LE TRÉSOR
OU
LA PARESSE CORRIGÉE
Parade mise en pièce comique
PAR
ERNEST DOIN
En un Acte.


PERSONNAGES

Lagouèpe ouvrier.

Camerluche, ouvrier.

M. Mélange. Marchand de vin.

M. Bois-sec. Entrepreneur-charpentier.

Un facteur de la poste.

4 Hommes de police.


Le théâtre représente une rue, à gauche une maison avec une petite fenêtre en haut, à côté l’auberge de Mr Mélange portant pour enseigne un gros raisin avec ces mots en gros caractères : AU RAISIN NOIR ; de l’autre côté du théâtre une maison un peu renfoncée, grille par devant, un banc de pierre devant la grille. Au lever du rideau Lagouèpe est couché.


Scène 1ère.

Lagouèpe couché. Camerluche arrive sans le voir et s’asseoit au fond du théâtre sans voir Lagouèpe ; ils sont tous les deux habillés grotesquement avec costumes rapiécés.

« Pré Guignou d’guignon !. j’sais pas où donner d’la tête ! en vlà t-y une vie ! En vlà-t’y ! En vlà-t’y ! j’ten ai t’y lut d’puis quéqu’jours de c’bon vin à seize ! d’c’bon vin bleu !… Alt ! mille chopines ! J’voudrais qu’ça dure, mais ouitche, rien dans les mains, rien dans les poches ! oh ! guignon d’guignon, j’m’en arracherais les c’heveux !…

Lagouèpe (endormi) chantant (air de Joseph.)

« Mon p’tit cousin au fond de la Bretagne !
« Tu vas finir tes jours dans la douleur…

Camerluche.

Tiens ! tiens ! Tiens ! Vlà ben Lagouèpe ? Queu chance, j’lavais perdu de vue depuis hier chez la Mère Chopard (allant à lui.) Eh ! Eh ! Lagouèpe, réveille-toi, mon vieux !

Lagouèpe (toujours endormi).

« Mon p’tit cousin au fond de la Bretagne !
« Tu vas finir…

Camerluche (l’interrompant).

Eh ! au diable ton p’tit cousin, tu m’ennuies, réveille-toi donc, soiffeur !

Lagouèpe (s’étendant les bras).

Ah ! Ah ! tiens c’est mon vieux Camerluche. Ah ça, dis donc, ousse que j’suis !

Camerluche.

Allons, te vlà encore dans les brouillards de Bacchus ! Eh pardi, nous sommes près du père Mélange au Raisin noir, et de ce côté la maison du Docteur Blanqui qui tient une maison de santé.

Lagouèpe.

L’Docteur Blanchi ? un brave homme, ça hein ? paie t’y à boire l’docteur Blanchi ?

Camerluche.

Eh ! imbécille, j’te parle pas d’blanchi, j’te dis Blanqui, ça paie pas à boire, j’veux te dire en parlant d’une maison d’santé, c’est comme qui dirait un hôpital de fous là ousse qu’on les guérit.

Lagouèpe.

Ah ! ça, dis donc, Camerluche, m’prends-tu pour avoir perdu la tête, veux tu m’faire entrer là d’dans, tu veux m’mécaniser hein ? Camerluche ?

Camerluche.

Allons bon ! vlà que tu vas t’fâcher à présent, comme si on avait le temps de s’fâcher ; parlons donc plutôt de notre vie, de c’te vie que nous coulons tous les deux depuis trois semaines.

Lagouèpe (chantant)

« Mon p’tit cousin au fond de la…

Camerluche (l’interrompant)

Ah ! ça vas tu r’commencer avec ton p’tit cousin, j’te préviens que si tu me cornes encore ton p’tit cousin dans les oreilles, j’décampe.

Lagouèpe.

Allons, Camerluche, allons sois indulgent pour mon humanité ; vois tu, moi, j’suis sensible, là mais très sensible ; j’ai z’assisté à uu concert et l’individu qui a chanté c’morçeau là, m’avait émouvé toutes les cordes sensibles de mon cœur ! (il chante) Mon p’tit cousin…

Camerluche (se bouchant les oreilles)

Assez ! Assez ! Mille bouteilles ! assez ! où j’m’esquive.

Lagouèpe.

Non, non, reste, Camerluche, d’ailleurs nous avons pas mal à causer. Dis moi, as tu d’l’argent, toi ?

Camerluche (riant)

D’l’argent ?… ah ! ah ! ah ! mais pas un rond, rien, rien, mon pauvre camarade.

Lagouèpe (soupirant)

Allons, t’es comme moi, dans la plus grande débine.

Camerluche

Oui !… Mais dame aussi, en vlà t’y une chouette débauche depuis trois grandes semaines que nous avons quitté le chantier de Mr. Bois-sec l’entrepreneur charpentier de Marly.

Lagouèpe

Oh ! oui, une fière débauche, t’as pas à t’plaindre, — on s’en est y donné d’la fine gibelotte.

Camerluche

Et la fine omelette sautée.

Lagouèpe

Et ces bons rognons sautés… Ah !

Camerluche

Et la salade piquée à l’huile d’olive… oh !

Lagouèpe

Et les sardines fraîches de Neuilly, baignées dans la graisse d’oie… ah !

Camerluche

Tu comptes pas l’vin au cachet vert.

Ensemble

Ah ! Ah !

Camerluche

Ah ! quelle belle vie !… Mais ça trop tôt fini.

Lagouèpe

Oui, oui, trop tôt… Voyons, comben qu’t’avais quand nous avons déserté le chantier ?

Camerluche

Trente francs, vingt centimes.

Lagouèpe

Moi trente six plus les centimes aussi.

Camerluche (soupirant)

Tout ça est flambé !

Lagouèpe (soupirant)

Flambé ! flambissimus !

Camerluche

Et not’ défroque ? Veste ronde, pantalon de velours, casquette à la polonaise.

Lagouèpe

Et moi donc, redingotte en vrai drap d’Elbœuf, veste à revers fleuris, chapeau à lampion.

Camerluche

Tout ça…

Lagouèpe

Engouffré ! Soiffé, avalé et de tous nos costumes élégants et chicards il ne nous reste…


Camerluche

Que ces affreuses loques, rapiécés comme l’arlequin des funambules !… Mais dis donc, hier matin t’avais encore une coiffure ronflante ?

Lagouèpe

Alle est bue !… il te restait à toi encore ton gilet satin rouge, hein, Camerluche ?

Camerluche

Avalé comme ton influente coiffure.

Lagouépe

Oh ! quelle débine ! Quelle débine ! Quoi faire à présent ? Mr Bois-sec nous aimait ben, c’était un bon patron pour nous ; mais il doit être lancé en lamentation contre nous.

Camerluche

Oui, et puis, va donc te présenter au chantier — devant tous les amis, avec une toilette si peu — ébouriffante que la nôtre.

Lagouépe

Diable ! Diable ! Que faire ! C’est dommage tout d’même Hein, Camerluche, c’était une belle vie qu’nous menions, boire, manger, rien faire, c’est si bon de rien faire.

Camerluche

Oui, mais ça dure pas assez. Voyons, Lagouépe, tirons donc quéqu’plan de longueur pour marcher encore un peu d’iavant ?

Lagouépe

Eh ! où diable veux tu que j’trouve des plans à présent !… rien à vendre, rien à broder ! attends, oui, j’en vois un.

Camerluche (vivement)

Lequel ?

Lagouépe

C’est d’aller nous jetter la tête la première, pardessus n’importe quel pont !

Camerluche

Merci, j’en suis pas ; pas si bête d’aller faire le plongeur !… Tiens, tiens Lagouépe faut pas se désespérer, mon vieux camarade, c’est au moment où on se met Martel en tête

qu’il vous arrive une bonne aubaine.
Lagouèpe

Oui, oui, des aubaines, j’ten souhaite, il en pleuvra pas pour nous aujourd’hui, des aubaines ; si seulement on avait à nous deux de quoi boire un flacon de fil en quatre, ah ! à la bonne heure, mais là, rien ! rien ! rien !

Camerluche

Nom d’un p’tit bonhomme, c’est vexant tout d’même, vrai, c’est misrobolant.


Scène 2ème.

Les précédents, le facteur.
Le Facteur

Lequel de vous qui pourrait m’donner z’un renseignement sur z’un individu que j’cherche depuis huit jours.

Lagouèpe

Le nom d’l’individu, primo d’abord.

Le Facteur

Claude, Refifaud, Cornouillac dit Lagouèpe.

Lagouèpe et Camerluche

C’est moi ! C’est lui !

Le Facteur

Voyons, lequel des deux.

Lagouèpe

Moi, que j’vous dis.

Le Facteur
Où diable résidez vous donc qu’on ne peut pas vous trouver ?
Lagouèpe (avec emphrase)

Mon cher, depuis quelque temps, j’ai quitté mon hôtel avec mon ami, ici présent, et actuellement nous logeons…

Camerluche (sur le même ton)

Aux carrières Montmartre pour le quart d’heure (à part) faute d’hôtel garni.

Le Facteur (les toisant l’un et l’autre)

Ah ! c’est donc ça ! Eh ben, vlà une lettre pour vous.

Lagouèpe

Une lettre pour moi, c’est la première que je reçois depuis ma naissance, et d’où vient-elle, cher et noble facteur ?

Le Facteur

De ben loin, car vlà le timbre de la poste-royale de Perse.

Lagouèpe

De Perse, et où qu’ça s’trouve ça la Perse ?

Le Facteur

Pardi, ça s’trouve dans des départements lointains ousque les Rois ont des sujets et… enfin, ça s’trouve en Perse.

Lagouèpe

C’est juste, et combien qui vous faut pour votre peine.

Le Facteur

Rien, rien, le porc est payé.

(il sort.)

Scène 3ème.

Les précédents excepté le facteur.
Camerluche

Dis donc Lagouèpe, sais tu que le cœur me fait tic toc !… Diable qu’est ce qui peut t’écrire, — voyons, tu connais un peu l’écriture, débrouille nous donc ça.

Lagouèpe

Attends ! Attends ! J’suis tout interlocutté, oh ! voyons écoute.

(il ouvre une lettre de grande dimension lisant)

« De Perse en Persia département du bas-Rhin 23 Octobre 1870.

« Mon cher Neveu,

(Parlé) Tiens, tiens, j’ai un oncle si loin qu’ça ? j’men doutais pas du tout, mais dame, j’ai eu tant de parents dans c’monde.

(lisant) « Au moment où je t’écris ces lignes tracés par ma propre main droite, je te dirai que j’ai z’un pied dans la tombe du tombeau… (il pleure) comme c’est attendrissant.

Camerluche (s’essuyant les yeux)

Oh ! oui !… mais continue donc…

Lagouèpe (lisant)

« dans la tombe du tombeau, tu ne savais pas que tu avais un oncle en Perse, c’est un pays très chaud, voisin de la Russie et la Normandie, eh bien, cher Neveu, avant que mes deux pieds disparaissent à jamais de ce monde, je n’ai pas voulu m’éclipser sans te confier un grand secret !… Quand j’ai quitté la France, j’ai laissé dans une maison où je demeure à domicile… j’ai laissé… un trésor !…

Ensemble

Un trésor !

Lagouèpe (continuant)

« Ce trésor est resté caché et c’est à toi qu’il doit revenir en toute justice, il y avait à cette époque vis-à-vis de ma demeure, une maison fermée d’une grille et de l’autre côté un marchand de vin ; à ma fenêtre près de la muraille il y a un petit bouton de cuivre jaune couleur d’or presque imperceptible. En poussant le dit bouton, un bout de corde paraît, le trésor est là, fais en bon usage en souvenir d’un oncle que tu n’as jamais connu, que ce souvenir reste dans ta mémoire !… mais, de la prudence, ne va pas comme fou, prends ton temps, choisis l’heure et agis et reçois mes compliments de mourant avec lesquels je t’embrasse en me disant ton oncle du côté maternel.

« Hénophon, Pamphile, Jérôme Cornouillac

« Par la même occasion je t’envoie ma bénédiction onclaternelle.

Lagouèpe
Ah ! quel bon oncle ! quel bon oncle ! Mais dis donc, Camerluche, un trésor, as-tu compris ? un trésor !
Camerluche
Oui ! et vlà la grille, vlà l’marchand d’vin c’était p’t’être pas Mr Mélange dans c’temps là, mais vlà ben les indications d’la lettre ; et tiens, regarde la maison, vois la fenêtre, c’est là, c’est là.
Lagouèpe

Oui oui, c’est là. Vive la joie !… Mais dis donc, sa lettre nous parle de prudence ?

Camerluche

Eh ben, pardi, c’est pas difficile à comprendre, c’est d’attendre le moment ousque personne — n’pourra pas nous voir, afin qu’on n’vienne pas nous chercher noise.

Lagouèpe

C’est vrai, t’as raison, Camerluche, mais en attendant… hein ?… comprends-tu ? Si on pouvait faire une petite noce ?

Camerluche

Tiens, tu m’y fais penser, avec la lettre, tout peut s’faire, appellons l’papa Mélange, parlons y comme y faut ; j’crois qu’nous réussirons.

Lagouèpe
C’est ça ! c’est ça (ils vont tous deux à la porte de l’auberge) Mr. Mélange ! Hé ! Mr. Mélange !

Scène 4ème.

Les précédents, Mr. Mélange.
Mélange

Qu’est-ce qu’y a ? Qui m’appelle ? Ah tiens, c’est mes deux pas grand chose ; que m’voulez vous ? vite, vite, si c’est à boire ; rien, rien, sans argent.

Camerluche

Eh ! vertueux Mr. Mélange, si on avait pas les moyens, pensez vous qu’on vous arracherait des fourneaux de votre cuisine.

Mélange

Eh bien, eh bien ! montrez moi de l’argent monnayé et je suis tout à vous.

Lagouèpe

M’, Mélange, on vous a toujours payé, hein ? en ce moment, il n’y a pas d’espèces, mais il y a mieux que ça (tirant sa lettre) tenez, — lisez ?…

Mélange (regardant)

Un trésor !

Camerluche

Oui, un trésor, un trésor en beaux écus de six livres, que son oncle de Perse lui donne, lui envoie, lui accorde ; on touche ça demain, ce soir, dans une heure….

Mélange (se grattant l’oreille)

Diable ! Diable ! Mais c’est y ben sûr, ça ?

Lagouèpe

Mais, voyez donc encore c’te lettre ? C’beau mot ? — « Un trésor pour toi. » Voyez ce mot, est-il écrit, oui z’ou non ?

Mélange

Ma foi, ça y est ; eh ben, pour lors, je consens à vous donner des consommations ; mais vous me promettez votre pratique pour le trésor ?

Camerluche et Lagouèpe, (le prenant par le bras)

Ce cher Mr Mélange ? Ce bon Mr Mélange, la crème des rôtisseurs ; tout le trésor sera absorbé chez vous jusqu’au dernier écu, nous vous le promettons.

Lagouèpe

Oui ! Voulez vous que je vous le jure ?

Mélange

Non ! Non ! Je vous crois, d’ailleurs vous êtes de bons vivants, je vous aime et… Commandez ?

Camerluche

Bravo ! vlà qu’est parlé !… Eh bien, digne Mr Mélange, vous allez nous mettre ici une table, il fait beau, il fait chaud, nous serons mieux à l’air.

Mélange

Bien.

Lagouèpe

Vous nous servirez un p’tit canard aux oignons.

Camerluche

Côtelette, à la sauce piquante, accompagnée de cornichon, Mr Mélange.

Mélange

Bon.

Lagouèpe

Un plat de pommes de terre frites.

Camerluche

Sans oublier la fine bouteille à seize.

Mélange

Ça va sans dire.

Lagouèpe

Et surtout de bon fromage de Gruyère, et servez chaud.

Mélange

À la minute, mes amis.

(il sort)

Scène 5ème

(Les précédents, hors Mélange)
Camerluche

Eh ben ! Lagouèpe, la vlà c’t’aubaine dont j’te parlais, vois tu c’tin diner qu’on va s’donner, hein ?

Lagouèpe

Oui, j’conviens qu’ça vaut mieux qu’daller piquer une tête par dessus le pont neuf.


Scène 6ème

Les précédents, Mr Mélange et un cuisinier apportent la table, jeu sur scène des différents acteurs, après le départ des derniers.

Lagouèpe

À table ! À table ! C’est moi qui régale, nous allons r’commencer notre belle vie ! Foin du travail !

Camerluche

Et vive la liberté !

Lagouèpe

La bouteille et le fricandeau !… Allons, buvons, à ta santé Camerluche !

Camerluche

Et surtout, buvons à la santé de ton brave homme d’oncle et à son trésor.

(ils boivent, mangent, lazzis, jeu d’acteur après un silence)
Lagouèpe

Ah ! ça, dis donc, j’crois qu’y s’rait temps d’voir à c’bouton d’cuivre ?

Camerluche

Oui, vlà la nuit, c’est l’moment, attends… (il regarde à droite et à gauche du théâtre) bon ! tout est tranquille, personne ne passe, il n’y a pas de danger ; Mr Mélange est au fond de sa cuisine, et il ne viendra pas avant qu’on ne l’appelle.

Lagouèpe

Alors, à la besogne ! Mais dis donc, c’est ben haut, il faut que tu me fasses la courte échelle ?

Camerluche

Pardine ! Voyons, hisse toi et cherche bien.

(Lagouèpe lui monte sur les épaules, il cherche pendant quelque temps et enfin crie : Je le tiens ! un bout de corde parait, tous les deux font des exclamations de joie, la corde est tirée jusqu’en bas, ils tirent avec force, beaucoup de jeu de scène des deux acteurs, enfin, après avoir tiré environ une vingtaine de brasses de corde, arrive une longue et vieille botte remplie de foin.)

Ensemble, (stupéfaits)

Ah !……

Lagouèpe

Qui qu’c’est qu’ça, Camerluche ?

Camerluche

Eh ! Lagouèpe ! Une botte de haute dimension et encore une botte hors de service social.

Lagouèpe

Nous sommes joués.

Camerluche

Joués ! flambés ! Et des plus embêtés ! Ah !

Ensemble

Ah !

Lagouèpe

Et du trésor, il n’y a…

Camerluche

Que du foin qu’un âne même ne mangerait pas !

Lagouèpe

Adieu à nos plans de fricotage et de paresse, plus rien ? Pas un sou ! Toujours dans la débine !… Mais d’où diable tout cela peut il venir ? qui qu’ça veut dire ?

Camerluche

Écoute ! Avant tout, ne nous amusons à reflectionner. Sauvons nous, car le père Mélange peut venir, il voudra être payé, il nous fera un mauvais parti, il n’y a plus à reculer. Sauvons nous !…

Lagouèpe

Oui et vivement, car, comme il n’y a plus de trésor…


Scène 7ème

Les précédents, Mélange accourant.

Comment ! Comment ! plus de trésor ! Qu’est-ce que ça veut dire ?

Camerluche, (pleurnichant)

Trompés ! trahis ! affreusement enfoncés, vertueux Mr. Mélange.

Mélange, (colère)

Je n’entends rien à tout ça ! Mon argent ! Mon argent ! Canaille ! Bandits ! Brigands !…

Ensemble

Mais Mr. Mélange…

Mélange (colère)

Rien ! Rien ! Mon argent, mon argent ! J’veux être liquidé ! Tout d’suite, tout d’suite !

Camerluche

Eh ! brigand d’sort, on en a pas d’argent, Viens, viens, Lagouèpe, déguerpissons.

Mélange (les prenant au collet)

Non ! Non ! Vous ne m’échapperez pas ! Ah ! c’est ainsi que vous voulez m’assassiner ! tas de sacripants ! Au voleur ! Au meurtre ! À la garde ! La police ! La police !


Scène 8ème

Les précédents, 4 hommes de police.

Emparez vous de ces deux coquins, et s’ils font résistance, tapez dessus.

Lagouèpe (saisissant une chaise)

Le premier qu’approche, je l’démolis !

Camerluche

À nous deux Lagouèpe ! Tiens bon, assommons les ! En avant les assiettes !

(Mêlée générale, combat, le garçon de cuisine frappe avec son balai, le père Mélange joue des pieds et des mains, crie : tapez ! tapez… Hardi Lagouèpe et les assiettes, les plats, table, tout est culbuté, au milieu de ce tumulte. Mr  Bois-sec arrive, tous s’arrêtent.)


Scène 9ème.

M. Bois-Sec.

Holà ! Holà ! Que signifie tout ce tapage ! Arrêtez vous et écoutez moi !… Je connais ces deux hommes, ils sont ouvriers dans mon chantier ; ce sont deux bons ouvriers, mais, malheureusement quand ils se mettent à faire la noce, adieu le travail ; mais j’espère que cette leçon leur sera salutaire !… Ainsi Messieurs, vous pouvez vous retirer, je prends tout sur mes charges ; quant à vous, Mr. Mélange, vous me ferez une facture générale et je vous paierai toutes les dépenses faites par mes deux farceurs.

Mélange (avec soumission)

Ah ! Mr. Bois-sec, je suis content, très content, je n’ai rien à vous refuser et certainement… que… (aux hommes de Police). Allons vous autres, entrons chez moi, je vais vous régaler.

(ils sortent)

Scène 10ème.

Les mêmes exceptés Mélange.
Mr. Bois-sec

Eh bien, mes gaillards, hein ! Comment vous trouvez vous et surtout comment trouvez vous le trésor de l’oncle de Perse !

Lagouèpe

Comment, Patron, c’était…

Mr. Bois-sec

Eh ! parbleu, oui, c’est moi qui ai tout conduit, le facteur, la lettre, le trésor, cette maison qui appartient à mon ami Renard, j’ai tout fait, on vous a suivis, mais j’ai voulu vous laisser aller jusqu’au bout, — bien persuadé que je vous ramènerai (à Lagouèpe.) Comment, imbécille, tu ne devinais pas que tu n’as jamais eu d’oncle en pays étranger et surtout en Perse ? tu n’en as qu’un, tu le connais cependant, Jérôme Cornouillac, sabotier à Versailles ! Mais le vin t’avait ôté toute mémoire.

Lagouèpe (ébahi)

Tiens ! tiens ! tiens !… Et toi, Camerluche ?

Camerluche (avec force)

Moi ! Moi ! J’dis qu’nous avons l’plus grand meilleur de tous les patrons passés, présents et à venir !

Bois-sec

Oui, mes amis, je suis bon, j’aime mes ouvriers. Mais je veux qu’ils se conduisent en hommes ! Ceci est une échaffourée que je vous pardonne !… Voyez comme vous êtes vêtus ?… Voilà où conduisent les mauvais penchants !… Revenez donc au chantier, je vais vous donner une avance pour vous acheter des vêtements ; vos camarades vous reverront avec plaisir ; mais, j’espère que vous allez me faire la promesse solennelle de ne plus recommencer une semblable vie et de travailler avec courage comme deux bons ouvriers.

Ensemble (avec une explosion comique)

Oui ! Oui ! Patron ! Nous le jurons !

Bois-sec

Bien, mes amis, je compte sur vous, et rappeliez vous toujours que l’oisiveté est la mère de tous les vices ; elle vous entraîne d’abord à l’ivrognerie, enfin, la paresse a conduit plus d’un homme où ?… à l’échafaud !… Allons, assez de remontrances, j’ai votre promesse, venez avec moi, et demain, mon chantier comptera deux bons ouvriers de plus et tout ira bien.

Ensemble, (Joyeux, ils sautent et gambadent)

Vive ! Vive ! notre Patron ! Notre excellent Patron, — arrivez, père Mélange, la police, toute la boutique, venez partager notre joie !


Scène (dernière.)


Les précédents. Mélange, les 4 constables, garçon, à peine sont ils arrivés que le chœur se chante (voix forte.)
CHŒUR FINAL.
Air : Ah ! le bel oiseau, Maman.

Livrons nous à la gaité
Répétons tous à la ronde
Que toujours douce amitié
Soit avec nous de moitié.

Lagouèpe (au public)

En applaudissant ce soir
Lagouèpe privé du trésor,
Messieurs, nous avons l’espoir
Que nous vous verrons encor.

Reprise du chœur.
COSTUMES DE CETTE PIÈCE.

Lagouèpe
Camerluche
Surtout déchiré, rapiécé différentes couleurs ; casquette pour Lagouèpe, vieux chapeau déformé pour Camerluche, chaussures usées, cols déchirés.
Mélange. Pantalon coutil barré bleu, chemise de couleur verte à grandes fleurs, tablier blanc, bonnet de coton.
Bois-sec Surtout, pantalon, bottes, chapeau, cravatte noire.
Le Facteur Surtout avec passements jaunes, chapeau en toile cirée.
Hommes de Police. Costume ordinaire.
(Pour les bâtons des constables, toile noire goudronnée remplie de paille.)



E. D.