Trois semaines d’herborisations en Corse/24

Bonifacio. — 29 mai.


Stéfani nous accompagna dans une promenade au bord de la mer, sur le chemin qui conduit au phare de Pertusato ; les hautes falaises crayeuses que la mer ronge sans cesse et qui rendent inexpugnables les remparts de Bonifacio, construits à leur sommet, montraient une végétation déjà desséchée par le soleil ou rabougrie par les vents. Là, dès les premiers pas, auprès des Matthiola tricuspidata var. arcuata Lojac. Ononis minutissima var. calycyna Willk., Linum strictum var. cymosum G. et G., nous aperçûmes une variation remarquable du Cistus villosus, étalée en buissons touffus et abondamment pourvue de longs poils blanchâtres (s.-v. canescens Nob.) due évidemment à l’influence de la station. Le Cistus salvifolius var. cymosus Willk., reconnu déjà ailleurs, se trouvait également assez abondant dans cet endroit. De là au phare nous observâmes :

Euphorbia Portlandica L.
Diplotaxis tenuifolia DC.
Allium subhirsutum L.
Glaucium flavum var. vestitum Willk.
Ptychotis verticillata Dub.
Ajuga Iva Schreb.
Medicago denticulata Willd.
Orobanche crinita Viv.

Puis Stéfani attira notre attention sur deux formes d’Helichrysum fort distinctes au premier coup-d’œil : H. argyreum Jord. et Fourr. et H. chloroticum Jord. et Fourr., et nous fit récolter, à peu de distance du sémaphore, de superbes pieds de Morisia hypogæa Gay. Rappelons avec MM. Gillot et Chabert, que cette plante est bien moins rare en Corse que ne l’ont pensé MM. de Marsilly et Mabille, comme le prouvent ses nombreuses stations des montagnes du cap Corse, et ajoutons que nous fûmes fort surpris de voir végéter sur ses racines un parasite qu’on ne lui connaissait pas encore, croyons-nous : Orobanche Muteli Schultz.

Du sémaphore, où nous arrivons bientôt, on jouit d’une vue merveilleuse sur la Méditerranée, sur les îles Lavezzi, — où se trouve, entr’autres raretés, le délicat Nananthea perpusilla DC. — et sur les côtes de la Sardaigne où se détachent distinctement les maisons blanches de Santa Teresa Gallura. À l’aide d’une lunette marine, nous apercevons sur un récif le monument élevé à la mémoire des naufragés de la frégate la Sémillante, éclairé maintenant par un soleil qui ne fait pressentir en rien les tempêtes souvent si terribles des Bouches de Bonifacio. Mais midi s’annonce au canon des vaisseaux de guerre italiens mouillés dans les eaux sardes, et nous nous arrachons avec regret à ce spectacle qui marque le point le plus méridional de notre voyage.

Au retour, nous notons au passage :

Cineraria maritima L.
Ecballium Elaterium Rich.
Conium maculatum L.
Urtica membranacea L.
Rumex thyrsoides Desf.
Pinardia coronaria Less.

Asphodelus fistulosus L.
Alyssum maritimum Lam.
Asteriscus maritimus Mœnch.
Artemisia arborescens L.

et au pied des murailles, sur les talus brûlés :

Astragalus Tragacantha L.
Polycarpon tetraphyllum forma alsinifolium R. et F.
Reseda alba forma platystachys var. longipes R. et F.
Mesembryanthemum cristallinum L.
Convolvulus althæoides L.
Herniaria cinerea DC.

La soirée se passa à visiter, sous la conduite de Stéfani, les églises et les chapelles de Bonifacio qui passe pour une des plus curieuses villes de l’Europe. D’une origine fort ancienne, puisque sa fondation remonte au VIIe siècle ou VIIIe siècle de notre ère, elle est remarquable par sa situation singulière sur une étroite langue de terre parallèle au littoral, par la richesse de ses monuments religieux, par ses hautes murailles d’enceinte qui se dressent à pic à 60 mètres au-dessus du niveau de la mer, enfin par sa population remuante aux costumes variés de pêcheurs, d’industriels, de soldats, de moines et de pénitents.

Malheureusement notre temps est trop compté pour que nous puissions demeurer plus longuement dans cette localité très différente du reste de la Corse et dont la langue même a quelque chose de spécial. D’ailleurs, le paquebot bi-hebdomadaire de Bonifacio à Ajaccio lève l’ancre demain à dix heures et nous ne pouvons songer à différer davantage notre départ. Nous prenons donc les renseignements nécessaires pour une dernière sortie destinée à utiliser les quelques heures qui précéderont notre embarquement, car Stéfani, retenu de son côté, ne nous accompagnera pas.