Trois semaines d’herborisations en Corse/21

De Corté à la Solenzara. — 27 mai.


La ville de Corté n’a rien par soi-même qui séduise le voyageur, comme Bastia ou Calvi. Loin de la mer, enfermée dans un horizon étroit de montagnes, sous un ciel moins doux, elle ne rachète même pas ces désavantages par l’animation de son quartier neuf ou l’attrait de ses monuments. Notre court séjour dans ses murs, où nous avons d’ailleurs payé fort cher un confortable… des plus médiocres, nous fait peut-être porter un jugement téméraire, mais sans le réel intérêt de ses environs, nous eussions quitté plus promptement encore ses rues étroites et montueuses, ses maisons mornes et souvent délabrées, d’où s’exhale le soir, comme dans les vieux faubourgs populeux, un tout autre parfum que celui de l’oranger.

La route de Ghisoni ne nous sembla pas praticable à cause de la longueur du trajet que nous aurions été obliges de faire à pied, et du temps que nous aurions perdu en suivant la vallée du Fiumorbo à une époque encore trop peu favorable ; il était préférable de reprendre le chemin de fer et de nous rendre à la Solenzara, où nous avions décidé de passer quelques heures, sur les instances de M. Pieri, professeur au lycée de Rochefort (Charente-Inférieure) qui avait bien voulu nous munir d’une lettre de recommandation à l’adresse de son beau-frère, propriétaire dans cette localité.

Nous suivîmes donc en sens inverse le même parcours que le 21 mai jusqu’à la station de Cazamozza où la ligne se bifurque pour se diriger vers le sud. La côte offre constamment un aspect uniforme jusqu’à Ghisonnaccia, point terminus du chemin de fer, à quelque distance de la route de Bastia à Porto-Vecchio, qu’elle suit parallèlement jusque là dans toute sa longueur. C’est toujours la plaine basse et étroite, merveilleusement fertile, qu’on rencontre dès la sortie de Bastia et qui se prolonge jusqu’aux portes de Bonifacio ; dans ses alluvions profondes croît une végétation d’une invraisemblable vigueur, malheureusement trop luxuriante, puisque l’insalubrité du climat n’en permet pas le défrichement. Pendant le voyage, nous observâmes :

À Folelli-Orezza :

Tolpis virgata Bert.
Lychnis Flos-cuculi L.
Quercus suber L.

À Bravone, le Cistus Monspeliensis L. a disparu ; nous ne voyons plus que le C. salvifolius L. et par endroits de vastes espaces couverts d’Helianthemum halimifolium Willd. Ici nous n’observons plus le Cistus villosus L., si commun dans la Balagne et dans plusieurs localités du cap Corse, comme s’il était localisé dans certaines régions de l’île.

À Tallone, nous notons :

Carexpendula Huds.
Lychnis Flos cuculi L.

Au pont de Tavignano :

Onopordon Tauricum Willd.

À Aleria, l’antique cité fondée, dit-on, par Marius :

Raphanus silvester forma microcarpus R. et F.

Helianthemum Tuberaria Mill.
Campanula Rapunculus var. strigosa Gillot.

À Puzzichello :

Bartsia viscosa L.
Asparagus acutifolius L.
Potentilla hirta var. pedata Loret.
Helianthemum halimifolium Willd.

Nous débarquons à Ghisonnaccia vers trois heures, au milieu d’un maquis brûlé sur le bord duquel se trouve la gare, et du premier coup nous nous sentons transportés au milieu de gens bien différents de ceux que nous avons déjà observés dans le cours de notre voyage. Nous nous rappelons que cette partie de la Corse est par excellence la patrie du banditisme insulaire, que pour tout le monde ici la méfiance est le sentiment qui préside à toutes les actions, et qu’il faut autant que possible se tirer d’affaire soi-même. Nous nous en apercevons dès l’arrivée, car nous sommes obligés d’aller prendre en personne nos paquets dans le fourgon des bagages, et une personne bienveillante nous prévient obligeamment d’avoir à veiller sur leur arrimage jusqu’au moment du départ.

Tout cela n’est point rassurant, et soudain nous remet en mémoire mille histoires de bandits, romanesques ou terribles que nous avons recueillies ça et là depuis notre arrivée dans le pays de la vendetta. Il en est une notamment qui nous fut confirmée plus tard et qui montre que parfois les bandits ont l’humeur joviale.

Il y a quelques années, une colonne d’infanterie qui se dirigeait, au cours de certaines manœuvres, de Bastia vers Porto-Vecchio, fut précédée de quelques heures à Ghisonnaccia par une avant-garde d’une quinzaine d’hommes. À cette époque, une troupe de bandits tenait le maquis environnant et s’avançait, même en plein jour, aux environs des villages, quand la gendarmerie était signalée à distance convenable. Or ce jour-là, les bandits avaient arrêté sur la route deux ou trois charretiers conduisant un convoi de vin du Cap, et après les avoir contraints de dételer leurs chevaux et de décharger quelques barriques, s’en étaient donnés à cœur joie à la santé des braves Pandores. Au moment où l’avant-garde de la colonne fut signalée, nos compères, déjà joyeux, se disposaient à regagner la brousse quand, rassurés par la mine pacifique des troupiers, une idée burlesque les arrêta. Rangés sur le bord du chemin, ils accueillirent les soldats avec des exclamations d’enthousiasme, et sans plus de façon les invitèrent à se rafraîchir ; déjà les braves pioupious, accablés par la chaleur et la fatigue, se réjouissaient de cette heureuse rencontre, et buvaient à pleins quarts, bénissant la libéralité des paysans de Ghisonnaccia, quand le gros de la colonne parut à l’horizon. Alors, sur un coup de sifflet strident, tous les généreux gredins disparurent dans les broussailles, tirant en l’air des coups de fusil et criant à tue tête aux soldats ébahis leurs noms ou leurs surnoms, trop connus dans la contrée.

Tout en évoquant ces souvenirs, nous arrivâmes au Pont du Fiumorbo, où nous vîmes Populus nigra L., Salix alba L., Lychnis Flos-cuculi L., Phytolacca decandra L., Gomphocarpus fruticosus R. Rr. et Digitalis purpurea var. tomentosa Webb., et bientôt après, à la Solenzara.

Une fois installés dans la seule auberge du village, nous nous rendîmes chez M. Gavin qui nousaccueillit avec une obligeance charmante, et s’offrità diriger nos promenades pendant toute la durée de notre séjour dans la localité. Le soir même, nous fîmes ensemble une promenade aux environs, et la récolte fut meilleure encore que nous n’aurions osé l’espérer, puisqu’elle comprit notamment trois plantes nouvelles :

Spergularia rubra subsp. arenosa Nob.
— — — var. oligantha Nob.
Sagina maritima var. Corsica Nob.

En allant du village vers le pont de la Solenzara, nous récoltâmes :

Vicia varia Host.
Thrincia tuberosa DC.
Bartsia bicolor DC.
Brassica nigra Koch.
Echium plantagineum L.
Crepis leontodontoides All.
Chamæpeuce Casabonæ DC.
Melica major Sibth.
Lolium Italicum Brauu.
Raphanus silvester forma microcarpus R. et F.

et M. Gavin nous fit entrer dans un magnifique bois d’Eucalyptus signalé déjà comme une des curiosités de la côte orientale, et dont le couvert abritait parmi les débris des feuilles,

Cistus salvifolius var. cymosus Willk.
Rapistrum Linnzeanum var. glabrum Cariot.

Sinapis Cheiranthus var. petrosa R. et F.
Galium rotundifolium L.
Stachys Corsica Pers.
Silene viridiflora L.

Nous eûmes l’occasion de constater les premiers, dans une vigne qui borde le bois, la présence du Phylloxera qu’on n’y soupçonnait pas encore et nous avançâmes vers la plage où nos boîtes se garnirent rapidement de :

Corynephorus articulatus P. B.
Lagurus ovatus L.
Psamma australis Mab.
Aira Cupaniana Guss.
— intermedia Guss.
Crithmum maritimum L.
Astrocarpus purpurascens var. spathulifolius G. G.
Glaucium luteum var. glabrum Willk.
Lychnis Flos-cuculi L.
Euphorbia Peplus L.
Helianthemum halimifolium Willd
Spergularia rubra forma Atheniensis var. typica R. et F.
Calycotome villosa Link.
Hordeum maritimum With.
Juncus acutus L.
Aira Edwardi Reuter.
Eryngium maritimum L.
Medicago marina L.
Cakile maritima forma Hispanica R. et F.
Silene Nicæensis All.
Scrofularia ramosissima Lois.

Polycarpon tetraphyllum forma alsinifolium R. et F.
Spergularia rubra subsp. arenosa Nob.
— — — — var. oligantha Nob.
Sagina maritima var. Corsica Nob.
Sonchus oleraceus L.
Paronychia cymosa Lam.
Galium ellipticum Willd.