Un Ligueur : le comte de la Fère, par Édouard Colas de la Noue (Delachenal)

Un Ligueur : le comte de la Fère, par Édouard Colas de la Noue (Delachenal)
Bibliothèque de l’École des chartestome 56 (p. 374-375).
Un Ligueur : le comte de la Fère, par Ed. Colas de la Noue, ancien magistrat. Ouvrage orné de plusieurs héliogravures. Paris, E. Lechevalier, 1892. In-8o, 242 pages.


Le personnage auquel ce volume est consacré n’est autre que Jacques Colas, connu dans l’histoire des guerres civiles du XVIe siècle sous le nom de sénéchal de Montélimar et qui fut fait comte de la Fère par le roi d’Espagne cinq ou six ans seulement avant sa mort. Il naquit vers 1547 à Montélimar, où son père était avocat à la sénéchaussée, mais il se rattachait à une ancienne famille noble de l’Orléanais dont une branche s’était établie dans le Valentinois, en 1468, à la suite de revers de fortune. Après avoir étudié le droit à Valence, où il fut l’élève de Cujas, il revint dans sa ville natale et s’adonna avec succès à la plaidoirie. Il n’était pas destiné à rester toute sa vie un homme de robe. Son caractère énergique et la fermeté de ses convictions religieuses, qui à l’Université l’avaient déjà fait considérer comme le chef des catholiques, le préparaient et l’appelèrent bientôt à jouer un rôle moins effacé.

En 1573, Jacques Colas accompagne en qualité de secrétaire l’évêque de Valence Jean de Montluc, envoyé comme ambassadeur en Pologne pour préparer l’élection au trône du duc d’Anjou, le futur Henri III. Trois ans après, il est l’un des dix députés par lesquels le tiers-état de Dauphiné se fait représenter aux États généraux de Blois. Il venait d’être nommé vi-sénéchal de Montélimar, et ce titre l’avait vraisemblablement désigné au choix des électeurs. Toutefois, comme il n’avait pas encore l’âge requis pour exercer la charge dont il était investi, ce n’est qu’à son retour de Blois qu’il put entrer en fonctions.

Sa vie fut dès lors celle d’un homme d’épée. Il prit une part active à la guerre des paysans (1578-1579) ; l’un des premiers il donna son adhésion à la Ligue, qui n’eut pas de partisan plus convaincu. Lesdiguières s’étant emparé de Montélimar en 1585, le sénéchal fut contraint de s’expatrier. Il se rendit auprès du duc de Mayenne, qui lui confia d’abord le commandement d’une compagnie de cent hommes d’armes et le chargea dans la suite d’aller négocier avec le duc de Parme l’envoi de troupes espagnoles destinées à faire lever le siège de Paris. Grand-prévôt de l’hôtel en 1590, il fut enfin nommé gouverneur de la Fère, à la place du marquis de Maignelay, qui trahissait la Ligue et était sur le point d’ouvrir les portes de la ville à Henri IV. Ce changement ne se fit pas sans effusion de sang ; Maignelay y perdit la vie ; mais rien n’établit qu’il ait été assassiné par l’ordre de Jacques Colas. L’abjuration et la victoire définitive de Henri IV ne purent avoir raison de l’obstination de l’ancien sénéchal. Au lieu de vendre chèrement sa soumission, à l’exemple des principaux chefs de la Ligue, il rejeta les offres avantageuses qui lui furent faites et resta, par point d’honneur, au service de l’Espagne. Créé comte de la Fère par Philippe II (12 janvier 1595), il soutint contre l’armée française un long siège, à la suite duquel il obtint une capitulation des plus honorables. Il se retira alors auprès de l’archiduc Albert, son protecteur, et c’est à ses côtés qu’il fut blessé mortellement à la bataille de Nieuport, qui précéda l’investissement d’Ostende (2 juillet 1600).

Le livre de M. Colas de la Noue, que complètent de nombreux documents inédits tirés des archives de la Drôme et de divers dépôts étrangers, est un chapitre curieux de l’histoire militaire et religieuse du XVIe siècle. Je ne sais s’il ne tourne pas un peu trop à l’apologie. La raison en est sans doute qu’il était nécessaire de venger Jacques Colas des allégations malveillantes de l’historien de Thou, qui, s’étant trouvé en compétition avec lui à l’Université de Valence, lui gardait rancune. Il a été plus d’une fois injuste pour un homme qui eut au moins le mérite de rester obstinément fidèle à une cause perdue et dont la conduite ne manqua ni de courage, ni, semble-t-il, de désintéressement.


R. Delachenal.