Un Manifeste de politique libérale

Un Manifeste de politique libérale
Revue des Deux Mondes3e période, tome 56 (p. 402-429).
UN MANIFESTE
DE
POLITIQUE LIBÉRALE

Dieu, Patrie, Liberté, par M. Jules Simon, 1 vol. ; Paris, 1883, Calmann Lévy.

« Nous sommes dans le parlement, dit M. Jules Simon au début de son nouveau livre, une trentaine, peut-être un peu plus, qui, très peu soucieux de nous charger des premiers rôles, très partisans de la discipline quand elle est nécessaire, très disposés à recevoir l’impulsion de nos amis politiques plus militans, avons été obligés, par notre raison et notre conscience, et aussi par fidélité à notre passé, de nous séparer d’eux momentanément, à l’occasion de la loi sur l’enseignement supérieur. » Ce petit groupe parlementaire, au nom duquel M. Jules Simon adresse à l’opinion publique un éloquent manifeste, est ce qui reste aujourd’hui d’un grand parti qui, à plusieurs reprises, dans les crises les plus graves de notre histoire contemporaine, a eu une influence décisive sur les destinées de la patrie. Il représente ce parti de libéralisme modéré qui a joué le principal rôle dans la phase la meilleure, mais malheureusement la moins durable, de nos révolutions successives, en 1789, en 1830, en 1848, en 1871. M. Jules Simon est aujourd’hui, après la disparition de M. Thiers et de M. Dufaure, la personnification la plus brillante et la plus complète de ce parti du « centre gauche, » pour lui donner son nom historique[1]. Il en a, au degré le plus éminent, l’esprit de conciliation, l’éloignement pour toute passion de sectaire, pour toute exagération dans le langage et toute violence dans les actes, en un mot, ce juste sentiment des nuances et ce respect de tous les intérêts légitimes où se reconnaît une politique honnête et sensée. Il est l’homme des transactions nécessaires, et nul ne sait mieux les faire accepter par cette éloquence insinuante, faite de souplesse et de grâce, qui a le don si rare de trouver les argumens et les accens les plus propres à convaincre des adversaires, plutôt que les mouvemens oratoires destinés à soulever les applaudissemens d’une foule convaincue d’avance. Il n’a point l’infatuation de l’infaillibilité : il sait reconnaître franchement et de bonne grâce ses erreurs passées, par exemple cette injuste défiance pour les armées permanentes, qu’il partageait avec la plupart des libéraux avant les leçons de la défaite; mais il est aussi, quand il le faut, l’homme des fermes convictions, fidèlement et courageusement soutenues contre tous les entraînemens et toutes les défaillances. Le défenseur inébranlable de la liberté d’enseignement en 1879 était, trente ans auparavant, le rapporteur du premier et du seul projet de loi qui donnât à la liberté d’enseignement toutes ses garanties, sans rien sacrifier des droits essentiels de l’état. L’orateur qui a lutté avec tant d’énergie, en 1881, pour le maintien du nom de Dieu dans les lois scolaires, applaudissait, en 1848, à l’introduction du nom de Dieu dans la constitution républicaine[2]. Et chez M. Jules Simon, — il n’est pas hors de propos de le rappeler en face de tant de calomnies si facilement accueillies par les esprits légers ou prévenus, — le courage a toujours été égal à la fermeté des convictions. On glorifie à juste titre le trait de ce député qui vint réclamer son incarcération après le coup d’état du 2 décembre, en sa double qualité de représentant du peuple et de professeur de droit. L’ancien membre d’une assemblée dispersée par la force, le professeur de droit qui avait protesté si noblement au nom de la légalité violée, ne se crut pas cependant coupable d’une capitulation de conscience en remontant dans sa chaire sous le régime du coup d’état. Ce n’est pas moi qui lui en ferai un crime et qui y verrai une diminution de son acte de courage; mais ce n’est pas faire injure à une mémoire universellement et justement respectée que d’admirer un courage plus haut chez cet autre professeur, non de droit, mais de philosophie, qui, le premier jour, invoque dans sa chaire la justice éternelle contre le triomphe de la force et, le lendemain, renonce par un refus de serment à une carrière où des succès toujours grandissans lui promettaient un magnifique avenir. M. Jules Simon ne donnait pas une moins grande preuve de courage lorsque, vingt ans plus tard, à l’heure la plus douloureuse de notre histoire, il intervenait seul, au nom du gouvernement légal et du salut de la patrie, près d’un dictateur tout-puissant, enflammé jusqu’à la fureur, suivant le mot de M. Thiers, par un patriotisme mal entendu, et disposant à la fois d’une armée créée par lui et des masses populaires toutes remplies de son enthousiasme fanatique. Et, à l’heure actuelle, faut-il un moindre courage pour braver, par fidélité aux principes de toute une vie de philosophe et d’homme politique, les accusations de trahison, d’ambition éhontée, de connivence avec d’anciens adversaires, et, pour supporter sans faiblir, non-seulement la perte d’une popularité dignement conquise, mais, ce qui est la plus cruelle blessure, l’abandon d’anciens et chers amis? Si de tels exemples avaient été plus fréquens dans le parti libéral, s’il ne s’était pas constamment affaibli par ses concessions aux partis extrêmes, il n’aurait pas vu les plus déplorables avortemens succéder sans cesse à ses plus éclatans triomphes.

Nous nous proposons de retracer, d’après M. Jules Simon, l’histoire de ces triomphes et de ces avortemens et d’essayer d’en tirer la leçon. Nous ne nous renfermerons pas toutefois dans le cadre plus restreint de son livre. Sauf dans le dernier chapitre, où il fait le « bilan » des fautes et des périls du temps présent, il s’est surtout attaché aux questions de liberté d’enseignement et de liberté religieuse, qui ont réduit le centre gauche libéral à ce petit groupe de trente ou quarante membres des deux chambres, que l’on flétrit du nom de « dissidens. » Nous embrasserons dans cette étude les principales questions qui, depuis 1789 jusqu’à nos jours, ont tour à tour réuni dans de généreux et féconds efforts et divisé, par l’effet de funestes entraînemens, ceux qui se sont honorés du double titre de modérés et de libéraux.


I.

On a dit, il y a longtemps, et on se plaisait encore à répéter, il y a très peu d’années : « La France est centre gauche. » Si le mot a pu être vrai, il faut avouer que les événemens n’ont jamais cessé de lui infliger de cruels démentis. Il y avait déjà, sinon de nom, du moins de fait, un centre gauche en 1789 : c’étaient ces esprits tempérés, sagement libéraux, qui avaient épousé franchement et sans arrière-pensée la cause de la révolution, mais qui répugnaient à la suivre dans ses excès. Ils sont les héros de la première heure ; tout se fait par leurs conseils et leur popularité est immense; mais quelques mois se sont à peine écoulés qu’ils se sentent dépassés dans l’assemblée nationale et dans le pays. Plusieurs se découragent et quelques-uns émigrent; ceux qui restent et qui ont la force de ne pas trahir leurs convictions n’ont plus aucun rôle, et la foule n’a pour eux que des malédictions. D’autres suivent le torrent, et ils ne s’arrêteront plus. Tel cet évêque Gobel qui, d’abord, s’oppose avec énergie à la constitution civile du clergé, puis se résigne, non-seulement à l’accepter, mais à en bénéficier en se faisant nommer archevêque de Paris, et, après être devenu membre de la convention et en avoir partagé tous les excès, finit par une renonciation publique à sa foi de chrétien et à son titre épiscopal, sans réussir, par tant de lâcheté, à se sauver de l’échafaud. Il faut lire, dans le livre de M. Jules Simon, le récit de cette série d’erreurs et de faiblesses qui, d’une première atteinte à la liberté religieuse, inspirée par des intentions parfaitement avouables, ont conduit en peu d’années aux plus horribles persécutions. L’assemblée constituante, en très grande majorité, professait un respect sincère pour la foi catholique et croyait même lui rester fidèle ; elle ne voulait que soustraire le clergé national aux influences ultramontaines et l’associer à l’œuvre de la révolution sans toucher aux dogmes mêmes de l’église. Les promoteurs de la constitution civile étaient des chrétiens convaincus, presque des théologiens, versés dans toutes les subtilités du droit canon. On sait quel fut le résultat immédiat de cette tentative pour fonder à jamais, comme on disait déjà, « l’unité morale de la France : » la division du clergé et de la France elle-même en deux camps, animés des passions les plus violentes ; l’irritation croissante de la foule contre les prêtres insermentés, désignés à ses colères comme les ennemis implacables des nouvelles institutions ; le clergé constitutionnel, objet de mépris dès l’origine pour beaucoup de ses partisans, voué bientôt aux mêmes haines que le clergé réfractaire; la proscription sous toutes ses formes, pour cause d’attachement à l’ancien culte et à la foi séculaire du pays; l’athéisme d’Hébert et de Chaumette, acclamé un instant, avec la complicité de plus d’un transfuge du clergé séculier ou régulier, et enfin l’Etre suprême de Robespierre s’imposant à la nation éperdue comme un commencement de réaction. Voilà où en était venue en 1794, pour une première déviation des principes de liberté, la France libérale de 1789.

On aurait eu peine à trouver un centre gauche dans l’assemblée législative : les anciens constitutionnels en formaient la droite. S’il y a un centre gauche dans la convention, il s’appelle la plaine, quand il ne s’appelle pas le marais. Sous ces deux dénominations, qui sont restées des termes de mépris, se cachaient cependant les hommes les plus sensés et les plus utiles de la terrible assemblée. Plusieurs n’étaient pas sans courage, et l’un d’eux, Boissy d’Anglas, a eu son jour d’héroïsme. Il faut aussi mettre à part, avec M. Jules Simon, l’évêque Grégoire, qui sut se défendre à la fois de toutes les violences et de toutes les lâchetés et qui, à la convention comme à la constituante, maintint et fit respecter ses convictions religieuses et son caractère de prêtre. Toutefois, les plus sages et les plus courageux parmi les modérés protestent par leur silence et par leur attitude plutôt que par leurs actes contre les excès qui se commettent autour d’eux. Leur influence ne se fait sentir qu’au lendemain de la terreur. Ils ont le premier rôle après le 9 thermidor et ils le conservent dans les deux conseils, sous le directoire. Toutes les œuvres durables de la première république leur appartiennent ; mais leur influence est nulle ou effacée dans les crises politiques où se jouent les destinées de la nation. Le pays n’a jamais senti directement leur action et à peine connaissait-il leur nom. C’étaient des législateurs avisés et des administrateurs habiles : ce n’étaient pas des hommes d’état. La plupart applaudirent au 18 brumaire et trouvèrent leur véritable place dans les nouvelles institutions qu’inaugura le coup d’état, sous l’autorité d’un maître. Ceux qui survécurent à l’empire sentirent cependant, sous la monarchie constitutionnelle, se réveiller leurs vieux sentimens libéraux. Unis à quelques royalistes éclairés et à quelques hommes nouveaux, ils formèrent ce centre gauche de la restauration, dont le rôle fut si brillant et si éphémère, il sut renverser le ministère Villèle et il ne sut pas soutenir le ministère Martignac. Il s’associa à la résistance contre le ministère Polignac, mais il ne sut pas la maintenir dans les voies légales. Il ne sut pas non plus se défendre de cet esprit d’intolérance religieuse qui avait égaré les libéraux de la constituante et qui n’était qu’un retour à certaines traditions de l’ancien régime. Il applaudit à la campagne d’un vieux royaliste, le comte de Montlosier, contre les jésuites et le parti prêtre : campagne justifiée à plus d’un titre par des prétentions excessives, qu’encourageait la faveur de la cour; mais contre l’esprit d’intolérance et de domination dont on accusait avec raison les meneurs du clergé, on ne sut invoquer que des mesures de persécution et d’oppression. Seuls, Dubois et quelques-uns de ses amis du Globe firent entendre le langage de la vraie liberté, c’est-à-dire de la liberté pour tous.

Le centre gauche de la restauration accepta la révolution de juillet sans y avoir eu une part directe et il put un instant espérer de la diriger. Renouvelé dans ses élémens sans rien perdre de son caractère, conduit pour la première fois par de vrais politiques, M. Casimir Perier, M. Thiers, le centre gauche eut assurément, dans ces dix-huit années d’un gouvernement libéral, un rôle considérable et justement populaire. Il prit, soit au pouvoir, soit dans l’opposition, une part éclatante à tous les événemens, à tous les actes, à toutes les discussions parlementaires du règne de Louis-Philippe. Il ne fut cependant jamais, même sous Casimir Perier, le parti dominant. Les chambres et le pays se partagèrent promptement en une droite et une gauche et le centre gauche fut entraîné tour à tour à servir les passions de l’une et de l’autre, sans réussir à les contenir. Dans les dernières années du ministère de M. Guizot, il ne se distinguait presque plus de la gauche. Il ne se refusait à aucun des actes d’une opposition systématique dont les attaques contre les ministres atteignaient directement la couronne elle-même. Si M. Thiers se tenait personnellement en dehors de la campagne des banquets, la plupart de ses lieutenans n’imitaient pas sa réserve, et le pays comprenait si peu les derniers scrupules des partis constitutionnels que les députés du centre gauche et de la gauche dynastique étaient à peine suivis d’un petit nombre de leurs amis politiques quand ils croyaient devoir se retirer d’un banquet d’où les exigences des députés de l’extrême gauche avaient fait écarter le toast au roi.

Après la révolution de février, dans l’effarement d’une catastrophe inattendue, bientôt suivie d’une horrible guerre civile, le centre gauche, la gauche elle-même, se portent en grande partie vers la droite. Toutefois une fraction importante de ces deux partis, renforcée par un certain nombre d’hommes nouveaux, forme bientôt un groupe de républicains conservateurs et libéraux, qui finit par avoir la principale influence dans l’assemblée constituante. La constitution de 1848 témoigne de l’honnêteté de ce groupe, de son ferme libéralisme et de son inexpérience. Toutes ces libertés, que M. Thiers devait appeler plus tard «les libertés nécessaires, » sont consacrées dans leurs principes généraux, sans entrer dans la pratique sous la garantie d’une législation claire et efficace. L’assemblée s’est en vain réservé ou plutôt imposé le devoir de compléter son œuvre par des lois organiques. Elle s’est elle-même condamnée à l’impuissance par la double erreur d’une chambre unique et d’un président de la république élu directement par le suffrage universel. Elle pouvait croire, après sa victoire sur l’insurrection de juin, que le pays était avec elle, quand elle est brusquement détrompée par l’échec du général Cavaignac et par l’élection du prince Louis-Napoléon. Dès lors le rôle des libéraux modérés cesse pour de longues années. Malgré quelques personnalités éminentes, — M. Dufaure, M. de Tocqueville, les généraux de La Moricière et Cavaignac, — le centre gauche compte à peine dans l’assemblée législative. Il compte encore moins dans les chambres de l’empire, jusqu’au moment où son nom reparaît, après les élections de 1863, pour grouper quelques hommes d’origines diverses, les uns attachés aux régimes déchus, les autres ralliés au gouvernement impérial, mais tous unis dans la revendication des « libertés nécessaires. » L’importance croissante qu’acquit le centre gauche de 1863 à 1870 attestait certainement dans le pays un réveil libéral ; mais elle n’attestait ni chez les membres de ce groupe parlementaire, ni chez leurs électeurs, le besoin clairement senti d’une politique commune. On le vit bien quand il fut porté au pouvoir, et quand les ministres sortis de ses rangs se laissèrent entraîner dans la double aventure du plébiscite et de la déclaration de guerre.

Un nouveau centre gauche se forme encore dans l’assemblée nationale de 1871 et, cette fois, il sait se donner, sous un chef illustre et respecté, un programme nettement défini. Ce programme, c’est l’établissement, sur des bases conservatrices et libérales, d’une république parlementaire. Le pays s’y rallia tout de suite dès qu’il lui fut présenté par le grand citoyen que vingt-six départemens avaient élu de confiance, comme celui qui avait été, à la veille de nos malheurs, le plus clairvoyant des hommes d’état, et qui venait de justifier toutes nos espérances en nous sauvant successivement de la guerre étrangère et de la guerre civile. Les élections du 8 février n’avaient été que la manifestation toute négative de l’aversion du pays pour la politique de guerre à outrance et d’agitation révolutionnaire, personnifiée alors dans M. Gambetta. Aucune indication n’en pouvait être tirée pour l’avenir de la France et l’événement prouva bientôt combien s’étaient trompés ceux qui s’étaient hâtés de les saluer ou de les flétrir comme des élections franchement royalistes. Quelques mois plus tard, les élections du 2 juillet affirmaient hautement la volonté du pays de suivre et de soutenir la politique républicaine de M. Thiers. Cette politique avait contre elle, dans l’assemblée nationale, et la gauche et la droite. La gauche voulait une autre république, la droite ne voulait d’aucune république. Il fallut quatre années d’efforts persévérans, il fallut surtout, après la chute de M. Thiers, la preuve irrécusable que tout autre programme était impossible, pour que le programme du centre gauche réunît enfin une majorité, bien petite et bien éphémère, on le sait et on n’a pas cessé de s’en railler, mais accueillie cependant par la grande majorité du pays avec un sentiment de soulagement et de délivrance.

Le centre gauche pouvait se considérer comme l’arbitre des destinées nouvelles de la France, dans une république dont l’organisation constitutionnelle était son œuvre propre. Non-seulement il avait fondé un gouvernement, mais il avait eu une part considérable à toutes les lois qui devaient assurer le relèvement moral et matériel du pays. Uni à la gauche, sans s’abandonner à ses entraînemens, il avait résisté avec fermeté et souvent avec succès aux entraînemens en sens contraire de la droite monarchique et cléricale. L’assemblée nationale, — M. Jules Simon a raison de lui rendre ce témoignage, — était, dans sa presque unanimité, animée d’un esprit sincèrement libéral. Elle y mêlait, au début, d’assez grandes illusions. C’est seulement après le 24 mai, quand les illusions se furent en partie dissipées, quand les compétitions de partis ou de personnes aigrirent de plus en plus les esprits, qu’une politique de réaction et de compression ou, comme on la qualifiait, une « politique de combat » parut l’emporter, dans une fraction considérable de la droite, sur la politique de liberté. Le centre gauche ne céda ni aux illusions de la première heure ni aux défaillances de la dernière. Il s’associa au vote de la loi de décentralisation départementale, en s’efforçant de corriger ou de tempérer ce qu’elle avait d’excessif. Il vota, en 1871, la loi libérale sur la presse, dont M. le duc de Broglie fut l’éloquent rapporteur, et il résista en 1875 à l’abrogation partielle de cette loi, réclamée par les amis de M. le duc de Broglie. Il s’unit à la droite et à la plus grande partie de la gauche pour garantir, dans la loi sur l’armée, la liberté religieuse des soldats, mais il se refusa au rétablissement d’une aumônerie militaire qui pouvait devenir un instrument de pression cléricale. Il eut la plus grande part dans l’élaboration de la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur. M. Dupanloup s’est laissé féliciter par le pape Pie IX et injurier par les radicaux comme le promoteur et le principal auteur de cette loi. La vérité est qu’il ne faisait pas partie de la commission qui l’a préparée, et que la droite y était en minorité. Cette commission était présidée par un des membres les plus éminens du centre gauche, M. Laboulaye, et c’est lui qu’elle choisit pour rapporteur. La discussion publique amena l’introduction, dans le projet de loi, de dispositions contraires, soit aux droits de l’état, soit à la liberté des individus. Le centre gauche lutta contre les unes et les autres, et son échec sur des points capitaux décida plusieurs de ses membres, soit à s’abstenir dans le vote final, soit à voter contre l’ensemble de la loi; mais son adhésion, et il convient d’ajouter celle de la gauche presque tout entière, n’avaient manqué ni au principe de la liberté d’enseignement ni à aucune des dispositions qui l’ont consacré pour l’enseignement supérieur. «L’immense majorité du parli républicain, dit très bien M. Jules Simon, était, à cette date, libérale. » Elle se défendait énergiquement par l’organe de ses membres les plus avancés, M. Brisson, M. Naquet, M. Paul Bert, de vouloir une liberté, d’enseignement ou d’association, qui ne profitât pas à tout le monde, même aux jésuites. Elle pouvait applaudir de violentes déclamations contre le cléricalisme : elle se refusait résolument à leur donner pour conséquence une dénégation de la liberté.

Le centre gauche avait fini par conquérir, dans l’œuvre constitutionnelle et dans l’œuvre législative de l’assemblée nationale, une influence prépondérante; mais le triomphe même de sa politique ne faisait que marquer une étape dans une évolution dont la direction avait déjà cessé de lui appartenir. Les partis de droite, dès 1872, comptaient avec un malin plaisir ses échecs successifs à toutes les élections partielles. Les élections générales de 1876 et de 1877, les élections partielles qui ont suivi et enfin les élections générales de 1881 lui ont été constamment fatales. Les partis de gauche pure et d’extrême gauche se sont enrichis à ses dépens et, par une force d’attraction qui se manifeste dans tous les mouvemens politiques, ils lui ont enlevé une grande partie de ses anciens adhérens. On se défend d’être centre gauche, comme on se défendait, il y a dix ans, d’être radical. Ceux mêmes qui n’abjurent pas ce nom démodé se laissent peu à peu entraîner hors des limites qu’ils s’étaient fixées, et si quelques-uns restent fidèles au programme de 1871 et de 1875, ils passent pour des défectionnaires, ils ne sont plus que « les dissidens du centre gauche. »

La situation des modérés, dans la période actuelle, est le contre-pied de celle qu’ils avaient su garder dans la période précédente. J’ai sous les yeux les procès-verbaux du centre gauche parlementaire pendant toute la durée de l’assemblée nationale. J’y vois sans cesse revenir la question des rapports avec les radicaux. On ne veut laisser aucune prise au soupçon d’une alliance effective. On accepte, non sans répugnance, une entente préalable pour le choix des présidens et des secrétaires des bureaux et pour celui des membres de certaines commissions importantes ; mais on y met toujours la condition que les résolutions prises au nom du groupe impliqueront la prédominance des idées les plus modérées. Aussi s’indignait-on de bonne foi et avec raison quand on était accusé de complaisance pour les radicaux. On pouvait montrer les radicaux réduits à leurs seules forces, toutes les fois qu’ils avaient prétendu affirmer leurs idées propres, et ne se rencontrant dans leurs votes avec les modérés que lorsqu’ils voulaient bien se ranger derrière eux. C’est ainsi que le centre gauche avait fondé la république avec le concours des radicaux, sans rien leur abandonner de son programme. Ils ont bien pris leur revanche depuis qu’il ne s’agit que de la gouverner.

Ce n’est pas que les purs radicaux aient jamais eu la responsabilité directe et personnelle du gouvernement de la république. Les ministères se sont formés en se rapprochant d’eux sans aller jusqu’à eux. On est passé du centre gauche à la gauche et de la gauche à l’union républicaine, qui était à l’assemblée nationale et qui est encore au sénat le groupe radical, mais qui aujourd’hui a devant elle, à la chambre des députés, deux groupes plus avancés : la gauche dite radicale et l’extrême gauche. Lors même qu’on irait jusqu’à cette dernière, telle qu’elle est constituée dans le parlement, on trouverait dans le pays un nombre presque infini de groupes plus avancés encore. C’est ce que M. Jules Simon appelle « l’armée de réserve, » dont les différens corps occupent et défendent, les uns par des manifestations plus ou moins pacifiques, les autres sans reculer devant les plus criminels attentats, toutes les étapes sur la route du « nihilisme. » La multiplicité même des groupes radicaux, dans le parlement et dans le pays, est une de leurs forces. Les uns se font payer par des concessions de plus en plus larges un concours partiel et toujours précaire, et les réclamations bruyantes des autres sont un prétexte à ceux qui se piquent encore de modération pour accepter ces actes de faiblesse comme la poursuite sage et prudente d’une politique de progrès. Les radicaux de toute nuance sont les seuls qui parlent haut, les seuls qui se montrent exigeans, et dont les exigences obtiennent satisfaction. Les modérés, les anciens libéraux du centre gauche et de la gauche parlementaire se résignant pour la plupart, les uns de bonne grâce, les autres après une courte résistance, à des mesures qu’ils auraient hautement condamnées il y a cinq ans. Ils se taisent quand il s’agit d’actes administratifs, pour lesquels leur adhésion n’est pas nécessaire. Ils se font un mérite des tempéramens qu’ils s’efforcent d’introduire dans de mauvaises lois, et ils ne doutent pas de leur courage quand ils s’exposent, par ces tempéramens, aux invectives des radicaux. Ils tiennent à honneur de se distinguer de ces compromettans alliés par leurs déclarations, alors même qu’ils les suivent docilement dans leurs actes. Comme leurs prédécesseurs de la révolution, ils ne s’associent à une persécution religieuse qu’en protestant de leur respect pour la religion, à une violation de la liberté qu’en affirmant leur libéralisme, à un affaiblissement de l’autorité qu’en se défendant de toute complaisance pour le désordre. Leurs efforts ne s’emploient le plus souvent qu’à retarder par d’habiles manœuvres les solutions qui leur répugnent. La politique de modération a d’ailleurs plus à perdre qu’à gagner aux amendemens et aux ajournemens proposés par les soi-disant modérés. Les demi-mesures ne font que provoquer de nouvelles et plus ardentes exigences. Les questions ajournées s’aggravent avec les délais. Ce sont bientôt des questions « pourries, » comme on l’a dit de celle de l’amnistie, et l’on invoque la sagesse politique pour s’en débarrasser par des solutions radicales. Les exigences du radicalisme s’imposent aux pouvoirs publics; elles s’imposent également à toutes les administrations. Rien de plus précaire que la situation des fonctionnaires de tout ordre, s’ils sont suspects de relations monarchiques ou cléricales; rien de plus fort s’ils se sont assuré un patronage radical. En vain ont-ils encouru des peines disciplinaires pour de graves manquemens à leurs devoirs : des comités radicaux somment un député radical de prendre leur défense ; le député somme à son tour le ministre de les respecter, et si le ministre a le courage de ne pas céder, il ne croira pas pouvoir moins faire que de s’excuser de sa sévérité et de promettre une large indulgence.

D’honnêtes esprits affectent de croire que « la conquête radicale » s’arrête aux régions officielles et qu’elle ne s’étend pas à la masse laborieuse et paisible de la nation elle-même. Les faits démentent cette illusion. Chaque élection, soit pour le sénat, soit pour la chambre des députés, soit pour les conseils-généraux ou les conseils municipaux, est presque partout, en même temps qu’une victoire pour la république, un recul des opinions plus ou moins modérées au profit d’opinions plus avancées. Un optimisme complaisant explique ce mouvement en avant par le grand nombre des abstentions. On prouve ainsi le découragement, non le besoin de la résistance. S’il n’y avait eu, en 1870 et 1871, que de faibles efforts pour s’opposer à l’invasion, le fait de l’invasion serait-il moins certain? « Ah! si le Midi se levait! » disaient quelques méridionaux : le Midi ne s’est pas levé et la moitié de la France a été occupée par l’ennemi, et deux provinces ont été détachées du territoire national!

Un événement récent, dont M. Jules Simon s’est abstenu de parler, est la démonstration la plus éloquente du chemin parcouru en quelques années. Un grand orateur, qui était naguère la personnification du radicalisme, vient de disparaître comblé d’honneurs et d’éloges enthousiastes, auxquels les plus modérés se sont associés presque sans réserve, et, dans le même temps, poursuivi jusque sur son lit de mort et dans sa tombe à peine fermée par les outrages des nouveaux radicaux. Reportons-nous à quelques années en arrière. Il n’est pas de nom plus impopulaire, sauf parmi les enragés de la «guerre à outrance. » Les élections du 8 février 1871 se sont faites surtout contre lui. Quand il rentre dans l’assemblée nationale, après les élections du 2 juillet, ce n’est pas le centre gauche, c’est la gauche qui, non-seulement ne l’accepte pas pour chef, mais refuse de lui ouvrir ses rangs. Il est réduit à fonder, avec le concours de l’extrême gauche, le groupe radical de l’union républicaine[3]. M. Gambetta s’était-il, depuis lors, sensiblement rapproché des idées modérées? Il a donné en plus d’une circonstance des preuves de sagesse et de sens politique. Il a eu une part considérable dans le vote de la constitution de 1875. Il s’est fait le champion de l’institution du sénat, non cependant sans chercher à l’amoindrir. Il a fait face, avec plus de courage que beaucoup de modérés, aux violences des fauteurs de désordre. Il n’a toutefois rien désavoué de ses plus funestes erreurs, et il en a jusqu’au dernier jour commis de nouvelles. C’est lui qui a lancé ce cri de guerre qui a été le signal des entreprises contre la liberté et la paix des consciences : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi! » C’est lui qui a été le promoteur de l’amnistie plénière pour les condamnés de la commune. C’est lui qui a ouvert la campagne pour la révision de la constitution et qui ensuite a fait d’impuissans efforts pour la limiter. Nous ne rappelons pas ses fautes pour protester contre les hommages qui ont été rendus à sa mémoire. Il les méritait par une éloquence qui a honoré la tribune française et qui s’est mise plus d’une fois au service de nobles et justes causes. Il ne les méritait pas moins par un patriotisme qui a eu sans doute de déplorables écarts, mais qui, avant ces écarts, avait eu l’initiative de ce suprême effort de la défense nationale par lequel la France vaincue, mutilée, séparée de sa capitale, s’est noblement relevée à ses propres yeux comme aux yeux de l’étranger. Nous ne voulons que rapprocher deux faits que sépare à peine un intervalle de six ans. En 1883, des modérés, des conservateurs ont cru de bonne foi, et non sans quelque fondement, voir disparaître avec ce tribun, qui n’avait pas cessé d’être un tribun, le dernier espoir d’une politique de résistance : en 1877, une sorte de coup d’état était tenté, un appel désespéré était fait à toutes les forces conservatrices pour assurer le renversement d’un ministère Jules Simon et pour empêcher le retour d’un ministère Dufaure!

La troisième république, comme tous les gouvernemens antérieurs depuis 1789, a vu échouer misérablement, après un triomphe éphémère, la politique de libéralisme modéré. Y a-t-il donc, en dépit de la maxime que nous rappelions en commençant, incompatibilité absolue entre la France et le centre gauche? ou faut-il ne voir, dans cette série d’avortemens, que ces alternatives de brouilles et de réconciliations qui troublent sans cesse la paix de certains ménages sans aboutir à une séparation définitive ? M. Jules Simon ne s’est pas posé le problème. Il a cru nous avertir suffisamment des dangers qui nous menacent en nous les exposant de la façon la plus saisissante, sans en chercher l’explication philosophique. On nous permettra de tenter cette explication. Il ne s’agit pas seulement d’un curieux problème de psychologie politique : peu de questions ont plus d’intérêt pour l’avenir des institutions libérales dans notre pays. Le centre gauche, malgré ses échecs, a joué un rôle considérable et, ses adversaires en conviennent, un rôle utile dans l’établissement et dans le fonctionnement de ces institutions. Nous dirions même, quant à nous, qu’elles ont été constamment associées à sa grandeur et à sa décadence. Tous ceux qui leur sont attachés et qui ne veulent pas en désespérer ont donc intérêt à rechercher comment les efforts du centre gauche ont été sans cesse contrariés, soit par sa faute ou par celle du pays, soit par l’effet des circonstances et par la force des choses.


II.

Dans une brillante étude sur les partis, publiée à part en 1869 et insérée plus tard dans son traité de la Politique considérée comme science[4], M. Bluntschli compare les partis aux âges de la vie. À l’enfance correspondrait le parti radical ; à la jeunesse, le parti libéral ; à l’âge mûr, le parti. conservateur ; à la vieillesse, le parti absolutiste et ultramontain. Non pas que tous les radicaux soient des enfans et tous les ultramontains des vieillards ; mais tout radical, quel que soit son âge, garde un esprit puéril, et le l’auteur imberbe de doctrines ultramontaines a déjà un esprit vieillot : seuls, les libéraux et les conservateurs de tout âge ont des âmes viriles, les unes plus hardies, plus accessibles aux généreux entraînemens, comme il convient à la jeunesse, les autres plus réfléchies et plus circonspectes, comme dans la maturité. Si l’on adopte cette théorie, le centre gauche se placerait entre la jeunesse et l’âge mûr. Ce serait l’âge ingrat d’une comédie contemporaine : une jeunesse qui finit ou une maturité qui commence, période indécise et qui prête souvent au ridicule, soit qu’on affecte dans son langage, dans ses jugemens, dans ses actes, une gravité qui ne paraît pas encore de saison, soit qu’on ne sache pas se départir d’une vivacité juvénile qui ne trouve plus la même indulgence. C’est cependant, chez les natures les mieux équilibrées, l’âge le meilleur, le plus propice aux initiatives fécondes. Si on se défie de lui tant qu’il n’a pas fait ses preuves et si on rit de lui quand il ne sait pas être lui-même, il obtient aisément la sympathie et l’estime quand il apporte dans la science, dans l’industrie, dans les affaires publiques, les heureux fruits d’une réflexion déjà mûre et d’une hardiesse de conception qui reste encore intacte. De même, le centre gauche, unissant les qualités de l’esprit conservateur et de l’esprit libéral, semble réaliser l’idéal de la politique. Il a pu exercer, dans plus d’une grande crise, une utile influence et mériter, par d’incontestables services, les témoignages les moins suspects de reconnaissance et de confiance; mais l’accord des deux esprits n’est ni moins difficile ni moins rare que celui de la jeunesse et de l’âge mûr; il n’est pas moins exposé à prendre une apparence équivoque; il est en butte aux mêmes railleries, et il éveille le plus souvent de semblables défiances.

Entre les conservateurs et les libéraux, le rôle d’un parti intermédiaire est généralement ingrat. Non-seulement il a contre lui les partis extrêmes, mais il est suspect aux esprits plus tempérés de la droite et de la gauche pure, qu’il tend à retenir sur la pente du cléricalisme ou du radicalisme. Un membre de la gauche, dans la dernière chambre des députés, comparait son parti à un homme dans une baignoire qui recevrait tour à tour, par les soins de mains étrangères, un afflux d’eau chaude et un afflux d’eau froide. La gauche ne nie pas l’utilité de ces deux afflux, mais elle prétend les diriger elle-même, et elle ne se défie pas moins du centre gauche, qui voudrait refroidir son bain, que de l’extrême gauche, qui se charge de le réchauffer. Ni la gauche ni la droite ne goûtent volontiers la prudence des centres. La gauche surtout, plus remuante, plus impatiente de tout frein, en un mot d’un esprit plus jeune, suivant la théorie de Bluntschli, regimbe aisément contre les conseils de ses alliés du centre gauche. On a sans doute en maintes occasions flatté le centre gauche; on a exalté son patriotisme et sa sagesse; mais il aurait eu tort de se laisser prendre à ces éloges : si on l’en accablait, c’était moins pour se soumettre à sa direction que dans l’espoir de l’entraîner plus loin qu’il ne voulait, et, s’il résistait, les injures succédaient vite aux flatteries.

Aux difficultés qui lui viennent de ses alliés s’ajoutent celles qu’il rencontre dans son propre sein. La modération n’a pas un point fixe où puissent s’arrêter tous ceux qui en reconnaissent la nécessité. Le centre gauche est de tous les partis celui dont les membres se prêtent le moins à une politique commune. Sur toutes les questions délicates où, livré à lui-même, il craindrait de s’engager, il finit, non sans beaucoup d’hésitations, par se partager en trois groupes : le premier fait violence à ses scrupules pour voter, par discipline, avec la gauche; le second se réfugie dans l’abstention; le troisième se résigne à voter avec la droite. Rien de plus explicable et souvent même de plus respectable que ces divergences; mais elles prennent aisément l’apparence de l’inconséquence, de l’équivoque, voire même de l’intrigue. Si elles ont peine à se faire comprendre dans le milieu parlementaire, où les plus intransigeans n’échappent pas à la nécessité de certains compromis, comment seraient-elles comprises dans le pays lui-même, dans cette masse ignorante et passionnée du suffrage universel, qui n’envisage les questions que d’une façon à la fois superficielle et absolue et qui resterait indifférente aux luttes politiques si les partis ne s’appliquaient à en grossir l’objet au-delà de toute mesure et de toute justice? Non-seulement le peuple comprend mal une politique modérée, mais il va naturellement aux extrêmes. Il épouse plus aisément les passions radicales ou rétrogrades que les sentimens plus rassis ou plus complexes du parti libéral ou du parti conservateur. Il y a chez lui, souvent dans le même temps, de l’enfant et du vieillard. Il tient du premier par son inexpérience et par son impatience de tout obstacle; du second, par la persistance de certains préjugés qui témoignent parfois de la force invincible des traditions au milieu des tentatives les plus révolutionnaires. Le rôle du centre gauche est particulièrement difficile en France, où le double besoin de la logique et de la franchise s’allie à une paresse naturelle, qui se complaît dans la simplicité des jugemens et des théories, et qui craint de l’altérer par un examen trop approfondi de tous les aspects des choses. Nous redoutons par-dessus tout les reproches d’inconséquence et de duplicité ; nous interprétons mal les hésitations d’une conscience scrupuleuse et nous accusons volontiers de « ménager la chèvre et le chou » ceux qui n’épousent pas sans réserve toutes les opinions et toutes les passions de leur parti. Ce n’est pas qu’il ne se produise, à certains momens, dans le pays, de brusques mouvemens d’opinions, qui emportent les esprits d’un extrême à l’autre. On s’écrie alors, non pas qu’on s’était trompé, mais qu’on avait été trompé; on transporte dans ses nouvelles opinions la même logique, les mêmes formules absolues, la même paresse à rechercher ce qu’il y a au fond de ces formules et aussi la même défiance à l’égard des idées modérées.

Il ne faut pas toujours taxer d’aveuglement ou d’injustice cette défiance des masses pour les opinions et pour les hommes du centre gauche. La politique demande un esprit de décision qui a souvent manqué à ce parti de la modération et de la prudence, et qui semble même difficilement compatible avec les qualités dont il se fait honneur. Les scrupules les plus honnêtes deviennent blâmables quand ils sont une excuse à des hésitations hors de saison ou à des demi-mesures qui ne peuvent satisfaire personne. Le centre gauche n’a joué un grand rôle que lorsqu’il a eu à sa tête un de ces hommes d’état dont l’esprit large et résolu va tout de suite aux intérêts les plus généraux et les plus urgens sans se laisser arrêter par des programmes, des engagemens ou des traditions de parti. Tel a été, dans son apparente versatilité, l’homme qui a le mieux personnifié l’idéal du libéralisme conservateur : M. Thiers. Il a toujours su nettement, sans hésitation, sans timidité, soutenir les diverses politiques dont son patriotisme a reconnu la nécessité : politique de résistance après 1830 et après 1848 ; politique libérale dans les dernières années de la monarchie de juillet et pendant tout le second empire ; politique républicaine après 1870. Il n’a marchandé son concours à aucun des partis dont l’alliance lui a paru utile ; il n’a eu souci des récriminations et des injures d’aucun des partis dont il a cru utile de se détacher ; mais il s’est toujours servi des partis sans les servir ; il n’a jamais eu en vue que le péril ou le besoin du moment, clairement et sûrement compris par sa lumineuse intelligence, et, dans l’appréciation de ce besoin et de ce péril, il est toujours resté lui-même, libéral incorrigible alors qu’il semblait épouser toutes les passions réactionnaires, conservateur non moins incorrigible alors qu’il semblait se donner tout entier à la politique révolutionnaire[5]. Il a même réalisé ce prodige d’être le conseiller le plus éclairé des gouvernemens qu’il a combattus. S’il eût été écouté, il aurait sauvé non-seulement la monarchie de 1830, à laquelle il était sincèrement attaché et dont la politique seule était l’objet de ses critiques, mais la république de 1848 et l’empire de 1852, pour lesquels il avait l’aversion la plus profonde. Rien ne prouve mieux que cet illustre exemple ce que peut être l’influence du centre gauche aux mains d’un véritable homme d’état; mais rien ne prouve mieux aussi combien la politique du centre gauche prête le flanc à des jugemens contradictoires, même quand elle s’incarne dans un grand esprit, et combien il lui est difficile de garder la juste mesure quand elle est dirigée ou servie par des esprits de second ordre.

Les modérés ne savent être « ni chair, ni poisson, » dit-on souvent, et ce reproche est encouru, non sans quelque fondement, par les hommes les plus éclairés et les plus droits, par ceux qui sont le mieux en garde contre les écarts en sens contraire de la politique de gauche et de la politique de droite, mais qui, par l’effet même de leur clairvoyance et de leur rectitude, se refusent ou se prêtent avec répugnance à l’obligation de choisir le moindre mal et de le poursuivre virilement sans hésitation et sans vains scrupules.


Les délicats sont malheureux,


a dit le fabuliste : ils peuvent quelquefois devenir malfaisans par l’excès même de leur délicatesse. D’autres ne connaissent pas cet excès de vertu ; mais, plus faibles et plus passionnés, ils oublient aisément, dans l’ardeur des luttes politiques, les principes modérés dont ils font profession. Engagés, suivant les circonstances, dans une campagne commune avec la gauche ou avec la droite, ils épousent peu à peu toutes les passions de leurs alliés du moment. Ils feront les banquets de 1847 côte à côte avec les républicains de l’extrême gauche ; ils y porteront, socialistes inconsciens, des toasts à l’organisation du travail; ils y attiseront, sans s’en douter, le feu qui menace à la fois et la monarchie, dont ils se croient encore les amis, et la société, dont ils ne soupçonnent pas le péril. Un an plus tard, ils compteront parmi les plus fougueux réactionnaires et plusieurs entreront dans les conseils de l’auteur du coup d’état.

Bien des mobiles peuvent expliquer ces entraînemens et ces défaillances. Chez quelques-uns assurément l’ambition y a une large part. Beaucoup se laissent dominer par la solidarité des luttes soutenues en commun, par la crainte d’encourir le reproche de mollesse, d’indécision ou de duplicité, par le souci toujours malsain de la popularité, qu’il est difficile d’obtenir et plus difficile encore de conserver si l’on ne se départ jamais de la modération dans les idées et de la circonspection dans les actes. Beaucoup aussi sont rejetés hors des voies modérées par le ressentiment des attaques et des injures que n’a pu leur éviter la sagesse de leur attitude première. Les partis détestent par-dessus tous ceux de leurs adversaires dont ils sont le moins éloignés. A droite comme à gauche, on est prodigue d’outrages et de sarcasmes pour les hommes des centres dès qu’on ne les a pas tout à fait avec soi. On ne leur tient aucun compte des points communs où l’on se rencontre avec eux; on ne leur sait aucun gré de réserver fidèlement ces points communs dans leurs déclarations et dans leurs actes, ou plutôt on y voit un prétexte de plus pour les accuser d’inconsistance ou d’hypocrisie. Il faut des âmes fortement trempées pour se mettre au-dessus de ces injustices. Combien, profondément et sincèrement révoltés de se voir ainsi méconnus, se sont crus autorisés à rompre les derniers liens qui pouvaient subsister entre eux et leurs détracteurs et ont fini par donner raison à ces mêmes attaques dont ils ressentaient d’abord tant d’indignation! J’en connais plus d’un qui s’est laissé entraîner peu à peu dans le camp radical ou dans le camp clérical après avoir hautement et très justement protesté contre l’accusation de radicalisme ou de cléricalisme dont il se voyait poursuivi, ici pour avoir reconnu l’impossibilité d’une restauration monarchique, là pour avoir, au nom de la liberté, défendu les droits de la foi religieuse.


III.

Telles sont les causes générales qui expliquent, et, à certains égards, peuvent excuser le discrédit dont le centre gauche a toujours paru frappé après de passagers triomphes. D’autres causes tiennent à la situation particulière de notre pays.

Tous les pays libres ont, sous des noms divers, leur centre modérateur, comme leurs partis extrêmes. L’Angleterre même, où l’on ne distingue habituellement que deux partis, n’échappe pas à ces subdivisions. Elle a, depuis longtemps, ses radicaux, dont les libéraux n’ont pu refuser l’alliance et auxquels ils accordent aujourd’hui une large part du pouvoir. Elle a eu également de tout temps ses tiers-partis, avec lesquels les whigs et les tories ont dû compter tour à tour. En France, la multiplicité des groupes politiques a été le fait le plus apparent et le plus funeste de notre histoire parlementaire. Cette multiplicité n’est pas seulement l’effet de ce goût pour les factions, que César signalait déjà, il y a dix-neuf cents ans, comme un trait de notre caractère national; elle tient surtout à l’instabilité de nos institutions. La question toujours ouverte de la forme du gouvernement n’a jamais cessé, depuis la révolution, de primer et de compliquer les questions de politique générale sur lesquelles, dans d’autres pays, les partis se divisent et se classent. Nous attachons plus d’importance aux noms de républicains, de légitimistes, de bonapartistes, d’orléanistes, qu’aux noms de libéraux et de conservateurs, et ceux qui se contentent de prendre ces derniers noms, sans alarmer une foi absolue dans la bonté intrinsèque de telle ou telle forme de gouvernement, passent aisément pour des hommes sans conviction ou sans sincérité. La question de monarchie et de république et, parmi les monarchistes, les compétitions dynastiques, ne jouent cependant, malgré l’intérêt légitime qui s’y attache, qu’un rôle indirect dans la vie politique de la nation et dans les débats de ses représentans. Elles ont toujours été tranchées par des révolutions. Une seule assemblée politique en a été régulièrement saisie et elle ne s’est appliquée qu’à les éluder : c’est l’assemblée nationale de 1871[6]. Elle n’a jamais voulu mettre en délibération le rétablissement de la monarchie, qu’appelaient hautement les vœux d’une grande partie de ses membres, et lorsqu’elle s’est résignée, après de longs atermoiemens, à voter une constitution républicaine, elle a tout fait pour masquer le caractère définitif de cet acte d’abnégation patriotique. Sauf cette unique exception dans notre histoire contemporaine, les débats parlementaires ont toujours porté, non sur la forme, mais sur la politique du gouvernement, sur les principes ou les règles qu’il devait suivre dans les affaires intérieures ou dans les relations internationales, sur la part plus ou moins large qu’il devait faire aux intérêts de l’ordre ou à ceux de la liberté, à l’esprit de conservation ou à l’esprit de progrès. Ce qui est en jeu, dans toutes ce« questions, c’est la politique libérale ou la politique conservatrice, telles qu’on les entend partout, avec les diverses nuances qui séparent, de chaque côté, les extrêmes des modérés. L’attachement ou l’antipathie pour le gouvernement établi n’est qu’un élément perturbateur dans la discussion des questions politiques; mais, quoique indirect et souvent dissimulé, le rôle de cet élément perturbateur n’est pas moins considérable[7]. Il altère la rectitude du jugement et de la conduite. Il entraîne les partis à des actes systématiques d’approbation ou d’opposition, en désaccord avec leurs tendances naturelles. Les plus zélés serviteurs du despotisme impérial deviennent sous les Bourbons d’ardens libéraux. Les anciens ultras de la restauration ne sont pas moins prompts à revendiquer toutes les libertés après la chute de la monarchie légitime. Sous Louis-Philippe et sous Napoléon III, tous les partisans des régimes déchus ont, sur presque tous les points, une attitude et un langage d’extrême gauche. Les questions religieuses séparent seules les légitimistes de leurs alliés républicains. Sous les deux républiques, l’opposition monarchique arbore le drapeau conservateur; mais elle ne l’arbore pas à la façon des purs conservateurs, pour qui la défense de l’ordre comprend le respect des institutions; ses procédés ont une apparence révolutionnaire, que les défenseurs des institutions républicaines ne manquent pas de signaler aux citoyens sans parti-pris. Cette opposition conservatrice devient d’ailleurs très aisément une opposition ultra-libérale. Si les royalistes ne pactisent pas ouvertement avec les républicains d’extrême gauche, comme ils le faisaient sans scrupule sous les princes qu’ils qualifiaient d’usurpateurs, ils se rencontrent sans cesse avec eux, non-seulement dans les mêmes attaques contre tous les ministères, mais dans les mêmes efforts en faveur de certaines propositions du plus pur radicalisme[8]. Les extrêmes de gauche peuvent impunément s’allier avec les extrêmes de droite. Ils sont trop opposés d’idées et d’espérances pour encourir le soupçon d’une entente durable. Entre les modérés des deux côtés, une simple rencontre dans les votes prend tout de suite l’apparence d’une trahison. Apparence dangereuse, alors même qu’il n’y aurait entre les partis que la divergence des vues politiques sous un même gouvernement; apparence insupportable aux consciences les plus honnêtes, quand elles peuvent être accusées de trahir, non-seulement leur parti, mais le gouvernement même dont elles ont embrassé la cause par conviction et par patriotisme. « Toutes vos opinions sont les miennes, écrivait à M. Jules Simon un ancien ami ; mais vous êtes en dissidence avec notre commun parti, je ne veux pas être un dissident; je regarderais une dissidence comme une désertion. »

C’est ainsi que les modérés, par un sentiment d’honneur mal entendu, mais tout-puissant sur certaines âmes, ne craignent pas d’abandonner leurs plus chères opinions et de faire violence à leur bon sens, pour ne pas rompre avec des alliés plus ardens et moins sages, dont le concours leur paraît nécessaire, soit pour faire prévaloir une certaine politique, soit pour fonder ou pour conserver un gouvernement. Les modérés de droite n’échappent pas plus que les modérés de gauche à ces défaillances. Le centre droit comme le centre gauche cède « la mort dans l’âme » aux exigences les moins justifiables de ses alliés, ou, si l’on sent quelquefois que la violence est trop forte, on se hâte de réparer le lendemain par une palinodie ou par un redoublement de zèle un acte passager d’indépendance. Il faut ajouter la transformation de plus en plus sensible des questions politiques en questions sociales. Et nous n’entendons pas par ce mot les haines de classes, la rivalité des pauvres contre les riches, mais, sous l’influence des divisions politiques, la rupture ouverte ou à peine dissimulée des relations de société, les polémiques personnelles, les insinuations perfides, les coups d’épingle, dont les blessures sont souvent les plus cruelles, en un mot un état de guerre entre des hommes de même éducation, vivant dans le même milieu, unis autrefois par des liens d’amitié, de camaraderie, d’habitudes communes, unis encore très souvent par des liens de famille et violemment séparés depuis quelques années, parce que les uns se sont prononcés pour la république et les autres pour la monarchie. Cette perturbation des mœurs privées par nos nouvelles mœurs politiques se fait surtout sentir en province, où l’on vit davantage sous le regard les uns des autres. Elle a eu pour première cause la violence croissante des luttes électorales. Elle est entretenue, dans l’intervalle des élections, par les ressentimens que laissent, dans un grand nombre de familles, ces dénonciations incessantes qui, sous tous les régimes, soit de droite, soit de gauche, ont brisé ou mis en péril la situation de tous les fonctionnaires. Elle a enfin été aggravée par cette guerre au cléricalisme, qui s’est vainement défendue d’être une guerre à la religion et qui a creusé un nouvel abîme entre ceux dont elle a froissé les sentimens les plus intimes et ceux qui s’y sont associés ou qui, par fidélité à leur parti, se sont fait un devoir de la justifier ou de l’excuser. Le 24 mai 1873 et surtout le 16 mai 1877, par les passions qu’ils ont déchaînées, ont été pour beaucoup dans ce déplorable état de choses, que M. Dufaure constatait avec douleur, après la victoire des républicains, et auquel il s’était vainement efforcé d’opposer une politique d’apaisement, également odieuse et importune aux colères des vainqueurs et aux rancunes des vaincus. Pour se soustraire aux funestes effets de ces divisions, les indifférens, les prudens et les peureux se réfugient de plus en plus dans la pratique de l’abstention, qui ne se propage qu’au profit des partis extrêmes. Quant à ceux des anciens modérés dont le patriotisme, l’intelligence politique ou simplement le tempérament plus passionné se refuse à cette pratique, ils deviennent peu à peu, par le ressentiment des haines qu’ils se sont attirées, les prisonniers du parti auquel ils se sont attachés. Ils craindraient, s’ils s’en séparaient sur une question quelconque, de travailler pour des adversaires contre lesquels l’inimitié privée s’ajoute pour eux aux dissentimens politiques; ils ne veulent pas s’exposer à leurs railleries, ou ce qui est plus amer encore, à leurs félicitations hypocrites.

L’esprit de transaction, naturel aux modérés, vient encore en aide à ces défaillances. L’honneur, tel qu’on le comprend, défend de transiger avec ses adversaires; mais il permet, si l’on n’est pas d’accord avec ses alliés, de leur proposer un moyen terme. Or, quand on ne transige que d’un seul côté, on s’engage, par la force des choses, dans la voie des concessions sans limites; on s’éloigne de plus en plus des positions que l’on s’était promis de défendre; on ne se réserve plus d’autre mérite que de retarder une marche en avant, que l’on ne prétend plus arrêter.

Les transactions ainsi entendues ont reçu le nom « d’opportunisme » et on affecte d’y voir le dernier mot de la sagesse politique. Ce n’est pas autre chose qu’un encouragement aux plus extrêmes exigences et une justification de toutes les faiblesses. On commence par déclarer que toutes les solutions peuvent avoir leur jour, qu’il ne s’agit que de les « sérier, » de leur mesurer le temps et de les soumettre à la loi des circonstances. Les opinions les plus hardies, les plus contraires au bon sens, les plus dangereuses pour la paix publique, sont ainsi averties qu’elles n’ont besoin que de provoquer des manifestations bruyantes, de créer autour d’elles une agitation factice, pour s’imposer un jour ou l’autre à ces politiques sans principes qui, sous la pression d’un intérêt quelconque, n’hésiteront pas à affirmer hautement que le moment est venu où il serait « inopportun » et souverainement impolitique de leur refuser satisfaction. C’est ainsi que l’amnistie plénière, objet d’horreur pour la plus grande partie de la gauche en 1879, s’est fait accepter en 1880, comme une nécessité inéluctable, par la plus grande partie du centre gauche. C’est au nom des mêmes raisons d’opportunité qu’il s’est trouvé, depuis deux ans, une majorité pour supprimer l’inamovibilité de la magistrature, et on peut prévoir le moment où il s’en trouvera une pour accorder à la commune de Paris l’autonomie administrative.

L’opportunisme revêt quelquefois une forme particulière qui a reçu en Espagne le nom de « possibilisme. » On ne veut pas se rendre « impossible » soit comme ministre, si l’on croit en avoir l’étoffe, et Dieu sait combien elle est devenue légère! soit comme ministériel, comme pouvant prétendre à quelque influence dans le gouvernement d’aujourd’hui ou dans le gouvernement de demain. Et ce n’est pas seulement par ambition ou par intérêt personnel que certaines capitulations de conscience aiment à se donner ce motif ou ce prétexte. Tous les intérêts du pays sont en jeu dans les crises ministérielles ou gouvernementales et dans la façon dont elles se dénouent. Les mêmes gens qui reprochent à un député ou à un électeur d’avoir sacrifié ses convictions personnelles à ses engagemens de parti et à la discipline qu’ils lui imposent, seront souvent les premiers à lui faire un crime de n’avoir pas su se résigner à un tel sacrifice pour prévenir une crise ou pour en empêcher le dénoûment au profit d’un parti extrême. N’est-ce pas, en effet, manquer de sagesse et obéir à d’aveugles scrupules que de préférer la politique inflexible et fanatique des principes absolus et du « tout ou rien » aux concessions et aux compromis que commande souvent l’intérêt public?


IV.

Nous revenons ici aux questions soulevées par le manifeste libéral de M. Jules Simon et nous saisissons ce qu’elles ont de particulièrement délicat pour le bon sens politique et pour la conscience. M. Jules Simon est un esprit trop conciliant et trop modéré, il a trop le sentiment des nuances pour pratiquer et pour recommander une politique « intransigeante. » Il se déclare lui-même « très partisan de la discipline quand elle est nécessaire. » Il se prononce avec force contre l’abstention électorale ou parlementaire, et il y voit presque un crime. Or l’abstention n’est pas toujours l’effet de l’indifférence ou de la lâcheté; elle peut être dictée par des scrupules très respectables. Un esprit honnête et consciencieux se décide difficilement à choisir entre des candidats dont aucun ne se rapproche de ses opinions, ou entre des résolutions contraires dont les inconvéniens lui sont également manifestes. Le devoir bien entendu est de surmonter les plus légitimes répugnances de la conscience elle-même et de prendre résolument un parti, sinon par la considération du mieux, du moins par la crainte du pire. Conservateur, on devra quelquefois voter pour un radical, afin d’écarter un plus radical. Républicain, on servira l’intérêt même de la république en votant pour un monarchiste de préférence à un partisan franc ou déguisé de la commune. Libéral, il est des temps de crise où l’on devra repousser, comme dangereuse, une loi de liberté dont on a toute sa vie réclamé l’adoption. Il y a une casuistique en politique comme en morale, et si elle peut couvrir quelquefois de honteuses capitulations, elle peut aussi commander, avec l’autorité d’un devoir, des sacrifices d’opinion ou, en d’autres termes, des concessions et des transactions.

J’entends souvent répéter: « On se perd par les concessions; il n’y faut jamais consentir. » Il y a toujours un sous-entendu dans ces affirmations absolues. Les concessions que l’on condamne sont celles qui sont faites à nos adversaires, non celles qui nous seraient faites à nous-mêmes. Le plus intransigeant est le premier à exiger des concessions au profit de ses propres opinions, et si elles lui sont refusées, il accuse hautement une obstination aveugle et coupable. La vraie question, pour l’honnêteté politique, n’est pas celle de la légitimité des transactions, mais celle de leurs limites. Faut-il demander ces limites à ce qu’on appelle « les principes absolus, les principes éternels? » M. Jules Simon m’a enseigné, il y aura bientôt quarante ans, la métaphysique et la morale des principes absolus; mais il ne me désavouera pas si je me refuse à reconnaître de tels principes dans l’ordre purement politique. « Périssent les colonies plutôt qu’un principe! » n’est pas plus le langage du philosophe que celui de l’homme d’état : c’est le cri du fanatisme. Ce qui réglera la conduite de l’homme politique et lui marquera le point où il doit s’arrêter dans la voie des concessions, ce sont des considérations de justice et de sagesse qui dépendent surtout de l’expérience des hommes et des choses, éclairée par un esprit sensé et par une conscience droite.

Est-il si difficile, pour un homme de bonne foi, de résoudre par de telles considérations les principales questions qui, dans ces derniers temps, ont servi d’aliment aux passions des partis?

Il n’y a aucune injustice à refuser absolument ou à n’accorder que dans d’étroites limites la consécration d’un droit qui n’a pas encore trouvé place dans les lois ; mais il y a une véritable spoliation à supprimer, même par une loi, l’exercice d’un droit qui a reçu depuis longtemps l’existence légale et a donné naissance, sous le bénéfice des garanties qui le protègent, à des intérêts considérables de l’ordre matériel et de l’ordre moral. C’est une souveraine iniquité, par exemple, de fermer des établissemens qui se sont créés au nom de la liberté légale de l’enseignement et qui sont également respectables par les idées ou par les sentimens qu’ils représentent et par tous les actes de droit civil qui ont concouru à leur fondation et à leur développement.

Il n’est ni injuste ni impolitique d’opposer une digue aux empiétemens du clergé; mais une guerre défensive est seule légitime. Rien ne saurait autoriser une série d’agressions dirigées successivement, d’abord contre les congrégations non autorisées, puis contre les congrégations autorisées elles-mêmes, dans les écoles et dans les hôpitaux, puis contre le recrutement du clergé tout entier par l’obligation du service militaire et par la suppression des bourses ecclésiastiques, puis contre le culte lui-même, dont les emblèmes sont proscrits des écoles, des tribunaux, des cimetières, ou sont ailleurs l’objet d’actes impunis de vandalisme, et enfin contre ces principes mêmes de religion naturelle qui étaient restés jusqu’à nos jours la base du serment judiciaire et de tout l’enseignement universitaire. Une telle guerre serait imprudente et odieuse dans tous les temps. Elle devient une criminelle folie, quand elle est engagée systématiquement et brutalement, dans un pays profondément divisé, au lendemain de désastres publics qui font de l’apaisement des esprits le premier devoir du patriotisme.

On peut soutenir théoriquement et même chercher à faire passer dans la pratique l’idée de « l’état neutre, » indifférent dans toutes ses institutions, même dans ses institutions d’enseignement, à toute question de doctrine, soit religieuse, soit simplement philosophique, et se faisant un devoir de ne couvrir de sa responsabilité aucun acte, aucune parole, aucun emblème qui puisse rappeler ou soulever de telles questions. Ce qui est déraisonnable, ce n’est pas de concevoir un tel idéal et d’en recommander la réalisation progressive, c’est de prétendre imposer une révolution de ce genre à une société vieillie, sans souci des mœurs, des habitudes, des intérêts qui peuvent être en jeu au dedans et au dehors, sans ménagemens pour les consciences, sous la pression et au seul profit d’une petite minorité d’athées.

On peut enfin, d’une manière générale, choisir entre la politique de résistance et la politique de mouvement, la politique de conservation et la politique de progrès, la politique de liberté et la politique d’autorité, la politique de guerre et la politique de paix; on peut aussi chercher un terme moyen, une sorte de juste milieu entre ces politiques contraires. Chacun de ces partis peut avoir sa raison d’être et sa légitimité ; mais ce qui n’est pas permis, c’est de tout confondre, de se montrer dans le même temps faible et violent, réformateur à outrance et impuissant à réaliser aucune réforme; autoritaire à l’excès contre des religieux, la plupart inoffensifs, ou contre de bons citoyens et de braves soldats, qui ont le malheur d’être nés princes, et libéral non moins excessif en face des périls les plus graves et les plus certains; incapable enfin de garder une attitude ferme et digne dans les relations extérieures, de s’abstenir des ingérences aventureuses, et de s’éviter l’humiliation d’une reculade sitôt qu’apparaît une menace de guerre. Il est sage et patriotique de se refuser à tout accommodement avec une telle politique ; il est plus sage et plus patriotique encore de ne pas se borner à une opposition négative, de reconnaître avec netteté et de soutenir résolument la ligne de conduite que commandent à la fois les intérêts permanens.et l’état présent du pays. La critique est facile : la droite et l’extrême gauche la font tous les jours avec une violence qui n’exclut pas la clairvoyance : mais l’une ne se propose que de renverser la république et elle ne peut rien mettre à la place ; l’autre ne se confie que dans les solutions les plus radicales sous la double forme du jacobinisme ou de l’anarchie. La sagesse politique, aujourd’hui comme hier, est dans le programme conservateur et libéral de M. Thiers et de l’ancien centre gauche; dans le maintien d’une république « habitable, » où tous les droits trouvent protection, où les intérêts de tout genre ne soient pas sans cesse menacés par de prétendues réformes, où toutes les tentatives de désordre soient énergiquement et sûrement réprimées, où enfin la France, sans menacer personne et sans s’humilier devant personne, sache rester fidèle aux traditions nationales qui, dans les revers comme dans la prospérité, ont assuré son influence et son bon renom au dehors.

Tels sont les principes sur lesquels refuse de transiger le petit groupe de « dissidens » dont M. Jules Simon est le chef. Ce ne sont ni des monarchistes ni des cléricaux, quoiqu’ils se rencontrent souvent dans leurs votes avec les partisans des dynasties déchues et les défenseurs de certaines prétentions du clergé, justement odieuses à la société moderne. Ce sont des républicains et des libéraux, pour qui la république et la liberté sont le patrimoine commun de tous les Français, non le privilège d’une secte ou d’un parti. « Nous ne sommes, dit M. Jules Simon, les champions ni des congrégations non autorisées, ni des congrégations autorisées, ni de l’église catholique, ni d’une église quelconque : nous n’avons à cœur que la liberté. »

Les « dissidens » sont sans influence à la chambre des députés, où le nom même du centre gauche a disparu. Ils ont plus d’une fois entraîné les votes du sénat, en réveillant les scrupules de quelques-uns de leurs anciens amis qui gardent avec eux beaucoup de convictions communes. Ils sont heureux, pour le bien et pour l’honneur du pays, de ces succès passagers : mais ils n’ont personnellement à en recueillir qu’un redoublement d’injures. La plus absurde de ces injures est certainement celle d’une ambition sans pudeur, adressée à des hommes qui, par fidélité à leur conscience, ont tout fait pour se rendre impossibles. L’accusation d’intrigue n’est pas moins ridicule. Lors même que leur caractère ne protesterait pas contre cette accusation, leur clairvoyance, que l’on veut bien ne pas mettre en doute, en montrerait suffisamment l’inanité. Ils comprennent trop bien toute l’étendue du mal dont nous souffrons pour croire à la possibilité de le guérir par quelque manœuvre parlementaire. Ils comptent assurément sur un retour de patriotisme et de bon sens dans le parlement et dans le pays; mais ils sont sans illusions sur les chances d’un changement prochain et ils craindraient de le compromettre en voulant le précipiter. Ils acceptent tous les concours, mais ne cherchent aucune alliance. Séparés de leurs alliés d’hier, ils ne font aucun fond sur leurs alliés d’aujourd’hui, dont ils n’ont à attendre, au lendemain d’un appui éphémère et d’applaudissemens intéressés, que le renouvellement des outrages d’autrefois. Leur plus grande force pour le moment et leur plus sûr espoir pour l’avenir sont dans l’exemple qu’ils donnent d’un libéralisme ferme et sensé, inaccessible à tous les entraînemens et toujours fidèle à lui-même.

Ce ne sont point toutefois de purs idéalistes. S’ils obéissent avant tout à leurs convictions, ils sont loin d’être indifférens aux considérations « d’opportunité » et de « possibilité, » entendues dans le meilleur sens, et ils peuvent mieux que leurs contempteurs y trouver de sérieux argumens pour la justification de leur conduite. Si on leur dit que leur opposition à des ministères relativement modérés peut avoir pour effet l’avènement de ministres radicaux, ils répondront qu’une politique équivoque est la pire des politiques, et que la cause même de la sagesse est plus sûrement compromise par de soi-disant modérés, qui ne se soutiennent qu’à force de concessions aux partis extrêmes, que par de francs radicaux qui peut-être sentiraient le besoin de faire à leur tour des concessions aux partis moins avancés, ou qui, du moins, s’ils ne voulaient rien retrancher de leur programme, finiraient par lasser la patience du pays et par provoquer une réaction salutaire. Et si l’on ajoute que cette réaction pourrait bien emporter la république elle-même, la réponse est encore facile, car le plus grand danger pour la république serait précisément l’absence ou l’impuissance d’une réaction franchement républicaine : rien ne serait plus propre à favoriser une restauration monarchique que la disparition ou le silence d’un groupe, si petit qu’il soit aujourd’hui, de républicains conservateurs et libéraux, autour duquel peuvent du moins se grouper tous ceux qui sentiront le besoin de s’arrêter sur la pente du radicalisme sans se laisser entraîner sur la pente, non moins périlleuse, d’une révolution nouvelle.

En vain opposerait-on aux justes espérances des « dissidens » leur impopularité présente. Ils savent qu’on revient d’une impopularité plus grande encore. Qui a été plus impopulaire que M. Thiers? Il était en 1835 « l’homme des lois de septembre; » en 1850, « l’homme de la rue de Poitiers, » le promoteur de la loi du 31 mai, l’insulteur de la vile multitude, et, en 1860, il ameutait à la fois contre lui les partisans de l’empire, alors à l’apogée de sa puissance, et les républicains, qui ne lui pardonnaient pas d’ajouter à leurs anciens griefs la défense obstinée du pouvoir temporel de la papauté. Quel revirement en peu d’années! Qui a été plus populaire que « l’élu de vingt-six départemens, le libérateur du territoire, le fondateur de la troisième république? »

On revient de l’impopularité; on revient aussi du dédain des adorateurs du succès pour un groupe de quelques « entêtés » qui ne consentent à acheter la popularité et l’influence par aucune transaction avec leur conscience. Je ne rappellerai pas l’opposition des « cinq, » Je ne veux chercher mes exemples que dans l’histoire même du centre gauche. J’ai rappelé quelles ont été, pour les libéraux modérés, à toutes les époques de notre histoire parlementaire, les alternatives de bonne et de mauvaise fortune. Lorsque Clément Laurier quitta brusquement l’extrême gauche pour le centre droit, en 1872, Gambetta, son ancien ami, lui demanda, dit-on, pourquoi il ne s’était pas au moins arrêté au centre gauche. « Fi ! aurait-il répondu, le centre gauche, c’est le salon des refusés! » Ou entrait alors dans les mauvais jours qui précédèrent la chute de M. Thiers. La cause du centre gauche paraissait déjà bien ébranlée : on put la croire irrémédiablement perdue un an plus tard, après le 24 mai. Il avait vu comme aujourd’hui des dissidens se séparer de lui et le gros de ses membres se rapprocher de plus en plus de la gauche, plus remuante, mais non moins impuissante. Et cependant deux années ne s’étaient pas écoulées que le « salon des refusés » assurait l’établissement constitutionnel de la république en ralliant à son programme, intégralement maintenu, une importante fraction du centre droit, la totalité de la gauche et la plus grande partie de l’extrême gauche elle-même. Les républicains sincèrement modérés sont retombés à l’état d’un petit groupe; mais qui voudrait affirmer qu’ils ont dit leur dernier mot? La célèbre maxime, si souvent démentie, a sa part de vérité : La France est centre gauche, sinon par une opinion constamment dominante, du moins par la moyenne de ses opinions. Elle s’écarte sans cesse de cette moyenne par des oscillations qui l’emportent parfois jusqu’aux partis les plus extrêmes; mais, dans les grandes crises, elle sait revenir d’elle-même au point fixe d’un libéralisme raisonnable, par un suprême effort de bon sens. Le beau livre de M. Jules Simon ne paraît propre aujourd’hui qu’à consoler les vrais libéraux et à soutenir leur courage : ce sera peut-être, dans quelques années, le programme d’une politique nouvelle pour la France désabusée des équivoques, des vaines agitations, des fautes de tout genre qui ont si gravement compromis son repos, sa prospérité et son honneur.


EMILE BEAUSSIRE.

  1. On objectera peut-être que M. Jules Simon n’a jamais appartenu aux groupes parlementaires qui ont pris le nom de centre gauche, et qu’il a publié un livre sous le nom de Politique radicale. Ce n’est pas l’inscription de son nom dans tel ou tel groupe qui classe en homme politique parmi les modérés ou les extrêmes : c’est son caractère et l’ensemble de ses actes. Quant à l’épithète de radical, elle n’était sous l’empire que l’équivalent, imposé par la légalité, de celle de républicain.
  2. « Voilà une constitution qui relève de la vérité philosophique et qui l’avoue. On ne nous parlera plus désormais de religion d’état : c’est quelque chose pour la liberté; on ne nous parlera plus d’état athée : c’est immense pour la morale. Cette invocation du nom de Dieu me manquait quand je lisais nos deux chartes, quand je parcourais nos codes. Glace à Dieu, la voilà! Il me semble entendre une prière prononcée par la voix de tout un peuple. Lorsque, dans un avenir prochain, on fera dans toute l’étendue de la république, épeler à l’enfant du pauvre la constitution de son pays. Dieu, la loi et la patrie entreront en même temps dans son cœur. Voilà la vraie grandeur du XIXe siècle : nos pères avaient conquis la liberté, c’était à nous de la sanctifier. » (La Liberté de penser, 15 septembre 1848.)
  3. M. Jules Simon place la fondation de l’union républicaine en 1876. C’est une erreur. Elle a suivi de très près les élections du 2 juillet 1871. Ce n’est pas le seul point sur lequel ses souvenirs l’aient mal servi. Ainsi il fait entrer dans le ministère présidé par M. Dufaure en 1876, M. Wallon, qui avait fait partie du ministère Buffet en 1875 et avait été remplacé, sous M. Dufaure, par M. Waddington.
  4. Politik als Wissenschaft. C’est la troisième partie de la Théorie de l’état moderne. Lehre vom modernen Staat. Cette troisième partie, comme la première, la Théorie générale de l’état, a été traduite en français par M. de Riedmatten.
  5. Ses discours de 1848 à 1851 et de 1871 à 1873, pour qui sait lire et comprendre, sont des merveilles sous ce rapport. Il y règne une ironie à peine voilée, qui montre combien peu il s’était livré, soit à la droite dans la première de ces périodes, soit à la gauche dans la seconde, et cette ironie n’exclut pas une sincérité d’accent qui prouve combien il était pénétré des grands intérêts dont il avait pris résolument et courageusement la défense. La même ironie, unie à la même sincérité, se laisse voir encore dans le manifeste électoral publié après sa mort, particulièrement dans les éloges qu’il décerne à la sagesse du parti républicain : éloges mérités sans doute, mais par les seuls modérés, et où se cachait une leçon pour les radicaux, dont l’opposition constante aurait tout compromis si elle n’avait été compensée par le concours de la droite monarchique. On a prétendu (Revue politique et littéraire du 24 février 1883) que M. Thiers, lorsqu’il écrivait ce testament politique, avait accepté un programme radical, dont le premier article aurait été l’amnistie plénière. L’auteur de cette révélation inattendue, M. Joseph Reinach, invité à l’expliquer, a invoqué, dans une lettre au journal le Parlement, le témoignage d’un député de l’extrême gauche, à qui M. Thiers aurait promis, s’il revenait au pouvoir, d’user dans la plus large mesure du droit de grâce et de faire rentrer tous ses amis. Il faut une assez grande naïveté pour confondre des grâces, si étendues qu’elles soient, avec une loi d’amnistie plénière et pour ne pas saisir l’avertissement, plein à la fois de bonhomie et de malice, contenu dans ces mots : « Nous ferons rentrer vos amis, nous les ferons rentrer tous. » La vraie pensée de M. Thiers sur l’amnistie est exprimée dans son manifeste, où. il félicite la chambre dissoute de s’être bornée à réclamer, dans un intérêt d’apaisement, la cessation des poursuites, et « des grâces accordées à propos, » et d’avoir «laissé au pouvoir exécutif lui-même le soin de les distribuer, pour qu’il en eût le mérite auprès de ces esprits troublés et que ces grâces ne fussent pas un démenti donné à la justice. »
  6. Ni la chambre des députés en 1830, ni l’assemblée constituante en 1848 n’ont mis en discussion la forme du gouvernement; elles n’ont fait qu’acclamer la révolution accomplie.
  7. Dans les pays où la question de la forme du gouvernement est définitivement résolue, il y a aussi, pour d’autres causes, un élément perturbateur dont le rôle est analogue à celui de nos partis anticonstitutionnels. Telle est la question irlandaise dans le Royaume-Uni, la question catholique dans l’empire d’Allemagne, la question slave dans l’Autriche-Hongrie.
  8. Rien de moins conservateur, par exemple, que les votes des députés de la droite dans les discussions des lois sur la presse ou sur les droits de réunion et d’association.