Un Idéologue sous le Consulat et le premier Empire

Un Idéologue sous le Consulat et le premier Empire
Revue des Deux Mondes5e période, tome 32 (p. 128-152).
UN IDÉOLOGUE
SOUS LE
CONSULAT ET LE PREMIER EMPIRE

Une étude attentive de l’histoire nous apprend à nous défier des généralisations trop absolues. La prétendue unité morale, que l’on attribue quelquefois à toute une époque, n’est le plus souvent qu’un trompe-l’œil, qui dissimule la complexité réelle des idées et des caractères. Par exemple, s’il convient de signaler au début du XIXe siècle, après le grand bouleversement social de la Révolution, la renaissance du catholicisme et le recul des idées philosophiques sous le Consulat et le Premier Empire, il ne faudrait pas croire cependant que la philosophie eût complètement abdiqué ; c’est autour des philosophes, de ceux qui s’appelaient eux-mêmes et que Bonaparte appelait par dérision les « idéologues, » que se forme un groupe puissant d’opposition contre le Premier Consul et l’Empereur ; ce groupe a ses salons, celui de Mme Helvétius d’abord, de Mme de Staël ensuite ; il a son organe officiel, le journal La Décade ; il a son asile et son temple, l’Institut. Quelques années plus tard, quand l’idéologie semble définitivement vaincue en France et désormais silencieuse, elle se réfugie à l’étranger, continue la lutte contre le despotisme. C’est une Genevoise, c’est une cosmopolite, Mme de Staël, qui, pourchassée de pays en pays, lui donne sa forme politique la plus éloquente, soutient avec une ténacité inlassable les droits de la raison et de la liberté. Mais elle n’est pas seule à combattre pour cette cause. En ce temps-là vivait dans une petite ville de l’Allemagne du Nord, à Lubeck, un ancien officier français émigré, membre de la Société royale des sciences de Gœttingue, et membre correspondant de l’Institut de France, Charles-François-Dominique Villers. Ce personnage représente excellemment à nos yeux, avec ses qualités et ses défauts, les tendances maîtresses de l’idéologie, mais d’une idéologie teintée de germanisme, dégagée des préjugés purement français, élargie par l’expérience d’une grande Révolution, le spectacle d’une nation étrangère, la connaissance approfondie de, ses mœurs et de sa littérature. Cependant c’est bien, sous une autre forme, le vieil esprit d’idéologie qui revit en lui. On le reconnaît à trois signes essentiels : le cosmopolitisme le plus absolu et un dédain souvent injuste de la France et des Français ; — l’opposition décidée au catholicisme, à ses conséquences politiques et sociales ; — enfin l’horreur de la guerre et de la conquête.

Tout homme est le produit de sa propre nature et des circonstances. Voyons quelle est la nature de Villers, quelles sont les circonstances de sa vie ; elles feront, mieux comprendre l’œuvre.


I

La Révolution, l’émigration surtout ont eu sur Villers une influence décisive ; elles l’ont révélé à lui-même.

Lorrain de naissance (il était né dans la petite ville de Boulay, le 4 novembre 1765), issu d’une famille bourgeoise qui, comme tant d’autres, avait usurpé la particule, il entre à l’école d’artillerie de Metz, devient officier, promène ses loisirs de garnison en garnison, de Toul à Strasbourg et à Besançon, écrit une tragédie, Ajax, fils d’Oïlée, apprend le grec et l’hébreu dans les intervalles de la manœuvre, se passionne, comme tout le monde, pour Mesmer et le magnétisme, se lie avec Cagliostro, écrit un petit roman, le Magnétiseur amoureux. En même temps, comme il est doué d’une jolie figure et d’un « cœur sensible, » il est homme à bonnes fortunes : on cite Lorenza Feliciani, la compagne de Cagliostro, et une certaine Mme Antoine, femme du lieutenant général au bailliage, plus tard député à l’Assemblée nationale. Bref, Villers, à cette époque, représente assez bien le type du jeune officier d’ancien régime, ardent, intelligent, qui a des loisirs et les partage, de façon équitable, entre la science, la poésie et l’amour. Au physique, il a le front large, le nez un peu fort et sensuel, le regard vif et hardi[1] ; au moral, il a l’esprit très ouvert, très curieux de science et d’érudition, passionné, enthousiaste jusqu’à la naïveté même. Ce caractère, il le gardera toute sa vie.

Vint la Révolution. Villers ne l’admira point ; ce ne fut que plus tard, en exil, qu’il se rallia à son principe, à ses conséquences. Mais, chose curieuse, ce futur idéologue a dans l’esprit un besoin de clarté et de précision, qui s’accommode mal des brouillards de l’idéologie : son goût pour la science, les recherches exactes, méthodiques, le préserve. Il lui sembla donc que beaucoup de gens, en ce temps-là, parlaient de la liberté, sans savoir au juste ce dont ils parlaient ; il écrivit contre eux plusieurs libelles, dont un est significatif : De la liberté ; son tableau et sa définition ; ce qu’elle est dans la société, avec ce mot d’Aulu-Gelle pour épigraphe : Tout le monde en parle et personne ne sait ce que c’est.

S’il fût resté en France, il eût probablement péri sur l’échafaud, ou, caché en quelque coin de province, attendant la fin de la tourmente, il se fût confiné dans un royalisme étroit et chagrin. Mais il émigra, servit dans l’armée de Condé et dans l’armée des princes ; après une tentative malheureuse de rentrée en France, il cherche asile en Hollande, en Allemagne, sur les bords du Rhin, à Gœttingue, où il séjourne à deux reprises, en 1794 et en 1796, et qui l’enchante par ses savans, ses penseurs, puis à Lubeck, dont il fait sa patrie d’adoption, où le retient une liaison durable avec Mme Rodde, fille de l’historien Schlœzer, femme d’un sénateur de Lubeck. Désormais sa vie est fixée, il a eu sa crise. Le jeune officier du régiment de Metz, le brillant aide de camp de M. de Puységur est mort ; Villers l’idéologue, le cosmopolite va naître. Il a trouvé sa vraie patrie, l’Allemagne. Quant à l’autre, la France, sauf l’Institut, il ne l’aime guère. Si parfois il vient à Paris avec Mme Rodde, c’est pour médire de ses anciens compatriotes, de leur légèreté, de leur fatuité : « Être condamné à passer ma vie ici, écrit-il de Paris à Mm9 de Staël, me serait un supplice insupportable[2] ! » Et vite, il retourne dans ce pays d’élection de son esprit et de son cœur, dans ses chères villes hanséatiques qu’il défendra plus tard contre la tyrannie de Napoléon et de Davout. Il ne quitte Lubeck, en 1811, que chassé par Davout, et c’est pour aller à Gœttingue, où il professe à l’Université ; et, quand après la chute de Napoléon, le cabinet de Hanovre le destitue, il ne veut pas rentrer en France ; il reste à Gœttingue et il y meurt, le 11 février 1815.

D’où vient ce détachement absolu, incroyable de la patrie ? Cette germanisation rapide, profonde, qui étonne et scandalise une Mme de Staël elle-même[3] ?

Sans nul doute, d’abord de l’émigration. C’est un sentiment moins rare qu’on ne croit dans ce monde des émigrés, qui pullule en Suisse, en Allemagne, à Hambourg surtout, et en Angleterre. Ce n’est pas, si l’on veut, la haine de la France ; mais, chez beaucoup, c’est une sorte de désaffection, mêlée de rancune, à l’égard de ce pays qui les chasse, confisque leurs biens, menace leurs vies même. Beaucoup de ces Français, fixés à l’étranger, rentrés plus tard en France, s’y sentent inquiets, dépaysés : témoin ce duc de Richelieu, le bienfaiteur d’Odessa, qui, de retour à Paris, ministre de Louis XVIII, avait la nostalgie de la Russie. Témoin encore Chateaubriand qui, sans aller, comme Villers, jusqu’au cosmopolitisme, se répand en propos amers sur la France du Consulat et de l’Empire, rêve de la quitter pour la Louisiane, la Russie ou l’Italie : « Nous autres Français, écrit-il à Mme de Staël en 1805, pourquoi serions-nous si attachés à notre sol paternel ? On m’y a pris tout ce que j’avais. On m’aurait arraché la vie comme à tant d’autres, si on m’avait trouvé à une certaine époque[4] ! » Villers, lui aussi, avait failli perdre la vie dans son pays : revenu furtivement à Boulay, sa ville natale, dénoncé, il n’avait échappé qu’à grand’peine aux perquisitions, à la mort[5]. De tels souvenirs sont vivaces, influent, à notre insu, sur nos jugemens.

A vivre longtemps à l’étranger, on en prend les pensées et les mœurs : « J’étais, dit Chateaubriand, Anglais de manières, de goût et, jusqu’à un certain point, de pensées[6]. » Mais pour Villers, cela va plus loin encore : il n’est pas devenu Allemand ; il s’est reconnu dans l’Allemagne. C’est un curieux phénomène que cette séduction exercée par l’Allemagne à la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe sur les plus rares esprits de France. A l’anglomanie du XVIIIe siècle succède la germanomanie, et celle-ci dure pendant tout le romantisme. Villers, du moins, parle en connaissance de cause ; au dire des Allemands, de Süpfle par exemple, nul n’a pénétré plus avant dans l’âme allemande. Nul n’a compris, senti plus vivement le charme de cette Allemagne d’alors, des mœurs simples, candides, hospitalières des petites villes d’universités, comme Gœttingue, foyer de pensée, ruche paisible où s’élabore la science, où de bons professeurs, un Heyne, un Kœstner, un Brandies, levés à cinq heures du matin, travaillent douze heures par jour et, le soir venu, s’assoient avec quelques amis autour du poêle de faïence et se délassent aux propos de leur femme, pendant qu’autour d’eux les enfans s’égayent. Cette Allemagne pensive, familiale et sérieuse a séduit Villers, avant de séduire Mme de Staël ; il l’a aimée plus sincèrement peut-être. « J’ai compris là comment une petite ville pouvait plaire, » lui écrivait de Weimar le futur auteur de l’Allemagne. Mais, au fond, Mme de Staël n’aimait que Paris ; Weimar pouvait bien, avec Gœthe et Schiller, amuser quelques semaines sa curiosité ; elle y fût morte d’ennui, si elle eût dû y passer sa vie.

Villers, au contraire, fut ravi de ce calme, de cette solitude. Dans un temps où la France révolutionnaire était déchirée de querelles intestines, où l’Europe, du Rhin à l’Adige, retentissait du fracas des armes, il y avait tout au fond de la Westphalie une oasis de la pensée, où des sages vertueux accomplissaient avec calme la besogne quotidienne, n’avaient d’autre passion que celle de la vérité et de la science. « Une ville de 500 000 habitans, écrivait quelques années plus tard Benjamin Constant, peut sauter en l’air, sans qu’un professeur de Gœttingue lève les yeux de dessus son livre[7]. » Villers connut à Gœttingue la science allemande ; et il connut à Lubeck la vie active de ces petites républiques indépendantes[8], jalouses de leurs droits, fières de leur liberté ; où chaque citoyen n’est pas opprimé par le poids énorme d’un grand État, où d’honnêtes bourgeois et de notables négocians, constitués en Sénat, exercent une autorité paternelle, plus soucieuse des intérêts de la cité que de la vaine gloire. C’est ainsi que l’émigré Villers, entre 1794 et 1800, se détacha peu à peu de la France : il admira sincèrement l’Allemagne et cria très haut son admiration, par conviction d’abord et par reconnaissance, puis aussi par rancune et désir, inconscient peut-être, de faire la leçon à ses anciens compatriotes ; et il apprit en Allemagne le cosmopolitisme.

C’est une tournure d’esprit assez commune parmi les gens cultivés, en France même, à la fin du XVIIIe siècle. Mais on peut dire que l’Allemagne à cette époque est la terre bénie du cosmopolitisme. Comme on l’a fort bien remarqué, « il est difficile de se dégager de toute prévention patriotique, quand on appartient à un grand peuple de quarante millions d’âmes, que l’on se sent vivre de sa vie, jouir de ses triomphes et passer avec lui, dans les jours critiques, par les tragiques alternatives de la crainte et de l’espoir[9]. » Mais au XVIIIe siècle, cet intérêt n’existait pas pour l’Allemagne. Que désignait ce mot ? Une poussière d’Etats, de principautés, de villes libres impériales, sans lien assuré, sans idéal politique commun. Pour tout ce qui pensait au-delà du Rhin, la science était la grande affaire, l’humanité la seule et vraie patrie. Kant, en 1798, signalait le « manque absolu d’orgueil national » des Allemands ; et n’était-ce pas un des plus nobles génies de l’Allemagne, Herder, qui s’exprimait ainsi : « Nous avons de plus nobles héros qu’Achille et un patriotisme plus élevé qu’Horatius Coclès[10] ? »

Ces paroles et d’autres semblables, tombant dans le cerveau de Villers, ont orienté sa vie. Il a cru de toute son âme à la religion de la science, à la religion de l’humanité. Alors même qu’en France l’idéologie se tait sous l’Empire, alors qu’au lendemain d’Iéna s’éveille le patriotisme germain et que surgit une Allemagne nouvelle, Villers continue son rêve dans l’Europe en armes. A ses yeux, le savant est un prêtre ; la science est un sacerdoce ; elle unit les hommes, elle aplanit les différends entre les peuples, elle élève sa voix jusqu’au trône des rois ; ou plutôt elle règne elle-même par la seule force de la vérité et de la justice. On reconnaît en cet idéologue d’outre-Rhin une dose considérable d’idéologie française. Cette idée de la science arbitre des nations, de la raison guidant la politique, c’est l’idée maîtresse de ceux qui, aux environs de 1800, sont de la « religion de l’Institut. » Villers, lui aussi, était de cette religion ; il l’affirme, de façon emphatique et naïve, par la dédicace de son Essai sur Kant : « A l’Institut national de France, tribunal investi d’une magistrature suprême dans l’Empire des sciences, juge national et en premier ressort de toute doctrine nouvelle offerte à la nation ! » Sa joie ne connaît plus de bornes, quand il est nommé membre correspondant de cet Institut : « Nous autres, gens de l’Institut, écrit-il, prêtres de la vérité ! » Tout Villers est dans ce mot naïf, démesurément orgueilleux : il a pris au sérieux son rôle et il l’exerce en conscience. D’autre part, comme il est de tempérament vif, ardent et d’humeur agressive, qu’il a perdu, par un long séjour en Allemagne, l’art de s’exprimer en français avec nuance et mesure, il blesse, il irrite l’adversaire, et il a la candeur de s’en étonner.

Mais cet idéologue maladroit est un esprit très bien informé, très ouvert, un précurseur même. Il faut le voir à l’œuvre.


II

Il a été, avant Mme de Staël, l’intermédiaire le plus notable entre la pensée allemande et la pensée française, et il a consacré à cette œuvre toute sa vie.

Il avait commencé son apostolat de très bonne heure, en 1797, à Lubeck. En ce temps-là vivait à Altona et à Hambourg un émigré français, Amable de Baudus, qui, dès 1791, avait quitté la France, puis, après avoir fait campagne dans l’armée des Princes, s’était réfugié en Hollande et en Allemagne, où il s’était fixé dans ces villes hanséatiques, qui devaient offrir à Villers un asile. Baudus, personnage fort intelligent et très actif, ancien avocat du Roi à la sénéchaussée de Cahors et procureur syndic du département du Lot, imagina d’occuper ses loisirs forcés, en étudiant la langue et la littérature de l’Allemagne. Il avait fondé deux journaux, la Gazette d’Altona et le Spectateur du Nord, journal mensuel « politique, littéraire et moral, » rédigé en français ; il eut pour collaborateurs à ce dernier recueil les gens de lettres émigrés, qui formaient, à Hambourg et dans les environs, un cercle brillant, où dominaient sans doute les tendances monarchiques, mais où régnait aussi un esprit moins étroit que celui de l’émigration en général, et le désir très vif de s’initier aux idées et à la littérature de l’étranger. Parmi ces Français polis et lettrés, qui furent les collaborateurs de Baudus, on remarque MM. de Mesmon, de Chênedollé, de Pradt, Rivarol, Jaubert, et enfin Charles Villers. Celui-ci prit sa collaboration au sérieux. Dans les seules années 1798-99, il fit insérer dans le Spectateur du Nord soixante-sept articles sur les sujets les plus divers. Évidemment, ce ne sont pas les essais sur Justine ou les malheurs de la vertu, ou ce petit sac que portent les dames « appelé balantine ou ridicule, » qui méritent de passer à la postérité ; mais Villers a vu très nettement les services que l’émigration pouvait rendre à l’esprit français, et il a eu le mérite de lui tracer, dans une page éloquente, un programme véritable.

Il s’agit de l’article intitulé : Idées sur la destination des hommes de lettres sortis de France et qui séjournent en Allemagne[11]. Il est remarquable par sa clairvoyance et sa justesse, le parfait sentiment de mesure et Je ton de réelle sympathie avec lequel Villers parle de sa patrie. Ce ton est rare dans son œuvre ; mais alors l’évolution n’est pas complète, Villers n’a pas oublié la France. Il lui arrive même d’écrire ces lignes reconnaissantes et émues : « Aujourd’hui république, demain monarchie, dans la diversité continuelle des choses humaines, c’est toujours la France qui demeure ; c’est la terre qui a nourri nos premières années, qui nous a donné ses mœurs, son langage ; nous y avons puisé ce caractère national, cette fermeté qui rit dans le malheur, cette gaieté qui nous soutient et nous console[12]… » Il a fait de l’émigré français, de ses qualités aimables et solides jusque dans l’infortune, une esquisse juste et charmante ; mais il montre fort bien en même temps qu’en vain le Français essayerait de conserver à l’étranger cette légèreté, cette « fleur d’agrément, » que, même en France, « on trouve rarement hors de la capitale. » Les gens de lettres émigrés ont une plus noble tâche à remplir : « Ils vivent dans un pays fertile, et c’est de ses productions qu’ils peuvent enrichir la France. Les écrivains de l’Allemagne y sont trop peu connus ; nous nous trouvons au milieu d’eux ; apprenons leur langue ; étudions leur esprit ; discernons ce qu’ils ont de bon et ce qui manque à notre littérature ; qu’une critique saine fasse un choix sévère, et envoyons à notre patrie ces précieux matériaux que nous aurons disposés pour elle. » On ne pouvait mieux dire ; c’était une idée féconde et un noble langage. Cette idée, d’autres émigrés, les Gérando, les Bonald, les Chênedollé en Allemagne, les Chateaubriand, les Fontanes, les Delille en Angleterre, l’ont eue aussi ; mais nul ne l’a exprimée avec plus de netteté et d’éloquence. Dans son Roman célèbre de Corinne, Mme de Staël a raillé sans pitié, sous les traits du comte d’Erfeuil, la fatuité française : l’émigration, il est vrai, a connu beaucoup de d’Erfeuil ; elle a eu aussi quelques Villers.

Celui-ci ne s’est pas contenté de tracer la voie ; il a prêché a exemple. Il a publié dans le Spectateur du Nord sur la littérature allemande en général, sur l’Iphigénie de Gœthe, sur les poésies de Voss[13], d’intéressantes études. Mais sa véritable originalité est d’avoir, sinon révélé, du moins contribué à répandre en France la doctrine et les principes de Kant. Si l’influence de l’Allemagne a déterminé chez l’émigré Villers une évolution complète des idées et des sentimens même, on peut dire que la crise décisive lui est venue de Kant ; c’est Kant qui a dominé, hanté sa vie ; c’est Kant qui a donné à son idéologie des tendances et des formes différentes de celles des idéologues français, héritiers de Locke et de Condillac. Dès 1797, dans ses Lettres westphaliennes, il parle de cette philosophie nouvelle ; en 1798, il publie dans le Spectateur du Nord sa Notice littéraire sur M. Kant et sur l’état de la métaphysique en Allemagne, il traduit pour le même recueil l’opuscule de Kant : Idée de ce que pourrait être une histoire universelle dans les vues d’un citoyen du monde ; en 1799, il analyse la Critique de la Raison pure[14]. Mais ce ne sont là que des travaux d’approche, les préliminaires du grand ouvrage qu’il publie à Metz en 1801 et qui est intitulé : Philosophie de Kant, ou principes fondamentaux de la philosophie transcendantale. De cette méditation constante, de cette étude attentive et presque religieuse, que résulte-t-il ?

En premier lieu, Villers a pris dans Kant la pleine conscience de son cosmopolitisme, l’idée directrice de toute sa vie. Il se considère bien réellement, — tel le philosophe de Kœnigsberg, — comme citoyen du monde ; et ce n’est pas chez lui une vaine formule, mais conviction intime et réfléchie, principe d’action qu’il applique, à ses risques et périls, en toutes circonstances. Il a été très frappé des idées de Kant sur la guerre, sur la civilisation ; c’est pourquoi il traduit ses « vues » sur l’histoire universelle ; on y remarque cette phrase significative : « Tant que les États n’emploieront leurs forces qu’à de vains et violens projets d’agrandissemens, tant qu’ils traverseront ainsi les lents efforts des citoyens vers une forme intérieure de système moral, qu’ils leur enlèveront même tout appui pour y parvenir, » la vraie civilisation, qui est le « perfectionnement de la moralité, » sera impossible ; et cependant, en dehors de ce perfectionnement, « tout le reste n’est qu’un pur semblant et que brillante misère. » Ces idées, la croyance en la perfectibilité de l’homme, l’horreur de la guerre, ne sont pas nouvelles ; elles se trouvent chez les philosophes du XVIIIe siècle Mais ce qui manquait à ces philosophes, c’était un principe de vie certain, immuable, résidant au plus profond de l’âme humaine. Ce principe, Kant a cru le découvrir, et c’est par là qu’il a ravi, enthousiasmé Charles Villers : il a nourri son idéologie.

Donc, en second lieu, Villers proclame la faillite du sensualisme du XVIIIe siècle, de la morale de l’intérêt personnel, la nécessité d’une philosophie qui « s’attache à la conscience de l’homme[15] » et puise en elle le sentiment du devoir. Telle est la grande nouveauté de sa Philosophie de Kant. En 1801, cet ouvrage eut un succès de scandale ; Villers y prenait plaisir à blesser, dans les termes souvent les plus ridicules, la susceptibilité française. Il s’annonçait en prophète et en révélateur ; on a fort bien montré qu’avant lui Kant n’était pas inconnu en France[16] ; un peu de modestie eût été nécessaire. Villers fut raillé pour son pédantisme, et c’était justice. Mais, du moins, il avait forcé l’attention publique ; on le lut ; on saisit mieux avec lui ce que d’autres commentateurs n’avaient pas su mettre en lumière, le principe puissant de moralité, qui se dégage d’une telle philosophie. Le livre venait à son heure ; c’était le temps où, sous l’influence des événemens politiques, s’opérait une réaction très vive contre les philosophes du XVIIIe siècle. Il est remarquable de voir que les coups les plus violens portés à leurs idées vinrent de l’émigration. Au moment où l’émigré Villers faisait paraître son livre, un autre émigré, furtivement rentré en France, travaillait d’un labeur acharné au grand ouvrage qui, dans sa pensée, devait venger la religion chrétienne des attaques de la « philosophie. » Ce que Chateaubriand faisait au nom du christianisme, Villers le faisait au nom de l’idéalisme de Kant. Tous deux avaient senti l’illumination soudaine. Sous le coup de malheurs domestiques inouïs, Chateaubriand s’était souvenu de la foi des ancêtres ; Villers avait eu en Allemagne la révélation de la vraie doctrine et de la vraie science. Tous deux aussi écrivaient sous l’influence récente des grands événemens révolutionnaires ; émigrés, victimes de la haine des partis, ils n’étaient pas exempts l’un et l’autre de ce préjugé si commun alors, qui attribuait à la philosophie du XVIIIe siècle toutes les calamités publiques ; pour Villers comme pour Chateaubriand, c’était le « sensualisme, » la morale de l’intérêt personnel, dégradant l’homme, paralysant la conscience, qui avait enfanté le « jacobinisme[17]. » On avait vaincu le jacobinisme par la force ; il fallait « vaincre l’encyclopédisme par la raison. » C’était le point précis où Villers se séparait de Chateaubriand. Ils voulaient tous deux proposer à l’esprit humain un plus haut idéal ; mais Chateaubriand exaltait la foi des ancêtres, source d’héroïques vertus et d’immortels chefs-d’œuvre ; Villers, en bon idéologue, prétendait guérir les maux de la raison par la raison même : « Il y va, s’écriait-il avec enthousiasme, il y va du salut de tous ; il y va de la gloire et du bonheur de la nation, de la paix et du bonheur de toutes les familles ! »

Tirer de l’idéalisme kantien une morale et une règle de vie, relever ainsi l’esprit public, tel est le but que poursuit Villers en publiant son ouvrage. Il est certain, en dépit de faciles railleries, que l’impression sur quelques intelligences d’élite fut vive. Mme de Staël, en particulier, lut avec passion ce livre. Il lui a révélé à peu près tout ce qu’elle devait dire plus tard de Kant. Mais, surtout, il était trop bien d’accord avec ses propres pensées pour ne pas aller jusqu’au plus profond de son âme. Ce qui n’était encore à ce moment de sa vie morale qu’intuition vague, lueur incertaine et confuse, se précise et s’éclaire. Un an plus tard, dans l’automne de 1802, déjà proscrite, délaissée de ses amis, victime de passions qui avaient dévoré son existence, elle cherche un principe solide auquel elle puisse rattacher ses espérances ; elle sent, écrit-elle à Gérando, qu’il y a « quelque chose de plus dans notre être moral[18] » que les idées qui nous viennent par les sens. Elle saisit, avec sa prompte intelligence, la grande idée de Kant, la beauté de cette loi morale, inscrite dans notre l’or intérieur. Cette idée la soutient plus tard dans ces épreuves, explique son indomptable énergie et sa foi dans l’avenir[19].

Enfin l’ouvrage de Villers eut cet autre résultat d’attirer vivement vers l’Allemagne l’attention des esprits les plus distingués de France à cette époque, parmi lesquels il faut encore placer au premier rang Mme de Staël. Il y avait, d’ailleurs, entre elle et Villers des affinités remarquables, un ardent désir de connaître, une curiosité infatigable, le don de l’enthousiasme et un besoin d’associer à leur pensées l’humanité tout entière : ils représentent tous deux fort bien à cette époque cette tendance maîtresse de l’idéologie, le cosmopolitisme. Déjà, en 1800, dans son livre De la littérature, Mme de Staël signalait l’intérêt profond des littératures du Nord. Mais à ce livre, si plein de vues prophétiques, manquait, il faut l’avouer, la précision scientifique et la parfaite connaissance des œuvres. Mme de Staël n’avait point vu l’Allemagne ; elle savait peu de chose de sa littérature, de ses mœurs ; elle ne savait rien encore de sa langue. Enfin elle était imbue de préjugés essentiellement français, dont souriait l’audacieux Villers. Celui-ci, jeté depuis dix ans hors de France, vivant en Allemagne, parlant, écrivant la langue, lié d’amitié avec les savans, les philosophes, les historiens, les poètes d’outre-Rhin[20], devenu leur frère par alliance jusqu’à oublier quelque peu ses anciens compatriotes, était mieux qualifié que Mme de Staël pour se faire l’introducteur en France du génie allemand. Il ne cachait pas que telle était son ambition, en écrivant son livre : « Il semble, disait-il, qu’il y ait une distance infranchissable de l’esprit français à l’esprit allemand ; ils sont placés sur deux sommets entre lesquels il y a un abîme. C’est sur cet abîme que j’ai entrepris de jeter un pont[21]. » Mais il sent bien qu’il a désappris les mœurs de la France et même un peu son langage ; c’est pourquoi il veut associer à son œuvre Mme de Staël.

Il vient à Paris au printemps de 1801, dans l’espérance de la voir ; mais elle est déjà partie pour Coppet, et Villers en demeure inconsolable. Les lettres qu’il lui envoie à Coppet l’année suivante, toutes pleines de flatteries ridicules, montrent le prix qu’il attache à son estime[22]. Il l’appelle la « Théano de notre âge, » l’ « étoile brillante de sa vie intellectuelle ; » il lui écrit qu’il a parlé longuement d’elle avec Jacobi ; il voudrait la contempler, la connaître. Après Delphine, c’est du délire : il lui adresse une lettre, véritable dithyrambe en trois parties : « A Mme de Staël mère. — A Mme de Staël auteur. — A vous ! » Il s’est fait conduire par son ami, le diplomate Reinhard, à un bal « où dansait une jeune demoiselle, » qui est, dit-on, son « portrait vivant ; » et il l’a contemplée avec ivresse. Mme de Staël est flattée de cette cour ; elle est bien un peu scandalisée de certains jugemens que Villers porte sur les philosophes du XVIIIe siècle, « dont les esclaves disent tant de mal aujourd’hui, » sur le goût français, qu’il a malmené dans sa préface. Mais enfin elle est attirée, séduite par cette Allemagne encore mystérieuse à ses yeux. L’enthousiasme de son correspondant la gagne ; il lui semble que l’esprit humain, qui sans cesse voyage, est présentement en Allemagne[23] ; elle apprend l’allemand ; elle veut pour ses enfans un précepteur allemand ; elle invite Villers à quitter Lubeck, à se rapprocher de la frontière, pour qu’elle puisse le voir, l’entretenir. Malgré sa curiosité, elle hésitait encore à pénétrer en Allemagne ; elle n’avait pas, comme Villers, perdu tout amour de la France, toute pensée de retour ; elle lui écrit ces paroles admirables : « J’ai comme vous beaucoup d’admiration pour l’esprit des Allemands ; mais les souvenirs de l’enfance, mais la patrie, mais les Français aimables,… pouvez-vous les sacrifier ?… On a, je le crois, un amour mystérieux pour sa patrie, on erre partout ailleurs. »

Le Premier Consul fut cause qu’elle se décida à ce grand voyage. Chassée de Paris en octobre 1803, elle part pour l’Allemagne, en compagnie de Benjamin Constant, s’arrête à Metz, où elle a donné rendez-vous à Villers. Nous n’avons pas à raconter ici les détails de leur entrevue. Malgré la présence de Mme Rodde, cette « grosse Allemande, » l’amie de Villers, qui glaça un peu les bonnes dispositions de Mme de Staël, celle-ci jugea Villers « un homme d’esprit et intéressant par son enthousiasme[24] ; » il avait toutes les idées du nord de l’Allemagne dans la tête[25]. Mme de Staël entreprit de les en faire sortir ; on sait qu’elle excellait à jouer ce rôle. Villers s’y prêtait d’ailleurs avec bonne grâce. Ce furent, pendant douze jours, de longues causeries, que traversaient des orages passagers. On voit, par la correspondance qui suivit, que l’initiation ne fut pas toujours facile et que Villers eut fort à faire pour triompher de certaines résistances. Mme de Staël trouvait « mille niaiseries » dans Richter, jugeait l’extérieur allemand « bien peu esthétique. » Villers s’indignait : « Pensez-y bien avant que de condamner un tel homme !… En France, on ne travaille que pour Paris, et dans Paris que pour trois ou quatre sociétés. En Allemagne, on travaille pour toute la nation, même pour celle des petites villes et des campagnes. » Mais enfin Weimar, la société de Goethe et de Schiller devaient bientôt hâter la conversion de Delphine et achever l’œuvre de Villers.

Mme de Staël reconnaissante a immortalisé le nom de l’auteur de l’Essai sur Kant dans le livre De l’Allemagne[26]. « Par la grâce de son esprit et la profondeur de ses études, » dit-elle, Villers « représente la France en Allemagne et l’Allemagne, en France. » C’était indiquer très justement son rôle. Cependant l’influence de Villers a été, en ce sens, moins grande que celle de Mme de Staël sur notre littérature. C’est que, abstraction faite du génie, Mme de Staël était, de cœur et d’esprit, restée plus Française ; ce qu’il y a en son livre de superficiel explique en partie son succès en France. Elle a pénétré moins avant que Villers dans la connaissance de l’Allemagne et de ses œuvres ; mais c’est peut-être la raison pour laquelle elle a agi plus fortement sur nos écrivains et sur nos poètes.


III

Si Charles Villers, en 1801, s’était séparé sur un point de l’idéologie française par ses attaques contre les philosophes du XVIIIe siècle, il se réconcilia avec elle, en 1804, de façon éclatante par son Essai sur l’esprit et l’influence de la Réformation de Luther. C’est un livre de parti, écrit sous l’impression des circonstances, une critique passionnée du catholicisme, une apologie de la Réforme et de l’esprit de liberté.

L’idée première de cet essai appartenait à l’Institut de France. Le 15 germinal an X, la classe des Sciences morales et politiques mettait au concours le sujet suivant : « Quelle a été l’influence de la Réformation de Luther sur la situation politique des différens États de l’Europe et sur le progrès des lumières ? » Or, la Décade philosophique et littéraire[27], qui annonçait cette nouvelle, publiait dans le même numéro le texte de la « convention entre le gouvernement français et Sa Sainteté Pie VII, » autrement dit, du Concordat. Neuf jours après la séance de l’Institut, le 24 germinal (14 avril 1802) l’éditeur Migneret mettait en vente l’ouvrage intitulé : Génie du christianisme ou Beautés de la religion chrétienne par François-Auguste Chateaubriand. Enfin le 27 germinal (18 avril) jour de Pâques, le cortège consulaire s’acheminait solennellement vers Notre-Dame pour sceller le grand acte de réconciliation avec l’Eglise catholique. Il est impossible de ne pas voir la relation directe qui unit le premier de ces événemens aux deux autres : dans la pensée de l’Institut, il s’agissait, sans aucun doute, de protester contre l’acte du Premier Consul et d’opposer au catholicisme les avantages de la Réforme. On sait quelles étaient les espérances du petit groupe politique, qui s’agitait autour de l’Institut et dont Mme de Staël était un des plus éloquens interprètes : on avait cru un instant que le Premier Consul se prononcerait contre le catholicisme, choisirait la religion protestante ; la déception fut vive, l’irritation profonde. Le livre de Villers est l’écho de ces espérances et de ces regrets. En cinq mois[28], il fit son plan, rassembla les matériaux, rédigea l’ouvrage ; le 2 germinal an XII, la classe d’histoire et de littérature ancienne lui décernait le prix. Sept ans après, la commission des prix décennaux proposait l’ouvrage pour le douzième grand prix de première classe, mais elle passait sous silence le Génie du Christianisme de Chateaubriand. L’Institut, reconnaissant à Villers d’avoir exprimé, défendu ses propres idées, ’lui payait sa dette.

Que ce livre fût un livre dû aux circonstances, cela est trop évident ; mais il contient des principes généraux qui, maintenant encore, nous intéressent.

Tout d’abord l’idée essentielle de l’ouvrage, c’est la croyance à la perfectibilité ou, comme nous disons maintenant, au progrès, doctrine chère aux « belles unies, » aux encyclopédistes, à Mme de Staël, aux idéologues de toute sorte, à l’Institut. Cette théorie était alors, au début du XIXe siècle, comme une sorte de champ clos où se rencontraient les partis, les défenseurs de la philosophie et les apologistes du catholicisme, la Révolution et la contre-Révolution. Villers n’a pas manqué de nous faire sa profession de foi au début de l’ouvrage ; on ne sait si c’est de la Révolution française qu’il parle, ou de la Réforme, ou plutôt on voit très nettement que, dans sa pensée, elles dérivent d’un même principe. Ce principe, c’est que l’idée de révolution est, au fond, identique à l’idée de progrès ; c’est que l’histoire de la civilisation n’est qu’une suite ininterrompue de reformations, les unes violentes, les autres sourdes, qui, de loin en loin, nous apparaissent comme les « pierres milliaires » jalonnant la marche de l’humanité[29]. Considérée de cette hauteur, la Réforme de Luther n’est plus qu’un acte naturel d’émancipation, une révolte légitime contre l’abus insupportable de l’autorité ; la Révolution française en est le « corollaire » indispensable. Sans cesse Villers, en écrivant son livre, avait eu devant les yeux les événemens de cette Révolution. C’était à la fois le mérite et le défaut de son ouvrage d’expliquer le passé par le présent, d’écrire l’histoire de la plus grande révolution religieuse des temps modernes à la lumière de la plus grande révolution politique et sociale, l’idée, pour l’époque, était audacieuse ; les allusions fréquentes, directes, excitaient les esprits : lu clergé dépossédé de son autorité et de ses biens, les droits de l’homme proclamés, la monarchie renversée. Le bon Villers, l’ancien émigré converti à la Révolution, s’efforçait de rassurer avec candeur les âmes « douces et paisibles » qu’effrayaient les convulsions révolutionnaires, expliquait que « l’Univers n’était pas une Arcadie, » que ces convulsions étaient « l’image de la nature. » « Il convient, disait-il, à l’homme qui sait vivre dans son siècle de s’y résigner et d’y considérer l’accomplissement des lois profondes qui dirigent le grand Tout ! »

Langage bien digne d’un philosophe, mais, avouons-le, faible consolation pour ceux qui avaient perdu dans la tourmente révolutionnaire leurs biens, leurs amis, leurs parens, et qui avaient failli périr eux-mêmes ! Tels étaient les souvenirs qu’éveillait alors dans les esprits de beaucoup de Français cette théorie de la perfectibilité ; on rendait la philosophie, l’ « idéologie » responsable de tous les excès de la Terreur ; les mêmes journaux, qui s’étaient acharnés sur la Littérature de Mme de Staël, fondirent sur Villers, et l’un d’eux, s’indignant du prix qu’avait décerné l’Institut, qualifia ce livre de « bréviaire philosophique et révolutionnaire que Robespierre aurait couronné[30]. »

Mais outre cette éternelle question de la perfectibilité, toujours soutenue et combattue de part et d’autre avec une égale ardeur, il était un point précis que Villers prétendait mettre en lumière et qui, au lendemain du Concordat, faisait, comme on dit, l’actualité de son livre : Villers y soutenait très nettement la religion réformée contre le catholicisme, parce que, suivant lui, la liberté est le principe de l’une, l’autorité le fondement de l’autre, et qu’il y a relation étroite et rapport constant entre les croyances religieuses d’un pays et ses institutions politiques. Ce que désiraient, en effet, les « philosophes » de ce temps, ce n’était point la séparation des Eglises et de l’Etat : la question n’était pas ainsi posée ; ils n’avaient pas non plus, en général, d’hostilité décidée contre les croyances religieuses ; la plupart même, comme Villers et Mme de Staël, les jugeaient nécessaires. Mais ils voulaient tourner au profit de l’Etat la force du sentiment religieux et, en quelque sorte, fonder les institutions politiques sur les croyances[31]. Cette idée apparaît très clairement dans le livre Des circonstances actuelles, que Mme de Staël avait écrit avant les événemens de Brumaire[32], elle apparaît aussi dans l’ouvrage de Villers ; et si tous deux se prononçaient pour la Réforme, c’est que cette religion leur semblait être celle qui offrait le plus de conformité avec les institutions républicaines.

La thèse ainsi posée, Villers la développe. La volonté d’être libre dans les matières de conscience est la même, au fond, que la volonté d’être libre en « matière civile : » liberté politique et liberté religieuse ne sont que les deux faces du même problème. Or, la Réforme a « affranchi l’esprit humain…, sondé les fondemens des sociétés ébranlées, discuté les droits des peuples, ceux des gouvernemens, ceux de l’État et de l’Eglise[33]. » Elle est la religion des « lumières ; » elle donne à l’individu conscience de sa dignité morale ; elle est pour les nations un principe de vie. Villers passe en revue[34] tous les États protestans d’Europe, Allemagne, Danemark, Suède, Suisse, Genève, Hollande, Angleterre ; il y joint les États-Unis d’Amérique, et, dans des pages où, à côté de beaucoup de partialité, percent des vues fines et ingénieuses, il prétend montrer la supériorité de ces nations sur les nations catholiques. L’Angleterre, la Hollande doivent aux événemens de la Réforme le développement de leur marine ; le « génie du patriotisme et de la liberté » a fait la grandeur du second de ces peuples. Les petits États protestans comme Genève ont une vie « active, propre, indépendante ; » ils offrent un « avantage immense pour l’humanité. » Car Villers aime peu les grands États ; il a très éloquemment signalé l’inconvénient des grandes capitales, qui aspirent puissamment toute la vie d’un pays : « Chaque ville d’une médiocre étendue, dit-il, n’est pas frappée et paralysée par l’idée qu’elle n’est rien, qu’à cent ou deux cents lieues d’elle est une autre ville plus grande qui est tout, un gouffre où vont s’absorber ses labeurs, une ville où toute la gloire de l’empire brille en un seul point et hors de laquelle il n’est pas de salut, hors de laquelle il n’est qu’ilotisme politique, moral et littéraire pour toute une immense contrée. » Il a parlé aussi en véritable historien des États-Unis[35] fondus par des « partisans de la Réforme et de la liberté, » de l’avenir de ce peuple, de l’influence incontestable qu’il a exercée sur l’esprit des Français qui l’aidèrent à conquérir son indépendance, et qui rapportèrent dans leur patrie les premiers germes d’un gouvernement libre.

Si le protestantisme a toutes les vertus, le catholicisme a tous les défauts. Il faut lire la deuxième partie de l’ouvrage, intitulée Sur le progrès des lumières[36] : l’esprit de parti éclate à tous les yeux. Dans les pays catholiques règnent l’ignorance, la paresse, l’immoralité ; « il se commet plus de crimes dans les pays catholiques que dans les pays protestans ; » à Venise, à Naples, les prisons ne désemplissent pas ; à Berne, au contraire, elles sont presque toujours vides ; Howard n’a trouvé personne dans celle de Lausanne, trois prisonniers seulement à Schaffouse : « Voilà des faits ! » s’écrie Villers. Les protestans sont plus propres que les catholiques ; ils cultivent mieux la terre ; ils sont meilleurs philosophes, meilleurs naturalistes ; ils ont plus d’écoles, sont moins pédans ; ils connaissent la « pédagogique, » dont les catholiques n’ont aucune idée. Villers passe rapidement sur le chapitre des lettres et des arts qui, évidemment, l’embarrasse ; mais il se console en pensant que si les protestans sont moins grands artistes, ils sont meilleurs esthéticiens que les catholiques.

L’exagération est manifeste : ce livre est une œuvre de combat. Mais enfin, tel qu’il est, il représente exactement, non les idées du seul Villers, mais celles de tout un groupe, du parti philosophique et républicain ; c’est à ce titre qu’il nous intéresse. Il en reproduit l’illusion favorite, à savoir qu’il suffit de la signature d’un chef d’État pour changer la religion traditionnelle, l’esprit et les mœurs de tout un peuple, — cette autre illusion encore, qu’on peut mêler impunément la religion à la politique, — et cette autre enfin que la religion à elle seule explique la destinée d’une nation, ses vertus et ses vices. Mais, parmi beaucoup de préjugés, on remarque dans ce livre un vif enthousiasme, un amour sincère de la liberté. En cette année 1804 où le Premier Consul va mettre sur sa tête la couronne impériale, le prix que lui décerne l’Institut est une dernière manifestation républicaine ; c’est la palme que l’idéologie vaincue dépose sur le tombeau de la liberté.

Au fond, entre Bonaparte et ses adversaires, la distance est moins grande qu’on ne se l’imagine ; la religion, pour tous deux ; est un moyen, non pas un but ; c’est sur le choix qu’ils diffèrent. D’autre part, Villers et ses amis avaient-ils raison d’imputer au catholicisme ce besoin d’autorité qui travaillait la France ? Il serait puéril d’insister sur leur erreur ; mais il faut dire que le Premier Consul, en voulant faire du catholicisme une arme à son usage, légitimait leurs méfiances, et cela excuse, dans une certaine mesure, leur injustice.

Ainsi finissait, en ces années 1803-1804, cette « littérature républicaine, » que Sainte-Beuve a justement signalée[37], et qui, quelques années auparavant, avec les Garat, les Daunou, les M.-J. Chénier, les Constant, les Staël, avait tenté de s’épanouir. Il est curieux de remarquer que les dernières pages en sont écrites par un ancien émigré, qui avait peu de raisons d’aimer la Révolution et s’était détaché de la France, mais qui faisait passer avant ses rancunes les principes de la philosophie et de la liberté.


IV

Entre cet « idéologue » et Napoléon la brouille était fatale. Déjà le républicanisme de son Luther avait déplu ; la presse officielle avait durement relevé l’éloge des nations protestantes, de l’Allemagne, de l’Angleterre surtout et de sa marine ; on était en plein camp de Boulogne, le Premier Consul pensait abattre l’éternelle ennemie. Villers avait touché le point sensible. Trois ans plus tard, il revient à la charge ; cette fois, c’est la guerre et la conquête qu’il dénonce, avec toutes leurs horreurs. De la part d’un ancien officier, cela peut surprendre ; mais Villers est, avant tout, philosophe : c’est un ancêtre de notre pacifisme moderne. Il déteste la guerre comme les encyclopédistes, comme Voltaire, Condorcet, comme Kant, son maître préféré, la détestent, parce que la guerre entrave le progrès et la civilisation ; il la déteste aussi par expérience personnelle, parce qu’il en a vu les atrocités, le spectacle effroyable ; et avec beaucoup de courage, de candeur aussi et de naïveté, il a pris en philosophe la défense des victimes.

Voici à quelle occasion. Après la bataille d’Iéna, Blucher s’était échappé par le nord de l’Allemagne. Serré de près par Bernadotte, il viole la neutralité de Lubeck, cherche refuge dans la ville ; les troupes françaises y entrent à sa suite, le 6 novembre 1806 ; un combat sanglant, acharné, s’engage dans les rues de Lubeck et se termine par la défaite des Prussiens, non sans grand dommage pour la pauvre ville de Lubeck, dont les habitans sont pillés, maltraités par les vainqueurs. Villers demeurait alors à Lubeck, non loin de ses amis, les Rodde ; M. Rodde était sénateur de la ville. Le bon Villers, son vieux sabre d’aide de camp sous le bras, coiffé d’un petit chapeau « retapé » qui lui donnait un faux air de Napoléon, avait monté la garde devant la porte des Rodde, écartant les pillards, jusqu’à ce que le prince de Ponte-Corvo, Bernadotte en personne, vint établir dans cette maison son quartier général. Le prince, qui se piquait de républicanisme et courtisait l’idéologie, fit à Villers l’accueil le plus affable et le nomma son secrétaire. « Voilà ce que c’est, écrit naïvement Villers à sa famille, d’avoir un nom comme homme de lettres et d’être membre de l’Académie[38] ! » Il va voir Murât, le grand-duc de Berg, qui est aussi à Lubeck ; c’est à lui qu’il lance cette phrase significative : « Nous autres, gens de l’Institut, nous nous croyons appelés à être les prêtres de la Vérité et à la faire parvenir jusqu’aux princes ! » Murat dut sourire : ce langage républicain était passé de mode. Mais Villers prend son rôle au sérieux, et, dans son zèle, ce n’est plus à Bernadotte, à Murat qu’il s’adresse, c’est à Napoléon, par l’intermédiaire, il est vrai, d’une tante de l’impératrice Joséphine, la comtesse Fanny de Beauharnais.

Cette Lettre à Mme la comtesse Fanny de Beauharnais sur la prise de Lubeck est vraiment intéressante ; elle peint au naturel le philosophe, l’« homme sensible ; » elle nous émeut par sa sincérité et par je ne sais quel accent moderne dans la manière d’analyser les sentimens les plus complexes de l’âme : « Quelle nuit ! La plupart des maisons ouvertes, remplies de flambeaux, de tumulte, d’allans et de venans ; quelques-unes fermées, d’où partaient des sons confus, et même le bruit de l’explosion d’armes à feu. Je marchais ainsi au milieu des larmes, des coups qui enfonçaient les portes, des cris de désespoir, des hurlemens féroces, des vitres qui se précipitaient, des meubles qu’on fracassait ; au milieu de troupes à cheval et à pied qui se croisaient, des trains d’artillerie et des chariots, sur un pavé couvert d’une boue infecte, délayée de sang ; trébuchant dans les cadavres d’hommes et de chevaux dont les rues étaient jonchées, et sur lesquels je tombai une fois, ce qui me remplit d’une horreur inexprimable. Je me relevais, et cherchais à ressaisir mon chapeau parmi tant d’objets de dégoût, quand j’entendis venir du bout de la rue un régiment, qui avançait au son de sa musique. Cette musique militaire fort brillante jouait un air vif et gai. Je ne puis vous peindre, madame, l’impression foudroyante et tout à fait inattendue que fit sur moi cette musique. Le contraste déchirant, qui devait monter jusqu’au ciel, de ces accens de joie avec les lugubres éclats de la douleur, sembla se concentrer tout entier dans mon être et menacer de le dissoudre, comme on voit un verre frémir et se casser au son d’un cor. J’étais immobile, je ne voyais plus. Quand je revins à moi, je sentis mes yeux humides ; une de mes mains était engagée dans mes cheveux qu’elle s’efforçait machinalement d’arracher ; je n’en pouvais plus, et il me fallut employer toutes mes forces pour ne pas retomber sur ce même pavé d’où je venais de me relever. En cet état, je pleurai abondamment, en m’écriant, sans savoir ce que je disais : « Oh ! ils font de la musique ! Les cruels ! Ils font de la musique ! » Ce moment est, je crois, le plus horrible que j’aie éprouvé de ma vie[39]. »

Si éloquente que fût cette lettre, il fallait à Villers quelque naïveté pour s’imaginer qu’elle pût produire sur l’esprit de l’Empereur une impression favorable. Il avait beau lui décerner le titre de « Napoléon le Grand, le Juste, le Magnanime, » tout dénonçait, dans le ton de cette lettre, l’idéologie détestée du maître : l’invocation des principes de l’humanité, la défense des nations étrangères, la gloire des armées françaises passée sous silence. Ce dernier point, en particulier, choqua même les amis de Villers ; Bernadotte, à qui il avait adressé un exemplaire de sa lettre, lui en fit sentir l’exagération avec beaucoup de finesse : « Vous avez traité le sujet, lui écrivait-il, en poète et en philosophe ; et vous savez que la philosophie ne s’accorde pas toujours avec le métier des armes. Quelques-uns de nos guerriers auraient pu se plaindre de votre sévérité, et, malgré que vous ayez quitté l’épée pour monter au Parnasse, ils auraient exigé peut-être que leur ancien camarade conservât, même au service des Muses, un peu de ce vieil esprit de corps[40]. » Quant à Napoléon, il demanda de quel droit un « idéologue allemand » se mêlait de lui donner des conseils, et il le menaça de le « faire conduire à Vilvorde, » s’il disait encore un mot[41]. Les amis que Villers avait à Paris, Montalivet, Beugnot, réussirent à grand’peine à détourner l’orage de sa tête.

Villers fut très étonné : il avait cru de bonne foi à la puissance de la philosophie, et ne pensait pas qu’en prenant la défense de ses chers Allemands, il pût encourir la colère impériale. Au fond, il n’était pas, comme Mme de Staël, l’ennemi irréconciliable de Napoléon ; mais il confondait encore plus qu’elle deux choses assez distinctes : la philosophie et la politique.

La Lettre à Fanny de Beauharnais devait peser lourdement sur la fin de la vie de Charles Villers. D’ailleurs, il n’était nullement découragé du peu de succès de son intervention et ne manquait pas une seule occasion de défendre l’Allemagne, fort maltraitée par Napoléon. En 1808, il plaide la cause des universités du royaume de Westphalie, menacées de disparaître et rédige son Coup d’œil sur les Universités et le mode d’instruction publique de l’Allemagne protestante[42] ; il réussit à les sauver. En 1809, l’année d’Essling et de Wagram, il montre l’activité merveilleuse de la science allemande dans son Coup d’œil sur l’état de la littérature ancienne et de l’histoire en Allemagne, adressé à la troisième classe de l’Institut. Il intervenait dans la question du blocus continental, en traduisant de Reimarus les Doléances des peuples du continent au sujet de l’interruption du commerce. Il plaidait avec une ardeur infatigable la cause des villes hanséatiques, lésées dans leur richesse, et, dans un discours prononcé au Sénat de Lubeck le 25 décembre 1810, il protestait contre leur réunion à l’Empire française Bref, partout où s’étendait en Allemagne la politique napoléonienne, Villers s’appliquait à lui faire obstacle. Cette imprudente et généreuse conduite devait attirer la foudre sur sa tête : elle éclata soudain.

En janvier 1811, Charles Villers venait d’être nommé professeur à l’Université de Gœttingue et se préparait à rejoindre son poste. Il habitait alors Lubeck, Breitstrasse, n° 650, quand un matin, le 19 février 1811, il vit entrer dans son cabinet « donnant sur la cour » trois personnages qui lui étaient inconnus ; c’étaient le chef d’escadron Chariot, de la 17e légion de gendarmerie, détaché à l’armée d’Allemagne, un chef de bataillon du 30e régiment d’infanterie et un adjudant interprète. Ces trois messieurs étaient envoyés par le colonel Saunier, grand-prévôt de l’armée, sur l’ordre de Davout, qui avait sous son commandement, depuis le mois de décembre 1810, les trois nouveaux départemens formés par la réunion du territoire d’Oldenbourg et des villes hanséatiques à la France. Ils étaient chargés de faire une perquisition chez Villers ; ils saisirent un certain nombre de brochures et de lettres, parmi lesquelles cinquante et un exemplaires de la Lettre à Fanny de Beauharnais. Villers ne fit pas, il faut l’avouer, très bonne contenance ; CL même jour, 19 février, il écrivit, au prince d’Eckmuhl, une lettre où il protestait de son amour pour la France et de son « dévouement sans bornes » à son souverain ; il appelait la Lettre à Fanny un « vieux péché de jeunesse, » dont il s’était « assez repenti, » et prétendait n’avoir fait son discours au sénat de Lubeck que pour « faire chérir aux Lubequois leur réunion au grand Empire. » Ce peu de fierté ne réussit pas à désarmer Davout. Le 7 mars 1811, le prince d’Eckmuhl informait le duc de Rovigo que le sieur Villers, « qui faisait l’important » auprès des villes hanséatiques et qui était l’auteur du « libelle le plus virulent » contre les troupes françaises, avait reçu l’ordre de quitter le territoire des trois départemens soumis à son autorité et de partir pour Gœttingue : « Il n’y prêchera certainement pas, ajoutait le prince, l’amour des Français[43]. »

La malechance s’acharnait sur Villers. Persécuté par Davout comme n’étant pas Français, il fut, à la chute de Napoléon, en 1814, destitué comme Français de ses fonctions de professeur à l’Université de Gœttingue par le cabinet de Hanovre. Il dut faire alors d’amères réflexions sur le rôle ingrat qu’il avait joué et la tâche toujours difficile, mais surtout à une époque troublée, de défendre contre les politiques la justice et la liberté. Fidèle à sa chère Allemagne, il refusa de revenir en France ; sur les instances de ses amis, parmi lesquels il faut compter Mme de Staël et Benjamin Constant, il obtint une pension du gouvernement de Hanovre. Mais ce coup trop rude avait achevé de ruiner sa santé ébranlée, et il mourut à Gœttingue le 26 février 1815.

Ainsi finit Charles Villers. Il fut en partie victime des circonstances et, pour l’autre partie, de ses propres idées. L’impression qu’il produit n’est pas de tout point favorable. Un Français, en particulier, éprouve quelque embarras à juger un homme qui avait — ou à peu près — renié la France et qui n’a jamais perdu une occasion de parler de la légèreté, de la fatuité, de l’ignorance de ses anciens compatriotes. Il était intelligent, certes, initiateur, novateur, il a ouvert des voies où d’autres ont passé ; mais ses meilleures idées, il les a trop souvent gâtées par l’exagération, l’outrance, le ton déplaisant et agressif. Ce n’est pas lin très grand écrivain ; c’est un idéologue qui représente parfaitement les tendances d’un parti encore puissant, et c’est un cosmopolite qui par sa situation particulière et, pour ainsi dire, par sa double nature de Français et d’Allemand, a servi de trait d’union et de lien entre deux pays et deux littératures. Après tout, cet érudit un peu trop fier de sa science, naïf, et, comme dit un de ses amis, Reinhard, « d’une force de bonhomie prodigieuse, » ce savant moitié Français, moitié Germain, était un homme très désintéressé, très convaincu, et il est juste de reconnaître qu’il a montré parfois du courage et qu’il vivait à une époque plutôt difficile pour les écrivains, en général, et pour les philosophes.


PAUL GAUTIER.

  1. Voir la lithographie en tête de l’étude du docteur Bégin sur Villers, Mme de Rodde et Mme de Staël.
  2. Lettre du 12 décembre 1803 (Archives de Broglie).
  3. « Il me semble, lui écrit-elle de Weimar en 1803, que les étrangers eux-mêmes n’aiment pas que nous renions notre patrie. » (Isler, Briefe an Ch. Villers, p. 297.)
  4. Voyez Chateaubriand et Mme de Staël, dans la Revue du 1er octobre 1903.
  5. Bégin, ouvrage cité, p. 18 et 19.
  6. Mémoires d’Outre-Tombe, t. II, p. 238.
  7. Lettre à Hochet, 5 octobre 1812.
  8. Voyez l’éloge qu’il fait de ces républiques dans sa Réformation de Luther.
  9. Lévy-Bruhl, l’Allemagne depuis Leibniz, p. 153.
  10. Herder, Werke, éd. Suphan, t. XVIII, p. 86.
  11. Le Spectateur du Nord, t. VII, p. 7 et suiv., 1798.
  12. Le Spectateur du Nord, t. VII.
  13. Cf. tome XII, p. 1 et p. 238 ; t. XII, p. 382 ; t. XIII, p. 196.
  14. Le Spectateur du Nord, t. VI.
  15. Philosophie de Kant, 1801, p. 156.
  16. Voyez Picavet, préface de la traduction de la Critique de la Raison pratique, Alcan, 1888.
  17. Cf. Philosophie de Kant, p. 164 et suiv.
  18. 31 octobre 1802.
  19. Cf. Philosophie de Kant, article XVI, sur la doctrine morale de Kant, analysée par Villers.
  20. On trouvera la liste de ses correspondans dans les Briefe an Ch. Villers, publiés par Isler (Hambourg).
  21. Philosophie de Kant, p. LXIV.
  22. Les originaux de ces lettres sont entre les mains de M. le duc de Broglie, qui a bien voulu nous les communiquer. Ils diffèrent assez souvent du texte incorrect, que Isler a publié sur les brouillons de Villers. Il y a aussi un plus grand nombre de lettres.
  23. Briefe an Ch. Villers ; Mme de Staël à Villers, 1er août 1802.
  24. Mme de Staël à Mathieu de Montmorency.
  25. Mme de Staël à Gérando.
  26. Première partie, ch. XVIII : « Des Universités allemandes. »
  27. Tome XXXIII, p. 113.
  28. Préface de la 2e édition, p. XII.
  29. Pages 22 et suivantes.
  30. Le Mercure de France, 29 sept. 1804.
  31. « Nous croyons qu’il y aurait de grands avantages à convenir d’un culte public, » disait la Décade philosophique et littéraire dans son numéro du 10 fructidor an VIII, mais il était sous-entendu que ce culte ne serait pas, ne pouvait pas être le catholicisme.
  32. Voyez la Revue des Deux Mondes du 1er novembre 1899.
  33. Deuxième édition, pages 373-374.
  34. Première section de la deuxième partie.
  35. Page 188 et suiv.
  36. Pages 237 et suivantes.
  37. Chateaubriand et son croupe littéraire, éd. 1889, t. I, p. 53.
  38. Bégin, ouv. cité, p. 52. Villers était correspondant de l’Institut (classe d’Histoire et de Littérature ancienne) depuis le 27 thermidor an XII (1804).
  39. Lettre à Madame la comtesse Fanny de Beauharnais, p. 12.
  40. Bernadotte à Villers, de Schlobitten, 10 mai 1807. Archives nationales, dossier Villers, F7 6565.
  41. Bégin, ouv. cité, p. 53.
  42. Cassel, 1808.
  43. Archives nationales, F7, 6565.