Translation des cendres du général Hoche à Weissenthurm (7 juillet 1919)

xe Armée. Service photographique.
Le Monument de Weissenthurm
Rive gauche du Rhin, en face de Neuwid.

TRANSLATION DES CENDRES
DU GÉNÉRAL HOCHE
À WEISSENTHURM (7 Juillet 1919)


Le 7 juillet 1919, à 4 heures de l’après-midi, le général Lazare Hoche, mort à Wetzlar, le 19 septembre 1797, venait reposer définitivement dans le monument que ses soldats lui avaient élevé à Weissenthurm, sur les bords du Rhin, en face du théâtre d’un des plus beaux faits d’armes de sa glorieuse carrière.

Cent vingt-deux années s’étaient donc écoulées avant que cet illustre enfant de Versailles prit possession de la sépulture pieusement préparée pour montrer aux générations futures en quelle affection le tenaient ceux qu’il avait si souvent conduits à la victoire.

Pourquoi ce long intervalle entre le moment où ce grand cœur cessa de battre et cette journée du 7 juillet où les arrières-petits-fils des soldats de Sambre-et-Meuse purent enfin réaliser la généreuse inspiration de leurs ancêtres ?

Le simple récit qui va suivre voudrait l’expliquer.

Il ne saurait être question, en effet, de refaire ici l’histoire du général Hoche. Nombreux sont ceux qui se sont attachés à faire revivre cette grande et noble figure, et il n’y a plus guère à ajouter à tout ce qui a été dit de lui, aussi bien pour témoigner des magnifiques dons du chef militaire que des sentiments généreux de l’homme et de la grandeur d’âme du citoyen. Et tout cela d’un héros qui n’a pas attendu la trentième année de sa vie pour prendre une place hors de pair dans le Panthéon de nos gloires nationales.

Notre intention est plus modeste. Amené par les circonstances au grand honneur d’avoir été parmi les témoins de cette journée du 7 juillet, où les cendres de Hoche furent déposées dans le monument de Weissenthurm, nous nous bornerons à essayer d’en retracer la physionomie, d’en fixer en quelque sorte toutes les minutes, tant elle nous parut grande et par son inspiration et par le spectacle même qu’elle a présenté.

Au moment où, après quelques jours de maladie, Hoche succombait, à Wetzlar, emporté par une affection banale, un refroidissement négligé, il disparaissait en pleine gloire. C’était l’heure où il venait de prendre le commandement en chef des deux armées de Sambre-et-Meuse et de Rhin-et-Moselle, réunies sous le nom d’armée d’Allemagne. Cette mort, qui privait la France d’un chef dans lequel elle mettait ses plus vives espérances, fut un véritable deuil public : elle jeta la consternation dans les rangs de l’armée. La douleur et la piété des soldats de ce général en chef de vingt-neuf ans se traduisirent sous les formes les plus touchantes.

Avant que fût préparé un monument digne de le recevoir, ils voulurent que, pour ne pas rester seul dans son éternel sommeil, il allât reposer auprès de Marceau, qui, tué à Altenkirchen en 1796, avait été inhumé sur le Pétersberg, près de Coblence.

C’est ainsi que, le cinquième jour complémentaire de l’an v de la République, la route de Wetzlar avait vu se dérouler le cortège accompagnant le jeune héros jusqu’au Pétersberg, première étape de ce voyage que le cours du temps imposera à sa dépouille mortelle. Cérémonie toute militaire, dont la description nous paraît intéressante à reproduire au moment où il nous a été donné, à nous aussi, de suivre sur une autre route d’Allemagne, et à plus d’un siècle de distance, le cercueil de notre grand concitoyen[1] :

« Une petite avant-garde de hussards, six pièces d’artillerie avec leurs canonniers, une compagnie de grenadiers, une musique militaire… Le char sur lequel était porté le cercueil, drapé en noir ainsi que les six chevaux qui le conduisaient, est décoré de deux étendards tricolores. Ce char était accompagné de deux aides de camp du général et de deux adjudants généraux à cheval aux quatre coins, et suivis chacun d’un guide à cheval portant une torche allumée. La compagnie de grenadiers attachée à son quatier général marchait en file de chaque côté, l’arme basse. Suivaient à quelques distance les officiers généraux[2] et d’état-major de l’Armée, un détachement de guides, une musique militaire, deux compagnies de grenadiers ; la marche était fermée par un escadron de dragons. »

Quel tableau suggestif en sa simplicité, mais quel cadre va l’entourer !

« Le gouverneur autrichien de la forteresse d’Ehrenbreitstein, prévenu de la mort du général et du passage de son convoi funèbre, fit prendre les armes aux troupes de sa garnison[3], en disposa une partie en haie sur la rive droite de la route (la gauche était occupée par des troupes républicaines), depuis ses avant-postes jusqu’au bord du Rhin ; dans la ville du Thal, le reste de la garnison était sous les armes, sur les glacis de la forteresse. Le gouverneur et les officiers de son état-major vinrent recevoir le corps aux avant-postes et le suivirent jusqu’au bord du Rhin, au milieu de cette hait d’Autrichiens et de Français ; ils ne le quittèrent qu’au moment où il s’éloigna du rivage pour passer à Coblence. On traversa lentement Coblence et l’on arriva au fort de Pétersberg, au milieu d’un feu continuel d’artillerie et de mousqueterie auquel les Autrichiens répondirent régulièrement. Là fut déposé le corps de Hoche, dans la même place où l’avait été celui de Marceau. »

Avant d’être descendu dans ce qui devait être son tombeau provisoire, Hoche fut salué par plusieurs de ses généraux, et les échos du Pétersberg auraient pu nous renvoyer les paroles que prononça son ami intime, le général Lefebvre, celui qui devait devenir le maréchal de France du de Dantzig : « Chers Camarades », s’écriait-il dans le langage de l’époque, « la mort, qui ne nous a jamais paru redoutable, se montre à nos yeux d’une manière terrible : elle anéantit d’un seul coup la jeunesse, les talents et les vertus. Hoche n’est plus, la Parque meurtrière a terminé ses jours et, dans un instant, il ne nous restera plus que le souvenir de ses vertus et le tableau de ses exploits. Consacrons cet instant à lui rendre le témoignage de notre profonde affliction ; que la foudre guerrière qui a éclairé ses nombreux triomphes apprenne à l’univers entier que l’humanité a perdu un ami, la victoire un de ses enfants, la patrie un de ses défenseurs, la République un appui, et nous tous… un ami sincère[4]. »

Plus encore que ce témoignage rendu par un de ses pairs, Hoche a dû apprécier celui d’un de ses vieux grenadiers déposant, les yeux pleins de larmes, une couronne sur son cercueil, avec ces simples paroles : « Hoche, c’est au nom de l’Armée que je te donne cette couronne[4]. »

Quelques jours plus tard, la France entière s’associait au deuil de l’armée par des manifestations patriotiques envers le héros qui venait de disparaître et dont la figure ne devait cesser de grandir dans l’histoire au fur et à mesure que le recul du temps permettait d’en mieux saisir le caractère.

Quand, au soir de cette journée du 22 septembre 1787, se furent éloignés les pas de ses compagnons d’armes, Hoche devait rester seul, et pour longtemps, dans le silence de cette sépulture où il avait été solenellement déposé. Si l’armée qui le perdait avait décidé de perpétuer la mémoire de son illustre chef en lui élevant un monument sur ces hauteurs de Weissenthurm d’où il avait dirigé ses troupes au passage du Rhin, le temps avait passé sans que ce projet fût réalisé.

Lorsque, au bout de vingt années, le corps de Hoche fut retiré du Pétersberg, ce ne fut pas encore pour être déposé dans le caveau de Weissenthurm, mais pour reposer dans le réduit d’un des forts de Coblence, le fort Franz. Et c’est là, sous une plaque de marbre noir entourée d’une simple grille de fer, qu’il dut attendre que la piété de ses concitoyens allât le chercher pour le conduire enfin à sa dernière et définitive demeure.

Étrange destinée que ces pérégrinations posthumes qui ont égaré, pendant de longues années, ceux que guida la pensée de saluer sur la terre étrangère, où ils ont été ensevelis, les enfants illustres que la France, au cours de ses épopées, a semés par le monde.

Tous ces pays de la rive gauche du Rhin, il n’est pour ainsi dire pas une de leurs villes, un de leurs villages dont le nom ne fasse retentir à nos oreilles l’écho de batailles françaises. Si les routes ont résonné sous les pas de nos soldats, les cités, les campagnes ont aussi, pendant près de vingt ans, vécu sous nos lois et il est peu de bourgades dont les archives n’aient pas conservé trace de notre administration. Le souvenir même n’en a pas encore complètement disparu de l’esprit des populations, et cette persistance n’est pas sans intérêt ni enseignement à l’heure où l’Allemagne vaincue s’efforce de maintenir l’unité de son empire compromise par la défaite.

Et voici qu’aujourd’hui, après plus d’un siècle, la fortune des armes nous reconduit sur les bords du Rhin, de ce fleuve inséparable de notre histoire. Nos soldats, si longtemps à la peine, sont à l’honneur ; ils passent où les « pères » ont passé.

Et nous Versaillais, qui avons toujours entretenu au cœur de notre cité le culte du général Hoche, nous voici ramenés, avec eux et par eux, vers ces régions qui gardaient le tombeau de notre illustre concitoyen.

Profiter de circonstances aussi heureuses et aussi favorables pour associer notre ville à une grandiose manifestation envers celui de ses enfants dont la commémoration est entrée dans la plus persistante de ses traditions, telle fut la pensée dont s’inspirait M. le Maire de Versailles lorsqu’il faisait, le 15 mai, aux membres de notre Conseil municipal, la communication dont voici les termes :

« Au moment où s’approche l’anniversaire du général Hoche, que la paix va permettre, pour la première fois depuis cinq ans, de célébrer avec plus d’éclat, j’ai tenu à rechercher ce qu’étaient devenus les restes de notre glorieux concitoyen.

Le cœur, conservé d’abord par sa famille, fut ensuite pieusement déposé à l’église Notre-Dame de Versailles et y est toujours. Quant au corps, il fut incinéré[5]. Les cendres ont été déposées provisoirement sur le Pétersberg, près de Coblence, puis dans le réduit du fort Franz, de Coblence.

Cette inhumation n’était que provisoire : elle dure encore depuis un siècle.

Si la sépulture n’avait été que provisoire, c’est qu’on attendait le monument que l’armée de Sambre-et-Meuse devait élever à son chef ; ce monument a été construit à Weissenthurm, en face de Neuwied, en souvenir du passage du Rhin par Iloche ; mais quand il fut élevé, personne n’y transporta les restes du héros : les circonstances avaient changé…

Et depuis cent ans, les voyageurs saluent le mausolée consacré à l’une des plus grandes gloires militaires de la France, et sous ce mausolée, il n’y a rien ; tandis que les cendres de Hoche reposent, ignorées, dans un fort que personne ne visite.

Au moment où les drapeaux alliés flottent victorieusement sur Coblence, n’est-ce pas l’occasion de donner aux restes du grand chef la sépulture définitive que leur a élevée la glorieuse armée de Sambre-et-Meuse ? Il s’agit de moins de quinze kilomètres, les circonstances permettront aux cendres de Hoche de les franchir sous l’escorte des drapeaux tricolores et des régiments français dont la gloire militaire ne le cède en rien à celle des héros de Sambre-et-Meuse.

Il m’a semblé que le maire de la ville qui a vu naître Hoche remplirait un pieux devoir en s’attachant à ce problème historique et que la ville de Versailles rendrait un juste hommage à son illustre enfant, si son Conseil municipal prenait l’initiative d’évoquer une cérémonie où serait acquittée la dette que l’armée de Sambre-et-Meuse et la France ont contractée il y a cent vingt ans.

En conséquence, j’ai l’honneur de vous proposer le vœu suivant :

 « Le Conseil municipal,

Considérant que les restes mortels du général Hoche n’ont jamais reçu la sépulture que leur destinait l’armée de Sambre-et-Meuse ;

Que le monument élevé à Weissenthurm attend depuis plus d’un siècle les cendres du héros versaillais, qui sont conservées obscurément dans un fort de Coblence ;

Qu’aucune circonstance ne peut être plus favorable à l’in
xe Armée. Service photographique.
Levée du Corps du Général Hoche par les Aumoniers Français Cellou et Schuler
(Fort Franz à Coblence.)
humation définitive à Weissenthurm que l’anniversaire de la

naissance de Hoche.

Qu’en effet, les armées qui viennent de remporter la plus belle victoire de l’histoire du monde sont mieux que quiconque qualifiées pour achever l’œuvre de l’armée de Sambre-et-Meuse ;

Emet le vœu que les restes du général Hoche, au moment de son anniversaire de juin 1919, soient transportés au monument de Weissenthurm avec les honneurs militaires qui conviennent à un héros qui s’est acquis autant de gloire comme Vainqueur et comme Pacificateur. »

Cette proposition était chaleureusement accueillie par le Conseil municipal et le vœu adopté à l’unanimité. L’expression en était transmise au Président du Conseil, Ministre de la Guerre, et au maréchal Foch, généralissime des armées alliées, en même temps que communication en était donnée au général Mangin, commandant la xe armée, à M. Millerand, commissaire général de la République en Alsace-Lorraine, et au général Hirschnuer, gouverneur de Strasbourg, en raison des attaches que ce haut fonctionnaire et ces deux officiers généraux gardent avec notre ville.

Le 21 mai, M. le maréchal Foch faisait connaître comme il suit l’accueil réservé au vote du Conseil :

G. Q. G. A., le 21 Mai 1919
COMMANDEMENT EN CHEF
des
ARMÉES-ALLIÉES
Le Maréchal

 « Monsieur le Maire,

Vous avez bien voulu me transmettre le vœu du Conseil municipal de Versailles pour la translation des restes du général Hoche.

L’hommage que votre ville sollicite pour son illustre enfant est tout a fait légitime et mon approbation vous est acquise.

Je fais rechercher par le général Mangin, commandant la xe armée, la situation exacte des cendres du général Hoche… »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le 31 mai, le général Mangin rendait compte au maréchal Foch que, d’après tous les renseignements recueillis, les cendres du général Hoche devaient bien se trouver dans le tombeau situé à l’intérieur du fort Franz, mais que, pour s’en assurer d’une façon certaine, il ferait procéder le 3 juin à l’ouverture de ce tombeau, en présence des autorités militaires françaises et américaines et d’un représentant de l’état-civil allemand. Quant au monument de Weissenthurm, il était prêt à être utilisé, quand on aurait construit un sarcophage à l’intérieur du caveau et qu’on aurait remplacé par une porte pleine la grille qui en fermait l’entrée. Le général fixait en même temps au 24 juin, anniversaire de la naissance, la cérémonie de translation.

L’autorité militaire décidait, en outre qu’en cette même journée du 24 juin, il serait procédé, au cimetière français de Coblence[6], à l’inauguration du monument de Marceau, et dans un ordre du 11 juin, elle établissait le programme de cette double cérémonie.

Dans la matinée, le cercueil du général devait être transporté du fort Franz au monument de Marceau, avec honneurs militaires rendus par un bataillon, avec colonel, musique et drapeau, et des délégations des corps de la xe Armée (9e, 13e, 33e, 15e corps) et du territoire de la Sarre, composées chacune de 1 officier général, 2 officiers supérieurs, 2 capitaines ou lieutenants et 5 sous-officiers.

C’est à 2 heures de l’après-midi que devaient avoir lieu, avec les mêmes honneurs, l’inauguration du monument de Marceau et le salut aux cendres de Hoche. Après quoi, le corps de Hoche serait transporté à Weissenthurm, où les délégations l’accompagneraient et où un régiment d’infanterie était commandé pour les honneurs.

À cette même date du 11 juin, le général Mangin écrivait au maire de Versailles :

Q. G. A., 11 juin 1919.

xe Armée.

Monsieur le Maire,

Par lettre en date du 19 mai vous m’avez fait connaître que le corps du général Hoche avait été enterré au fort Franz, à Coblence. Vous ajoutiez qu’il serait désirable de donner à ce héros la sépulture qui lui avait été préparée à Weissenthurm par l’armée de Sambre-et-Meuse.

J’ai l’honneur de vous informer que les recherches effectuées d’après vos indications ont permis, en effet, de retrouver les restes du général Hoche. Conformément à votre désir et à celui de M. le maréchal Foch, la cérémonie aura lieu le 24 juin.

En raison des liens qui unissent le général Hoche à la Ville de Versailles, je vous prie de bien vouloir honorer cette cérémonie de votre présence, en vous faisant accompagner d’une délégation de votre Municipalité et d’élèves du Lycée de Versailles.

J’ajoute, que comme ancien élève de cet établissement, cette visite me rendrait particulièrement heureux…..

Général Mangin. »

Cette lettre, qui exauçait le vœu émis par le Conseil municipal dans sa séance du 15 mai, était une invitation d’autant plus gracieuse qu’elle nous permettait d’associer les jeunes élèves de notre lycée à une manifestation qui ne pouvait manquer de leur laisser un impérissable souvenir.

Mais la cérémonie, ainsi projetée et arrêtée dans ses détails, dut aux circonstances d’être différée de quelques jours.

On se souvient des incidents qui ont précédé l’acceptation par l’Allemagne des conditions imposées par le traité de paix. Le 16 juin, les plénipotentiaires allemands avaient quitté Versailles, et quelques jours se passèrent pendant lesquels on put croire qu’il faudrait avoir recours à la force pour contraindre l’Allemagne à céder. Les pays rhénans virent alors les armées d’occupation procéder à des mouvements de troupes et à des préparatifs qui ne laissaient aucun doute sur la ferme volonté des Alliés de ne faire aucune concession aux revendications présentées par l’Allemagne. Dans ces conditions, il ne pouvait être question de procéder à une cérémonie de parade, qui dut être renvoyée à une date ultérieure. Souvenons-nous que c’est le 23 juin, la veille même de l’anniversaire de Hoche, que le canon tiré à la pièce d’eau des Suisses annonçait à la population versaillaise la soumission définitive du gouvernement de Berlin.

Dès que la paix fut signée à Versailles, le général Mangin faisait connaître, par lettre du 29 juin, que la cérémonie projetée était fixée au lundi 7 juillet. C’est dans ces conditions que, dans la soirée du vendredi 4 juillet, les délégations de Versailles et de Chartres se trouvaient rassemblées à la gare de l’Est, pour prendre le train de 8 h. 20. Le général Mangin avait, en effet, invité la ville de Chartres à se faire représenter par une délégation de son Conseil municipal et une députation d’élèves de son lycée à la cérémonie du 7 juillet, qui devait confondre dans une même commémoration le général Marceau et le général Hoche.

Chacune des deux délégations, qui vont dès lors cheminer ensemble et associer leurs émotions, comptait dix personnes. Celle de Versailles comprenait : MM. Henri Simon, le maire ; le colonel Meunier, adjoint ; les conseillers municipaux Voillaume, Louvet, Lefebvre et Monnier, qui avaient été désignés par leurs collègues, en séance du 15 mai en raison de leurs services militaires pendant la guerre ; le proviseur du lycée, M. Salé, et avec lui les élèves Foy, Massenet et Vidil. La délégation chartraine avait une composition analogue et comprenait : le maire, M. Hubert, et cinq conseillers municipaux, MM. le Dr Manoury, député d’Eure-et-Loir ; Delaunay, Polton, Lorin et Debargue ; M. Jacques, proviseur du lycée, avec les élèves Villemer, Morin et Pichot.

Journée du 5 Juillet
Strasbourg

La première étape de notre voyage devait être Strasbourg.

Pour la plupart d’entre nous, c’était la première fois que nous allions revoir cette ville depuis qu’elle était redevenue française. Elle éveillait chez quelques-uns des souvenirs déjà lointains, et ce n’était pas pour ceux-là que l’émotion devait être la moins vive. C’est ce sentiment que, deux jours plus tard, m’exprimera à moi-même un officier général à la table duquel j’étais assis au repas qui nous fut offert sur le Bismarck, lors de notre descente du Rhin, de Mayence à Coblence : « Vous, mon Colonel, qui portez la Médaille de 1870, que ces journées doivent vous paraître encore plus belles ! »

Aux premières lueurs du jour, alors que nous franchissons à Avricourt notre ex-frontière, nos regards se portent, le long de la voie ferrée, sur des terrains encore marqués des traces de la grande bataille des quatre années : réseaux de fils barbelés, tronçons de tranchées, trous d’obus, arbres déchiquetés, champs encore incultes, ramènent notre pensée à quelques mois en arrière. Et cependant, aux gares de Sarrebourg, de Saverne, ce ne sont plus les soldats d’un lieutenant von Fortsner, mais bien de nos poilus horizon, qui assurent le service d’ordre.

Dès notre descente du train, nous sommes accueillis par le gouverneur militaire de Strasbourg, qui n’a voulu laisser à personne le soin de nous recevoir. C’est l’officier général distingué en qui nous retrouvons un concitoyen, le général Hirschauer. Sa présence à Strasbourg était une des raisons principales de notre arrêt dans cette ville, où il nous était particulièrement agréable de le saluer à son siège de commandement, en un poste où son cœur d’Alsacien devait éprouver la plus pénétrante des émotions : couronner par ce commandement toute une vie militaire brillamment consacrée au service de la France, quel beau rêve pour un soldat !

Débarrassés par son aimable entremise du soin de chercher un gîte, nous pouvons, dès les premiers moments de notre arrivée, nous consacrer à la visite de cette belle ville qui va devenir un des joyaux de notre patrimoine national. En cette excursion rapide qui nous mène à la place Kléber, à la Cathédrale, au Broglie, à ces merveilles de l’architecture élégante du xviiie siècle de l’Hôtel de Ville et du palais de Rohan, au tombeau du maréchal de Saxe de l’église Saint-Thomas, les heures nous paraissent courtes, jusqu’au moment où nous nous retrouvons tous à la résidence du gouverneur, qui nous a gracieusement conviés à sa table.

La présence de quelques-uns des officiers de son état-major et de quelques dames, dont la fille du général, donne à notre déjeuner un charmant caractère d’intimité. Se sentir là, entre Français, est d’une suggestive saveur.

Le gouverneur ne fait qu’aiguiser encore le sentiment qui nous envahit en nous rappelant que l’hôtel[7] où nous sommes était celui qu’occupait le secrétaire d’État d’Alsace-Lorraine, que dans cette même salle à manger, le Kaiser, en 1912, s’est assis, peut-être même à la place qu’il occupe, buvant peut-être dans le même verre, car porcelaines et cristaux sont restés de l’époque. C’était celle où son passage à Strasbourg suivait de près l’établissement du nouveau régime institué en 1911 pour l’Alsace-Lorraine. La constitution nouvelle, qui avait laissé l’Alsace-Lorraine prisonnière, n’avait pas calmé les esprits et les élections avaient été protestataires. Aussi l’Empereur, de très mauvaise humeur, exhala-t-il son mécontentement en termes très vifs. Le salon où nous prenons le café doit aussi garder les échos de la semonce impériale proférée devant Zorn de Bulach, les généraux, les ministres et autres grands personnages qui avaient assisté au repas. En tout cas, avec un sens très vif de la situation, le général a fait reproduire les paroles de l’Empereur, et elles figurent désormais à l’endroit même où elles furent prononcées, sur une plaque de cuivre apposée sur le chambranle droit de la cheminée et portant l’inscription suivante :

« Ici, le 13 mai 1912, Guillaume ii, Roi de Prusse, Empereur allemand, prononça les paroles suivantes :

« Les choses en Alsace-Lorraine ne peuvent plus continuer ainsi ; si cela ne change pas, je réduirai votre constitution en miettes, j’annexerai tout simplement l’Alsace-Lorraine à la Prusse. Vous n’avez appris à me connaître que du bon côté, vous pourriez bien apprendre à me connaître de l’autre. »

Cette inscription commémorative a été apposée le 31 décembre 1918, en présence de :

M. Maringer, haut Commissaire de la République française ;

Le général Hirschauer, gouverneur de Strasbourg. »

Nous félicitons le général d’avoir eu l’idée de perpétuer en ce lieu cet incident historique. Il ne reste plus d’allemand dans cet hôtel que les vestiges d’un mobilier dit « Rococo » par les Boches, qui n’a pas le don de nous charmer. Il ne fait que nous rendre plus agréable la vue d’une jolie série de portraits de maréchaux français que le Gouvernement a eu l’heureuse inspiration d’envoyer du Musée de Versailles, pour orner les résidences des nouvelles autorités françaises[8].

L’après-midi est mis à profit pour compléter notre excursion à travers la ville. Presque toutes les anciennes appellations sont redevenues françaises, les enseignes françaises s’étalent à peu près partout. « Oh ! il y a eu de beaux jours pour les peintres », me dit un poilu qui tient garnison depuis le premier jour de notre rentrée.

Pendant que quelques-uns vont présenter leurs hommages au commissaire général de la République, déposer des cartes chez le maire, d’autres poussent jusqu’à Kehl, dont les autorisations spéciales délivrées par le gouverneur leur permettent de franchir les ponts.

La journée s’achève à l’Hôtel National, où nous sommes tous logés, et à qui nous confions le soin de réparer par une bonne nuit les fatigues de la précédente, passée dans un train très complet.

Journée du 6 Juillet
Mayence

Un soleil radieux éclaire les premières heures de notre matinée du dimanche 6 juillet, lorsque nous prenons, à 8 h. 30, le train qui doit nous conduire à Mayence. Nous avons le plaisir d’y retrouver notre sympathique député, M. Bonnefous, qui, dès lors, fera partie de notre caravane versaillaise.

Nous allons donc cheminer, jusqu’à 1 h. 1/2 de l’après-midi, à travers l’Alsace et le Palatinat, où il semble que le héros dont nous devons honorer là-bas la dépouille mortelle nous conduise lui-même sur la trace de ses exploits.

Cette fois, nous ne sortons de la France qu’à Wissembourg. Wissembourg, c’est déjà le souvenir de Hoche, comme va l’être Landau ; mais d’autres, hélas ! et plus rapprochés, se présentent à nos esprits. Lorsque, par cette chaude journée de juillet, nous regardons ces coteaux verdoyants qui nous environnent, nos pensées se reportent vers ces premiers jours d’août 1870, alors que ce nom de Wissembourg retentit comme le premier son de cloche nous révélant la lutte sévère dans laquelle nous étions engagés. Héroïques combattants de la division Douay qui, à 5, 000, avez lutté contre les 40, 000 hommes du Prince royal, vous êtes aujourd’hui vengés. Mais il aura fallu quarante-huit années pour que nos clairons vinssent vous faire tressaillir, vous et votre chef intrépide, en ces tombes où vous avez été si glorieusement ensevelis.

Avec Landau, nous revoyons cette place que le génie de Vauban avait enclose de remparts, qui fut nôtre longtemps et dont les échos doivent avoir conservé les cris forcenés des soldats de Hoche : Landau ou la mort !

À Neustadt, nous sommes au milieu des riches vignobles du Palatinat, tandis qu’à Ludwigshafen, nous touchons au Rhin et abordons ce centre industriel où la « Badische Anilin » abritait son repaire chimique, que les avions alliés ont plus d’une fois copieusement arrosé.

Avec Worms, nous revoyons par la pensée une Allemagne historique de Luther et de Charles-Quint, en proie aux querelles politiques et religieuses.

Toute cette magnifique plaine que nous venons de traverser, et qui s’étend entre le Rhin et les pentes du Haardt, nous en dit long, par le soin avec lequel elle est cultivée, sur la disette et la pauvreté invoquées par les Allemands, de même que l’aspect luxuriant de ses vignobles, l’ampleur des installations industrielles que nous pouvons apercevoir. Et il ne nous déplaît pas de constater ces symptômes d’une vie florissante dans un pays qui a contracté envers nous une dette que nous avons le droit de qualifier de colossale.

Mayence nous reçoit comme des invités de marque, en la personne d’un officier de l’état-major du commandant de la place, qui nous transmet tout d’abord une aimable invitation à dîner de la part du général Mangin et nous distribue des billets de logement chez l’habitant. Il est une heure trop tardive pour que nous ayons chance de trouver à déjeuner dans les hôtels de la ville ; mais nous n’y perdons rien, et une cantine française établie à la gare improvise pour nous un repas auquel rien ne manque, surtout la gaîté.

Liberté de manœuvre nous est donnée pour l’après-midi, que chacun emploie de son mieux, après avoir été reconnaître le logement et l’hôte qui lui sont destinés. Il en fut parmi nous qui, favorisés par leurs relations avec des camarades de l’armée d’occupation, purent s’offrir l’excursion de Wiesbaden, passer dans cette station thermale assez de temps pour jouir de l’aspect riant qu’elle offre et écouter même au théâtre un acte de Lohengrin.

Plaisir à part, c’était une occasion qui s’offrait de nous mêler pour la première fois à une foule allemande. La représentation est annoncée pour 5 h. 30, et pour qui connaît la discipline que l’Allemand apporte en tout, il faut bien s’attendre à ce qu’à 5 h. 30 le premier coup d’archet soit donné.

Il fait un après-midi superbe, c’est dimanche et les rues de Wiesbaden sont animées comme il convient à une ville de plus de 100, 000 âmes, habituée au rendez-vous d’une foule élégante et cosmopolite, où les consommateurs se pressent dans les cafés ; et au milieu de cette animation, nombreux sont nos officiers et nos soldats, dont la tenue est excellente et l’allure dégagée. Comme l’heure de la représentation approche, se dirige vers le théâtre un nombreux public féminin. Toutes ces femmes, sans chapeaux et en cheveux, ont arboré des toilettes blaches ou très claires. Malgré notre incompétence en la matière, il ne nous apparaît pas que l’art de la corsetière ou de la couturière de Wiesbaden ait atteint son apogée, à moins qu’il ne soit trahi par celles-là mêmes qu’il devrait faire valoir et parer.

Le théâtre est plein : c’est une salle blanche, large et aérée, avec beaucoup, beaucoup de dorures. L’interprétation qui nous est donnée de l’œuvre de Wagner est bonne, sans dépasser ce que nous avons entendu à Paris, aussi bien comme orchestre que comme chant. Mise en scène et décors sont soignés, les costumes riches, mais tout cela avec une crudité de tons que l’on n’a pas cherché à atténuer, bien au contraire. Si le chevalier du Graal est blanc et étincelant, il est superblanc et super-étincelant.

Il ne peut remuer ni les bras ni les jambes, ni osciller la tête, sans faire jaillir de son armure ou de son casque des étincelles qui éblouissent.

L’or, nous le retrouvons au foyer, où il s’épanouit aux murs, au plafond, autour d’une aigle impériale qui nous fait songer. Tout ce public qui va et vient est là en contact avec de nombreux officiers, mais ne se mêle pas. Il nous a été dit d’ailleurs que si dans les maisons où beaucoup de nos officiers sont en billet de logement, les rapports, à Mayence notamment, sont corrects, il est admis qu’au dehors on n’a pas l’air de se connaître et qu’on n’échange, par suite, au théâtre ou dans la rue, aucune marque de politesse.

Mais il nous faut rentrer à Mayence, et, à 7 h. 30, nous pénétrons dans le palais du grand-duc de Hesse, résidence actuelle du général commandant la xe armée. Nous sommes présentés au général et recevons de sa part, ainsi que de Mme la générale Mangin, l’accueil le plus courtois. Le dîner, servi dans deux salles contiguës communiquant entre elles par une large baie, réunit une trentaine de convives, parmi lesquels les membres de la famille du général Hoche qui se sont rendus à l’invitation du général : M. le marquis des Roys, arrière-petit-fils de Hoche, et sa sœur, Mme la comtesse O’Gorman.

Après le dîner, le café pris et un cigare fumé au jardin, nous gravissons un large escalier de pierre à double révolution qui nous fait accéder à une grande salle des fêtes. Les murs de l’escalier offrent de grands panneaux peints à fond bleu pâle, sur lequel se détachent, en bosses, des attributs en pâte qui ne donnent que la caricature d’une décoration du xviiie siècle. La grande salle toute blanche est peu ornée, le plafond est occupé par une peinture dont le sujet nous échappe. Trois grandes fenêtres s’ouvrent sur le quai du Rhin, le long duquel est assis le palais grand-ducal.

Nous écoutons avec plaisir un orchestre bleu horizon d’une exécution parfaite, ainsi qu’un excellent violoncelliste. Mais nous percevons les sonorités d’une musique militaire. On quitte les salons et on gagne les balcons donnant sur la cour d’entrée du palais. Sur la place, nous apparaît une superbe retraite des troupes de la garnison. Elle s’est arrêtée, bat et sonne de pied

ferme, avec une ardeur endiablée, nos pas redoublés les plus
xe Armée. Service photographique.
Transport du Cercueil du Général Hoche.
(Fort Franz, à Coblence.)
entraînants, puis une nouba nous envoie ses notes stridentes.

Ce sont, en effet, les troupes noires qui nous donnent cette aubade, et ce sont des spahis, drapés dans leurs manteaux rouges, avec leurs carabines en sautoir, leurs sabres au clair, sur leurs petits chevaux blancs coiffés de la bride à œillères, qui leur font escorte. Quelle vision que tous ces enfants venus des plus lointaines contrées de notre domaine africain, qui, pendant quatre années, ont versé leur sang pour la France et qui aujourd’hui se baignent et font boire leurs chevaux dans les eaux du Rhin ! On sait quel lien puissant unit le général Mangin à nos troupes noires, qu’il a menées si vigoureusement au combat. Déjà, pendant le dîner, nous avions été frappés par la physionomie d’un de ces colosses d’ébène qui, dans ses fonctions de maître d’hôtel, apportait la rectitude et le zèle attentif d’un serviteur dévoué.

Mais la soirée prend fin, le départ du lendemain devant avoir lieu aux premières heures de la matinée. Je reprends le chemin de la maison où l’un de mes parents, affecté à la xe armée, m’a fait réserver une chambre. Sans rien dire qui puisse me faire méconnaître ce que je dois à l’hospitalité, j’avouerai ma surprise en trouvant un lit qui, avec ses oreillers sans traversin, son drap de dessus boutonné au couvre-pied et son édredon, contrariait mes habitudes de sommeil.

Il ne devait pas les contrarier longtemps.

Journée du 7 Juillet.
Coblence et Weissenthurm.

La journée du lundi 7 s’annonce par une tiède matinée, au soleil légèrement voilé. Au-dessus du Rhin flotte une brume transparente estompant les contours des arbres, des villages qui émergent des pentes douces tombant sur le fleuve. Par mes fenêtres ouvertes, j’entends la sonnerie si distinctive de nos clairons ; cette musique française, retentissant en terre allemande, ne me rend que plus dispos. Ce sont les troupes commandées pour les honneurs qui traversent la ville et se dirigent vers le port, où le maréchal Foch est attendu pour 7 h. 30.

Le casino des officiers, établi dans l’ancien casino allemand de la Schillerplatz, reçoit nos bagages, que des automobiles transporteront à Coblence. Nous déjeunons et gagnons le port à travers des rues qui ne sont pas encore très animées. Déjà est rangé sur le quai un bataillon du 121e, avec le colonel, le drapeau et la musique. Le Bismarck, un des beaux échantillons de la flottille du Rhin, le même qui a déjà porté le maréchal dans sa tournée triomphale d’inspection des corps d’occupation, commence à se garnir des invités aux cérémonies de Coblence : officiers généraux de la xe armée, officiers de toutes armes, beaucoup de dames, parmi lesquelles Mme la maréchale Foch, Mme Mangin et sa mère, Mme Cavaignac, des infirmières de nos Croix-Rouge, enfin les délégations de Versailles et de Chartres. Chacun s’installe sur le pont du bateau, abrité par un tau et protégé vers l’avant, qui constitue, contrairement aux usages, la place d’honneur, par un vitrage destiné à couper le vent ou garantir de la pluie.

Mais un « garde à vous » retentit, le bataillon présente les armes, et à l’entrée du port s’arrête l’automobile du général Mangin, qui est allé au-devant du maréchal, arrivé le matin même par un train spécial.

Le maréchal apparaît, la Marseillaise retentit, une salve de coups de canon est tirée par les vedettes de la marine qui vont accompagner le Bismarck, des avions évoluent dans l’air. Belle minute qui fait passer un joli frisson : comme elle ponctue bien la victoire, quand on songe où l’on est !

Le maréchal monte à bord, le signal du départ est donné, et commence alors cette traversée bien connue des touristes, dont il ne saurait être question de faire ici une description détaillée. Ce spectacle, beaucoup parmi nous l’ont déjà contemplé dans de précédents voyages, mais ce ne sont peut-être plus les mêmes choses qu’autrefois qui éveillent leurs admirations d’aujourd’hui.

Cette puissante masse liquide dans laquelle nous laissons un long sillage, c’est le Rhin, dont la « robe verte » a été de nouveau déchirée, et qui tient une fois de plus « dans notre verre » ; les petites vedettes qui éclairent notre marche, en bondissant à travers l’écume y reflètent gaiement nos trois couleurs.

Tous ces villages qui jalonnent le cours du fleuve, sur l’une et l’autre de ses rives, ce sont de nos poilus qui les occupent, y vaquent à leurs travaux et nous saluent de loin au passage.

Et tous ces bonshommes, ce sont des enfants de chez nous, et
xe Armée. Service photographique.
Le Cercueil sur un Canon de 155 décoré, recouvert de l’Habit du Général.
quand nous les interrogerons tout à l’heure, ils nous diront qu’ils

sont Lorrains, Normands, Bretons, Angevins, Gascons ou Provenceaux, et Dieu sait par quels chemins ils ont passé pour arriver là où nous sommes si heureux de les voir !

Voilà surtout ce qui fait aujourd’hui pour nous toute la beauté et toute la poésie du voyage. Cependant que nous naviguons, les groupes se forment, des camarades se retrouvent, des présentations ont lieu, celle de M. le Maire de Versailles et de la délégation au maréchal Foch.

Nous remarquons qu’au passage devant la colossale statue de la Germania si orgueilleusement dressée sur les pentes du Niederwald, le maréchal allume et fume avec une satisfaction visible une pipe qu’il a retirée de l’une de ses poches : et cela nous plaît fort.

À l’arrière, un orchestre se fait entendre. C’est celui que nous avons applaudi la veille au soir chez le général Mangin. Et comme je causais avec le chef qui le conduit, j’apprend qu’il porte le nom de Ballay et est le neveu du chef distingué de notre musique de la garde républicaine.

Tous les instrumentistes qu’il dirige sont des artistes de valeur et plusieurs des lauréats du Conservatoire ; aussi peuvent-ils se faire entendre d’un public habitué à de la bonne musique, sans avoir à redouter de désavantageuses comparaisons.

Un seul arrêt en cours de route : nous venons de prendre à Boppard les officiers du 9e corps et leurs familles.

Voici que nous apparaît Coblence, que domine la haute silhouette de la forteresse d’Ehrenbrestein. Nous dépassons le confluent de la Moselle pour aller mouiller en aval et nous pouvons ainsi voir au passage, ce qui ne veut pas dire admirer, le monument colossal élevé sur la pointe qui sépare les deux cours d’eau en l’honneur de l’empereur Guillaume Ier. Il repose sur un vaste soubassement de blocs de granit non équarris et est entouré d’une colonne en granit formant hémicycle. Il profile sur le ciel un colossal empereur en bronze, monté sur un gigantesque cheval à la crinière fouettée par le vent, que tient par la bride un non moins colossal génie de la Victoire.

C’est en 1897 que ce monument fut fièrement planté : 1897, c’était déjà le règne du petit-fils de l’inoubliable grand-père. Quelle belle cérémonie d’inauguration dût être célébrée sur ces rives ; et de là-haut, de cette fortresse, quelles salves ont dû saluer cette grandiose effigie impériale ! Mais où êtes-vous aujourd’hui, régiments brillants défilant au pas de parade, états-majors empanachés, coups de canon et hurruahs retentissants ? Il y a bien là un bateau pavoisé, mais il porte le maréchal de France qui, de son bâton étoilé, a brisé l’épée aiguisée du « Seigneur de la Guerre ».

Le Bismarck a stoppé. Ses passagers descendent à terre pour se répandre dans les hôtels de Coblence, en attendant la cérémonie fixée pour 2 heures.

Privilégiées, les délégations de Versailles et de Chartres, jointes à quelques invités particuliers, sont, sur le bateau même, les hôtes du général Mangin.

Trois tables, disposées en fer à cheval, ont été dressées dans l’entrepont. Pendant le repas, où l’orchestre se fait entendre, le maréchal fait savoir qu’un télégramme vient de lui parvenir, annonçant l’élévation du général Mangin à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur. Nous serons heureux, à la fin du déjeuner, d’offrir au nouveau dignitaire l’hommage de nos respectueuses félicitations. Notons ce petit détail qu’il existe parmi les convives quelques dames et jeunes filles, et que le maréchal est mis à contribution pour apposer des signatures sur quelques-uns des menus qui lui sont présentés. Il s’exécute avec la meilleure grâce et trace d’une main ferme cette signature énergique qui doit avoir tenté déjà plus d’un graphologue.

Nous quittons le Bismarck et des automobiles nous conduisent vers le cimetière, où va se dérouler la première partie de la cérémonie.

Le cortège se forme sur le terre-plein qui le précède et y pénètre dans un ordre préalablement fixé :

Le maréchal Foch ;

Les généraux Fayolle et Mangin ;

M. Tirard, haut commissaire de la République ;

Les généraux, parmi lesquels le général Weygand, chef d’état-major du maréchal ; les généraux Lacapelle, Garnier, Duplessis, commandants de corps d’armée ; les généraux Graig, Mark Hersay, John Alajenne, Mae Glachlin, de l’armée américaine ;

Délégation de la ville de Chartres ;

Délégation de la ville de Versailles ;

Marquis des Roys et sa famille ;

Officiers et sous-officiers composant les délégations officielles des corps d’armée ;

Officiers et leurs familles.

Un bataillon du 77e, avec colonel, drapeau et musique, rend les honneurs, ainsi qu’un détachement de deux compagnies américaines.

Déjà, dans la matinée, ces mêmes troupes ont participé à la cérémonie qui a eu lieu au fort Franz, en présence de délégations. À 10 heures, à la batterie « Aux champs » et aux accents de la Marseillaise, avait eu lieu la levée du corps de Hoche par le clergé (abbé Cellou, aumônier français à Mayence, et abbé Schuler, aumônier français à Wiesbaden), et le cercueil, recouvert d’un drapeau tricolore, de l’habit et du sabre du général, placé sur un affût de 155 décoré, avait traversé le faubourg de Coblence, précédé d’une musique et encadré de compagnies françaises et américaines, pour être déposé devant le monument de Marceau, sous la garde d’une section française, en attendant la cérémonie de l’après-midi.

Le monument de Marceau, devant lequel notre cortège s’arrête, est constitué par une pyramide quadrangulaire sur laquelle nous lisons : « Il vainquit dans les champs de Fleurus, sur les bords de l’Ourthe, de la Roër, de la Moselle et du Rhin.

L’Armée de Sambre-et-Meuse à son général Marceau. »

Morts à un an de distance, ces deux compagnons de gloire sont associés en ce jour dans l’hommage que viennent leur apporter leurs concitoyens.

Dès que nous sommes entrés, les élèves de Chartres déposent la couronne offerte par la ville, ainsi qu’une palme de bronze, don du lycée. En présence du drapeau qui se tient devant le monument de Marceau, dans le cadre formé par deux compagnies française et américaine, M. Hubert, maire de Chartres, prend alors la parole et, dans une allocution vibrante, retrace à larges traits et en termes heureux la carrière du héros chartrain, léguant aux générations à venir le noble exemple de ses vertus.

C’est ensuite le général Fayolle, commandant le groupe des armées d’occupation, qui, avec la haute autorité qui s’attache à ses longs et glorieux services, rend à son tour l’hommage d’un grand soldat à un grand capitaine. Un soleil éclatant illumina cette scène, empreinte d’une solennité toute patriotique, qui se termine par le défilé des troupes françaises et américaines, aux accent de Sambre-et-Meuse.

Dès lors, la fin de la journée est consacrée au général Hoche. Aussitôt le défilé terminé, les dispositions sont prises pour se rendre à Weissenthurm.

Le cercueil du général est placé sur un camion automobile dont la plate-forme disparaît sous des fleurs et des pavillons tricolores. Le maréchal, les généraux, les délégations reprennent leurs automobiles, et, à une allure ralentie, on s’engage sur la route. Il fait une superbe journée, la campagne s’étend à droite et à gauche en terres bien cultivées ; de loin en loin apparaissent des briqueteries qui vont devenir de plus en plus nombreuses au fur et à mesure qu’on se rapproche de Weissenthurm, dont c’est l’industrie locale.

Le convoi s’arrête à l’entrée du village, et de là nous apercevons déjà la haute pyramide qui marque l’emplacement du monument dédié à Hoche. On descend des voitures. Le cercueil quitte le camion automobile et est placé sur un canon que traînent des attelages d’artillerie. Nous trouvons là le 141e qui rend les honneurs, ainsi qu’un bataillon américain de la 3e division, avec drapeau. Au milieu d’une haie disposée tout le long du parcours, précédés de deux compagnies française et américaine avec la musique du 141e et les drapeaux, nous nous acheminons vers le monument.

C’est un trajet de près d’un kilomètre que nous aurons à effectuer par la rue principale, et on peut dire l’unique rue de Weissenthurm. Et notre cortège se forme dans l’ordre fixé :

Le maréchal Foch ;

Les généraux Fayolle et Mangin ;

M. Tirard, haut commissaire de la République ;

Le marquis des Roys et sa famille ;

Les généraux ;

La délégation de la ville de Versailles ;

La délégation de la ville de Chartres ;
xe Armée. Service photographique.
Le Général Mangin prononçant son Discours.

Les officiers et les sous-officiers composant les délégations officielles des corps d’armée ;

Les officiers et leurs familles.

Les élèves de notre lycée portant la couronne offerte par la Ville. Nous défilons entre deux rangées de maisons basses, maisons d’ouvriers, magasins de village ; toutes les portes et fenêtres sont ouvertes et laissent apercevoir des habitants silencieux, têtes nues, auxquels sont mélangés de nombreux soldats américains cantonnés dans la pays.

Au cours de notre marche, nous passons, sur notre gauche, le long d’un alignement compact d’enfants, petits garçons, petites filles, qui sont sortis de l’école. Nous regardons avec intérêt toutes ces petites têtes, toutes ou à peu près surmontées de cheveux d’un blond filasse, et dont les physionomies nous paraissent, sans aucun parti pris, plutôt laides et souffreteuses. L’enfant allemand n’a-t-il pas plus souffert que le restant de la population du régime restrictif auquel la guerre a dû le soumettre. Quel sentiment germe dans toutes ces petites caboches, quel souvenir leur laissera cette cérémonie d’aujourd’hui, où ils voient passer devant eux ce groupe d’où émergent les képis scintillants de notre généralissime et de nos officiers généraux, où se mêle les uniformes des armées alliées ? Réflexion qui nous hante, et ce n’est pas une des moindres suggestions des heures que nous vivons depuis que nous sommes en terre allemande. Nous nous reportons aussi par la pensée vers notre ville, dont nous sommes les délégués. Quelle proportion aurait prise une cérémonie comme celle d’aujourd’hui, si elle avait eu pour théâtre la cité où seul repose le cœur de notre héros ? Aurait-elle eu la grandeur de celle à laquelle il nous est donné d’assister ?

Mais la traversée de Weissenthurm est terminée ; le cortège s’engage par un chemin étroit donnant accès au tertre sur lequel se dresse le monument, où nous lisons sur la face tournée vers le Rhin :

l’armée de sambre-et-meuse
à son général en chef
HOCHE

On contourne un soubassement de maçonnerie et, par une rampe en pente douce, on accède sur le tertre même. Au moment où nous l’atteignons, le cercueil de Hoche, reposant à terre, s’offre à notre vue : il est là, parmi les couronnes, dont celle de la xe Armée et de Versailles, et recouvert de l’habit brodé de nos généraux de la République, sur lequel repose le sabre à fourreau de cuir et montures dorées : précieuses reliques apportées par l’arrière-petit-fils du héros et qu’on ne peut regarder sans qu’elles évoquent un glorieux passé. Rangés en avant et sur la droite du cercueil, les prêtres qui ont officié depuis la levée du corps au cimetière de Coblence ; en arrière du cercueil et en avant de la pyramide, le drapeau du 141e et un drapeau américain se profilent sur le ciel. Le cercle se forme, au centre duquel le maréchal Foch, ayant auprès de lui le général Fayolle et le général Mangin. Les prières liturgiques ont été prononcées : le moment est venu des hommages et la parole est réservée tout d’abord à M. le Maire de Versailles qui va prendre place, face au maréchal, à hauteur et sur la gauche du cercueil. Et pendant que tombe sur l’auditoire rangé autour de lui cette parole élégante et sobre que nous connaissons tous, nous sommes heureux de voir déroulée sous le ciel d’Allemagne l’écharpe tricolore du premier magistrat de notre Cité.

C’est en ces termes que s’exprime M. Henri Simon :

« Monsieur le Maréchal,

Messieurs,

Il ne m’appartient pas de retracer l’histoire de Hoche en présence de ceux qui ont si brillamment suivi ses exemples et qui nous apparaissent comme ses illustres continuateurs ; je veux seulement rappeler les circonstances qui nous ont réunis.

Depuis plus de cinquante ans, Versailles célèbre l’anniversaire de la naissance du général Hoche : chaque année, la maison où il est né est pavoisée, des fêtes diverses sont organisées, dont celle qui doit réjouir le plus l’âme du héros est la revue de la garnison de Versailles qui défile devant sa statue et lui rend les honneurs dus aux commandants d’armées.

La guerre n’a pas interrompu ce pieux hommage, et ce matin même, à Versailles, M. le général commandant d’armes a dû passer une revue autour de la statue pour associer la Ville et la garnison de Versailles à la cérémonie qui nous rassemble. C’est ainsi que Versailles honore son illustre enfant depuis un demi-siècle.

Pendant le même temps, nos compatriotes qui descendaient le Rhin saluaient en passant le monument de Weissenthurm ; ils le saluaient discrètement, avec la mélancolie qui convient à des Français rencontrant le monument d’un grand Français sur un territoire occupé par les armées Allemandes.

Voilà les hommages que recevait le général Hoche. Mais qu’il s’agisse de la statue de Versailles ou de la pyramide de Weissenthurm, Hoche n’était pas là ; n’est-ce pas l’occasion de nous rappeler la parole de l’orateur sacré saluant la mémoire d’un autre grand capitaine : « Rien ne manque dans tous ces honneurs que celui à qui on les rend ? »

Où étaient les restes de Hoche ?

En novembre dernier, nos armées victorieuses sont arrivées sur les bords du Rhin, dans ces régions où Hoche avait été enlevé par une maladie brutale au moment où il venait, lui aussi, d’être arrêté dans l’élan irrésistible de son triomphe par un armistice imprévu, faut-il dire importun ?

Comme M. le Maire de Chartres se préoccupait d’honorer Marceau, j’ai voulu savoir où étaient les restes de Hoche, car c’est le devoir du Maire d’entretenir le culte des héros de la Cité, comme le prêtre entretient le feu sacré dans son église. J’ai cherché.

La recherche a été longue et laborieuse ; un livre intéressant publié il y a quelque trente ans par un officier, M. le capitaine breveté Cunéo d’Ornano, m’a mis sur la bonne voie et j’en ai rendu compte au Conseil municipal. Mais la certitude n’aurait pas existé si vous n’aviez eu, Monsieur le Maréchal et mon Général, le souci d’associer les gloires du passé et les gloires du présent. Vous avez prescrit les investigations qui ont donné la vérité tout entière.

Hoche n’avait jamais été amené sous le monument de Weissenthurm que lui avait élevé la fidélité de ses soldats. Il reposait, ignoré, dans un réduit obscur du fort Franz, à Coblence ; là, sous une inscription en allemand, il n’entendait que le pas lourd et indifférent des hommes de garde et des hommes de corvée de la garnison allemande, sans qu’aucune âme française vînt jamais vibrer auprès de sa tombe.

Ainsi, là où il n’était pas, on lui prodiguait les honneurs ; là où il était, rien ne rappelait la France au pauvre cercueil perdu dans les oubliettes de l’ennemi.

Et voici que maintenant cette grande erreur, cette grande iniquité est réparée ; voici que, par ordre de M. le maréchal Foch et de M. le général Mangin, s’accomplit aujourd’hui ce que demandait le Conseil municipal de Versailles, ce qu’exigeait la justice de l’histoire. Hoche vient reposer sous le monument que lui destinait la piété de l’armée de Sambre-et-Meuse, à l’endroit même où il avait effectué son célèbre passage du Rhin.

Il y arrive, salué par des clairons qui sonnent « Aux Champs », par ces soldats français qu’il aimait tant, par ce drapeau tricolore qui revient de la plus grande victoire du Monde, par nos vaillant alliés d’Amérique, en présence de sa famille et sous la présidence des gloires militaires de la Grande Guerre. C’est bien l’honneur qui lui convenait, et nous tous qui sommes ici rassemblés, nous pouvons penser que du fond de ce cercueil Hoche est content de nous.

Dans cette cérémonie toute militaire, si simple, si belle, qui unit la grande épopée du xviiie siècle et la grande épopée du xxe siècle, le rôle de la ville de Versailles peut paraître bien peu de chose.

Mais Versailles, qui vient d’être ces jours-ci le centre du Monde, n’oublie pas Hoche ; la présence des élus qui représentent le Versailles d’aujourd’hui, la présence de ces jeunes gens qui sont le Versailles de demain, montrent que les grands hommes se survivent à eux-mêmes et que leurs exemples restent l’orgueil de leur patrie et la leçon des générations futures.

Voilà ce que nous venons dire à Hoche, voilà le souvenir que nous emporterons de cette grande journée.

Monsieur le Maréchal,

Messieurs,

C’est vous qui avez préparé cette journée, c’est vous qui l’avez accomplie ; Versailles vous remercie. »

Ce discours, dont le maréchal Foch remercie M. le Maire, fut écouté avec d’autant plus d’émotion qu’on sentait celle que devait éprouver l’orateur de se voir appelé, au cours de sa magistrature municipale, à l’honneur de rendre un suprême hommage au plus illustre des enfants de Versailles, dans le cadre solennel d’une journée désormais acquise à l’histoire de notre cité.

C’est au tour du général Mangin à prendre la parole. Il va se placer où était le maire de Versailles. On connaît la physionomie caractéristique du général, ce visage au menton proéminent, aux yeux clairs et pénétrants : la voix au timbre élevé porte sans effort. Bien campé, la tête haute, le général, dans sa tenue horizon, ganté de blanc, le sabre au côté, prononce, en faisant appel à ses seuls souvenirs, le remarquable discours que nous sommes heureux de reproduire. Au fur et à mesure que revivait le passé glorieux évoqué par le commandant de la xe armée, nous sentions toute la grandeur de la scène dont nous étions en cette minute les témoins émus : le maréchal Foch, le grand vainqueur de la Grande Guerre, incliné devant le cercueil du généralissime de Sambre-et-Meuse, sur ces hauteurs qui dominent le Rhin. Quel tableau se détachant sur ce ciel clair qu’illuminent les rayons du soleil déjà penché vers le déclin du jour !

Et voici les émouvantes paroles du général Mangin :

 « Monsieur le Maréchal,

Messieurs,

Il est des lieux illustres.

Ici, César passa le Rhin pour la première fois. De ces collines partait le Limes Germanicus terminé sous Trajan. Il se prolongeait jusque près de Rastibonne, sur le Danube, retranchement du monde civilisé contre le monde barbare. Nous en avons retrouvé les traces en étudiant la défense des têtes de pont de Coblence et de Mayence. À l’endroit même où viennent de s’amarrer nos canonmères, la flottille du Rhin jetait l’ancre sous Constantin. Sur le chemin que nous venons de suivre de Coblence à Andernach, nous avons foulé les pas de Charlemagne et de Napoléon.

Et voici le monument que l’armée de Sambre-et-Meuse a élevé à son général en chef, Hoche, à l’endroit où elle l’avait regardé passer le Rhin.

Hoche : soldat à 16 ans, général en chef à 25 ans, mort à 29 ans. Que d’histoire dans ce simple énoncé !

Tout est leçon dans cette vie. Enfant du peuple, à la fois turbulent et studieux, il voulait s’engager à seize ans dans un régiment colonial en partance pour les Grandes-Indes ; mais trompé par un sergent recruteur, il se trouve incorporé dans les gardes-françaises. Pour pouvoir acheter des livres et compléter son instruction, il se résout aux plus humbles métiers en dehors de son service. La fougue de sa jeunesse n’enlève rien au sérieux de son instruction péniblement et patiemment acquise, et l’ardeur de ses convictions révolutionnaires ne l’entraîne jamais à manquer aux devoirs militaires, dans les premières journées de la Révolution où il se trouve mêlé.

C’est comme lieutenant au siège de Thionville qu’il commença son apprentissage de la guerre, en 1792. Au commencement de 1793, il est aide de camp du général Leveneur, et prend part à l’expédition de Belgique. Dans ces fonctions, il remplit plusieurs missions de confiance pendant l’investissement de Maestricht et fut nommé adjudant général chef de bataillon. Mais le ci-devant comte de Leveneur fut arrêté deux fois et, par deux fois, son aide de camp prit sa défense avec une générosité d’âme qui faillit briser son avenir. Traduit devant le tribunal révolutionnaire, il fut néanmoins acquitté. Rejeté dans Dunkerque assiégé, il y fut l’âme de la défense et enleva de haute lutte son grade de général de brigade. Il était à la prise de Furnes et mettait le siège devant Nieuport, quand il fut nommé, à 25 ans, général de division et commandant en chef de l’armée de la Moselle.

En effet, dans les mémoires de Hoche au Comité de Salut public, Carnot avait reconnu ses idées. Selon lui, il fallait sauver Dunkerque, en marchant sur Ostende, ce qui fermait aux Anglais la porte du retour. Il voulait qu’on renonçât à la défense en cordon, pour se réunir en masse, et Carnot, après avoir lu un de ses mémoires, s’était écrié devant ses collègues du Comité : « Voilà un officier qui fera du chemin. »

Ce général de 25 ans était né pour le commandement, avec sa haute stature, sa taille bien prise, sa démarche imposante, ses yeux perçants, « une figure qui respirait l’esprit, et avec un je ne sais quoi de sévère et de sombre qu’il tâchait vainement d’adoucir ».

Tout se tenait en Hoche, non seulement l’attitude et le geste, mais le ton, la parole, la plume. Il avait le ferme et viril accent de la conviction, sa langue était nette, pleine de nerf, l’image même de sa pensée. On le sentait animé du feu sacré.

Dès le premier entretien, un de ses subordonnés écrivait : « Notre nouveau général m’a paru jeune comme la Révolution, robuste comme le peuple… Son regard est fier et étendu comme celui de l’aigle. Espérons, mes amis, qu’il nous conduira comme des Français doivent l’être. »

Les armées du Rhin et de la Moselle, conduites par des généraux médiocres, venaient d’éprouver une série de revers. Les lignes de la Lauter avaient été forcées par l’armée prussienne de Brunswick et l’armée autrichienne de Wurmser, Wissembourg et Haguenau pris, l’Alsace envahie ; mais Landau tenait encore.

La première tâche de Hoche, c’est de débloquer cette place. Trois semaines lui suffisent pour réorganiser les jeunes troupes qu’une longue suite de revers a cruellement éprouvées. Il se met en marche le 17 novembre, et refoule l’ennemi qui l’attend à Kaiserslautern. Autour de cette petite place, sur des positions que Brunswick a puissamment fortifiées et garnies de ses meilleurs régiments, il engage, le 28 novembre, une bataille qui dura trois jours. Les attaques des Républicains ne peuvent venir à bout de la résistance des Coalisés ; mais l’ennemi était assez fortement entamé pour ne pouvoir troubler la retraite de Hoche, qui s’effectua dans un ordre parfait, et, pour la première fois, le Comité de Salut public donna des éloges à un général battu. Hoche ne pense qu’à travailler sur de nouveaux plans et sur une autre base. Tout en remettant de l’ordre dans ses troupes, il simule une nouvelle attaque sur Kaiserslautern. Quand il sent Brunswick suffisamment fixé sur ce point, il se dirige sur Frœschwiller pour y attaquer l’armée de Wurmser, en liaison avec la gauche de l’armée du Rhin. Mais, cette fois, le terrain est sérieusement étudié, le rôle de chaque colonne déterminé à l’avance, l’appui de l’artillerie organisé, le service des munitions assuré, le moral des troupes est porté au plus haut point : elles crient : « Landau ou la mort ! »

La première attaque commence au milieu de décembre, combinée avec une feinte sur Kaiserslautern. Le 22 décembre, des hauteurs de Neuviller, la grosse artillerie des Français crache sur le village de Frœschwiller. Un boulet des Impériaux, qui ripostent vigoureusement, vint couper l’arbre sous lequel Hoche donnait ses ordres et faillit écraser le général. Après s’être dégagé, il continue à donner des ordres tranquillement. Un nouveau boulet tue son cheval entre ses jambes ; il prend la monture d’un dragon de l’escorte. « Ces messieurs, dit-il en riant, voudraient me faire servir dans l’infanterie. »

Les premières tranchées sont enlevées, mais une vive résistance nous arrête à l’entrée de Frœschwiller et l’ennemi essaie de mettre en batterie de nouvelles pièces. « Mes amis, cria Hoche, à 600 livres chaque canon », et les Républicains répondant : « Adjugé ! » s’en emparent. Notre cavalerie, tournant Frœschwiller, achève la victoire par une charge brillante. Les lignes de la Molder étaient forcées et tombaient. Le soir même Hoche écrivait : « Demain, je continuerai » ; et il continua.

Sans cesse, il parcourt ses bivouacs, surprenant ses lieutenants et ses troupes. Il comptait avant tout sur l’arme blanche. « Lorsque l’épée est courte, disait-il, on fait un pas de plus. » « Rien n’égale la valeur de notre infanterie. » C’est à la baïonnette, que le 26 décembre, il prend d’assaut le Geisberg. Le 27, il prend Wissembourg, et trois jours après, Wurmser et les Impériaux, ne se croyant plus en sûreté sur la rive gauche du Rhin, repassent le fleuve à Philippsbourg, la rage et le désespoir au cœur. Les Prussiens de Brunswick se mettaient à leur tour en retraite jusqu’à Worms et Oppenheim. L’Alsace était reconquise, Landau délivré, le Palatinat envahi jusqu’à Spire.

On l’a remarqué, de cette campagne date la véritable guerre de mouvement. Leurs attaques incessantes donnent à nos jeunes troupes l’habitude de la témérité. Leurs chefs attaquent partout sur un très grand front, osant se servir du nombre et choisissant un point essentiel où ils renforcent leurs lignes pour produire l’événement décisif. On a senti qu’à l’armée

nouvelle il faut une tactique nouvelle. « Les Français, disait
xe Armée. Service photographique.
L’Arrivée du Cortège au Monument de Weissenthurm.
Hoche, doivent faire la guerre d’une manière leste et révolutionnaire. »

Dès le 24 décembre, les représentants du peuple aux armées, pour assurer l’unité de commandement, avaient placé sous les ordres de Hoche l’armée du Rhin. Pichegru, qui la commandait, était jaloux de son cadet et avait mal secondé ses efforts dans les batailles de Frœschwiller et du Geisberg. Il intriguait à Paris, s’attribuant le rôle principal dans la délivrance de l’Alsace. Sa froideur, son silence calculé dans les circonstances graves lui permettaient de cacher son irrésolution foncière qui passait pour de la prudence. L’étalage de son civisme et d’un ardent dévouement au Comité de Salut public lui servait beaucoup. Attaqué par Saint-Just et Lebas qui lui reprochaient son indépendance de caractère, Hoche, ce pur républicain, succomba aux coups de son rival qui, lui, traitait avec l’émigration, qui proposait le retour de Louis xviii sur le trône, moyennant l’épée de connétable, un million comptant et le château de Chambord.

Le 10 mars, Hoche est remplacé par Jourdan et renvoyé à l’armée d’Italie. Arrêté à Nice, tandis qu’il rejoignait son nouveau poste, il fut transféré à Paris sous bonne escorte et jeté en prison. « Le Comité avait la preuve que Hoche était un traître. » Il fallut la journée du 9 Thermidor pour le délivrer.

De cette rude épreuve, qui aurait brisé l’intelligence et le moral de bien d’autres, Hoche devait sortir grandi, l’intelligence mûrie par la réflexion, le tempérament plus maître de soi, les connaissances accrues par l’étude, les manières raffinées par la meilleure société de l’époque.

À son corps défendant, il fut nommé au commandement de l’armée des Côtes de Brest et de Cherbourg pendant que Canclaux commandait l’armée de l’Ouest, qui comprenait la Vendée.

Dès le début, il a compris que la chouannerie bretonne serait réduite plutôt par le moral que par une action militaire. Dès le début, il traçait ainsi son programme à ses officiers :

« Ne person jamais de vue que la politique doit avoir beaucoup de part dans cette guerre. Employons tour à tour l’humanité, la vertu, la probité, la force, la ruse et toujours la dignité qui convient à des républicains. Il faut des prêtres à ces paysans. Laissons-les-leur donc, puisqu’ils en veulent. Beaucoup ont souffert et soupirent après leur retour à la vie agricole. Qu’on leur donne quelques secours pour réparer leur ferme. Quant à ceux qui ont pris l’habitude de la guerre, il faut en faire des légions et les enrôler dans les armées de la République. »

Il montrait dans cette tâche une infatigable activité et une inébranlable fermeté d’âme, courant de cantonnement en cantonnement, à la distance de 80 lieues, n’ayant jamais aucun moment de repos. Placé entre les représentants qui voulaient la guerre et ceux qui voulaient la paix, il éprouvait du dégoût sans se refroidir dans son zèle.

Il profite de toutes les trêves passagères sans se faire d’illusions sur leur durée, et le débarquement de Quiberon ne le surprit pas.

Le deuxième débarquement sur les côtes du Morbihan lui avait donné le commandement de l’armée de l’Ouest. Après quelques opérations heureuses, il désarmait le pays, le réduisant ainsi sans commettre aucune dévastation.

En 1795, il eut le commandement de toutes les forces opérant dans l’ouest de la France : 100, 000 hommes, avec pleins pouvoir.

La méfiance, tous les soupçons avaient désarmé devant lui. Aussi Stofflet et Charette ne tardèrent-ils pas à être réduits et tout l’ouest de la France pacifié.

De ce fait, sur les 100, 000 soldats que Hoche commandait, 50, 000 se trouvaient disponibles. Hoche propose de les diriger contre l’Angleterre, et, avec l’assentiment du Directoire, commencèrent à Brest les préparatifs d’une grande expédition qui avait pour but un débarquement en Irlande. L’escadre française fut séparée par la tempête, ce qui rendit impossible le débarquement dans la baie de Bantry. La frégate qui portait Hoche n’y arriva qu’après le départ du corps de débarquement, et l’échec de cette tentative fit renoncer provisoirement à cette grande entreprise.

Il reçut alors le commandement de l’armée de Sambre-et-Meuse, et sur les instances de Bonaparte qui marchait sur Vienne, le Directoire la porta en avant. C’est du tertre où nous sommes en ce moment que Hoche contempla son armée passant le Rhin. En quatre jours, il remporte les victoires de Neuwied, Ukrath, Altenkirchen, livre cinq combats et fait 35 lieues en avant. Il allait envelopper l’armée de Kray quand lui parvint la nouvelle des préliminaires de Léoben.

À ce moment, un vent de réaction mettait en péril les conquêtes de la Révolution. Le Conseil des Cinq-Cents empiétait continuellement sur les attributions du Directoire, violant délibérément la Constitution de l’an iii. La situation se tendait de plus en plus. La question était de savoir si les Directeurs laisseraient le Conseil des Cinq-Cents rétablir la monarchie ou le préviendraient par un coup d’État.

Hoche, sondé par Barras, promit son concours. Sous prétexte d’une nouvelle expédition d’Irlande, il dirigea sur Brest 20, 000 hommes qui s’arrêtèrent à hauteur de Paris ; ses dispositions, divulguées par une maladresse de subordonnés, le compromirent devant le Conseil des Cinq-Cents, et ce fut Angereau qui exécuta le coup d’État du 18 Fructidor, qui écarta toute éventualité de restauration.

Hoche put alors se donner tout entier à sa tâche d’administrateur militaire des provinces rhénanes.

En lui donnant lee commandement de l’armée de Sambre-et-Meuse, le Directoire lui avait confié en même temps l’administration des territoires occupés par l’armée de Rhin-et-Moselle que commandait Moreau. La gravité de la situation motivait ces dispositions exceptionnelles. En effet, l’administration du pays, confiée à de nombreux fonctionnaires français, était devenue déplorable : l’introduction brutale des lois françaises et l’abus des réquisitions avaient commencé à nous aliéner l’esprit des populations qui nous avaient accueillis comme des libérateurs.

Avec un coup d’œil rapide et sûr, Hoche jugea la situation dès son arrivée. Il la signala au Directoire avec son indépendance habituelle :

« L’expérience doit nous avoir corrigés de notre manie de vouloir municipaliser l’Europe… On ne devient pas républicain en un jour… Lorsque vous voudrez introduire nos lois dans les pays conquis, ce qui ne sera peut-être qu’à la paix, il sera temps d’y envoyer des commissaires ; comme ils n’auront rien à demander, nul doute qu’ils ne réussissent, s’ils se comportent sagement. »

Il obtint l’autorisation de supprimer les administrations existantes et d’en créer une nouvelle infiniment plus simple. Dans la mesure du possible, il rendit aux chefs naturels du pays leurs attributions administratives et judiciaires. L’unité de direction était assurée par une Commission « intermédiaire unique » composée de cinq Français, avec, dans chacun des six districts, un représentant qui contrôlait d’une façon générale l’administration allemande.

Réservant entièrement l’avenir, il demandait qu’on fit d’abord l’éducation politique des habitants ; sans « prétendre faire de ce pays une république séparée ou de nouveaux départemnts réunis, nous devons augmenter par tous les moyens qui sont en notre puissance l’esprit de liberté qui commence à germer dans ces contrées ».

Sa politique financière, adroite et productrice, consista à se servir des anciens impôts et de l’ancien personnel en le rajeunissant.

Au point de vue religieux, il se comporta comme en Vendée. Il rendit au clergé une partie de ses biens et pensionna les curés. En même temps, il exigea le respect de tous les cultes, et obligea le Sénat de Cologne à laisser rouvrir un temple protestant.

Malgré quelques préjugés qu’il semble avoir eus contre les juifs, il leur accorda les droits civiques.

L’instruction publique fut l’objet de tous ses soins et il rouvrit l’université de Bonn.

Une question capitale restait en suspens : quel serait le sort des pays rhénans ? D’après les préliminaires signés à Léoben, le 8 avril 1797, ils devaient être restitués à leurs anciens maîtres, après une occupation militaire qui devait durer jusqu’à la conclusion de la paix définitive.

Hoche, qui, antérieurement, avait proposé au Directoire la création d’une république rhénane englobant tous les territoires occupés, reçut les instructions qu’il avait sollicitées et qui paraissaient conformes aux vues du pays. C’était avant tout les tendances des patriotes de 1792, francophiles et révolutionnaires, qui, par les sociétés secrètes, avaient préparé le mouvement en dehors des autorités françaises.

Anciens clubistes mayençais chassés de leur patrie par la réaction, professeurs, négociants, employés, artisans, tous étaient très inquiets, très agités à la pensée de voir le pays retomber sous ses anciens maîtres.

Le grand mouvement aboutit à la proclamation de la République cisrhénane. Cette proclamation était toute platonique, puisque cette révolution n’était représentée que par un drapeau ; mais, néanmoins, c’est le seul geste par lequel la population put témoigner de sa volonté de ne pas retomber sous la tyrannie que les armées françaises avaient abolie.

Pendant que ce mouvement se développait sur les bords du Rhin, le coup d’État du 18 Fructidor avait changé la composition du Directoire, qui donnait dans son sein la majorité aux partisans des frontières naturelles.

Des instructions furent envoyées à Hoche : « Le Directoire exécutif a vu avec satisfaction l’élan vers la liberté des habitants de la rive gauche du Rhin. Mais il importe à ces peuples eux-mêmes que vous dirigiez ces élans et que vous les portiez, non à chercher à se former en république particulière…, mais plutôt à solliciter leur prompte réunion à la République française. » Cette annexion se produisit peu après par acclamations.

La lettre du Directoire était datée du 16 septembre 1797 ; Hoche ne devait pas la recevoir, car il mourut le 19.

Il succomba à un mal mystérieux. Depuis quelque temps, son tempérament excessivement robuste avait accusé quelques traces de lassitude et, sans ralentir son activité dévorante, il avait dit à son médecin : « Donnez-moi un remède contre la fatigue, pourvu que ce ne soit pas le repos. » C’est le 17 septembre que, terrassé par le mal, il s’étendit sur son lit de douleur où il succomba le 19. À Coblence, le drapeau vert, blanc, rouge de la République cisrhénane ombragea son cercueil en même temps que le drapeau français. Son armée lui éleva ce monument qui est, dans sa noble simplicité, digne d’une grande époque et d’un grand homme.

Dans sa courte carrière, Hoche eut le temps de déployer ses qualités de soldat et de chef, de citoyen et d’homme d’État. Sa vaste intelligence, sa connaissance des hommes et son caractère intrépide étaient mis au service d’un patriotisme ardent et d’une profonde conviction républicaine. Parmi les héros de la Révolution, son nom brille de l’éclat le plus pur, que n’ont pu obscurcir ni les luttes des partis, ni même la guerre civile.

C’est un grand honneur pour une nation, pour une armée, d’avoir de tels hommes. C’est un grand honneur de pouvoir les honorer dignement.

Mes amis, nous vivons une grande journée. Hoche est conduit à sa dernière demeure sous le même drapeau tricolore qui l’a vu combattre, sous la même devise immortelle : « République française. Liberté, égalité, fraternité », aux accents des mêmes chants révolutionnaires dont il a fait retentir ces rives ; par des soldats, dignes fils des siens, conduits par des chefs qui s’efforcent de marcher sur ses traces, par la France enfin qui tressaille, se sentant ici redevenue la grande nation.

Et ce monument prend aujourd’hui toute sa portée historique : la Statue de Kléber, le Cénotaphe de Marceau, le Tombeau de Hoche montent la garde du Rhin. »

Sur cette péroraison impressionnante, le général, après s’être incliné vers le cercueil de celui dont il vient de faire revivre la grande figure, se dirige vers le maréchal Foch qui lui serre la main.

Alors, M. le marquis des Roys, qui a eu l’honneur de prendre part à l’épopée vécue par nos armées et porte encore la tenue de commandant d’infanterie, se détache du groupe des membres de sa famille qui sont auprès de lui, parmi lesquels son jeune fils. Minute rare quand on songe, en écoutant le marquis des Roys, à la filiation qui le rattache au héros dont les restes sont là, tout près de nous, et dont l’âme plane au-dessus de nos têtes découvertes et inclinées sous un sentiment de respectueux recueillement.

L’arrière-petit-fils de Hoche s’exprime en ces termes, que nous devons à son obligeance de pouvoir reproduire :


 « Monsieur le Maréchal,

C’est avec une vive émotion que nous venons d’assister à cette patriotique cérémonie, présidée par notre généralissime, et d’entendre prononcer l’éloge de notre aïeul par M. le général Mangin, commandant de la xe armée, et par M. le Maire de Versailles,

au nom de la France plus que jamais une et indivisible.
xe Armée. Service photographique.
Avant le Défilé des Troupes.
Au premier plan, de gauche à droite : Le général Fayolle, le maréchal Foch, le général Mangin.
C’est au moment où la gloire lointaine de Hoche semblait devoir

pâlir devant tant de gloires accumulées en quelques mois par une pléiade de généraux telle qu’on n’en vit pas durant un siècle, que ces généraux eux-mêmes ont voulu, par leur parole ou leur présence, rendre hommage à leur ancêtre militaire, comblant par là même d’honneur ceux qui tiennent par le sang au héros célébré en ce jour.

Au nom des miens, en mon nom personnel, je vous prie, Monsieur le Maréchal, je prie tous les illustres chefs ici rassemblés, Messieurs les membres de la délégation de Versailles, Monsieur l’Aumônier qui a récité les dernières prières et les valeureuses troupes qui, par leur présence, ont augmenté l’éclat de la journée, d’agréer l’expression de notre profonde gratitude et de notre éternelle reconnaissance. »

C’en est fini des discours. Au bruit des paroles qui ont célébré comme il convenait le grand ancêtre va succéder celui qui a tant de fois fait tressaillir le cœur du grand soldat : les fanfares allègres, le cliquetis des armes, le rythme cadencé des pas qui décèlent une troupe en marche. Et ce sont nos soldats ! ils sont là, dans leur belle prestance, sous leurs capotes horizon et coiffés de leur bourguignotte, désormais inséparable de l’image du poilu. La foule s’est rangée pour dégager l’espace où apparaît le cercueil du grand capitaine, que surmontent les drapeaux, et où se dresse le maréchal Foch. Et à ces accents entraînants de nos pas redoublés, les fantassins du 144e défilent : tout dans leur fière allure montre qu’ils ont compris et sont à l’unisson de la grande solennité de ce jour. Et ils passent, suivis des Américains, qui se sont associés aujourd’hui à cette cérémonie toute patriotique comme ils ont partagé nos épreuves au cours de la guerre.

Et sur l’étroit chemin par lequel elles passent en longeant le tertre funéraire, les troupes sont suivies des regards d’une partie de la population massée là pour assister au spectacle : bambins pour la plupart, mais bambins qui seront des hommes dans une dizaine d’année. Faut-il espérer qu’à cette époque, la nation de proie dont ils sont l’espoir aura limé ses crocs et ses griffes, et se contentera, dans la Société des Nations, de la place à laquelle lui donneront droit son labeur et son activité.

La dernière unité a défilé ; un colloque très court, quelques mots à peine, s’échangent entre le général Mangin et le maréchal Foch ; puis ce dernier écarte brusquement les quelques personnes de son voisinage, se place sur le bord du tertre, tire son épée, fait face à la musique qui est encore à la place qu’elle occupait pendant le défilé, et commande d’une voix forte : « Garde à vous, ouvrez le ban ! » Tout le monde a compris, et au milieu du profond silence s’élèvent, prononcé par le maréchal, les paroles par lesquelles ont admet dans la Légion d’honneur. Et à quelques pas du cercueil de Hoche, devant les troupes alliées et la foule émue, le maréchal attache sur le sein gauche du général Mangin la plaque de grand-croix, frappe ses deux épaules du plat de son épée, et ces deux grands chefs se donnent l’accolade. Toujours belle, parce qu’elle est empreinte d’un cérémonial de haut idéal, la cérémonie prenait ici un caractère encore plus auguste : elle mettait dignement le point final à une journée qui n’avait été pour nous qu’un tissu de fortes et patriotiques émotions.

Enfin, accompagné seulement de quelques-uns des assistants, le corps du général Hoche est religieusement porté dans le caveau qui est sous la pyramide, pour être déposé dans un sarcophage très simple. Le corridor d’accès fort étroit laisse place à peine à deux personnes, le caveau est complètement dans l’obscurité ; cependant, à la lueur d’un papier enflammé, il nous est possible de distinguer le monument où va désormais reposer notre glorieux concitoyen.

On se retire ; nous pouvons saluer le maréchal Foch, le général Mangin et sa famille dont nous avons été les hôtes, voir une dernière fois passer devant nous le drapeau du 141e et nous, regagnons Coblence, emportant l’impression profonde d’une des belles journées de notre vie de Français et de soldat.

Nos deux caravanes, versaillaise et chartraine, se rassemblent au siège de la Commission interalliée, où elles retrouvent les bagages très aimablement amenés de Mayence dans la matinée. L’Hôtel Métropole nous abritera tous pour le repas du soir et la nuit. Nos chambres y avaient été requises, ce qui n’était pas pour faire monter la température de l’accueil qui nous y fut fait.

Je pus constater que le service de ma chambre se réduisit au néant.

Au restaurant, nous eûmes à quatre un dîner de menu con vennable dont l’addition, s’élevant à 63 marks, pourrait nous faire accuser de prodigalité, si l’on ne songeait que le mark était alors au cours de 0 fr. 40, ce qui ramenait notre festin à des proportions raisonnables.

Journée du 8 Juillet.
Trèves et Metz.

Levés à 6 heures, avec accompagnement du tonnerre d’un gros orage, nous constatons avec peine qu’il va nous falloir, à une heure où les moyens de transport font encore défaut, faire à pied, sous la pluie, avec nos sacs, le chemin assez long qui nous sépare de la gare.

Nous la trouvons encombrée de voyageurs arrivant par les premiers trains, petits ouvriers, petits employés venant à leur besogne quotidienne. Tout ce monde se déverse à flots et nous submerge.

Nous avons heureusement pour nous rallier une petite pancarte tricolore qui marque la logette où se tient, assisté de deux poilus horizon comme lui, un sergent qui représente la Commission mixte de gare interalliée. Se conformant aux ordres qui lui ont été donnés la veille au soir, ce sous-officier nous fait passer sous les yeux d’un contrôleur allemand qui se borne à nous compter, et nous prenons place dans un wagon spécialement réservé pour notre caravane de vingt voyageurs. Et en route pour Metz, par la vallée de la Moselle, dont la voie ferrée suit ou contourne les méandres.

L’horaire se prête complaisamment à un arrêt à Trèves, que nous mettons à profit pour visiter rapidement cette antique cité.

Après avoir contemplé la « Porta Nigra », ruine romaine d’imposante allure, nous pouvons constater que la cathédrale, une des plus vieilles églises d’Allemagne, n’a pu que souffrir dans son architecture intérieure des transformations successives que les hommes lui ont fait subir. Un cloître, qui la touche, abrite pour l’instant un lot de jeunes gretchen qui se livrent gentiment aux douceurs de l’aquarelle et que notre flot de visiteurs a l’air d’effarer un peu. Un coup d’œil à l’église gothique de Notre-Dame, et nous allons déjeuner de façon très satisfaisante dans un restaurant voisin d’un marché qui n’a pas l’air de souffrir de la disette et que surveille un garde urbain dont le casque à pointe nous salue cérémonieusement.

Le train nous reprend pour nous déposer à Metz, sauf quelques-uns qui, désireux de retrouver des souvenirs d’enfance, se sont arrêtés à Thionville et n’arriveront à Metz qu’une heure après le gros de la caravane.

Depuis Sierk, nous étions de nouveau en France, et la gare de Metz est maintenant pour nous une gare française. Si elle a conservé ses vastes proportions qui en rendent l’exploitation large et facile, elle a aussi conservé son architecture massive, avec ses prétentions à un monument plus ou moins gallo-romain, on ne sait, qui est bien ce que l’on peut imaginer de plus lourd et de moins approprié à sa destination.

Notre première visite nous porte vers la place d’Armes, où se dresse la statue de ce roturier Fabert, dont Louis xiv sut faire un maréchal de France. La Cathédrale, l’Hôtel de Ville, l’hôtel du gouverneur font à cette place un cadre harmonieux, et nous imaginons le spectacle qu’elle dut offrir, les acclamations dont elle dut retentir, en ces belles journées de décembre 1918 où la France vint y serrer sur son cœur la Lorraine retrouvée et reprise. Pour moi, que les circonstances avaient conduit à Metz le 26 juillet 1914, je m’attache à remettre mes pas dans l’itinéraire parcouru en cette journée qui était le dernier dimanche avant celui du 2 août, jour de la mobilisation. Je reprends cette rue Serpenoise que j’avais vue encombrée de militaires allemands de tout grade, circulant avec animation dans leur tenue du dimanche aux couleurs variées, rassemblés par groupes devant les vitrines des magasins pour y lire et commenter les dernières nouvelles. Je reconnais le petit magasin où j’avais pris un chocolat, servi avec des allurers qui m’avaient paru quelque peu françaises ; mais alors on ne pouvait pas s livrer à des épanchements ni à des confidences qui n’auraient pas été sans danger.

Et maintenant, quelques pas plus loin, nous voici sur l’Esplanade. Si nous y croisons des uniformes, ils sont des nôtres, et si la porte de notre ancienne École d’application, qui a vu passer tant de nos officiers d’artillerie et du génie, est gardée militairement, ce sont nos « diables bleus » qui fournissent le poste.

Nous saluons au passage l’intrépide Ney, toujours fièrement campé avec son fusil dans la main droite ; mais nous ne retrouvons plus à l’extrémité de la terrasse, pour contempler le riant et doux paysage au travers duquel la Moselle déroule lentement le cours limpide de ses eaux claires, l’empereur Guillaume Ier.

Il a quitté son piédestal et sa chute a encore laissé quelques traces sur le socle qu’il surmontait si superbement du haut de son cheval. Et c’est de là haut un gigantesque poilu, largement conçu et carrément planté, qui affirme en un geste énergique ces mots : « On les a ! » inscrits dans le cartouche où était le nom de l’Empereur déchu. Et dans le voisinage, veuf aussi de sa statue, le socle qui portait Frédéric-Charles, le Prince Rouge, l’heureux bénéficiaire de la capitulation du 28 octobre 1870.

L’heure ne nous permet pas de prolonger une visite qui, bien que courte, n’aura pas été sans nous causer de la joie.

Après un dîner au Grand Hôtel, nous sommes à la gare à 8 h. 30, où nous n’arrivons pas, sans quelque peine, à obtenir des places qui nous avaient été cependant réservées.

Le lendemain, en gare de l’Est, après s’être félicitées des circonstances qui, pendant quatre jours, les ont rapprochées dans une commémoration patriotique de deux des plus illustres enfants de leurs cités, les délégations de Versailles et de Chartres se séparent. L’impression qu’elles devaient conserver du voyage qu’elles venaient d’accomplir ne pouvait être mieux traduite que par la lettre adressée, le 12 juillet, par le maire de Versailles au général Mangin.

« Au moment, dirait M. le Maire, où la délégation qui a assisté à la cérémonie de Weissenthurm vient de rentrer à Versailles, je tiens à vous exprimer toute la reconnaissance de mes compagnons de voyage et de moi-même.

Nous avons été extrêmement touchés de l’hospitalité si gracieuse que vous nous avez offerte les 6 et 7 juillet derniers. Quant à la cérémonie en elle-même, elle constituera pour chacun de nous une des plus grandes journées, sinon la plu grande journée, dont nous aimerons à nous souvenir.

La présence sur les bords du Rhin des restes de notre immortel concitoyen le général Hoche, à côté des plus illustres vainqueur de la Grande Guerre, nous a procuré des émotions que je me sens impuissant à traduire.

Nous vous serons toujours infiniment reconnaissants de nous avoir permis de jouir de ce spectacle inoubliable, et la ville de Versailles ne pouvait pas rêver un plus bel hommage pour son illustre enfant. »

Il semblerait qu’après la cérémonie du 7 juillet, nous ayons atteint le point culminant du culte que nous avons voué au général Hoche. Cependant, il nous reste encore un devoir à remplir.

Dans la lettre qu’il adressait au maire de Versailles, à la date du 29 juin, le général Mangin disait avoir été avisé par un des professeurs de notre lycée de la présence au château de Versailles de bas-reliefs destinés au monument de Weissenthurm ; et il ajoutait : « Il serait fort intéressant de pouvoir remettre sur le monument soit les bas-reliefs eux-mêmes, soit des reproductions, si l’on tient à conserver l’œuvre originale à Versailles. Le Conseil municipal de Versailles ne pourrait-il étudier cette question ? »

Voilà le problème posé.

Les données en sont certaines. D’une part, nous avons pu constater nous-mêmes, sur les quatre faces du socle sur lequel repose la pyramide de Weissenthurm, l’existence des quatre panneaux en creux qui manifestement sont taillés à la demande de bas-reliefs.

Quant aux bas-reliefs, il nous est permis de les contempler chaque jour, et le maréchal Foch a pu les contempler lui-même en sortant de cette belle galerie des Batailles où, le 12 juillet dernier, lui fut solennellement offert l’hommage de reconnaissance des habitants de Seine-et-Oise.

Ils sont, en effet, dans l’escalier qui conduit à cette salle, et nous empruntons au journal Excelsior les détails qu’il donne à leur sujet, en numéro du 12 juillet dernier. Commandés au bon sculpteur Boizot, ils ont été achevés et exposés au Louvre en 1800 ; les sujets qu’ils représentent sont : Hoche commandant l’assaut de Wissembourg, Hoche à Quiberon, Hoche pacificateur de la Vendée, Hoche au combat de Neuwied. Ils n’ont jamais pris le chemin du monument de Weissenthurm : on les croyait perdus, lorsqu’ils furent retrouvés il y a quelques années par MM. de Nolhac et E. Bourgeois, dans les réserves du Musée de Versailles.

Et le journal se demande pourquoi des copies en bronze de ces morceaux n’iraient-elles pas compléter le monument de Weissenthurm ?

Il nous appartient de répondre, et il serait à souhaiter que la réponse ne se fit pas trop longtemps attendre pour que ceux qui auront l’honneur d’apporter un nouveau témoignage de notre souvenir au héros qui « monte la garde au Rhin », trouvent encore auprès de lui de belles troupes françaises pour lui rendre les honneurs.

Pourquoi faut-ils que les engins rudes et formidables qui vomissent aujourd’hui la mort, avec leurs projectiles méphitiques, ne soient plus ces canons aux formes élégantes, aux ornements artistiques, aux inscriptions décoratives, qui, comme le disait le général Lefebvre en 1797, lançaient la « foudre guerrière » par leur âme de bronze ? Quelle belle revanche du sort si le tombeau de Hoche avait pu être orné par les trophées de l’armée de Mangin !

En essayant de rendre compte des quatre journées que nous avons passées en Alsace-Lorraine et aux pays rhénans, nous n’avons pas eu la prétention d’apporter une contribution à l’étude de problème dont se préoccupe en ce moment l’opinion publique. Nous avons voulu simplement en retracer la physionomie et fixer les impressions ressenties au cours de notre rapide voyage. Peut-être trouvera-t-on qu’elles sont trop uniquement empreintes d’une allégresse victorieuse. On nous le pardonnera, j’espère, quand on se rappellera que celui qui a écrit ces lignes est né à la vie militaire en 1870, qu’il a passé quarante années dans l’armée à attendre les jours de réparation, et que ce sont ces jours-là qu’il vient de vivre, dans l’ivresse de son rêve réalisé.

Colonel J. Meunier,
Adjoint au Maire de Versailles.

Novembre 1919.


PROCÈS-VERBAL
de la reconnaissance de la présence des cendres du Général Hoche
dans le tombeau du Fort Franz, de la place de Coblence.

L’an mil neuf cent dix-neuf, le trois juin, à quatorze heures, étant à Coblence (Allemagne), nous :

Dulac, Francis-Léopold, officier d’administration de 2e classe à l’Hôpital militaire de Mayence, désigné comme officier de l’État-civil par Monsieur le Général Commandant la Dixième Armée, en présence de :

M. le Commandant Guigues, de l’État-Major de la xe Armée ;

M. le Capitaine Naulet, adjoint au chef des affaires civiles à Coblence ;

M. le Capitaine Franck, Stewart Q. M. C. of the Grave Registration Service 3 R. D. — A. U. S ;

M. le Lieutenant Curtis, affaires civiles, 3 R. D. — A. U. S ;

M. Frischling, inspecteur des Cimetières de Coblence ;

Avons procédé à l’ouverture du tombeau du Général Hoche, situé dans une des cours intérieures du Fort Franz, et avons constaté les faits suivants :

État du tombeau : pierre tombale avec inscription « Général Hoche » gravée sur la pierre, une grille d’entourage portant la plaque suivante :

Hier ruhet Général Hoche
Geb. d. 25 Juni 1768 — Gest. d. 18 sept. 1797
Als Commandierender der Mass und Sambre Armée

Avons découvert la voûte du caveau sous une épaisseur de terre de soixante centimètres. Après ouverture, le bois du coffrage de la voûte a été mis à jour ainsi que les débris du cercueil entièrement recouvert de feuilles de plomb, le tout complètement effondré.

La continuation des fouilles a permis de découvrir les ossements d’un squelette presque complet, y compris un crâne scié circulairement à la hauteur du milieu du front.

Nous n’avons pu trouver aucun vestige permettant d’identifier les restes du Général.

Nous avons réuni et replacé les ossements dans le caveau qui a été refermé provisoirement et confié à la garde des Américains en attendant que d’autres mesures soient prises.

L’opération a été terminée à seize heures quinze minutes. De tout quoi nous avons dressé le présent procès-verbal qui a été signé par nous et les témoins après lecture faite.

J. Guigues.
M. Naulet.
Frank P. Stewart.
Raleigh S. Curtis. L’Officier instrumentaire :
W. Frischling. Dulac.
xe Armée. Service photographique.
Pendant le Défilé des Troupes.
Au premier plan, sur le tertre : Le général Fayolle, le maréchal Foch, le général Mangin, le jeune Des Roys,
le commandant marquis Des Roys ; Mme la générale Mangin, la comtesse O’Gorman, la maréchale Foch.
PROCÈS-VERBAL
de la constatation de mise en cercueil des cendres du Général Hoche.

L’an mil neuf cent dix-neuf, le cinq juillet, à seize heures, étant à Coblence (Allemagne), nous :

Dulac, Francis-Léopold, officier d’administration de 2e classe à l’Hôpital militaire de Mayence, désigné comme officier de l’État-civil par Monsieur le Général Commandant la Dixième Armée, en présence de :

M. le Commandant Guigues, de l’État-Major de la xe Armée ;

M. le Commandant Goëz, chef des affaires civiles à Coblence ;

M. le Sous-Lieutenant Boegner, du Quatrième Génie ;

Avons procédé à nouveau à l’ouverture du tombeau du Général Hoche, situé dans une des cours intérieures du Fort Franz.

Avons exhumé et rassemblé dans un cercueil en plomb les cendres dudit Général, dont la présence dans le tombeau avait été reconnue le trois juin mil neuf cent dix-neuf.

Avons procédé au sondage du cercueil et l’avons mis dans un second en chêne.

Le cercueil porte à sa partie supérieure une plaque en aluminium portant gravée la mention suivante : Général Hoche, 1768-1797.

Avons procédé à la fermeture du cercueil et l’avons replacé dans le tombeau qui a été refermé provisoirement et confié à la garde du poste français.

De tout quoi nous avons dressé le présent procès-verbal, qui a été signé par nous et les témoins après lecture faite.

J. Guigues.
Goez. L’Officier instrumentaire :
Boegner. Dulac.

PROCÈS-VERBAL
de l’Inhumation des Cendres du Général Hoche dans la
nouvelle sépulture à Weissenthurm.

L’an mil neuf cent dix-neuf, ce sept juillet, à dix heures, étant à Coblence (Allemagne), nous :

Dulac, Francis-Léopold, officier d’administration de 2e classe à l’Hôpital militaire de Mayence, désigné comme officier de l’État-civil par Monsieur le Général Commandant la Dixième Armée, en présence de :

M. le Commandant Guigues, de l’État-Major de la xe Armée ;

M. le Commandant Goëz, chef des affaires civiles à Coblence ;

M. le Sous-Lieutenant Boegner, du Quatrième Génie ;

Avons procédé à nouveau à l’ouverture du tombeau du Général Hoche situé dans une des cours intérieures du Fort Franz.

Avons transporté le cercueil contenant les cendres du Général Hoche, au catafalque édifié devant le monument se trouvant au cimetière Marceau et l’avons laissé à la garde d’un piquet d’honneur français.

À quatorze heures, avons placé ledit cercueil sur une camionnette et l’avons transporté jusqu’à l’entrée de Weissenthurm, où nous l’avons placé sur un affût de canon et l’avons conduit jusqu’au monument commémoratif élevé par l’armée de Sambre-et-Meuse au Général Hoche.

Avons placé le cercueil dans le tombeau du caveau de ce monument et avons fait refermer le tombeau.

De tout quoi nous avons dressé le présent procès-verbal, qui a été signé par nous et les témoins après lecture.

J. Guigues. L’Officier instrumentaire :
Goëz. Boegner. Dulac.

  1. Nous l’empruntons à Rousselin de Saint-Albin, le premier biographe de Hoche, cité par le capitaine breveté Ernest Cunéo d’Ornano, à la page 345 de son ouvrage Hoche, édité en 1892, par la Librairie militaire Beaudoin et Cie, 30, rue et passage Dauphine, à Paris.
  2. Rappelons que Hoche avait alors sous ses ordres les généraux Lefebvre, Richepanse, Grenier, Ney, d’Hautpoul, Championnet, Klein, Cllaud, Watrin.
  3. Depuis le 23 avril 1797, les hostilités avaient été suspendues et une ligne de démarcation établie entre les armées. Les victoires de l’armée d’Italie sous Bonaparte, qui avait imposé à l’Autriche les préliminaires de Léoben, avaient arrêté dans son mouvement vers le Danube l’armée de Sambre-et-Meuse.
  4. a et b Hoche, du capitaine E. Cunéo d’Ornano, page. 346.
  5. Il a été reconnu que cette allégation, empruntée à divers documents, était inexacte, car le procès-verbal rédigé le 3 juin 1919, à la suite de l’ouverture du cercueil, par ordre de l’autorité militaire française mentionne bien que l’on a retrouvé des ossements. Voir le procès-verbal annexé au présent travail.
  6. Ce cimetière, situé sur le Pétersberg, a reçu en 1870-71 plus de 600 de nos prisonniers de guerre internés à Coblence.
  7. Cet hôtel, situé, 9, quai Kléber, a été construit en 1855 par un architecte de Paris pour un riche commerçant de Strasbourg. Il a été malheureusement agrandi par les Allemands. Il serait destiné à être la résidence du recteur de l’Université.
  8. Ces tableaux, qui sont des copies datées de 1832 à 1855, sont au nombre de 24, dont 3 sont à la résidence du commissaire général (ancienne Préfecture du Bas-Rhin et ancien hôtel du Statthalter), 7 à celle du général Gouraud, commandant la ive armée (ancien hôtel de la division française et du commandant de corps d’armée allemand), et 9 à celle du gouverneur militaire de Strasbourg (ancien hôtel du secrétaire d’État d’Alsace-Lorraine). — Renseignement fournis par M. le général Hirschauer.