CHAPITRE XV
la bataille de carillon.

Les jours se sont écoulés, nous sommes arrivés à la veille de la bataille de Carillon.

La prise de Louisbourg avait laissé le Canada sans défense et l’on était résolu de prendre la revanche. Les Anglais allaient attaquer Carillon situé près du lac Champlain, à l’extrémité du cours d’eau, nommé rivière de la chute.

On avait envoyé Bourlamaque occuper le partage à la tête du lac St. Sacrement, et Montcalm avait placé sur les deux rives de la rivière de la chute, les bataillons de la Sarre, Royal-Roussillon, Languedoc, et le premier de Berry ; lorsque dans la nuit du six juillet, Abercombie qui avait remplacé milord Laudon débarqua au portage avec seize à dix-huit cents hommes.

À son approche, Montcalm comprit qu’il serait plus prudent de se replier, il repassa donc la rivière et vint se mettre sous le canon de Carillon.

Toute la journée du lendemain, le général fit travailler ses sept bataillons, à former des abatis, à la hâte ; il ne ferma l’œil de la nuit surveillant lui-même les travaux.

Vers cinq heures, il se promenait encore, interrogeant l’horizon afin de voir s’il n’apercevrait pas M. de Marville, qui était allé en avant pour lui apporter la nouvelle de l’arrivée de M. de Lévis. Enfin un point noir se dessina au loin et en moins de dix minutes Robert fut à côté du Marquis.

— Général, dit-il, le chevalier de Lévis sera ici dans une demi-heure avec ses piquets.

En effet, au bout de ce temps, le chevalier arriva.

— Où allons-nous placer les Canadiens, demanda-t-il au général.

— Dans la trouée entre l’abatis et la rivière ; vous défendrez la droite, chevalier, Bourlamaque est chargé de la gauche, moi, je garde le centre.

Les volontaires sont déjà dans le bois, entre la rivière et la chute.

Lévis se chargea immédiatement de placer les troupes de la colonie, tandis que Montcalm faisait descendre dans la plaine un corps de réserve de huit compagnies de grenadiers et de plusieurs piquets.

Toutes ces opérations se firent avec une grande diligence : à onze heures et demie, on attendait déjà avec impatience l’arrivée de l’ennemi.

Montcalm avait gardé près de lui son jeune protégé. Avant la bataille, il lui dit.

— Robert je vous recommande la prudence pour acquérir de la gloire, ne vous exposez pas inutilement, songez au deuil que causerait votre mort.

— Ne craignez rien, général, répondit M. de Marville, pressant, avec effusion, la main du Marquis, je suis devenu prudent depuis que je sais qu’elle m’aime, aujourd’hui, je tiens la vie.

— Alors, je suis heureux d’apprendre que vous êtes devenu sage, j’en remercie Mlle Auricourt, puisque c’est à elle que nous devons ce changement. À présent je n’aurai plus de ces inquiétudes que vous m’avez fait si souvent éprouver, dans les combats auxquels vous avez assisté.

— Oh général !

— Ne dites pas ô général, mais ô Géraldine, puisque je n’étais rien pour vous.

— Vous êtes tout alors pour moi, mais pardonnez si maintenant, je dis : mourir pour vous, vivre pour elle.

— Non, cher Robert, vivez pour elle, vivez pour moi.

En cet instant, leur conversation fut interrompue, une grande détonation retentit, c’était les Anglais qui attaquaient les gardes avancés. On vit paraître trois colonnes sur la hauteur et une quatrième sur le penchant de la côte.

Alors le feu s’engagea de toute part. Les Canadiens lancèrent leur décharge sur la quatrième colonne, qui se replia sur le régiment de la Seine, en montant la colline, alors ils eurent le feu de ce régiment en tête, tandis que les Canadiens les repoussaient en côté.

Lévis comprit qu’ils voulaient forcer ses retranchements.

— Allez, dit-il, à M. d’Héry, aide major de la reine, prenez une cinquantaine d’hommes, attaquez cette colonne par derrière.

Ses ordres furent promptement exécutés, au bout de quelques instants les cris de l’ennemi lui apprirent qu’on l’attaquait de ce côté.

Cependant, les Anglais ne s’en précipitèrent pas avec moins de fureur sur les retranchements.

Partout le combat était terrible. M. de Bourlamaque soutenait la gauche avec fermeté.

Vingt barges anglaises s’approchèrent du rivage, pour débarquer du monde : mais M. de Louvicourt, qui servait en cet endroit, avec trois pièces de canon, aidé de la fusillade des volontaires, coula à fond un ponton et une barge, puis parvint ensuite à faire retirer le reste.

Pour Montcalm, il était partout.

— Courage, disait-il, s’élançant dans les rangs et montrant l’exemple de la bravoure, en s’exposant aux plus grands dangers, bientôt, nous serons victorieux.

— Oui, mais avant, tu périras s’écria un jeune officier anglais, en brandissant son sabre au-dessus de la tête du marquis.

Deux cavaliers s’élancèrent et l’épée de Robert fut assez habile pour frapper le bras de l’officier avant que son sabre se fut abattu sur le général.

— Oh ! rage, s’écrie, de Kergy, c’est lui qui me devance, toujours ce de Marville dans mon chemin, pour recevoir ce qui m’est dû, mais patience, je me vengerai.

Le marquis avait vu Robert.

— Merci, lui dit-il, je vous dois la vie.

Le jeune homme n’écouta pas, il se précipita sur l’officier qu’il venait de blesser, et lui passa son épée au travers du corps, puis la retirant toute sanglante, il continua à frapper avec fureur devant lui, avançant toujours, exposé au feu le plus nourri des Anglais ; le danger que venait de courir son général lui avait donné un nouveau courage pour braver les périls.

— Arrête, lui cria Montcalm.

Mais sa voix fut couverte par la fusillade. Robert venait de disparaître sous un nuage de fumée ; pendant plusieurs minutes, on crut qu’il ne reviendrait pas, lorsque soudain un des drapeaux anglais qu’on voyait flotter au-dessus de l’armée s’abattit ; on le vit traîné dans la poussière, jusqu’à ce qu’enfin, il se releva et vint s’abattre au milieu de l’armée française, avec Robert, qui roula sans connaissance aux pieds de M. de Bourlamaque. Celui-ci se baissa pour relever le jeune homme, mais une balle vint le frapper en pleine poitrine, il s’affaissa gravement blessé. Rendez-vous, criait-on de toute part. Vive la France.

Mais la fureur des Anglais ne faisait que s’accroître, ils se précipitaient aveuglément dans des tronçons, où ils s’embarrassaient et tombaient enfilés.

Le général Abercrombie envoya un courrier, lui enjoignant de faire venir cinq mille hommes sur la réserve qu’il avait laissée à la Chute. Cependant, ce renfort ne fut rien contre les Français, qui foudroyaient leurs ennemis du haut du parapet, sans qu’ils pussent se défendre. Des grenadiers s’étaient jetés dans la trouée, et mettaient de ce côté les ennemis en fuite. Mais la colonne du penchant de la côte, faisait encore une opiniâtre résistance, et était la dernière à combattre, lorsque les Canadiens sortirent de leurs retranchements, Lévis à leur tête, suivi du capitaine de Raincourt et ils parvinrent à la mettre en pleine déroute.

Des cris joyeux retentirent de toutes parts, l’enthousiasme était à son comble.

En effet, n’avait-on pas droit d’être fier d’une victoire gagnée sur les Anglais dans les mêmes circonstances que ceux-ci à Poitiers et à Azincourt.

La perte des Français se monta à cinq cents hommes, et celle des Anglais à quatre milles.

Le lendemain, Carillon retentissait des chants de nos soldats, qui répétaient d’écho en écho le triomphe de la veille. Dans toutes les bouches, on entendait :

Je chante des Français,
La valeur et la gloire,
Qui toujours sur l’Anglais
Remporte la victoire.
Ce sont des héros,
Sous nos généraux ;
Et Montcalm et Lévis
Et Bourlamaque aussi.

Mars qui les engendra
Pour l’honneur de la France ;
D’abord les anima
De sa haute vaillance,
Et les transporta
Dans le Canada,
Où l’on voit les Français,
Culbuter les Anglais.

Allons à Carillon,
Allons voir la merveille,
Où chaque bataillon,
D’une ardeur sans pareille,
Fixe, frappe, et bat
Dans un seul combat,
Où trois mille Français
Chassent vingt mille Anglais.

Le général se promenait avec satisfaction au milieu de ses soldats, les entendant ainsi exalter son courage, il se sentait ému de joie. Ce moment le récompensait de ses fatigues et de ses peines, il les avait soutenus lorsqu’ils étaient accablés de froid et de faim, maintenant il recueillait les lauriers que méritait sa conduite et la gloire de Carillon l’immortaliserait à jamais.

En cet instant un jeune officier s’approcha de Montcalm.

— Général, dit-il, Abercrombie a fait rembarquer ses troupes pour se retirer à l’extrémité du lac George.

— Tant mieux, répondit le marquis, ils ne reviendront pas à la charge. À présent, je puis aller voir ce pauvre Bourlamaque et Robert, qui tous deux se désespéraient en pensant que s’il fallait se battre aujourd’hui, ils ne pourraient apporter leur concours,

— Comment sont-ils, Général ?

— Bourlamaque est bien mal, hier le chirurgien croyait tout perdu ; mais aujourd’hui, il espère. Pour M. de Marville, il a été plus heureux, ses blessures ne sont pas graves, il pourra s’en retirer sous peu de jours.

Puis le général s’éloigna pour aller lui-même porter la nouvelle du départ d’Abercrombie, aux malades.