Un Naturaliste philosophe. — Lamarck, sa vie et ses œuvres

Un Naturaliste philosophe. — Lamarck, sa vie et ses œuvres
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 104 (p. 142-177).
UN
NATURALISTE PHILOSOPHE

LAMARCK, SA VIE ET SES OEUVRES.

Il y a deux classes de savans. Les uns, suivant les traces de leurs prédécesseurs, agrandissent le domaine de la science et ajoutent des découvertes à celles qui ont été faites avant eux ; leurs travaux sont immédiatement appréciés, et ils jouissent pleinement d’une réputation bien méritée. Les autres, quittant les sentiers battus, s’affranchissent de la tradition, font éclore les germes de l’avenir latens pour ainsi dire dans les enseignemens du passé : quelquefois ils sont estimés pendant leur vie à leur juste valeur ; plus souvent encore ils passent méconnus du public scientifique de leur époque, incapable de les comprendre et de les suivre. L’inertie, la routine et l’ignorance leur opposent dans le présent une résistance insurmontable, ils meurent délaissés ; cependant la science marche, les faits se multiplient, les méthodes se perfectionnent, et le public, attardé de leur vivant, les rejoint sur la route du progrès. Alors tous leurs mérites oubliés se révèlent avec éclat ; on rend justice à leurs efforts, on admire leur génie, on constate leur prévision de l’avenir, et une gloire posthume console leurs disciples de l’oubli qui a dû attrister les années pendant lesquelles ils ont lutté vainement pour le triomphe de la vérité. Lamarck appartient à la fois aux deux classes de savans dont nous venons de parler. Par ses travaux descriptifs en botanique et en zoologie, par les perfectionnemens, acceptés de ses contemporains, qu’il a introduits dans la classification des animaux, il a occupé un des premiers rangs parmi les naturalistes de son temps ; mais ses vues philosophiques sur les êtres organisés en général ont été repoussées, elles n’ont pas même eu l’honneur d’être discutées sérieusement. On ne leur accordait que la poétesse du silence ou les dédains de l’ironie. Nous ferons voir cependant que les conceptions capitales de Lamarck sont celles qui commencent à dominer en botanique et en zoologie. Aux exemples trop peu nombreux cités par l’auteur, nous ajouterons ceux que la science moderne a réunis.

Cherchant à persuader par le raisonnement plutôt que par des faits positifs, Lamarck a partagé le travers des philosophes allemands de la nature, Goethe, Oken, Carus, Steffens. Aujourd’hui on raisonne moins, et l’on démontre davantage. Le lecteur, pour être convaincu, exige des preuves palpables, des faits matériels bien constatés ; à chaque objection, il veut une réponse précise, et il ne se rend que lorsqu’il est pour ainsi dire accablé sous le poids de l’évidence. C’est ainsi que nous procéderons ; nous accumulerons ces preuves qui avaient entraîné la conviction personnelle de Lamarck, mais qu’il eut le tort de ne pas communiquer à l’appui de ses raisonnemens. Quand on lit sa Philosophie zoologique, on entrevoit pourquoi des esprits rigoureux tels que Cuvier et Laurent de Jussieu n’ont point admis ses conclusions ; on comprend qu’ils les aient combattues. On ne saurait en effet attendre d’un savant absorbé par ses propres recherches qu’il se mette en quête des faits qui doivent étayer les théories conçues par un autre. Il ne faut donc pas s’étonner si l’éloge académique de Lamarck par Cuvier, lu après la mort de Cuvier lui-même par M. Sylvestre à la séance publique de l’Institut du 26 novembre 1832, renferme à côté d’éloges sincères un blâme immérité des doctrines philosophiques de Lamarck, et ait inauguré ce genre d’éloges désigné plus tard sous le nom peu académique d’éreintemens. L’impartiale postérité excuse ces injustices involontaires sans les ratifier. Dans les sciences comme dans la politique, le temps seul nous place à un point de vue assez éloigné pour pouvoir porter des jugemens équitables sur les hommes, leurs opinions et leurs actes. Nous essaierons de traduire ce jugement rétrospectif ; mais auparavant nous croyons devoir donner une courte biographie de Lamarck. La vie d’un savant est le commentaire obligé de ses œuvres : elle explique ses succès dans la recherche de la vérité, et permet d’apprécier les causes de ses défaillances. De là l’intérêt plus vif que celui d’une simple curiosité qui s’attache aux notices biographiques des hommes célèbres dans le domaine de l’intelligence.


I. — BIOGRAPHIE DE LAMARCK.

Jean-Baptiste-Pierre-Antoine de Monet, autrement appelé le chevalier de Lamarck, naquit à Bazentin, village situé entre Albert et Bapaume dans l’ancienne Picardie, le 1er août 1744. Il était le onzième enfant de Pierre de Monet, seigneur de ce lieu, issu d’une ancienne maison du Béarn dont le patrimoine était fort modeste. Son père le destinait à l’église, ressource ordinaire des cadets de famille à cette époque, et le fit entrer aux jésuites d’Amiens. Ce n’était point la vocation du jeune gentilhomme. Tout dans sa famille lui parlait de gloire militaire. Son frère aîné était mort sur la brèche au siège de Berg-op-Zoom ; les deux autres servaient encore, et la France s’épuisait dans une lutte inégale. Son père résistait cependant à ses désirs ; mais lorsqu’il mourut, en 1760, Lamarck, libre de suivre son inclination, s’achemina sur un mauvais cheval vers l’armée d’Allemagne campée près de Lippstadt en Westphalie. Il était porteur d’une lettre écrite par une de ses voisines de campagne, Mme de Lameth, qui le recommandait au colonel du régiment de Beaujolais, M. de Lastic. Celui-ci, voyant arriver ce jeune homme de dix-sept ans qu’une Mme chétive faisait encore paraître au-dessous de son âge, l’envoya à son quartier. Le lendemain, une bataille était imminente. M. de Lastic passe la revue de son régiment, et voit son protégé au premier rang d’une compagnie de grenadiers. L’armée française était sous les ordres du maréchal de Broglie et du prince de Soubise ; les troupes alliées avaient pour chef le prince Ferdinand de Brunswick. Les deux généraux français, divisés entre eux, furent battus. La compagnie où se trouvait Lamarck est foudroyée par l’artillerie ennemie ; dans la confusion de la retraite, on l’oublie. Les officiers et les sous-officiers sont tués, il ne restait plus que quatorze hommes ; le plus ancien propose de se retirer. Lamarck, improvisé commandant, répond : « On nous a assigné ce poste, nous ne devons nous retirer que si on nous relève. » Heureusement le colonel, voyant que cette compagnie ne se ralliait pas, lui envoya une ordonnance qui se glissa par des sentiers couverts jusqu’à elle. Le lendemain, Lamarck était nommé officier, et peu de temps après lieutenant. Heureusement pour la science, ce brillant début ne devait point décider de son avenir. Envoyé après la paix en garnison à Toulon et à Monaco, une inflammation des ganglions lymphatiques du cou nécessita une opération faite à Paris par Tenon, mais qui lui laissa toute sa vie de profondes cicatrices.

L’aspect de la végétation des environs de Toulon et de Monaco avait éveillé l’attention du jeune officier : il avait puisé quelques notions de botanique dans le Traité des plantes usuelles de Chomel. Retiré du service, réduit à une modeste pension alimentaire de 400 fr., il travaillait à Paris chez un banquier ; mais, poussé irrésistiblement vers l’étude de la nature, il observait de sa mansarde les formes et les mouvemens des nuages, et étudiait les plantes au Jardin du Roi ou dans les herborisations publiques. Il se sentait dans sa voie, et comprit, comme Voltaire l’a dit de Condorcet, que des découvertes durables pouvaient l’illustrer autrement qu’une compagnie d’infanterie. Mécontent des systèmes de botanique en usage, il écrivit en six mois sa Flore française, précédée de la Clé dichotomique, à l’aide de laquelle il est facile, même à un commençant, d’arriver sûrement au nom de la plante qu’il a sous les yeux[1]. C’était en 1778, Rousseau avait mis la Botanique à la mode, les gens du monde, les dames s’en occupaient. Buffon fit imprimer les trois volumes de la Flore française à l’imprimerie royale, et l’année suivante Lamarck entrait à l’Académie des Sciences. Voulant faire voyager son fils, Buffon lui donna Lamarck pour guide avec une commission du gouvernement : il parcourut ainsi la Hollande, l’Allemagne et la Hongrie, et noua des relations avec Gleditsch à Berlin, Jacquin à Vienne et Murray à Gœttingue.

L’Encyclopédie méthodique commencée par d’Alembert et Diderot n’était pas terminée. Lamarck en écrivit quatre volumes, où il décrit toutes les plantes connues alors dont les noms commençaient par les lettres de A à P : travail immense, achevé par Poiret, et qui comprend douze volumes, lesquels ont paru de 1783 à 1817. Une œuvre plus importante encore, faisant également partie de l’Encyclopédie, citée perpétuellement par les botanistes, est intitulée Illustration des genres : Lamarck y donne les caractères de 2,000 genres, illustrés, comme le dit le titre, par 900 planches. Un botaniste seul peut se faire une idée des recherches dans les herbiers, les jardins et les livres que suppose un pareil travail. Lamarck suffisait à tout par son activité. Un voyageur arrivait-il à Paris, il était le premier qui vînt le voir. Sonnerat revient de l’Inde en 1781 avec des collections immenses : personne ne daigne les visiter, sauf Lamarck, et Sonnerat, indigné de cette indifférence, lui donne l’herbier magnifique qu’il avait rapporté. Malgré ce labeur incessant, la position de Lamarck était des plus précaires : il vivait de sa plume ; il était aux gages, des libraires. On lui disputa. même une chétive place de garde des herbiers du cabinet du roi. Comme la plupart des naturalistes, il se débattit ainsi contre les difficultés de la vie pendant quinze ans. Une circonstance heureuse améliora sa situation en changeant la direction de ses travaux. La convention gouvernait la France. Carnot organisait la victoire. Lakanal entreprit d’organiser les sciences naturelles. Sur sa proposition, le Muséum d’histoire naturelle fut créé. On avait trouvé des professeurs pour toutes les chaires, sauf pour la zoologie ; mais dans ces temps d’enthousiasme, si différens de l’époque où nous vivons, la France suscitait des hommes de guerre et des hommes de science partout où elle en avait besoin. Etienne Geoffroy Saint-Hilaire était âgé de vingt et un ans, il s’occupait de minéralogie sous la direction d’Haüy. Daubenton lui dit : « Je prends sur moi la responsabilité de votre inexpérience ; j’ai sur vous l’autorité d’un père ; osez entreprendre d’enseigner la zoologie, et qu’un jour on puisse dire que vous en avez fait une science française. » Geoffroy acceptent se charge des animaux supérieurs. Lakanal avait compris qu’un seul professeur ne pouvait suffire à la tâche de ranger dans les collections le règne animal tout entier. Geoffroy devant classer les vertébrés seulement, restaient les invertébrés, à savoir les insectes, les mollusques, les vers, les zoophytes, c’est-à-dire le chaos, l’inconnu, Lamarck, dit M. Michelet, accepta l’inconnu. Il s’était un peu occupé de coquilles avec Bruguières ; mais il avait tout à apprendre, je dirai mieux, tout à créer dans ce monde inexploré, où Linné avait pour ainsi dire renoncé à introduire l’ordre méthodique qu’il avait su si bien établir parmi les animaux supérieurs. Lamarck ouvrit son cours au Muséum dans le printemps de 1794 après un an de préparation et créa dès l’abord la grande division des animaux en vertébrés et invertébrés, qui est restée dans la science. Conservant pour les animaux vertébrés la division de Linné en mammifères, oiseaux, reptiles et poissons, il divisa les invertébrés en mollusques, insectes, vers, échinodernes et polypes. En 1799, il sépara l’ordre des crustacés des insectes, avec lesquels ils étaient confondus en 1800, il établit celui des arachnides distincts des insectes, en 1802, celui des annélides, subdivision des vers, et celui des radiaires, différens des polypes. Le temps a consacré la légitimité de ces coupes, fondées toutes sur l’organisation des animaux ; c’est la méthode rationnelle introduite dans la science par Cuvier, Lamarck et Geoffroy Saint-Hilaire.

Cette étude étant uniquement consacrée à Lamarck envisagé comme naturaliste, nous ne nous occuperons point de quelques ouvrages où il aborde la physique et la chimie : erreurs d’un puissant esprit, croyant pouvoir établir par le raisonnement seul des vérités qui reposent uniquement sur l’expérience, ou bien résurrections d’anciennes théories telles que celles du phlogistique, ces tentatives n’eurent même pas les honneurs de la réfutation ; elles ne les méritaient pas, et doivent servir d’exemple à tous ceux qui veulent écrire sur une science sans la connaître et sans l’avoir pratiquée. C’est un travers assez commun, et nous voyons tous les jours produire avec éclat des objections contre les sciences physiques et naturelles ne prouvant qu’une chose, l’ignorance profonde de ceux qui les articulent. Leur point de départ est souvent une hypothèse philosophique au un dogme théologique, bases fragiles qui ne résistent ni à l’observation quant aux faits, ni à l’expérimentation quant aux phénomènes. Les généralisations de Lamarck sur la géologie et la météorologie, sciences naissant à peine à l’époque où il écrivait, ont un autre vice radical : elles sont prématurées. Toute science doit commencer par la connaissance des faits et des phénomènes particuliers ; quand ceux-ci sont assez nombreux, les généralisations partielles deviennent possibles ; elles s’agrandissent à mesure que la base s’élargit, mais les systèmes ayant la prétention d’être absolus et définitifs ne le seront jamais, car ils supposent que tous les faits, tous les phénomènes, sont connus : synthèse impossible, quelle que soit la durée de l’humanité. C’est là le défaut de l’Hydrogéologie de Lamarck. Au commencement du siècle, la géologie n’existait pas ; on observait peu, on faisait des systèmes embrassant le globe tout entier. Lamarck fit le sien en 1802, et vingt-trois ans plus tard l’esprit judicieux de Cuvier cédait encore à cet entraînement en publiant son discours Sur les révolutions du globe. Le mérite de Lamarck est d’avoir compris qu’il n’y avait point eu de révolutions en géologie, car des actions lentes mille fois séculaires rendent compte beaucoup mieux que des perturbations violentes des prodigieux changemens dont notre planète a été le théâtre. « Pour la nature, dit Lamarck, le temps n’est rien, et n’est jamais une difficulté : elle l’a toujours à sa disposition, et c’est pour elle un moyen sans bornes avec lequel elle fait les plus grandes choses comme les moindres. » Le premier, il distingua[2] les fossiles littoraux des fossiles pélagiens ; mais personne aujourd’hui ne saurait accepter son idée que les mers se creusent par l’action des marées, et se déplacent à la surface de la terre sans que le niveau relatif des différens points de cette surface ait changé. En présence des faits connus, il est impossible d’attribuer l’origine de toutes les vallées au creusement des eaux. Autant les déductions de Lamarck ont été judicieuses et souvent prophétiques dans la science des êtres organisés, qu’il connaissait si bien, autant elles sont aventureuses, hasardées et démenties par l’avenir dans les sciences qui lui étaient étrangères : comme les métaphysiciens, il construisait des édifices en l’air, et, comme les leurs, les siens se sont écroulés faute de base.

Achevons la biographie de Lamarck. Fixé dans ses irrésolutions scientifiques par sa chaire du Muséum et le devoir de classer les collections, il se livra tout entier à ce double travail. En 1802, il publia ses Considérations sur l’organisation des corps vivans, en 1809 sa Philosophie zoologigue, développement des Considérations, et de 1816 à 1822 l’Histoire naturelle des animaux sans vertèbres en sept volumes ; c’est son ouvrage capital, et, comme il est uniquement descriptif et taxonomique, il fut accueilli par l’approbation unanime des savans. Son mémoire sur les coquilles fossiles des environs de Paris, où sa profonde connaissance des coquilles vivantes lui permit de classer sûrement celles qui n’étaient plus que la dépouille d’animaux disparus depuis des milliers de siècles, reçut également un accueil favorable. Lamarck avait commencé l’étude de la zoologie à cinquante ans ; l’examen minutieux de petits animaux visibles seulement à la loupe et au microscope fatigua, puis affaiblit sa vue. Peu à peu les nuages qui l’obscurcissaient s’épaissirent, et il devint complètement aveugle. Marié quatre fois, père de sept enfans, il vit disparaître son mince patrimoine et même ses premières économies dans quelques-uns de ces placemens hasardeux offerts par la spéculation à la crédulité publique. Son modeste traitement de professeur le préservait seul de la misère. Les amis des sciences que sa réputation comme zoologiste et comme botaniste attirait auprès de lui voyaient ce délaissement avec surprise ; il leur semblait qu’un gouvernement éclairé aurait dû s’informer avec un peu plus de soin de la position d’un vieillard qui avait illustré son pays ; mais les gouvernemens, on le sait, réservent leurs faveurs pour d’autres services, et la misère d’un vieux savant aveugle a rarement droit à leur sollicitude. Lamarck passa donc les dix dernières années de sa laborieuse vie plongé dans les ténèbres, entouré des soins affectueux de ses deux filles. L’aînée écrivit encore sous sa dictée une partie du sixième et une partie du septième volume de l’Histoire des animaux sans vertèbres. Depuis que le père ne quittait plus la chambre, la fille ne quittait plus la maison ; à sa première sortie, elle fut incommodée par l’air libre dont elle avait perdu depuis si longtemps l’habitude. Lamarck mourut le 18 décembre 1829 à l’âge de quatre-vingt-cinq ans ; Latreille et de Blainville furent ses successeurs au Muséum. Le nombre des animaux sans vertèbres s’était tellement accru qu’il fallut créer deux chaires là où une seule avait suffi, grâce à l’incroyable activité du premier titulaire. Ses deux filles restèrent sans ressources. J’ai vu moi-même, en 1832, Mlle Cornélie de Lamarck attacher pour un mince salaire sur des feuilles de papier blanc les plantes de l’herbier du Muséum où son père avait été professeur. Souvent des espèces nommées et décrites par lui ont passé sous ses yeux, et ce souvenir ajoutait sans doute à l’amertume de ses regrets. Filles d’un ministre ou d’un général, les deux sœurs eussent été pensionnées par l’état ; mais leur père n’était qu’un grand naturaliste, honorant son pays dans le présent et dans l’avenir, elles devaient être oubliées, et le furent en effet. Dans ses études sur Darwin et ses prédécesseurs français[3], M. de Quatrefages a exposé brièvement les travaux de Lamarck et rendu pleine justice à la grandeur et à l’originalité de la plupart de ses idées ; il lui assigne la première place parmi les ancêtres scientifiques de Darwin, mais signale en même temps et combat les points faibles de ses conclusions. Notre but dans les pages qui vont suivre est au contraire de faire ressortir les points forts et de montrer, en les corroborant par un grand nombre de faits, quelles sont les vérités que Lamarck a le premier formulées au milieu de l’inattention et malgré la critique peu compréhensive dont elles ont été l’objet pendant tout le cours de sa longue existence.


II. — LA PHILOSOPHIE ZOOLOGIQUE DE LAMARCK. — INFLUENCE DES MILIEUX.

C’est à l’analyse de la Philosophie zoologique, publiée par Lamarck en 1809, que sera surtout consacrée cette étude. Lamarck connaissait un nombre immense de végétaux et d’animaux, condition nécessaire pour pouvoir s’élever à des généralisations comprenant l’ensemble du monde organisé. Dans ses travaux spéciaux, description, classement, détermination d’espèces végétales et animales, il avait été frappé de leurs différences, mais, encore plus de leurs analogies ; il avait constaté leurs variations, et il en était résulté pour lui une triple impression : la certitude de la variabilité de l’espèce sous l’influence des agens extérieurs, celle de l’unité fondamentale du règne animal, enfin la probabilité de la génération successive des différentes classes d’animaux, sortant, pour ainsi dire, les unes des autres comme un arbre dont les branches, les feuilles, les fleurs et les fruits sont le résultat des évolutions successives d’un seul organe, la graine ou le bourgeon. Cependant, je le répète, au lieu de multiplier les exemples, comme on le fait aujourd’hui, il s’efforce de convaincre le lecteur par des raisonnemens ; il les enchaîne les uns aux autres sans s’apercevoir qu’il a souvent quitté le terrain solide des faits, et que le moindre écart, la moindre lacune dans ses déductions l’engage nécessairement dans un labyrinthe comparable à celui où les métaphysiciens égarent ceux qui ont le courage de les suivre. Je m’attacherai donc à montrer comment les faits acquis à la science depuis la mort de Lamarck ont confirmé sa théorie fondamentale, désignée maintenant sous le nom de théorie de la descendance. Cette théorie consiste à supposer que les milieux dans lesquels les animaux ont vécu se sont souvent et profondément modifiés. Beaucoup d’animaux, ne pouvant pas s’accommoder à ces changemens, ont péri ; les autres, modifiés comme le milieu, se sont adaptés à lui et ont transmis ces modifications à leurs descendans, chez lesquels elles se sont fixées, Ceux-ci constituent alors ce qu’on nomme des espèces : elles nous paraissent invariables parce que nous ne les connaissons que depuis un laps de temps tellement court, qu’il n’est qu’une fraction imperceptible de la longue période nécessaire pour amener des changemens dans le milieu ambiant, terre, eau, climat, température, et par suite dans les êtres exposés à ces influences diverses. En effet, l’argument tiré de l’identité des espèces étudiées depuis les temps historiques est sans valeur. Cuvier avait conclu à la fixité de l’espèce, parce que les momies des chats, des ibis, des crocodiles de l’Égypte sont identiques aux espèces actuelles vivant encore dans le pays. Or ce que Cuvier disait de l’espèce est également vrai des variétés ou des races obtenues dans les temps les plus reculés ; ainsi le bélier représenté sur les monumens égyptiens est identique au bélier nubien actuel[4]. Le petit cheval des paysans lithuaniens ne diffère pas du daino illustré dans les chants primitifs de ces peuples, et dont les squelettes se retrouvent dans les anciens tombeaux. Pourquoi auraient-ils changé, puisque le milieu ambiant est resté le même et que les peuples qui ont succédé à ces nations primitives n’ont rien fait pour améliorer ces races par des croisemens ou la sélection artificielle ? A plus forte raison ne voyons-nous pas les espèces ou les races sauvages se modifier sous nos yeux à moins que l’homme n’intervienne par la culture et l’hybridation pour les végétaux, par le régime alimentaire et le croisement pour les animaux. Examinons successivement l’influence des divers changemens du milieu ambiant qui modifient l’organisation des végétaux et des animaux, à savoir l’eau, l’air, la lumière et la chaleur.

L’action de l’eau sur les végétaux est des plus évidentes. Lamarck cite la renoncule aquatique. Cette plante est en effet singulièrement modifiée par son séjour dans l’eau. Les feuilles submergées sont finement découpées et comme capillaires ; celles qui s’élèvent au-dessus de la surface liquide sont arrondies et simplement lobées. Suivant que les feuilles ont séjourné plus ou moins longtemps dans l’eau, suivant que celle-ci est courante ou stagnante, elles présentent toutes les transitions imaginables entre ces deux extrêmes, et les botanistes en ont fait des espèces et des variétés sans nombre (ranunculus aquotilis, tripartilus, Baudoti, trichophyllos, fluitans, etc.). Les feuilles submergées de la châtaigne d’eau (trapa natans) sont également capillaires, les feuilles aériennes ne le sont pas. Dans ces renoncules et le trapa natans, l’action de l’eau amène la disparition partielle du parenchyme de la feuille. Le dernier terme de cette modification se voit sur une naïadée de Madagascar, l’ouvirandra fenestralis[5]. Dans cette plante-aquatique, la feuille immergée se réduit à une fine dentelle à mailles quadrilatères formée par les nervures longitudinales et des cloisons transversales. Les feuilles des hippuris, des myriophyllum, des callitriche et des cerataphyllum nous montrent l’état accidentel des feuilles submergées de la renoncule aquatique et de la châtaigne d’eau devenu constant par le fait de l’hérédité.

La sagittaire doit son, nom à ses feuilles aériennes, qui ont exactement la forme d’un fer de flèche ; mais, lorsqu’elles sont plongées dans une eau courante, elles forment de longs rubans ondulans suivant le fil de l’eau. Le plantain d’eau (alisma plantago) offre la même modification ; dans les eaux courantes, ses feuilles ovalaires deviennent rubanaires et flottantes. Le jonc lacustre (scirpus lacustris) n’a point de feuilles, il n’a que des gaines rougeâtres terminées par un petit limbe. Quand la plante est dans une eau peu profonde, celui-ci avorte complètement ; mais dans une rivière ce limbe se développe, s’allonge et atteint quelquefois une longueur de 1 à 2 mètres. Le botaniste Scheuchzer, qui vivait à Zurich au commencement du XVIIIe siècle, avait déjà noté cette particularité. — Les feuilles flottantes du nénufar jaune sont étalées à la surface de l’eau ; ce sont des disques arrondis, mais les feuilles submergées sont presque transparentes et bosselées comme celles du chou pommé. Ces deux modifications morphologiques, la forme rubanaire et la forme bosselée, deviennent constantes et permanentes dans les plantes marines : la première dans les laminaires, les zostères, les cymodocées, la seconde dans les ulvacées.

Un autre effet de l’eau, c’est de favoriser la formation de lacunes qui renferment de l’air. Ainsi les rameaux de l’utriculaire portent de petites vessies aériennes appelées ascidies. Dans l’aldrovandia vesiculosa, ce sont les feuilles elles-mêmes, dans certains fucus ce sont les frondes qui deviennent vésiculeuses. Le pétiole des feuilles aériennes du trapa natans, du pontederia crassipes, se remplit également d’air. De même les tiges de beaucoup de plantes aquatiques, les nymphœa, le nelumbium, les jussiœa, l’aponogeton dystachion, les pilulaires, les joncs, sont creusées de grandes lacunes aériennes cloisonnées[6]. L’eau a même le pouvoir de transformer certains organes et de les adapter à des fonctions complètement différentes de, celles qu’ils remplissaient originairement. Le jussiœa repens est une plante aquatique produisant de longs rameaux ou stolons, maintenus à la surface de l’eau par des corps cylindriques, spongieux, d’un blanc rosé, qui jouent le rôle de ces vessies gonflées d’air qu’on fixe sous les aisselles d’un nageur inexpérimenté ; ces stolons se garnissent de fleurs s’épanouissant au-dessus de la surface de l’eau. Les corps qui soutiennent ces rameaux fleuris sont des racines transformées par l’action de l’eau. En effet, les stolons qui rampent à la surface de la terre sèche sont pourvus de racines adventives ordinaires ; mais, si le stolon se trouve de nouveau en contact avec l’eau, ces racines se transforment en racines aérifères. J’ai pu obtenir ainsi sur un seul jet des parties qui étaient alternativement pourvues ou dépourvues de ces vessies natatoires. La tige même devient quelquefois spongieuse et se remplit d’air. Dans l’eau, les feuilles de la même plante sont lisses, obovales, et acquièrent une longueur de 10 centimètres de long et 2 de large, tandis que, sur un terrain sec ou desséché, elles sont étroites, aiguës, longues de 1 centimètre au plus et couvertes de poils. Ces deux formes d’une même plante ont été considérées comme deux espèces distinctes[7]. Ainsi l’eau imprime à l’organisme végétal des modifications profondes qui se traduisent non-seulement dans les formes extérieures, mais dans la structure anatomique. M. Duval-Jouve a démontré qu’une plante aquatique, quelle que soit la famille à laquelle elle appartienne, présente des cellules cloisonnées aérifères. Dans un même genre, le genre iris par exemple, les iris germanica, iris florentina, plantes terrestres, ne présentent pas de cellules cloisonnées, les iris fœtida, iris pseudaçorus, espèces aquatiques, en sont pourvues. Dans le genre eryngium, mêmes différences : les espèces européennes sont terrestres, les feuilles ont des nervures divergentes ; les espèces aquatiques de l’Amérique portent de longues feuilles rubanaires à nervures parallèles, réunies entre elles par des cloisons transversales.

L’influence de l’eau sur la forme et l’organisation des animaux n’est pas moins remarquable, et le développement des réservoirs d’air chez les végétaux aquatiques est analogue aux cloisons traversées par le siphon des coquilles univalves du nautile et des ammonites, les vésicules aérifères des acalèphes hydrostatiques, les boucliers avec canaux aérifères des vellèles, les bulles d’air emprisonnées daris le mucus sécrété par le pied de la janthine et même la vessie natatoire des poissons, organes inconnus dans les animaux terrestres ; mais c’est dans les batraciens que nous verrons avec la dernière évidence que les branchies, appareils respiratoires des animaux aquatiques, se développent sous l’influence d’un milieu liquide. Chez certains d’entre eux, les branchies sont temporaires : ainsi les têtards de la grenouille et du crapaud respirent par des branchies ; mais à mesure que les pattes poussent et que la queue servant de nageoire se résorbe, les poumons se développent et les branchies s’atrophient, l’animal, d’aquatique qu’il était, devient amphibie. Les tritons vivant dans l’eau pendant la première période de leur vie respirent par des branchies, plus tard ils se tiennent habituellement sur le bord des mares ; les branchies disparaissent, des poumons les remplacent. Cependant, si l’on force ces animaux à rester dans l’eau, la métamorphose ne s’accomplit pas. Les protées des lacs souterrains de la Carniole, ayant à la fois des poumons et des branchies, peuvent respirer dans l’air comme dans l’eau. — On connaît sous le nom d’axolotl (siredon pisciformis) un gros têtard à branchies extérieures vivant dans le lac qui avoisine la ville de Mexico. Un grand nombre de ces animaux ayant été donnés à la ménagerie du Muséum d’histoire naturelle de Paris, la plupart ne se modifièrent pas ; mais le 10 octobre 1865, M. Auguste Duméril remarqua que plusieurs présentaient des taches jaunes, leur crête caudale s’atrophiait, ainsi que les branchies, et le 6 novembre de jeunes axolotls s’étaient transformés en un triton du genre amblystoma, dont les espèces habitent l’Amérique du Nord, c’est-à-dire en un animal amphibie respirant par des poumons, dépourvu de branchies et à queue cylindrique. Le mênje savant eut l’idée de couper les branchies d’un certain nombre d’axolotls ; quelques-uns se métamorphosèrent en tritons, d’autres restèrent à l’état de têtards. Ajoutons que, ces axolotls se multipliant, ce fait nous démontre que la reproduction des protées ne prouve en aucune manière qu’ils ne soient pas les têtards d’un reptile encore inconnu. Il existe encore d’autres animaux qui ne sont probablement que des têtards n’ayant pas subi toutes leurs métamorphoses ; je citerai les ménobranches, qui ont, comme le protée, des branchies extérieures et quatre pattes, la grande sirène lacertine des rizières de la Caroline, munie de trois houppes de branchies saillantes, mais n’ayant que deux pattes antérieures terminées par quatre doigs, et le menopôme, qui porte sur les côtes du cou des fentes branchiales et se meut au moyen de quatre pattes très courtes. Tout le monde connaît la rainette, cette petite grenouille verte qui se tient habituellement sur les feuilles des plantes aquatiques : elle pond des œufs d’où éclôt un têtard ; mais un naturaliste, M. Bavay[8], a observé une espèce des Antilles où la métamorphose s’accomplit dans l’œuf même. Celui-ci contient un têtard, muni d’une queue et de branchies, et pourtant au bout de dix jours il en sort une rainette sans queue, sans branchies et respirant par des poumons. Blumenbach avait déjà vu le même fait sur le crapaud pipa de Surinam. Ces métamorphoses, accomplies tantôt hors de l’œuf, tantôt dans l’œuf même, nous éclairent sur les métamorphoses des animaux supérieurs, qui parcourent dans le sein de leur mère les différentes phases de leur développement sériai à partir d’une classe d’animaux inférieure à celle dont ils font partie.

Tous les vertébrés aquatiques, à quelque classe qu’ils appartiennent, ont le corps allongé, cylindrique ou aplati latéralement, et des membres terminés par des extrémités en forme de nageoires. Dans certains poissons, les gymnotes, les carapes, les donzelles (ophidium), et dans les cétacés, les membres postérieurs manquent, et dans les poissons du genre des anguilles et des pétromyzons ils avortent tous ; mais, si nous voulons apprécier l’influence de l’eau, nous ne devons pas considérer des animaux complètement aquatiques tels que les cétacés ou les poissons chez lesquels une hérédité prolongée a fixé l’organisation adaptée à ce milieu ; nous devons étudier comparativement des animaux appartenant à une classe où les uns sont terrestres, les autres amphibies ou aquatiques, telles que les autres mammifères, les oiseaux, les reptiles, les mollusques et les insectes.

Il existe dans l’ordre des mammifères carnassiers un groupe de petits animaux, parfaitement naturel, connu sous le nom d’animaux vermiformes : il comprend la marte commune (mustela martes), la fouine, le putois, la belette, etc. La marte commune, effroi des poulaillers européens depuis la Méditerranée jusqu’à l’Océan-Glacial, est un animal essentiellement terrestre ; dans ce même genre se rencontre pourtant une forme aquatique tellement voisine, que Linné, Cuvier et beaucoup d’autres zoologistes la considéraient comme une espèce da genre marte ; c’est la loutre d’Europe, dont la distribution géographique est la même que celle de la marte. La loutre en effet est une marte amphibie qui se nourrit de poissons, de grenouilles, d’écrevisses, tandis que sa congénère mange les poules, les perdreaux et les petits lapins. Les deux animaux se ressemblent prodigieusement : la dentition est la même ainsi que le pelage ; tous deux, bas sur jambes, ont des membres terminés par des doigts armés d’ongles crochus ; mais, la loutre cherchant sa proie dans les eaux, ce nouveau milieu a imprimé à son organisation des différences peu apparentes à l’extérieur et néanmoins très réelles. Ainsi les doigts, libres dans la marte, sont unis par des membranes dans la loutre. La queue, au lieu d’être cylindrique, est aplatie de haut en bas comme celle d’un castor, et dans le ventre un grand sinus veineux permet au sang de s’y accumuler lorsque l’animal, plongeant sous l’eau, suspend sa respiration pendant quelque temps. La loutre est donc une marte amphibie, comme le desman est une musareigne également amphibie dont les doigts sont palmés et dont le terrier s’ouvre sous l’eau.

Dans les carnivores dits amphibies, tels que les phoques et les morses, nous trouverons l’exemple de grands animaux dont l’existence est encore plus aquatique : aussi les modifications de l’organisme sont-elles plus profondes que dans la loutre. Ces carnassiers amphibies forment la transition des mammifères terrestres aux cétacés, mammifères marins complètement incapables de se mouvoir sur un terrain solide. Lamarck[9] avait été très frappé par la vue d’un phoque vivant. Les pieds de derrière jouent pour la natation le même rôle que la nageoire caudale des cétacés et des poissons. À terre, le phoque progresse par bonds de la totalité du corps, s’appuyant seulement sur l’avant-bras, sans faire usage de ses membres comme instrumens de progression. Les extrémités postérieures sont appliquées sur les parties latérales du corps. Or l’organisation d’un phoque est celle d’un chien. La dentition est analogue, la langue lisse chez l’un et chez l’autre, le canal intestinal caractérisé par un cœcum court ; ils se nourrissent tous deux de chair, sans être exclusivement carnivores. Les doigts sont terminés par des ongles ; la douceur, l’intelligence, la sociabilité et les sentimens d’affection pour l’homme sont aussi développés chez le phoque que chez le chien[10]. Voilà pour les analogies ; mais, soit que l’on considère le chien comme une forme terrestre dérivée du phoque, ou le phoque comme une forme amphibie du chien, toujours est-il que les modifications dues au milieu aqueux sont les suivantes. Le corps du phoque est plus allongé que celui du chien, cylindroïde, beaucoup plus largo en avant qu’en arrière ; le poil est court et ras, les doigts, très longs, sont réunis par des membranes, les os du bras et de la cuisse, de l’avant-bras et de la jambe sont courts et forts, les membres postérieurs dirigés d’avant en arrière parallélement à la queue. Les narines peuvent se fermer quand l’animal plonge, et la parotide, devenue moins nécessaire, est atrophiée ; l’animal mangeant toujours dans l’eau, la sécrétion salivaire devenait superflue. Le chien de Terre-Neuve, essentiellement nageur et employé dans certains pays au sauvetage des individus en danger de se noyer, a les doigts unis à la base, et transmet à ses petits par hérédité cette conformation, indice chez tous les animaux de l’action prolongée de l’eau sur leurs extrémités digitales.

Dans les mammifères, le phoque n’est pas la dernière expression de la puissance d’un milieu liquide pour transformer un organisme animal. Chez les cétacés herbivores appelés lamentins ou vaches marines, qui habitent les grands fleuves de l’Afrique et de l’Amérique, les membres se réduisent aux deux antérieurs, les postérieurs manquent complètement ; mais la queue est transformée en une puissante nageoire dont l’action mécanique est la même que celle des extrémités postérieures des phoques et des morses. La peau, épaisse, chagrinée, est garnie de poils rares, et la bouche munie de molaires plates qui sa remplacent d’arrière en avant comme celles des éléphans. Le canal intestinal est fort long, car ces animaux se nourrissent exclusivement de plantes marines. Les lamentins sont en réalité des pachydermes qui se rattachent d’un côté aux hippopotames, et de l’autre aux cétacés souffleurs tels que les dauphins et les baleines, mammifères devenus exclusivement marins.

Dans la classification des oiseaux, on comprend habituellement sous le nom d’échassiers et de palmipèdes tous ceux dont les doigts sont plus ou moins réunis par des membranes, c’est-à-dire palmés ; mais, si l’on étudie ces animaux avec plus d’attention, on reconnaît qu’on peut les considérer comme des formes aquatiques d’autres espèces terrestres[11]. Ainsi les palmipèdes longipennes, les albatros, les frégates, les cormorans, correspondent aux grands rapaces, tels que les aigles et les vautours. Les mouettes, les pétrels, sont les analogues des faucons et des milans. Les sternes ont été appelées hirondelles de mer, tant l’analogie est évidente. entre ces deux espèces. Les hérons, les cigognes, les flamans, rappellent les autruches et les casoars. Les cygnes, les oies et les canards sont d’excellons voiliers et de parfaits nageurs, la marche seule leur est difficile. Ainsi les doigts palmés, indices d’une vie essentiellement aquatique, ne sont pas liés au reste de l’organisation, ils sont uniquement le résultat d’une natation prolongée. Voici quelques exemples : parmi les oies, l’anseranas a les doigts presque libres ; le bec-en-fourreau (chionis) est une véritable mouette, mais dont les doigts ne sont pas palmés ; la poule sultane (fulica porphyria) et la bécasse aux doigts libres ressemblent singulièrement à la macreuse et à l’avocette aux doigts palmés. La cigogne et le flamant, la grèbe et le plongeon, sont des genres très voisins : les doigts sont plus ou moins libres dans les premiers, réunis dans les seconds. Enfin les manchots sont, par rapport aux autres oiseaux, ce que les phoques et les morses sont aux autres mammifères ; étant presque entièrement aquatiques, ils présentent des modifications analogues à celles des mammifères amphibies, témoin les pingouins et les manchots ; leur corps est allongé comme celui des phoques, les membres postérieurs sont dirigés comme chez eux d’avant en arrière dans le prolongement de l’axe du corps. Chez les macareux, les ailes très réduites soutiennent encore l’animal dans les airs pendant quelques instans ; mais dans le grand pingouin et les manchots, elles deviennent complètement impropres au vol. Chez ces derniers, les plumes avortent, et ressemblent à des écailles ; l’aile n’est plus qu’une rame avec laquelle l’oiseau se meut dans les eaux. Chez le phoque, ce sont les mains, chez les manchots ce sont les ailes qui sont devenues des organes remplissant les fonctions des nageoires des poissons, et inversement chez ceux-ci, dans quelques espèces, les poissons volans par exemple, les nageoires pectorales très développées permettent à l’animal de s’élancer hors de l’eau et de décrire dans l’air une trajectoire assez longue pour échapper à ses ennemis.

Des exemples analogues abondent dans les mollusques. Ainsi nous retrouvons les mêmes formes dans les gastéropodes terrestres, et les gastéropodes aquatiques ; les premiers respirent par des poumons, les seconds par des branchies. Tout le monde connaît la limace de terre : elle respire par des poumons ; les oncidies, qui lui ressemblent prodigieusement, vivent sur les plages baignées par les flots de la mer, elles sont amphibies, et ont à la fois un sac pulmonaire et sur le dos des filamens branchiaux. Enfin les doris et les éolides, véritables limaces marines, ne respirent plus que par les branchies dont leur corps est couvert. Les colimaçons ou hélix sont également des gastéropodes pulmonaires. Les ampullaires, dont la coquille est la même, ont des poumons et des branchies et peuvent vivre à la fois dans l’air et dans l’eau ; enfin les lymnées et les planorbes sont de véritables hélix à branchies habitant les eaux douces du monde entier.

Parmi les insectes, les scarabées et les hannetons appartiennent aux coléoptères pentamères : leur vie est aérienne ; mais il existe des scarabées aquatiques, les dytisques et les hydrophiles, dont les pattes postérieures sont élargies en forme de rames. Les hémiptères qui portent le nom de punaises se divisent en géocorises ou punaises terrestres dont l’une des espèces, celle des lits, est trop connue de tout le monde, et en hydrocorises ou punaises d’eau, telles que les nepes, les ranaties et les notonectes. Dans ces insectes, l’appendice caudal, tour à tour aiguillon chez l’abeille, tarière chez l’ichneumon, crochets chez les scarabées, se convertit en un tube conduisant l’air aux stigmates, ouvertures des tubes ramifiés des trachées, qui forment le système respiratoire de l’animal.

De tous les faits qui viennent d’être énumérés, nous pouvons conclure avec Lamarck que les modifications de l’organisation des animaux aquatiques s’opèrent sous l’influence du milieu qu’ils habitent et non pas en vertu d’une harmonie préétablie entre cette organisation et le milieu dans lequel l’animal est destiné à se mouvoir.

Lamarck ne craint pas d’attribuer à l’air toute l’organisation des oiseaux, l’adhérence des poumons avec la colonne vertébrale, la perforation de ces poumons et la pénétration de l’air dans tout le corps de l’animal, et le développement des plumes, Toutes ces particularités sont pour lui le résultat des efforts faits par l’animal pour se soutenir dans un milieu aérien, la science ne possède pas encore assez de faits pour pouvoir démontrer directement chacune de ces assertions ; néanmoins elle nous fournit déjà quelques preuves qui permettent de prévoir qu’un jour la démonstration sera complète. L’illustre naturaliste avait remarqué que, chez les animaux qui vivent sur les arbres et qui s’élancent de l’un à l’autre, la répétition de cet exercice pendant une longue suite de générations amenait le développement d’une membrane en forme de parachute étendue de chaque côté du corps, depuis le membre antérieur jusqu’au membre, postérieur. Ainsi parmi les écureuils on en connaît maintenant sept espèces désignées sous le nom d’écureuils volans (pteromys), munies de ce parachute qui leur permet de se laisser choir sans danger du haut des arbres qu’ils habitent. Dans les marsupiaux frugivores, on distingue également un groupe (petaurus) de ces animaux australiens qui sont munis d’un parachute. Enfin chez le galéopothèque, animal intermédiaire entre les singes et les chauves-souris, ce parachute s’étend depuis le cou jusqu’à la queue et forme un véritable manteau ; en le déployant, le singe volant peut s’élancer d’un arbre à l’autre. Chez les chauves-souris, le même appareil existe ; il se complète par une véritable aile membraneuse : les os du métacarpe et les doigts, le pouce excepté, sont très longs ; une seconde membrane, se continuant avec le parachute, réunit ces os entre eux. L’animal ainsi organisé vole aussi longtemps et aussi rapidement qu’un oiseau.

Mais, dirait-on, ces faits n’expliquent en aucune façon le développement de l’aile munie de plumes telle que nous la voyons chez les oiseaux, Cela est vrai ; cependant nous ferons remarquer que les anciens anatomistes, de Blainville et d’autres, avaient déjà constaté l’étroite analogie qui unit les oiseaux aux reptiles, analogie justifiée dans les idées de Lamarck et de Darwin par l’hypothèse très probable que les oiseaux ne sont que des reptiles transformés. Il y a plus, l’histologie ou anatomie microscopique prouve que la plume de l’oiseau et l’écaille du reptile sont originairement identiques, et que la plume n’est qu’une écaille plus développée[12]. Déjà nous avons remarqué l’extrême ressemblance des plumes avortées des manchots avec des écailles de reptiles. Ajoutons que, parmi les reptiles, le dragon volant est soutenu par un parachute semblable à celui des écureuils et des phalangers volans. Ainsi donc, s’il est impossible, dans l’état actuel de nos connaissances, de démontrer comment l’air a pu modifier si profondément l’organisme des oiseaux, on voit poindre déjà les premiers indices lui permettront de le faire sans s’appuyer sur une adaptation préconçue de l’organe a la fonction qu’il remplit.

La lumière est indispensable aux végétaux, Sous l’influence de cet agent, la matière verte se forme, l’acide carbonique de l’air est décomposé, et le carbone, base du tissu végétal, est fixé. A l’obscurité, la plante languit, s’étiole, les entre-nœuds s’allongent, les feuilles se développent à peine, les fleurs et les fruits avortent, les mouvemens tels que ceux des feuilles de la sensitive sont abolis : aussi, quelques plantes parasites exceptées, la lumière est-elle une condition nécessaire de la vie végétale. Certaines fleurs ne s’épanouissent que sous l’action d’une lumière très vive ; telles sont celles du nelumbium de l’Inde et des bougainvillœa Brésil. Vainement on leur prodigue la chaleur dans les serres du nord de l’Europe ; elles ne fleurissent pas ou fleurissent mal, tandis que déjà dans le midi de la France, en Provence et en Languedoc, ces plantes se couvrent de fleurs tous les ans malgré une température plus basse et moins égale que celle des serres d’Angleterre ou de Hollande. Toutes les plantes sans exception cherchent la lumière ; placées dans une chambre éclairée, elles se dirigent vers les fenêtres, dans une cave obscure vers le soupirail.

La lumière est moins indispensable aux animaux : leur respiration en est indépendante, tous peuvent vivre dans une demi-obscurité, et beaucoup dans une obscurité totale ; leurs fonctions s’accomplissent, ils vivent et se reproduisent, seulement leur peau, leur sang et leurs tissus ne se colorent pas, ils s’étiolent comme ceux des plantes. Tous les animaux du nord ont des couleurs mates, sauf le blanc, qui est quelquefois très pur, surtout en hiver. Ce sont toujours les parties exposées à la lumière qui sont le mieux colorées, le dos et les flancs dans les mammifères, les oiseaux, les reptiles et les poissons. Dans les coquilles, le contraste est encore plus frappant ; celles qui vivent dans la vase ou dans la mer à de grandes profondeurs ont les couleurs ternes et uniformes.

Liée intimement à l’organe de la vue, sans lequel les animaux n’en auraient pas la perception, la lumière exerce sur cet organe une action puissante. Dans l’obscurité, les yeux des animaux s’atrophient ; à la lumière, ils se perfectionnent et s’améliorent par l’exercice. Les aigles, les vautours, les faucons, voient à des distances énormes ; c’est la vue et non l’odorat qui leur signale une proie éloignée. La direction constante de la lumière détermine même le déplacement de l’œil lorsqu’il est placé de façon à ne pas pouvoir remplir ses fonctions. En voici la preuve. Les raies sont des poissons carnivores, jouant dans les eaux le même rôle que les oiseaux de proie dans les airs ; leur corps aplati est horizontalement symétrique, et les deux yeux sont placés sur la face dorsale de la tête. Dans les pleuronectes[13], la plie, le turbot et la barbue, la symétrie est au contraire verticale, comme celle des poissons ordinaires ; mais, le corps étant aplati latéralement, ces poissons nagent sur le côté, se cachent dans le sable, couchés, la plie sur le côté gauche, le turbot sur le côté droit, et happent ainsi placés le fretin qui passe au-dessus d’eux. Dans les poissons adultes, les deux yeux sont situés l’un près de l’autre du côté de la tête qui regarde en haut ; cependant originairement, dans l’enfance, ces yeux sont l’un à droite, l’autre à gauche de la tête, comme chez les autres poissons ; mais avec l’âge l’œil situé du côté qui repose sur le sable, étant sans usage, se déplace et traverse les os du crâne pour venir faire saillie près de l’œil placé du côté éclairé de l’animal. C’est ce qui a été mis hors de doute par un zoologiste danois très distingué, M. Steenstrup[14]. Cette migration d’un organe inutile dans sa position normale, pour venir occuper une place où il puisse exercer ses fonctions, est un des faits les plus probans de l’action de la lumière sur l’économie vivante. Nous aurons la contre-partie de ce fait lorsque nous parlerons de l’influence d’une obscurité prolongée sur l’organe de la vue.

Il suffira de mentionner l’influence de la chaleur pour que le lecteur se remémore immédiatement les faits innombrables qui prouvent la puissance de cette forme du mouvement. Le sauvage qui adore instinctivement le soleil et le savant qui démontre que cet astre est la source unique de la chaleur et de la vie sur la terre en sont aussi convaincus l’un que l’autre. Tout organisme, pour se développer, pour vivre, pour se reproduire, exige une certaine température, supérieure à celle de la glace fondante ; le degré varie, mais au-dessus et au-dessous de certaines limites, fixes pour chaque espèce, tout s’arrête, tout meurt. Comparez en imagination les régions polaires, ensevelies sous un linceul de glace qui ne laisse à découvert que de petits intervalles revêtus d’une végétation uniforme de lichens, de mousses et d’herbes rabougries, avec la végétation luxuriante des contrées intertropicales où la chaleur, la lumière et l’eau conspirent pour activer les forces vitales de la plante. Là les fougères deviennent des arbres, et les arbres des géans. Comparez encore la faune terrestre des contrées arctiques, réduite à quelques animaux de couleur terne, survivans de l’époque glaciaire, et à des oiseaux voyageurs réfugiés temporairement dans ces régions reculées, avec la faune nombreuse, variée, multicolore, qui remplit en tout temps la forêt tropicale. Vers le pôle, la vie s’éteint ; elle déborde sous les tropiques. La plante même semble animée, les animaux pullulent et disputent à l’homme la possession du sol ; les uns formidables par leur taille ou les armes dont ils sont pourvus, les autres redoutables par leur nombre, semblent ligués pour l’exclure du domaine où ils se multiplient sans cesse. Aussi toutes les influences dont nous avons parlé sont-elles sans action, si la chaleur est absente. La lumière, l’atmosphère et l’eau seraient impuissantes pour faire germer et développer la plante, si la chaleur n’intervenait pas dans une mesure appropriée aux besoins de chaque espèce. Sans chaleur, l’animal périt dans le sein de sa mère ou dans l’œuf, et cette chaleur même a sa source éloignée dans le soleil. Par les rayons solaires, un des élémens de l’air est décomposé, l’autre absorbé ; la matière verte et les autres principes immédiats se déposent dans le tissu des végétaux ; ceux-ci nourrissent l’animal, dont ils maintiennent la température ; cette chaleur active les fonctions, engendre les mouvemens, préside à la reproduction et enfin à toutes les modifications organiques par lesquelles les animaux se transforment depuis la monade jusqu’à l’homme. Transformation des forces physiques, transformation des espèces organisées, même phénomène sous deux aspects, ou plutôt la première une prémisse, la seconde une conséquence. Affirmer l’une et nier l’autre est radicalement illogique. Le physicien et le naturaliste ne sauraient se contredire, et la physiologie expérimentale confirme les jugemens de l’histoire naturelle. « En modifiant les milieux nutritifs et évolutifs, a dit M. Claude Bernard, et en prenant la matière organisée en quelque sorte à l’état naissant, on peut espérer d’en changer la direction évolutive et par conséquent l’expression finale. Je pense donc que nous pourrons produire scientifiquement de nouvelles espèces organisées, de même que nous créons de nouvelles espèces minérales, c’est-à-dire que nous ferons apparaître des formes organisées qui existent virtuellement dans les lois organogéniques, mais que la nature n’a point encore réalisées. » Ainsi parle notre premier physiologiste, et l’on voit qu’il est d’accord avec Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire et Darwin, qui, en étudiant le monde organisé vivant et fossile, sont arrivés à la même conclusion. Je n’insisterai pas davantage ; il était nécessaire de prouver l’influence de l’eau, de l’air, de la lumière sur les êtres organisés ; celle de la chaleur est évidente.

III. — ORGANES ATROPHIES DEVENUS INUTILES.

S’il est vrai que l’influence de certains milieux, l’eau, l’air ou la lumière, détermine le développement des organes correspondans, qui augmentent de volume par un exercice habituel et se transmettent ainsi perfectionnés des ascendans aux descendans par voie de génération successive, il l’est également que ces mêmes organes diminuent de volume, c’est-à-dire s’atrophient ou même disparaissent, si, le milieu venant à changer, l’organe reste sans emploi. C’est ce que Lamarck[15] a parfaitement exprimé lorsqu’il a dit : « Le défaut d’emploi d’un organe, devenu constant par les habitudes qu’on a prises, appauvrit graduellement cet organe et finit par le faire disparaître et même l’anéantir. » Cette branche de l’organographie végétale et animale est connue maintenant sous le nom de dystéléologie. Aux exemples cités par Lamarck et empruntés à la baleine, au fourmilier, à l’aspalax et au protée, nous en ajouterons un grand nombre d’autres tirés des deux règnes organiques.

Les botanistes avaient apprécié avant les zoologistes l’importance de ces organes rudimentaires. De Candolle, dans la première édition de sa Théorie élémentaire de la botanique publiée en 1813, consacre un chapitre spécial à l’avortement des organes. Les épines des arbres et des arbrisseaux sont des branches avortées. Sous l’influence d’un mauvais sol, de la sécheresse ou du voisinage affamant d’un grand nombre d’autres végétaux, elles restent courtes, dures et pointues. Transportez le prunier épineux d’une haie dans un jardin, cultivez-le, fumez-le, les épines s’allongeront sous forme de rameaux feuilles et il ne s’en-produira plus de nouvelles. Il existe aussi des avortemens constans dont la cause nous échappe, mais dont la réalité est incontestable. Ainsi dans les labiées et les antirrhinées la corolle est irrégulière, ne renferme que deux ou quatre étamines et souvent un filet sans anthère représentant d’une étamine avortée ; mais que la corolle redevienne accidentellement régulière, comme cela arrive quelquefois, la cinquième étamine reparaît ; c’est l’état normal et habituel des familles voisines, les solanées et les boraginées, dont la corolle, toujours régulière, porte constamment cinq étamines. Dans les liliacées, il y a ordinairement six étamines ; le genre albuca n’en offre que trois, mais trois filets placés entre elles représentent les étamines absentes. L’ovaire de la fleur du marronnier d’Inde est à trois loges contenant six graines ; cependant nous savons dès notre enfance que dans le fruit mûr on ne trouve le plus souvent qu’une graine fort grosse, quelquefois deux, dont l’une très petite ; fort rarement trois, une grosse et deux petites : il y a donc constamment cinq, quatre ou trois graines qui avortent. Dans quelques familles de végétaux, les cactées, les orobanches, le genre lathrœa et une espèce de gesse, le lathyrus aphaca, les feuilles manquent complètement. Sur les acacia de la Nouvelle-Hollande, ce sont les folioles des feuilles composées qui avortent ; le pétiole reste seul, se dilate et prend le nom de phyllode. Les causes de ces avortemens ne sont pas toujours évidentes. Quelquefois on constate des effets de compression. Toute jeune branche de lilas est terminée par trois bourgeons, mais toujours les deux bourgeons latéraux se développent, celui du milieu resserré entre les deux autres ne s’accroît pas, et la branche se bifurque au lieu de se trifurquer. A part les avortemens dus à la compression, au développement exagéré des organes voisins ou à une nutrition insuffisante du végétal, la cause prochaine des autres nous échappe, et tient probablement à des circonstances héréditaires de végétation : ainsi les acacia à phyllodes de l’Australie ont des feuilles composées dans leur jeunesse, et l’acacia heterophylla en conserve toute sa vie un certain nombre, tandis que dans les autres espèces les folioles avortent toutes, et la feuille se réduit à un pétiole élargi, simulant les feuilles simples de nos saules indigènes.

Chez les animaux, la cause des avortemens est bien plus évidente : c’est, comme Lamarck l’avait parfaitement compris, le manque d’exercice d’un organe par suite d’un changement dans le milieu ambiant ou dans les habitudes de l’animal. Rien de plus instructif à cet égard que l’influence de la lumière sur l’organe de la vue. Un animal plongé constamment dans l’obscurité se dirige non plus au moyen de ses yeux, mais à l’aide du tact ; alors les yeux diminuent de volume, s’enfoncent dans l’orbite, sont recouverts par la peau, finissent par s’atrophier et même par disparaître. Ces dispositions se transmettent héréditairement des parens à leur progéniture, et l’on voit des espèces, munies de leurs yeux quand elles vivent à la lumière, devenir aveugles quand elles se tiennent habituellement dans l’obscurité. Ainsi dans la taupe ordinaire, animal souterrain, l’œil étant recouvert par la peau percée d’un tout petit canal oblique, la vision doit être très imparfaite. Deux espèces de spalax qui habitent la Russie méridionale, le chrysochlore du Cap et le ctenomys de l’Amérique du Sud, dont la vie est souterraine comme celle de la taupe, présentent la même organisation. On connaît des reptiles aveugles : tels sont les lézards apodes, tels que les orvets, et parmi les serpens l’acontias cœcus et les typhlops, qui vivent sous terre comme nos lombrics. Parmi les batraciens, nous citerons la grande sirène lacertine, qui habite les marais fangeux de la Caroline du sud et passe une partie de sa vie enfoncée dans la vase. Cet animal a sur la tête deux petits yeux ronds recouverts d’une peau à demi transparente. Citons encore les cécilies, dont l’organisation se rapproche tant de celle des poissons, et le protée des lacs souterrains de la Carniole. Sur vingt individus, le professeur Charles Vogt a trouvé sous la peau le globe oculaire avorté de la grosseur d’une petite tête d’épingle, mais dépourvu de muscles et de ses membranes d’enveloppe : il a pu suivre le nerf optique jusqu’au cerveau[16] ; mais le docteur Joseph a disséqué un individu chez lequel ces dernières traces de l’organe de la vision avaient disparu.

Les poissons qui vivent constamment dans des eaux souterraines deviennent également aveugles. Ce fait s’observe dans tous les ordres de cette grande classe ; ainsi, chez les salmones, l’amblyopsis des cavernes de l’Amérique du Nord a des yeux microscopiques recouverts d’une peau non transparente ; parmi les silures, nous nommerons le silurus cœcutiens, quelques anguilles (aplerichys cœcus) et les myxinoïdes parasites. Les crustacés podophthalmes sont ceux qui, à l’instar des homards et des langoustes, ont un œil pédicule, c’est-à-dire porté sur un support mobile. Quelques-uns (troglocaris Schmidtii) sont aveugles : l’œil a disparu, le support est resté. Des crustacés appartenant à la section des entomostracés vivent en parasites sur d’autres animaux ; jeunes, ils nagent librement dans l’eau et sont munis d’yeux bien conformés ; mais, lorsqu’ils se cachent sous les écailles ou s’enfoncent entre les branchies des poissons, ils se trouvent dans la condition des animaux des cavernes : les yeux, ne fonctionnant plus, s’atrophient, et l’animal devient et reste aveugle toute sa vie.

Les insectes nous offrent les exemples les plus nombreux d’espèces aveugles habitant les cavernes, tandis que leurs congénères vivant à l’air libre ne le sont pas. Parmi les coléoptères de la famille des carabiques se trouve le genre trechux : ce sont de petits animaux se tenant habituellement sous des pierres ou des amas de feuilles mortes. Dans les grottes de la Carniole, on en compte quatre, qu’on a réunies dans le genre anophthalmus, mais qui ne diffèrent des autres que par l’absence des yeux. Il en est de même des catops, dont les espèces aveugles ont été distinguées par le nom générique d’adclops. Parmi les staphylins, il existe une espèce, le lathrobium spadiceum, dont les individus, vivant à l’obscurité dans les grottes de la Carinthie, portent à la place de l’œil disparu une tache ovale derrière les antennes. On a trouvé de ces insectes aveugles dans les cavernes de tous les pays. M. de Bonvouloir[17] en énumère vingt et une espèces dans les grottes des Pyrénées ; on en a signalé un grand nombre dans les cavernes de l’Amérique du Nord ; tous appartiennent à des genres américains comme ceux d’Europe appartiennent à des genres européens. On peut, avec M. Vogt, résumer la question en disant que partout ces insectes sont caractérisés par l’absence des yeux, une coloration moindre, la mollesse relative du corps et la diminution des ailes. Des faits que nous venons de citer, il est impossible de ne pas conclure que c’est la lumière qui entretient et développe l’organe de la vision ; dans l’obscurité, celui-ci disparaît, et l’on est invinciblement amené à penser, comme Lamarck, que c’est le milieu qui maintient les organes : le milieu changeant, ils disparaissent sans retour.

Ce que nous avons dit de l’œil s’applique à tous les appareils, quelle que soit la nature des fonctions qu’ils accomplissent ; l’exercice les développe, le manque d’usage les atrophie, et ces modifications se transmettent par hérédité. Nous nous servons généralement beaucoup moins du bras gauche que du bras droit, aussi celui-ci est-il plus gros, plus lourd, et toutes ses parties, os, muscles, nerfs, artères, sont-elles plus fortes que celles du côté opposé. Le naturaliste hollandais L. Harting s’est assuré que ces différences existent déjà chez le nouveau-né qui n’a encore fait aucun usage de ses membres ; de là une tendance innée à se servir de préférence du bras droit, indépendamment de l’exemple et de l’éducation. Dans les autruches, animaux trop lourds pour pouvoir s’élever dans les airs, les jambes se sont fortifiées et allongées, les ailes ont diminué et ne font plus qu’office de voiles lorsque l’oiseau court dans le sens du vent. Chez le casoar et l’apterix, les ailes sont réduites à un rudiment inutile caché sous les plumes du corps, parce que le genre de vie de ces animaux est complètement terrestre : se nourrissant de vermisseaux et de petits reptiles, ils courent, mais ne volent pas.

On a vu que chez les oiseaux tout à fait aquatiques, tels que les manchots et les pingouins, ces mêmes ailes se sont converties en nageoires ; par contre, dans les poissons volans les nageoires pectorales ont assez d’envergure pour qu’ils puissent s’élancer hors de l’eau et se soutenir quelque temps dans l’air, afin d’échapper à leurs ennemis. Ces nageoires présagent pour ainsi dire les ailes des oiseaux et des chauves-souris. Au contraire dans les anguilles, les lamproies et les myxines, dont le corps cylindrique et allongé glisse facilement dans l’eau, les nageoires pectorales et ventrales, devenues inutiles, disparaissent, la nageoire caudale suffit seule à la natation. Dans une foule d’insectes, les ailes n’existent que chez le mâle, sont incomplètes ou avortées chez la femelle. Les mâles du papillon des vers à soie qui sont élevés dans les magnaneries n’exerçant plus leurs ailes en volant à l’air libre, celles-ci ont diminué de génération en génération, et maintenant ces mâles ont des ailes trop courtes et incapables de les soutenir ; ils battent des ailes, mais ils ne volent plus. La sélection naturelle produit les mêmes effets. Dans l’île de Madère et celles qui l’avoisinent, les insectes coléoptères sont souvent emportés par les vents et jetés à la mer où ils périssent ; ils se tiennent cachés tant que l’air est en mouvement : aussi les ailes se sont-elles amoindries. Cette disposition est devenue héréditaire, et sur 550 espèces répandues dans ces îles, il y en a 200 qui sont incapables de soutenir un vol prolongé. Sur 29 genres indigènes, 23, proportion énorme 1 se composent d’espèces aptères ou munies d’ailes imparfaites[18].

L’ensemble de ces faits fera comprendre aux personnes étrangères à l’étude des sciences naturelles pourquoi les zoologistes, quand ils veulent s’exprimer rigoureusement, disent toujours : les oiseaux volent parce qu’ils ont des ailes, et non pas : les oiseaux ont des ailes pour voler. La première proposition exprime un fait simple, évident, indiscutable. La seconde se complique d’une hypothèse téléologique, pour parler le langage des philosophes ; elle suppose une prédestination de l’animal à un certain genre de vie. L’observation nous montre au contraire que c’est le genre de vie qui détermine le développement ou amène l’atrophie des organes, qui sont actifs ou inactifs suivant les circonstances et les conditions au milieu desquelles l’animal se trouve placé. Aussi la doctrine des causés finales, si fort en vogue dans le siècle dernier, est-elle généralement abandonnée par les naturalistes penseurs de notre temps.

Continuons l’étude des organes avortés. Dans une classe d’animaux, les uns terrestres, les autres aquatiques, celle des reptiles, ce sont les pattes qui disparaissent. Les crocodiles et les lézards en ont quatre ; chez les seps, elles sont très courtes ; dans les bimanes et les bipèdes, il n’y en a plus que deux ; dans le pseudopus, elles se réduisent à de petits tubercules, dernière trace des membres postérieurs. Chez l’orvet, il n’y a plus de membres, mais on trouve sous la peau les os de l’épaule et le sternum ; enfin ces os même disparaissent dans les serpens. Cependant chez le boa on remarque encore deux os en forme de cornes, réminiscence du bassin des sauriens. Lamarck ne craint pas[19] d’expliquer cette disparition des membres par l’habitude de ramper, de se glisser sous les pierres ou dans l’herbe, qui existe déjà chez les lézards ; il fait remarquer avec raison qu’un corps aussi allongé que celui d’un serpent n’aurait pas été convenablement soutenu par quatre pattes, nombre que la nature n’a jamais dépassé dans les animaux vertébrés. Un serpent rampe à l’aide de ses côtes, devenues des organes de progression. L’allongement exagéré du corps a produit l’amoindrissement de l’un des poumons, tandis que l’autre se prolonge jusque dans le ventre. Même chez les mammifères, les plus parfaits des animaux, les organes avortés et inutiles ne sont pas rares ; ainsi la plupart de ces animaux présentent les trois types dentaires, savoir des incisives, des canines et des molaires. Geoffroy Saint-Hilaire avait déjà remarqué que chez la baleine, où les dents sont remplacées par des fanons, les germes des dents existent dans l’épaisseur de la mâchoire du fœtus ; depuis, le même savant les a retrouvés dans le bec des oiseaux. Les ruminans ont un bourrelet calleux à la place des incisives supérieures, mais le germe des dents existe dans le fœtus. Il en est de même chez les lamentins, qui n’ont point d’incisives ni en haut ni en bas : se nourrissant uniquement de plantes marines, ils n’en faisaient point usage, et ces dents ont fini par disparaître.

Je terminerai en citant les organes avortés qui existent chez l’homme, et dont il peut tous les jours constater l’inutilité ; atrophiés faute d’usage, ils semblaient être aux yeux des anciens naturalistes autant de preuves de l’unité de plan qui a présidé à la création du règne animal. De même, disaient-ils, qu’un architecte soucieux de la symétrie met de fausses fenêtres qui forment le pendant des fenêtres véritables, ou rappelle sur les ailes d’un édifice les motifs de la façade principale, de même le créateur, en laissant subsister ces organes, nous dévoile l’unité du plan qu’il a suivi. Dans les idées de Lamarck et de ses successeurs, ces organes rudimentaires n’ont point cette signification purement intellectuelle ; ils se sont atrophiés faute d’usage. La présence de ces vestiges d’organes chez l’homme, auquel ils sont inutiles, prouve seulement que son organisation se lie intimement à celle du règne animal, dont il est la dernière et la plus parfaite émanation. Nous possédons sur les côtés du cou un muscle superficiel appelé peaucier ; c’est celui avec lequel les chevaux font vibrer leur peau pour chasser les mouches qui les importunent. Chez nous, le vêtement, chez les sauvages, les corps gras, la terre ou l’argile dont ils s’enduisent le corps, rendant ce muscle inutile, il s’est tellement aminci qu’il ne peut plus imprimer à la peau le moindre mouvement. Il en est de même des muscles qui meuvent l’oreille du cheval et d’autres animaux ; nous les possédons tous, mais ils ne nous servent à rien. Placée sur les côtes et non pas au sommet de la tête, notre oreille ne saurait diriger l’ouverture de son pavillon vers tous les points de l’horizon pour recueillir les sons qui en partent. Voici d’autres exemples : les mamelles existent chez l’homme comme chez la femme ; on observe même du gonflement et de la sécrétion lactée chez quelques jeunes gens à l’âge de la puberté ; mais les fonctions de l’allaitement ont développé les seins de la femme, tandis que ceux de l’homme se sont atrophiés. On remarque à l’angle interne de l’œil une petite production de couleur rouge sans usage, c’est la trace de la troisième paupière des oiseaux de proie, qui leur permet de fixer le soleil sans fermer les yeux. — Les animaux marsupiaux, tels que les sarigues et les kangourous, sont munis d’une poche où les petits habitent pendant la période de la lactation ; cette poche est soutenue par deux os en forme de V et fermée par deux muscles. Quoiqu’il soit placé à l’extrémité supérieure de l’échelle des mammifères, dont les marsupiaux occupent les gradins inférieurs, l’homme a conservé les traces de cette disposition ; ses épines du pubis représentent les os, ses muscles pyramidaux sont les analogues des muscles qui ferment la poche marsupiale ; chez nous, ils sont évidemment sans usage. Il y a plus, ces organes rudimentaires peuvent être non-seulement inutiles, mais encore nuisibles. Le mollet est formé par deux muscles puissans qui s’insèrent au talon par l’intermédiaire du tendon d’Achille ; à côté d’eux se trouve un autre muscle long, mince, incapable d’une action énergique, le plantaire grêle. Ce muscle, ayant les mêmes attaches que les jumeaux, semble un mince fil de coton accolé à un gros câble de navire. Chez l’homme, il est sans utilité, et la rupture de ce muscle, causée par un effort pour sauter, donne lieu à l’accident douloureux connu sous le nom de coup de fouet, et dont la guérison nécessite un repos prolongé. Chez le chat et les animaux du même genre, le tigre, la panthère, le léopard, ce muscle est aussi fort que les deux jumeaux, et rend ces animaux capables d’exécuter des bonds prodigieux quand ils s’élancent sur leur proie. Autre exemple : dans les herbivores, le cheval, le bœuf et certains rongeurs, le gros intestin présente un grand appendice en forme de cul-de-sac, appelé cœcum, qui se rattache au régime exclusivement herbivore de ces animaux ; chez l’homme, dont la nourriture n’est pas exclusivement végétale, le cœcum se réduit à un petit corps cylindrique dont la cavité admet à peine une soie de sanglier ; c’est l’appendice vermiforme. Inutile à la digestion, puisque les alimens n’y pénètrent pas, il devient un danger, si par hasard un corps dur tel qu’un pépin de fruit ou un fragment d’arête de poisson vient à s’y introduire ; le cas arrive, et il en résulte d’abord une inflammation, puis la perforation du canal intestinal, accidens suivis d’une péritonite souvent mortelle. D’autres fois cet appendice, contournant une anse intestinale qu’elle enserre, produit un étranglement interne presque toujours fatal. La science a déjà enregistré dix-huit cas de ce genre, vérifiés par l’autopsie.

Dans tous les quadrupèdes, la moelle épinière, organe central du système nerveux, est enfermée jusqu’à son extrémité dans un canal osseux formé par la colonne vertébrale. Chez l’homme, dont la station est verticale, le poids des organes renfermés dans le ventre portant sur les vertèbres qui composent l’extrémité inférieure de l’os appelé sacrum, ces vertèbres se sont élargies, et ne sont plus soudées dans leur partie postérieure. Il en résulte que l’extrémité de la moelle épinière n’est pas renfermée dans un canal osseux complet : elle est seulement protégée en arrière par une membrane fibreuse et par la peau. Or dans les maladies prolongées, telles que les fièvres typhoïdes, où le malade reste longtemps couché sur le dos, cette peau s’enflamme, s’excorie, s’ulcère, et l’inflammation, se propageant aux enveloppes de la moelle, détermine des méningites rachidiennes presque toujours mortelles[20]. La fissure du sacrum est donc une disposition anatomique particulière à l’homme qui compromet la vie d’un grand nombre de malades.

Ces exemples pour ainsi dire personnels doivent suffire pour montrer le rôle et la signification des organes atrophiés. Chez l’homme et chez les mammifères supérieurs, ces rudimens sont une réminiscence de l’organisation d’un animal placé plus bas dans l’échelle des êtres ; mais dans les animaux inférieurs ils sont quelquefois l’indication d’un perfectionnement futur. Ainsi les traces des membres chez l’orvet et le pseudopus précèdent le développement de ces membres dans les lézards et les tortues. Le pouce des galagos et des tarsiers annonce l’apparition de la main parfaite des singes et de l’homme. En un mot, le règne animal tout entier, vivant et fossile, nous présente les mêmes phénomènes que l’évolution embryonnaire où l’animal, partant de la cellule, complète peu à peu son organisme et s’élève graduellement jusqu’à l’échelon occupé par les deux êtres qui lui ont donné naissance. Cette évolution se manifeste également dans la série des animaux dont les couches géologiques nous ont conservé les restes. Les plus anciennes ne contiennent que des invertébrés et des poissons : les reptiles, les oiseaux et les mammifères apparaissent successivement dans leur ordre hiérarchique, et l’homme termine enfin cette série ascendante. Toutes les mythologies en ont prévu la continuation en imaginant les anges, êtres plus parfaits que l’homme, intermédiaires entre lui et son créateur.


IV. — AUTRES TRAVAUX DE LAMARCK.

Nous avons essayé, dans les pages qui précèdent, de réunir les preuves les plus frappantes accumulées par la science moderne à l’appui des deux grandes vérités que Lamarck a mises en lumière le premier, savoir : 1° l’influence du milieu comme cause principale des modifications de l’organisme, 2° la transmission de ces modifications par voie d’hérédité. La géologie prouvant que les milieux ont changé, il en résulte que les espèces sont des formes temporaires et non des êtres définitifs et immuables. Il en résulte également que l’espèce, dans le sens que Linné et Cuvier attachaient à ce mot, n’existe pas. Lamarck a pleinement accepté les conséquences de ces prémices ; il conçoit[21] que les êtres les plus rudimentaires se soient formés par génération spontanée, c’est-à-dire par la combinaison de corps simples tels que le carbone, l’azote, l’oxygène et l’hydrogène, la volonté du sublime auteur de toutes choses[22] les ayant doués de la propriété de se modifier, de se perfectionner de façon qu’on puisse considérer le règne organique comme une prodigieuse évolution accomplie dans une série de siècles incalculable, et il ajoute éloquemment[23] : « Peut-on douter que la chaleur, cette mère des générations, cette âme matérielle des corps vivans, ait pu être le principal des moyens qu’emploie directement la nature pour opérer sur des matières appropriées une ébauche d’organisation, une disposition convenable des parties, en un mot un acte de vitalisation analogue à celui de la fécondation ? » Lavoisier, de son côté, avait dit : « Dieu, en apportant la lumière, a répandu sur la terre le principe de l’organisation, du sentiment et de la pensée[24]. » La lumière et la chaleur agissant presque toujours simultanément, Lamarck et Lavoisier sont parfaitement d’accord entre eux.

Dans les dix dernières années, des sondages faits dans l’océan à des profondeurs de 4,000 et même de 8,000 mètres par des zoologistes anglais ont amené la découverte d’une substance gélatineuse recouvrant les-pierres et le fond de la mer, à laquelle Huxley a donné le nom de bathybius Hœckelii. Cette substance, lorsqu’elle est divisée, forme de petites masses composées uniquement d’albumine, sans aucune trace d’organisation, mais possédant la faculté de se nourrir et de s’accroître en englobant les infusoires microscopiques qui s’accolent à elle et de se mouvoir au moyen de prolongemens digitiformes. Cet être, le plus simple que l’on connaisse aujourd’hui, semble avoir réalisé la conception de Lamarck. L’origine en est inconnue ; mais il serait possible que cette substance se produisît par voie de génération spontanée sous les énormes pressions auxquelles elle est soumise. En effet, les expériences modernes ont prouvé qu’il n’y a point eu de génération spontanée là où l’on avait cru constater ce phénomène, mais elles n’ont nullement démontré que la génération spontanée soit impossible avec le concours d’un ensemble de circonstances qui n’ont point encore été réalisées dans nos laboratoires.

Si tous les êtres animés sont sortis d’une souche commune, les rapports, les relations que nous observons entre eux, sont la conséquence nécessaire d’une même origine et non pas la preuve d’un plan préconçu d’avance ; par conséquent les classifications, même celle dite naturelle, constituent, suivant l’expression de Lamarck, les parties de l’art[25] dans la science des êtres organisés. En effet, les genres, les familles, les ordres, les classes, les embranchemens, ne sont jamais limités naturellement, il y a toujours des passages insensibles entre eux. C’est l’idée d’une chaîne animale déjà formulée nettement par Aristote lorsqu’il disait[26] : « La nature passe d’un genre et d’une espèce à l’autre par des gradations imperceptibles, et depuis l’homme jusqu’aux êtres les plus insensibles, toutes ses productions semblent se tenir par une liaison continue. » Un grand zoologiste, de Blainville, sans partager toutes les opinions de Lamarck, a été jusqu’à la fin de sa vie le défenseur le plus convaincu et le plus autorisé de la chaîne animale. Lamarck a même figuré d’une manière synoptique la filiation du règne animal, d’abord dans sa Philosophie zoologique, t. II, p. 424, et ensuite dans l’Introduction au système des animaux sans vertèbres, t. Ier, p. 320. Ces tableaux ont été perfectionnés depuis par M. Hæckel dans son Histoire naturelle de la création[27]. La paléontologie et l’embryologie, qui n’existaient pour ainsi dire pas à l’époque où Lamarck écrivait, sont venues corroborer les enseignemens de la faune et de la flore actuelles. L’évolution organique, l’évolution paléontologique et l’évolution embryologique étant parallèles, cet accord est une preuve sans réplique de la solidité du dogme de l’évolution substitué à celui de la création successive de chaque être vivant en particulier, telle que la concevait Linné.

Goethe, contemporain de Lamarck, était pénétré des mêmes idées. Néanmoins on ne trouve dans ses écrits aucune preuve qu’il ait connu ses ouvrages. Des observations personnelles, fécondées par un puissant esprit de synthèse, l’avaient amené à des conclusions fort semblables à celles du célèbre naturaliste français. Ainsi disait-il : « Une similitude originaire est la base de toute organisation. La variété des formes résulte des influences extérieures, et, pour expliquer les variations constantes ou accidentelles du type primitif, on est forcé d’admettre une diversité virtuelle originaire et une transformation continue. »

Dans son Histoire naturelle de la création, M. Hæckel proclame avec raison Goethe, Lamarck et Darwin comme les fondateurs de l’histoire naturelle moderne. Goethe a formulé les principes généraux, conçu le type ostéologique des animaux supérieurs et appliqué l’idée de la métamorphose aux organes si variés des végétaux. L’influence des milieux sur l’organisme et la transmission par l’hérédité appartiennent à Lamarck ; la théorie de la sélection naturelle à Darwin et à Wallace. Lamarck l’avait pressentie. Il décrit très nettement[28] la lutte pour l’existence, et démontre que ce sont les animaux les plus forts qui survivent aux autres ; mais il n’avait pas aperçu les conséquences infinies de ce principe et le rôle immense qu’il joue dans la nature : il s’applique aux sociétés humaines comme aux tribus animales. L’homme, abusant de sa supériorité, ne se contente pas de détruire les animaux qui lui sont nuisibles et de sacrifier ceux qui lui sont utiles ; il tourne ses armes contre lui-même, tue son semblable, et des milliers d’êtres humains périssent dans l’intérêt de quelques individus privilégiés dont la vie n’est jamais compromise en ces luttes sanglantes.

Comme classificateur, Lamarck laissera dans la science un nom comparable à ceux de Linné, de Cuvier et de Jussieu. C’est lui qui en 1794 établit[29] la division fondamentale des animaux en deux embranchemens, les vertébrés et les invertébrés. Plus tard, en 1799, il sépara[30] les crustacés des autres animaux articulés, avec lesquels ils étaient confondus. En 1800, il distingua les arachnides des insectes ; enfin en 1802, il délimita la classe des annélides, dont Cuvier venait de faire connaître l’organisation, et montra que les cirrhipèdes différaient des mollusques[31] et se rapprochaient des crustacés. Le premier aussi, il fit voir que les batraciens[32], quoique munis de pattes, sont beaucoup plus voisins des poissons que les serpens, qui en sont dépourvus. Toutes ces divisions, tous ces rapprochemens ont été sanctionnés par les zoologistes modernes, dont les travaux ont tant ajouté à la science des classifications.


V. — PHYSIOLOGIE PSYCHOLOGIQUE DE LAMARCK.

« Il n’y a nulle différence dans les lois physiques par lesquelles tous les corps qui existent se trouvent régis, mais il s’en trouve une considérable dans les circonstances où les lois agissent[33]. » En parlant ainsi, Lamarck définissait d’avance la physiologie moderne, dont les progrès incessans nous démontrent chaque jour l’identité des forces physiques avec les forces que l’on en distinguait autrefois sous le nom de vitales. Celles-ci ne sont que des forces physiques agissant au sein de l’organisme sous l’influence des agens extérieurs. Abordant le phénomène de la sensation, Lamarck, d’accord avec Condillac, reconnaît l’impression reçue comme cause excitatrice du mouvement, de la sensation et des idées, suivant la perfection du système nerveux de l’animal impressionné. Dans les animaux les plus inférieurs, doués d’un système nerveux rudimentaire, l’impression venant de l’extérieur se traduit par des mouvemens ; chez d’autres plus parfaits, elle produit en outre une sensation ; enfin chez les animaux supérieurs, doués d’une moelle épinière et d’un cerveau, la sensation perçue aboutit à la formation des idées, œuvre de l’intelligence. Lamarck, en admettant des mouvemens indépendans de la volonté, a entrevu les phénomènes connus aujourd’hui sous le nom d’actions réflexes et parfaitement expliqués par les connexions des nerfs entre eux. Ce sont des phénomènes où une impression extérieure se traduit par un mouvement ou un autre effet, sans intervention de la volonté. Telle est par exemple la marche, qui, une fois commencée, s’opère automatiquement et se continue quelquefois même dans le sommeil. Lamarck admettait également l’existence d’un fluide nerveux transmettant au cerveau les impressions du dehors, et les ordres de la volonté du cerveau aux différentes parties du corps soumises à son empire ; il avait prévu[34] la distinction des nerfs en nerfs du sentiment et nerfs du mouvement, distinction confirmée depuis expérimentalement par Walker, Ch. Bell, J. Müller, Longet et Brown-Sequard. Ces physiologistes ont prouvé que ces nerfs communiquent avec la moelle épinière par des racines distinctes ; les uns sont uniquement sensitifs, c’est-à-dire aptes à transmettre les impressions extérieures ; les autres exclusivement moteurs, c’est-à-dire capables de produire le mouvement, soit par action réflexe, soit en transmettant les ordres de la volonté. Ainsi la langue reçoit deux nerfs principaux, le glosso-pharyngien, par lequel le cerveau perçoit les impressions tactiles et celles que les substances sapides produisent sur l’organe du goût, et le nerf hypoglosse, qui provoque les mouvemens que la langue exécute pendant l’acte de la mastication et l’exercice de la parole. Des impressions répétées, ajoute Lamarck, suivies des mouvemens qui en sont la conséquence sans intervention de la volonté, engendrent les habitudes ou le penchant aux mêmes actions qu’on observe chez les animaux[35]. L’homme lui-même, malgré son intelligence et sa spontanéité, est soumis à ces influences. Le grand mathématicien Laplace, analysant les causes des actions humaines, était arrivé aux mêmes conclusions que le naturaliste Lamarck, lorsqu’il a dit[36] : « Les opérations du sensorium et les mouvemens qu’il fait exécuter deviennent plus faciles et comme naturels par de fréquentes répétitions. De ce principe psychologique découlent nos habitudes. En se combinant avec la sympathie, il produit les coutumes, les mœurs et leurs étranges variétés ; il fait qu’une chose généralement reçue chez un peuple est odieuse chez un autre. » Laplace, comme Lamarck, admet l’hérédité de ces habitudes que l’on désigne vulgairement sous le nom d’instinct lorsqu’il dit : « Plusieurs observations faites sur l’homme et sur les animaux, et qu’il est bien important de continuer, portent à croire que les modifications du sensorium auxquelles l’habitude a donné une grande consistance se transmettent des pères aux enfans par voie de génération comme plusieurs dispositions organiques. Une disposition originelle à tous les mouvemens extérieurs qui accompagnent les actes habituels explique de la manière la plus simple l’empire que les habitudes enracinées par les siècles exercent sur tout un peuple et la facilité de leur communication aux enfans lors même qu’elles sont le plus contraires à la raison et aux droits imprescriptibles de la nature humaine. » Cette transmission des habitudes et des idées des parens aux enfans est désignée maintenant sous le nom d’atavisme. L’influence de ces habitudes et de ces penchans héréditaires se traduit, comme le dit Laplace, dans les mœurs des peuples et entretient la lutte des partis qui les divisent. Comment s’étonner, lorsqu’on est convaincu de la puissance de ces habitudes, que des hommes bien nés, bien doués, intelligens, honnêtes et sincères, ne puissent s’en dégager pour accepter un ordre de choses nouveau imposé par la nécessité et justifié par la raison ? Ainsi en France, depuis une longue série de générations, les habitudes et les idées monarchiques se sont incrustées pour ainsi dire dans le cerveau d’un grand nombre d’hommes au point d’être devenues une seconde nature, un instinct profond et irrésistible, que je ne craindrai pas de désigner sous le nom d’atavisme monarchique. L’étude critique, froide et impartiale des faits politiques et sociaux peut seule contre-balancer et modifier les obsessions de l’atavisme. Le chef actuel de l’état est un exemple à jamais mémorable de cette victoire du bon sens, de l’observation et de l’expérience sur un instinct acquis et héréditaire.

Dans les animaux invertébrés, Lamarck, comme on l’a vu, n’admet pas de mouvemens volontaires, il ne conçoit que des mouvemens provoqués par des impressions extérieures que les nerfs transmettent au sensorium général. L’organe central où elles viendraient toutes aboutir n’existe pas chez eux. L’organisation de ces animaux est comparable à celle d’un pays doté d’un réseau télégraphique, mais dépourvu d’une station centrale : les nouvelles circulent ; il en résulte pour la nation une connaissance générale des événemens qui se passent à l’étranger, mais, les fils ne convergeant pas tous vers un centre commun, ces impressions générales ne se manifestent que par des mouvemens réflexes non coordonnés entre eux, et nullement par des actes déterminés, résultat d’une volonté unique, résumant et traduisant les volontés collectives de la nation, en un mot par des actes émanés d’un gouvernement. Cet organe central qui recueille toutes les sensations et d’où partent les ordres de la volonté, c’est le cerveau, qui n’existe que chez les animaux vertébrés. La volonté est le résultat d’une détermination ; cette détermination elle-même suppose un jugement, le jugement une comparaison des sensations reçues, c’est-à-dire une série d’idées, en d’autres termes l’intelligence. L’intelligence et la volonté, suivant Lamarck, sont donc intimement liées entre elles, et, comme Locke et Condillac, Lamarck professe[37] qu’il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été auparavant dans la sensation. Pour lui, les actes que l’on a voulu attribuer à des idées innées : l’enfant qui va chercher le sein de sa mère, le canard qui, en sortant de l’œuf, entre dans l’eau, tandis que le poulet s’en éloigne, sont des habitudes héréditaires transmises par voie de génération, et non par des actes de volonté résultant d’idées innées. Lamarck désigne sous le nom d’hypocéphale l’organe siège de l’intelligence et de la volonté, c’est-à-dire les deux hémisphères du cerveau, qui sont d’autant plus développés et d’autant plus lourds que l’animal est plus élevé dans l’échelle animale. L’intelligence est en raison directe du volume et du poids de cette partie du cerveau ; mais cette intelligence, pour se manifester, a besoin d’être éveillée, cultivée, exercée, perfectionnée. « Chaque individu, dit Lamarck[38], depuis l’époque de sa naissance se trouve dans un concours de circonstances qui lui sont tout à fait particulières, qui contribuent en très grande partie à le rendre ce qu’il est aux différentes époques de sa vie, et qui le mettent dans le cas d’exercer ou de ne pas exercer telle de ses facultés et telle des dispositions qu’il avait apportées en naissant ; en sorte qu’on peut dire en général que nous n’avons qu’une part bien médiocre à l’état où nous nous trouvons dans le cours de notre existence et que nous devons nos goûts, nos penchans, nos habitudes, nos passions, nos facultés, nos connaissances même aux circonstances infiniment diversifiées, mais particulières, dans lesquelles chacun de nous s’est rencontré. »

Un chapitre sur l’entendement termine la philosophie zoologique de Lamarck. Sans se dissimuler qu’il quitte le terrain des faits d’observation sur lequel repose la biologie proprement dite, il essaie d’analyser le mécanisme de la formation des idées. Le premier acte nécessaire est l’attention ou une préparation de l’organe intellectuel à recevoir des sensations que Lamarck désigne sous le nom de sensations remarquées. Ce qu’on appelle vulgairement distraction exprime un état de l’organe cérébral qui n’est pas préparé à recevoir une sensation. La pensée est une action qui s’exécute dans l’organe de l’intelligence[39], et l’énergie en est subordonnée à l’état des forces et de la santé générale de l’individu. L’imagination consiste dans la combinaison des pensées et la création d’idées nouvelles. C’est cette faculté, dit Lamarck, qui dans les sciences peut nous égarer. « Cependant, ajoute-t-il, sans imagination point de génie et sans génie point de possibilité de faire des découvertes autres que celles des faits, mais toujours sans conséquences satisfaisantes. Or, toute science n’étant qu’un corps de principes et de conséquences convenablement déduits et observés, le génie est absolument nécessaire pour poser ces principes et en tirer ces conséquences ; mais il faut qu’il soit dirigé par un jugement solide et retenu dans les limites qu’un haut degré de lumière peut seul lui imposer. » En parlant ainsi, Lamarck caractérisait parfaitement l’étude de la nature telle qu’il l’avait conçue et telle qu’elle réapparaît après une éclipse de près d’un demi-siècle ; non que ces cinquante années aient été perdues pour la science, il n’y en eut jamais de plus fécondes : elles ont été employées à réunir, à coordonner, à discuter les faits sur lesquels on peut enfin édifier une synthèse plus générale que celle qui était possible à une époque où l’on avait à peine entr’ouvert le livre de la nature.

Après la pensée, la mémoire est la plus importante et la plus nécessaire des facultés intellectuelles, puisqu’elle nous permet de comparer des idées acquises antérieurement avec celles qui naissent actuellement dans notre esprit. Grâce à ces trois facultés fondamentales, l’attention, la pensée et la mémoire, nous pouvons formuler des jugemens qui sont des produits de l’intelligence, des motifs déterminans de notre volonté, c’est-à-dire de nos actions. La raison n’est autre chose qu’un degré acquis dans la rectitude des jugemens, c’est le point culminant des actes de l’entendement.

Telle est en peu de mots la psychologie de Lamarck. Il a été accusé de matérialisme parce qu’il s’est tenu strictement sur le terrain des faits et de l’observation sans chercher à remonter au-delà pour expliquer des phénomènes dont il ne pouvait pas se rendre compte. Il est toujours très circonspect, très réservé dans ses conclusions, et ne tranche pas des questions qui ne peuvent être décidées encore. Que répondre à cette accusation ? Matérialisme, spiritualisme sont des mots vides de sens qu’il serait temps de bannir du langage rigoureux. Qu’est-ce que la matière ? Il est impossible de la définir. Qu’est-ce que l’esprit ? Autre énigme insoluble. Ces mots, pris pour point de départ de doctrines qu’on oppose l’une à l’autre, engendrent des discussions oiseuses qui ne sauraient aboutir. Observons, étudions, comparons : peu à peu la lumière se fera d’abord sur les phénomènes du monde inorganique, puis sur ceux des êtres vivans ; enfin, mais dans un avenir lointain, ceux de l’ordre intellectuel seront expliqués à leur tour.

Notre tâche est finie. Nous avons cherché à réhabiliter un naturaliste français qui, célèbre par ses travaux descriptifs en botanique et en zoologie, n’était pas apprécié à sa juste valeur comme philosophe synthétique en histoire naturelle. Venu trop tôt, il n’a été qu’un précurseur ; mais depuis sa mort la science a grandi, elle s’est prodigieusement enrichie, et les faits accumulés ont confirmé des généralisations qui ne pouvaient être comprises par ses contemporains. L’heure de la justice a sonné, et la gloire posthume de Lamarck jette un éclat inattendu sur la France ; grâce à lui, elle peut revendiquer une part notable dans le mouvement déjà irrésistible qui transformera la science des êtres organisés.


CHARLES MARTINS.

  1. Une seconde édition de cette Flore française, publiée en 18156 par de Candolle, est encore l’ouvrage capital pour la connaissance des plantes de notre pays.
  2. Hydrogéologie, p. 72.
  3. Voyez la Revue du 15 décembre 1868.
  4. Settegast, die Thierzucht, p. 60 et pl. I.
  5. Voyez Delessert, Icônes selectœ, t. III, fig. 99.
  6. Duval-Jouve, De quelques joncs à feuilles cloisonnées, 1872.
  7. Voyez Ch. Martins, Mémoire sur les racines aérifères ou vessies natatoires des espèces aquatiques du genre Jussiœa (Mém. de l’Acad. de Montpellier, L. VI, p. 353, 1866).
  8. Sur l’Hylodes martinicensis (Revue des sciences naturelles, t. Ier, p. 281,1872).
  9. Additions, t. II, p. 413.
  10. Voyez à ce sujet Blasius, Saügethiere Deutschlands, p. 250.
  11. Lamarck, t. Ier, p. 248.
  12. Voyez Gegenbaür, Vergleichende Anatomie, p, 585.
  13. Lamarck, t. Ier, p. 251.
  14. Observations sur le développement des pleuronectes (Annales des sciences naturelles, 5" série, t. II, p. 253, 1854).
  15. Philosophie zoologique, t. Ier, p. 240.
  16. Vom adriatischem Küstenlande (Illustrirte deutsche Monatshefte, 1870).
  17. Bulletin de la Société Ramond, t. Ier, p. 131.
  18. Darwin, Origine des espèces, p. 153.
  19. Tome Ier, p. 244.
  20. P. Broca, Revue anthropologique, t. Ier, p. 590.
  21. Tome Ier p. 214.
  22. Tome Ier p. 74, et t. II, p. 57.
  23. Tome II, p. 76.
  24. Traité de chimie, t. Ier, p. 202.
  25. Tome Ier p. 38.
  26. Historia animalium, lib. VIII, cap. I, et Voyage du jeune Anacharsis, t.V, p. 344.
  27. Voyez cet ouvrage et la Revue du 15 décembre 1871.
  28. Tome Ier, p. 113.
  29. Tome Ier p. 130.
  30. Tome Ier p. 176.
  31. Tome Ier p. 179.
  32. Tome Ier p. 163.
  33. Tome II, p. 89.
  34. Tome II, p. 239.
  35. Tome II, p. 291.
  36. Théorie des probabilités, p. 233 et suivantes.
  37. Tome II, p. 320.
  38. Tome II, p. 334.
  39. Tome II, p. 368.