lui quand il eut perdu ses parens chéris. Mais il a su tirer de ses souvenirs un avertissement de portée plus générale et d’un accent profondément humain. Ceci n’est pas à proprement parler du pessimisme, c’est une saine prédication morale ; par malheur, l’amertume se fait jour trop souvent en traits plus marqués dans l’œuvre du poète.

Avouons-le même, à mesure que, par l’étude de son œuvre et de sa personne, nous avons pénétré plus avant dans l’intimité intellectuelle du paysan souabe, nous nous sommes posé avec plus d’anxiété cette question : sa culture, exceptionnelle en son milieu, a-t-elle été pour Wagner une source d’allégement et de félicité dans sa rude existence ? Nous songions parfois à ce propos au début de la Mare au diable, ce chef-d’œuvre véritablement classique, où George Sand, à peine échappée à la fournaise parisienne de 1848, si impitoyable à ses illusions sociales chèrement caressées, s’est aussitôt prise, en incorrigible idéaliste, à poursuivre de nouveaux rêves sur le bonheur des campagnards. Elle a tracé là un tableau délicieux de forme, mais peut-être non moins chimérique au fond que ses précédens enthousiasmes.

« A l’autre extrémité de la plaine labourable, un jeune homme de bonne mine conduisait un attelage magnifique ; quatre paires de jeunes animaux, à robe sombre, mêlée de noir fauve à reflets de feu...

« ... Un enfant de six à sept ans, beau comme un ange, et les épaules couvertes, sur sa blouse, d’une peau d’agneau qui le faisait ressembler au petit saint Jean-Baptiste des peintres de la Renaissance, marchait dans le sillon parallèle à la charrue, et piquait le flanc des bœufs... Le O fortunatos... agricolas de Virgile me revint à l’esprit... Je sentis une pitié profonde mêlée à un respect involontaire. Heureux le laboureur ! oui, sans doute, je le serais à sa place, si mon bras devenu tout d’un coup robuste, et ma poitrine devenue puissante, pouvait ainsi féconder et chanter la nature, sans que mes yeux cessassent de voir et mon cerveau de comprendre l’harmonie des couleurs et des sons, la finesse des tons et la grâce des contours, en un mot, la beauté mystérieuse des choses... Mais, hélas ! cet homme n’a jamais compris le mystère du beau, cet enfant ne le comprendra jamais... Il manque à cet homme une partie des jouissances que je possède, jouissances immatérielles qui lui seraient bien dues, à lui, l’ouvrier de ce vaste temple... »

Ainsi la bonne Sand, à qui les faits venaient pourtant de donner une si rude leçon sur un autre théâtre, peignait de couleurs idéales le sort d’un paysan qui aimerait la beauté dans les œuvres de Dieu. Eh bien ! la réalité ne semble pas répondre au songe harmonieux de la châtelaine de Nohant. Notre paysan de Warmbronn a certes compris, par un instinct merveilleusement affiné, les beautés de la nature ; il a savouré en gourmet les jouissances esthétiques qu’il doit à sa culture, assurément remarquable chez un homme des champs. Et, malgré tout, il ne nous apparaît pas comme un homme heureux. Il a trouvé trop d’amertume dans le sentiment d’une disproportion choquante entre son mérite éminent et son existence précaire ; il a souffert de se sentir différent de son entourage, d’avoir devancé ses concitoyens par l’évolution de sa pensée. Ses poèmes pourraient nous offrir plus d’un écho de semblables amertumes. Celui qui est intitulé : Ma Patrie les traduit dans un soupir d’angoisse :


Warmbronn fut le lieu de ma naissance, mais bien peu ma patrie. En mon isolement pénible j’ai cherché par mes chants la consolation et la force. J’ai célébré joyeusement les guérets, les prairies, les forêts et les pentes des collines. A présent que mon hymne est à son terme, la consolation me manque, et c’est avec effroi que je descends la pente de mes jours.


Et, dans le même recueil, parmi les vers qu’il a vraisemblablement écrits les derniers du volume, il présente un bien triste résumé de l’Expérience du Poète[39].


L’infortune, dit-il, guette celui qui s’égare loin des pâturages marécageux de la vie terre à terre... Le monde parle volontiers de doux gages d’amour échus en partage à qui sait chanter ; je n’en ai vraiment rien appris par moi-même. Le stupide valet de charrue qui laboure sans pensée, l’usurier qui trompe un enfant, le garçon de ferme qui balaye le seuil fangeux, le boucher qui égorge là-bas ce porc, le petit tailleur profondément courbé sur sa tâche ; tous, ils ont joui plus que moi de la vie. De belles femmes épient le doux écho de mes accens ; mais nulle ne veut de moi pour son confident sur le chemin...


Dans un autre morceau, Wagner revient encore sur cette ingratitude de ses concitoyennes, qui ne l’ont pas choyé à son gré[40] :


Je ne dois aucune inspiration poétique aux femmes de mon village ; retiré sur moi-même, c’est à moi seul que je suis demeuré fidèle...


Et les confidences que M. Weltrich a recueillies de la bouche de son héros confirment ces plaintes par des traits plus précis. Le poète a sans doute des amis à Warmbronn, dit son historien ; mais les paysans n’ont d’estime réelle que pour le sens pratique, pour le succès matériel, pour le gain en un mot ; ils méprisent une vocation intellectuelle qu’ils ne sauraient comprendre. Quelques anecdotes caractéristiques mettent en relief sous la plume du critique ces malentendus entre des âmes, parentes à l’origine, mais devenues trop dissemblables par le degré de leur culture. Tantôt Wagner est accusé de sorcellerie par les commères du village pour avoir parlé de composer des « hexamètres » à l’occasion de la fête de Pâques. Tantôt les petites filles du village refusent de jouer avec la sienne, parce qu’elles auraient honte de frayer avec l’enfant d’un « poète. »

Ainsi, la rude expérience des misères morales de l’humanité s’est jointe aux tendances naturelles de son caractère pour apporter aux inspirations de notre homme la teinte assombrie qu’elles revêtent fréquemment dans son œuvre. Toute une série de pièces des Poésies nouvelles a pour titre d’ensemble Journal d’un Fatigué de la vie, et débute par une litanie navrante, où chaque jour de la semaine apparaît à son rang suivi de l’exclamation : « Entsetzlich ! Epouvantable ! » et d’une maxime de morne lassitude.


Nous sommes au lundi seulement. Épouvantable ! Recommencer sans joie la semaine à peine achevée. Mardi, seulement ! Épouvantable ! Filer sans but le tissu grisâtre de la vie…


Puis, viennent les Pensées du Vendredi saint, où le Destin s’incarne dans un taureau fonçant brutalement sur le manteau de pourpre qui fut accordé pour leur perte aux âmes privilégiées ; tandis qu’une émouvante évocation de la Nuit la présente sous les traits d’un spectre amaigri, qui ne se montre que pour interdire le sommeil. Seules les Fleurs près du lit d’un malade viennent offrir à leur ami le doux reflet de leur grâce ingénue, au terme de cette lugubre série d’amertumes.

C’est à cette disposition d’esprit foncièrement mélancolique qu’il faut rattacher aussi l’un des thèmes favoris du poète : celui des présages de la Mort, dont il s’est plus d’une fois heureusement inspiré. Tantôt il marche par la forêt d’automne[41], « cheminant anxieux parmi les feuilles tombantes, afin d’accoutumer son âme pusillanime à ce doux trépas sans angoisse ; » à l’exemple de ce penseur contemporain qui disait à l’un de ses disciples, lors de ses derniers jours[42] : « Je tâche d’apprendre de ces arbres le secret de mourir ; mais que c’est difficile ! » Tantôt il chante, comme sur un air mélancolique accompagné d’accords en sourdine, les Messagers discrets[43] :


Dis-moi, père, que sont ces noirs monticules sur les couches du jardin ? — Je les vois à regret, mon enfant, ce sont des taupinières, prophétesses de la tombe. N’ont-elles pas l’aspect des fraîches sépultures ? Jamais, depuis que je possède ce jardin, sinon l’année où je perdis mon père, je ne l’ai vu si rempli de ces noires collines.

Vois, père, ce papillon aux ailes noires bordées de blanc, qui volette auprès de nos légumes. — C’est le « Mantelet de deuil », prophète lui aussi ! Ah ! mes yeux ne l’ont jamais oublié ; quand on emporta les restes de ton jeune frère, son cortège funèbre et la civière posée devant la chambre mortuaire furent visitées par ce messager ailé.

Vois, père, cette fleur sur la haie ; pousse-t-elle depuis longtemps dans notre enclos ? — Fleur des morts, voici que tu te montres à ton tour. Morts chéris, ne voulez-vous donc plus attendre davantage ? Cette fleur d’un jaune ; sombre, ô mon fils, je ne l’ai jamais vue qu’au jour où la mère expirait. Oui, c’est bien la même… Ton aïeul, ton petit frère et la mère m’appellent Donc tous trois. Embrasse-moi, mon enfant, car je dois partir.


Faut-il rapporter à cette préoccupation constante de la mort les idées de Wagner sur le suicide, qui semblent la conclusion logique des leçons ambiguës du Bouddha et de Schopenhauer à ce sujet. Non seulement il glorifie la mort volontaire dans le sens stoïcien, à titre d’effort suprême du courage et de la vertu ; mais il va jusqu’à y trouver l’assaisonnement qui, seul, prête quelque saveur à l’existence humaine[44]. Il est vrai qu’il tempère ailleurs ces excès par quelques conseils de prudence et de raison : Songe d’abord, dit-il, avant une telle décision, si tu n’as pas de devoirs imprescriptibles à remplir envers des êtres chers[45].

Et il fait alors remarquer, dans sa préoccupation ordinaire de la métempsycose, que l’association de nos atomes pour former un homme est une rare fortune qu’ils ne sont pas assurés de retrouver de sitôt, une fois dispersés. Ce ne sont pas moins là des enseignemens singuliers dans la bouche d’un penseur, qu’on voudrait nous donner pour un apôtre de la joie de vivre[46].


V

George Sand se trompait donc sans doute dans les vœux qu’elle forma sur le berceau de son petit Saint-Jean berrichon, dans le choix des dons que, en bonne fée des campagnes, elle eût voulu prodiguer au fils de Germain, le fin laboureur. A notre paysan souabe tout au moins, la culture intellectuelle n’a pas apporté le secret de la vie pondérée, équilibrée, et véritablement heureuse. Reconnaissons-le cependant, sa Muse semble lui avoir fait goûter de fugitives douceurs et des consolations momentanées ; en tous cas, elle lui a rendu ce bon office de lui épargner une incertitude qui forme souvent l’un des plus cuisans supplices du producteur : le doute sur la valeur de son œuvre et sur la durée de sa mémoire. Ses préfaces gardent bien quelque apparence d’humilité ; il y réclame l’indulgence du lecteur pour « un pauvre villageois sans instruction, » dont les faux pas scientifiques devront être excusés de même que les inadvertances grammaticales ; et ces dernières sont assez fréquentes en effet sous sa plume. Mais c’est là simple précaution oratoire, pure coquetterie d’un séducteur qui se sent assuré de la puissance de ses charmes. Le ton est tout autre en effet dans la plupart de ses poésies. Parfois la vanité de l’écrivain y conserve encore quelque grâce, par exemple dans ces vers[47] où il se flatte « de transformer les mesquins événemens de la vie quotidienne en l’or pur de ses chants, par l’addition de quelques gouttes de son esprit. »

Il y a de la noblesse dans l’aveu que voici[48] :


Souvent j’ai éprouvé le regret de sentir que mon corps fatigué par le rude labeur des champs n’était plus capable de bien voir et de bien entendre la nature. Combien de fois, humble travailleur des domaines de l’esprit, n’ai-je pas aspiré, vers le midi, à un rafraîchissement, vers le soir, à quelque obole rémunératrice. Et je reçus aussitôt cette réponse : Si tu veux de moi des gages et un salaire, tu n’es plus mon favori ni mon enfant : tu deviens un mercenaire et un valet que je rémunérerai selon la coutume et le droit seigneurial. S’il en est ainsi, dis-je, tout confus à l’apparition de rêve, j’y renonce de grand cœur : que mes gages, mon salaire, mon unique espérance soient de demeurer ton confident et ton fils.


On pourrait encore excuser, en faveur de son amour conjugal si éprouvé, l’exaltation qui lui fait promettre à Clara l’immortalité par l’œuvre de son époux[49], et le destin de Laure et de Béatrice, avec qui la paysanne de Warmbronn formera quelque jour une trinité glorieuse dans la mémoire de la postérité[50].

Mais le poète ne dédaigne pas à l’occasion de s’élever seul sur le pavois, comme en témoigne l’interprétation qu’il nous fournit de sa Vocation :


Je n’avais par héritage ni la science ni l’art : tous deux me furent accordés par la grâce des dieux. Et je me dresse l’égal des rois et des princes, mais mon royaume sommeille encore dans le sein de l’avenir.


Enfin, cette immortalité qu’il se promet à lui-même, Wagner nous la décrite de façon suffisamment précise, tantôt sur la terre, tantôt dans le ciel même ; car l’univers entier semble appelé, comme nous l’allons voir, à célébrer une mémoire si glorieuse. Examinons d’abord ses pronostics sur l’avenir terrestre de son nom. Certain jour[51], ayant redemandé Clara à tous les échos pour en recevoir la consolante réponse ordinaire quelle « est partout autour de lui, » Oswald cède un moment au sommeil, et se réveille dans une disposition d’humeur bizarre. Il voit se dresser devant lui une construction d’aspect souriant, pourvue d’une enseigne éclatante qui porte ces mots : « Auberge des Promenades du Dimanche. » S’étant introduit dans l’intérieur de l’hôtellerie, il constate que sa propre image est suspendue en face de la porte d’entrée, mais sous les traits d’un vieillard beaucoup plus âgé qu’il ne l’est aujourd’hui. La salle du premier étage renferme, dans des vitrines, toute une collection des souvenirs intimes du paysan de Warmbronn : harpe, chapeau tyrolien porté par lui actuellement, etc. C’est un véritable « musée Christian Wagner » ajouté à ceux que l’Allemagne consacre si volontiers à ses grands hommes, depuis Gœthe jusqu’à Nietzsche. S’étant alors dirigé tout surpris vers la forêt familière, notre homme y voit, sur la porte d’entrée d’une élégante villa neuve, une jeune fille étrangère, qui, trompée par l’aspect délabré de son costume, lui offre une pièce de monnaie. Il la refuse poliment, non sans tourner un madrigal à la belle inconnue. Et celle-ci de répondre toute souriante :


En entendant vos vers improvisés, je serais tentée de vous prendre pour le chanteur qui a vécu en ces lieux, il y a plus de cent ans. La maison d’où vous venez est sa demeure natale, transformée en l’honneur de sa mémoire. Et, comme vous m’avez parlé tout à fait dans son style, je me ferai un plaisir de vous guider par les sentiers aimables où il cherchait sans cesse sa chère Clara. Sachez-le : je m’appelle aussi Clara, ou, plus exactement, Clara-Élisabeth, et je suis une grande et passionnée admiratrice de sa Muse. Mais ce pays ne m’a pas vu naître : je viens de loin, de la Bourgogne ensoleillée, et je ne me suis transportée ici que pour y retrouver la trace de ses chants.


Telle est donc le destin glorieux que rêve dès à présent notre poète. Il assiste ainsi dans une sorte de songe à son apothéose future, et la France semble destinée à tenir une place éminente dans le chœur admiratif de la postérité. Mais ce n’est pas assez, et la renommée du cultivateur de Warmbronn, qui a si volontiers parcouru les espaces sidéraux sur les traces de sa Clara, ne saurait être restreinte à notre misérable globe. Il est permis de penser que l’univers entier se souviendra de l’avoir contemplé au passage, et s’associera de bon cœur à l’enthousiasme terrestre, car voici les dernières lignes de la Foi Nouvelle. C’est la question soixante-douzième du Catéchisme de l’avenir[52] :


N’y aurait-il pas, pour qui a réalisé son perfectionnement dans le sein de Dieu, une autre pensée plus élevée, qui fût capable de l’emporter au delà des limites de la terre et du temps présent, vers une période où il n’y aura plus ni terre, ni soleil, mais seulement un monogramme étincelant, peut-être celui du plus divin fils de la terre, qui flamboiera au ciel nocturne sous l’aspect d’une constellation plus durable que notre groupe planétaire ?

Réponse. — Oh, oui ! la constellation rayonnante de la Chèvre et d’Orion offre peut-être un tel monogramme.

Qu’est-ce donc qui rayonne si haut dans le firmament nocturne ? N’est-ce pas un monogramme qu’un esprit m’explique, et qui, apparu tout récemment pour les mortels, flamboierait au ciel éternel comme un monument impérissable de gloire ? monument de gloire tel que le monde n’en connaît pas de semblable, que de fois tu as gonflé mon cœur de désir. monument de gloire, dans l’éternel azur, c’est en toi seul que je trouverai satisfaction.


Or, la Chèvre est l’étoile de première grandeur du Cocher : et, si l’on jette les yeux sur une carte céleste, on reconnaîtra sans peine que, avec un peu de bonne volonté, cette constellation jointe à celle d’Orion dessine vaguement les initiales C. W. Fantaisie de poète, dira-t-on, que cette déification, prononcée de sa propre autorité par le fondateur de la religion nouvelle. Il serait pédant de la prendre au sérieux ! Indice à tout le moins, répondrons-nous, des consolations qu’a trouvées parfois le laboureur dédaigné de ses proches dans le sentiment de sa valeur et dans l’assurance de sa mission. Et ne peut-il se croire en effet sur le chemin qui mène à la réalisation de son rêve ? Un gros volume rédigé par un critique en vue porte son nom sur sa robe verte de cartonnage, et lui offrait récemment une analyse subtile et passionnée de ses moindres inspirations ; tandis qu’un compatriote de Clara-Elisabeth, sa conquête future sur le sol des Burgondes, se voit séduire avant elle, et s’efforce de faire connaître autour de lui des chants originaux et suggestifs jusqu’en leurs aberrations momentanées.

Ce sont là des résultats tangibles et actuels. Que leur souvenir permette au poète d’attendre sans impatience une immortalité qu’il ne laisse pas de rêver pour lui-même sous une forme plus personnelle et plus flatteuse que la migration anonyme des atomes vulgaires ! Mais, après son dernier aveu d’ambition éthérée, que le restaurateur des antiques doctrines de l’Inde aryenne ne s’étonne pas trop si, dépassant les vagues rêveries de ses maîtres, et écoutant les fermes promesses de la religion chrétienne plus volontiers que les molles cantilènes de la Foi nouvelle, les simples de cœur revêtent leur espoir en une vie future de couleurs moins fantaisistes certes que l’éclat des diamans nocturnes de la voûte céleste, et tout à la fois plus modestes, plus humaines et plus consolantes.


ERNEST SEILLIERE.

  1. Voyez la Revue des 15 octobre et 15 novembre 1901.
  2. Page 21.
  3. III, 39.
  4. III, 31.
  5. Page 15.
  6. Parerga, edit. Reclam, II, p. 388 et suivantes.
  7. Louandre. Épopée des animaux, 1854.
  8. L’Église et la pitié envers les animaux, textes puisés à des sources pieuses, sous la direction de la marquise de Rambures. Paris, 1899, Lecoffre.
  9. Neue Zeil., XVII, 21.
  10. Voyez à ce sujet notre étude dans le Journal des Débats, 21 avril 1901.
  11. Thier-Ethik, Bamberg, 1894. Voir aussi II. S. Salt, les Droits de l’animal, Paris, Welter. Traduit de l’anglais.
  12. Voir B. Champneys, Coventry Patmore, London, 1900.
  13. Well als Wille, I, 488-489.
  14. II, 12.
  15. Sonnlagskind, littéralement un Enfant du Dimanche ; c’est le nom que se donne volontiers le poète comme un symbole de sa mission, une bénédiction particulière s’attachant aux enfans nés le jour du Seigneur, suivant la croyance des campagnes allemandes.
  16. II, 28.
  17. Drei Novellen. Leipzig, Goeschen, 1896.
  18. La cause des animaux vient de trouver dans l’Allemagne du Sud un martyr qui n’est pas un personnage imaginaire. Un publiciste autrichien, Rudolph Bergner, a mis récemment fin à ses jours pour avoir porté une âme trop exaltée dans la défense de la morale extensive ; des persécutions réelles ou supposées l’ont comme le Sauveur des animaux amené à cette décision extrême. Voir Gessmann, Rudolf Bergner, Vie et souffrances d’un idéaliste et ami des bêtes, Leipzig, 1901.
  19. Rudyard Kipling a bien mis ce fait en évidence dans ses pénétrantes descriptions des habitans de la jungle. Les vieux loups sont de droit dévorés par les jeunes, dès qu’ils ont trahi leur décrépitude en manquant leur bond sur quelque chevreuil alerte.
  20. On raconte qu’à Londres, un chien dont le propriétaire se respecte doit posséder toute une garde-robe, dont la mode règle capricieusement les formes et l’ornementation.
  21. I, 32.
  22. Présens votifs, p. 40.
  23. Ibid, p. 116.
  24. III, 16.
  25. Présens votifs, p. 33.
  26. Foi nouvelle, 47.
  27. III, 27.
  28. Présens votifs, p. 108.
  29. I, 31.
  30. II, 10.
  31. II, 21.
  32. Nouveaux Poèmes, p. 164.
  33. Ibid., p. 139.
  34. Ibid., p. 134.
  35. Ibid., p. 117.
  36. III, 33.
  37. La mention d’Orion à titre d’étoile de la gloire, appuie cette supposition, comme nous le verrons tout à l’heure.
  38. Présens votifs, p. 42.
  39. Page 117.
  40. Nouveaux Poèmes, p. 32.
  41. I, 31.
  42. Taine à M. Paul Bourget.
  43. II, 18.
  44. Foi nouvelle, p. 61.
  45. Sonntagsgaenge, 1, 25.
  46. Il est difficile de ne pas rapprocher le caractère et le talent de Wagner de ceux du poète écossais Robert Burns, qui est assez étudié en Allemagne actuellement. L’auteur de la Chanson des Gueux, dans lequel Taine voyait déjà une physionomie intéressante, et le premier en date des poètes anglais de l’âge moderne eut une enfance plus dure encore, et, jusqu’à la fin de sa vie, la même existence de labeur que le paysan de Warmbronn. On trouve dans ses vers un pareil amour de la créature vivante : « Cette branche d’aubépine qui s’avançait sur la route, dit-il, quel cœur en ce moment eût pu songer à lui faire du mal ? » Parfois aussi les mêmes excès de sensibilité : ne le voit-on pas, cent ans avant Wagner, s’attendrir déjà sur une souris dont sa charrue a dérangé la tanière. « Je crois bien que, par-ci, par-là, elle vole. Eh bien ! après ? Pauvre bête ! Ne faut-il pas qu’elle vive ! » On remarque encore en Burns un mélange du sentiment chrétien et de l’érotisme païen, et souvent la même vanité d’auteur que nous allons signaler chez son émule. Mais les succès littéraires et mondains de l’Écossais furent bien plus brillans, et, par suite, bien plus néfastes à son talent comme à son bonheur. Enfin l’esprit révolutionnaire, les revendications sociales sont plus impétueux chez Burns ; plus atténués, plus voilés de résignation nécessaire chez Wagner, qu’un siècle d’expérience politique éclaire sur l’impuissance des lois à réaliser le bonheur de l’humanité. — Voyez les ouvrages de MM. Otto Ritter, Berlin, 1899 et Max Meyerfeld, Berlin, 1899.
  47. Présents votifs. Mon métier.
  48. Sonntagsgaenge, II. Préface.
  49. Présens votifs, p. 102.
  50. Nouveaux Poèmes, p. 182.
  51. III, 37.
  52. Nouveaux Poèmes, p. 113.