Un Parallèle historique

DES


LETTRES DE CICERON


A PROPOS


DE LA REVOLUTION DE FEVRIER.




Depuis soixante ans, l’histoire d’Angleterre a fourni seule à la France toutes les comparaisons, toutes les allusions de la politique : jusqu’à ces derniers temps, en effet, les révolutions des deux pays offraient les traits les plus singuliers de ressemblance ; notre histoire paraissait suivre pas à pas celle de nos voisins. On peut dire que la conscience, de ces rapports, les rapprochemens hardis offerts par la tribune et par la presse à l’imagination populaire, furent pour beaucoup dans la chute de la restauration et dans l’établissement de la monarchie de juillet. Comme l’Angleterre, la France avait fait monter son roi sur l’échafaud ; comme l’Angleterre, elle avait traversé l’anarchie et la dictature pour arrivera une restauration, — et voilà que, suivant jusqu’au bout la ressemblance fatale, la restauration fléchissait aussi sous le poids de fautes inévitables : c’est alors que la polémique ardente des partis, poursuivant jusqu’au bout le parallèle, appela, prophétisa, provoqua une seconde et pacifique révolution, qui devait, comme en Angleterre, substituer un rameau d’une sève plus verte et plus jeune à l’antique chêne sous lequel la France s’abritait depuis tant de siècles. L’événement arriva selon les prédictions, en partie à cause des prédictions ; tous les esprits se trouvaient avertis et préparés ; ceux qui applaudissaient à la chute des Bourbons et ceux qui la déploraient l’avaient également contemplée depuis quelques années comme l’espoir ou la catastrophe inévitable de l’avenir ; avec un accent différent, tous s’écriaient : « Nous l’avions bien dit ! »

Pendant dix-huit années d’un règne florissant, la comparaison a pu continuer. Rien n’y manquait, pas même, comme on l’a dit sans flatterie, la prudence et la fermeté d’un autre Guillaume ; mais la Providence ne renferme pas l’infinie variété de ses desseins dans des symétries historiques. La révolution de février a coupé court aux comparaisons : disons plus, entre deux nations, dont l’une aboutit, par ce qu’on a appelé le régime parlementaire, au gouvernement des Pitt, des Canning et des Peel, l’autre aux folies du gouvernement provisoire et aux étranges conceptions de l’assemblée constituante, les rapports étaient sans doute plus apparens que réels. Nous avions emprunté les noms et les formes ; nous n’avions pu prendre en même temps l’esprit, qui seul donne la vie aux institutions politiques. Un moment les deux sociétés s’étaient rencontrées et s’étaient jointes dans la même voie ; mais c’étaient deux lignes perpendiculaires qui se croisent, et non deux lignes parallèles qui se suivent. La révolution anglaise était née de l’esprit religieux, des passions religieuses, si l’on veut ; la révolution française, de la philosophie et des sectes économiques du dernier siècle. Là peut-être est le secret de leurs destinées si différentes. Comment de ces origines opposées arriver à un résultat commun ? — Quoi qu’il en soit d’ailleurs du passé, l’histoire d’Angleterre n’a plus d’exemple pour notre situation présente, et cependant, dans la profonde nuit qui nous s cache notre destinée> de demain, hors de toutes les voies battues, dans ces chemins ténébreux dont parle Dante et qui déconcertaient son courage, nous voudrions retrouver quelque trace qui témoignât que d’autres avant nous ont passé par ces sombres défilés. Ce n’est pas le danger, mais je ne sais quelle solitude étrange au milieu de l’inconnu, qui effraie l’esprit humain. Si à d’autres époques le monde a souffert des maux semblables, s’il a traversé les mêmes épreuves, et si cependant il n’a pas péri dans la lutte ; si la vigueur du bon sens, si la santé de l’ame se sont retrouvées entières après des secousses qui semblent devoir laisser à jamais le trouble au fond des intelligences comme au fond des sociétés, — alors nous arrivons à contempler nos malheurs présens avec autant de douleur sans doute, mais avec plus de calme : si cette génération doit périr, le monde n’en reviendra pas moins à la lumière, le genre humain reprendra le cours de ses destinées ; c’est une épreuve qui finira, ce n’est pas le fin de toutes choses !

À défaut de l’Angleterre, c’est peut-être dans l’histoire des derniers jours de la république romaine que nous trouverons ces traces humaines que nous cherchons, ce spectacle qui doit nous éclairer sus nous-mêmes. Si nous ne nous laissons pas détourner par les différences de noms et de mœurs, nulle époque, en effet, n’offre, avec nos temps des rapports aussi intimes ; malgré les dix-neuf siècles qui nous séparent, malgré le christianisme qui a renouvelé la face des sociétés, nous n’y rencontrons pas seulement ces apparences et cette physionomie semblables que nous offraient les annales de l’Angleterre nous y retrouvons la ressemblance des esprits, nos pensées, nos impressions de chaque jour, nous-mêmes enfin. Oui, malgré les différences de la forme et du costume, nous sommes plus en sympathie, avec les craintes et les espérances qui agitaient alors le monde romain qu’avec les passions qui mettaient aux prises les puritains et les cavaliers : Seulement, pour saisir et serrer de près tous les points qui rapprochent des temps si éloignés, il faut sortir de l’histoire officielle ; de la représentation pompeuse et convenue : les noms et les habits y jouent un trop grand rôle ; les masques cachent les figures. Heureusement l’antiquité nous a laissé des mémoires qui font tomber ces masques, des mémoires qui ressuscitent pour nous la société romaine au moment même de cette crise suprême qui aboutit dans la politique à l’empire, dans la philosophie au christianisme.

Ces mémoires ; ce sont les lettres de Cicéron. Je n’imagine pas en avoir fait la découverte et ne dirai pas comme La Fontaine : « Avez-vous lu Baruch ? » Nous avons tous lu les lettres de Cicéron ; mais il en est des livres comme des tableaux, qu’il faut regarder à leur jour : il faut que le lecteur soit préparé lui-même, que son œil, éclairé par une lumière nouvelle, retrouve dans des loins effacés, dans des fonds obscurs d’abord et qui paraissaient sans nuance, des traits, des contours, des images qui se révèlent peu à peu à lui. L’histoire est le meilleur commentaire de l’histoire, le lendemain explique ce que la veille avait laissé obscur, nous en savons tous plus sur les révolutions que le pacifique abbé Vertot, qui s’était fait leur historiographe en titre : il n’est rien de tel que d’en avoir vu une pour les comprendre toutes. — Dans le dernier siècle, un homme d’autant d’érudition que d’esprit, le président de Brosses, traducteur de Salluste, avait entrepris la réhabilitation de Catilina, ou plutôt, — car ces jeux imprudens de l’esprit qui consistent à prendre quelque grand criminel, Robespierre ou Danton, pour en faire des saints ou des bergers d’idylle, n’affligeaient pas alors la conscience publique, — le président de Brosses ne croyait pas à la conjuration de Catilina ; il faisait ressortir avec beaucoup de vraisemblance, pour ses contemporains, les monstruosités des plans qu’on prêtait aux conjurés, l’impossibilité de supposer que des hommes auxquels on ne refusait pas le bon sens et le courage eussent rêvé d’aussi abominables folies ; il défendait enfin Catilina en niant sa conjuration, et il la niait parce qu’il ne pouvait la comprendre. Aujourd’hui le moindre écolier entend mieux son Salluste que le savant président du siècle passé : — nous connaissons tous Catilina ; non-seulement il a conspiré, mais il a vaincu ; il a régné un jour sur Rome surprise et consternée : -ce jour-là la véracité de Salluste a été vengée. Son imagination n’avait donc pas prêté aux conjurés les odieux complots qu’il raconte ; tout paraissait invraisemblable, faux ou exagéré, il y a cent ans, pour des lecteurs tranquilles, au sein d’une société calme et régulière ; aujourd’hui, tout est vrai pour ceux qui sont jetés au milieu des mêmes complots, qui ont assisté aux mêmes saturnales. Il n’est pas jusqu’à ce ton déclamatoire, tant reproché à Salluste, qui ne vienne ajouter aux rapports des deux époques. Qui n’a présentes encore à l’esprit les pompeuses proclamations du gouvernement provisoire, ces grands mots vides de sens qu’on jetait au peuple le plus spirituel de l’Europe ? Audace des méchans, perversité des sophistes, crainte et faiblesse des gens de bien, nous n’avons plus à nous étonner de rien ; c’est ainsi qu’il en a été chez nous ! Nous savons comment on émeut le peuple sur un mot, et comment de cette émotion les habiles, avec un tour de main, font une révolution : ils nous l’ont dit eux-mêmes, et avec quelle audace ! Voilà les commentaires que l’histoire fournit à l’histoire, le passé et le présent s’éclairent l’un par l’autre.


I

Les lettres de Cicéron ont dix-neuf siècles de date ; le grand orateur vivait un demi-siècle avant Jésus-Christ. Ces lettres semblent avoir été écrites par un homme de nos jours, tant la ressemblance est frappante, non-seulement entre les événemens dès deux époques, c’est la ressemblance superficielle, — mais entre les pensées et les sentimens ! c’est sur celle-là que j’insistera, d’ailleurs, si elle se rencontrait, toute allusion à des personnages du jour ; ma pensée est plus sérieuse et la comparaison plus générale. Les personnages avec lesquels nous font vivre les lettres de Cicéron ne rappellent pas seulement quelques figures contemporaines, ils ressemblent à tout le monde, et chacun peut y reconnaître non-seulement son voisin, mais lui-même. Catilina, ce n’est pas tel ou tel des tribuns de l’Hôtel-de-Ville, c’est la tourbe des esprits factieux et chimériques,

Ce tas d’hommes perdus de dettes et de crimes.

Les Catons sont plus rares, j’en conviens cependant qui ne reconnaîtrait, dans ce caractère majestueux et inutile, quelques traits communs avec ces hommes opiniâtres aussi et sincères dans leur foi politique, fidèles à la religion du passé jusqu’à ne pas voir les choses du présent, qui, après César et Lucrèce, croient qu’on peut revenir à Numa et aux livres sibyllins, — respectables jusque dans leurs erreurs, dont il est difficile de se servir et plus difficile de se passer : hommes pleins du regret des traditions et du respect de l’autorité, qui ont sapé les pouvoirs nouveaux dix-huit années durant, et qui, en aidant à les renverser, ont hâté, sans le savoir, et leur propre ruine et celle de Rome ? — Octave, ce n’est pas seulement le neveu de César, c’est tout homme qui arrive au pouvoir, en comprend dès ce moment les conditions et veut les réaliser à son profit. — Quant à Cicéron, c’est l’image de la France telle que l’ont faite soixante années, de révolution, c’est la France nouvelle, pleine de lumières et d’esprits sans principes certains, inquiète, hésitante, doutant d’elle-même et des autres, détestant la tyrannie, incapable de la liberté, pleine d’élans sublimes, prompte au désespoir, mais d’une trempe élastique, fléchissant sans rompre ; cherchant à s’accommoder au mal quand elle n’a pas su l’empêcher, obstinée à vivre par tous les grands et les petits côtés, achetant, vendant, écrivant, conjecturant sur l’avenir, sans fiel ni esprit de vengeance, dépensant ses haines en bons mots, inhabile à l’effort de chaque jour, mais sachant combattre et mourir à tel moment, comme un digne Romain : telle est la France, tel fut Cicéron. Devant les assassins envoyés par Antoine ; le grand orateur retrouva tout son courage. Sa mort fut au-dessus de sa vie ; elle en rejeta, elle en fit oublier toutes les erreurs et les faiblesses. Les longues vies sont pleines, hélas ! de démentis ; les révolutions des empires se reproduisent, dans la vie de chacun et présentent des contrastes plus tristes encore sur un théâtre plus réduit. De grands seigneurs se font républicains, les jacobins de la terreur deviennent sénateurs de l’empire ou gentilshommes de la chambre sous la restauration. Il faut vivre, dit-on, et la moitié de la vie se passe à contredire l’autre, il faut vivre, et pour vivre on perd tout ce qui, selon le vers énergique du poète, vaut la peine qu’on vive :

Et propter vitam, vivendi perdere causas.

Quand il faut mourir, au contraire, on se retrouve, et l’on se montre tel qu’on était réellement et au dedans. L’ame prête à quitter le corps se manifeste déjà, telle qu’elle sera pour la vie de l’histoire et de l’éternité ; est le dernier jour qui grandit ou qui rapetisse, qui absout ou qui condamne. Les anciens demandaient aux dieux non pas seulement une vie heureuse, mais une mort suffisamment glorieuse. Si la patrie devait jamais périr, souhaitons-lui aussi de ne pas s’affaisser sur elle-même, de ne pas disparaître sans bruit et sans gloire de ce monde où elle occupa si long-temps cette première place que les Romains tenaient dans le monde ancien !

Origine, instincts et tendances politiques, préjugés même, tout confirme cette ressemblance et cette sorte de fraternité qui nous frappe entre Cicéron et la France nouvelle. Comme la France issue des flancs de ce vigoureux tiers-état qui, depuis des siècles, faisait la force du pays sans prendre part encore à son gouvernement, Cicéron sort de cet ordre intermédiaire des chevaliers romains, qui représentait ce qu’on appelle de nos jours les classes moyennes : il rompt les barrières qui s’opposent à leur légitime ambition, il partage avec l’aristocratie patricienne les grandes charges de la république, le gouvernement des provinces, il fait entrer au consulat un homme.nouveau. Les hommes nouveaux, voilà le tiers-état de la république romaine, voilà la révolution de 1789. On peut voir dans les auteurs du temps quelles résistances, quels combats Cicéron eut à soutenir pour arriver au consulat et faire triompher définitivement la classe qu’il représentait. Plus la république romaine étendait son empire, plus on voyait à découvert les vices d’un gouvernement où l’univers avait été livré à quelques familles patriciennes. Fortifier le pouvoir en l’étendant, le préserver des attaques violentes ou insensées. de la multitude en lui agrégeant une classe de citoyens nouvelle, active, pleine d’influence, occupant les emplois grands et petits de la magistrature, ayant la ferme des impôts à Rome et dans les provinces : telle fut la pensée politique de Cicéron, cette pensée générale et généreuse que tout homme qui aspire au pouvoir doit lier aux plans de son ambition personnelle sous peine de n’être qu’un ambitieux vulgaire. Cicéron, parvenu au consulat ; ne voulait pas y être arrivé seul : il voulait faire entrer avec lui dans le gouvernement de la république l’ordre entier des chevaliers romains ; il se glorifie constamment de leur appartenir ; il est leur chef avoué, leur protecteur en toute occasion, même quand ils ont tort, ce qui est le propre de l’esprit de parti[1]. Cette qualification d’homme nouveau que ses ennemis lui donnaient avec dédain, Cicéron s’en faisait un titre de gloire et surtout d’influence : c’étaient de nouvelles forces qui venaient concourir avec lui au gouvernement. « Ne changerez-vous pas ce nom obscur et ridicule de Cicéron[2] ? » lui demandait-on, et il répondait : « Je le ferai si glorieux ; qu’on oubliera son origine. » Aux patriciens qui lui montraient les images de leurs aïeux, il disait ce mot, que plus d’un maréchal de l’empire a pu répéter de nos jours avec la même fierté : « Je suis un ancêtre, moi ! »

La carrière politique de Cicéron offre trois parties bien distinctes, qu’on retrouverait facilement dans la vie de la plupart des hommes parlementaires depuis, 1789 : — dans la première, il attaque le pouvoir ; dans la seconde, il possède ce pouvoir et le défend ; dans la troisième, il se résigne au mal dans la crainte du pire. — A bien aller au fond des choses, les célèbres plaidoyers contre Verrès ne sont qu’une attaque contre le patriciat, une censure amère des vices et des scandales de l’administration romaine. Les idées rigoureuses d’ordre et de probité dans la gestion de la fortune publique ne datent en France que de 89 ; elles étaient pareillement, à l’époque de Cicéron, une nouveauté sans précédens. Verrès n’avait guère fait plus ni autrement que ce que tous les gouverneurs romains faisaient par coutume ou par tolérance. Le gouvernement d’une province était une sorte de fief financier, où les patriciens romains allaient puiser ces énormes richesses dont les scandales et les excès étonnent l’imagination. Entre les mains des égoïstes et des voluptueux, ces richesses fournissaient à la table de Lucullus, aux jardins de Crassus, aux débauches d’Antoine ; les ambitieux s’en servaient pour nourrir, pour amuser, pour corrompre ce peuple romain, que ses victoires avaient fait le maître du monde. Là comme partout, la corruption était venue à la suite d’un système électif établi sur des bases trop larges. Il est si naturel, lorsque le riche sollicite le pauvre, le grand le petit, l’homme instruit l’ignorant, que ceux-ci cherchent à tirer quelque profit d’une situation momentanément intervertie, qu’ils veuillent mettre à prix une chose si hautement prisée ? Cette corruption inévitable était pratiquée dans des proportions dignes de la grandeur romaine. Que sont les dépenses d’un candidat au parlement anglais ou les marchés électoraux reprochés à nos députés, à côté des profusions de la Rome patricienne ? Ceux qui briguaient les charges publiques jetaient dans cette poursuite leur patrimoine entier ; il y avait une émulation ruineuse. On donnait au peuple des spectacles pour lesquels l’Afrique et l’Asie étaient mises à contribution ; on faisait venir d’Égypte et de Sicile des vaisseaux chargés de blé. César distribuait au peuple les trésors qu’il avait amassés dans les Gaules, et lui léguait par son testament soixante millions de notre monnaie. Ainsi donc, sous une forme ou sous une autre, ces grandes spoliations se répandaient sur le peuple : c’était là le tribut que lui payait l’univers ; c’est grace aux distributions publiques aux spectacles, aux largesses des patriciens que le citoyen romain menait cette vie oisive et opulente dont nous retrouvons les traces partout. Les théâtres, les bains, les jeux du cirque, les exercices du champ de Mars, les réunions au Forum, partageaient sa journée ; il ne s’occupait guère que de la chose publique, laissant à ses maîtres le profit et l’honneur de fournir à tous ses besoins. C’était l’idéal de cet état de fainéantise souveraine qu’on a voulu ressusciter naguère et nous faire accepter sous le nom dérisoire dedroit au travail. Le citoyen à Rome ne procédait pas par des voies détournées ; il n’acceptait d’autre travail que celui de gouverner le monde :

Tu regere imperio populos, Romane, mémento !

Il n’avait nul souci à prendre de lui-même, la république lui garantissait sa liste civile. — Les dépouilles de l’univers et l’institution de l’esclavage, voilà à quel prix s’alimentait la superbe oisiveté de Rome.

Le procès de Verrès, agrandi par le génie de l’orateur, n’était donc pas une cause particulière qui se plaidât à l’écart dans le sanctuaire de la justice : c’était une accusation politique contre l’aristocratie romaine. On voyait, pour la première fois, ouvertes au grand jour, les sources impures d’où découlaient tant de richesses. Les provinces dépouillées par les concussions étaient les témoins, le peuple le juge, Cicéron l’accusateur ; l’accusé, c’était le patriciat romain. Les plus grands personnages de Rome, les Lentulus, les Scipion, étaient compromis dans cette accusation de Verrès, à la famille duquel ils étaient alliés. Je ne poursuis point des rapprochemens forcés, mais comment ne pas remarquer que la plupart des révolutions sont précédées et presque inaugurées par quelque grand scandale judiciaire ? Rien ne pervertit plus les idées morales des peuples que de voir les rangs supérieurs de la société atteints et flétris par ces cours de justice dont la mission est de juger les malfaiteurs vulgaires. Cette terrible égalité lève toutes les barrières du respect. C’est ainsi qu’avant la révolution de 1789 et celle de 1848, des procès trop fameux sont venus exciter les soupçons populaires et préparer l’explosion des haines sociales.

Après le procès de Verrès commence pour Cicéron une phase nouvelle, et, comme on dit aujourd’hui, la période de gouvernement et de résistance : c’est la seconde époque de sa vie parlementaire. Parvenu au pouvoir par ses attaques éloquentes contre le sénat et les patriciens, nous le voyons occupé à leur rendre ce qu’il avait pu leur enlever de force et d’autorité. Cela est triste à dire ; mais, excepté pour les hommes de guerre, qui, comme César et Napoléon dominent par les armes et s’imposent plus qu’ils ne sont acceptés, c’est presque toujours par les voies de la popularité que le pouvoir s’acquiert. On arrive par l’opposition, puis les bons esprits s’éclairent vite à la lumière des affaires, et adoptent les maximes qu’ils avaient combattues ; car je ne parle pas des ambitieux qui changent par calcul, criant, selon la fortune, vive le roi ou vive la ligue, je parle des ames les plus droites. Le point de vue a changé pour elles : voir de plus près, c’est voir autrement. Voilà comment varient les gens de bien ; le public cependant n’entre pas dans ces explications, et juge sur les paroles du passé : inattentif et soupçonneux, pour lui, les convertis sont des renégats. Avouons-le, ces reviremens d’opinion sont la nécessité, mais aussi le scandale des gouvernemens populaires. À ce régime, l’autorité se déconsidère, vite, et les efforts les plus sincères ne suffisent plus pour réparer le mal et remettre l’ordre dans les consciences. Comme un général, après avoir ruiné et démantelé une place par tous les moyens que lui fournit l’art de la guerre, se hâte, une fois qu’il en est maître, de fermer les brèches, de relever les remparts et de se fortifier à son tour contre les attaques qu’il prévoit, ainsi font les hommes arrivés au pouvoir par l’opposition ; mais la sécurité est moins grande pour eux derrière ces murailles ébranlées, qu’elle ne l’était pour les premiers assiégés : on sait sur quel point doit s’ouvrir la tranchée ; eux-mêmes ont appris à ceux qui les attaquent maintenant quelle muraille il faut battre en brèche, sur quel point il faut donner l’assaut. Toute ville assiégée finit par être prise : celle-ci en dix ans, cette autre en dix jours ; ce n’est qu’une question de temps. On n’a pas vu en France, hélas ! depuis 1789, une minorité qui, à un jour donné, ne soit devenue majorité, une opposition qui n’ait fini par s’emparer un moment du pouvoir. Chaque opinion a toujours ainsi une chance d’arriver en renversant le gouvernement : perspective peu rassurante assurément et qui donne à la société à peu près le degré de sécurité que des assiégés peuvent goûter à la veille d’un assaut. — Mais enfin attaquer le pouvoir, le saisir, le défendre à son tour, c’est l’action ; c’est la vie, c’est l’exercice sur le grand théâtre du monde des grandes facultés que Dieu accorde à quelques esprits d’élite. L’histoire s’en entretient deux mille ans après, et hors des idées chrétiennes il n’est rien de plus beau que cette immortalité humaine. « Que pensera de moi l’histoire dans quelques siècles ? s’écrie Cicéron ; voilà ce que je me demande chaque jour et sur quoi je règle ma conduite. »

Quel triste spectacle, au contraire, suit bientôt ce bruit et cette ardeur ! On se fatigue de tant de luttes acharnées, on arrive à une lassitude universelle, on sent de soi-même et des autres un découragement sans remède, on ne croit plus à cette pierre philosophale de la politique, l’accord de la liberté et de l’autorité, qu’on a vainement poursuivie. Le désir du repos, arrivant avec l’âge ou la disgrace, s’empare de l’ame et vous livre sans défense à la tyrannie ; celle-ci vous promet au moins une fin douce et paisible. Alors, au lieu de combattre les factions, on cherche à se ménager avec elles ; on avait démasqué et puni Catilina, on flatte César, on espère dans Octave. — Qu’espère-t-on ? – Vivre, engraisser les poissons de ses viviers, souper avec quelques amis en parlant tout bas du pouvoir nouveau qui vous laisse vivre.

« Quant à nous, quoi que ce soit qu’on nous accorde, il faut dire merci. Je jouis du temps qu’on me donne, je souhaite qu’on m’en donne toujours ; cela ne durera peut-être pas. En attendant ; puisque moi, homme de courage et philosophe tout ensemble, j’ai décidé qu’il n’y avait rien de plus beau que de vivre, je ne puis me défendre d’aimer celui à qui je dois de vivre encore. Je reste volontiers à table, et j’ai souvent nos deux amis à côté de moi. Nous parlons alors sans contrainte et de tout. Vous admirez que notre servitude soit si joyeuse ; que voulez-vous donc que je fasse ? Faut-il en perdre la santé, me mettre à la torturé ?… Je soupe, cela est meilleur, et je ris aux larmes, même des choses les plus tristes[3]. »

Telles sont les trois périodes bien marquées dans la vie de Cicéron : c’est en vain que, dans ses discours officiels, il cherche à les fondre en une chimérique unité ; je ne sais s’il réussissait à tromper ses auditeurs, mais il ne peut pas abuser les lecteurs de ses lettres : la vérité, et par conséquent, hélas ! La mobilité des opinions, voilà le charme de ce recueil, Les lettres de Cicéron, en y comprenant un certain nombre de réponses de ses illustres amis, sont au nombre de près de mille. Il reste malheureusement peu de lettres antérieures à son consulat et à la conjuration de Catalina : à dater de cette époque, elles se suivent avec abondance. Cicéron revient d’ailleurs si souvent sur les événemens de cette glorieuse année de sa vie, que cette perte est moins sensible ; c’est surtout dans les lettres à Atticus que l’homme se livre tout entier, c’est là qu’on voit mieux, dégagées du langage officiel toutes les circonstances de détail et les impressions intimes par lesquelles la tristesse de ces temps touche à la tristesse des nôtres, et nous y associe en quelque sorte.

Çà et là cependant sont des lettres moins confiantes, adressées à des hommes publics ; elles nous montrent aussi cette pratique de deux langage différens, que l’on retrouve, à ce qu’il paraît, dans tous les gouvernemens libres, où l’on a une pensée pour la publicité et une autre pour les amis, où l’on se moque à table, de ce qu’on a dit pompeusement à la tribune[4]. Ce n’est pas dans ces lettres, on le comprend, qu’il faut chercher la pensée de Cicéron, le dernier mot n’y est jamais ; avec Atticus, au contraire, il dit toujours ce dernier mot ou il promet de le dire ; car il craint quelquefois que sa correspondance ne soit ouverte et lue. « Qui se fait scrupule, dit-il, si vous le chargez d’une lettre de quelque poids, de l’alléger en en lisant le contenu ? Je ne veux pas exposer ma correspondance à être interceptée à Rome ;… les puissans sont curieux. » On voit que le cabinet noir date d’avant Jésus-Christ.

Toutefois, avant d’entrer dans le détail même et les nuances d’une correspondance intime, presque quotidienne, il faut rappeler en quelques mots et prendre dans son ensemble la situation de la république à cette époque.


II

Marius et Sylla avaient porté les premiers coups à la constitution l’abdication de Sylla n’avait fait que laisser la place libre aux complots de Catilina, et bientôt à l’ambition irrésolue de Pompée : en conservant tous les noms des magistratures républicaines, le grand Pompée fut en effet le maître de Rome : Cette époque des deux triumvirats, qui s’étend depuis le consulat de Cicéron jusqu’à sa mort, est une des plus singulières que nous offre l’histoire ; comment caractériser le gouvernement de ce quart de siècle, qui vit l’agonie d’un monde et l’enfantement d’un autre ? Ce n’était pas encore l’empire, ce n’était plus la république[5]. Auguste allait commencer au Capitole l’empire des Césars, et bientôt les chrétiens devaient inaugurer, dans les catacombes, le règne du Christ.

« La cité se meurt en ce moment d’un mal étrange ; personne n’est content, chacun se plaint et gémit : sur ce point, on s’entend à merveille, on crie tout haut ; mais pour des remèdes, point ; il n’y a plus dans le corps de l’état ni nerfs ni sang, il a perdu même la couleur et jusqu’à l’apparence de la vie : tout est en suspens ; on parle de dictature, les honnêtes gens font la grimace à ce mot. Pompée dit tout haut, qu’il ne veut pas ; ses amis la réclament pour lui ; la veut-il, ne la veut-il pas ? qui peut le dire ? Le sénat cependant et surtout les consulaires éclatent en vains murmures. » (46 et 155.)

Tout fléchissait sous Pompée, en attendant que tout se courbât devant César. Celui-ci, qui savait mieux les chemins du pouvoir suprême, ne s’adressait pas au sénat jaloux, mais à la multitude ; c’est par elle qu’il vaincra. Il prête un instant quelque appui à son rival pour préparer, par cet exemple, sa propre grandeur. À côté se place l’insignifiante figure de Crassus, un de ces hommes médiocres que les hommes supérieurs mettent entre eux pour ne pas se heurter : c’est le premier triumvirat. Puis les deux rivaux cessent de se contraindre ; l’armée de César passe le Rubicon, la république se réfugie dans le camp de pompe Impuissant à tenir la balance entre les deux adversaires, dont l’un, dit-il, ne veut pas de maître, et l’autre ne veut pas d’égal, Cicéron se décide pour ce qu’il appelle la bonne cause, sans la moindre illusion sur ce qui va suivre. « Il est certain, écrit-il, que le droit est avec Pompée, mais il est certain aussi que notre ami sera vaincu. Puis, après les hésitations qu’explique une vue tellement distincte et claire de l’avenir, il rejoint Pompée, et bientôt la bataille de Pharsale donne le monde à César. Cicéron n’imita point le stoïque Caton ; il ne se raidit point contre le sort ; sa nature, nous le verrons suffisamment, n’était point montée à l’héroïsme ; il se résigna en philosophe et chercha à apaiser le vainqueur. Pendant que Caton se déchirait les entrailles à Utique, Cicéron donnait à souper à César dans sa villa de Tusculum. Il désirait et redoutait depuis long-temps cette entrevue. Il voulait avoir une explication avec César, justifier sa conduite, faire de la politique enfin avec celui qui était alors le maître. César lui parla littérature.

« Eh bien ! cet homme si incommode, je suis loin de m’en plaindre en vérité ; — il a été charmant. — Il avait avec lui deux mille hommes, cela me fit trembler pour le lendemain ; mais on y pourvut en plaçant des gardes, et les soldats campèrent dans le jardin… Il fit une promenade sur le rivage ; à la huitième heure, il prit un bain. On lui lut les vers sur Mamurra, mais il ne sourcilla point se fit oindre et se mit à table. Comme il avait pris un vomitif, il but et mangea avec autant d’appétit que de gaieté, — services magnifiques et somptueux ; de plus, propos de bon goût et d’un sel exquis ; — enfin, si vous voulez tout savoir ; la plus aimable humeur du monde. Trois tables abondamment servies étaient préparées dans trois salles pour les intimes de sa suite. Rien ne manquait au commun des affranchis et aux esclaves ; — les affranchis principaux furent mieux traités encore. Qu’ajouter de plus ? On disait : Voilà un homme qui sait vivre ; — l’hôte que je recevais n’est pourtant pas de ceux à qui l’on dit : « Au revoir, cher ami ! et ne m’oubliez pas à votre retour ! » C’est assez d’une fois. — D’ailleurs, pas un mot d’affaires sérieuses, on n’a parlé que de littérature. — Cependant il a paru charmé de tout, et il était le plus aimable qu’on puisse imaginer. — Telle a été cette journée d’hospitalité, ou d’auberge, si vous voulez, qui m’effrayait tant, vous le savez, et qui n’a rien eu de fâcheux. »

Après la mort du dictateur, Cicéron sembla sortir de sa léthargie : il lutta contre Amine avec la même force d’invectives qu’il avait montrée autrefois contre Catilina ; mais, pour accabler Antoine, les philippiques ne suffisaient pas : il fallait des légions et un général. La république ne pouvait se défendre contre un des héritiers ne César qu’en se jetant dans les bras de l’autre. Cicéron se rapprocha d’Octave et lui livra le sénat. Une fois maître de Rome, Octave s’empressa. De traiter avec Antoine ; son ambition était plus patiente que celle de César, et il n’avait pas soumis les Gaules ; tous deux formèrent avec Lépide le second triumvirat. On sait les gages sanglans qu’échangèrent les triumvirs ; la tête de Cicéron fut livrée à la rancune et aux vengeances d’Antoine, et aujourd’hui, après que les siècles ont passé sur les mânes apaisés de ces grands hommes, ce lâche abandon ternit plus le nom d’Auguste aux yeux de la postérité que l’usurpation de la puissance souveraine et l’asservissement de la patrie. Je n’écris point l’histoire de ces événemens : la grandeur du théâtre, la grandeur des acteurs, la grandeur des historiens, en ont fait l’entretien des générations ; la ressemblance sourde et confuse de l’époque romaine avec les destinées de notre pays depuis cinquante ans se retrouve dans la plus sèche analyse ; il serait puéril cependant de vouloir chercher dans chaque événement de l’histoire romaine une comparaison exacte, une chronologie qui s’accordât symétriquement avec les faits de notre propre histoire. C’est la marche générale des esprits, c’est l’atmosphère où ils se meuvent, qui sont les mêmes. Ce sont ces rapports que je voudrais surtout mettre en relief ; pour cette œuvre, les lettres de Cicéron sont d’un incomparable secours ; elles nous font vivre dans l’intimité de ces grands hommes et dans le secret même du temps ; elles en reflètent vivement toutes les incertitudes, les variations, le trouble. Ce n’est pas seulement l’histoire réelle et détaillée des choses, c’est un tableau animé, une analyse subtile et délicate des maladies morales du siècle de Cicéron et du nôtre. Cicéron les décrit d’autant mieux, qu’il les ressent toutes ; on ne naît pas impunément à ces époques de doute universel et de révolution dans les esprits ; le scepticisme et le découragement atteignent les ames les plus fortes. Il ne s’agit plus seulement de faire le bien, chose assez difficile à toute heure, mais de savoir où il est. L’énergie qu’on eût employée à l’action s’épuise à discourir sur ce qu’il faut faire. La vertu ne suffit plus à conduire l’homme ; les devoirs sont douteux et obscurs ; le bien, par certaines faces, ressemble au mal, et le mal a des côtés par lesquels il touche au bien : il faut mettre de l’esprit dans la conscience, et c’est un hôte dangereux à y introduire. Un écrivain moderne dépeint en termes pleins d’énergie cette situation et l’influence déplorable qu’elle exerce sur la conduite des hommes publics : — « Les personnages politiques de ces époque de trouble et de révolution sont inévitablement atteints par la contagion universelle ; il faudrait vivre dans la retraite pour maintenir la constance de son caractère, pour être jusqu’au bout loyal royaliste ou ferme républicain : mais, pour qui veut arriver et se mêler aux affaires, il faut renoncer à l’apparence même de la fidélité ; il faut observer et suivre tous les mouvemens des réactions les plus opposées, se tenir incessamment préparé à passer d’un camp dans un autre, enfin saisir le moment décisif pour abandonner la cause qui va périr, tourner le dos à ses anciens compagnons, au besoin les combattre et les percuter, pour le plus grand profit des nouveaux alliés qu’on s’est donnés. Cette situation développe des talens et des vices particuliers. À ce régime, l’esprit s’aiguise et abonde en expédiens ; il discerne les signes des temps avec une sagacité qui confond le vulgaire ; on dirait un Mohican qui suit une piste à travers les bois ; ces hommes prennent sans effort le ton et les allures de chaque parti qui triomphe ; ils semblent n’en avoir jamais connu d’autres. Ne leur demandez d’ailleurs ni la constance, ni la probité, ni aucune de ces vertus qui appartiennent à la noble famille de la vérité ; pour eux, la politique n’est pas une science dont le but soit la félicité des nations : c’est un jeu excitant, où le hasard et l’habileté peuvent donner la richesse, le pouvoir, une couronne peut-être, et un autre coup de dé leur enlever aussi la fortune et la vie[6]. »

À ce tableau, tracé de main de maître, ose-t-on dire qu’il manque un dernier trait ? C’est qu’au milieu de la contagion universelle on ne sent pas son mal ; quand tout tourne, il n’y a plus de point fixe qui vous avertisse de votre propre changement : c’est ainsi que nous sommes emportés, sans le savoir, par le mouvement de la terre. Voici ce qu’écrit Cicéron à un de ses amis : c’est la page de l’historien anglais mise en maximes d’état.

« Nos principes sont qu’il ne faut jamais lutter contre le plus fort, qu’on doit se garder de détruire, même quand on le pourrait, les pouvoirs qui se forment ; que lorsque tout change autour de soi, quand les dispositions des gens de bien se modifient comme le reste, il ne faut pas s’opiniâtrer dans ses opinions ; qu’en un mot, il faut marcher avec son temps. Lorsqu’en changeant de voiles et en déviant ; on peut arriver au but de sa course, n’est-il pas absurde de persister, en dépit de tous les dangers, dans la première direction qu’on aura prise ?… Ainsi, ce que nous devons nous proposer, nous autres hommes d’état, ce n’est pas l’unité de langage ou de conduite, mais l’unité du but : tant que les choses se passent entre citoyens sans armes, il faut préférer le plus honnête parti ; mais, quand la guerre éclate et que deux camps sont en présence, on doit se ranger autour du plus fort, chercher enfin la raison où se trouve la sûreté : voilà ma politique. »

Cicéron n’avait été amené à cette résignation fatale que dans cette troisième et dernière période de sa carrière politique dont je signalais tout à l’heure la tristesse. Il faut pénétrer d’abord avec lui dans la première époque de sa vie. Il est juste de montrer par quels services signalés rendus à sa patrie le grand orateur mérite qu’on ne le juge trop sévèrement, même sur ses propres aveux.


III

Le grand événement de la vie de Cicéron, c’est la conjuration Catilina. À ce titre seul, nous nous y arrêterions déjà avec quelque préférence ; mais ce sont, nous l’avons dit, les rapports du siècle de Cicéron et du nôtre que nous cherchons à mettre en évidence, et, à ce point de vue surtout, la conjuration de Catilina mérite qu’on l’étudie avec attention : c’était moins une conjuration politique qu’une tentative de bouleversement social ; on ne proscrivait pas tant sénateurs que les riches ; on ne voulait pas tant s’emparer des magistratures que des fortunes. Écoutons plutôt les conjurés eux-mêmes. Le discours que nous a conservé Salluste est un programme tout entier de socialisme : Catilina commence par retracer en quelques traits pleins d’amertume l’extrême richesse des privilégiés, l’extrême misère du grand nombre. « C’est pour ces aristocrates, dit-il, que les rois, les nations, les provinces, paient leurs tributs : pour eux seuls les honneurs, le loisir, la fortune ; pour vous le travail, les dangers et la misère ; mais tous ces biens sont à vous, si vous savez les conquérir : c’est votre patrimoine qu’ils dévorent, c’est votre misère qui fait leur opulence. Leurs palais remplis de statues et de vases d’or et d’argent, leurs jardins où ils se promènent sous des ombrages épais, resserrent l’étroite et fétide demeure où vos femmes et vos enfans expirent sur un grabat. » Puis, après avoir évoqué ces sombres tableaux, qui ont allumé de tout temps la fureur et la cupidité des classes pauvres, il leur montre aussi l’infâme capital, qui les tient esclaves et les livre à la tyrannie de leurs créanciers. « Réveillez-vous, s’écrie-t-il, et faites-vous vous-mêmes justice ! Qu’on abolisse les dettes, et que les aristocrates soient condamnés à rendre gorge ? » Toute la science des théories socialistes se retrouve dans ce discours. On y a devancé les fameuses doctrines du capital sans intérêt, de l’émancipation du travailleur, de l’égalité des salaires[7] ; il n’y manque que la fraternité. Écartez les plis, toujours un peu fastueux, de la toge romaine, essayez de vêtir ces hommes à la moderne, donnez des habits ou des blouse à tout cet auditoire d’hommes à longues barbes que Salluste nous représente réunis au fond d’un club ténébreux, loin des regards de la police, ramassés dans les sentines de la grande ville, ambitieux rebutés, gens ruinés, repris de justice ou destinés à l’être bientôt : ne croiriez-vous pas entrer dans un de ces étranges sanctuaires de la démagogie que la révolution de février avait ouverts dans Paris, et d’où se sont élancés, comme de leur forteresse, les hommes du 15 mai et du 24 juin[8] ?

On sait avec quel courage Cicéron dénonça les coupables, les confondit devant le sénat et précipita leur condamnation et leur supplice. Pendant deux nuits, la ville fut en proie à la terreur universelle. Des rapports annonçaient que les conspirateurs devaient armer les esclaves, soulever les jardiniers et les ouvriers des faubourgs, et mettre le feu aux quatre coins de Rome. Le sénat ordonna aux consuls de veiller sur la république ; Rome était mise en état de siège. Malgré les efforts des complices que l’insurrection avait au sein même de l’assemblée, malgré les orateurs qui soutenaient que le peuple seul pouvait prononcer sur une accusation de ce genre, malgré César, qui, comparant la mort à un sommeil, affectait de trouver la peine trop légère et voulait sauver les accusés en les condamnant à la prison, le sénat prononça la peine capitale. « Jugement sans justice ! vengeance sur les ennemis désarmés ! » répétèrent long-temps après les amis de Catilina et ses successeurs., Le sénat proclamait Cicéron le père de la patrie, les factieux le surnommaient le bourreau. Ainsi s’accomplissait cette première tragédie, qui, pas plus que les combats de juin et la transportation des insurgés, ne terminait la guerre sociale. On avait amassé des deux côtés de nouvelles haines ; la vengeance avait un aliment et une flamme de plus. Catilina, d’ailleurs, qui eût pu se réfugier dans les Gaules, s’était fait tuer sur un monceau de morts. L’histoire, garde quelque pitié pour les factieux qui savent mourir : La guerre recommença bientôt sous d’autres formes : vaincue par les armes, la rébellion se réfugia dans les magistratures électives que le suffrage universel lui livrait ; les propositions parlementaires devinrent de vraies machines de guerre. Sous le tribun Rullus, on présenta une loi agraire qui rappelle les propositions les plus célèbres de l’année 1848 c’était l’abolition du prolétariat. On devait vendre toutes les propriétés municipales, les anciens domaines des rois, les terres et les forêts de l’état, tout le butin, or et vases précieux, appartenant au trésor public, enfin les terres de la Campanie ; qui formaient un des revenus les plus importans de la république. De cet amas prodigieux de richesses, dix commissaires extraordinaires devaient composer des lots que le sort assignerait à chaque citoyen sans fortune.

Cicéron réussit à faire rejeter la loi : déjà cependant son courage mollissait contre ces attaques incessantes ; ce ne fut pas sans hésitation qu’il livra un nouveau combat aux révolutionnaires. Là où la harangue officielle ne nous montre que fermeté et résistance, les lettres nous initient aux agitations de son esprit ; on voit les coulissas du théâtre parlementaire : « Il y a trois partis à prendre sur la loi agraire : la combattre, il y a de la gloire au bout ; rester neutre, c’est-à-dire aller faire un tour à Tusculum ; parler pour la loi, César espère que je prendrai ce parti, et alors paix avec tout le monde, vieillesse tranquille. Oui, mais que devient mon allocution dans le IIIe livre de l’histoire de mon consulat ? « Soutiens jusqu’au bout, me dit Calliope, le courageux et noble rôle où tu as signalé ta jeunesse, et illustré ton consulat. » Et tout y est sur le ton de ces maximes. – Comment faire ? »

En sortant de son consulat, Cicéron jurait,« qu’il avait sauvé la république. » Nous aussi, combien de fois n’avons-nous pas sauvé la patrie ? Je ne sais pourquoi ces malades que les médecins sauvent périodiquement finissent assez vite par mourir. Cicéron remplissait sa lettre des hommages qu’il se décernait à lui-même : il déclarait qu’il avait bien mérité de la patrie ; il se voyait l’arbitre de la république, au faîte des honneurs, lorsque l’exil et la ruine étaient à sa porte. En vain ses ennemis, Clodius en tête, avaient signé un acte d’accusation contre lui ; il comptait les foudroyer de son éloquence. Le 24 février n’est pas venu plus inopinément. — « .Ma confiance est entière, disait-il[9] : vienne l’accusation de Clodius, l’Italie se lèvera en masse, et j’en sortirai plus glorieux que jamais. L’armée des gens de bien et même des demi-gens de bien se serre autour de moi. S’il ose en appeler à la violence, je trouverai dans le zèle de mes amis de quoi repousser la force par la force ; c’est à qui engagera pour moi sa personne, ses enfans, ses amis, ses cliens, ses affranchis, ses esclaves, sa fortune enfin ; la vieille phalange des honnêtes gens est toute ardeur ! On tourne la page, Cicéron est en fuite : un décret de banniss ement est rendu contre lui ; des peines sont portées contre ceux qui lui donneraient asile. Il se cache loin des grands chemins, il erre seul sur le rivage attendant que la tempête lui permette de mettre la mer entre ses proscripteurs et lui. Alors il s’écrie, avec ces retours amers sur le passé qui mettent les infortunes des grands personnages hors de toute proportion avec celles des conditions ordinaires de la vie : « Qui jamais tomba de si haut, dans une si juste cause, avec plus de ressources personnelles dans son talent, son expérience et son crédit, défendu par une plus forte ligue de tous les gens de bien ! Comment oublier ce que je fus, ne pas sentir ce que je suis ! Quels honneurs j’ai perdus ! quelle famille ! quelle fortune ! Rome enfin, et ma gloire avec elle ! »

IV

Des mœurs de l’exil, la plus amère peut-être est ce mécontentement intérieur, cette plainte qui s’élève au fond du cœur contre les amis qui n’ont pas su nous sauver, — amis imprévoyans ou faibles qui ont laissé venir le péril ou ne l’ont pas conjuré. — On se sent presque moins sévère contre les ennemis qui ont précipité votre ruine : ceux-là du moins ne vous ont pas trompé. Cicéron n’échappait pas à ce besoin de récrimination ; il s’accusait, il accusait le fidèle Atticus. « Vous avez tout su, lui écrit-il, et pas un mot n’est sorti de votre bouche. Ne me bercez plus de vos belles paroles ; votre amitié eût dû être non plus sincère, mais plus active. »

Il ne s’agissait pas cependant de revenir sur le passé. Si l’amitié n’avait pas été active, la haine des ennemis l’était toujours et poursuivait sa victime. À peine en sûreté, hors de l’Italie, Cicéron apprit que dans le pillage de sa maison ses papiers avaient été enlevés. Quelques revues rétrospectives du temps en publiaient de nombreuses copies. « Je suis consterné de ce discours qui se répand, écrit-il, Oui, parez le coup, s’il est possible Je l’ai fait dans un mouvement de colère. J’avais été provoqué ; mais je l’avais supprimé avec tant de soin, que je ne croyais pas qu’il en restât une seule copie. Au reste, comme l’écrit est d’une négligence de style qui ne m’est pas ordinaire, je crois qu’il sera facile de le désavouer. Désavouez-le donc, si d’ailleurs ma position n’est pas sans remède. »

Cicéron, on le voit, avait cette maladie qui tourmenté l’exilé et lui ôte même la douceur du repos, — l’attente : il écoutait les moindres bruits de Rome, et à chaque mouvement de la place publique, à chaque délibération du sénat, il s’imaginait qu’on allait décréter son rappel. Des ennuis de tous genres, des embarras de fortune, venaient ajouter à son malheur. Ses biens avaient été confisqués, ses maisons pillées ou rasées ; Terentia sa femme, et sa fille, sa chère Tullie, ne vivaient que des secours précaires obtenus de ses amis. Des grandeurs de la vie politique il tombait dans les soins étroits et petits des conditions malaisés ; ses lettres trahissent, la tristesse profonde, de son ame ; la douleur du père de famille s’y mêle partout aux regrets de sa disgrace. – « J’ai reçu vos trois lettres, écrit-il à Terentia et à Tullie, et les ai presque effacées par mes larmes ; le chagrin me tue, et je souffre moins encore de mes maux que des vôtres, et de ceux de nos enfans. Vous êtes bien malheureuses, mais je suis plus malheureux que vous ; car, si la peine est pour vous tous, la faute est à moi seul. Le difficile était de me chasser, ce n’est rien que de m’empêcher de revenir. Toutefois, tant que vous conserverez de l’espoir, je me tiendrai prêt. »

Cicéron cependant n’était point oublié de ses amis. Ils travaillaient activement à lui faire rouvrir les portes de Rome, et, dix-huit mois après il rentrait dans sa patrie. On sait comment se font les restaurations ; le même peuple qui avait chassé de Rome le grand consul pressait sur son passage. Les villes envoyaient des députations pour le féliciter. « Enfin, de la porte Capène, dit-il, j’aperçus les degrés des temples couverts d’une masse de peuple qui me témoignait sa joie par des acclamations qui ne cessèrent point jusqu’au Capitole. » Dans le Forum, même affluence de citoyens. Il harangua le peuple, et, malgré la modération de ses paroles, les partisans de Clodius furent insultés et hués. Le sénat, de son côté, s’occupait de lui faire restituer ses maisons et ses biens. Contenu par cet espoir, Cicéron, loin de triompher de son rappel, observait une conduite prudente et ménageait tous ceux de qui pouvait dépendre la restitution qu’il sollicitait ? Il rend compte d’une délibération importante au sénat.

« Moi, je me tais d’autant plus que les pontifes n’ont encore rien décidé pour ma maison. S’ils annulent le séquestre, j’aurai un terrain magnifique, les consuls feront estimer ce qui était dessus et démolir ce qu’on y a élevé ; on évaluera tout ce que j’ai perdu… Les consuls m’ont adjugé à dire d’experts 2 millions de sesterces (250,000 francs) pour le sol de ma maison. Du reste, ils ont taxé très peu généreusement ma maison de Tuscudum à 200,000 sesterces et celle de Formies à 250,000. Tout ce qu’il y a d’honnêtes gens et de bas peuple même blâme cette mesquinerie ceux qui m’ont rogné les ailes ne veulent pas qu’elles repoussent. »

Au fait, Cicéron devait se trouver heureux de recouvrer à peu près sa fortune entière ; les premiers proscrits, au temps de Sylla, avaient été traités tout autrement. Leurs biens avaient été vendus au profit des proscripteurs ou distribués à la populace. Quand la dictature de Sylla eut cessé, les enfans des proscrits purent rentrer à Rome ; mais, comme les émigrés en France à l’époque du consulat, ils y rentrèrent pauvres et dépouillés. Les lois qui les avaient spoliés furent maintenues, et les ventes déclarées inviolables. Cicéron prêta l’appui de son talent à cette transaction révolutionnaire : il s’opposa à ce que les domaines nationaux, comme on les appelait déjà, pussent être revendiqués ; il prononça un très beau discours pour exhorter ces malheureux à la résignation. Ce discours, il l’avait oublié sans doute, quand il eut à plaider pour sa maison. On le voit épuiser toutes les subtilités de la dialectique pour établir que la consécration n’avait pas été faite régulièrement : il suppute le prix des moellons et des briques, et marchande jusqu’aux dernier as. Ainsi dans les révolutions, toujours deux poids et deux mesures, même pour les esprits les plus droits. Cicéron avait d’ailleurs repris ses études littéraires et ses travaux du barreau. De nombreux cliens remplissaient chaque matin sa demeure, et le protégeaient au besoin contre les insultes des partisans de Clodius ; mais son ame, excitée par les émotions vives de la politique, dévorée par cette saveur âcre qui irrite comme un poison ceux qui sont bannis des affaires, ne lui permettait plus de reprendre intérêt à ce qui avait fait autrefois et sa joie et sa gloire. — « Il faut que je vous avoue, mon cher frère, écrit-il, ce que je voudrais me cacher à moi-même : c’est un supplice cruel que de penser qu’il n’y a plus pour moi ni république ni magistrature, que je dois consumer dans les vains travaux du barreau ou employer à des études purement littéraires le temps de ma vie où il m’appartenait de jouir d’une autorité puissante au sein du sénat ! C’est une torture que de me voir réduit à l’inaction en face de mes ennemis, et quelquefois même contraint de les défendre, de n’avoir plus enfin la liberté ni de ma pensée, ni de ma parole, ni de ma haine ! »

Au fond, il était tout entier aux affaires publiques ; il cherchait à se ménager entre Pompée et César. La chose était plus facile en ce moment, car ces deux ambitions avaient fait trêve, et Pompée se rendait garant auprès de Cicéron, de la modération et du désintéressement de son rival. Cicéron profitait avidement de l’autorisation que Pompée lui donnait de se rapprocher de César et plus sans doute que le premier ne l’eût voulu. Il voyait souvent César, il concertait ses discours avec lui et lui recommandait ses amis ; il s’occupait même d’un poème sur l’expédition de César dans la Grande-Bretagne. Ce n’était pas la poésie, mais la politique, qui était sa muse inspiratrice. Cette conduite ne manquait pas de censeurs. « On m’accuse de palinodie, dit-il, pour les éloges que je donne à César. Les gens de bien, mon ami, ne sont plus ce qu’ils ont été un jour. La décadence se voit non pas seulement sur les visages, qu’il est pourtant si facile de faire mentir, mais dans le langage et dans tous les votes du sénat ; c’est donc une nécessité pour les citoyens sages, au nombre desquels je veux que l’on me compte, de changer à leur tour de marche et de système. Platon, qui fera toujours autorité pour moi, le prescrit positivement. Ajoutez que les procédés vraiment divins de César pour moi et pour mon frère m’en font un devoir. Comment d’ailleurs, après un bonheur comme le sien et tant de victoires, ne pas lui rendre hommage ? »

César venait en effet, après plusieurs pourparlers, de lui offrir le gouvernement de la Cilicie. Tout en regrettant de s’éloigner du grand jour de Rome et du théâtre de la politique, Cicéron espérait trouver à ces frontières reculées de l’empire romain quelque occasion de guerre qui lui donnât ce qui avait toujours manqué à son ascendant, l’autorité et la gloire militaire. Rien de plus curieux que la lettre qu’il écrivait quand l’affaire n’était pas encore décidée ; on la dirait de quelque personnage du jour, bien décidé à priver la république de ses services tant que la république ne voudra pas accepter.

« Oui, je désire, et depuis long-temps, visiter Alexandrie et l’Orient ; mais accepter une telle mission, dans de telles circonstances et de telles mains, gare les propos de nos gens de bien ! Que diront-ils en effet ? Que l’intérêt m’a fait transiger sur mes principes ; Caton surtout va se répandre en reproches, Caton, dont je compte la voix pour cent mille ! Le mieux je crois, est d’attendre et de voir venir. Si on me fait des avances, je serai à mon aise et me consulterai, et puis, souvent on a bonne grace à refuser. Ainsi, dans le cas où on vous en toucherait quelque chose, ne dites pas non absolument. »

Cicéron partit pour la Cilicie ; à peine y était-il qu’il comptait déjà les jours qu’il devait y passer. Ses préoccupations, ses intérêts, ses regrets étaient à Rome. Il faut voir dans ses lettres avec quelle importunité il exige de ses amis, des nouvelles de chaque jour, des détails minutieux sur tout le monde. « Que fait Pompée ? que dit César ? que devient la république ? » et quelquefois aussi « Comment fait-on pour se passer de moi[10] ?


V

La patience de Cicéron fut bientôt à bout. Il revint à Rome sans attendre l’arrivée de son successeur. La guerre civile allait éclater : peut être avait-il espéré aider à une réconciliation, servir de médiateur entre César et Pompée ; mais voilà que tout à coup il s’arrête obstinément aux portes de Rome : une étrange ambition avait envahi son ame tout entière. S’il entrait à Rome, il ne pourrait plus prétendre aux honneurs triomphaux, et ces honneurs, il les voulait à tout prix ; il ne s’agit plus alors de la république qui va périr, des légions de César qui passent le Rubicon, de la liberté qui doit trouver son tombeau à Pharsale il s’agit de sa vanité !

Cicéron avait remporté quelque mince avantage sur les Parthes en Cilicie. Il avait été salué imperator par ses soldats sur les bords de l’Issus, précisément, comme il a soin de nous l’apprendre, aux mêmes lieux où Alexandre défit Darius. Il demandait que le sénat sanctionnât sa gloire et lui accordât les honneurs triomphaux[11]. Caton se moquait publiquement de ses prétentions ; César, au contraire, l’habile César, lui promettait de parler en sa faveur. On éprouve une secrète pitié à voir Cicéron poursuivre opiniâtrement sa demande avec un mélange singulier de vanité et de moquerie de cette vanité même. Cette disposition à ne pas prendre au sérieux ses propres désirs est un des symptômes les plus certains des époques de décadence. On poursuit des plaisirs dont on sait le vide, on est malheureux de ne pas obtenir, et ce qu’on obtient n’a plus de charme. Tout en importunant ses amis de ses prétentions, Cicéron fait l’esprit fort ; il se raille agréablement des honneurs triomphaux. Quelle misère pour un philosophe ! On n’a pas parlé autrement à la dernière assemblée constituante de ces décorations, misérables hochets de la vanité !

« Peut-être me demanderez-vous comment il se fait que je tienne tant à ce je ne sais quoi d’honneurs triomphaux que j’attends du sénat ? Je répondrai avec franchise que, s’il est un homme au monde que sa nature et plus encore, je le sens, ses réflexions et ses études éloignent du goût d’une vaine gloire et des applaudissemens du vulgaire, cet homme, à coup sûr ; c’est moi ; mais il m’est impossible de ne pas mettre un grand prix à l’opinion du sénat et du peuple, et aux témoignages qui la peuvent mettre en évidence. Je vous demande d’employer tous vos efforts pour que les félicitations du sénat me soient décernées avec le plus d’éclat et de promptitude possibles. »

Aux époques fermes et sincères rien de pareil : alors on croit et on veut sérieusement, on ne se moque pas de ses propres sentimens ; l’esprit d’analyse n’a pas détruit par avance la valeur des biens qu’on a souhaités ; on n’outrage pas sa propre idole. Les distinctions et les honneurs ont plus besoin encore du respect de ceux qui les obtiennent que des hommages de la foule. Voyez comme Saint-Simon parle du cordon bleu : quelle ardeur sincère dans ses désirs ! quelle constance, quelle foi dans son ambition, dans sa jalousie même ! Il n’affecte pas la philosophie de Cicéron, il hait les rivaux qu’on lui préfère, il les dénigre : « Le cordon bleu est profané, dit-il, on vient de le donner à M.*** ! » Mais on ne profane que les choses sacrées, et le lendemain Saint-Simon est aussi ardent à sa poursuite que la veille. Voici, au contraire, un illustre écrivain de nos jours qui, comme Cicéron, arrive, par les lettres et l’éclat de son talent, au gouvernement de son pays c’est encore du cordon bleu qu’il s’agit. Après la guerre d’Espagne, en 1823, M. de Chateaubriand pensait avoir mérité le cordon bleu. Le roi le lui faisait attendre à tort, je crois : le service qu’il venait de rendre était immense ; mais voyons comment il demandera ces honneurs triomphaux de la restauration. Avec le respect de Saint-simon ou avec les railleries de Cicéron ? croira-t-il le premier à ce qu’il désire, ou se montrera-t-il esprit fort ? Hélas ! j’ai dit en commençant que nous avions plus les pensées et les sentimens des Romains de la décadence que des Anglais du XVIIe siècle, faut-il dire que des Français de Louis XIV, de nos grands-pères eux-mêmes ! Qu’on en juge : « Nous nous soucions d’un cordon bleu comme des nœuds du ruban de Léandre, dit l’auteur du Congrès de Vérone (car c’est dans un ouvrage historique qu’il s’explique ainsi) ; nous ne nous mesurons pas à l’aune d’un bandeau de soie.., mais nous sommes sensible à l’injure : cette zone bleue dont on aurait remarqué l’absence sur notre poitrine aurait prouvé que les autres rois s’étaient trompés en nous conférant leurs premiers ordres… » Et il ajoute : « Ces misères à l’époque du renversement des trônes font pitié[12] ! »

Cicéron fut moins heureux d’ailleurs que M. de Chateaubriand, qui força la main à Louis XVIII, et eut son ruban de Léandre. Cicéron n’obtint pas les honneurs triomphaux ; il en resta brouillé avec Caton, qui lui rendait justice sur son intégrité, sa modération, sur tout enfin, excepté sur l’éclat de sa victoire ; mais laissons là les puérilités des grands hommes.

L’esprit de Cicéron était trop sagace pour ne pas voir l’imminence de la guerre civile. À Rome, tout était tumulte et sédition : les partisans de Pompée et ceux de César commençaient la guerre avant leurs chefs. Quelle guerre ! Les clameurs, les insultes, les luttes corps à corps étaient passées de la place publique dans l’enceinte du sénat. Qu’était devenue cette sagesse majestueuse qui faisait dire à l’envoyé de -Pyrrhus qu’il avait parlé à une assemblée de rois ? On interrompait les orateurs par des cris, des sifflets, par des hurlemens, pour me servir de l’expression qu’employait dernièrement le président d’une assemblée tumultueuse aussi. Ici cependant il y a un trait de plus ; écoutons Cicéron :

« Notre ami parla hier, ou plutôt voulut parler ; car, dès qu’il se leva, la bande des Clodiens fit tapage, et durant tout le discours ce fut un concert de vociférations et d’injures. Après qu’il eut conclu, car, il faut le dire à sa louange, il tint bon jusqu’à la fin, disant tout ce qu’il avait à dire et commandant parfois le silence avec autorité, — après donc qu’il eut conclu, Clodius se leva à son tour ; mais alors les nôtres firent un tel bruit, par représailles, que notre homme en perdit les idées, la voix, la couleur. Cette scène a duré depuis la sixième heure jusqu’à la huitième. Les injures et les vers obscènes sur Clodius et Clodia ne furent pas épargnés. Vers la neuvième heure, et comme à un signal donné, voilà les Clodiens qui se mettent à cracher sur les nôtres. Nous perdons patience. Ils font un mouvement pour nous expulser, mais les nôtres les chargent et les mettent en fuite : Clodius est précipité de la tribune, moi je m’esquive de crainte d’accident. »

Cependant en Italie, des Apennins aux rivages de la mer Tyrrhénienne, les chemins se couvraient de soldats. Les vétérans de Sylla s’agitaient dans les campagnes, on armait les affranchis et les esclaves. Quel parti prendrait Cicéron ? Bien que ses vœux fussent pour la cause de Pompée, il délibérait en règle sur cette question ; il la plaidait vis-à-vis de lui-même et de ses amis avec une abondance intarissable ; il en connaissait le fort et le faible, et de tout cet amas d’argumentations contradictoires il lui restait ce qui reste des longues délibérations, l’incertitude. César marchait sur Rome ; il s’était déjà emparé des villes de la côte. « Est-ce d’un général du peuple romain que nous parlons ou d’un autre Annibal ? s’écriait Cicéron. Quoi ! Avoir une armée à soi dans la république, s’emparer des citoyens romains, ne rêver qu’abolition des dettes, proscriptions, etc. ! » Cependant le général romain marchait comme. Napoléon au retour de l’île d’Elbe. Les populations des campagnes se soulevaient et se rangeaient sous ses aigles. Les consuls avaient abandonné Rome. « Pompée fuyant est un spectacle qui a remué toutes les ames, » disait Cicéron ; lui-même cependant se préparait aussi à quitter Rome : on y craignait déjà les horreurs du pillage et de l’incendie. Toutes les femmes de distinction avaient quitté la ville : Terentia et Tullie s’étaient réfugiées dans une de leurs maisons de campagne, à Formies. Des quartiers entiers étaient déserts. Chacun était en proie à ces soucis de fortune, à ces préoccupations de la vie matérielle, si bien connues du Paris de février et de mars 1848. Personne ne payait plus ; la monnaie se cachait ; le change de l’or était monté à un taux extraordinaire. Cicéron envoyait sa vaisselle chez le fondeur. — « Assurez-vous, au moins qu’il n’y ait point d’alliage dans l’or de Coelius, écrit-il. C’est bien assez de tant perdre sur le change sans perdre encore sur l’or. Je vous en conjure, cherchez, rassemblez chez moi tout ce qui peut être de défaite, meubles ou vaisselle, et le peu qu’on en tirera, mettez-le en sûreté. » Il ne pouvait rien obtenir de ses débiteurs. « Égnatius ne manque pas de bonne volonté, écrit-il, et il reste fort riches ; mais les temps sont si durs, qu’il ne peut pas même se procurer l’argent qui lui est nécessaire pour partir : on ne trouve nulle part à emprunter et à aucun taux. »


VI

Plus le moment de prendre une détermination virile approchait, plus Cicéron comprenait que l’opinion de ses amis et sa propre conscience l’attachaient aux destinées de Pompée, et du sénat, plus aussi, par une réaction naturelle chez les gens en qui les facultés de l’esprit l’emportent sur l’énergie du cœur, il recherchait les prétextes qui pouvaient le retenir en Italie. Pourquoi Pompée avait-il fui ? Pourquoi, en livrant Rome à son rival, lui avait-il livré l’apparence et je ne sais quelle image de la république même contre laquelle il était impie, de s’armer ? Toute la doctrine moderne et quelque peu matérialiste qui ne voit dans la patrie que le sol, toutes les théories qui ont dicté les sanglantes lois de proscription contre les émigrés sont déjà dans les lettres de Cicéron ; nous y retrouvons ce reproche adressé à tous ceux que les discordes civiles forcent à chercher un refuge à l’étranger : s’ils quittent le pays, c’est pour lui apporter bientôt les malheurs de la guerre civile, pour y rentrer à la suite des étrangers, des barbares ; le nom des Cosaques nous vient presque.

« Si Pompée a déserté l’Italie, ce n’est pas la nécessité qui l’y forçait ; sa pensée, dès le commencement, croyez-moi, a été de bouleverser la terre et les mers, de jeter sur l’Italie des flots de peuples sauvages, et de les mener ainsi à la conquête de Rome. Un pouvoir à la Sylla ; voilà ce qu’il envie ; vienne, l’été, et vous verrez la malheureuse Italie foulée aux pieds par des soldats et des esclaves en armes. Allons, disent nos amis, et en bons citoyens portons la guerre en Italie par terre et par mer. Leur dessein, il est manifeste ; ils veulent affamer Rome et l’Italie, puis dévaster et brûler tout. Si c’est un crime que de laisser dans le besoin ses vieux parens, quel nom donner à ces fureurs de nos chefs, qui vont faire périr par la faim la patrie elle-même, la plus vénérable et la plus sacrée des mères ? Ce n’est pas seulement mon imagination qui s’en épouvante ; j’ai tout entendu de mes oreilles. Ces vaisseaux qu’on rassemble de tous côtés, d’Alexandrie, de la Colchide, de Tyr, de Rhodes, etc., c’est pour intercepter les convois destinés à l’Italie. Et moi, à qui on a donné les noms de père et de sauveur de la patrie, j’appellerais sous ses murs les Gètes, les Arméniens et les barbares habitans de la Colchide[13] ! »

Et cependant il fallait partir pour rejoindre Pompée ; on n’envoyait pas à notre héros des quenouilles, comme aux émigrés retardataires lors de la première révolution, mais la désapprobation et les murmures de ses amis allaient toujours croissans. Après avoir craint de partir, Cicéron craignait de partir trop tard : il savait quel accueil défiant l’attendait dans le camp de Pompée. Là comme a Coblentz, on établissait des dates et des catégories de dévouement ; nulle irrésolution de l’ancien consul n’avait échappé à ses amis. Il craignait le premier regard de Pompée comme celui de Méduse, disait-il. Malheur à qui, dans les discordes civiles, ne peut pas trouver dans l’honneur, dans sa conscience, dans les antécédens de ses pères ou de sa propre vie, les motifs déterminans de sa conduite ! On se décide dans la vie ordinaire, on juge un procès avec sa raison ; mais, lorsqu’il s’agit d’allumer la guerre dans sa patrie, la raison est aux prises avec de redoutables problèmes est impuissante à inspirer ce courage résolu, cette ardeur de la volonté nécessaires à de si rudes épreuves ; les devoirs sur lesquels on délibère sont bien près d’être désertés. Ce n’est guère par l’argumentation qu’on arrive dévouement et au sacrifice ; aussi est-ce avec une sorte de désespoir que Cicéron s’écriait : « J’agis contre tous les enseignemens de l’histoire et contre ma propre pensée. Si je veux partir, d’ailleurs, c’est moins encore pour aider une faction dans ses violences que pour ne pas être témoin des violences de l’autre. Ne croyez pas qu’on s’arrête en chemin. Ne les connaissez vous pas tous aussi bien que moi, les Cesariens ? Ne savez vous pas qu’il n’y a plus de lois, plus de magistrats, plus de justice ? que les fortunes particulières et la fortune publique ne sueront pas aux débauches, aux profusions et aux besoins de tant de misérables qui manquent de tout ? Donc, à tout prix, je veux m’embarquer. Sortons donc de ces lieux et partons, n’importe par quelles mers, par où il vous plaira, mais partons ; rien ne peut plus me retenir… si tel est toutefois votre avis, » ajoute-t-il. Et il écrivait en même temps à un ami de César « Partir sans votre aveu, c’est à quoi je n’ai jamais songé. Vous connaissez mes petites propriétés ; il faut bien que j’y vive, pour n’être pas à charge à mes amis, et je me tiens plus volontiers dans celles qui bordent la mer ; c’est ce qui a fait croire à un départ. » Puis cependant il a quelque honte du mensonge, car l’irrésolution en donne toutes les apparences ; et il continue : « Je n’y répugnerais pas trop peut-être, si le repos était au bout ; mais guerroyer et me battre contre un homme qui doit être assez content de moi, et pour un homme que je ne contenterai jamais ! »

Peut-être fallait-il à ce caractère irrésolu une impulsion étrangère ou quelque événement imprévu qui décidât pour lui : ce fut la crainte de ne pouvoir plus partir qui détermina son départ. Antoine, instruit de ses projets, lui signifia qu’il avait l’ordre de César de le retenir en Italie. Alors seulement Cicéron voulut sérieusement partir, et partit en effet. « À défaut de vaisseau, je prendrais plutôt une nacelle pour me sauver de ces mains parricides. Je suis piqué au vif… »

La bataille de Pharsale lui rendit bientôt sa liberté. Il ne suivit ni Caton à Utique ni les fils de Pompée en Espagne ; il croyait avoir suffisamment acquitté sa dette envers le sénat, et se hâta de revenir en Italie. Tout dans le camp de Pompée avait choqué cet esprit sage et modéré. « Je me suis éloigné de Pompée, et ne m’en repens pas : c’étaient des projets atroces, un pêle-mêle effroyable avec les barbares, la proscription arrêtée non par tête, mais par masse, les biens de tous ceux qui sont restés là-bas regardés comme un butin légitime. » Ces prévisions étaient bien vraisemblables. Dans les momens de réaction, qui veut parler de modération et d’indulgence devient suspect à son propre parti ; la multitude est maîtresse.

VII

Après quelque séjour dans l’une de ses villas, Cicéron prit la résolution de revenir à Rome. Il eût bien voulu faire aussitôt sa paix avec César ; mais le vainqueur de Pompée s’oubliait dans les bras de Cléopâtre. Comme au plus fort des mauvais jours de 93, la grande ville offrait aux personnages consulaires compromis aux yeux des vainqueurs une retraite et une obscurité que la province n’aurait pu leur donner. — « La licence du glaive est partout ; cependant c’est sur les bords étrangers que les attentats se renouvellent le plus effrontément : voilà ce qui me fait rester à Rome. À l’exil, j’ai préféré ma famille et mon chez moi, si on peut dire d’ailleurs qu’il y a un chez soi dans les temps où nous vivons, et que quelque chose vous appartient. On mesure en ce moment toute la campagne de Veïes et de Capène pour la partager au peuple. Il n’y a pas bien loin de là à ma villa de Tusculum ; mais je ne veux pas m’en préoccuper, je jouis de ce qu’on me laisse jusqu’au dernier jour[14]. » Cicéron cependant avait déjà réussi à se faire pardonner sa courte apparition au camp, de Pompée ; peu à peu il rentrait en faveur auprès des puissans du jour. Les derniers Pompéiens qui venaient après lui implorer la clémence et la générosité du vainqueur trouvaient en lui un protecteur utile et chaleureux. Qui n’a admiré la célèbre harangue pour Marcellus, et cette incomparable éloquence qui n’est surpassée que par la généreuse clémence du vainqueur ? Ce fut une de ces grandes scènes comme l’antiquité nous en offre, et pour lesquelles me manquent malheureusement les comparaisons que je cherche dans les temps modernes. Marcellus s’était jeté aux pieds de César, le sénat se leva tout entier, comme un seul homme, tendant les bras vers le maître « César se sentit vaincu, mais moi, dit Cicéron, je fus plus vaincu encore par la magnanimité de César. C’est le premier beau jour dont nous sommes témoins depuis nos misères ; ce jour m’a paru si beau, que j’ai cru y voir comme une nouvelle aurore de la république. »

Dès ce moment, Cicéron renonça à la lutte, et, sans renier ses amis, se laissa prendre peu à peu à l’attrait de ce grand homme, « qui n’aime que les hommes supérieurs, en sorte que son amitié est une gloire. La résignation, cette triste et dernière vertu des vaincus, voilà la déesse dont Cicéron embrassa les autels. Il accepta le gouvernement de fait, comme, nous disons ; tout au plus si son opposition modeste et prudente s’échappait quelquefois en plaisanteries et en mots satiriques. Ces propos de table valaient ce que valent les épigrammes des journaux ou les caricatures du Charivari ; César en riait lorsqu’ils étaient plaisans.

Cicéron ni la société de son temps n’avaient au fond de l’ame ces doctrines qui soutiennent encore l’homme, quand les événemens de la vie semblent l’avoir terrassé. — Nulle croyance religieuse dans les esprits ; le paganisme se mourait comme la république, et le christianisme n’était pas encore né. C’était comme un interrègne de Dieu. Les esprits erraient dans cette profonde nuit dont les ombres redoublent aux heures qui précèdent le lever du jour. La religion qui avait fondé Rome, consacré par quelque prodige chacune de ses institutions qui lui avait promis et donné l’empire du monde, cette religion avait disparu. César avait pu dire en plein sénat, dans son discours contre Catilina, que rien ne subsistait de l’homme après la mort, et que les enfers étaient de vaines fables auxquelles le peuple même ne croyait plus. Il n’y croyait plus en effet ; les antiques cérémonies n’étaient plus pour le Romain que des formes vides, qui avaient cessé de lui imposer. Le culte des vestales, le feu sacré, image visible et symbole de la ville éternelle avaient encore quelque pouvoir sur l’imagination ; ils n’en avaient plus sur l’ame et la conscience.

Et cependant, en ces temps-là même, les doctrines rigoureuses et sublimes de Zénon triomphaient dans quelques ames d’élite. Le stoïcisme est la protestation la plus éclatante de l’esprit humain en faveur de sa propre dignité, l’acte le plus énergique de sa puissance. Les systèmes matérialistes enchaînent l’homme à la terre et y confinent sa pensée. La religion l’enlève jusqu’au ciel ; mais, là aussi, la grandeur qui lui est propre se perd et s’anéantit dans l’infinie grandeur. — Je ne sais par quelle vigoureuse et sublime spontanéité le stoïcisme élevait et soutenait l’homme dans une région particulière, à une hauteur qui n’est pas le ciel, et où la terre a déjà disparu : par une inconséquence qui fait sa gloire, le stoïcisme méprisait les choses de ce monde sans se sentir enflammé pour celles de l’autre. Parvenu à ces sommets de la pensée que dépassent seules la foi et l’extase, l’homme regardait d’en haut toutes choses, et je ne sait quel orgueil austère de ne devoir qu’à lui-même son élévation suffisait à son cœur.

Toutefois cette doctrine ne put jamais avoir que de rares disciples la philosophie sensuelle, les dogmes d’Épicure, trouvaient au contraire dans toutes les tentations de la vie romaine, dans les dérèglemens de l’esclavage, des auxiliaires puissans qui propageaient rapidement ses poisons. C’était la philosophie du jour ; elle régnait à Rome et avait empoisonné tous les cœurs. Peu à peu l’arbre portait ses fruits, les mœurs s’étaient corrompues comme les doctrine ; les auteurs du temps nous ont laissé de cette société des peintures qui, grace a Dieu, seraient calomnieuses pour la nôtre. Quand la foi aux mystérieuses destinées de l’ame immortelle s’est éteinte ou obscurcie au fond des cœurs, chose étrange, la vie elle-même semble perdre de son étendue. Après avoir rejeté l’idée d’une autre vie, on en vient à croire à peine au lendemain ; tout se concentre sur le moment présent et s’y borne ; l’œil n’embrasse plus même l’horizon de cette existence si courte ici-bas. Lorsque le soleil cesse d’éclairer les sommets élevés des montagnes, la nuit tombe aussi sur la demeure des hommes, et les objets qui nous environnent disparaissent aussi complètement pour nos yeux que les plus reculés.

La nature de Cicéron, d’une grandeur purement humaine et tempérée par le bon sens, n’avait jamais pu s’exalter jusqu’aux hauteurs du stoïcisme. En philosophie comme en politique, il était du juste milieu. Il s’était tenu entre Zénon et Épicure comme entre Pompée et César. Il appartenait à la secte des nouveaux académiciens ; c’était l’éclectisme d’alors. « La vérité et l’erreur, disaient-ils, n’ont point de caractère certain ; la vérité existe sans doute, mais toutes les vérités sont mêlées d’erreurs ; et réciproquement ; les apparences des unes et des autres nous trompent sans cesse ; on peut admettre des probabilités, non des certitudes. La vie se règle sur le probable de chaque jour ; c’est tout ce qu’on peut dire. » On comprend ce qui, doit valoir une telle règle pour la conduite de la vie ; point de religion positive, point de philosophie dogmatique ; tout est remis en question chaque matin. À Rome, comme de nos jours, on avait renversé ces remparts protecteurs que les convictions religieuses et philosophiques élèvent le long de la route de la raison humaine. On s’appuyait sur le vide et le néant.

C’est là et non ailleurs, c’est dans la philosophie de Cicéron qu’il faut chercher les causes de ces étranges faiblesses, de ces défaillances d’ame qui nous surprennent quelquefois dans cet homme, qui fut aussi grand un jour que les plus grands hommes. Son esprit, vaste et incertain, comprenait tout et n’affirmait rien ; les lumières si vives de son intelligence n’éclairaient souvent que le trouble et le confusion des dessins : tout était chez lui matière à controverse, même le devoir. Il doutait, il délibérait quand il fallait agir, et s’il agissait enfin, au fort même de l’action, il s’arrêtait pour délibérer encore ; il préférait toujours les partis mitoyens, le juste-milieu, les transactions, aux résolutions tranchées et énergiques, parce que celles-ci n’admettent point de retour, et que rien n’était jamais irrévocablement décidé au fond de l’ame de Cicéron. Il n’avait jamais été franchement ni pour Pompée, ni pour César ; il essaya plus tard de se tenir entre Brutus et le jeune Octave ; de nos jours, il eût inventé le parti de la république honnête et modérée. C’est que sa philosophie n’était que le doute, à peine déguisé de la magnificence des paroles ou l’éloquence de l’exposition. Chez lui, rien de stable, rien de solide qui dure et qui résiste… Hélas ! telle a été aussi la destinée d’une génération élevée hors de toute croyance dogmatique et jetée en proie au doute universel : incertaine, sceptique et malheureuse de son incrédulité, se sentant bannie du ciel, elle n’a pas trouvé à s’attacher plus solidement aux choses de ce monde. Les révolutions l’ont promenée à travers les formes les plus diverses de gouvernement, comme la philosophie à travers les systèmes. D’où lui serait venue la foi, et en quelle chose ? Née à peine il y a un demi-siècle, elle a vu naître ou mourir toutes choses. Les temples étaient fermés à sa naissance, et elle peut dire quel jour Dieu a reparu sur l’autel ; elle peut dire aussi ce que valent la fraternité républicaine aboutissant à la place de la Révolution et la gloire militaire à Waterloo. La légitimité et la majesté de ses huit siècles ne l’ont pas touchée, elle n’y a vu que des vieilleries ; la monarchie parlementaire lui a été annoncée par les plus beaux esprits comme le refuge glorieux et assuré où elle pourrait arrêter ses destinées : elle l’a tentée avec tous les moyens qui font le succès, un roi sage et habile, les orateurs les plus éloquens au Forum, l’a liberté et la prospérité publique au-delà de tout ce qui a été dans le passé ; rien n’a satisfait l’ardeur et l’effrayante mobilité de ses goûts et de ses dégoûts. Retombée dans la république après avoir parcouru le cycle entier des gouvernemens, elle en est aujourd’hui à considérer les questions de gouvernement comme peu de chose. Oui, l’histoire aura peine à le croire, mais à cette heure, que la monarchie ou l’empire soient relevés, que la république persiste, ce n’est plus-là ce qui constitue, sépare ou réunit les partis : c’est la société même et l’humanité que les architectes de Babel veulent rebâtir et que d’autres s’efforcent de préserver. De la discussion : si le roi doit régner ou gouverner ; on est arrivé à celle-ci : si la propriété est un vol ou un droit légitime. Aux pétitions qui demandaient une certaine augmentation dans le nombre des électeurs, on a répondu par le suffrage universel. Une fois lancé sans lest à travers l’espace, l’esprit humain ne s’arrête pas, et la logique emporte la raison : c’est que l’on ne fait pas plus sa part au doute qu’au feu ; et quand le doute est devenu le fondement même de l’éducation, la loi de l’esprit, s’étonner de la solitude et des ruines qu’il sème vite autour de lui rappelle trop la naïveté de l’enfant étonné si l’étincelle produit l’incendie.

À l’époque de sa vie que nous retraçons, Cicéron penchait tous les jours davantage vers les doctrines d’Epicure ; ces doctrines favorisaient ses principes sur la soumission au pouvoir établi, elles lui donnaient ces plaisirs matériels que l’on n’a pas le temps de goûter dans le mouvement des grandes ambitions et qui consolent quelquefois les gens obscurs de leur obscurité même. La tristesse des temps, l’incertitude du lendemain, ajoutaient une étrange saveur à ces plaisirs de la société romaine. Pendant que Brutus et quelques stoïciens pâles et froids préparaient dans le silence le poignard qui tua César, Cicéron et les honnêtes gens de son temps, la bonne compagnie, comme nous dirions aujourd’hui, soupaient à Rome. C’était une affaire : on se hâtait de jouir d’une fortune qui demain pouvait vous être enlevée.

« Votre lettre me charme ; j’ai ri et j’ai vu que vous pouviez rire. Vous ne me reconnaîtriez plus, tant je suis devenu un bon convive. Je n’ai plus à me nourrir de préoccupations politiques, de discours au sénat. Je me jette corps et biens dans la cause d’Épicure, mon ancien ennemi. Mon estomac ne veut pas de ses excès ; mais j’aime le goût de bonne chère que vous mettiez jadis dans votre somptueuse existence. Préparez-vous, vous avez affaire à un gourmand qui commence à s’y entendre… Savez-vous bien que j’ai souvent à ma table les gens les plus délicats de Rome ?… Hier, la Junon aux yeux de bœuf[15] était des nôtres, et quelques autres encore ; mais voyez mon audace, j’ai été jusqu’à donner à souper à Hirtius sans avoir de paon… On vient d’inventer pour les champignons et pour les petits choux des assaisonnemens qui en font ce qu’il y a de plus délicieux. Je suis tombé sur un de ces plats au repas des augures chez Lentulus, et j’en ai été malade toute la nuit. »

Mais cette disposition à l’insouciance, ce besoin de s’étourdir même dans des distractions peu dignes de son grand esprit, étaient loin d’être l’état habituel et le fond de l’ame de Cicéron. Les voluptés romaines pouvaient traverser un instant cette ame ouverte à tout, inquiète, curieuse, et occuper quelque coin obscur de cette vaste intelligence : elles ne l’avaient jamais ni remplie ni satisfaite. Au milieu de ces débauches d’honnêtes gens, on voit la tristesse qui monte au front et une larme qui vient à ses yeux. « Hélas ! dit-il en finissant, n’ai-je pas assez pleuré sur la patrie, pleuré plus amèrement et plus long-temps que jamais aucune mère sur son fils unique ? »

Jamais Cicéron n’avait été plus malheureux. Il traversait une de ces phases douloureuses où tout est remis en question, convictions, croyances, intérêts, et la vie entière. Qui de nous, après soixante ans de révolutions et de ruines, n’a été atteint des mêmes anxiétés et n’a pas senti la foi à ses plus chères doctrines chanceler au fond de son cœur ? Cicéron passait à travers ces dures angoisses ; il voyait tomber tout ce qu’il avait aimé et respecté jadis. Après avoir sauvé la république des fureurs de Catilina, il se demandait si cette république pour laquelle il avait combattu toute sa vie, violente, tumultueuse, déchirée par les factions, livrée comme une pâture de chaque jour aux excitations de quelques tribuns, valait la sécurité, la paix dont Rome et le monde jouissaient sous l’autorité d’un seul. Il souffrait, il attendait, et il se taisait. Avec sa voix s’éteignait aussi ce gouvernement dont il avait été quelque temps l’ame, et dont il reste encore aujourd’hui le plus glorieux représentant, le gouvernement de la parole. De la tribune d’Athènes, ce gouvernement était passé dans le Forum : c’est de là qu’il régnait sur le monde, conquis par les armes romaines. L’éloquence était devenue non pas seulement l’instrument, mais l’institution la plus importante de l’état. Par elle, et par elle seule on arrivait au pouvoir, aux magistratures souveraines. Cet art merveilleux de bien dire, qui ne devrait que servir d’ornement à l’art de bien faire, était devenu peu à peu le but même de la politique. Quand Cicéron avait prononcé une de ses immortelles harangues, il croyait que Rome était sauvée, et qu’il ne restait plus qu’à rendre grace aux dieux. Il restait à gouverner, et c’était alors que la faiblesse du caractère et de la conduite contrastait péniblement avec la magnificence du langage.

César parlait aussi, mais il agissait surtout. « Cet homme ne dort ni ne s’arrête jamais, » disait avec effroi Cicéron. Le jour où l’homme d’action, le vainqueur des Gaules, se trouva en face de l’homme de la tribune, le gouvernement de la parole dut périr. Un dernier effort cependant nous a valu les Philippiques ; mais Antoine chargea ses licteurs de répondre aux invectives de Cicéron, et la tête du grand orateur fut clouée à la tribune aux harangues. Ce fut dans l’antiquité la fin de cet empire de l’éloquence, dont Ésope, en parlant des langues, « la meilleure et la pire chose qui soit au monde, l’organe de toute vérité, la source de toute erreur, » avait déjà donné la définition la plus complète.

Bien des siècles après, un gouvernement dans lequel aussi la parole a le premier rôle et règne sur les autres pouvoirs de la société, contraints ou persuadés par elle, le gouvernement parlementaire, a été pratiqué d’abord en Angleterre, puis en France. On a relevé la tribune aux harangues ; on a retrouvé et ressuscité ce gouvernement de l’esprit, cette haute république des intelligences, dont la brillante filiation remonte à la Grèce et à Rome. Ce n’est point, en effet, dans les bois de la Germanie que ce beau système a été trouvé ; c’est bien plutôt, ce nous semble, dans l’Agora ou au Forum[16]. Pourquoi les grandes et solides destinées que cette forme de gouvernement poursuit en Angleterre ne nous ont-elles pas été accordées ? Les hommes, assurément, n’ont pas manqué chez nous à l’épreuve ; nous avons vu, nous avons entendu des orateurs que l’histoire nommera après l’orateur romain, et qui le surpassaient par la hauteur et la fermeté du caractère. Ce gouvernement, fondé sur la grandeur même et la responsabilité de l’esprit humain, doit-il disparaître pour nous dans quelque obscure tempête ? À Rome, au moins il eut la gloire de ne tomber que devant le grand César ; nous nous serions tombés devant l’ivrogne Antoine ou la tourbe sans nom des complices de Catilina ! Que le ciel écarte de la patrie une telle honte ! L’avenir est triste et obscur ; il n’est pas fermé. Tout n’est pas dit sur notre destinée. Étudions cette époque curieuse de la décadence de la république romaine, sans découragement, sans parti irrévocablement pris, avec la volonté énergique au contraire de guérir ; et de nous préserver d’autant plus des maladies de la décadence romaine que nous en reconnaîtrons en nous-mêmes les premiers symptômes. Rome a péri par la jalousie des grands politiques, par les ambitions personnelles, par l’égoïsme des partis rivaux ; l’anarchie est descendue du sénat dans la place publique. Nous sommes sur ces pentes fatales qui ont conduit la société romaine à sa fin ; qu’un effort vigoureux nous rejette loin de l’abîme.

Nous aurions voulu pousser plus loin cette étude : les efforts désespérés de Brutes pour la liberté romaine, le neveu de César recevant de Rome fatiguée et indécise la succession d’un grand homme, toute cette partie de l’histoire romaine a bien aussi gagné aux événemens du jour cet à-propos qui remet à la mode les vieilleries d’un autre âge. Il nous suffit cependant d’avoir éveillé la pensée de ces rapprochemens ; ils se feront d’eux-mêmes. L’esprit public n’a pas besoin de ces clés avec lesquelles on expliquait autrefois les allusions du Télémaque.

Au reste, ce n’est pas seulement des conseils et des exemples qu’il faut chercher dans les lettres de Cicéron., il y a autre chose à leur demander, et je voudrais qu’on eût pu l’entrevoir à travers la partie purement politique que j’ai mise en relief : c’est le charme et la douceur des sentimens privés. Par ce côté-là, on peut dire, et cette fois à la louange de tous les deux, que Cicéron représente aussi la France nouvelle ; si nous avons trouvé l’homme public faible, incomplet, plein d’inconséquences et de trouble, l’homme privé nous montre des vertus douces et intimes, qui manquait à la Rome antique, et dont l’histoire tiendra compte à notre temps : un caractère aimable, les affections les plus tendres de la famille, des amitiés sérieuses et charmantes, un soin touchant pour les inférieurs, quelque chose enfin de simple et de bon, comme la familiarité du génie. Quelle tendresse pour son fils ! Comme il voudrait lui laisser sa gloire en héritage ! Quelle douleur et quels regrets pour sa fille Tullie ! On admire Cicéron dans ses discours ; on l’aime dans ses lettres : l’excellent homme ! comme il vous promène avec plaisir dans ses maisons et ses jardins ! Quelles bonnes heures on passe avec lui dans cette bibliothèque si habilement mise en ordre par son affranchi, le cher Tyron ! Qu’on sait bon gré à cet esprit supérieur de vous montrer ses petites préoccupations de propriétaires, ses grands projets pour acheter la vigne du voisin, tout, jusqu’à cette paresse qui le saisissait quelquefois au milieu de ses prodigieux travaux ! « Toute raison m’est bonne pour ne rien faire, ma foi ; j’ai le travail en horreur, je me suis laissé prendre à la paresse avec délices, et, si le temps n’est pas bon pour la pêche, je m’amuse à compter les vagues de la mer. »

Nous vivons dans une atmosphère lourde et chargée qui rend difficile tout effort pour nous arracher aux préoccupations constantes de notre esprit ; nous comptons aussi les vagues de la mer et prêtons l’oreille à la tempête. Les lettres de Cicéron nous attirent par ce côté même qui nous montre nos soucis et nos maux, et notre propre image reflétée dans ce vif tableau d’un monde disparu : c’est nous d’abord que nous y cherchons, que nous poursuivons sous des noms étrangers ; mais peu à peu l’intérêt égoïste cesse, et, avec lui, la souffrance. — Nous échappons au présent ; on oublie Paris, les dictateurs d’hier, les tribuns d’aujourd’hui, et ce sombre avenir qui nous menace, pour songer à tous ces grands hommes avec lesquels s’est passée notre jeunesse, qui furent nos maîtres, et dont nous nous sentons rapprochés par la douleur. À ceux qui reprendront dans leur bibliothèque et qui voudront relire ces lettres de Cicéron, oubliées peut-être depuis les temps heureux du collége, j’ose promettre le seul genre d’intérêt que l’esprit puisse accepter au milieu des tristesses de notre âge mûr, la seule consolation, hélas ! que, dans une lettre restée célèbre, Sulpitius trouvait à donner à Cicéron pleurant la mort de sa fille, cette plainte universelle, cet écho de douleur que chaque siècle envoie à ceux qui le suivent. Ils verront comment on souffrait aussi, autant que nous et comme nous, il y a bientôt deux mille ans.


ÉMILE DE LANGSDORFF.

  1. Lettre 22. « Voici une autre prétention des membres de l’ordre équestre (il s’agissait d’un bail de ferme à résilier) qui vraiment n’est pas soutenable, que j’ai soutenue cependant et réussi à colorer… Le sénat, en les refusant, se les serait mis tous à dos ; aussi me suis-je empressé d’intervenir en première ligne ; je me suis fort étendu sur la nécessité de maintenir l’union entre les deux ordres, c’est le salut de la république. »
  2. On sait que cicer signifie pois chiche.
  3. Voyez lettres 463 et 482. Je me suis servi pour les citations de l’excellente traduction de MM. Savalette et Defresne dans la collection Nisard. Les lettres y sont rangées suivant l’ordre chronologique, sans distinction des lettres à Atticus ou des lettres familières, et des révélations fort instructives sortent souvent de cette nouvelle classification.
  4. « C’est à qui, écrit-il, gémira sur la situation ; mais nul n’a garde d’en parler au Forum… On s’exprime toutefois avec un incroyable abandon dans les réunions domestiques et à table. Là, nous prenons notre revanche. Les dispositions du peuple pour la réaction se manifestent surtout dans les théâtres et à tous les spectacles ; on y saisit les moindres allusions.
  5. Cicéron était né l’an 107 avant Jésus-Christ. Il fut consul l’an 65 et mourut l’an 44, à l’âge de 65 ans.
  6. Macaulay, page 72.
  7. Corpus liberum habere ; — Saevitia feneratorum ; — propter magnitudinem aeris alieni ; — argentum aere solutum. (Sallustii Bellum Catailinarium.)
  8. In abditam partem aedium - barbatuli juvenes - omnibus arbitriis procul amotis, — omnes undique sacrilegii, convicti judiciis, aut pro lactis judicium timentes. (Satllustii Bellum Catilinarium.)
  9. Lettres 52 et 45.
  10. On lui faisait arriver tous les journaux du temps ; un de ses amis lui écrit : « Vous trouverez dans le journal que je vous envoie les opinions individuelles comme elles ont été prononcées au sénat. Prenez ce que vous voudrez. Il y a beaucoup à passer, les nouvelles de théâtre, les funérailles, et autre fatras. Le bon toutefois y domine. »
  11. Ce n’était pas le triomphe, mais ce que les historiens ont appelé le petit triomphe, des félicitations solennelles et une entrée publique où ne figurait pas cependant l’armée victorieuse.
  12. Congrès de Vérone, vol., II ch. VI.
  13. Lettres 340-45, 357
  14. Lettres 463-476.
  15. La belle Clodia, sœur et maîtresse de Clodius, dont la femme de Cicéron était fort jalouse.
  16. Esprit des Lois, liv. II, chap.VI.