Traduction par Le Comte Prozor.
Perrin et Cie (p. 1-46).


PERSONNAGES


LE DOCTEUR THOMAS STOCKMANN, médecin d’une station thermale.

Mme STOCKMANN, sa femme.

PÉTRA, leur fille, maîtresse d’école.

EILIF et MARTIN, leurs fils, 13 et 10 ans.

PIERRE STOCKMANN, frère aîné du docteur, maire, maître de police, président de la société thermale, etc.

MARTIN KIIL, tanneur, père adoptif de Mme Stockmann.

HOVSTAD, rédacteur du « Messager du Peuple ».

BILLING, collaborateur du journal.

HORSTER, capitaine de vaisseau.

ASLAKSEN, imprimeur.


Bourgeois de toute condition, quelques femmes et une bande d’écoliers, venus à la réunion publique.


(L’action se passe dans une petite ville, sur la côte méridionale de Norvège.)

un ennemi du peuple


ACTE premier

(Le soir, chez le docteur. Chambre pauvrement mais convenablement meublée et tenue avec soin. A droite, une porte conduisant au cabinet de travail du docteur Stockmann. Plus au fond, du même côté, une autre porte, donnant sur le vestibule. A gauche, en face de cette dernière, une porte conduisant aux chambres à coucher, — plus près, le poële, — vers le premier plan, derrière une table ovale recouverte d’un tapis, un sofa, au-dessus duquel est suspendue une glace. Au fond de la pièce, par une porte ouverte, on aperçoit la salle à manger. Sur la table supportant une lampe à abat-jour, le souper est servi.)

(A table, dans la salle à manger, Billing, une serviette sous le menton.

Mme Stockmann, debout, lui passe un plat de bœuf. Les autres convives ont soupé, leurs places sont vides, leurs couverts en désordre.)

Mme STOCKMANN

Eh oui ! monsieur Billing, quand on est en retard de toute une heure, on ne trouve plus que des morceaux froids.

BILLING, mangeant

Excellent, remarquable.

Mme STOCKMANN

Vous savez combien Stockmann tient aux heures de repas.

BILLING

Cela m’est égal. Les plats me semblent presque meilleurs quand je puis les déguster ainsi tout seul, sans être gêné.

Mme STOCKMANN

Allons, allons, — du moment où ils vous ragoûtent…

(Ecoutant, tournée vers la porte d’entrée:)

C’est, sans doute, Hovstad.

BILLING

Peut-être bien.

(Entre Pierre Stockmann, le Maire, en pardessus, coiffé de sa casquette d’uniforme, une canne à la main.)
LE MAIRE

Bonsoir, belle-sœur, — mes très humbles compliments.

Mme STOCKMANN, entrant dans la première chambre

Tiens, c’est vous ? Eh ! bonsoir. C’est bien gentil à vous de venir nous voir.

LE MAIRE

Je passais justement par ici. Alors… (Jetant un coup d’œil vers la salle à manger.) Mais vous avez du monde, je crois.

Mme STOCKMANN, légèrement embarrassée

Pas du tout. Un simple hasard… (Vivement) Ne voulez-vous pas entrer vous-même, prendre un morceau ?

LE MAIRE

Moi ! Non, vraiment ; je vous remercie. Un souper chaud ? Je n’ai pas un estomac à cela, moi.

Mme STOCKMANN

Oh ! une fois n’est pas coutume.

LE MAIRE

Non, non, merci bien, je m’en tiens à mon thé et à mes beurrées. C’est plus sain à la longue, — et puis c’est un peu plus économique.

Mme STOCKMANN, souriant.

Il ne faut pourtant pas vous imaginer que nous soyons des paniers percés, Thomas et moi.

LE MAIRE

Pas vous, belle-sœur. Je suis loin de le prétendre. (Indiquant la porte du cabinet du docteur.) Il est sorti ?

Mme STOCKMANN

Oui, il est allé faire un petit tour après souper, — avec les enfants.

LE MAIRE

Etes-vous bien sûre que ce soit bon pour la santé ? (Ecoutant.) C’est sans doute lui qui rentre.

Mme STOCKMANN

Non, je ne crois pas… (On frappe.) Entrez.

(Entre Hovstad, venant du vestibule.)
Mme STOCKMANN

Ah ! c’est vous, monsieur Hovstad.

HOVSTAD

Oui. Vous m’excuserez, mais j’ai été retenu à l’imprimerie. Bonsoir, monsieur le maire.

LE MAIRE, le saluant avec quelque raideur

Monsieur le rédacteur… Vous venez sans doute pour affaire ?

HOVSTAD

Oui, en partie. Il s’agit d’un article à publier.

LE MAIRE

Bien entendu. On dit que mon frère collabore très activement au « Messager du peuple ».

HOVSTAD

Oui, il ne craint pas d’écrire au « Messager » quand il a quelque vérité à dire.

Mme STOCKMANN, à Hovstad

Mais ne voulez-vous pas… ? (Elle indique la salle à manger.)

LE MAIRE

Comment donc ! mais je ne lui reproche nullement de s’adresser à un public où il trouve de l’écho. D’ailleurs, je n’ai pas de motif personnel d’en vouloir à votre feuille, monsieur Hovstad.

HOVSTAD

Il me semble, en effet…

LE MAIRE

En somme, il règne dans notre ville un bel esprit de tolérance, de bonne combourgeoisie. C’est que nous avons un grand intérêt commun qui nous groupe et nous réunit, un intérêt dont tous les citoyens bien pensants ont un égal souci.

HOVSTAD

L’établissement thermal.

LE MAIRE

Vous l’avez dit. Nous avons notre grand et bel établissement tout neuf. Souvenez-vous de ce que je vous dis, monsieur Hovstad : l’établissement de bains deviendra pour la cité une condition d’existence primant toutes les autres. Il n’y a pas à en douter !

Mme STOCKMANN

C’est aussi l’avis de Thomas.

LE MAIRE

Quel développement extraordinaire la ville n’a-t-elle pas acquis depuis deux ans ! L’argent a afflué, il y a de la vie, du mouvement. Les maisons, les terrains, montent en valeur de jour en jour.

HOVSTAD

Et il y a de moins en moins de gens sans travail.

LE MAIRE

C’est vrai. Là aussi le progrès est réjouissant. Le fardeau de l’assistance publique pèse bien moins sur les classes possédantes. Et il diminuera encore si nous avons un bon été, beaucoup d’étrangers, un beau contingent de malades qui étendront la réputation de notre établissement.

HOVSTAD

Et l’on peut s’y attendre, dit-on.

LE MAIRE

En effet, cela s’annonce bien. Tous les jours, on nous écrit pour s’enquérir des logements et de tout ce qui s’en suit.

HOVSTAD

Allons, je vois que l’article du docteur viendra à propos.

LE MAIRE

Ah ! il a encore écrit quelque chose ?

HOVSTAD

Cela date de cet hiver. Il s’agissait de recommander nos eaux, de faire ressortir les bonnes conditions hygiéniques de notre localité. A cette époque, j’ai mis l’article de côté.

LE MAIRE

Tiens, tiens ! il y avait, sans doute, quelque accroc ?

HOVSTAD

Ce n’est pas cela, mais j’ai pensé qu’il valait mieux attendre le printemps. C’est maintenant seulement qu’on commence à se remuer, à songer aux villégiatures.

LE MAIRE

C’est juste, c’est très juste, monsieur Hovstad.

Mme STOCKMANN

Oui, Thomas est infatigable, quand il s’agit de l’établissement.

LE MAIRE

Mon Dieu, il est attaché à son service.

HOVSTAD

Oui, et c’est même à lui qu’on doit en premier lieu la création de cet établissement.

LE MAIRE

A lui ? Vraiment ? Oui, je me suis laissé dire, en effet, que certaines gens la lui attribuent. Je croyais pourtant que, moi aussi, j’avais modestement contribué à cette entreprise.

Mme STOCKMANN

Oui, c’est ce que Thomas répète toujours.

HOVSTAD

Eh ! qui songe à le nier, monsieur le maire ? Chacun sait que c’est vous qui avez mis l’affaire en branle et l’avez appelée à la vie. Je voulais dire seulement que la première idée est venue du docteur.

LE MAIRE

Oh ! pour des idées, — mon frère en a eu dans son temps, — il n’en a eu que trop ! Mais, quand il s’agit d’exécution, c’est à d’autres gens qu’il faut s’adresser, monsieur Hovstad. Et je m’imaginais que, dans cette maison, du moins…

Mme STOCKMANN

Voyons, cher beau-frère…

HOVSTAD

Comment pouvez-vous penser, monsieur le maire… ?

Mme STOCKMANN

Entrez donc là, monsieur Hovstad, et prenez quelque chose. Mon mari ne peut tarder à rentrer.

HOVSTAD

Merci. Peut-être bien… un petit morceau.

(Il entre dans la salle à manger.)
LE MAIRE, baissant un peu la voix

C’est singulier. Ces fils de paysans n’arriveront jamais à avoir du tact.

Mme STOCKMANN

Voyons, que vous importe ! Ne pouvez-vous donc, vous et Thomas, partager cet honneur en bons frères ?

LE MAIRE

Cela semblerait naturel. Il paraît cependant que tout le monde ne s’accommode pas d’un partage.

Mme STOCKMANN

Allons donc ! Vous vous en tirez si bien ensemble, vous et Thomas. (Ecoutant.) Je crois que, cette fois, c’est lui.

(Elle va ouvrir la porte du vestibule.)
LE Dr STOCKMANN, riant et parlant bruyamment à la cantonade

Tiens, Catherine, voici encore un convive, N’est-ce pas drôle, dis ? Entrez donc, capitaine Horster. Débarrassez-vous de votre pardessus. C’est vrai, vous sortez sans pardessus, vous. Figure-toi, Catherine, que je l’ai péché dans la rue. Il faisait des façons pour monter chez nous.

LE CAPITAINE HORSTER, entre et va saluer Mme Stockmann
LE Dr STOCKMANN, dans la porte

Allons, entrez, gamins. Tu sais, ils ont de nouveau une faim de loups. Venez, capitaine Horster. Vous me direz des nouvelles de ce rôti.

(Il entraîne Horster dans la salle à manger. Eilif et Martin y entrent aussi.)
Mme STOCKMANN

Mais tu ne vois donc pas, Thomas…

LE Dr STOCKMANN dans la porte, se retournant

Ah ! c’est toi, Pierre ! (Il s’approche de lui et lui tend la main.) Je suis bien content de te voir.

LE MAIRE

Je n’ai, malheureusement, qu’un instant à…

LE Dr STOCKMANN

Des bêtises ! Dans un instant on va servir le toddy[ws 1]. Tu n’oublies pas le toddy, Catherine ?

Mme STOCKMANN

Non, non, bien sûr. On fait bouillir l’eau.

(Elle entre dans la salle à manger.)
LE MAIRE

Du toddy ! Il ne manquait plus que cela…

LE Dr STOCKMANN

Viens, mets-toi là. Nous nous paierons quelques bons instants.

LE MAIRE

Merci. Je ne prends jamais part aux soirées de toddy.

LE Dr STOCKMANN

Mais ceci n’est pas une soirée.

LE MAIRE

Il me semble que si. (Jetant un coup d’œil dans la salle à manger.) Je m’étonne qu’ils trouvent où engloutir toute cette mangeaille.

LE Dr STOCKMANN, se frottant les mains.

Oui, n’est-ce pas qu’il fait beau de voir manger la jeunesse ? Toujours de l’appétit ! A la bonne heure ! Il leur faut de la nourriture, des forces ! Ce sont eux, vois-tu, les piocheurs qui remueront le champ de l’avenir et y feront germer les semences nouvelles.

LE MAIRE

Oserais-je te demander où tu aperçois ce champ à remuer ?

LE Dr STOCKMANN

Ma foi, demande-le à la jeunesse. Elle te répondra quand l’heure sera venue. Nous n’y distinguons pas grand’chose, nous autres. C’est bien simple. Deux vieux mulets comme toi et moi.

LE MAIRE

Là, là ! tu as d’étranges façons de t’exprimer.

LE Dr STOCKMANN

Il ne faut pas m’en vouloir, Pierre. Je suis si heureux, si content, vois-tu. C’est avec une indicible joie que je vois autour de moi toute cette vie en germe, en travail. Quelle superbe époque que la nôtre ! C’est comme un monde nouveau que nous voyons se former sous nos peux.

LE MAIRE

Vraiment ? Tu trouves ?

LE Dr STOCKMANN

Oui, je comprends que tu ne puisses pas t’en rendre compte comme moi. Tu as passé toute ta vie sans sortir d’ici et cela amortit les impressions. Mais moi qui ai dû m’enfermer pendant des années, là-haut, vers le pôle, dans un coin perdu, sans presque jamais rencontrer un visage nouveau, entendre une parole de vie, j’éprouve le sentiment que j’aurais eu en me trouvant tout à coup au milieu d’une grande ville pleine de mouvement et d’action.

LE MAIRE

Hem… une grande ville…

LE Dr STOCKMANN

Oui, je sais bien. Tout cela est petit en comparaison de ce qu’on voit ailleurs. Mais il y a ici de la vie, de l’avenir, une quantité de choses qui appellent à l’œuvre, au combat. Et c’est là l’important. (Appelant.) Catherine ! le facteur n’a rien apporté ?

Mme STOCKMANN, de la salle à manger

Non. Il n’est pas venu.

LE Dr STOCKMANN

Et puis, c’est quelque chose, Pierre, que d’avoir du pain sur la planche ! On apprend à l’apprécier quand on a été, comme nous, réduit à la portion congrue.

LE MAIRE

En effet…

LE Dr STOCKMANN

Mon Dieu, oui. Tu te figures bien que nous n’avons pas toujours été sur des roses, là-haut. Et maintenant, pouvoir vivre comme des seigneurs ! Aujourd’hui, par exemple, nous avons du rôti à dîner. Et à souper aussi, ma foi. Tu ne veux pas en goûter un morceau ? Je vais te le montrer, au moins. Allons, viens…

LE MAIRE

Non, non. Pour rien au monde.

LE Dr STOCKMANN

Viens ici, en ce cas. Tu vois, nous avons un tapis sur la table ?

LE MAIRE

Oui, je l’ai remarqué.

LE Dr STOCKMANN

Et puis, un abat-jour. Regarde ! Tout cela, ce sont les économies de Catherine. Et cela a l’air cossu, gentil. Tu ne trouves pas ? Tiens, place-toi là ! Non, non, non ! pas ainsi. Là ! Tu vois : quand le jour donne en plein… C’est vraiment élégant. Pas vrai ?

LE MAIRE

Mon Dieu, quand, on peut se permettre ce genre de luxe…

LE Dr STOCKMANN

Eh oui ! Je puis me le permettre à présent. Catherine dit que je gagne presque autant que ce que nous dépensons.

LE MAIRE

Oui, presque…

LE Dr STOCKMANN

Il faut pourtant qu’un savant vive sur un certain pied. Je suis sûr qu’un simple chef de district dépense par an beaucoup plus que moi.

LE MAIRE

Je crois bien ! Un chef de district, un employé supérieur de l’Etat…

LE Dr STOCKMANN

Eh bien ! prenons le premier gros commerçant venu. Un être de cette espèce dépense plusieurs fois ce que…

LE MAIRE

Eh ! c’est dans l’ordre des choses.

LE Dr STOCKMANN

Du reste, Pierre, je ne fais vraiment pas de dépenses inutiles. Mais je ne puis me refuser la joie de voir du monde chez moi. C’est, pour moi, un besoin du cœur, vois-tu, une nécessité vitale, retranché, comme je l’ai été pendant des années de la société des hommes, de voir autour de moi toute une jeunesse à l’esprit libre, hardi, actif, entreprenant. C’est elle que tu vois attablée là bas, faisant honneur au souper. Je voudrais que tu connusses un peu Hovstad.

LE MAIRE

Ah oui ! Hovstad. Justement, il me parlait

d’un article de toi qu’il allait encore publier.
LE Dr STOCKMANN

Un article de moi ?

LE MAIRE

Oui, sur l’établissement. Un article que tu as écrit cet hiver.

LE Dr STOCKMANN

(Test vrai, je n’y songeais plus. Ah ! mais je ne veux pas qu’il paraisse jusqu’à nouvel ordre.

LE MAIRE

Vraiment ? Il me semble pourtant que ce serait le bon moment.

LE Dr STOCKMANN

Oui, oui, dans des conditions normales.

(Il traverse la chambre.)
LE MAIRE, le suivant des yeux

Qu’y a-t-il donc d’anormal ici ?

LE Dr STOCKMANN, s’arrêtant

Ecoute, Pierre, là ! en vérité je ne puis pas te le dire. Du moins, pas ce soir. Il y a peut-être, ici, beaucoup de choses qui ne sont pas normales. Et peut-être rien. Peut-être n’est-ce qu’une simple imagination.

LE MAIRE

En vérité, voilà bien des énigmes. S’agirait-il d’un projet qu’on voudrait dérober à ma compétence ? Il me semble pourtant qu’en qualité de président de l’administration thermale…

LE Dr STOCKMANN

Il me semble, à moi, qu’en qualité de.... Voyons, Pierre, nous n’allons pas nous prendre aux cheveux.

LE MAIRE

A Dieu ne plaise. Je n’ai pas coutume de prendre les gens aux cheveux, comme tu dis. Mais j’exige bien expressément que toutes les mesures à prendre suivent la voie réglementaire et passent par l’autorité légalement constituée à cet effet. Je n’admets pas les chemins détournés ni les portes de derrière.

LE Dr STOCKMANN

Ai-je l’habitude de les prendre, les chemins détournés et les portes de derrière ?

LE MAIRE

En tout cas, tu as un penchant inné à aller ton propre chemin. Et, dans une société bien organisée, c’est là également une chose inadmissible. Le particulier doit y être, coûte que coûte, subordonné au général ou, pour mieux dire, aux autorités appelées à veiller au bien général.

LE Dr STOCKMANN

C’est possible. Mais en quoi, diantre, cela me concerne-t-il ?

LE MAIRE

Cette vérité, mon bon Thomas, tu n’as jamais voulu la reconnaître. Mais fais bien attention, tu finiras par l’apprendre à tes dépens, — un jour ou l’autre. Je tenais à te le dire. Adieu.

LE Dr STOCKMANN

Mais tu es fou à lier. Tu cherches midi à quatorze heures.

LE MAIRE

Ce n’est pas mon habitude. Je te prierai, d’ailleurs… (Avec un salut du côté de la salle à manger.) Adieu, belle-sœur. Adieu, messieurs.

(Il sort.)
Mme STOCKMANN, arrivant

Il est parti ?

LE Dr STOCKMANN

Mais oui. Et tout en colère.

Mme STOCKMANN

Mais que lui as-tu fait encore, mon cher Thomas ?

LE Dr STOCKMANN

Absolument rien. Il ne peut pourtant pas exiger que je lui fasse mon rapport avant que l’heure soit venue.

Mme STOCKMANN

Quel rapport as-tu donc à lui faire ?

LE Dr STOCKMANN

Hem… Cela, Catherine, c’est mon affaire. — Je m’étonne que le facteur n’arrive pas.

(Hovstad, Billing et Horster, un peu

plus tard Eillif tlMartin entrent, venant

de la salle à manger.)
BILLING, s’élirant

Ah ! Dieu me damne, un tel repas, cela vous transforme un homme.

HOVSTAD

Le maire n’était pas d’humeur de rose, ce soir.

LE Dr STOCKMANN

Cela vient de l’estomac. Il a une mauvaise digestion.

HOVSTAD

C’est surtout nous autres du « Messager » qu’il ne peut pas digérer.

Mme STOCKMANN

Je crois que vous ne vous en êtes pas mal tiré, pourtant.

HOVSTAD

Oui, oui. Mais ce n’est qu’une sorte de trêve.

BILLING

Une trêve, oui, c’est le mot.

LE Dr STOCKMANN

Souvenons-nous que Pierre est un pauvre solitaire. Il n’a pas de foyer où s’abriter ; rien que des affaires, des affaires. Et puis tout ce thé clair qu’il s’ingurgite… Allons attablez-vous, mes enfants ! Eh bien, Catherine, et ce toddy ?

Mme STOCKMANN, se dirigeant vers la salle à manger

Tout à l’heure. Je vais le chercher.

LE Dr STOCKMANN

Venez vous mettre ici, près de moi, capitaine Horster. On vous voit si rarement… Je vous en prie… prenez place, mes amis.

(Ils s’attablent. Mme Stockmann apporte,

sur un plateau, une bouilloire, des verres,

des carafons, etc.)
Mme STOCKMANN

Tenez : voici l’arack, voici le rhum, et voilà le cognac. Que chacun se serve comme il l’entend.

LE Dr STOCKMANN, prenant un verre

C’est ce que nous allons faire. (Pendant qu’on prépare le toddy.) Maintenant, en avant les cigares ! Eilif ! Tu dois savoir où est la boîte. Et toi, Martin, apporte-moi ma pipe. (Les deux garçons passent dans la chambre de droite.) Je soupçonne Eilif de chiper un cigare de temps en temps, mais je ne fais semblant de rien. (Appelant :) Et puis, ma calotte, Martin ! Catherine ! voudrais-tu lui dire où je l’ai posée ? Tiens, il l’apporte. (Les deux garçons apportent les objets demandés.) Servez-vous, mes amis. Moi, voyez-vous, je m’en tiens à ma pipe. Regardez-la : elle m’a accompagné dans bien des courses, par les bourrasques de Norrland. (Trinquant :) A votre santé ! Bien sûr, j’aime autant être assis tranquillement au foyer.

Mme STOCKMANN, tricotant

Allez-vous bientôt appareiller, capitaine Horster ?

HORSTER

J’espère être prêt la semaine prochaine.

Mme STOCKMANN
C’est en Amérique que vous allez ?
HORSTER

Oui, c’est ce qu’on projette.

BILLING

Mais alors, vous ne prendrez pas part aux élections municipales.

HORSTER

Il y aura donc de nouvelles élections ?

BILLING

Vous ne le saviez pas ?

HORSTER

Non. Je ne me mêle pas de ces affaires.

BILLING

Vous n’êtes pourtant pas indifférent aux intérêts publics ?

HORSTER

Ma foi, je ne m’y entends guère.

BILLING

N’importe. On doit du moins prendre part aux votes.

HORSTER

Même ceux qui n’y comprennent rien ?

BILLING

Qui n’y comprennent rien ? Que voulez-vous dire ? La société est comme un navire. Tout le monde doit être au gouvernail.

HORSTER

Peut-être est-ce ainsi sur la terre ferme. En mer, cela ne réussirait guère.

HOVSTAD

C’est étrange comme la plupart des marins se soucient peu des intérêts du pays.

BILLING

En effet, c’est bien singulier.

LE Dr STOCKMANN

Les marins sont pareils aux oiseaux voyageurs. Ils se sentent chez eux au nord comme au midi. Mais cela ne nous oblige qu’à plus d’activité, nous autres, monsieur Hovstad. « Le Messager » de demain parlera-t-il de nos intérêts généraux ?

HOVSTAD

De nos affaires municipales ? Non. Mais après-demain je comptais publier votre article.

LE Dr STOCKMANN

Diantre, c’est vrai !… Mon article !… Non,

écoutez, il faut attendre un peu…
HOVSTAD

Tiens ? Nous avions justement de la place et le moment me semblait bien choisi.

LE Dr STOCKMANN

Oui, oui. Vous avez peut-être raison. N’importe. Il faut attendre. Je vous expliquerai cela plus tard.

(Entre Pétra, venant du vestibule, en chapeau et en manteau, des cahiers sous le bras.)
PÉTRA

Bonsoir.

LE Dr STOCKMANN

Ah ! te voici ? Bonsoir, Pétra.

(On échange des saluts. Pétra se débarrasse et dépose les cahiers sur une chaise, près de la porte.)
PÉTRA

Tiens ! on se fait du bon temps ici, pendant que je trime dehors.

LE Dr STOCKMANN

Eh bien ! Fais-toi du bon temps, toi aussi.

BILLING

Faut-il que je vous prépare un petit verre ?

PÉTRA, s’approchant de la table

Merci, j’aime autant le préparer moi-même. Vous le faites toujours trop fort. Ah ! c’est juste, père : j’ai une lettre pour toi.

(Elle s’approche de la chaise où elle a déposé son manteau.)
LE Dr STOCKMANN

Une lettre ! De qui ?

PÉTRA, cherchant dans la poche du manteau

Le facteur me la remise au moment où je sortais.

LE Dr STOCKMANN, se levant et allant au devant d’elle

Et tu ne me l’apportes que maintenant !

PÉTRA

Je n’avais vraiment pas le temps de remonter. Tiens : la voici.

LE Dr STOCKMANN, saisissant la lettre

Donne, donne, mon enfant ! (Regardant l’adresse.) Oui, c’est bien cela…

Mme STOCKMANN

C’est celle que tu attendais, Thomas ?

LE Dr STOCKMANN

Précisément. Vite ! Il faut que j’aille lire cela. Où trouverai-je de la lumière, Catherine ? On a de nouveau oublié de poser une lampe dans ma

chambre !
Mme STOCKMANN

Mais non : la lampe brûle sur ton bureau.

LE Dr STOCKMANN

Tant mieux, tant mieux. Excusez-moi un instant… (Il passe dans la chambre de droite.)

PÉTRA

Qu’est-ce que cela peut être, mère ?

Mme STOCKMANN

Je n’en sais rien. Tous ces derniers jours, il ne cessait de demander si le facteur était venu.

BILLING

Sans doute un patient qui demeure à la campagne.

PÉTRA

Pauvre père ; il a vraiment trop à faire. (Préparant son toddy.) C’est ça qui va être bon !

HOVSTAD

Vous avez encore donné une leçon à l’école du soir ?

PÉTRA, goûtant le toddy

Une leçon de deux heures.

BILLING

Et quatre heures d’institut ce matin…

PÉTRA, s’attablant
Cinq heures.
Mme STOCKMANN

Et tu as encore des devoirs à corriger, à ce que je vois.

PÉTRA

Tout un paquet.

HOVSTAD

Vous travaillez beaucoup, vous aussi, à ce que je vois.

PÉTRA

Oui, mais je ne m’en plains pas. On éprouve une si délicieuse fatigue quand c’est fini !

BILLING

Vous aimez cela ?

PÉTRA

Oui, on dort si bien après une journée de travail !

MARTIN

Il faut que tu aies beaucoup péché, Pétra.

PÉTRA

Moi ?

MARTIN

Mais oui, puisque tu travailles tant. M. Rœrlund dit que le travail nous a été donné en punition

de nos péchés.
EILIF, sifflotant

Zut ! tu es bien bête de croire à ces choses-là.

Mme STOCKMANN

Allons, allons, Eilif.

BILLING, riant

C’est impayable !

HOVSTAD

Tu n’aimerais pas à travailler, Martin ?

MARTIN

Non, je n’aimerais pas cela.

HOVSTAD

Mais alors que veux-tu faire quand tu seras grand ?

MARTIN

Moi ? je voudrais me faire viking.

EILIF

Mais, alors, il faudrait que tu fusses païen.

MARTIN

Eh bien ! je pourrais me faire païen, quoi ?

BILLING

Quant à cela je suis de ton avis, Martin. C’est précisément ce que je dis.

Mme STOCKMANN, lui faisant un signe

Pour sûr que non, monsieur Billing. Vous

ne dites pas cela.
BILLING

Dieu me damne si ce n’est pas vrai ! Je suis un païen et je m’en glorifie. Vous allez voir : nous deviendrons tous païens avant qu’il soit longtemps.

MARTIN

Et alors, n’est-ce pas, nous pourrons faire ce qu’il nous plaira ?

BILLING

Dame, vois-tu, Martin…

Mme STOCKMANN

Allons, enfants, il faut rentrer chez vous. Vous avez sans doute des devoirs pour demain.

EILIF

Je voudrais bien rester encore un instant ici, moi.

Mme STOCKMANN

Non : toi aussi, il faut que tu rentres. Allez-vous en tous les deux.

(Les deux garçons prennent congé et entrent dans la chambre à gauche.)
HOVSTAD

Croyez-vous vraiment que cela fasse du mai aux enfants d’entendre de tels propos ?

Mme STOCKMANN

Je n’en sais rien, mais je n’aime pas cela.

PÉTRA

Oui, mère, mais je crois que tu as grand tort.

Mme STOCKMANN

C’est bien possible, mais je n’aime pas cela. Pas ici, du moins.

PÉTRA

Il y a tant de mensonge, à la maison comme à l’école. Ici, il faut se taire et là bas nous devons mentir aux enfants qui nous écoutent.

HORSTER

Mentir, dites-vous ?

PÉTRA

Croyez-vous donc qu’on ne nous oblige pas à leur enseigner une quantité de choses auxquelles nous ne croyons pas nous-mêmes ?

BILLING

Oui, ce n’est que trop vrai.

PÉTRA

Si j’en avais seulement les moyens, c’est moi qui fonderais une école où les choses se passeraient

autrement !
BILLING

Ah bah ! les moyens…

HORSTER

Mon Dieu, mademoiselle Stockmann, si vous y songez sérieusement, j’ai un local à votre disposition. La vieille maison de mon défunt frère est grande et presque vide. Il y a là, au rez-de-chaussée, une salle à manger très spacieuse.

PÉTRA, riant

Oui, oui, merci. Mais je présume qu’il n’en sera rien.

HOVSTAD

Non, non, je suis sûr que mademoiselle Pétra passera plutôt au journalisme. À propos, avez-vous trouvé un peu de temps pour vous occuper de cette nouvelle anglaise que vous deviez traduire pour nous ?

PÉTRA

Non, pas encore. Mais vous l’aurez à temps, je vous le promets.

(Entre le Dr Stockmann, venant de son

cabinet de travail, une lettre ouverte à la

main. )
LE Dr STOCKMANN, agitant la lettre

Eh bien ! vous pouvez être sûrs maintenant

qu’il y aura du nouveau en ville !
BILLING

Du nouveau ?

Mme STOCKMANN

Qu’est-ce donc ?

LE Dr STOCKMANN

Une grande découverte, Catherine !

HOVSTAD

Vraiment ?

Mme STOCKMANN

Que tu as faite ?

LE Dr STOCKMANN

Que j’ai faite. (Arpentant la chambre :) Qu’ils viennent dire à présent, comme d’habitude, que ce sont des lubies, des idées de fou. Mais ils s’en garderont bien ! Ha, ha ! ils s’en garderont, bien sûr !

PÉTRA

Voyons, père ! Dis-nous, à la fin, ce que c’est.

LE Dr STOCKMANN

Oui, oui, attendez un peu, vous allez tout apprendre. Pensez donc ! Si je tenais Pierre, là, sous la main ! Ah ! l’on voit bien maintenant comment nous formons nos jugements, pauvres humains que nous sommes, vrais aveugles, pires que des taupes.

HOVSTAD

Que voulez-vous dire, monsieur le docteur ?

LE Dr STOCKMANN, s’arrêtant près de la table

N’est-ce pas l’opinion générale que notre ville est un lieu salubre ?

HOVSTAD

Je crois bien.

LE Dr STOCKMANN

Extraordinairement salubre même, un endroit qu’il faut chaudement recommander aux malades comme aux gens bien portants.

Mme STOCKMANN

Mais, mon cher Thomas…

LE Dr STOCKMANN

Aussi l’avons-nous recommandé et célébré de notre mieux. J’ai écrit tant que j’ai pu, articles dans « le Messager », brochures…

HOVSTAD

Oui, oui, eh bien ?

LE Dr STOCKMANN

Cet établissement balnéaire qu’on a appelé la grande artère, le nerf moteur de la cité, — et je ne sais quoi encore…

BILLING

« Le cœur palpitant de notre cité, » me suis je permis d’écrire à un moment solennel…

LE Dr STOCKMANN

C’est vrai. J’oubliais. Eh bien ! savez-vous ce que c’est, en réalité, que ce superbe établissement ainsi glorifié et qui a coûté tant d’argent — oui, savez-vous ce que c’est ?

HOVSTAD

Voyons ! dites-le.

Mme STOCKMANN

Oui, dis !

LE Dr STOCKMANN

L’établissement tout entier est une fosse pestilentielle.

PÉTRA

Les bains, père !

Mme STOCKMANN, en même temps

Nos bains !

HOVSTAD, de même
Monsieur le docteur…
BILLING

C’est incroyable !

LE Dr STOCKMANN

Tout l’établissement n’est qu’un sépulcre blanchi, un réservoir à peste, vous dis-je. Dangereux au plus haut degré pour la santé publique ! Toutes les immondices de Mœlledal, toutes ces puanteurs qui descendent de là haut infectent l’eau des conduites qui mènent au réservoir. Et ces maudites ordures distillent ensuite leur poison jusqu’à la plage…

HOVSTAD

Jusqu’aux bains de mer ?

LE Dr STOCKMANN

Précisément.

HOVSTAD

Et comment avez-vous pu vous convaincre de tout cela, monsieur le docteur ?

LE Dr STOCKMANN

J’ai fait des recherches aussi consciencieuses que possible. Oh ! il y a longtemps que je soupçonnais quelque chose. La saison dernière, il y a eu des cas étranges parmi les baigneurs, —

des affections typhoïdes et gastriques.
Mme STOCKMANN

Oui, c’est vrai.

LE Dr STOCKMANN

Nous pensions alors que c’étaient les baigneurs qui avaient apporté l’infection. Mais plus tard, — cet hiver, — il m’est venu d’autres idées. Je me mis alors à examiner l’eau, aussi bien que faire se pouvait.

Mme STOCKMANN

C’est donc là ce qui te préoccupait tant ?

LE Dr STOCKMANN

Ah ! tu peux bien le dire, Catherine, que cela me préoccupait ! Mais ici je manquais de tous les moyens dont dispose la science. J’envoyai donc des échantillons de l’eau à boire et de l’eau de mer à l’Université pour les faire bien exactement analyser par un chimiste.

HOVSTAD

Et l’on vient de vous envoyer les résultats de l’analyse ?

LE Dr STOCKMANN, montrant la lettre

Les voici ! On a constaté la présence dans l’eau de matières organiques en décomposition. C’est plein d’infusoires. L’usage intérieur ou extérieur en est absolument préjudiciable à la santé.

Mme STOCKMANN

Dieu soit loué que tu l’aies découvert à temps!

LE Dr STOCKMANN

Ah ! c’est le cas de le dire.

HOVSTAD

Et que comptez-vous faire maintenant, monsieur le docteur ?

LE Dr STOCKMANN

Mettre ordre à la chose, bien entendu.

HOVSTAD

Il y a donc moyen…

LE Dr STOCKMANN

Il faut bien. Autrement tout l’établissement est perdu… Il n’y a plus qu’à le fermer. Heureusement, nous n’en sommes pas là. Je me rends parfaitement compte de ce qu’il y a à faire.

Mme STOCKMANN

Et dire, mon cher Thomas, que tu as gardé le secret sur tout cela.

LE Dr STOCKMANN

J’aurais dû, n’est-ce pas, courir la ville et en parler à tout venant avant d’avoir une certitude complète ? Ma foi non, je ne suis pas fou à ce point.

PÉTRA

Mais à nous, du moins.

LE Dr STOCKMANN

A pas âme qui vive. Mais demain tu iras chez le Blaireau

Mme STOCKMANN

Voyons, Thomas…

LE Dr STOCKMANN

C’est bien, c’est bien. Tu iras chez grand-père. Ah ! il aura lieu d’être étonné. Il me croit détraqué, n’est-ce pas ? Oh ! il n’est pas le seul d’ailleurs, à ce que j’ai remarqué. Mais ils verront bien, les bonnes gens, ils verront bien !… (Il fait le tour de la chambre, en se frottant les mains.) Tu vas voir, Catherine, le remue-ménage que cela fera ! Tu n’en auras jamais vu de pareil. Il faudra changer toute la canalisation.

HOVSTAD, se levant

Toute la canalisation.. ?

LE Dr STOCKMANN

Je crois bien. La prise d’eau est située trop

bas. Il faut l’établir beaucoup plus haut.
PÉTRA

Ainsi, c’est toi qui avais raison tout de même ?

LE Dr STOCKMANN

Oui, t’en souviens-tu, Pétra ? J’ai écrit contre leur projet au moment où ils allaient l’exécuter. Mais, à cette époque, personne ne voulait m’écouter. Eh bien ! vous verrez quelle bordée je vais leur lâcher. Car vous pensez bien que j’ai rédigé un rapport à l’administration des bains. Il est prêt depuis une semaine. Je n’attendais que ceci. (il montre la lettre.) Maintenant, il va être expédié sur l’heure. (Il entre chez lui et ressort avec une liasse de papiers.) Regardez-moi cela : quatre feuilles d’une écriture bien compacte. J’y joindrai la lettre. Catherine ! un journal ! Il faut envelopper le tout. Là, ça y est ! Donne le rouleau à… à… (Frappant du pied.) Comment diable s’appelle-t-elle ? A la bonne, enfin ! Qu’elle le porte immédiatement au maire. (Mme Stockmann prend le rouleau et sort par la salle à manger.)

PÉTRA

Que crois-tu que dira l’oncle Pierre, père ?

LE Dr STOCKMANN

Que veux-tu qu’il dise ? Il devrait être content, je crois, qu’une vérité de cette importance soit enfin dévoilée.

HOVSTAD

Me permettez-vous de faire paraître une note sur votre découverte dans « le Messager » ?

LE Dr STOCKMANN

Oui, vous m’obligerez beaucoup…

HOVSTAD

Il est à souhaiter, en effet, que le public soit renseigné aussi tôt que possible.

LE Dr STOCKMANN

Assurément oui.

Mme STOCKMANN, rentrant

La bonne est partie.

BILLING

Dieu me damne si vous ne devenez pas le premier homme de la cité, monsieur le Docteur.

LE Dr STOCKMANN, marchant, l’air réjoui

Allons donc ! Je n’ai fait, en somme, que mon devoir. J’ai eu de la chance, voilà tout. J’ai trouvé ce que je cherchais : un trésor. N’importe…

BILLING

Dites donc, Hovstad, ne vous semble-t-il pas que la ville devrait faire une ovation au Dr Stockmann ?

HOVSTAD

Je vais toujours faire une motion dans ce sens.

BILLING

Et moi, je vais en parler à Aslaksen.

LE Dr STOCKMANN

Non, mes amis, pas de ces parades de foire ! Je ne veux pas en entendre parler. Et si la direction veut m’augmenter mes gages, je refuse. Tu entends, Catherine ! Je refuse.

Mme STOCKMANN

Et tu as raison.

PÉTRA, levant son verre

A ta santé, père !

HOVSTAD et BILLING

A votre santé, monsieur le docteur, à votre santé !

HOVSTAD, trinquant avec le docteur

Puisse toute cette affaire ne vous causer que de la satisfaction et de la joie !

LE Dr STOCKMANN

Merci, mes chers amis, merci ! Je suis si heureux, — Ah ! c’est une bénédiction que d’avoir le sentiment d’un service rendu à sa ville natale et à ses concitoyens. Hourrah, Catherine ! (il lui passe les deux mains autour du cou et la fait tournoyer. Elle crie et résiste. Rires, applaudissements et acclamations. Eilif et Martin passent la tête par la porte entr’ouverte.)

RIDEAU


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