Éditions du « Petit Écho de la Mode » (18p. 75-76).


IV

Le gouffre.


C’était le jour du pardon. Paul et Shara ne manquaient jamais d’y aller lorsqu’à ce moment ils se trouvaient à Kerroch’ ! Mon père seul et les jumelles restèrent au chalet… Ma mère ne voulait pas venir.

— Mère, si vous n’êtes pas là, ce ne sera pas complet, lui avions-nous dit.

Et elle était venue puisque cela faisait plaisir à ses enfants.

On s’amusa beaucoup au pardon, jamais il n’y avait eu plus de monde et, dominée encore par l’impression du matin, pour la première fois les souvenirs du passé semblèrent s’effacer.

Il fallut revenir. La mer était un peu forte.

Au moment de monter en bateau, René eut peur.

Des amis avec lesquels nous étions proposèrent de le ramener à Kerroch’ dans leur voiture ; mais l’enfant ne voulut pas se séparer de nous.

Mlle Lia ne tient pas une grande place, dit-on… on se serrera un peu.

Ce fut décidé, je pris le chemin de terre pour la consolation de René qui se déclara satisfait.

La mer était bleue ; les vagues courtes blanchissaient à leur crête ; la brise soufflait inégale…

L’embarcation s’approcha du rivage… Huit personnes y montèrent… et puis, eux trois… les deux hommes qui gouvernaient…

— À tout à l’heure, dit Shara en nous envoyant un baiser…

Nous le lui rendîmes… Et rien ne se déchira en moi pour me crier que c’était le dernier !…

Je montai en voiture… Les chemins étaient en fête… Il y avait des éclats de rire partout, dans les champs, derrière les haies… et tout près… le gouffre s’ouvrait sans bruit… se refermait…

Sur les treize qui étaient partis trois revinrent… ce n’étaient pas eux… On disputa aux flots leurs victimes… ils rendirent les cadavres.