Tresor de recherches et antiquitez gauloises et françoises/1re éd., 1655/Dédicace


A MONSIEVR

CONRART

CONSEILLER

ET SECRETAIRE DV ROY,

MAISON ET COVRONNE

DE FRANCE.


onsieur,





On me blâmera, peut-estre, d’adresser à vn des plut polis Esprits de France, ce qui nous reste de plus rude & de plus barbare du langage de ses Ancestres. Mais pour vous, MONSIEUR, vous aurez sans doute la bonté de m’excuser, si vous considerez que ie ne pouuoit en user autrement sans injusstice. Car puis-que vous auez, esté vne des principales causes de la naissance de cet Ouvrage, ie ne deuois le dédier à personne qu’à vous. C’est par vostre conseil que ie l’ay entrepris, pour le soulagement & la satisfaction des Curieux, qui seront bien-aises en lisant les Livres ecrits en vieux François, de n’estre pas arrestez, par tant de mots dont on n’vse plus maintenant, & qui ont quelquefois des significations assez belles, & des origines tres-anciennes, mais qu’il est difficile d’entendre sans vne longue meditation. Vous m’avez asseuré que ce travail ne sera pas inutile, & ie me suis laissé flater par cette esperance, d’autant plus aisément, qu’un excellent homme de l’Antiquite nous enseigne, Que ce n’est pas estre peu heureux que de pouuoir donner la nouueauté aux choses vieilles, la lumière aux obscures, l’agrément à celles qui ont déplû, & en un mot, de ressusciter, s’il faut ainsi dire, celles qui estoient comme ensevelies dans les tenebres de l’oubly. Mais quelque utile que puisse estre mon Liure, ie ne m’attens pas qu’il soit aprouué de tout le monde, puis-que c’est vn auantage que les plus accomplis n’ont pû obtenir iusques icy ; de sorte qu’ayant besoin de protection, contre l’injustice ou la malignité des sévères Censeurs, dont nostre Siecle n’est que trop rempli, ie ne pouuois auoir recours à une plus puissante, ni plus sseurée que la vostre, que vous ne refusez iamais à ceux qui aiment les Lettres et la Vertu. Ie me promets donc, MONSIEUR, que plusieurs qui vous verront estimer cet Ouurage, ou l’estimeront à vostre exemple, ou du moins s’empescheront de le blâmer, pour n’estre pas d’vn autre sentiment que vous. Car il y a de la gloire à imiter un homme judicieux & sincere, dont l’inclination est toujours portée à fauoriser ce qui est loüable, & à excuser ce qui a quelque defaut. Ie suis temoin que c’est ainsi que vous agissez, m’ayant donné souuent des avis tres salutaires, & dont i’ay auantageusement profité, & laiscé puiser dans vôtre curieuse Bibliothéque, qui est vne source féconde de Liures rares imprimez & manuscrits, tout ce qui m’a esté necessaire pour la composition, non-seulement de cet Ouurage, mais aussi de plusieurs autres que i’ay destinez au Public, & dont on trouuera les Titres au commencement de ce Volume ; Si bien, MONSIEVR, que ie puis dire que vous estes en quelque sorte l’Auteur, aussi bien que moy, puis-que vaste y avez tant contribué. I’ai trouué, dans cette grande Ville, peu de personnes aussi officieuses, & aussi obligeantes que vous ; & c’est ce qui augmente mon ressentiment & ma reconnoissance. Ie confesse pourtant que i’en dois beaucoup à M. vostre frére, qui ne m’a rien refusé de ce qui estoit en son pouvoir, pour l’auancement de mes trauaux. Et certes, la generosité est vne qualité tellement attachée à vostre famille, qu’on peut dire qu’elle y est hereditaire, puis qu’on la louoit dans les Estats des anciens Ducs de Bourgogne, en ceux de qui vous tiret vostre origine comme on la louë aujourdhuy en vous, à Paris, & dans toute la France. Ie serois ingrat, si ie n’auoüois aussi, que ie suis redeuable de beaucoup de faveurs à M. Borel Ambassadeur de Messieurs les Estats des Prouinces-Vnies en cette Cour & que i’ay appris, en la conuersation de Messieurs Gassend, de la Mothe-le-Vayer, & Chapelain, des choses que ie n’avois point decouuertes dans les Liures. Aussi, par leur profond sçauoïr, par leur jugement exquis, & par leur rare probité, ont-ils obtenu, & dans ce Royaume, & partoute l’Europe, une telle reputation, qu’il y a peu d’hommes à present qui en possedent vne aussi generale & aussi pure. Pour M. de Pelisson-Fontanier, outre que ie puis parler de luy de la mesme forte, ie dois ce témoignage à la verité & à son affection, que dés mon enfance il m’en a donné des preuues si effectives ; que ie ne pourray iamais rencontrer assez d’occasions de luy en rendre de pareilles de la mienne ; Mais ce n’est pas une des moindres obligations que ie luy aye, que celle de m’avoir procuré l’honneur de vostre connoissance, que ie mets au rang de mes biens les plus précieux. Ie n’ai point fait de difficulté de parler en ce lieu de toutes ces Personnes illustres, & de les joindre avec vous, MONSIEVR, parce qu’ils sont vos Amis intimes, & que ie sçay qu’on ne les peut estimer plus que vous faites. D’ailleurs, i’ay esté bien-aise de marquer ma gratitude envers vous & enuers eux, puis-qu’eux & vous faites profession de mesmes vertus, & que vous m’honorez, tous d’une bien-veüillance particuliere, que ie n’ay point éprouuée ailleurs, & que ie ne pouuois prétendre par mon merite ; mais dont i’essyeray de ne me rendre point indigne, afin de vous faire connoistre que personne n’est plus veritablement que moy,



MONSIEUR,


Vostre tres-humble, & tres-
obeïssant Serviteur,
P. Borel.