Traitté du jeu royal des échets (Benjamin Asperling de Rarogne)/Préface


Sommaire Livre Premier
PREFACE


CEluy de tous les ſens qui donne le plus de plaiſ‍ir eſ‍t ſans contredit la veüe, à cauſe de la diverſ‍ité des objets que ſe preſentent à nos yeux. Ainſ‍i l’on ſe plait merveilleuſement à voir tantôt une belle prairie ornée de mille & mille fleurs ; tantôt un bocage delicieux & mille autres objets ſemblables, qui par leur diverſ‍ité plaiſent à l’eſprit & aux yeux. Il en eſ‍t a peu prez de même des jeux qui ſont inventez pour le divertiſ‍ſement de l’homme ; Entre leſquels il eſ‍t conſ‍tant, que ceux qui ont le plus de diverſ‍ité donnent le plus de plaiſ‍ir ; ſur tout lors qu’il s’agit ſ‍implement du genie & de la force du jugement. La raiſon de cela eſ‍t que les gens d’eſprit ont naturellement du dégout pour les choſes que l’on conçoit avec trop de facillité ; & par contre ils ſe plaiſent à ſurmonter les plus difficiles ; contraires en cela aux eſprîts bas, qui ſe dégoutent facillement de ce qui leur fait de la peine ; & qui ne ſe plaiſent qu’à ce qui eſ‍t aisé & facile. Mais s’il eſ‍t vray que la diverſ‍ité ſoit neceſ‍ſaire pour plaire dans les jeux ; par cela même il eſ‍t évident que le jeu des Echets eſ‍t le plus agreable, & le plus ſpirituel de tous puis qu’il n’y en a point dont les détours ſoient plus ſurprenans ni plus merveilleux. Ie ne m’arreteray pas ici à prouver une vérité ſ‍i connue, parce qu’elle paroitra clairement dans la ſuitte de ce traitté lors que je montreray les dif‍férentes manieres d’ordonner le jeu : avec les reigles neceſſaires & les maximes les plus f‍ines que doivent néceſſairement obſerver tous ceux qui avec le temps veulent ſe rendre bons joüeurs d’échets. Les reigles & les maximes ſõt couchées au premier livre, & les manieres de joüer ſe voyent dans les livres ſuivants. Celles cy ſont tirées en partie du livre Eſpagnol, en partie de l’Italien de Iöachimo le Calabrois, & la plus part de mon invention, Ie les ay ſoigneuſement triées, augmentées & miſes dans un meilleur ordre, af‍fin d’en donner une plus claire intelligence à ceux qui aiment ce jeu. Premierement donc je diviſe cette diverſ‍ité de jeux en deux chefs generaux, qui font les jeux ordinaires, & les jeux de party autrement jeux rompus n’ayant point de commencement : ceux cy ſont contenus dans la f‍in du ſ‍ixieme livre. Quant aux jeux ordinaires, ils sont inf‍inis auſ‍ſ‍i bien que les autres, & je tenterois l’impoſſ‍ible ſ‍i je pretendois de démontrer exac‍tement toutes leurs combinations. Laiſſant donc à part une inf‍inité de manieres poſ‍ſ‍ibles de joüer, je me contenteray de choiſ‍ir les plus belles & les plus uſ‍itées entre les meilleurs jouëurs. Et pour le faire avec ordre, je diviſe les jeux ordinaires en deux manieres : ſçavoir lors que le premier commence en pouſſant le pion de la Dame deux cazes ; ce qui eſ‍t contenu dans le milieu du ſ‍ixiéme livre. Ou bien lors que le premier commence en pouſſant le pion du Roy deux cazes ; & cela êtant je démontre trois ordres de jeux differens : ſçavoir lors que le ſecond pouſſe le pion du chevalier de la Dame une caze, ou le pion du Roy une caze, ce qui ſe voit au commencement du ſixiéme livre : ou enfin lors que le ſecond pouſſe auſ‍ſ‍i le pion de ſon Roy deux cazes. En ce cas le premier attaquera le pion du Roy contraire, ou il ne l’attaquera pas. Ces derniers jeux ſont contenus dans le cinquième livre. Que ſi le premier attaque le pion du Roy contraire, il pourra le faire en deux manieres que je démontre. Premierement avec le pion du fou du Roy en le pouſſant deux cazes, laquelle maniere s’appelle Gambit et eſt contenue dans le quatriéme livre, ſecondement avec le chevalier du Roy, en le jouant à la troiſiéme du fou : et en ce cas le ſecond deffendra le pion de son Roy, ou il ne le deffendra pas. Si le ſecond ne deffend pas le pion de ſon Roy, il attaquera auſſi le pion du Roy contraire avec le chevalier de ſon Roy ou avec le pion de la Dame, ce qui ſe voit dans le troiſiéme livre. Mais ſi le ſecond deffend le pion de ſon Roy, il pourra le faire en cinq manieres, ou avec le chevalier de la Dame, ou avec la Dame, ou avec le fou du Roy, ou avec le pion de la Dame, ou avec le pion du fou du Roy. Ces cinq manieres differentes ſont contenues dans le ſecond livre.