Trente-six Ballades joyeuses/Ballade de la bonne Doctrine

III

Ballade
de la bonne Doctrine

La gloriole est une viande creuse.
Rire à des yeux emplis de diamants,
Baiser le front d’une vierge amoureuse,
Être ébloui par les bleus firmaments,
Fuir la douleur entre des bras charmants,
Boire un vin vieux bien vierge de teinture,
Aimer une humble et forte créature,
Dormir son saoul sur un bon matelas,
Sur les murs nus clouer de la peinture.
C’est le moyen d’avoir joie et soulas.

Pleurer d’amour dans la nuit ténébreuse,
Voir un beau sein tout chargé d’ornements,
Cueillir la rose avec la tubéreuse.
Causer de rien, comme font les amants,
Tailler la pourpre en nobles vêtements,

Être ravi par l’humaine structure,
Sucer le lait de la mère Nature,
Quand l’or s’en va ne pas crier : Hélas !
Prendre en tout temps Rabelais pour lecture,
C’est le moyen d’avoir joie et soulas.

Mordre en vainqueur la pomme savoureuse,
Ouïr au loin le bruit des instruments,
Rêver aux jours où rayonnait Chevreuse,
Errer superbe au pays des romans,
Chérir le calme et ses enchantements,
Louer la grâce à la riche ceinture,
Tenir son cœur tout prêt à l’aventure,
Au mois d’avril fumer près des lilas,
Polir des vers pour la race future,
C’est le moyen d’avoir joie et soulas.

Envoi.

Prince, je fuis le monde et sa torture.
Je resterai (Dieu veille à ma pâture !)
Épris des vers, des lys, des falbalas,
Tranchons le mot, de la littérature ;
C’est le moyen d’avoir joie et soulas.

 

Janvier 1862.