CHAPITRE XXI
comment gontran savait dissimuler.

Tandis que les choses se passaient ainsi, Gontran de Kergy ne négligeait pas sa cousine. Il se rendait comme à l’ordinaire tous les soirs chez elle.

Géraldine ne put lui cacher sa douleur ; il était l’unique parent qui lui restait et notre héroïne sentait le besoin de décharger son cœur.

La jeune fille ne pouvait dissimuler ce qu’elle éprouvait ; c’était une nécessité pour elle de se confier à quelqu’un. Croyant à l’amitié de Gontran, elle n’hésita pas à lui apprendre ce qu’il savait.

M. de Kergy, avec beaucoup de ruse, feignit une grande colère.

— Le traître, s’écria-t-il, je le tuerai pour vous venger, je vais de ce pas à sa recherche, il faut qu’un duel ait lieu entre nous.

Il se dirigea vers la porte, la jeune fille le retint.

Non Gontran, n’en faites rien, la vengeance n’a aucun attrait pour moi, elle ne pourrait apaiser ma douleur, maintenant le lieu où je pourrai oublier, est le couvent, j’y rentrerai dans quelques jours.

— Quoi Géraldine, vous quitterez le monde, pour vous enfermer dans un cloître, tandis que vous êtes jeune et belle ; que vous pourriez rencontrer quelqu’un qui vous rendrait heureuse, et, cela pour ce de Marville, que je voudrais que vous n’eussiez jamais vu. Je vous en prie, ne prenez pas une détermination semblable.

— Gontran, vous vous trompez, je ne pourrai plus aimer et le monde m’est odieux.

M. de Kergy mit en œuvre toute son éloquence pour la dissuader de ce qu’il désirait le plus qu’elle accomplit, il ne craignait pas de réussir, il savait que rien ne pourrait la faire changer.

La disparition de M. de Marville avait fait grande sensation parmi ses amis, qu’était-il devenu ; chacun se le demandait et l’on se mit à sa recherche ; mais tout fut infructueux.

Quelques âmes charitables, comme il y en a toujours, pensèrent que sa disparition était bien volontaire, qu’un si joli garçon ne pouvait épouser une fille sans dot. D’autres crurent qu’il avait réellement péri.

Pour Montcalm, on peut se figurer combien cette nouvelle l’affecta ; lui qui aimait Robert comme son propre fils, et grand était son chagrin de ne pouvoir quitter immédiatement Montréal, où sa présence était absolument nécessaire, pour voler à la recherche du jeune homme, car il gardait une espérance ; il soupçonnait M. de Kergy d’être pour quelque chose dans cette disparition, et ne pourrait croire à la mort de son protégé, puisqu’aucun indice n’était venu confirmer ses doutes.

Il écrivit donc à Mlle Auricourt, afin de la rassurer un peu et lui donner quelques consolations, mais cette lettre fut interceptée par Gontran, qui eut le soin de laisser ignorer à sa cousine ce qui se passait au dehors, et cela ne lui fut pas difficile, car une apathie complète s’était emparée de la jeune fille, pour tout ce qui l’entourait.

Géraldine ne voulait recevoir personne, pas même Hortense qui vint la voir. L’état où elle était avait quelque ressemblance avec la folie ; la pauvre enfant passait ses journées entières à sa fenêtre, sans prononcer une parole ; sa pâleur était livide, et les cercles de bistre, qui entourait ses yeux, descendait jusqu’à la moitié de ses joues.

Ses regards mornes étaient toujours fixés dans la direction Robert avait l’habitude d’arriver. Parfois son nom s’échappait de ses lèvres ; mais alors un frisson convulsif agitait tous ses membres et elle cachait sa tête dans ses mains, comme pour chasser une vision terrible.

Géraldine ne manifestait qu’un désir, celui d’être au couvent, et dans l’état elle était le médecin ordonna qu’on ne la contraria en rien.

Elle fut donc transportée aux Ursulines.